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Date : 20230530


Dossier : IMM-5238-22

Référence : 2023 CF 757

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 30 mai 2023

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

FATOUMA MOHAMED ALI

SAFIA MOHAMED DAOUD

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] présentée par Mme Ali a été rejetée. Comme elle avait déjà présenté une demande d’asile aux États-Unis et qu’elle n’était pas autorisée à en présenter une au Canada, une audience a été tenue. Elle sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision défavorable relative à l’ERAR. Je rejette sa demande parce que le processus suivi par l’agent d’ERAR était équitable et que la décision elle-même était raisonnable. Plus particulièrement, le fait que Mme Ali n’ait pas obtenu d’enregistrement de l’audience d’ERAR n’a pas donné lieu à un manquement à l’équité procédurale.

I. Contexte

[2] Mme Ali et sa fille, Safia, sont citoyennes du Djibouti. En 2016, elles se sont rendues aux États-Unis où elles ont demandé l’asile. En 2019, comme aucune décision n’avait encore été rendue à l’égard de leur demande, elles sont venues au Canada dans l’intention de demander l’asile. Toutefois, comme elles avaient déjà présenté une demande d’asile aux États-Unis, une telle demande était irrecevable au Canada, au titre de l’alinéa 101(1)c.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. Elles ont plutôt présenté une demande d’ERAR. Néanmoins, en application de l’article 113.01 de la Loi, elles avaient droit à une audience.

[3] Dans la demande d’ERAR, Mme Ali a allégué qu’elle avait fait l’objet de diverses formes de harcèlement parce que son époux et elle s’opposaient au gouvernement. Plus particulièrement, elle a mentionné qu’elle s’était jointe à un parti d’opposition, l’Alliance républicaine pour le développement [l’ARD], mais qu’elle avait quitté ce parti après qu’il eut décidé de se joindre à un gouvernement de coalition. Les membres de l’ARD ont alors commencé à la harceler et à l’accuser d’être contre l’ARD et le parti au pouvoir. Lorsqu’elle a reçu une convocation de la police, elle a décidé de quitter le pays. Mme Ali a aussi allégué qu’elle faisait partie du groupe ethnique afar, qui fait l’objet d’une forte discrimination. Elle a, en outre, exprimé la crainte que sa fille soit soumise à la mutilation génitale féminine [MGF], une pratique fréquente à Djibouti, à laquelle elle avait personnellement été soumise.

[4] La demande d’ERAR de Mme Ali a été rejetée. L’agent a examiné la preuve concernant la persécution fondée sur l’opinion politique, mais il a conclu que le témoignage de Mme Ali était vague, que l’authenticité de la convocation provenant de la police était douteuse et que la preuve sur la situation dans le pays ne montrait pas que les membres ordinaires de l’ARD risquaient d’être persécutés. Il a aussi conclu que la preuve concernant la situation de l’époux de Mme Ali était mince. Il s’est ensuite penché sur les allégations concernant la discrimination exercée contre les femmes à Djibouti, mais il a conclu que Mme Ali, compte tenu de son profil, ne serait pas exposée aux conditions décrites dans la preuve sur la situation dans le pays. En ce qui concerne le risque lié à la MGF, l’agent a reconnu que cette pratique était très fréquente à Djibouti, mais il a noté que Mme Ali n’avait fourni aucune preuve médicale montrant que sa fille n’avait pas déjà été soumise à la MGF et il a conclu que, quoi qu’il en soit, rien n’indiquait qu’elle avait fait l’objet de menaces ou de pressions particulières. De plus, l’agent a rejeté la crainte exprimée par Mme Ali d’être persécutée en raison de son appartenance au groupe ethnique afar, parce qu’elle n’avait pas prouvé qu’elle serait perçue comme étant d’origine afar et que la preuve ne suffisait pas à démontrer qu’elle risquait d’être persécutée pour cette raison. Enfin, l’agent a examiné un billet de médecin et un rapport d’évaluation psychothérapeutique, mais il a conclu que ces documents ne suffisaient pas à établir un risque de persécution à Djibouti.

[5] Mme Ali sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision défavorable relative à l’ERAR.

II. Analyse

[6] Je rejette la demande de Mme Ali. Cette dernière s’appuie sur un large éventail de motifs pour contester la décision. Certains de ces motifs ont trait à l’équité procédurale et d’autres, au fond de la décision relative à l’ERAR. J’examinerai les motifs l’un après l’autre.

A. Équité procédurale

[7] L’affirmation principale de Mme Ali est qu’un enregistrement de l’audience d’ERAR aurait dû lui être fourni et que le défaut de le lui fournir a donné lieu à un manquement à l’équité procédurale. De plus, elle soutient que l’absence d’un interprète et que certains commentaires faits par l’agent dans les notes prises lors de l’audience ont aussi donné lieu à une iniquité.

(1) Absence d’enregistrement

[8] Mme Ali allègue que le processus suivi par l’agent d’ERAR était inéquitable parce qu’il ne lui a fourni aucun enregistrement de l’audience. Comme l’audience s’est déroulée par visioconférence, elle affirme qu’il aurait été facile de l’enregistrer. Bien que les notes de l’agent lui aient été fournies, elle soutient que ces notes ne sont pas suffisantes pour permettre un véritable examen de la décision, notamment en ce qui concerne la conclusion de l’agent selon laquelle son témoignage était vague.

[9] Je fais d’abord remarquer que rien n’indique que l’audience ait été enregistrée. Le dossier certifié du tribunal [DCT] ne contient aucun renseignement à cet égard. De plus, rien n’indique que Mme Ali ait demandé à l’agent d’ERAR d’enregistrer l’audience et de lui fournir l’enregistrement par la suite. La question n’a été soulevée que dans le contexte de la présente demande de contrôle judiciaire. Cela ferait normalement obstacle à toute allégation d’iniquité procédurale, puisque la question doit être soulevée le plus tôt possible. Cependant, par souci d’exhaustivité, j’analyserai les prétentions de Mme Ali.

[10] La jurisprudence est plutôt mince en ce qui concerne les exigences en matière d’équité procédurale à respecter dans le contexte particulier d’une audience d’ERAR obligatoire tenue en application de l’article 113.01 de la Loi. Les lignes directrices du ministre concernant les audiences d’ERAR (qu’elles soient tenues en application de l’article 113.01 de la Loi ou au titre de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227) prévoient que le dossier d’audience se limite aux notes de l’agent.

[11] Il pourrait être judicieux d’enregistrer les audiences d’ERAR, comme mon collègue le juge Alan Diner l’a laissé entendre dans la décision Divya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 620 [Divya], aux paragraphes 18 à 20. L’enregistrement contribuerait à résoudre les cas où le demandeur présente une preuve montrant que l’audience ne s’est pas déroulée de la façon indiquée dans les notes. En revanche, l’absence d’enregistrement de l’audience n’entraîne pas nécessairement un manquement à l’équité procédurale : Ashenafi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1331 au paragraphe 11.

[12] Les audiences devant la Section de la protection des réfugiés [la SPR] peuvent servir de point de comparaison. La SPR n’est pas tenue d’enregistrer les audiences relatives à des demandes d’asile : Kandiah c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992], 141 NR 232 (CAF) [Kandiah] au paragraphe 7; Antunano Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 744 au paragraphe 7. Comme l’a mentionné mon collègue le juge John Norris dans la décision Patel c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 804, au paragraphe 31 :

[...] Dans les cas où il n’y a pas de droit à un enregistrement expressément reconnu par la loi, « les cours de justice doivent déterminer si le dossier dont elles disposent leur permet de statuer convenablement sur la demande d’appel ou de révision. Si c’est le cas, l’absence d’une transcription ne violera pas les règles de justice naturelle » (Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c Montréal (Ville), [1997] 1 RCS 793, au paragraphe 81). D’autre part, si la Cour ne peut statuer sur la demande dont elle est saisie en raison de l’absence d’une transcription, il y aura manquement aux règles de justice naturelle.

[13] En l’espèce, aucune preuve ne démontre que l’absence d’enregistrement audio de l’audience d’ERAR a empêché Mme Ali de faire valoir sa cause en contrôle judiciaire. Les notes contiennent chacune des questions posées par l’agent et les réponses de Mme Ali. Elles sont assez détaillées. Elles permettent à la Cour de comprendre pourquoi l’agent a conclu que [traduction] « les explications [de Mme Ali] concernant son rôle au sein du parti [ARD] étaient vagues ».

[14] Cependant, Mme Ali soutient qu’on ne peut pas vraiment savoir si ses réponses étaient vagues en l’absence d’une transcription intégrale ou d’un enregistrement audio. Selon elle, l’agent pourrait fort bien n’avoir noté qu’un résumé de ses réponses, ne faisant ainsi pas justice à ce qu’elle a réellement dit. Néanmoins, le fardeau incombait à Mme Ali de prouver qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale. Pour ce faire, elle disposait d’autres moyens qu’un enregistrement : Kandiah, au paragraphe 9. Pourtant, son affidavit est muet sur cette question; elle n’a pas déclaré que ses réponses étaient plus complètes que ce qui figurait dans les notes de l’agent. Cela fait contraste avec l’affaire Divya, par exemple, dans laquelle la demanderesse avait fourni une preuve qui contredisait le compte rendu de l’audience fait par l’agent. Dans ces conditions, il ne suffit pas à Mme Ali de soutenir qu’un enregistrement audio complet aurait peut-être pu étayer les motifs invoqués dans sa demande de contrôle judiciaire. Plus particulièrement, un enregistrement ou une transcription n’aurait pas été d’une grande utilité pour déterminer si elle avait mal compris une question.

(2) Absence d’un interprète

[15] À l’audience d’ERAR, Mme Ali était représentée par une avocate. Avant l’audience, l’avocate a informé l’agent que Mme Ali ne souhaitait pas recourir aux services d’un interprète, mais que [traduction] « la barrière linguistique pourrait lui poser problème ». Dans la décision, l’agent a noté ce qui suit :

[traduction]
La communication a été difficile à quelques occasions, car la demanderesse ne souhaitait pas recourir aux services d’un interprète, mais l’avocate a été en mesure d’appuyer sa cliente et de reformuler les questions au besoin. En outre, elle a profité de l’occasion pour apporter des éclaircissements dans ses observations postérieures à l’audience [...].

[16] Mme Ali soutient maintenant qu’il était inéquitable de procéder de cette façon. Elle affirme que, dès que l’agent s’est rendu compte qu’elle avait de la difficulté à comprendre les questions et à s’exprimer, il aurait dû ajourner l’audience et faire venir un interprète.

[17] Je ne vois aucun manquement à l’équité procédurale en l’espèce. Mme Ali ne peut pas se plaindre de l’absence d’interprétation simultanée puisqu’elle avait expressément renoncé à ce droit par l’entremise de son avocate, comme dans les décisions Bilal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 1692, au paragraphe 24, et Habboob c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 162, aux paragraphes 15 à 23. De plus, les questions concernant l’interprétation doivent être soulevées le plus tôt possible : Mohammadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 191 au paragraphe 19, [2001] 4 CF 85; Baloch c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1373 aux paragraphes 27 à 42. Mme Ali ne l’a pas fait. Son avocate est plutôt intervenue pour clarifier les questions au besoin. Dans ces circonstances, Mme Ali peut difficilement reprocher à l’agent d’ERAR de ne pas avoir ajourné l’audience.

(3) Commentaires dans les notes de l’agent

[18] Mme Ali conteste certains commentaires qui figurent dans les notes et qui indiquent que l’agent a trouvé certaines de ses réponses vagues ou qu’il a eu l’impression qu’elle ne comprenait pas la question. Dans le DCT original, ces commentaires sont surlignés en jaune. Il est difficile de savoir s’ils ont été consignés pendant ou après l’entrevue.

[19] Ces commentaires ne sont en rien inappropriés. Ils portent essentiellement sur les mesures que l’agent a prises pour surmonter la [traduction] « barrière linguistique ». Une lecture globale des notes montre que Mme Ali a eu de la difficulté à fournir des détails sur sa participation aux activités de l’ARD. À deux occasions, l’avocate est intervenue et a reformulé la question ou a posé des questions supplémentaires. À une autre occasion, l’agent a répété la question. La seule fois où l’agent n’a pas répété la question ne semble pas avoir joué un rôle important dans la décision. Étant donné que les réponses de Mme Ali étaient objectivement vagues, l’agent n’a pas manqué à l’obligation d’équité procédurale en consignant ce fait dans les notes.

B. Caractère raisonnable

[20] Mme Ali soutient que la décision relative à l’ERAR est déraisonnable. Toutefois, ses observations à ce sujet ne sont pas axées sur les conclusions de l’agent d’ERAR concernant ce qui était alors son allégation principale, à savoir le risque de persécution attribuable à ses relations avec l’ARD. Mme Ali conteste plutôt le traitement de ce qui n’était guère plus que de simples allégations. Étant donné la faiblesse de la preuve, il est difficile pour Mme Ali de soutenir que l’agent d’ERAR a négligé des éléments de preuve ou qu’il a tiré des conclusions déraisonnables. Je vais néanmoins traiter brièvement des prétentions de Mme Ali concernant la MGF, son origine ethnique afar et la situation des femmes à Djibouti. Je traiterai également des commentaires de l’agent d’ERAR concernant sa preuve psychologique.

[21] Auparavant, j’aimerais souligner certains points qui sont communs à toutes ces questions. Le dossier montre que certaines questions n’ont été soulevées que de façon indirecte dans les observations présentées au nom de Mme Ali. Les observations étaient mal structurées et renvoyaient parfois à un autre pays. Il semble que l’agent ait tenté d’être généreux et exhaustif dans son analyse. Il convient de garder cela à l’esprit lors de l’examen de la décision de l’agent. En termes simples, le contrôle judiciaire n’est pas une occasion de plaider à nouveau la cause ou de reprocher à l’agent de ne pas avoir analysé des arguments qui n’ont jamais été présentées.

[22] De même, étant donné les lacunes dans les observations et la preuve, on ne peut guère reprocher à l’agent d’ERAR de ne pas avoir posé de questions sur certains points ou de ne pas avoir effectué de recherche indépendante sur certains aspects de la demande. L’agent peut cerner les questions déterminantes et se concentrer sur celles-ci lorsqu’il interroge un demandeur. De plus, bien que les agents d’ERAR soient tenus d’avoir une connaissance générale du contenu du cartable national de documentation [CND] sur le pays d’un demandeur, cela ne les oblige pas à constituer la preuve du demandeur, surtout lorsqu’il y a peu ou pas d’éléments de preuve à l’appui de certains motifs.

(1) Mutilation génitale féminine

[23] L’agent s’est appuyé sur deux affirmations pour trancher les allégations selon lesquelles la fille de Mme Ali pourrait être soumise à la MGF : 1) aucune preuve médicale ne montrait qu’elle n’avait pas déjà été soumise à cette pratique; 2) aucune preuve ne montrait que qui que ce soit l’ait menacée de la soumettre à la MGF. Bien que la deuxième affirmation soit raisonnable et suffisante pour trancher la question, je suis troublé par la première affirmation.

[24] L’allégation de crainte formulée par Mme Ali signifiait implicitement que sa fille n’avait pas déjà été soumise à cette pratique. Il n’y avait aucune raison de douter de cette affirmation, et la présomption de véracité devrait s’appliquer. Si l’agent avait des doutes à ce sujet, il aurait dû en informer Mme Ali et lui donner la possibilité de répondre. Je ne connais aucune règle, pratique ou exigence qui obligerait les parents qui craignent que leur fille soit soumise à la MGF à fournir une preuve médicale démontrant que cela ne s’est pas encore produit. Mme Ali ne pouvait raisonnablement pas s’attendre à devoir fournir une telle preuve.

[25] Cette erreur n’est toutefois pas déterminante. L’agent a conclu que la crainte concernant la MGF ne pouvait pas justifier l’octroi du statut de réfugié, car Mme Ali n’avait pas précisé d’où risquaient de provenir les menaces à ce sujet. L’agent a déclaré ce qui suit : [traduction] « Rien dans les observations ne donne à penser que des membres clairement identifiés de la famille de la demanderesse ou des membres de la communauté exerceraient des pressions sur sa fille ou la menaceraient de la soumettre à la MGF. »

[26] Cette conclusion est raisonnable. Elle est fondée sur la preuve. L’affidavit de Mme Ali ne contenait qu’un seul paragraphe sur cette question, qui ne faisait mention d’aucune menace précise provenant de membres de la famille ou de la communauté. Il incombait à Mme Ali de démontrer qui pourrait faire pression sur elle pour que sa fille soit soumise à la MGF. En l’absence d’une telle preuve, la crainte de Mme Ali n’a pas de fondement objectif. J’ajouterais que l’agent n’avait pas à interroger Mme Ali sur la source des menaces éventuelles, puisque Mme Ali n’en a allégué aucune.

(2) Origine ethnique afar

[27] L’agent a reconnu que les personnes d’origine afar sont victimes de discrimination, et que Mme Ali est d’origine afar. Toutefois, il a fait remarquer qu’aucun élément de preuve ne permettait de savoir si Mme Ali serait perçue comme étant d’origine afar et si elle serait personnellement victime de discrimination équivalant à de la persécution. Il a aussi fait remarquer que la preuve concernant l’identité ethnique de l’époux de Mme Ali et la question de savoir s’il avait été mis à pied pour cette raison était insuffisante.

[28] Je ne vois rien de déraisonnable dans ces conclusions. Dans la preuve et les observations, l’origine ethnique afar de Mme Ali constituait principalement un aspect de ses allégations de persécution politique. Le fait que l’origine ethnique afar pourrait, à elle seule, constituer le fondement d’une demande d’asile n’y était que très peu abordé. Néanmoins, l’agent d’ERAR a examiné la preuve sur la situation dans le pays présentée par Mme Ali ainsi que des éléments de preuve supplémentaires tirés du CND et il a conclu que Mme Ali n’avait pas prouvé que la discrimination à laquelle elle pourrait être personnellement exposée équivaudrait à de la persécution. Mme Ali n’a pas démontré que, pour parvenir à cette conclusion, l’agent avait négligé des éléments de preuve pertinents ou qu’il avait commis des erreurs qui rendaient la décision déraisonnable.

(3) Situation des femmes à Djibouti et discrimination cumulative

[29] Mme Ali conteste aussi la portion de la décision qui porte sur la discrimination fondée sur le sexe, car elle ne traite pas de la discrimination cumulative. Une fois de plus, cette question n’a été soulevée que de façon indirecte devant l’agent d’ERAR. Dans les observations présentées avant et après l’audience, l’avocate n’a pas mentionné la discrimination fondée sur le sexe. Ce n’est que dans son affidavit présenté après l’audience que Mme Ali a déclaré qu’elle était [traduction] « persécutée en raison de [s]on sexe et de [s]on appartenance à un groupe social particulier, les Afars ».

[30] Une fois de plus, l’agent a examiné le CND, mais il n’a pas trouvé suffisamment d’éléments de preuve démontrant que la situation qui y était décrite toucherait Mme Ali. Plus particulièrement, l’agent a noté que la discrimination à l’égard des femmes, notamment des femmes célibataires, était plus répandue dans les régions rurales, alors que Mme Ali vivait dans la ville de Djibouti. L’agent a aussi noté l’absence de preuve montrant que Mme Ali avait été victime de discrimination fondée sur le sexe lorsqu’elle vivait dans la ville de Djibouti. Dans ce contexte, la conclusion de l’agent selon laquelle Mme Ali n’avait pas de crainte fondée de persécution découlant d’une discrimination fondée sur le sexe est raisonnable.

[31] En ce qui concerne la discrimination cumulative, il n’en est tout simplement pas fait mention dans les documents dont disposait l’agent d’ERAR. Mme Ali ne peut pas invoquer un nouveau motif de protection en contrôle judiciaire. En outre, elle n’a pas expliqué la nature de la discrimination cumulative dont l’agent d’ERAR aurait dû tenir compte.

(4) Preuve psychologique

[32] Enfin, Mme Ali conteste l’analyse faite par l’agent d’ERAR de sa preuve psychologique, qui consiste en un bref billet d’un médecin et un rapport d’évaluation prétraitement produit par un psychothérapeute.

[33] Là encore, les observations présentées à l’agent d’ERAR n’étaient pas très claires quant à l’objet de cette preuve. Avant l’audience, aucune allégation de persécution fondée sur un problème de santé mentale n’avait été formulée. Lorsque la preuve psychologique a été présentée, elle faisait partie d’une demande de mesures d’accommodement présentée à l’audience. Dans les observations postérieures à l’audience, cet élément de preuve a été mentionné principalement pour expliquer des omissions éventuelles dans le témoignage de Mme Ali, mais il y est aussi fait mention du manque de services de santé mentale à Djibouti. Néanmoins, l’affidavit présenté par Mme Ali après l’audience mentionnait [traduction] « [qu’]un problème de santé mentale [était] un motif pour demander l’asile ».

[34] Mme Ali soutient que l’agent n’aurait pas dû exiger du médecin et du psychothérapeute qu’ils fournissent une preuve portant sur sa crainte présumée de persécution à Djibouti. Cependant, ce n’est pas ce qu’a fait l’agent. Il a plutôt exploré les diverses façons dont cette preuve pouvaient être pertinente à l’égard de la demande d’asile, mais il a exclu l’une de ces possibilités, à savoir qu’elle pourrait corroborer le fondement objectif de la crainte alléguée par Mme Ali. Cette conclusion est raisonnable. De plus, l’agent a analysé d’autres façons dont cette preuve pouvait être pertinente.

[35] Mme Ali soutient aussi que l’agent n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle les services de santé mentale sont pratiquement inexistants à Djibouti. Toutefois, l’agent a noté que le psychothérapeute n’avait recommandé que dix séances hebdomadaires et aucun autre traitement, et il a conclu que rien n’indiquait que l’état de santé mentale de Mme Ali était tel qu’elle serait exposée à de la persécution pour ce motif. Étant donné la faiblesse de la preuve, cette dernière conclusion était raisonnable, et la question de la disponibilité des services de santé mentale à Djibouti n’était pas déterminante. Je ne veux pas minimiser les symptômes de Mme Ali, mais ils n’appuient tout simplement pas sa prétention selon laquelle elle pourrait être emprisonnée en raison de son état mental.

III. Dispositif

[36] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de Mme Ali sera rejetée.

[37] Mme Ali a demandé que je certifie la question suivante aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale :

Le défaut de l’agent de produire un enregistrement audio ou une transcription d’une audience d’ERAR obligatoire constitue-t-il un manquement à l’équité procédurale, entrave-t-il la capacité du demandeur à contester efficacement la décision et entrave-t-il la capacité de la Cour à s’acquitter de sa fonction de contrôle judiciaire?

[38] Je refuse de certifier cette question. Il ne s’agit pas d’une question de portée générale, car, comme je l’ai expliqué plus haut au paragraphe [12], un manquement à l’équité procédurale lié à l’absence de transcription ou d’enregistrement ne peut être apprécié qu’en fonction des circonstances propres à chaque affaire. De plus, cette question ne serait pas déterminante, puisque Mme Ali n’avait pas demandé que l’audience soit enregistrée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-5238-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2. Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-5238-22

 

INTITULÉ :

FATOUMA MOHAMED ALI, SAFIA MOHAMED DAOUD c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 mai 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

DATE DES MOTIFS :

Le 30 mai 2023

COMPARUTIONS :

Arghavan Gerami

Pour les demanderesses

Narin Sdieq

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gerami Law Professional Corporation

Ottawa (Ontario)

Pour les demanderesses

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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