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Date : 20230607


Dossier : IMM-4393-22

Référence : 2023 CF 803

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 7 juin 2023

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

LIDD MILDRED AMOROCHO SANABRIA

SANTIAGO ALVAREZ AMOROCHO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] rendue le 20 avril 2022 [la décision en cause] portant que les demandeurs n’ont pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Comme je l’explique de manière plus détaillée ci-dessous, la présente demande est rejetée au motif que les demandeurs ne se sont pas présentés devant la Cour avec une attitude irréprochable.

Contexte

[3] La demanderesse principale, Lidd Mildred Amorocho Sanabria, et son fils mineur sont des citoyens de la Colombie. La demande est fondée sur des craintes à l’égard de l’ancien petit ami de la demanderesse principale, présenté comme un homme violent, membre d’un groupe de guérilla en Colombie, qui avait planifié l’enlèvement des demandeurs afin de les recruter de force.

[4] Le 28 septembre 2018, les demandeurs ont quitté la Colombie à destination des États-Unis. Le 12 octobre 2018, ils sont entrés au Canada, où ils ont de la famille, et ont demandé l’asile à la frontière.

[5] Malgré l’une de ses constatations qui était défavorable, la SPR a estimé que les demandeurs étaient généralement crédibles. Cependant, la SPR a également estimé que les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge intérieur viable dans la ville de Tunja, en Colombie, et, par conséquent, a conclu que ceux-ci n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au sens de la LIPR.

[6] Le 11 mai 2022, les demandeurs ont déposé la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision en cause. Les demandeurs devaient être renvoyés le 20 novembre 2022. Ils ont déposé une requête pour demander le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi jusqu’à ce leur demande de contrôle judiciaire soit instruite et jugée. Le 10 novembre 2022, le juge Pamel a rejeté leur requête. Le 18 novembre 2022, les demandeurs ont rencontré des représentants de l’Agence des services frontaliers du Canada au sujet de leur renvoi prochain; cependant, ils ne se sont pas présentés pour leur renvoi le 20 novembre 2022 comme prévu, et des mandats pour leur arrestation ont été délivrés.

[7] Le dossier de la Cour indique que les demandeurs ne sont pas représentés par un avocat à l’heure actuelle. Le 8 mars 2023, la juge McDonald a délivré une ordonnance accordant l’autorisation de demander le contrôle judiciaire et fixé l’audition de la présente demande le 6 juin 2023 [l’ordonnance d’autorisation]. Le 28 avril 2023, l’avocate qui a déposé la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire des demandeurs et, par la suite, leur dossier de demande [ancienne avocate] a signifié et déposé un avis indiquant qu’elle ne représentait plus les demandeurs.

[8] Le 1er juin 2023, le greffe de la Cour, en préparation de l’audience à venir, a écrit à l’ancienne avocate et à l’avocat du défendeur dans le but de savoir qui allait être présent à l’audience pour représenter les parties. Le 2 juin 2023, l’ancienne avocate a répondu que, puisqu’elle n’était plus avocate dans cette instance, elle ne se présenterait pas à l’audience pour représenter le demandeur. Elle a également fourni une adresse de courrier électronique permettant de joindre les demandeurs. Le 2 juin 2023, le greffe a envoyé à cette adresse un courriel pour savoir si les demandeurs comptaient se représenter eux-mêmes ou être représentés par un avocat. Le 2 juin 2023, le greffe a reçu la réponse suivante par courriel :

[traduction]

Bonsoir,

Merci pour votre message. Nous apprécions votre communication. Cependant, nous tenons à vous informer que nous ne sommes pas représentés par un avocat en raison de contraintes financières. Par conséquent, nous estimons que nous ne sommes pas outillés pour nous défendre adéquatement dans cette affaire, puisque nous ne possédons pas l’expertise nécessaire.

Nous comprenons l’importance de notre affaire et reconnaissons qu’il est nécessaire que nous soyons adéquatement représentés par un avocat. Compte tenu de notre situation, nous vous demandons de bien vouloir nous aider à naviguer à travers le processus juridique ou de nous indiquer comment procéder en l’absence d’un avocat. Toute aide ou toute ressource que vous pourriez nous fournir serait grandement appréciée.

Merci pour votre compréhension et votre coopération.

[9] Dans sa réponse à ce courriel, envoyée le 5 juin 2023, le greffe a fourni des liens vers le site Web de la Cour donnant accès à des ressources pour les plaideurs non représentés par un avocat et la recherche d’aide juridique. Je note que les communications par courrier électronique de juin 2023 entre le greffe, l’avocat et les demandeurs contiennent, dans leur ligne d’objet, la date et l’heure de l’audition de la présente demande.

[10] Le 6 juin 2023, le greffe a tenté de faire un suivi auprès des demandeurs, par courrier électronique et au moyen d’un numéro de téléphone censé appartenir aux demandeurs fourni par l’ancienne avocate. Le numéro de téléphone n’était plus en service, et le greffe n’a reçu aucune réponse à son courriel.

[11] Ni les demandeurs ni un avocat les représentant ne se sont présentés à l’audience. L’avocat du défendeur a soutenu que la Cour pouvait procéder à l’audience même en l’absence des défendeurs en vertu de l’article 38 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], qui dispose que lorsqu’une partie ne comparaît pas à une audience, la Cour peut procéder en son absence si elle est convaincue qu’un avis d’audience lui a été donné en conformité avec les Règles.

[12] Après avoir reçu les observations de l’avocat du défendeur, la Cour a estimé qu’un avis d’audience avait été donné aux demandeurs, en premier lieu, dans l’ordonnance d’autorisation délivrée à l’ancienne avocate avant son retrait de l’instance et, en second lieu, dans la correspondance par courrier électronique de juin 2023 entre le greffe de la Cour et les demandeurs. Considérant que les demandeurs ne se sont pas présentés à l’audience alors qu’ils auraient pu, même s’ils étaient encore à la recherche d’un avocat, le faire pour expliquer leur situation et demander un ajournement, la Cour a conclu qu’il convenait de procéder à l’audience.

Questions en litige et norme de contrôle

[13] Après avoir pris en compte les observations écrites des parties (y compris un argument de l’attitude irréprochable, exposé dans le mémoire supplémentaire du défendeur, fondé sur le fait que les demandeurs ne s’étaient pas présentés pour leur renvoi prévu le 20 novembre 2022), ainsi que la plaidoirie du défendeur fondée sur le défaut des demandeurs de se présenter à l’audience, la Cour doit répondre aux trois questions suivantes :

  1. Cette demande doit-elle être rejetée pour cause de désistement des demandeurs?

  2. Subsidiairement, cette demande doit-elle être rejetée au motif que les demandeurs ne se sont pas présentés avec une attitude irréprochable?

  3. Si la Cour décide de ne pas rejeter la demande pour les deux motifs précédents et est disposée à se prononcer sur le bien-fondé de la demande :

  1. la SPR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité des demandeurs?

  2. la SPR a-t-elle commis une erreur dans son analyse de la possibilité de refuge intérieur viable?

[14] Les parties conviennent (et je suis d’accord) que la norme de contrôle applicable aux questions en lien avec le fond de la demande est la décision raisonnable (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65).

Analyse

[15] Le premier argument du défendeur est que, compte tenu du fait que les demandeurs ne sont pas présentés à l’audience pour la présente demande, la Cour devrait conclure que les demandeurs ne souhaitent pas faire progresser leur dossier et ont abandonné la demande. L’avocat du défendeur a expliqué que, durant le court laps de temps lui ayant été imparti pour faire des recherches sur les principes encadrant le désistement, il a trouvé peu d’orientation jurisprudentielle. Comme je l’explique ci-dessous, je conclus que la Cour devrait rejeter la présente demande suivant l’argument de l’attitude irréprochable présenté par le défendeur. Par conséquent, et compte tenu de l’absence d’orientation pertinente sur les principes encadrant le désistement, je refuse de me prononcer sur la question du désistement.

[16] Le juge Zinn, dans la récente décision Akinwumi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1599 [Akinwumi], a analysé l’argument de l’attitude irréprochable dans des circonstances comparables à celles de la présente instance. La décision Akinwumi portait sur la demande de contrôle judiciaire d’une décision sur l’examen des risques avant renvoi en défaveur du demandeur. Dans cette affaire comme dans la présente affaire, les demandeurs devaient être renvoyés, ils avaient déposé une requête en sursis qui avait été rejetée, puis ils ne s’étaient pas présentés à leur renvoi, après quoi des mandats pour leur arrestation ont été délivrés. Le défendeur a soutenu que la Cour devait rejeter la demande de contrôle judiciaire des demandeurs, car ceux-ci demandaient à la Cour un redressement en equity accordé sur une base discrétionnaire, mais ne le faisaient pas avec une attitude irréprochable.

[17] Le juge Zinn a fondé son analyse de cet argument (au paragraphe 10) sur l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2006 CAF 14 [Thanabalasingham], dans lequel la Cour d’appel fédérale a énoncé les principaux facteurs devant être pris en compte avant le rejet d’une demande de contrôle judiciaire fondé sur l’argument de l’attitude irréprochable (voir Thanabalasingham au para 10) :

Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit s’efforcer de mettre en balance d’une part l’impératif de préserver l’intégrité de la procédure judiciaire et administrative et d’empêcher les abus de procédure, et d’autre part l’intérêt public dans la légalité des actes de l’administration et dans la protection des droits fondamentaux de la personne. Les facteurs à prendre en compte dans cet exercice sont les suivants : la gravité de l’inconduite du demandeur et la mesure dans laquelle cette inconduite menace la procédure en cause, la nécessité d’une dissuasion à l’égard d’une conduite semblable, la nature de l’acte prétendument illégal de l’administration et la solidité apparente du dossier, l’importance des droits individuels concernés, enfin les conséquences probables pour le demandeur si la validité de l’acte administratif contesté est confirmée.

[18] Je conviens que les allégations de risques prises en compte dans la décision en cause sont sérieuses. Cependant, après examen des observations écrites des parties sur le fond de la demande, je ne suis pas convaincu que les demandeurs aient présenté des arguments assez solides. J’estime, à l’instar du défendeur, qu’il est inopportun de la part des demandeurs de demander un redressement à la Cour en l’espèce après avoir failli à respecter l’issue de leur requête en sursis pour en l’espèce même. Je suis d’accord avec les commentaires du juge Zinn dans la décision Akinwumi, à savoir que la dissuasion à l’égard d’une inconduite semblable est un facteur important, puisque la force du système d’immigration canadien réside dans le respect de la loi. Tolérer l’inconduite envoie un mauvais message aux personnes qui respectent et observent la loi même lorsque leurs demandes ont été rejetées (au para 14).

[19] Par conséquent, ma décision est de rejeter cette demande, au motif que les demandeurs ne se sont pas présentés devant la Cour avec une attitude irréprochable. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification en vue d’un appel, et aucune question ne sera énoncée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-4393-22

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4393-22

INTITULÉ :

LIDD MILDRED AMOROCHO SANABRIA

SANTIAGO ALVAREZ AMOROCHO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 juin 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 7 JUIN 2023

COMPARUTIONS :

Charles Jubenville

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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