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Date : 20230607


Dossier : T‑955‑22

Référence : 2023 CF 800

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 juin 2023

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

JADE HOMMERSEN

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

défendeur

MOTIFS ET JUGEMENT

I. INTRODUCTION

[1] Mme Jade Hommersen (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue au deuxième niveau le 21 avril 2022 par Mme Donna Boivin, gestionnaire de la validation des prestations canadiennes d’urgence (la gestionnaire) à l’Agence du revenu du Canada (l’ARC). Dans cette décision, la fonctionnaire a conclu que la demanderesse n’était pas admissible aux prestations octroyées au titre du programme de la Prestation canadienne de relance économique (la PCRE), créé sous le régime de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12 (la Loi).

[2] Dans sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse sollicite la mesure de redressement suivante :

[traduction]

La demanderesse demande que son dossier soit réexaminé sur la question des versements de la PCRE. La demanderesse a recueilli des documents et demande qu’ils soient examinés de sorte qu’elle puisse prouver qu’elle a gagné 5000 $ cette année-là.

II. CONTEXTE

[3] Les faits sont tirés des affidavits déposés par les parties, soit la demanderesse et le procureur général (le défendeur).

[4] La demanderesse a présenté trois affidavits. Dans le premier, souscrit le 26 mai 2022, elle se décrit comme étant la propriétaire l’entreprise Pro‑Star Painters, à Hamilton (Ontario). Elle déclare que le 25 mai, elle a signifié au [traduction] « Tribunal de l’aide sociale de l’Ontario », situé au 655, rue Bay, Toronto (Ontario), un « affidavit pour la demande de contrôle judiciaire » et des relevés bancaires comme pièces corroborantes.

[5] Dans le deuxième affidavit, souscrit le 5 juin 2022, la demanderesse a déclaré à nouveau qu’elle avait signifié un [traduction] « affidavit pour la demande » accompagné de « tous les reçus pertinents ».

[6] Dans le troisième affidavit, la demanderesse a déclaré avoir signifié son « mémoire du droit » le 16 juin 2022.

[7] Le troisième affidavit comprend des copies des relevés bancaires du compte d’entreprise de la demanderesse pour les périodes du 14 mars 2019 au 12 avril 2019, du 14 mai 2019 au 14 juin 2019, et du 14 août 2019 au 13 septembre 2019. La demanderesse a déposé des copies de relevés bancaires de son compte personnel pour les périodes du 12 avril 2019 au 10 mai 2019, et du 12 septembre 2019 au 11 octobre 2019.

[8] Le troisième affidavit comprend également en pièce jointe une copie d’une note manuscrite dans laquelle l’auteur prétend que le 9 avril 2019, un client a payé à la demanderesse la somme de 170 $ pour peindre un corridor.

[9] Le défendeur a déposé l’affidavit que Mme Kelly Coghill, employée à l’ARC à titre d’agente de validation des prestations (l’agente), a souscrit le 14 septembre 2022. Des pièces sont jointes à cet affidavit.

[10] Dans son affidavit, Mme Coghill décrit le processus que l’ARC suit pour valider l’admissibilité d’un demandeur à la PCRE; voir les paragraphes 3 à 7. Elle témoigne des efforts qu’elle a faits pour communiquer avec la demanderesse et explique comment elle a consigné électroniquement les notes prises au cours des conversations téléphoniques qu’elles ont eues (voir les paragraphes 8 à 19).

[11] Mme Coghill déclare qu’elle a conseillé à la demanderesse de présenter des relevés bancaires et des factures pour démontrer qu’elle a gagné au moins 5 000 $ en 2019, en 2020 ou dans les 12 mois précédant sa demande de prestations.

[12] Mme Coghill déclare que le 3 septembre 2021, la demanderesse a présenté une facture datée du 5 novembre 2018, et que le 27 septembre 2021, elle a présenté une capture d’écran d’un relevé bancaire couvrant la période du 15 mars 2019 au 12 septembre 2019.

[13] Selon Mme Coghill, lors d’une conversation téléphonique qui a eu lieu le 4 novembre 2021, la demanderesse a été informée que son revenu net était trop faible pour qu’elle puisse remplir les conditions d’admissibilité. Selon les notes prises au cours de la conversation téléphonique, à la question de savoir si elle avait eu une autre source de revenus pour l’année 2019, 2020 ou au cours des 12 mois précédant sa demande de prestation, la demanderesse a répondu qu’elle n’en avait pas.

[14] Après avoir examiné les documents présentés par la demanderesse et les déclarations d’impôt produites par celle‑ci pour les années 2019 et 2020 auxquelles l’ARC avait accès, une employée de l’ARC a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle avait gagné le montant minimum prescrit avant la date à laquelle elle avait soumis sa demande de prestations.

[15] Dans une lettre du 8 novembre 2021, l’ARC a informé la demanderesse qu’elle ne remplissait pas les conditions d’admissibilité à la PCRE. La lettre spécifiait que la demanderesse pouvait demander que la décision soit révisée par un employé de l’ARC qui n’avait pas participé au premier processus décisionnel.

[16] La demanderesse s’est prévalue de ce droit en envoyant une lettre que l’ARC a reçue le 23 novembre 2021. Dans cette lettre, la demanderesse a fait valoir que la Loi ne faisait aucune référence au revenu net et que les conditions en matière de revenu étaient ambiguës.

[17] Selon les notes jointes en tant que pièce B à l’affidavit de Mme Coghill, cette dernière a parlé à la demanderesse par téléphone, le 13 avril 2022. L’agente l’a informée que le revenu net qu’elle avait déclaré dans ses déclarations d’impôt de 2019 et 2020 était inférieur à 5 000 $. Lorsque la demanderesse a dit qu’elle croyait qu’il était question du revenu brut, l’agente l’a informée qu’il fallait démontrer un revenu net tiré d’un travail indépendant et présenter des factures et des relevés bancaires à l’appui du revenu allégué, soit pour l’année 2019, 2020 ou pour les 12 mois précédant la demande de prestation.

[18] Le 13 avril 2022, l’ARC a reçu une facture de la part de la demanderesse. La facture, datée du 8 avril 2019, avait été établie par Pro‑Star Painters à l’attention de M. Jamie Scott et s’élevait à 170 $.

[19] Le 14 avril 2022, l’ARC a reçu de la demanderesse un document censé être un chèque daté du 9 avril 2019 d’un montant de 170 $. Le document était signé par J. Scott. La demanderesse a mentionné que ce chèque était un « reçu ».

[20] Le 14 avril 2022, l’agente a informé la demanderesse par téléphone que seul le revenu de 4 838,13 $ pouvait être vérifié. L’agente a demandé à la demanderesse de fournir un relevé bancaire établissant que la somme de 170 $ avait été déposée dans son compte.

[21] Il ressort des notes de l’agente que, le 19 avril 2022, celle‑ci a informé la demanderesse que la somme de 170 $ devait apparaître sur son relevé bancaire. L’agente a ensuite précisé que si cette somme avait été payée en argent comptant, un relevé bancaire faisant état d’un dépôt de 170 $ serait acceptable.

[22] Toujours selon les notes de l’agente, la demanderesse a répondu qu’elle n’avait pas déposé cette somme en particulier. L’agente lui a répété que sans une preuve de la transaction, la demande de prestation ne pouvait pas être approuvée.

[23] Dans une lettre du 21 avril 2022, l’ARC a informé la demanderesse qu’elle n’était pas admissible à la PCRE puisqu’elle n’avait pas établi qu’elle remplissait les conditions relatives au revenu.

III. OBSERVATIONS

A. La demanderesse

[24] La demanderesse fait valoir que les conditions d’admissibilité à la PCRE énoncées en ligne et dans la Loi ne sont pas claires, particulièrement en ce qui concerne le montant du revenu net tiré d’un travail indépendant. Elle soutient qu’elle a fourni les documents nécessaires et renvoie à l’affidavit du 17 août 2022 qu’elle a déposé à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, dans lequel elle donne plus de détails.

B. Le défendeur

[25] Se fondant sur l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright),2012 CAF 22, le défendeur soulève une objection préliminaire, à savoir que la Cour ne devrait examiner aucun des éléments de preuve auxquels la demanderesse fait référence dans son affidavit et dont le décideur ne disposait pas.

[26] Par ailleurs, le défendeur soutient que la décision satisfait à la norme applicable, soit celle de la décision raisonnable. Il fait valoir que la fonctionnaire a tenu compte des éléments de preuve qui avaient été présentés et a conclu au caractère raisonnable de la conclusion selon laquelle la demanderesse n'avait pas démontré qu'elle était admissible à la PCRE.

IV. DISCUSSION ET DÉCISION

[27] La première question à trancher est celle de la norme de contrôle applicable.

[28] Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte; voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339 (CSC).

[29] Depuis l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, [2019] 4 RCS 653, le fond de la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[30] Lorsqu’elle est appelée à examiner le caractère raisonnable d’une décision, la Cour doit se demander si celle‑ci « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci »; voir Vavilov, précité, au para 99.

[31] La Loi ne contient pas de disposition de déclaration d’objet. Toutefois, son objet peut être déduit de son titre complet, soit la « Loi établissant la prestation canadienne de relance économique, la prestation canadienne de maladie pour la relance économique et la prestation canadienne de relance économique pour les proches aidants en appui à la relance économique du Canada en réponse à la COVID-19 ». À mon avis, ce « titre complet » laisse supposer que la Loi est destinée à avoir un objet améliorateur.

[32] La décision de l’ARC est fondée sur les faits, selon le cadre de la Loi. Les alinéas 3(1)a) et d) de la Loi sont ainsi libellés :

[33] Les articles 4, 6 et 7 sont également pertinents et sont libellés ainsi :

[34] Ces dispositions permettent de savoir qui peut demander la PCRE.

[35] Bien que la demanderesse n’ait pas présenté d’argument au sujet d’un manquement à l’équité procédurale comme tel, ses observations au sujet du manque de clarté des conditions d’admission dans les renseignements fournis en ligne et dans la Loi pourraient soulever une question d’équité procédurale. Puisque la demanderesse n’est pas représentée par avocat, il convient d’aborder cette question.

[36] Selon l’arrêt Cardinal c Directeur de l'Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643 (CSC), la question de savoir si la partie intéressée connaît la « preuve qui pèse » contre elle est un élément crucial de tout argument relatif à un manquement à l'équité procédurale.

[37] Au paragraphe 56 de l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), [2019] 1 RCF 121, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit au sujet des exigences fondamentales de l’obligation d’équité procédurale :

Peu importe la déférence qui est accordée aux tribunaux administratifs en ce qui concerne l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de faire des choix de procédure, la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre.

[38] Je suis convaincue que la manière dont les employés et les agents de l’ARC ont évalué l’admissibilité de la demanderesse à la PCRE ne constituait pas un manquement à l’équité procédurale. La demanderesse savait que, pour être admissible à la prestation, elle devait démontrer qu’elle avait gagné un revenu d’au moins 5 000 $ avant impôt au cours d’une certaine période.

[39] Je traiterai ci‑après de l’argument du défendeur selon lequel la demanderesse a présenté de « nouveaux » éléments de preuve dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, soit les pièces jointes à son affidavit.

[40] Je souscris à l’argument du défendeur sur cette question. Seules les pièces jointes à l’affidavit de Mme Coghill seront prises en compte en tant qu’« éléments de preuve » dans la présente demande de contrôle judiciaire, soit dans l’examen du caractère raisonnable de la décision en cause.

[41] C’est à l’ARC à titre de décideur, et non à la Cour, qu’il appartient d’évaluer la preuve présentée au cours du processus de validation. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour n’examine pas cette preuve.

[42] La seule question à trancher en l'espèce est de savoir si la conclusion de l'ARC, selon laquelle, au regard de l'objet de la Loi, la demanderesse n'était pas admissible à la PCRE, était raisonnable.

[43] La demanderesse n’a pas démontré que la décision du 21 avril 2022 n’était pas « raisonnable » au sens de l’arrêt Vavilov, précité.

[44] Après examen de la preuve présentée par la demanderesse, l’agente n’était pas convaincue que cette preuve démontrait qu’elle remplissait les conditions d’admission à la PCRE.

[45] L’agente pouvait seulement tenir compte de la preuve produite par la demanderesse, ainsi que des renseignements disponibles sur ses déclarations de revenus de 2019 et 2020.

[46] L’agente ne disposait pas des « nouveaux » éléments de preuve que la demanderesse a joints à l’affidavit déposé à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire. La Cour ne peut pas en tenir compte en l’espèce.

[47] Seule l’ARC peut décider de l’admissibilité d’une personne aux prestations en cause. La Cour ne le peut pas.

[48] Je suis convaincue que l’agente a examiné les documents que la demanderesse a déposés. Compte tenu de ces documents, la conclusion qu’a tirée l’agente au sujet de la preuve de revenu de la demanderesse était raisonnable. La décision était transparente, intelligible et justifiée.

[49] L’intervention de la Cour n’est pas justifiée et la demande de contrôle de judiciaire sera rejetée.

[50] Exerçant le pouvoir discrétionnaire que me confère l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, je n’adjuge aucuns dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-955-22

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. J’exerce mon pouvoir discrétionnaire de ne pas adjuger de dépens.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-955-22

INTITULÉ :

JADE HOMMERSEN c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE SUR ZOOM

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 NOVEMBRE 2022 ET LE 12 DÉCEMBRE 2022

MOTIFS ET JUGEMENT :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :

LE 7 JUIN 2023

COMPARUTIONS :

Jade Hommersen

POUR LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Andrew Stuart

POUR DÉFENDEUR

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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