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Date : 20230609


Dossier : IMM-6185-22

Référence : 2023 CF 817

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 juin 2023

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE:

HIMESH DASHRATH KUMAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Survol

[1] La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire présentée à l’égard de la décision du 3 juin 2022 [la décision] par laquelle un agent des visas [l’agent] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a rejeté la demande de permis d’études présentée par le demandeur.

[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision est déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.

II. Contexte

[3] Le demandeur est citoyen de l’Inde.

[4] Le 31 décembre 2021, le demandeur a reçu une lettre d’admission lui permettant de s’inscrire à temps plein à un programme d’études supérieures en gestion des affaires internationales, au Collège Niagara à Toronto.

[5] Par suite de cette lettre, le demandeur a déposé auprès d’IRCC une demande de permis d’études et de permis de séjour temporaire en mars 2022.

[6] Le 3 juin 2022, le demandeur a reçu une lettre l’informant que sa demande de permis d’études avait été rejetée.

[7] Dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, l’agent s’est exprimé en ces termes :

[traduction]

[...] j’ai conclu que votre demande ne satisfait pas aux exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le RIPR). Je rejette votre demande pour les motifs suivants :

Je ne crois pas que vous quitterez le Canada à la fin de la période de séjour, comme l’exige le paragraphe 216(1) du RIPR, compte tenu de la raison de votre visite.

[8] Les notes connexes consignées au Système mondial de gestion des cas [SMGC], qui font partie des motifs de la décision en cause, révèlent que la demande a été rejetée pour deux raisons, soit les faibles résultats scolaires antérieurs et l’incompatibilité des objectifs d’apprentissage :

[traduction]

Les relevés de notes présentés par le client font état d’antécédents scolaires moyens, plutôt faibles. Par conséquent, je suis d’avis que le demandeur n’a pas démontré les compétences scolaires requises pour réussir le programme d’études au Canada. Le demandeur a d’abord présenté une demande d’admission au programme en analyse de données en affaires offert au Collège St. Clair, qui a été refusée. Il a maintenant présenté une demande d’admission à un programme en gestion des affaires internationales offert au Collège Niagara. Bien que ses objectifs d’apprentissage au Canada ne soient pas les mêmes d’une demande à l’autre, il ne fournit aucune explication à ce sujet.

Compte tenu des résultats scolaires obtenus de 2012 à 2016 et de la pertinence du programme d’études envisagé, je ne crois pas que le demandeur serait un étudiant véritable au Canada et qu’il quitterait le pays à la fin de la période de séjour autorisée. La demande est rejetée pour défaut de conformité à l’alinéa 216(1)b) du RIPR.

[9] S’agissant des antécédents scolaires du demandeur, l’agent a tiré les conclusions particulières suivantes :

[traduction]

Les documents relatifs aux études présentés dans le cadre de la demande font état de résultats antérieurs moyens, plutôt faibles. Plus particulièrement, les relevés de notes de l’Université de Mumbai (de 2012 à 2016) fournis, auxquels j’ai accordé plus d’importance, présentaient les notes moyennes, plutôt faibles (de 40 % à 59 %) obtenues dans les matières principales, soit Comptabilité et gestion financière, Commerce, Économie d’entreprise, Communication d’entreprise, Études environnementales, Mathématiques et techniques statistiques, Droit des affaires et Publicité. Les relevés de notes présentés par le client font état d’antécédents scolaires moyens, plutôt faibles. Par conséquent, je suis d’avis que le demandeur n’a pas démontré les compétences scolaires requises pour réussir le programme d’études au Canada.

[10] En ce qui concerne [traduction] « l’incompatibilité » des objectifs d’apprentissage, l’agent a formulé les observations suivantes :

[traduction]

Le demandeur a d’abord présenté une demande d’admission au programme en analyse de données en affaires offert au Collège St. Clair, qui a été refusée. Il a maintenant présenté une demande d’admission à un programme en gestion des affaires internationales offert au Collège Niagara. Bien que ses objectifs d’apprentissage au Canada ne soient pas les mêmes d’une demande à l’autre, il ne fournit aucune explication à ce sujet.

III. Question en litige et norme de contrôle

[11] La seule question en litige en l’espèce est celle de savoir si la décision de l’agent était raisonnable.

[12] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, telle qu’elle est énoncée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[13] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. La norme de la décision raisonnable exige de la cour de révision qu’elle fasse preuve de déférence envers une telle décision : Vavilov, au para 85.

[14] Avant de pouvoir infirmer une décision, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision : Vavilov, au para 100.

IV. Analyse

[15] Comme je le mentionne plus haut, l’un des motifs principaux invoqués par l’agent lorsqu’il a rejeté la demande de permis d’études concernait les mauvaises notes obtenues par le demandeur pendant ses études en commerce à l’Université de Mumbai.

[16] Le demandeur soutient que l’agent a tiré sur ses antécédents scolaires des conclusions qui manquent de justification et de transparence.

[17] Le demandeur cite la décision Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 517 [Patel], rendue par notre Cour, qui, à son avis, concernait une affaire essentiellement semblable à l’espèce. Dans la décision Patel, le juge Norris a souligné que les perspectives de réussite d’un demandeur dans le cadre de ses études représentent un facteur que les agents d’immigration devraient aborder avec prudence. Plus précisément, le juge Norris s’est exprimé ainsi :

[23] Le demandeur avait droit à un permis d’études s’il établissait qu’il satisfaisait aux exigences prévues aux alinéas a) à e). Il n’est affirmé nulle part au paragraphe 216(1) qu’il devait établir qu’il était susceptible de réussir le programme d’études qu’il envisageait de suivre.

[24] En théorie, les perspectives de réussite d’un demandeur pourraient se révéler pertinentes dans le contexte de l’alinéa b). Le fait pour un demandeur de vouloir entreprendre des études qu’il est peu susceptible de réussir pourrait soulever des doutes quant à la question de savoir si le demandeur est un véritable étudiant qui quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Toutefois, c’est une question que les agents d’immigration devraient aborder avec prudence. Le lien entre les deux concepts semble être ténu, au mieux. Il n’y a aucune raison de présumer que les agents d’immigration ont l’expertise nécessaire pour évaluer les perspectives de réussite d’un demandeur dans un programme d’études donné. Il est possible de réussir un programme sans nécessairement exceller. De plus, bon nombre des facteurs qui peuvent déterminer la réussite scolaire sont dynamiques et non pas statiques.

[Non souligné dans l’original.]

[18] Le défendeur affirme pour sa part qu’on ne peut pas inférer de l’admission à un programme qu’une personne possède des compétences scolaires, et il soutient que les préoccupations de l’agent concernant les antécédents scolaires du demandeur étaient fondées à juste titre sur le dossier de preuve.

[19] J’ai examiné les arguments présentés par les parties, et je suis d’accord avec le demandeur pour dire que les motifs de l’agent ne présentent pas la justification et la transparence requises.

[20] S’agissant des résultats scolaires antérieurs du demandeur, je constate que ce dernier a obtenu plusieurs notes faibles, allant de 40 % à 50 %, dans le cadre de son diplôme en commerce. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que, selon la jurisprudence, un agent peut examiner les résultats scolaires antérieurs. Cependant, je ne crois pas que cet examen a été mené en l’espèce avec la prudence nécessaire que le juge Norris a invoquée dans la décision Patel.

[21] Plus particulièrement, l’agent n’a pas établi de lien entre les antécédents scolaires du demandeur et la probabilité que ce dernier réussisse le programme d’études envisagé. Faute d’éléments à cet égard, la Cour ne peut présumer que les faibles notes obtenues par le demandeur dans des cours sur les études environnementales et l’analyse statistique, par exemple, signifient nécessairement qu’il ne peut exceller ou réussir un programme universitaire en gestion des affaires internationales. Il convient de rappeler l’analyse éclairée du juge Norris sur ce point, figurant au paragraphe 24 de la décision Patel : « [i]l est possible de réussir un programme sans nécessairement exceller. De plus, bon nombre des facteurs qui peuvent déterminer la réussite scolaire sont dynamiques et non pas statiques ».

[22] Bien qu’on ne puisse inférer qu’une personne admise à un programme possède des compétences scolaires, toute offre d’admission a certainement une incidence sur l’analyse globale. Le demandeur a reçu du Collège Niagara une offre d’admission sans condition, dont voici un extrait :

[traduction]

L’admission au Collègue Niagara est très sélective et nous évaluons avec le plus grand soin chacune des demandes d’admission. Le Collègue Niagara met en œuvre l’enseignement appliqué, qui encourage la collaboration des étudiants, du corps enseignant et des parties prenantes sectorielles en vue de favoriser un milieu d’apprentissage enrichissant et pratique. Nous vous avons fait une offre d’admission puisque nous sommes persuadés que vous serez en mesure d’apporter une contribution importante au Collège et au programme de gestion des affaires internationales dans notre milieu axé sur l’enseignement appliqué.

[Non souligné dans l’original.]

[23] Il est évident que l’établissement avait jugé que le demandeur possédait les qualifications requises pour réussir le programme et pour apporter [traduction] « une contribution importante » au Collègue Niagara. S’il était loisible à l’agent d’examiner les résultats scolaires antérieurs du demandeur, il était tenu de le faire avec prudence et d’expliquer le lien entre ces résultats et la probabilité que le demandeur réussisse un nouveau programme. Pour ce faire, l’agent devait démontrer ou expliquer sa compréhension de ce qui était nécessaire pour réussir un programme de gestion des affaires internationales qui, selon la lettre d’admission, est offert dans un contexte d’enseignement appliqué.

[24] S’agissant de l’incompatibilité des objectifs d’apprentissage du demandeur, je suis d’accord avec ce dernier lorsqu’il affirme que l’agent n’a pas suffisamment justifié sa conclusion. L’agent n’a pas expliqué en détail comment il ressort d’une demande antérieure pour étudier l’analyse de données en affaires que les objectifs d’apprentissage du demandeur sont [traduction] « incompatibles ». Ce programme et le programme envisagé concernent le domaine des affaires et la preuve dont disposait l’agent confirmait que le demandeur était titulaire d’un certificat en génie logiciel.

[25] Le demandeur a en outre présenté une lettre dans laquelle il expliquait les raisons pour lesquelles il avait choisi le programme de gestion des affaires internationales.Cette lettre indiquait par ailleurs que le demandeur souhaitait travailler dans le secteur des technologies après ses études. Dans ce contexte, et sans autre justification de la part de l’agent, la Cour peut difficilement comprendre comment l’agent a décidé que les deux demandes démontraient l’existence d’objectifs d’apprentissage [traduction] « incompatibles ».

[26] L’agent des visas n’est pas tenu de fournir des motifs détaillés, mais les motifs fournis doivent être suffisants pour expliquer la décision : Quintero Pacheco c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 347 au para 36; Ogbuchi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 764 aux para 10-13. En l’espèce, les motifs de l’agent des visas n’étaient pas suffisants pour expliquer la décision.

V. Conclusion

[27] Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

[28] Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier, et je conclus que les faits de l’espèce n’en soulèvent aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6185-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.

  3. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6185-22

 

INTITULÉ :

HIMESH DASHRATH KUMAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 mai 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 9 juin 2023

 

COMPARUTIONS :

Amirhossein Zarei

Pour le demandeur

Aleksandra Lipska

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Zarei Law Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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