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Date : 20230608

Dossier : IMM-2167-22

Référence : 2023 CF 810

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2023

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

MIN A YUN

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] En 2009, la défenderesse, Min A Yun (Mme Yun), s’est vu reconnaître la qualité de réfugiée par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] parce qu’elle craignait d’être persécutée en Corée du Sud par les créanciers de son père, avec qui elle n’a plus de contact. Après avoir obtenu le statut de résidente permanente en 2016, Mme Yun a effectué plusieurs voyages en Corée du Sud, a renouvelé ses passeports sud-coréens et en a obtenu de nouveaux et a obtenu un permis de conduire sud-coréen.

[2] En juin 2021, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a déposé une demande de constat de perte de l’asile, dans laquelle il sollicitait la révocation du statut de réfugié de Mme Yun au titre du paragraphe 108(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. La SPR a instruit la demande du ministre le 10 février 2022 et l’a rejetée le 21 février 2022. La SPR a conclu que, bien que Mme Yun soit retournée volontairement en Corée du Sud et ait obtenu des passeports sud-coréens, elle n’avait pas l’intention requise de se réclamer de nouveau de la protection de la Corée du Sud.

[3] Dans le cadre du contrôle judiciaire, le ministre conteste la façon dont la SPR a justifié sa décision. Il fait valoir que les motifs n’exposent pas clairement les conclusions de la SPR quant à la crédibilité ni le motif pour lequel la SPR a conclu que Mme Yun n’avait pas eu l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays. Bien que je convienne que la SPR aurait certainement pu rédiger sa décision plus clairement, j’estime, à la lecture de l’ensemble des motifs, que le rejet de la demande du ministre était suffisamment justifié. Par conséquent, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire du ministre.

II. Question en litige et norme de contrôle

[4] La seule question en litige dans le cadre du contrôle judiciaire concerne la conclusion de la SPR quant à l’intention de Mme Yun de se réclamer de nouveau de la protection de son pays. Les parties affirment, et j’en conviens, que je devrais examiner la décision de la SPR en fonction de la norme de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a affirmé qu’une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Les décideurs administratifs doivent s’assurer que l’exercice de tout pouvoir public est « justifié, intelligible et transparent non pas dans l’abstrait, mais pour l’individu qui en fait l’objet » (Vavilov, au para 95).

III. Analyse

[5] La SPR a défini les trois éléments nécessaires pour établir qu’une personne s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays d’origine : la volonté : le réfugié doit avoir agi volontairement; l’intention : le réfugié doit avoir accompli intentionnellement l’acte par lequel il s’est réclamé de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité; le succès de l’action : le réfugié doit avoir effectivement obtenu cette protection.

[6] La principale question dont était saisie la SPR concernait l’intention de Mme Yun de se réclamer de nouveau de la protection de son pays. Au moment où la SPR a rendu sa décision, la Cour d’appel fédérale n’avait pas encore rendu l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Galindo Camayo, 2022 CAF 50 [Camayo (CAF)]. S’appuyant sur le raisonnement de la Cour fédérale dans la décision Camayo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 213, confirmée par l’arrêt Camayo (CAF), la SPR a fait observer que la Cour « a invoqué la conclusion dans l’arrêt Cerna selon laquelle il était déraisonnable pour la SPR de conclure que la personne protégée avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de l’État lorsque la personne protégée, comme dans [cette] affaire, a[vait] déclaré qu’elle ne connaissait pas les conséquences liées au renouvellement du passeport de son pays d’origine ni celles liées au fait de retourner dans ce pays en utilisant ce passeport ».

[7] Le ministre a soutenu que le tribunal n’avait pas tiré de conclusions claires quant à la crédibilité. Les déclarations que Mme Yun a faites au point d’entrée au sujet de son voyage, à son retour de Corée du Sud, sont en cause. Dans ses notes, l’agent indique que Mme Yun a déclaré être allée à la recherche de son père et être restée chez des membres de sa famille et des amis. La SPR expose en détail les questions que le tribunal a posées à la défenderesse au sujet de cette incohérence. À l’audience devant la SPR, Mme Yun a expliqué avoir subi de la pression au point d’entrée et avoir fait des déclarations inexactes pour se sortir de l’entrevue, et a ajouté qu’elle n’avait pas eu accès à un interprète. Bien que la SPR n’ait pas affirmé après cet examen qu’elle acceptait l’explication de Mme Yun au sujet de l’incohérence, il ne fait aucun doute que c’est ce qu’elle a fait. La SPR n’a tiré aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité de la défenderesse et a accepté le fait qu’elle n’était pas restée chez sa famille lorsqu’elle est retournée dans son pays et qu’elle n’a toujours pas de contact avec son père. Il n’y a pas d’ambiguïté lorsque la décision est lue dans son ensemble.

[8] Le ministre fait valoir que la SPR a énuméré une série de faits et a ensuite conclu que Mme Yun n’avait pas l’intention requise de se réclamer de nouveau de la protection du pays, sans justifier comment elle était arrivée à cette conclusion. Je ne suis pas d’accord. La SPR a exposé le témoignage et la preuve que Mme Yun a présentés quant à la question de l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays. Après avoir examiné la jurisprudence pertinente, la SPR a conclu que Mme Yun n’avait pas l’intention requise de se réclamer de nouveau de la protection de son pays. La SPR est arrivée à cette conclusion en se fondant sur les éléments de preuve suivants, énumérés dans sa décision :

a) Les agents de persécution demeurent en Corée du Sud.

(b) La défenderesse a pris des mesures pour éviter toute rencontre en n’entrant en contact avec aucun des membres de sa famille, pas même pour les inviter à son mariage.

(c) La défenderesse ignorait que l’utilisation d’un passeport sud-coréen compromettrait son statut de résident permanent au Canada.

(d) La défenderesse est allée en Corée du Sud pour rencontrer son futur époux, l’épouser et faire la connaissance de sa nouvelle belle-famille.

(e) La défenderesse est restée chez des membres de sa belle-famille, dans une ville située à bonne distance du lieu de résidence de son père.

(f) La défenderesse a laissé ses trois enfants chez sa mère au Canada parce qu’elle craignait de rencontrer des membres de sa famille.

(g) La défenderesse a amené son nouvel époux au Canada, où elle vit maintenant avec lui et ses trois enfants à elle.

(h) La défenderesse a réussi sa vie au Canada, comme en témoignent son éthique du travail, son accession à la propriété et ses activités communautaires.

[9] Les motifs de la SPR auraient pu être rédigés plus clairement, mais globalement, en lisant les motifs dans leur ensemble, je ne suis pas convaincue qu’il y ait des raisons d’annuler la décision (Vavilov, au para 103). Comme l’explique la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Camayo (CAF), la décision dans les procédures de constat de perte de l’asile « dépendra largement des faits », et le critère de perte de l’asile sur constat ne devrait pas être appliqué de manière mécanique (Camayo (CAF), aux para 31, 83). La SPR a axé sa décision sur l’intention de la défenderesse, a estimé que celle-ci n’avait pas l’intention requise de se réclamer de nouveau de la protection de son pays et a énuméré les éléments de preuve sur lesquels elle s’est fondée pour arriver à cette conclusion.

[10] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

En blanc

« Lobat Sadrehashemi »

En blanc

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2167-22

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c MIN A YUN

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 MARS 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 JUIN 2023

 

COMPARUTIONS :

Michael Butterfield

POUR LE DEMANDEUR

Wennie Lee

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Lee & Company

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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