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Date : 20060511

Dossier : IMM-6015-05

Référence : 2006 CF 543

ENTRE :

FRANCISCO MOJICA ROMO

PATRICIA BARBOZA DIAZ

Demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

Défendeur

MOTIFS DE JUGEMENT

Le juge Pinard

[1]           Il s'agit ici d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) rendue le 2 septembre 2005, statuant que les demandeurs ne sont pas des « réfugiés » au sens de la Convention, ni des « personnes à protéger » selon les définitions données aux articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27.

[2]           Francisco Mojica Romo et Patricia Barboza Diaz (les demandeurs) sont des citoyens du Mexique. Madame Patricia Barboza Diaz fonde sa demande sur celle de son mari, monsieur Francisco Mojica Romo (le demandeur), qui allègue craindre d'être persécuté en raison de son appartenance à un groupe social particulier. Ils prétendent également être des « personnes à protéger » dans la mesure où ils seraient personnellement exposés au risque de torture et à une menace à leur vie, ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités au Mexique.

[3]           Le 20 janvier 2005, le demandeur, qui aurait été témoin d'une vente de drogue dans son quartier et aurait dénoncé cette transaction auprès de la police judiciaire, serait devenu la cible du vendeur surnommé « le Tata » , ainsi que de la police judiciaire.

[4]           Le 21 janvier 2005, le demandeur aurait subi de la persécution qui aurait pris la forme de deux agressions et aurait été menacé, notamment de mort.

[5]           Le 7 février 2005, lors de la seconde agression, l'épouse du demandeur, alors enceinte, aurait été bousculée et blessée, ce qui lui aurait fait perdre ses jumeaux.

[6]           Craignant pour leur vie, les demandeurs auraient quitté le Mexique pour le Canada en date du 28 février 2005, date à laquelle ils revendiquèrent l'asile.

[7]           Les demandeurs allèguent que la CISR a erré en droit du fait que ses motifs sont déraisonnables, non fondés sur la preuve et comportent des erreurs de droit.

[8]           Dans son analyse, à la page 2 de la décision, la CISR écrit :

      La preuve présentée par les demandeurs a été minée par une contradiction fondamentale qui va au coeur même de leur demande d'asile.

      [. . .]

      Cette contradiction n'a pu être expliquée de manière satisfaisante au tribunal lors de l'audience du 31 août 2005, elle est donc fatale.

      [. . .]

      Le tribunal est d'avis qu'une telle contradiction enlève toute crédibilité à cette demande d'asile.

[9]           La contradiction à laquelle la CISR réfère en est une entre la version des faits que les demandeurs ont présentée à l'agent d'immigration au point d'entrée et celle contenue dans leurs Formulaires de renseignements personnels (FRP). Les demandeurs affirmaient au point d'entrée que les menaces de mort dont le demandeur se disait victime provenaient d' « inconnus » , alors qu'ils précisaient dans leurs FRP que c'était plutôt la crainte des policiers judiciaires corrompus qui accompagnaient le narcotrafiquant « Tata » .

[10]       Les demandeurs ont raison de soutenir que la Cour fédérale a fait ressortir certaines des embûches qui guettent les tribunaux qui utilisent les notes au point d'entrée et les FRP et invoquent de manière démesurée les contradictions et les omissions pour conclure à l'absence de crédibilité, alors que cela n'est pas toujours le cas. La nature et l'importance de la contradiction ou de l'omission ainsi que le moment de la modification devraient être pris en compte tout comme toute explication donnée par le demandeur (Singh c. Canada (M.C.I.), [1996] A.C.F. no 963 (1re inst.) (QL) et Anthonipillai c. Canada (M.C.I.), [1995] A.C.F. no 1774 (1re inst.) (QL)).

[11]       Bien sûr, si un demandeur ne peut pas expliquer de manière satisfaisante une contradiction sur un élément central de son histoire, il ne serait pas manifestement déraisonnable pour la CISR de conclure que le récit des demandeurs n'est pas crédible (Chen c. ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2005 CF 767).

[12]       La nature et l'importance de la contradiction ou de l'omission des demandeurs dans les notes de l'agent d'immigration au point d'entrée et leurs FRP doivent donc être évaluées.

[13]       À mon avis, la contradiction relevée par la CISR n'est pas une contradiction majeure. Il est vrai que les demandeurs affirmaient au point d'entrée que les menaces de mort dont le demandeur se disait victime provenaient d' « inconnus » , alors qu'ils précisaient dans leurs FRP que c'était la crainte des policiers judiciaires corrompus qui accompagnaient le narcotrafiquant « Tata » . À l'audition, ils ont témoigné initialement qu'ils craignaient la police judiciaire et « le Tata » . Les demandeurs ont aussi utilisé le terme « inconnus » maintes fois dans leurs témoignages pour décrire les gens qui les ont harcelés, qu'ils présument maintenant être des gens associés avec « le Tata » et qu'ils présument être des policiers judiciaires. À mon avis, il est plausible que les demandeurs aient utilisé le terme « inconnus » pour décrire les gens qui les ont harcelés parce qu'ils ne savaient pas qui étaient ces individus, même s'ils ont appris après un certain temps que ceux-ci avaient probablement des liens avec « le Tata » et qu'ils étaient probablement des policiers judiciaires.

[14]       La CISR a donc noté qu'il y avait une contradiction entre les notes de l'agent d'immigration au point d'entrée et les FRP des demandeurs. Toutefois, je ne suis pas convaincu qu'il s'agit là d'une contradiction de grande importance. À mon avis, il est compréhensible que les demandeurs aient utilisé le terme « inconnus » dans un sens très général, terme qu'ils ont aussi utilisé lors de leurs témoignages.

[15]       Je considère donc que la CISR a fait une erreur manifestement déraisonnable en n'accordant aucune crédibilité à l'histoire alléguée par les demandeurs pour le seul motif d'une contradiction mineure entre ce qui a été dit au point d'entrée et dans les FRP. Je suis aussi d'avis que les motifs de la CISR révèlent un accroc aux principes de la justice naturelle. Dans son analyse, à la page 2 de la décision, la CISR écrit :

      Ce manque de crédibilité des demandeurs s'est confirmé à plusieurs reprises durant l'audience. En effet, lors de son témoignage, le demandeur principal s'est contredit maintes fois.

[16]       La Cour d'appel fédérale a énoncé plusieurs fois que les motifs conduisant à écarter la preuve ou à la juger non crédible doivent être exposés clairement. Cela comporte habituellement l'obligation de fournir des explications ou des exemples. Il ne suffit pas de dire que la preuve n'est pas digne de foi, car cela crée alors une apparence d'arbitraire (Tung c. Canada (M.E.I.), [1991] A.C.F. no 292 (C.A.F.) (QL); Guzman c. Canada (M.C.I.), [1997] A.C.F. no 1816 (1re inst.); Armson c. Canada (M.E.I.), [1989] A.C.F. no 800 (C.A.F.) (QL)).

[17]       Comme expliqué par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Mehterian c. Canada (M.E.I.), [1992] A.C.F. no 545 (QL) :

. . . Pour satisfaire à cette obligation il faut que les motifs soient suffisamment clairs, précis et intelligibles pour permettre à l'intéressé de connaître pourquoi sa revendication a échoué et de juger s'il y a lieu, le cas échéant, de demander la permission d'en appeler.

[18]       Le défendeur soutient que, dans le présent cas, la situation est différente de celle du jugement Mehterian, où les motifs de la décision de la CISR étaient inexistants.

[19]       À mon avis, même si la CISR en l'espèce a fourni des motifs, ceux-ci n'expliquent pas en termes clairs, précis et intelligibles en quoi le demandeur « s'est contredit maintes fois » . La CISR n'a donné aucun autre exemple que celui relié à la contradiction mineure dont j'ai traité plus haut.

[20]       À mon avis, la CISR a fait défaut de motiver adéquatement sa décision et, ce faisant, a commis un manquement à la justice naturelle.

[21]       Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est maintenue et l'affaire est renvoyée devant la CISR différemment constituée pour nouvelle considération et décision qui soient consistantes avec les présents motifs.

« Yvon Pinard »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 11 mai 2006


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-6015-05

INTITULÉ :                                        FRANCISCO MOJICA ROMO, PATRICIA BARBOZA

DIAZ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 13 avril 2006

MOTIFS DE JUGEMENT :              Le juge Pinard

DATE DES MOTIFS :                       Le 11 mai 2006

COMPARUTIONS:

Me Cristina Marinelli                             POUR LES DEMANDEURS

Me Steve Bell                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Cristina Marinelli                                                           POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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