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Date : 20230620


Dossiers : T-915-20

T-916-20

Référence : 2023 CF 825

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 20 juin 2023

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE:

DÉMOCRATIE EN SURVEILLANCE CANADA

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

(Identiques au jugement et aux motifs confidentiels rendus le 9 juin 2023)

[1] Le présent jugement porte sur deux demandes de contrôle judiciaire à l’encontre de décisions rendues dans deux rapports publiés par la commissaire au lobbying du Canada [la commissaire] en mars 2020 [les rapports]. Dans ces rapports, il a été conclu que deux lobbyistes salariés employés par le Conseil canadien des innovateurs [le CCI], M. Benjamin Bergen et Mme Dana O’Born, n’avaient pas enfreint les articles 6 et 9 du Code de déontologie des lobbyistes (2015) [le Code], des dispositions relatives aux conflits d’intérêts, en tentant de faire du lobbying auprès de la ministre du Commerce international de l’époque, Mme Chrystia Freeland, ou des membres de son personnel.

[2] La décision rendue dans le rapport concernant M. Bergen est celle qui fait l’objet du contrôle dans le dossier de la Cour T-915-20 et la décision contenue dans le rapport concernant Mme O’Born est celle qui fait l’objet du contrôle dans le dossier de la Cour T-916-20.

[3] Comme je l’explique plus loin, à mon avis, la demanderesse n’a pas établi que la commissaire avait interprété le Code de façon déraisonnable ou que l’analyse de celle-ci manquait de justification, de transparence ou d’intelligibilité. Par conséquent, je conclus que les demandes doivent être rejetées.

I. Contexte concernant le Code

[4] Le paragraphe 10.2(1) de la Loi sur le lobbying, LRC 1985, c 44 (4e suppl.) [la Loi], confère au commissaire le pouvoir d’élaborer un code de déontologie des lobbyistes. Comme l’énonce le paragraphe 10.2(4) de la Loi, le Code n’est pas un texte réglementaire pour l’application de la Loi sur les textes réglementaires, LRC 1985, c S-22. Toutefois, les paragraphes 10.2(2) à 10.2(4) de la Loi exigent que le Code soit élaboré en consultation avec les parties intéressées et qu’il soit soumis à l’examen du comité désigné par la Chambre des communes avant d’être publié dans la Gazette du Canada. Bien que les violations du Code ne soient pas punies par des accusations et des sanctions, les lobbyistes doivent se conformer au Code et les violations présumées doivent être portées à l’attention du commissaire : art 10.3 de la Loi; Code, Introduction; Makhija c Canada (Procureur général), 2010 CAF 342 au para 7.

[5] L’introduction du Code énonce que son objet « est de rassurer le public canadien que lorsque les titulaires d’une charge publique font l’objet d’activités de lobbying, ces activités sont exercées de manière éthique et dans le respect des normes les plus élevées de façon à rehausser sa confiance dans l’intégrité du processus décisionnel de l’État ». Le Code y est décrit comme un complément aux exigences d’enregistrement de la Loi.

[6] L’introduction du Code renvoie à son préambule, qui énonce son objet et situe le Code dans son contexte plus large. Le préambule du Code prévoit ce qui suit :

La Loi sur le lobbying repose sur quatre principes :

L’intérêt public présenté par la liberté d’accès aux institutions de l’État;

La légitimité du lobbying auprès des titulaires d’une charge publique;

L’opportunité d’accorder aux titulaires d’une charge publique et au public la possibilité de savoir qui se livre à des activités de lobbyisme;

L’enregistrement des lobbyistes rémunérés ne doit pas faire obstacle à cette liberté d’accès.

La Loi sur le lobbying confère à la commissaire le pouvoir d’élaborer et d’administrer un code de déontologie des lobbyistes. C’est ce qu’a fait la commissaire, en gardant à l’esprit ces quatre principes. Le Code de déontologie des lobbyistes est un instrument important pour accroître la confiance du public en l’intégrité du processus décisionnel de l’État. La confiance que les Canadiennes et les Canadiens accordent aux titulaires d’une charge publique pour ce qui est de prendre des décisions favorables à l’intérêt public est indispensable à toute société libre et démocratique.

[7] La commissaire enquête sur les violations possibles du Code en vertu du paragraphe 10.4(1) de la Loi, qui est libellé ainsi :

10.4 (1) Le commissaire fait enquête lorsqu’il a des raisons de croire, notamment sur le fondement de renseignements qui lui ont été transmis par un parlementaire, qu’une enquête est nécessaire au contrôle d’application du code ou de la présente loi.

[8] La commissaire a le pouvoir de faire appliquer le Code en cas de violation alléguée. Elle est tenue de préparer un rapport d’enquête et de le remettre au président du Sénat et au président de la Chambre des communes, comme le prévoit l’article 10.5 :

10.5(1) Le commissaire prépare un rapport d’enquête dans lequel il motive ses conclusions et le remet au président de chaque chambre, qui le dépose immédiatement devant la chambre qu’il préside ou, si elle ne siège pas, dans les quinze jours de séance ultérieurs.

[9] Les articles 6 et 9 du Code portent sur les conflits d’intérêts et sont libellés ainsi :

Conflit d’intérêts

Conflict of Interest

6. Un lobbyiste ne doit proposer ni entreprendre aucune action qui placerait un titulaire d’une charge publique en situation de conflit d’intérêts réel ou apparent.

6. A lobbyist shall not propose or undertake any action that would place a public office holder in a real or apparent conflict of interest

Plus particulièrement :

In particular:

[...]

[...]

Activités politiques

Political activities

9. Si un lobbyiste entreprend des activités politiques pour le compte d’une personne qui pourraient vraisemblablement faire croire à la création d’un sentiment d’obligation, il ne peut pas faire de lobbying auprès de cette personne pour une période déterminée si cette personne est ou devient un titulaire d’une charge publique. Si cette personne est un élu, le lobbyiste ne doit pas non plus faire de lobbying auprès du personnel du bureau dudit titulaire.

9. When a lobbyist undertakes political activities on behalf of a person which could reasonably be seen to create a sense of obligation, they may not lobby that person for a specified period if that person is or becomes a public office holder. If that person is an elected official, the lobbyist shall also not lobby staff in their office(s).

II. Contexte factuel

[10] Entre le 25 juillet 2017 et le 30 janvier 2020, la commissaire a mené des examens administratifs, puis des enquêtes pour déterminer si M. Bergen et Mme O’Born avaient enfreint les articles 6 et 9 du Code en faisant du lobbying auprès de Mme Chrystia Freeland ou de membres de son personnel ministériel après avoir entrepris des activités politiques pour son compte.

[11] M. Bergen a fait du bénévolat lors de la première campagne d’élection partielle de Mme Freeland en 2013 et a agi à titre de codirecteur de campagne lors de sa campagne de réélection en 2015. De janvier 2014 à mars 2016, il a été gestionnaire du bureau de circonscription de Mme Freeland lorsqu’elle était députée. De mai 2016 à octobre 2017, M. Bergen a également joué un rôle limité en tant que directeur du Conseil de direction de l’Association libérale fédérale [l’ALF] de University‐Rosedale, l’association de la circonscription électorale représentée à la Chambre des communes par Mme Freeland.

[12] Mme O’Born a été codirectrice de campagne lors de la campagne de réélection fédérale de Mme Freeland en 2015. Elle a également été vice-présidente chargée de la préparation électorale au sein du conseil de direction de l’ALF de University-Rosedale de mai 2016 à octobre 2017, bien qu’elle ait été relativement inactive dans ce rôle.

[13] Le CCI, un conseil commercial composé de chefs de direction d’entreprises de technologie canadiennes, était enregistré à titre de lobbyiste auprès d’Affaires mondiales Canada [Affaires mondiales] - qui comprend le ministère du Commerce international, le ministère des Affaires étrangères et le ministère du Développement international - à une époque qui coïncide avec la période où Mme Freeland était ministre du Commerce international, soit du 4 novembre 2015 au 10 janvier 2017.

[14] M. Bergen était le directeur général du CCI en mars 2016 et il était inscrit au Registre des lobbyistes en tant qu’agent responsable et lobbyiste employé par le CCI. Mme O’Born a été embauchée en juillet 2016 à titre de directrice des politiques du CCI et est devenue directrice des initiatives stratégiques en janvier 2017. Elle était également inscrite au Registre des lobbyistes en tant que lobbyiste employée par le CCI.

[15] Avant que Mme O’Born et M. Bergen commencent à travailler pour le CCI en 2016, M. Bergen a demandé à l’ancienne commissaire auprès de qui ils étaient autorisés à faire du lobbying dans le cabinet de Mme Freeland. Le Commissariat au lobbying [le Commissariat] lui a répondu que, conformément au Code, M. Bergen et Mme O’Born ne pourraient pas faire de lobbying auprès de Mme Freeland ou de son personnel pendant cinq ans.

[16] Dans les rapports, la commissaire n’a trouvé aucun élément de preuve indiquant que M. Bergen ou Mme O’Born avaient fait du lobbying auprès de Mme Freeland. Cependant, entre le moment où M. Bergen et Mme O’Born ont commencé à travailler pour le CCI et le moment où Mme Freeland a cessé d’être ministre du Commerce international, le CCI a inscrit au Registre des lobbyistes quatre communications avec M. David Lametti, qui était alors le secrétaire parlementaire de Mme Freeland, ou avec des membres de son personnel :

  1. Le 13 octobre 2016, Mme O’Born a eu un entretien téléphonique avec Gillian Nycum, membre du personnel de la circonscription de M. Lametti;

  2. Le 17 octobre 2016, Mme O’Born a eu un entretien téléphonique avec Megan Buttle, adjointe spéciale de M. Lametti;

  3. Le 20 octobre 2016, Mme O’Born a organisé une journée de lobbying sur l’industrie des technologies propres pour le CCI, à laquelle elle a participé, de même que Mme Buttle et M. Lametti;

  4. Le 7 décembre 2016, M. Bergen a tenu une réunion avec M. Lametti et le président du CCI afin de discuter de « propriété intellectuelle et de commerce intérieur ».

[17] Le 16 novembre 2016, Mme O’Born a envoyé un courriel à M. Lametti et y a joint une lettre cosignée par M. Bergen en sa qualité de directeur général du CCI, ainsi que par le président et le vice-président du CCI. La lettre concernait une proposition visant à établir un groupe de travail composé des chefs de direction du CCI, de M. Lametti « et du ministère », qui se réunirait régulièrement pour se pencher sur des questions liées au Programme CanExport.

[18] Le 23 novembre 2016, Mme O’Born a envoyé un courriel à Mme Buttle pour lui demander des renseignements supplémentaires sur le Programme CanExport à la suite de la réunion du 20 octobre 2016, afin que les entreprises membres du CCI puissent fournir leurs commentaires. Le 24 novembre 2016, Mme Buttle a répondu qu’elle mettait en copie Emily Yorke, du cabinet de la ministre Freeland, car Mme Yorke serait en mesure de donner plus de détails sur le Programme CanExport. Mme Buttle a informé la commissaire que le courriel avait été transféré à Mme Yorke parce que le Programme CanExport était géré à partir du cabinet ministériel de Mme Freeland. Le CCI n’a pas répondu à la chaîne de courriels et n’a pas effectué de suivi.

[19] Le 7 décembre 2016, M. Bergen a organisé une rencontre avec le président du CCI et M. Lametti, à laquelle il a assisté. Lors de cette rencontre tenue le jour même, ils ont discuté d’une stratégie en matière de propriété intellectuelle et de politique d’innovation. Mme Nycum a informé la commissaire que le CCI n’avait fait ni demande ni proposition précise à M. Lametti au cours de cette rencontre.

[20] La commissaire n’a trouvé aucun élément de preuve indiquant que M. Bergen ou Mme O’Born avaient déjà tenté de faire du lobbying auprès de Mme Freeland elle-même. De plus, elle a conclu que ni M. Lametti, en sa qualité de secrétaire parlementaire, ni le personnel de sa circonscription n’étaient membres du « personnel » du cabinet de Mme Freeland aux fins de l’article 9.

[21] En ce qui concerne l’article 6, la commissaire a conclu qu’il n’y avait aucune raison de conclure que M. Bergen ou Mme O’Born avaient placé Mme Freeland dans une situation de conflit d’intérêts réel ou apparent.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[22] La présente demande soulève deux questions :

  1. La commissaire a-t-elle commis une erreur dans son interprétation et son application de l’article 9 du Code?

  2. La commissaire a-t-elle commis une erreur dans son interprétation et son application de l’article 6 du Code?

[23] Initialement, le défendeur avait également soulevé la question de savoir si la Cour avait compétence pour instruire la présente demande. Toutefois, au moment de l’audience, il a convenu que, compte tenu de la conclusion tirée par la Cour dans la décision Démocratie en surveillance c Canada (Procureur général), 2021 CF 613, la demanderesse avait qualité pour agir dans l’intérêt public et pouvait demander le contrôle judiciaire des rapports, lesquels avaient été préparés conformément à l’article 10.5 de la Loi. Je suis d’accord pour dire qu’aucune question de compétence ne subsiste et que la présente affaire se distingue des conclusions tirées par la Cour dans l’arrêt Démocratie en surveillance c Canada (Procureur général), 2021 CAF 133, qui portait sur un refus d’enquêter sur une demande publique.

[24] Les parties affirment, et je suis d’accord, que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 25; Portnov c Canada (Procureur général), 2021 CAF 171 aux para 26-27.

[25] Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et si elle est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, aux para 85-86; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 2, 31. Une décision est raisonnable si, lorsqu’elle est lue dans son ensemble et que le contexte administratif est pris en compte, elle possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité : Vavilov, aux para 91-95, 99-100.

[26] La norme de la décision raisonnable s’applique à l’interprétation qu’un décideur fait de sa loi habilitante. Il n’appartient pas à la Cour de procéder à une analyse de novo : Vavilov, au para 116. La méthode de contrôle selon la norme de la décision raisonnable suppose que l’approche adoptée sera conforme aux principes de l’interprétation des lois, notamment au principe moderne selon lequel il faut lire les termes d’une loi « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : Vavilov, aux para 117-118, citant Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 SCR 27 au para 21, et Bell ExpressVu Limited Partnership c Rex, 2002 CSC 42 au para 26, citant tous deux E. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983) à la p 87. Les omissions ne justifient pas à elles seules l’intervention judiciaire : il s’agit principalement de savoir si l’aspect omis de l’analyse amène la cour de révision à perdre confiance dans le résultat auquel est arrivé le décideur : Vavilov, au para 122.

[27] À mon avis, ces principes de contrôle s’appliquent tout aussi bien à l’examen, par la Cour, des questions en jeu.

IV. Analyse

A. La commissaire a-t-elle commis une erreur dans son interprétation et son application de l’article 9 du Code?

[28] À titre préliminaire, je note que l’article 9 du Code est considéré comme une formulation plus précise de l’interdiction générale prévue à l’article 6 concernant les conflits d’intérêts. L’article 9 interdit aux lobbyistes dont les activités politiques pour le compte d’une personne pourraient vraisemblablement faire croire à la création d’un sentiment d’obligation de faire du lobbying auprès de cette personne ou de son personnel si cette personne est ou devient un titulaire d’une charge publique.

[29] Comme la commissaire a analysé l’article 9 avant l’article 6, je commence mon analyse par l’article 9.

[30] Dans ses rapports, la commissaire a conclu que le rôle que jouaient M. Bergen et Mme O’Born au sein du conseil de direction de l’association de la circonscription électorale de Mme Freeland, alors qu’ils étaient lobbyistes salariés pour le CCI, pouvait vraisemblablement faire croire à la création d’un sentiment d’obligation chez Mme Freeland au sens de l’article 9. Toutefois, la demanderesse soutient que la commissaire a commis une erreur en adoptant une interprétation trop stricte des termes « cette personne » et « personnel » contenus à l’article 9 (reproduit ci-dessous), qui l’a amenée à conclure que les communications avec le secrétaire parlementaire, M. Lametti, et avec Mme Buttle ne constituaient pas des activités de lobbying en contravention de l’article 9.

9. Si un lobbyiste entreprend des activités politiques pour le compte d’une personne qui pourraient vraisemblablement faire croire à la création d’un sentiment d’obligation, il ne peut pas faire de lobbying auprès de cette personne pour une période déterminée si cette personne est ou devient un titulaire d’une charge publique. Si cette personne est un élu, le lobbyiste ne doit pas non plus faire de lobbying auprès du personnel du bureau dudit titulaire. [Non souligné dans l’original.]

[31] La demanderesse fait valoir qu’une interprétation stricte n’est pas compatible avec les principes de l’interprétation des lois et de la responsabilité ministérielle. Elle affirme que la commissaire a accordé trop d’importance au sens littéral de ces mots, au lieu de les interpréter dans le contexte global de l’économie et de l’objet de la loi, qui vise à renforcer la confiance que le public accorde aux titulaires d’une charge publique pour ce qui est de prendre des décisions favorables à l’intérêt public et non parce qu’ils s’y sentent obligés.

[32] La demanderesse affirme que le fait de limiter l’application de l’expression « faire [du] lobbying auprès de cette personne » à Mme Freeland elle-même revient à ne pas tenir compte du concept de responsabilité ministérielle.

[33] Comme le mentionne le Guide du secrétaire parlementaire du Bureau du Conseil privé, le secrétaire parlementaire n’a pas de pouvoir décisionnel indépendant. La responsabilité principale du secrétaire parlementaire consiste à « aider son ministre à s’acquitter de ses responsabilités à la Chambre et à prendre la parole au nom du gouvernement lorsque des questions surgissent en l’absence du ministre ». Il ne peut se voir déléguer les pouvoirs et fonctions que la loi confère au ministre.

[34] Comme Mme Freeland est restée la décideuse et la responsable du programme CanExport durant la période de lobbying, la demanderesse affirme que les activités de lobbying auprès du secrétaire parlementaire auraient inévitablement entraîné la transmission des messages à la ministre et ne pouvaient donc avoir pour seul but que de faire du lobbying auprès de Mme Freeland.

[35] Je reconnais que les arguments de la demanderesse concernant la responsabilité ministérielle soulèvent une question qui mérite d’être examinée davantage, comme l’a indiqué la commissaire dans ses observations relatives à l’analyse de l’article 9, reproduites ci-dessous :

En déterminant que la Règle 9 n’a pas été enfreinte dans les circonstances de cette enquête, j’ai constaté que les secrétaires parlementaires ne sont pas considérés comme étant des « membres du personnel » d’un cabinet ministériel aux fins de la Règle 9. Toutefois, les secrétaires parlementaires partagent les mêmes engagements politiques que le ministre qu’ils sont chargés d’assister.

C’est pourquoi je suis d’avis que le champ d’application de la Règle 9 devrait être élargi pour inclure les personnes, telles que les secrétaires parlementaires, qui ne sont pas considérées comme du personnel politique d’un élu, mais qui partagent les mêmes engagements politiques que l’élu sous la responsabilité duquel elles opèrent. Cette question devrait aussi être abordée dans le cadre de toute consultation future des parties prenantes visant à réviser le Code.

[36] Toutefois, ces préoccupations ne rendent pas la décision déraisonnable. Les arguments de la demanderesse ne l’emportent pas sur une lecture simple de l’article 9. Bien qu’il faille tenir compte de l’économie et de l’objet de la loi, celle-ci ne peut être interprétée sans tenir compte du sens ordinaire du libellé du Code. À mon avis, il était raisonnable pour la commissaire d’interpréter l’expression « cette personne » comme renvoyant uniquement à Mme Freeland. Cette interprétation est non seulement conforme au sens ordinaire des mots utilisés, mais elle donne également effet au reste de l’article 9, qui désigne cette personne comme étant le titulaire d’une charge publique (auprès duquel aucune activité de lobbying ne doit être faite) et qui mentionne de manière distincte et expresse le « personnel » du bureau de cette personne.

[37] De même, j’estime qu’il était raisonnable pour la commissaire de prendre en compte le sens ordinaire des mots utilisés à l’article 9 pour faire la distinction entre les « élus » et le « personnel » lorsqu’elle a évalué si M. Lametti pouvait être considéré comme faisant partie du « personnel ».

[38] Comme l’a noté la commissaire, en tant que député, M. Lametti était « un élu à part entière qui dispos[ait] de son propre personnel, tant dans son bureau parlementaire que dans son bureau de circonscription, dans le cadre de son rôle de député ainsi qu’à l’appui de son rôle de secrétaire parlementaire à l’époque ». Bien que le rôle du secrétaire parlementaire soit d’assister un ministre selon les instructions de ce dernier, le ministre n’a pas d’autorité sur les conditions de nomination du secrétaire parlementaire, comme ce serait le cas pour son personnel.

[39] Le simple fait que la demanderesse soit en désaccord avec l’interprétation du terme « personnel » ne rend pas l’interprétation déraisonnable.

[40] La demanderesse soutient que, même si M. Lametti n’est pas considéré comme faisant partie du personnel de Mme Freeland aux fins de l’article 9, Mme Buttle devrait être considérée comme telle. Elle mentionne les courriels que Mme O’Born et Mme Buttle se sont échangés en octobre et novembre 2016, dont l’un contenait en pièce jointe une lettre cosignée par M. Bergen, et un autre qui a été transféré à Mme Yorke.

[41] Dans les rapports, la commissaire a reconnu que Mme Buttle, en tant qu’adjointe spéciale du secrétaire parlementaire, était une membre exonérée du personnel de Mme Freeland; toutefois, elle a jugé que, aux fins de l’enquête, il était pertinent de tenir compte du fait que Mme Buttle avait été identifiée seulement comme un membre du personnel de M. Lametti et qu’elle n’avait pas été présentée publiquement à Mme O’Born comme faisant partie du personnel de Mme Freeland :

[...] Bien que le poste d’adjointe spéciale du secrétaire parlementaire soit techniquement considéré comme un poste de personnel exonéré au sein du cabinet de la ministre, cela n’était évident pour personne, y compris pour Mme O’Born qui, comme le montrent les renseignements recueillis dans le cadre de cette enquête, savait bien, en se fondant sur les conseils qu’elle avait reçus du Commissariat, qu’il lui était interdit de faire du lobbying auprès de Mme Freeland ou d’un membre de son personnel. Le titre de Mme Buttle ainsi que les fonctions qu’elle a exercées dans ses interactions avec Mme O’Born l’ont identifiée comme faisant partie du personnel de M. Lametti en sa qualité d’ancien secrétaire parlementaire. À mon avis, il serait injuste de reprocher à Mme O’Born de s’être appuyée sur ces indicateurs extérieurs.

[42] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que, comme le rôle de la commissaire est de régir la conduite des lobbyistes lorsqu’elle évalue cette conduite, il était raisonnable qu’elle tienne compte des faits que connaissaient les lobbyistes de même que de la façon dont Mme Buttle s’était présentée et des fonctions qu’elle exerçait lors de ses interactions avec Mme O’Born. Compte tenu de l’esprit du Code, il était raisonnable de permettre à Mme O’Born de s’appuyer sur ces indicateurs extérieurs.

[43] La commissaire prend acte de la preuve démontrant que Mme Buttle a transmis le courriel de Mme O’Born à Mme Yorke, parce que cette dernière était conseillère en politiques au cabinet de Mme Freeland et était chargée de répondre aux demandes de renseignements sur le Programme CanExport. Mme O’Born a indiqué qu’elle n’avait pas effectué de suivi auprès de Mme Yorke afin de respecter l’interdiction de faire du lobbying auprès du personnel de Mme Freeland pendant cinq ans. Cela concorde avec les déclarations de Mme Buttle, qui dit ne se souvenir d’aucune autre réponse aux courriels, et avec la déclaration de Mme Yorke, qui affirme n’avoir jamais interagi avec quelqu’un du CCI ou rencontré un membre du conseil. Il n’y a pas eu d’interaction directe entre le CCI et Mme Yorke.

[44] À mon avis, contrairement à ce qu’avance la demanderesse, les rapports présentent une analyse rationnelle expliquant pourquoi la commissaire a conclu que M. Bergen et Mme O’Born n’avaient pas fait de lobbying auprès de Mme Freeland ou de son personnel, tout en faisant état de certaines préoccupations dans la section des observations quant à la manière de gérer les interactions avec le secrétaire parlementaire. La demanderesse n’a pas démontré d’erreur susceptible de contrôle dans l’analyse que la commissaire a faite de l’article 9.

B. La commissaire a-t-elle commis une erreur dans son interprétation et son application de l’article 6 du Code ?

[45] Je ne suis pas non plus convaincue que l’interprétation et l’application de l’article 6 par la commissaire étaient déraisonnables.

[46] Pour déterminer si M. Bergen et Mme O’Born avaient enfreint l’article 6 du Code, la commissaire a évalué si leurs actes en tant que lobbyistes salariés employés par le CCI plaçaient Mme Freeland dans une situation de conflit d’intérêts réel ou apparent.

[47] Comme ni le Code ni la Loi ne définissent ce qui constitue un conflit d’intérêts réel ou apparent, la commissaire a examiné les lois fédérales et provinciales connexes, y compris la Loi sur les conflits d’intérêts, LC 2006, c 9, art 2 [la LCI], et la Members’ Conflict of Interest Act de la Colombie-Britannique, RSBC 1996, c 287 [la COIA de la C.-B.], pour comprendre comment les concepts étaient définis dans d’autres administrations. Elle a également examiné deux rapports de commissions d’enquête publique : la Commission d’enquête sur les faits reliés à des allégations de conflit d’intérêts concernant l’honorable Sinclair M Stevens [la Commission Parker]; et la Commission d’enquête concernant les allégations au sujet des transactions financières et commerciales entre Karlheinz Schreiber et le très honorable Brian Mulroney [la Commission Oliphant].

[48] Par suite de cet examen, la commissaire a conclu que, pour qu’il y ait conflit d’intérêts réel, le titulaire d’une charge publique doit satisfaire aux exigences suivantes : 1) il doit s’être engagé à exercer ses pouvoirs, devoirs ou fonctions officiels; 2) il doit savoir qu’il a la possibilité de favoriser ses intérêts personnels lorsqu’il exerce ses pouvoirs, devoirs ou fonctions officiels; 3) il doit avoir la possibilité de favoriser ses intérêts personnels - ou ceux d’autres personnes avec qui il entretient des relations étroites - dans l’exercice de ses pouvoirs, fonctions ou devoirs officiels.

[49] En revanche, la commissaire a conclu que, pour qu’il y ait conflit d’intérêts apparent, les caractéristiques suivantes doivent être présentes : 1) les conflits d’intérêts apparents sont raisonnablement perçus comme existant, qu’ils existent ou non dans les faits; 2) ils sont jugés selon une norme objective, à savoir si un observateur raisonnable, informé des circonstances factuelles pertinentes, peut raisonnablement conclure à l’existence d’un conflit d’intérêts; 3) ils se rapportent à des situations de conflit réel perçu; il ne s’agit pas de situations hypothétiques ou de simples possibilités, mais plutôt de situations précises dans lesquelles un observateur raisonnable, informé des circonstances factuelles pertinentes, peut raisonnablement conclure que la capacité du titulaire d’une charge publique à exercer ses pouvoirs, devoirs et fonctions officiels doit avoir été affectée par ses intérêts personnels.

[50] La commissaire a conclu que rien ne démontrait que Mme Freeland « était au courant des activités de lobbying du CCI ou qu’elle exerçait ou même envisageait d’exercer des pouvoirs, devoirs ou fonctions officiels en rapport avec l’objet des activités de lobbying du CCI ». Par conséquent, rien ne permettait de conclure que les actions de M. Bergen ou de Mme O’Born avaient placé Mme Freeland en situation de conflit d’intérêts réel.

[51] De plus, la commissaire a jugé qu’il n’y avait aucun motif raisonnable de conclure que les actions de M. Bergen ou de Mme O’Born avaient affecté la capacité de Mme Freeland à exercer ses pouvoirs, devoirs et fonctions officiels ou que leurs actions pouvaient raisonnablement être perçues comme ayant placé Mme Freeland dans une situation de conflit d’intérêts apparent. La conclusion de la commissaire concernant l’apparence d’un conflit d’intérêts est au centre des arguments qui m’ont été présentés au sujet de l’article 6.

[52] Dans son analyse de l’existence d’un conflit d’intérêts apparent, la commissaire a résumé les faits entourant les activités politiques de M. Bergen et de Mme O’Born menées pour le compte de Mme Freeland, leurs demandes de renseignements concernant les restrictions applicables au lobbying, leurs communications et leurs interactions avec M. Lametti et son personnel, ainsi que la connaissance à cet égard de Mme Freeland et ses actions et fonctions.

[53] La demanderesse soutient que la commissaire a restreint de façon déraisonnable le critère applicable aux conflits d’intérêts apparents et qu’elle a confondu ce critère avec celui relatif aux conflits d’intérêts réels en concentrant son analyse sur la conduite de la ministre plutôt que sur la conduite des lobbyistes eux-mêmes. Elle soutient que le Code vise à orienter la conduite des lobbyistes et à déterminer si cette conduite pourrait placer un ministre en situation de conflit apparent; il ne s’agit pas de savoir si un ministre était réellement en conflit d’intérêts. La demanderesse fait valoir que, en choisissant le mauvais axe d’analyse, la commissaire a accordé trop d’importance aux résultats de l’enquête au lieu de tenir compte de ce que le public considérerait et percevrait comme un conflit d’intérêts. Selon elle, cette question est au cœur du Code et sous-tend l’objectif du régime.

[54] Le défendeur soutient que les positions adoptées par la demanderesse ne sont rien de plus qu’un désaccord. Il affirme, et je suis du même avis, que la demanderesse n’a pas démontré que la décision de la commissaire en ce qui concerne l’article 6 est déraisonnable selon les principes énoncés dans l’arrêt Vavilov.

[55] Tout d’abord, je considère que la façon dont la commissaire formule le critère relatif aux conflits d’intérêts apparents n’est pas déraisonnable. Son analyse est rationnelle.

[56] Dans ses rapports, la commissaire tient compte de tous les documents originaux et des définitions de conflit d’intérêts apparent, y compris celles qui se trouvent dans les rapports de la Commission Parker et de la Commission Oliphant et dans la COIA de la C.-B. Elle fait remarquer que la COIA de la C.-B. et la Commission Oliphant utilisent toutes les deux la variante suivante de la formulation de la norme objective : « une situation où une personne raisonnablement bien informée peut convenablement avoir une perception raisonnable ». La commissaire ajoute ce qui suit :

[...] Il est important de noter que même la définition élargie d’un conflit d’intérêts apparent recommandée par le juge Oliphant (c’est-à-dire incluant les situations dans lesquelles la capacité d’un titulaire d’une charge publique à exercer ses pouvoirs officiels « sera, ou devra avoir été » affectée par ses intérêts personnels) ne s’applique pas aux situations spéculatives [...] les termes « sera affecté » et « doit être affecté » ne sont pas de nature conditionnelle, car « sera » et « doit » ne sont pas « pourrait » ou « serait ».

[57] La commissaire en conclut raisonnablement que la façon de formuler la norme relative aux conflits d’intérêts apparents doit être modifiée de façon à ce que la norme objective soit fondée sur la compréhension selon laquelle l’existence d’un conflit d’intérêts apparent ne peut être déterminée sur la base de simples soupçons ou suppositions. Par conséquent, elle estime que les conflits d’intérêts apparents ne comprennent pas les situations dans lesquelles il est simplement possible que la capacité d’un titulaire d’une charge publique à exercer ses pouvoirs, fonctions ou devoirs officiels puisse être affectée par ses intérêts personnels, comme le propose la demanderesse.

[58] Bien que la demanderesse préfère mettre l’accent sur certaines parties de l’analyse du rapport de la Commission Parker, à mon avis, ces passages ne démontrent pas l’existence d’une erreur susceptible de contrôle. Comme l’a fait remarquer la commissaire, même le juge Parker a dit que la norme était définie et qu’il ne fallait pas conclure « qu’il y a conflit apparent à moins qu’une personne raisonnablement bien informée puisse raisonnablement conclure des circonstances qui entourent une affaire que le titulaire d’une charge publique doit avoir été conscient de ses intérêts privés ».

[59] De même, le recours à l’arrêt Démocratie en surveillance c Campbell, 2009 CAF 79, est de peu d’utilité pour la demanderesse. Cet arrêt portait sur une règle différente prévue par l’ancien code de déontologie des lobbyistes, qui ne faisait pas de distinction entre les conflits d’intérêts réels ou apparents.

[60] De plus, à mon avis, la demanderesse a mal interprété le raisonnement de la commissaire et son renvoi aux actions de Mme Freeland.

[61] Lorsqu’elle a examiné l’objet et la portée de l’article 6, la commissaire a mentionné le rôle distinct qu’elle jouait dans l’application du Code, notant que « le Commissariat au lobbying ne réglemente pas directement les titulaires d’une charge publique fédérale ». Par conséquent, elle a axé son analyse sur « les actions d[es] lobbyiste[s] faisant l’objet de l’enquête ».

[62] La commissaire a ajouté que « la Loi sur les conflits d’intérêts réglemente la conduite des titulaires d’une charge publique, y compris les ministres et les secrétaires parlementaires » et a expressément déclaré que rien dans ses rapports « ne prétend commenter ou ne doit être interprété comme un commentaire sur le bien‐fondé de la conduite de tout titulaire d’une charge publique assujetti à la Loi sur les conflits d’intérêts ».

[63] Dans son analyse de la question de savoir s’il y avait apparence de conflit d’intérêts suivant l’article 6, la commissaire a parlé de ce qu’elle avait appris au cours de l’enquête au sujet des renseignements communiqués à Mme Freeland et des devoirs et fonctions qu’elle a exercés, mais cela ne veut pas dire que la commissaire a réorienté son analyse. Comme en témoignent ses motifs, elle a continué de se concentrer sur les actions des lobbyistes. Elle a d’ailleurs mentionné ceci dans le rapport concernant M. Bergen :

Dans l’ensemble, je suis d’avis qu’un observateur raisonnable, informé de ces circonstances factuelles, ne pourrait raisonnablement conclure que les actions de M. Bergen – en cosignant une lettre de remerciement visant à organiser des réunions régulières avec M. Lametti qui ne se sont jamais concrétisées et en assistant à une réunion, déclarée dans le Registre des lobbyistes, entre M. Lametti et M. Balsillie – doivent avoir affecté la capacité de Mme Freeland à exercer ses pouvoirs, devoirs ou fonctions officiels.

Ces actions de la part de M. Bergen ne peuvent être raisonnablement perçues comme ayant placé Mme Freeland dans une situation de conflit d’intérêts apparent.

Tout sentiment d’obligation ou de loyauté qu’un observateur raisonnable peut percevoir chez Mme Freeland à l’égard de M. Bergen ne donne pas lieu à une perception raisonnable que l’une des actions de M. Bergen en relation avec la tentative du CCI d’organiser des réunions régulières avec M. Lametti a placé Mme Freeland dans une situation de conflit d’intérêts.

En arrivant à cette conclusion, je voudrais souligner qu’il ne s’agit pas de savoir s’il est possible qu’un tel sentiment d’obligation ou de loyauté puisse, dans un sens abstrait ou hypothétique, affecter la capacité de Mme Freeland à exercer ses pouvoirs, devoirs ou fonctions officiels de manière à favoriser les intérêts personnels du CCI ou des entreprises membres du CCI, mais plutôt de savoir si un observateur raisonnable pourrait raisonnablement conclure qu’un tel sentiment d’obligation ou de loyauté doit avoir eu un tel effet dans cet ensemble particulier de circonstances factuelles.

[64] La même justification a été donnée dans le rapport concernant Mme O’Born où, dans le paragraphe semblable au premier cité ci-dessus, les actions de Mme O’Born sont décrites ainsi :

Dans l’ensemble, je suis d’avis qu’un observateur raisonnable, informé de ces circonstances factuelles, ne pourrait raisonnablement conclure que les actions de Mme O’Born – en participant à deux appels téléphoniques de nature logistique avec le personnel politique de M. Lametti, en participant à une rencontre durant la journée de lobbying avec M. Lametti et en envoyant à Mme Buttle une lettre de remerciement de suivi par courriel afin d’organiser des réunions régulières avec M. Lametti qui ne se sont jamais concrétisées – doivent avoir affecté la capacité de Mme Freeland à exercer ses pouvoirs, devoirs ou fonctions officiels.

[65] Comme il est indiqué dans les rapports, il n’y avait pas lieu de se demander si un observateur raisonnable pourrait raisonnablement conclure que l’exercice par Mme Freeland de ses pouvoirs, devoirs et fonctions officiels « sera[it] affectée » par un intérêt personnel quelconque. On savait déjà qu’elle n’avait pas exercé de pouvoirs, devoirs ou fonctions officiels en ce qui concerne l’un des points au sujet desquels le CCI avait communiqué avec M. Lametti à l’époque où elle était ministre du Commerce international. De même, on savait qu’elle n’avait conservé aucune responsabilité à l’égard des programmes, des politiques ou des services au sujet desquels le CCI avait communiqué avec M. Lametti lorsqu’elle était devenue ministre des Affaires étrangères. Les faits ont démontré que sa capacité n’a pas été affectée par les actions de M. Bergen et de Mme O’Born.

[66] La demanderesse soutient que les faits détaillés découlant de l’enquête, y compris la connaissance et les fonctions de Mme Freeland, ne seraient pas connus du public et n’auraient pas dû être pris en compte pour déterminer s’il y avait conflit d’intérêts apparent. Cependant, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le fait de considérer les circonstances factuelles comme excluant les détails obtenus dans le cadre de l’enquête reviendrait à dépouiller la Loi de tout son sens. Le paragraphe 10.4(1) de la Loi prévoit que la commissaire peut faire enquête afin de déterminer s’il y a eu violation du Code. La commissaire est donc censée utiliser les résultats de cette enquête pour rédiger son rapport et pour déterminer si le Code a été enfreint.

[67] De plus, même si la commissaire n’avait pas obtenu de renseignements sur la connaissance et les fonctions de Mme Freeland, il aurait été difficile de conclure qu’une personne raisonnable aurait perçu un conflit d’intérêts apparent, en particulier lorsque les communications et les actions de M. Bergen et de Mme O’Born ont été jugées insuffisantes pour établir qu’il y avait eu lobbying auprès de Mme Freeland aux fins de l’article 9.

[68] La demanderesse relève les observations formulées par la commissaire, qui affirme qu’« en interdisant aux lobbyistes de placer des titulaires d’une charge publique fédérale en situation de conflit d’intérêts réel ou apparent, la Règle 6 exige que la commissaire au lobbying tire des constatations concernant la conduite de titulaires d’une charge publique pouvant être assujettis à des régimes éthiques distincts, y compris ceux supervisés par le conseiller sénatorial en éthique et par le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique ». La demanderesse cherche à utiliser ces observations pour faire valoir que ces complications découlent de l’approche erronée de la commissaire, mais cet argument ne me convainc pas. Lorsqu’on lit les observations dans leur ensemble, il est clair que la commissaire a compris que son rôle se limitait à réglementer la conduite des lobbyistes et qu’elle devait se concentrer sur leurs actions. Dans des observations, elle reconnaît simplement que les faits découlant de ces enquêtes peuvent chevaucher ceux d’enquêtes que d’autres pourraient mener.

[69] À mon avis, l’approche adoptée par la commissaire n’était pas déraisonnable. Les motifs démontrent qu’elle a effectué une analyse rationnelle pour en arriver à ses conclusions. Bien que la demanderesse ne soit pas en accord avec la définition de conflit d’intérêts apparent que la commissaire a utilisée, il ne s’agit pas d’un contrôle selon la norme de la décision correcte. La demanderesse n’a pas relevé d’erreur susceptible de contrôle.

I. Conclusion

[70] Pour les motifs qui précèdent, les demandes seront rejetées.

[71] Compte tenu de l’issue des demandes et des observations présentées par les parties, les dépens devront être adjugés au défendeur, selon la valeur médiane de la colonne III du tarif des Cours fédérales.

 


JUGEMENT DANS LES DOSSIERS T-915-20 ET T-916-20

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. Les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées.

  2. Une copie des présents motifs doit être versée dans chacun des dossiers T‐915‐20 et T‐916‐20 de la Cour.

  3. Les dépens sont adjugés au défendeur, selon la valeur médiane de la colonne III du tarif des Cours fédérales.

« Angela Furlanetto »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-915-20 et T-916-20

 

INTITULÉ :

DÉMOCRATIE EN SURVEILLANCE c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 DÉCEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FURLANETTO

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS CONFIDENTIELS :

LE 9 JUIN 2023

 

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS PUBLICS :

 

LE 20 JUIN 2023

 

COMPARUTIONS :

Andrew Montague-Reinholdt

Rhian Foley

 

Pour la demanderesse

 

Kirk Shannon

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan O’Brien Payne LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 

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