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Date : 20230622


Dossier : IMM-8321-22

Référence : 2023 CF 882

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 22 juin 2023

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

ADARAMOLA ADEOLA ADEKUNLE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, madame Adaramola Adeola Adekunle, une citoyenne du Nigéria, est arrivée au Canada en 2016 munie d’un permis d’études. Elle a entamé une relation avec un Nigérian au Canada en 2017, puis ils se sont mariés en 2018. L’époux de la demanderesse a déposé une demande de parrainage. Toutefois, le mariage a pris fin en novembre 2018. La demanderesse a cessé de fréquenter l’université en 2018.

[2] La demanderesse a déposé une demande d’asile en novembre 2019. Elle affirme qu’elle sera exposée à de la persécution au Nigéria parce qu’elle est bisexuelle.

[3] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 2 août 2022 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté son appel et a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de rejeter sa demande d’asile au motif qu’elle n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[4] La question déterminante pour la SPR et la SAR était la crédibilité. Compte tenu des doutes qu’elle a soulevés quant à la crédibilité de la demanderesse, la SAR a conclu que celle-ci n’avait pas eu de relation avec une femme au Nigéria ni que cette relation avait été découverte par un membre de sa famille en 2019. La SAR a également conclu que la demanderesse n’avait pas eu de relation homosexuelle authentique avec une femme qui, selon la demanderesse, était sa partenaire au Canada. Enfin, la SAR a conclu que, dans l’ensemble, la crédibilité de la demanderesse était grandement minée et que celle-ci n’avait pas établi de manière crédible qu’elle était une femme bisexuelle ou qu’elle était perçue comme telle, selon la prépondérance des probabilités.

[5] La demanderesse soutient que la SAR a commis une erreur en refusant d’admettre le certificat de divorce de ses parents à titre de nouvel élément de preuve. La demanderesse ajoute que la SAR a commis une erreur dans l’appréciation de sa crédibilité, plus précisément en ce qui concerne son orientation sexuelle et les faits qui seraient survenus au Nigéria. Enfin, la demanderesse fait valoir que la SAR a commis une erreur du fait qu’elle n’a pas procédé à sa propre analyse indépendante du dossier.

[6] Le défendeur soutient que l’analyse, par la SAR, des éléments de preuve dont elle disposait et les conclusions qu’elle en a tirées étaient raisonnables compte tenu des incohérences dans les témoignages de la demanderesse et de sa partenaire prétendue.

[7] Après avoir examiné le dossier présenté à la Cour, y compris les observations écrites et orales des parties, ainsi que le droit applicable, j’estime que la demanderesse ne m’a pas convaincue que la décision de la SAR était déraisonnable. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Analyse

[8] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, telle qu’elle est énoncée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Une décision raisonnable est une décision qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85).

[9] J’examinerai d’abord l’observation de la demanderesse selon laquelle la SAR a commis une erreur en refusant d’admettre le certificat de divorce de ses parents. Le certificat de divorce a été signé le 6 février 2018, soit environ deux ans et dix mois avant que la SPR rende sa décision. La SAR a conclu qu’il ne satisfaisait pas aux critères énoncés au paragraphe 110(4) de la LIPR et l’a rejeté à titre de nouvel élément de preuve. Devant la SAR, la demanderesse a fait valoir que le nouvel élément de preuve corroborait son allégation relative à sa relation prétendue et que la documentation relative au divorce de ses parents donnait une indication du stress qu’elle vivait lorsqu’elle a décidé d’interrompre ses études en 2018. Elle a affirmé qu’elle ne l’avait pas présenté plus tôt parce qu’elle ne savait pas que cette question allait intéresser la SPR et qu’elle croyait qu’il lui serait utile pour défendre sa cause.

[10] Devant notre Cour, la demanderesse fait valoir qu’elle a présenté le certificat pour établir son état d’esprit et qu’elle ne pouvait pas prévoir que le divorce de ses parents serait un enjeu. Elle affirme que la SAR a commis une erreur en n’admettant pas cet élément de preuve.

[11] Le défendeur soutient que la demanderesse cherche à donner une nouvelle explication aux incohérences dans ses témoignages : elle a déclaré avoir cessé de fréquenter l’université en 2018 après que son père avait découvert son orientation sexuelle, puis, plus tard, elle a affirmé qu’en juillet 2019, elle aurait été surprise au domicile de son père pendant qu’elle avait des rapports intimes avec une femme. La SAR a souligné que l’explication selon laquelle elle avait cessé de fréquenter l’université en 2018 en raison du divorce de ses parents a miné davantage la crédibilité de son premier témoignage quant aux raisons de cet abandon.

[12] Je ne suis pas convaincue que la SAR a commis une erreur en refusant d’admettre le certificat de divorce des parents de la demanderesse. Il n’était pas déraisonnable pour la SAR de conclure qu’il ne satisfaisait pas aux critères énoncés au paragraphe 110(4) de la LIPR, vu la date qui y figurait. En outre, et contrairement à ce que la demanderesse a avancé dans ses observations, la question ne portait pas sur la véracité du divorce de ses parents ni sur la question de savoir si le divorce l’avait affectée. La difficulté pour la SAR résidait dans le fait que la demanderesse avait déclaré dans son témoignage avoir abandonné ses études en 2018 parce que son père avait découvert son orientation sexuelle, puis qu’elle avait ensuite déclaré que son père avait découvert son orientation sexuelle en 2019, lorsqu’elle s’était rendue au Nigéria. La SAR a jugé cohérent le fait que la demanderesse a abandonné ses études en 2018, mais n’a pas jugé crédible qu’elle l’ait fait parce que son père avait découvert sa relation homosexuelle prétendue. La SAR n’a pas non plus jugé crédible le fait que la demanderesse aurait été surprise en train d’avoir des rapports intimes avec une femme dans la maison de son père en 2019.

[13] Je me penche maintenant sur l’observation de la demanderesse selon laquelle la SAR a commis une erreur dans ses conclusions en matière de crédibilité relativement à son orientation sexuelle.

[14] Comme je l’ai mentionné précédemment, la question déterminante pour la SPR et la SAR était la crédibilité. Les conclusions quant à la crédibilité font partie du processus de recherche des faits et elles commandent un degré élevé de retenue à l’étape du contrôle (Fageir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 966 [Fageir] au para 29; Tran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 721 [Tran] au para 35; Azenabor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1160 au para 6). Les conclusions que tirent la SPR et la SAR quant à la crédibilité requièrent un degré élevé de retenue judiciaire et il n’y a lieu de les infirmer que « dans les cas les plus évidents » (Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 720 [Liang] au para 12). Les décisions quant à la crédibilité ont été décrites comme constituant « l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits, [...] et elles ne sauraient être infirmées à moins qu’elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve » (Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1207 au para 26; Fageir, au para 29; Tran, au para 35; Gong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 165 au para 9).

[15] La demanderesse soutient que la SAR a commis une erreur en concluant que son témoignage et celui de sa partenaire prétendue étaient incohérents et vagues à plusieurs égards. Plus précisément, les observations portent sur les incohérences que la SAR a constatées dans les témoignages concernant la relation de la demanderesse avec la famille de sa partenaire prétendue, la relation antérieure de la demanderesse avec sa partenaire prétendue, les soupçons de l’époux de la demanderesse, la relation que la demanderesse aurait entretenue avec une femme au Nigéria et la manière dont cette relation aurait été découverte.

[16] Le défendeur soutient qu’il était raisonnable de la part de la SAR de douter de la crédibilité des éléments mentionnés précédemment et souligne les incohérences dans la preuve testimoniale pour chacun d’entre eux.

[17] Après avoir examiné la transcription de l’audience ainsi que le dossier, les observations des parties et la décision de la SAR, je conclus que l’analyse, par la SAR, de la crédibilité de la demanderesse possède les caractéristiques requises, c’est-à-dire qu’elle est transparente, raisonnable et intelligible (Vavilov, au para 100). Au vu du dossier, la SAR avait le droit d’apprécier la preuve testimoniale dont elle disposait et de prendre en compte les incohérences dans celle-ci. Finalement, je conclus que les arguments avancés par la demanderesse au sujet de sa crédibilité constituent une demande inadmissible d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par la SAR (Vavilov, au para 125). Je suis également consciente du fait que les observations de la demanderesse portent sur des conclusions tirées par la SAR en matière de crédibilité et que celles-ci commandent un degré élevé de retenue judiciaire (Liang, au para 12).

[18] La demanderesse soutient que la SAR a également commis une erreur en renvoyant à son nouvel affidavit, qu’elle n’avait pas admis à titre de nouvel élément de preuve. La demanderesse fait valoir que si la SAR a choisi de renvoyer à l’affidavit, elle aurait dû, à tout le moins, prendre en compte l’explication qui y avait été donnée quant au motif qui l’avait amenée à interrompre ses études en 2018.

[19] La SAR n’a pas admis l’affidavit à titre de nouvel élément de preuve parce qu’il reprenait les allégations figurant dans l’exposé circonstancié contenu dans le formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA] et a donc conclu qu’elle « traiter[ait l’affidavit] comme un ensemble d’observations ». Dans son formulaire FDA, la demanderesse a mentionné la séparation de ses parents en 2018 et a décrit la façon dont son orientation sexuelle aurait été découverte en juillet 2019. La SAR a ensuite renvoyé à l’affidavit de la demanderesse et a conclu que l’explication qu’elle y avait donnée pour avoir cessé de fréquenter l’université en 2018 (le divorce de ses parents), jumelée à son autre témoignage selon lequel elle confirmait avoir cessé ses études en 2018 avaient pour effet de miner davantage la crédibilité de son premier témoignage selon lequel elle affirmait avoir cessé de fréquenter l’université en 2018 parce que son père avait découvert son orientation sexuelle.

[20] Le défendeur soutient que la SAR avait le droit de traiter l’affidavit comme un ensemble d’observations et que les Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257, ne l’empêchaient pas de le faire une fois qu’elle avait conclu que l’affidavit ne constituait pas un nouvel élément de preuve au titre du paragraphe 110(4) de la LIPR.

[21] Je ne suis pas convaincue que la SAR a commis une erreur en renvoyant aux éléments contenus dans l’affidavit de la demanderesse pour illustrer une autre incohérence dans les déclarations qu’elle a faites sur le moment où son père avait découvert son orientation sexuelle.

[22] Enfin la demanderesse soutient qu’elle a été surprise que le défendeur ait fondé certaines de ses observations sur la lettre de la partenaire antérieure prétendue de la demanderesse au Nigéria. Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que ce point n’a pas été soulevé dans le mémoire du défendeur, et qu’à ce titre, il ne doit pas être pris en compte.

III. Conclusion

[23] Pour les motifs exposés précédemment, je suis d’avis que la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que la décision de la SAR était déraisonnable. Par conséquent, je rejetterai la présente demande de contrôle judiciaire.

[24] Les parties n’ont pas proposé de question grave de portée générale aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-8321-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée;

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Vanessa Rochester »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8321-22

INTITULÉ :

ADARAMOLA ADEOLA ADEKUNLE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 JUIN 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :

LE 22 JUIN 2023

COMPARUTIONS :

Ariel Hollander

POUR LA DEMANDERESSE

Kareena Wilding

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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