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Date : 20230626


Dossier : T-662-16

Référence : 2023 CF 893

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 juin 2023

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

VOLTAGE PICTURES, LLC, COBBLER NEVADA, LLC, PTG NEVADA, LLC, CLEAR SKIES NEVADA, LLC, GLACIER ENTERTAINMENT S.A.R.L. OF LUXEMBOURG, GLACIER FILMS 1, LLC ET FATHERS & DAUGHTERS NEVADA, LLC

demanderesses

et

ROBERT SALNA, JAMES ROSE ET LOREDANA CERILLI, REPRÉSENTANTS DÉFENDEURS PROPOSÉS, AU NOM D’UN GROUPE DE DÉFENDEURS

défendeurs

et

CLINIQUE D’INTÉRÊT PUBLIC ET DE POLITIQUE D’INTERNET DU CANADA SAMUELSON-GLUSHKO ET BELL CANADA, COGECO CONNEXION INC., ROGERS COMMUNICATIONS CANADA INC., SASKTEL, TELUS COMMUNICATIONS INC., VIDÉOTRON LTÉE ET XPLORE INC.

intervenantes

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demanderesses, Voltage Pictures, LLC, Cobbler Nevada, LLC, PTG Nevada, LLC, Clear Skies Nevada, LLC, Glacier Entertainment SARL of Luxembourg, Glacier Films 1, LLC et Fathers & Daughters Nevada, LLC [collectivement, Voltage] sont des sociétés de production cinématographique qui font partie du studio de cinéma Voltage. Voltage demande à notre Cour d’autoriser un recours collectif contre environ 874 membres du groupe dont l’identité est inconnue et dont les adresses de protocole Internet [IP] auraient été utilisées pour téléverser et télécharger sans autorisation des films produits par Voltage, ce qui constitue une violation de ses droits d’auteur sur les films.

[2] Le représentant défendeur proposé, Robert Salna, s’oppose à l’autorisation du recours collectif envisagé. Il affirme qu’un recours collectif n’est pas le meilleur moyen de régler les réclamations de Voltage et ne se considère pas comme un représentant défendeur convenable.

[3] Les intervenantes Clinique d’intérêt public et de politique d’Internet du Canada Samuelson-Glushko [la CIPPIC], Bell Canada, Cogeco Connexion Inc, Rogers Communications Canada Inc [Rogers], Sasktel, Telecommunications Inc, Vidéotron Ltée et Xplore Inc [collectivement, les intervenantes] conviennent que le recours collectif n’est pas le meilleur moyen. Elles sont également d’avis que le plan de Voltage relatif à la poursuite de l’instance présente des lacunes. M. Salna, tout comme les intervenantes, s’oppose à la proposition de Voltage de recourir au régime d’« avis et avis » de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C-42, pour aviser les membres du groupe de l’autorisation et du déroulement du recours collectif.

[4] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que Voltage s’est acquittée du fardeau de démontrer que la conclusion selon laquelle le recours collectif est le meilleur moyen de régler ses réclamations quant à la violation de ses droits d’auteur contre des centaines de membres du groupe non identifiés est étayée d’un « certain fondement factuel ». Sous réserve d’une garantie raisonnable de paiement des services de l’avocat du groupe, je suis d’avis que M. Salna est un représentant défendeur convenable. Le risque que des membres du groupe se retirent en nombre suffisant pour compromettre le recours est hypothétique, et la question peut être traitée dans le cadre de la gestion de l’instance.

[5] Le régime d’avis et avis de la Loi sur le droit d’auteur ne peut servir à aviser les membres du groupe de l’autorisation et du déroulement du recours collectif. Il ne peut non plus être utilisé pour donner aux membres du groupe la possibilité de se retirer du recours collectif en échange d’une preuve qu’ils cesseront de commettre la violation ou limiteront le préjudice.

[6] Compte tenu des lacunes dans le plan relatif à la poursuite de l’instance, le recours collectif envisagé ne peut être autorisé à l’heure actuelle. Il demeure loisible à Voltage de présenter un plan révisé qui ne dépend pas du régime d’avis et avis de la Loi sur le droit d’auteur pour désigner les membres du groupe et communiquer avec eux et qui comprend des dispositions suffisantes concernant le paiement des services de l’avocat du groupe.

[7] Dans les circonstances exceptionnelles de l’espèce, les dépens afférents à la requête sont adjugés à M. Salna.

II. Le contexte

[8] Voltage a intenté la présente instance en 2016. Celle‐ci dure depuis plus de six ans. Certains aspects ont été renvoyés trois fois à la Cour d’appel fédérale [la CAF] et une fois à la Cour suprême du Canada. Il s’agit en l’espèce de la deuxième instruction de la requête en autorisation.

[9] Voltage allègue qu’il y a eu violation de ses droits d’auteur sur cinq films : Un cordonnier bien chaussé, Intraçable, Drônes, Père et fille et Braquage américain [collectivement, les œuvres]. Dans l’arrêt Salna c Voltage Pictures, LLC, 2021 CAF 176 [Salna], la CAF a ainsi décrit les circonstances de la violation du droit d’auteur alléguée (aux para 15‐16) :

Le logiciel d’analyse technique utilisé par Voltage a déterminé les adresses du protocole Internet (IP) des utilisateurs de BitTorrent qui ont téléchargé l’une des œuvres. Le logiciel a aussi recueilli des renseignements sur les utilisateurs de BitTorrent offrant de téléverser ces films. Il s’agissait notamment de l’adresse IP utilisée par la source du téléversement, de la date et de l’heure auxquelles le film a été rendu disponible aux fins de téléversement, sous forme de fichier informatique et des métadonnées du fichier, notamment le nom et la taille du fichier informatique contenant le film et le numéro de hachage BitTorrent.

Une adresse IP permet aux données transmises par Internet d’être reçues par l’appareil destinataire voulu. Chaque adresse IP existante est attribuée, en groupes ou en blocs, à différents fournisseurs de services Internet (FSI), comme Rogers, Telus ou Bell. Les FSI attribuent à leur tour des adresses IP individuelles aux appareils se connectant à Internet de leurs clients, comme un routeur Internet, qui sont contractuellement obligés de payer pour les services Internet offerts par un FSI (abonnés à un compte Internet). Bien que chaque appareil se connectant à Internet ait sa propre adresse IP, il peut se connecter à une variété d’autres appareils utilisant Internet, p. ex. ordinateurs, tablettes, téléphones mobiles. La même adresse IP permet ainsi à plusieurs appareils d’établir simultanément une connexion Internet.

[10] Après avoir examiné les adresses IP recensées par le logiciel d’analyse technique, Voltage a remarqué qu’une adresse avait été utilisée pour téléverser les cinq œuvres. Voltage a obtenu une ordonnance de type Norwich (qui tire son nom de l’arrêt Norwich Pharmacal Co v Customs & Excise Commissioners, [1974] AC 133 (HL)) pour obliger Rogers à communiquer l’identité de l’abonné à qui cette adresse IP avait été attribuée au moment des faits. À la suite d’un pourvoi devant la Cour suprême du Canada (Rogers Communications Inc c Voltage Pictures, LLC, 2018 CSC 38 [Rogers]), Rogers a identifié Robert Salna comme étant l’abonné au compte Internet (Salna, au para 20).

[11] Voltage allègue que les membres du groupe de défendeurs ont commis au moins un des trois actes illégaux suivants : a) permettre le téléchargement d’un film au moyen du réseau BitTorrent offrant le fichier à téléverser, ou téléverser effectivement un film; b) annoncer l’offre de téléchargement du film au moyen du protocole BitTorrent; c) autoriser la violation du droit d’auteur en ne prenant aucune mesure raisonnable pour s’assurer que les deux actes illégaux mentionnés précédemment n’ont pas été commis à l’égard d’un compte Internet contrôlé par un abonné. Dans l’arrêt Salna, la CAF conclut que la demande de Voltage révélait une cause d’action valable aux fins de la requête en autorisation (Salna, au para 92).

[12] M. Salna est propriétaire de plusieurs immeubles locatifs. Il offre un accès Internet à ses locataires. Selon lui, ses locataires doivent être tenus responsables de la violation du droit d’auteur alléguée, ce que nient les locataires. Voltage a mis en cause les locataires à titre de représentants défendeurs proposés, mais s’est ensuite désistée de l’instance intentée contre eux. Actuellement, les membres du groupe de défendeurs se limitent aux abonnés à un compte Internet qui ont reçu un avis de la part de leur fournisseur de services Internet [les FSI] dans un certain délai.

[13] Le 12 novembre 2019, le juge Keith Boswell a rejeté la requête en autorisation du recours collectif présentée par Voltage au motif qu’elle n’avait pas satisfait à l’une ou l’autre des conditions du critère conjonctif applicable (Voltage Pictures, LLC c Salna, 2019 CF 1412 [Voltage]; Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, art 334.16).

[14] Le 8 septembre 2021, la CAF a accueilli l’appel de Voltage en partie. Elle a annulé la décision de notre Cour et a tranché en faveur de Voltage relativement aux trois premières conditions du critère relatif à l’autorisation, à savoir : a) une cause d’action valable, b) un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes et c) des questions communes. La CAF a ordonné que la requête en autorisation soit renvoyée à la Cour afin qu’elle réexamine les conditions d) et e) du critère, à savoir le meilleur moyen de régler les questions et l’existence d’un représentant convenable.

[15] La CAF n’a pas décidé si le recours collectif était le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les réclamations de Voltage. Elle a conclu qu’il y avait peu d’éléments de preuve quant à la taille et à la composition du groupe et que certaines conclusions du juge Boswell n’étaient pas suffisamment expliquées. Elle a reconnu que les membres du groupe de défendeurs pouvaient se retirer du recours et que le groupe serait alors minuscule. À l’inverse, la CAF a formulé l’hypothèse qu’un recours collectif pourrait être le meilleur moyen, car elle permettrait aux membres du groupe de diviser entre eux le paiement des frais de défense et atténuerait la pression exercée sur eux en faveur du règlement. Si chaque membre du groupe se retire, l’autorisation du recours collectif pourrait être retirée. Par conséquent, la CAF a conclu que les doutes au sujet de la taille du groupe étaient prématurés.

[16] Le juge Boswell a conclu que M. Salna n’avait pas « la motivation nécessaire pour opposer une défense à la demande, avec diligence et vigueur », car il serait tout au plus condamné à verser des dommages‐intérêts de 5 000 $ (Voltage, au para 155; Salna, au para 122). La CAF a rejeté ce raisonnement, car il mènerait à la conclusion qu’un recours collectif inversé n’aurait jamais de représentant défendeur convenable dans les cas où les conséquences pécuniaires pour chaque membre du groupe seraient modestes. Cette conclusion serait incompatible avec l’objet des recours collectifs, qui est de permettre l’indemnisation à l’égard de réclamations qui ne seraient pas viables si elles étaient présentées individuellement (Salna, aux para 123-126).

III. Les recours collectifs inversés : les principes directeurs

[17] Les Règles des Cours fédérales permettent l’autorisation du recours collectif intenté par un groupe de demandeurs et du recours collectif intenté contre un groupe de défendeurs. Dans un recours collectif ordinaire, un représentant demandeur poursuit volontairement un défendeur au nom d’un groupe de personnes se trouvant dans une situation semblable. Dans un recours collectif « inversé », le demandeur poursuit un groupe de défendeurs qui auraient eu un comportement fautif semblable et nomme un ou plusieurs défendeurs qui agiront comme représentants du groupe.

[18] Les recours collectifs inversés sont rares au Canada. Voici des exemples d’instances où l’autorisation d’un recours collectif inversé a été demandée :

  • a)Une bande indienne qui revendiquait la propriété de terres en litige a intenté un recours contre un groupe d’entités gouvernementales et d’entreprises qui détenaient le titre à l’égard des terres (Chippewas of Sarnia Band v Canada (Attorney General), [1996] 137 DLR (4th) 239 (CA Ont) [Chippewas]);

  • b)Un recours a été intenté en matière d’ancienneté entre les pilotes de deux compagnies aériennes ayant fusionné (Berry v Pulley, [2001] 197 DLR (4th) 317 (CS Ont) [Berry]);

  • c)Un groupe d’employés proposé a intenté un recours contre leurs employeurs au motif qu’ils n’avaient pas contribué à leurs fonds en fiducie (Sutherland v Hudson’s Bay Co, [2005] 74 OR (3d) 608 (CS Ont));

  • d)Les anciens administrateurs d’une compagnie d’entretien d’aéronefs en faillite ont intenté un recours contre 1 691 anciens employés concernant un ordre de paiement émis conformément au Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2 (Bernlohr c Anciens employés d’Aveos Performance Aéronautique Inc, 2019 CF 837 et 2021 CF 113);

  • e)Un groupe d’acheteurs d’automobiles a intenté un recours contre un groupe de concessionnaires automobiles et de fabricants de pièces d’automobiles au motif qu’ils avaient vendu des véhicules équipés d’un « dispositif de manipulation » servant à contourner les évaluations d’émissions de carburant du gouvernement (Marcinkiewicz v General Motors of Canada Co, 2022 ONSC 2180 [Marcinkiewicz]).

[19] Dans l’arrêt Salna, la CAF confirme que les objectifs d’un recours collectif intenté par un groupe de demandeurs s’appliquent tout autant au recours collectif inversé (au para 67) :

Les objectifs des recours collectifs sont bien connus : (i) faciliter l’accès à la justice grâce à la répartition des frais de justice entre les nombreux membres du groupe, (ii) conserver les ressources judiciaires en réduisant la duplication inutile du processus d’appréciation des faits et d’analyse du droit et (iii) modifier les comportements nuisibles en faisant en sorte que les malfaisants actuels ou éventuels prennent pleinement conscience du préjudice qu’ils infligent ou qu’ils pourraient infliger (Dutton, par. 27 et 29; Hollick, par. 15, 16 et 25). Ces avantages existent non seulement dans le cas d’un recours collectif ordinaire, mais également dans celui d’un recours collectif inversé, où des demandeurs poursuivent un groupe de défendeurs. Le recours collectif contre un groupe de défendeurs ou d’intimés est décrit comme étant [traduction] « [...] un moyen d’offrir aux demandeurs un recours exécutoire lorsqu’il est par ailleurs impossible d’assurer la présence de tous les défendeurs potentiels et de veiller à ce que les personnes touchées par l’issue d’une action en justice soient suffisamment protégées, malgré leur absence » (Chippewas, par. 16 et 17).

[20] Les recours collectifs ordinaires visent à mettre sur le même pied les demandeurs vulnérables et les entreprises bien nanties. À l’inverse, les recours collectifs inversés permettent aux puissantes entreprises de réclamer une indemnité auprès de personnes beaucoup moins puissantes. Quoi qu’il en soit, le recours collectif inversé peut favoriser l’économie judiciaire en réduisant « les répercussions financières liées aux frais de défense » pour les membres du groupe et en atténuant la pression exercée sur eux pour parvenir à un règlement (Salna, au para 115).

[21] Dans la décision Marcinkiewicz, le juge Paul Perell de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a approuvé cinq principes directeurs servant à déterminer s’il convient d’autoriser un recours collectif inversé (au para 186, citant William E. McNally et Barbara E. Cotton, « Guiding Principles Regarding the Constitution of a Representative Defendant and a Defendant Class in a Class Actions Proceeding » (2003), 27 Advocates’ Quarterly 114) :

[traduction]

(1) Lorsqu’elle examine si un représentant défendeur et un recours collectif contre un groupe de défendeurs devraient être constitués, la cour devrait d’abord vérifier si le groupe de défendeurs proposé a un intérêt commun.

(2) De plus, lorsqu’il peut y avoir différents moyens de défense, le recours collectif liant les futurs défendeurs ne convient pas.

(3) Lorsqu’elle examine si un représentant défendeur et un recours collectif contre un groupe de défendeurs devraient être constitués, la cour devrait d’abord vérifier si le représentant défendeur opposerait vraisemblablement une défense vigoureuse à l’action. On dit souvent de ce principe qu’il s’agit de l’exigence pour la cour de s’assurer que le représentant défendeur « mettra raisonnablement le droit à l’épreuve ».

(4) Les directives énoncées dans l’arrêt John v. Rees and Others [[1914] 2 K.B. 930 (C.A.)] selon lesquelles les recours collectifs sont intentés principalement pour la bonne administration de la justice sont primordiales. Il s’agit d’un principe fondamental qui guide les cours.

(5) La cour ne doit pas accorder une grande importance au refus du défendeur nommé d’agir comme représentant si elle est convaincue que ce dernier défendra vigoureusement les intérêts du groupe.

[22] Le fait que le représentant défendeur est choisi par le demandeur pour représenter le groupe, souvent contre sa volonté, est une difficulté importante dans le contexte des recours collectifs inversés. Toutefois, bien que l’absence d’un représentant consentant ou volontaire puisse être fatale à l’autorisation d’un recours collectif ordinaire, cet obstacle ne se présentera pas dans le cas d’un recours collectif inversé pourvu que le représentant défende vigoureusement les intérêts communs du groupe proposé (Chippewas, aux para 45-46).

[23] Il y a un risque que tous les membres du groupe de défendeurs se retirent, ce qui réduirait la taille du groupe à zéro. Toutefois, on ne peut présumer que tous les membres du groupe se retireront, même s’il y a de bonnes chances que cela arrive. Le retrait de l’autorisation est une option possible, quoiqu’instruire une requête en autorisation contestée et l’accueillir, pour ensuite retirer l’autorisation du recours collectif, serait un gaspillage des ressources judiciaires et des ressources des parties au litige – le problème que les recours collectifs inversés visent précisément à régler (Salna, au para 114).

IV. Les questions en litige

[24] Dans l’arrêt Salna, les seules questions que la CAF a renvoyées à la Cour pour décision consistent à savoir a) si le recours collectif envisagé est le meilleur moyen de régler le litige et b) si M. Salna est un représentant défendeur convenable.

V. Analyse

[25] Le critère applicable à l’autorisation d’un recours collectif envisagé est énoncé au paragraphe 334.16(1) des Règles :

334.16 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le juge autorise une instance comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies :

a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux-ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;

e) il existe un représentant demandeur qui :

(i) représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe,

(ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement,

(iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs,

(iv) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier.

334.16 (1) Subject to subsection (3), a judge shall, by order, certify a proceeding as a class proceeding if

(a) the pleadings disclose a reasonable cause of action;

(b) there is an identifiable class of two or more persons;

(c) the claims of the class members raise common questions of law or fact, whether or not those common questions predominate over questions affecting only individual members;

(d) a class proceeding is the preferable procedure for the just and efficient resolution of the common questions of law or fact; and

(e) there is a representative plaintiff or applicant who

(i) would fairly would fairly and adequately represent the interests of the class,

(ii) has prepared a plan for the proceeding that sets out a workable method of advancing the proceeding on behalf of the class and of notifying class members as to how the proceeding is progressing,

(iii) does not have, on the common questions of law or fact, an interest that is in conflict with the interests of other class members, and

(iv) provides a summary of any agreements respecting fees and disbursements between the representative plaintiff of application and the solicitor of record.

A. Le meilleur moyen

[26] Le demandeur qui sollicite l’autorisation du recours collectif doit démontrer que la conclusion selon laquelle le recours est le meilleur moyen de régler les questions communes est étayée d’un certain fondement factuel. Les tribunaux doivent effectuer cette évaluation « à la lumière des trois principaux objectifs du recours collectif : l’économie des ressources judiciaires, la modification des comportements et l’accès à la justice » (Salna, au para 105, citant AIC Limitée c Fischer, 2013 CSC 69 au para 22).

[27] Le critère du meilleur moyen comporte deux concepts fondamentaux : a) la question de savoir si le recours collectif serait un moyen juste, efficace et pratique de faire progresser l’instance; b) la question de savoir si le recours collectif serait préférable à tous les autres moyens raisonnables offerts pour régler les réclamations des membres du groupe. Pour répondre à ces questions, il faut examiner les questions communes dans leur contexte, en tenant compte de l’importance des questions communes par rapport à la demande dans son ensemble. Il peut être satisfait au critère du meilleur moyen même lorsqu’il y a d’importantes questions individuelles; il n’est pas nécessaire que les questions communes prévalent sur les questions individuelles (Salna, au para 105, citant Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 au para 77 [Wenham] et Brake c Canada (Procureur général), 2019 CAF 274 au para 85).

[28] Il est erroné en droit de tenir compte des doutes sur le plan relatif à la poursuite de l’instance dans l’analyse servant à décider s’il s’agit du meilleur moyen. Cette analyse suppose un examen général dans le cadre duquel il faut se demander si le recours collectif est le meilleur moyen de régler les questions. En revanche, l’analyse du plan relatif à la poursuite de l’instance appelle un examen spécifique, dans le cadre duquel il faut se demander, dans le cas où le recours collectif est la meilleure procédure, s’il existe un plan organisationnel efficace pour poursuivre l’instance (Salna, au para 108).

[29] L’analyse servant à décider s’il s’agit du meilleur moyen consiste à soupeser les avantages et les inconvénients des différentes procédures pour établir, à la lumière des objectifs des recours collectifs, celle qui serait préférable pour répondre aux questions de fait ou de droit. Exceptionnellement, il se peut que l’analyse du plan proposé relativement à la poursuite de l’instance soit permise si un détail précis du plan devient particulièrement pertinent pour l’analyse du meilleur moyen, par exemple s’il porte sur l’un des facteurs potentiellement pertinents énoncés au paragraphe 334.16(2) des Règles (Salna, au para 109).

[30] Voltage a recensé de nombreuses adresses IP qui auraient servi à la violation de ses droits d’auteur sur les œuvres. Dans l’arrêt Salna, la CAF a reconnu qu’il pourrait être difficile d’identifier les abonnés à un compte Internet associés à ces adresses IP. Bon nombre de membres potentiels pourraient être exclus du groupe proposé étant donné que les FSI peuvent conserver les données durant une période maximale de six mois. Cependant, même une faible proportion de ces adresses IP pourrait permettre d’identifier des centaines de contrefacteurs potentiels (Salna, au para 112).

[31] Dans l’analyse servant à déterminer si le recours collectif est le meilleur moyen, il est important d’envisager l’aspect pratique de la réunion d’un grand nombre de demandes individuelles et de tenir compte des conséquences, pour l’administration de la justice, découlant de la production de déclarations dans un nombre même limité de ces instances, y compris sur l’administration des tribunaux, les ressources judiciaires et les ressources des parties. Les mécanismes permettant d’exécuter des jugements par défaut et la faisabilité de cette mesure doivent également être pris en compte (Salna, au para 112).

[32] La CAF conclut précédemment que, « [d]ans de telles circonstances, où il existe de multiples défendeurs, chacun pouvant être condamné à verser une faible somme d’argent, un recours collectif est un “moyen juste, efficace et pratique de faire progresser l’instance” » (Salna, aux para 115-116, citant Wenham, au para 77) :

[...] Les recours collectifs permettent de diminuer les répercussions financières liées aux frais de défense, car les membres du groupe font appel aux mêmes avocats et témoins experts et divisent entre eux le paiement des honoraires. Cet allègement du fardeau financier peut aussi atténuer la pression que ressentent les membres du groupe pour en venir à un règlement avant une décision au fond.

De plus, un recours collectif permet le règlement de certaines questions juridiques. En outre, si la situation personnelle de divers membres du groupe joue au cas par cas sur la responsabilité, les Règles des Cours fédérales prévoient un mécanisme permettant de trancher ces questions individuelles ou se rapportant à un groupe restreint (articles 334.26 et 334.27). Un règlement commun ou un cadre de règlement visant même quelques points de fait et de droit communs permet d’économiser des ressources judiciaires et de limiter les issues contradictoires susceptibles de découler d’actions similaires intentées individuellement.

[33] Le juge Boswell, tout comme la CAF subséquemment, disposait de peu d’éléments de preuve dans le cadre de la première requête en autorisation quant à la taille et à la composition approximatives du groupe proposé, particulièrement compte tenu du fait que sa « nature [...] ne cess[ait] de changer » (Salna, au para 118). Faute de preuve sur la façon dont l’appartenance au groupe devait être établie et maintenue, et sur l’envergure du groupe, la CAF n’a pas été en mesure de déterminer si un recours collectif serait préférable à d’autres options raisonnables. Il en était ainsi parce que l’analyse du meilleur moyen diffère selon la taille du groupe. La Cour n’a pas besoin de connaître le nombre exact de membres ni les limites précises du groupe. Elle doit toutefois pouvoir conclure, sur le fondement d’une certaine preuve, que le recours collectif est la meilleure procédure (Salna, aux para 118-119).

[34] En date du 16 septembre 2022, il y avait moins de 1 000 membres potentiels, c’est-à-dire des abonnés à un compte Internet qui auraient violé les droits d’auteur de Voltage sur les œuvres au cours de la période précédente de six mois. Selon Voltage, si la requête en autorisation avait été tranchée plus tôt, le groupe de défendeurs aurait pu compter des dizaines de milliers de contrefacteurs. Voltage a affirmé qu’à un certain moment, le groupe aurait pu compter plus de 55 000 personnes.

[35] Par conséquent, Voltage soutient que sa requête en autorisation ne devrait pas être limitée à un groupe de défendeurs de moins de 1 000 personnes. À son avis, le groupe devrait être beaucoup plus nombreux [traduction] « compte tenu de la valeur de précédent de la requête et par égard pour la Cour et les autres parties (comme les FSI intervenantes) qui devraient composer avec un groupe beaucoup plus important ».

[36] Même si l’on estime que le groupe de défendeurs compte 874 membres, je suis d’avis que Voltage a démontré que la conclusion selon laquelle le recours collectif est la meilleure procédure est étayée d’un « certain fondement factuel ».

[37] Le recours collectif permettra de trancher des questions communes sur le fondement d’un seul ensemble d’actes de procédure. Les questions communes seront tranchées sur la foi de la preuve commune, y compris la preuve d’expert. Les membres du groupe de défendeurs peuvent mettre en commun les ressources pour financer leur défense et faire valoir une thèse concertée avec l’aide de l’avocat du groupe. Le risque de jugements contradictoires est ainsi réduit.

[38] Le recours collectif peut protéger l’anonymat des défendeurs dans une plus grande mesure. Ils peuvent choisir de s’identifier seulement auprès de l’avocat du groupe. À l’inverse, dans le cas de demandes individuelles, dont celles introduites contre plusieurs défendeurs, chaque défendeur devra être désigné par son nom à moins que la Cour rende une ordonnance de confidentialité.

[39] Autre avantage majeur du recours collectif inversé : le règlement doit être approuvé par la Cour. Il s’agit d’une mesure de protection importante contre les « trolls de droits d’auteur », qui font pression sur les défendeurs pour qu’ils règlent des demandes non fondées au risque de devoir payer des frais de litige importants.

[40] M. Salna prévient que les innombrables questions individuelles supplanteront inévitablement les questions communes et rendront le recours collectif ingérable. Les intervenantes soutiennent que les questions communes seront vraisemblablement limitées à l’existence du droit d’auteur de Voltage sur les œuvres et à la fiabilité de la méthode utilisée pour détecter les téléversements et téléchargements non autorisés. Des évaluations individuelles devront être effectuées pour déterminer la culpabilité de chacun des défendeurs, ou voir s’il y a erreur sur la personne, et le montant des dommages‐intérêts, s’il en est.

[41] M. Salna et les intervenantes soulignent que, selon l’un des principes directeurs approuvés par le juge Perell dans la décision Marcinkiewicz, [traduction] « lorsqu’il peut y avoir différents moyens de défense, le recours collectif liant les futurs défendeurs ne convient pas » (aux para 186, 188).

[42] Cette affirmation doit être nuancée par les observations de la CAF dans l’arrêt Salna (aux para 102-104) :

[...] Certes, multiplier les exercices d’appréciation de faits individuels complique la gestion d’un recours collectif, mais il faut se demander si l’autorisation du recours favorise les trois principaux objectifs d’un recours collectif : l’économie des ressources judiciaires, la modification des comportements et l’accès à la justice (Fischer, par. 22). Même la résolution d’une seule question, parmi de nombreuses autres, pourrait permettre de réaliser ces objectifs, par exemple, en éliminant les issues contradictoires susceptibles de survenir lorsque différents juges sont appelés à répondre à la même question, ainsi qu’en réduisant les ressources judiciaires consacrées à l’analyse de cette seule question.

Je ne trouve pas convaincantes les conjectures à l’égard d’une identification erronée ou de l’existence possible de plusieurs scénarios factuels différents. Deuxièmement, les dispositions des Règles des Cours fédérales applicables aux recours collectifs sont empreintes d’une certaine souplesse, en ce sens que ces dernières prévoient de nombreuses solutions pour régler des questions individuelles qui pourraient survenir (Brake, par. 92). Il s’agit notamment de la création de sous-groupes reposant sur des scénarios fondés sur des faits similaires (paragraphe 334.16(3)) et d’un processus d’évaluation individuelle supervisé par la Cour (article 334.26). De plus, si le recours collectif lancé devient ingérable, les Règles des Cours fédérales permettent la modification des actes de procédure, voire le retrait de l’autorisation si les conditions d’autorisation ne sont plus respectées (article 334.19).

La même réponse est donnée à l’argument selon lequel les réparations prévues par la loi demandées par Voltage nécessiteront une évaluation individuelle (voir le mémoire des faits et du droit des appelants en réponse à l’appel incident, aux sous-paragraphes 43d) et e)) [citant l’art 334.18a) des Règles].

[43] À la lumière des directives données par la CAF dans l’arrêt Salna, je suis convaincu que les conjectures au sujet de l’existence possible de plusieurs scénarios factuels différents ne l’emportent pas sur les avantages d’un recours collectif inversé dans les circonstances. Si le recours collectif devient ingérable, il sera alors possible de faire modifier l’ordonnance d’autorisation ou de demander en dernier ressort le retrait de l’autorisation (art 334.19 des Règles). À cette étape de l’instance, Voltage s’est acquittée du fardeau de démontrer que la conclusion selon laquelle le recours collectif est préférable aux actions individuelles ou à la réunion d’instances est étayée d’un « certain fondement factuel ».

[44] Comme autre solution de rechange au recours collectif inversé, M. Salna a proposé une ordonnance de blocage de sites. Voltage a reconnu qu’il pourrait valoir la peine d’explorer cette voie, mais aucune des parties n’a étudié cette possibilité en profondeur. Une ordonnance de blocage de sites ne permettrait pas à Voltage de recouvrer des dommages‐intérêts, et il est donc peu probable (mais pas impossible) qu’il s’agirait d’une solution de rechange viable à un recours collectif dans l’analyse du meilleur moyen fondée sur l’alinéa 334.16(1)d) des Règles. Quoi qu’il en soit, cette solution de rechange n’a pas été suffisamment étudiée par les parties pour permettre à la Cour de conclure que l’ordonnance de blocage de sites est préférable au recours collectif inversé en l’espèce.

B. Le représentant défendeur

[45] M. Salna s’oppose à être nommé représentant défendeur pour plusieurs motifs. Il fait valoir qu’il n’a pas la motivation pour défendre les intérêts de tous les membres du groupe de défendeurs et qu’il n’existe aucun mécanisme pour garantir le paiement des honoraires et débours de l’avocat du groupe. Il prévient que des conflits d’intérêts entre lui et d’autres membres du groupe pourraient se produire.

[46] M. Salna fait remarquer que les membres du groupe pourraient se retirer en nombre suffisant pour compromettre le recours collectif et qu’il n’aura pas la possibilité de demander une contribution ou une indemnité pour les frais qu’il aura assumés.

[47] Les intervenantes affirment que se conformer au plan relatif à la poursuite de l’instance proposé par Voltage les forceront à revoir la conception de leurs systèmes, ce qui sera onéreux et perturbera leur relation avec leurs abonnés. Elles soutiennent également que l’utilisation du régime d’avis et avis de la Loi sur le droit d’auteur proposée par Voltage pour contraindre les FSI à aviser les membres du groupe de l’autorisation et du déroulement du recours collectif n’est pas autorisée par la loi et est donc illégale.

(1) Les honoraires de l’avocat du groupe et les conflits d’intérêts

[48] Selon M. Salna, s’il est finalement jugé responsable de la violation du droit d’auteur, il sera, [traduction] « dans le pire des cas », obligé de verser des dommages‐intérêts équivalant à une « contravention de stationnement ». Il n’y a rien dans le plan relatif à la poursuite de l’instance pour lui garantir que les frais seront divisés entre les membres du groupe, ni rien pour alléger le fardeau financier du litige qui repose sur lui personnellement. Il affirme qu’il serait manifestement injuste et juridiquement indéfendable de la part de la Cour de l’obliger à assumer l’entièreté des frais d’une défense vigoureuse au nom du groupe de défendeurs.

[49] Les frais qu’est susceptible d’entraîner l’opposition d’une défense aux allégations de Voltage peuvent être considérables et pourraient notamment être nécessaires pour :

  • a)retenir les services d’un ou de plusieurs experts pour évaluer la fiabilité du logiciel d’analyse technique de Voltage;

  • b)faire valoir une thèse ou un exposé des faits sur les questions communes qui pourraient ne pas concerner la situation personnelle de M. Salna mais qui profiteraient au groupe (par exemple, la « question commune » proposée par Voltage quant à savoir si la défense fondée sur l’utilisation équitable est valable);

  • c)retenir les services de l’avocat du groupe de défendeurs et à payer ses honoraires afin qu’il gère et vérifie les questions liées au recours en cours d’instruction, notamment : (i) superviser le site Web associé au recours collectif proposé par Voltage, (ii) répondre aux questions, rassembler la preuve ou obtenir les instructions des membres du groupe intéressés avant le procès, (iii) gérer les retraits et en faire le suivi et (iv) s’occuper de la gestion de l’instance au nom du groupe, comme mettre en œuvre le plan relatif à la poursuite de l’instance, constituer des sous‐groupes au besoin ou présenter une requête en vue de faire retirer l’autorisation du recours si trop de membres se sont retirés.

[50] M. Salna affirme qu’il vaudrait mieux pour lui d’opposer une défense aux réclamations de Voltage sans retenir les services d’un avocat, ou de ne pas s’opposer à la tenue d’un procès sur les questions communes et risquer d’être condamné à payer l’équivalent d’une [traduction] « contravention de stationnement ». L’une ou l’autre de ces approches n’appelle pas une défense vigoureuse ni une représentation efficace du groupe de défendeurs. En effet, la dernière option créerait un conflit d’intérêts entre M. Salna et les autres membres du groupe.

[51] Voltage fait valoir que l’absence de motivation de M. Salna ne fait pas obstacle à l’autorisation. M. Salna s’est révélé tout sauf désintéressé de l’instance, et il a été très procédurier tout au long du litige. Il a interjeté appel de l’ordonnance d’adjudication des dépens prononcée dans le cadre de la première requête en autorisation avant que Voltage n’interjette appel de la décision au fond, ce qui a fait en sorte que Voltage s’est retrouvée appelante dans l’appel incident dans l’affaire Salna. M. Salna a également déposé une requête en réexamen de la décision de la CAF, qui a été rejetée. Il a cherché à obtenir l’autorisation d’interjeter appel de l’arrêt Salna devant la Cour suprême du Canada, mais celle‐ci lui a été refusée. M. Salna a démontré un vif intérêt pour l’instance depuis son introduction et s’est constitué une solide défense.

[52] Dans l’arrêt Salna, la CAF n’a pas adhéré à la conclusion du juge Boswell selon laquelle l’autorisation devait être refusée parce que M. Salna n’avait pas la motivation financière pour opposer une défense au nom du groupe. La CAF a conclu que, suivant cette conclusion, aucun représentant ne serait considéré comme convenable dans un recours collectif inversé dans les cas où les répercussions pécuniaires sont modestes.

[53] Jusqu’à présent, M. Salna s’est montré habile à se défendre vigoureusement dans le cadre du recours collectif inversé envisagé. Si cela devait changer à l’avenir, il pourrait être nécessaire de nommer d’autres représentants du groupe.

[54] La question du paiement des honoraires et débours de l’avocat du groupe est d’une importance capitale. Si elle n’est pas suffisamment détaillée dans le plan relatif à la poursuite de l’instance, le recours pourrait ne pas être autorisé. Toutefois, il ne s’agit pas en soi d’un obstacle à la nomination d’un représentant défendeur hésitant qui s’est montré capable de défendre vigoureusement et raisonnablement les intérêts du groupe dans son ensemble.

(2) Le recours au mécanisme de retrait

[55] Dans l’arrêt Salna, la CAF a souligné que la possibilité de se retirer du recours collectif est prévue à l’alinéa 334.17(1)f) et à l’article 334.21 des Règles et ne justifie pas le refus de l’autorisation (au para 114, citant Chippewas, aux para 34, 37 et Berry, au para 46). Compte tenu de cette observation, notre Cour a peu de latitude pour refuser l’autorisation au motif que le groupe de défendeurs pourrait finalement être trop petit pour être viable.

[56] Les questions de cette nature peuvent être traitées dans le cadre de la gestion de l’instance au besoin. Si la taille du groupe de défendeurs est finalement trop petite, il sera alors possible de demander le retrait de l’autorisation.

(3) Les coûts et les inconvénients pour les FSI

[57] La preuve présentée par toutes les intervenantes est essentiellement semblable et n’a pas été contestée par Voltage au contre-interrogatoire. Cette dernière exhorte toutefois la Cour à ne pas accepter d’emblée les déclarations générales sur les coûts et les inconvénients que le plan relatif à la poursuite de l’instance causerait aux FSI.

[58] Selon la preuve par affidavit présentée par les FSI, les systèmes de ces derniers ont été conçus pour transmettre uniquement les avis de prétendue violation conformes à la Loi sur le droit d’auteur. Chaque système est différent, et tous ne sont pas automatisés. Grosso modo, les systèmes des FSI sont conçus pour :

  • (a)recevoir l’avis de prétendue violation défini par la Loi sur le droit d’auteur;

  • (b)traiter l’information et procéder à la validation initiale;

  • (c)trouver l’adresse de courriel de l’abonné en question au moment en question à partir de l’adresse IP fournie dans l’avis;

  • (d)transmettre l’avis de prétendue violation à l’abonné;

  • (e)informer l’expéditeur de l’avis que l’avis a été transmis ou la raison pour laquelle il n’a pas être transmis;

  • (f)conserver les dossiers pertinents pendant six mois ou un an.

[59] Les intervenantes soulèvent une objection au plan de Voltage relatif à la poursuite de l’instance. Ce plan les obligerait à transmettre un « avis d’autorisation » du recours collectif. Le plan relatif à la poursuite de l’instance prévoit également que Voltage peut demander aux FSI de [traduction] « conserver les données sur l’identité de leurs abonnés jusqu’après la décision finale au fond (et dans tout appel) ». Dans sa plaidoirie, l’avocat de Voltage a reconnu que la conservation des données portant sur les abonnés au-delà de toute période prévue dans la Loi sur le droit d’auteur nécessiterait une ordonnance judiciaire.

[60] Selon le plan de Voltage relatif à la poursuite de l’instance, les FSI transmettraient des « avis d’ordonnance » au besoin. Les membres du groupe de défendeurs qui n’y répondent pas seraient identifiés par les FSI au moyen d’une ordonnance de type Norwich. Voltage accepte de rembourser aux FSI les frais raisonnables qu’ils assumeront pour répondre à de telles demandes, mais ne s’engage pas à acquitter les autres dépenses susceptibles d’incomber aux FSI pendant l’instruction du recours collectif.

[61] Selon les intervenantes, si elles sont tenues de conserver les données relatives à leurs abonnés à l’égard de la présente instance et d’autres recours collectifs, elles devront : (a) stocker toutes les données relatives à l’ensemble de leur clientèle pendant des années, ce qui n’est pas réaliste; (b) modifier leurs logiciels complexes et bases de données connexes pour leur permettre de conserver automatiquement les données rétroactives indiquées par Voltage; ou (c) procéder manuellement à la conservation des données de clients, possiblement par milliers. L’achat des outils nécessaires de stockage fiables en double sera onéreux et prendra du temps, tout comme la modification des logiciels complexes.

[62] Plus précisément, pour satisfaire au plan de Voltage relatif à la poursuite de l’instance, les FSI devront modifier leurs systèmes informatiques pour leur permettre de traiter les éléments suivants :

  • (a)texte supplémentaire : le modèle d’avis d’autorisation comporte deux pages d’introduction en plus de l’ordonnance d’autorisation proposée;

  • (b)numéros de référence : chaque communication avec un abonné doit comporter un numéro de référence unique que le FSI doit ensuite communiquer à Voltage;

  • (c)pièces jointes : s’il faut assortir les avis de documents juridiques, il faudra remanier complètement les systèmes, ce qui risque de réduire l’efficacité des mesures visant à contrer l’envoi de pourriels ou de maliciels.

[63] Les intervenantes soulèvent également des réserves quant aux communications avec les abonnés sur le déroulement de l’instance qui excèdent carrément la portée du régime d’avis et avis. Les abonnés à qui sont transmis des avis d’autorisation sont susceptibles de croire que leur FSI les accuse à tort de violation du droit d’auteur ou qu’il privilégie les titulaires du droit d’auteur au détriment de ses propres clients. Bon nombre de clients communiqueront avec leur FSI pour se plaindre ou demander des conseils ou des renseignements à cet égard. Le volume d’appels augmentera, ce qui nécessitera un nombre accru d’agents du service à la clientèle qui devront suivre une formation plus complexe portant sur les discussions juridiques de nature sensible. Ces coûts ne sont pas envisagés dans le plan de Voltage relatif à la poursuite de l’instance.

[64] Selon les intervenantes, le plan de Voltage relatif à la poursuite de l’instance, s’il est approuvé, est susceptible de motiver des clients à changer de fournisseur de services ou à donner des coordonnées fictives pour se soustraire à toute responsabilité. Des coordonnées fictives empêcheraient les FSI de communiquer avec leurs clients à propos de leurs comptes ou des offres de services additionnelles, ce qui nuirait à leurs activités.

[65] Si le régime d’avis et avis prévu à la Loi sur le droit d’auteur pouvait se prêter à la démarche proposée par Voltage, les réserves des FSI à propos des coûts et des inconvénients pourraient être traitées dans un plan révisé relatif à la poursuite de l’instance. Les FSI auraient la possibilité de recouvrer auprès de Voltage les frais engagés qui excèdent ceux qui résultent forcément de l’application du régime d’avis et avis (Rogers aux para 52 à 53). Toutefois, et nous y revenons plus loin, le recours proposé par Voltage au régime d’avis et avis pour poursuivre le recours collectif n’est pas permis par la Loi sur le droit d’auteur ni par le droit. Il n’est donc pas nécessaire de tirer des conclusions définitives sur les réserves des FSI à propos des coûts, des inconvénients ou des perturbations possibles des rapports avec leurs abonnés.

(4) Le recours au régime d’avis et avis

[66] L’article 41.25 de la Loi sur le droit d’auteur est ainsi rédigé :

Avis de prétendue violation

41.25 (1) Le titulaire d’un droit d’auteur sur une oeuvre ou tout autre objet du droit d’auteur peut envoyer un avis de prétendue violation à la personne qui fournit, selon le cas :

a) dans le cadre de la prestation de services liés à l’exploitation d’Internet ou d’un autre réseau numérique, les moyens de télécommunication par lesquels l’emplacement électronique qui fait l’objet de la prétendue violation est connecté à Internet ou à tout autre réseau numérique;

b) en vue du stockage visé au paragraphe 31.1(4), la mémoire numérique qui est utilisée pour l’emplacement électronique en cause;

c) un outil de repérage au sens du paragraphe 41.27(5).

Forme de l’avis

(2) L’avis de prétendue violation est établi par écrit, en la forme éventuellement prévue par règlement, et, en outre :

a) précise les nom et adresse du demandeur et contient tout autre renseignement prévu par règlement qui permet la communication avec lui;

b) identifie l’oeuvre ou l’autre objet du droit d’auteur auquel la prétendue violation se rapporte;

c) déclare les intérêts ou droits du demandeur à l’égard de l’oeuvre ou de l’autre objet visé;

d) précise les données de localisation de l’emplacement électronique qui fait l’objet de la prétendue violation;

e) précise la prétendue violation;

f) précise la date et l’heure de la commission de la prétendue violation;

g) contient, le cas échéant, tout autre renseignement prévu par règlement.

Contenu interdit

(3) Toutefois, il ne peut contenir les éléments suivants :

a) une offre visant le règlement de la prétendue violation;

b) une demande ou exigence, relative à cette prétendue violation, visant le versement de paiements ou l’obtention de renseignements personnels;

c) un renvoi, notamment au moyen d’un hyperlien, à une telle offre, demande ou exigence;

d) tout autre renseignement prévu par règlement, le cas échéant.

Notice of claimed infringement

41.25 (1) An owner of the copyright in a work or other subject-matter may send a notice of claimed infringement to a person who provides

(a) the means, in the course of providing services related to the operation of the Internet or another digital network, of telecommunication through which the electronic location that is the subject of the claim of infringement is connected to the Internet or another digital network;

(b) for the purpose set out in subsection 31.1(4), the digital memory that is used for the electronic location to which the claim of infringement relates; or

(c) an information location tool as defined in subsection 41.27(5).

Form and content of notice

(2) A notice of claimed infringement shall be in writing in the form, if any, prescribed by regulation and shall

(a) state the claimant’s name and address and any other particulars prescribed by regulation that enable communication with the claimant;

(b) identify the work or other subject-matter to which the claimed infringement relates;

(c) state the claimant’s interest or right with respect to the copyright in the work or other subject-matter;

(d) specify the location data for the electronic location to which the claimed infringement relates;

(e) specify the infringement that is claimed;

(f) specify the date and time of the commission of the claimed infringement; and

(g) contain any other information that may be prescribed by regulation.

Prohibited content

(3) A notice of claimed infringement shall not contain

(a) an offer to settle the claimed infringement;

(b) a request or demand, made in relation to the claimed infringement, for payment or for personal information;

(c) a reference, including by way of hyperlink, to such an offer, request or demand; and

(d) any other information that may be prescribed by regulation.

[67] Aux termes du paragraphe 41.25(2) de la Loi sur le droit d’auteur, le titulaire du droit d’auteur peut préparer un « avis de prétendue violation » dont la teneur est prescrite. Les FSI sont tenus de transmettre des avis valides à leurs abonnés et de consigner les renseignements permettant d’identifier les destinataires visés pendant six mois. Si le titulaire du droit d’auteur intente une instance judiciaire et avise le FSI dans les six mois, la période de rétention des renseignements est prolongée et dure un an. Le titulaire du droit d’auteur peut alors solliciter une ordonnance de type Norwich pour découvrir l’identité des destinataires (Rogers au para 24).

[68] Dans la décision Voltage, le juge Boswell conclut que le recours proposé par Voltage au régime d’avis et avis « impose un fardeau excessif aux FSI et interprète à mauvais droit l’intention du Parlement de concilier les droits des intéressés » (Salna, para 127, renvoyant à la décision Voltage aux para 147 à 148). La CAF, selon qui conclure ainsi était « prématuré et conjectural », arrive à la conclusion suivante (au para 128) :

[...] La Cour fédérale n’a pas procédé à l’exercice d’interprétation législative nécessaire pour répondre à cette question. Il ressort d’un examen sommaire du texte de loi, de l’historique législatif et du Hansard qu’il faut procéder à une analyse pour déterminer l’effet du régime d’avis et avis. Se limite-t-il à disculper les FSI qui hébergent une œuvre contrefaite, a-t-il simplement un objet « moralisateur » d’informer le public de sa responsabilité de ne pas commettre de violation ou s’agit-il d’un outil permettant aux titulaires de droits d’auteur de faire valoir leurs droits? Cette analyse doit s’effectuer selon les principes établis d’interprétation légale (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 1998 CanLII 837 (CSC); 1704604 Ontario Ltd. c. Pointes Protection Association, 2020 CSC 22).

[69] La CAF accepte que le régime d’avis et avis ne se veuille pas un cadre exhaustif servant à faire obstacle à toutes les violations du droit d’auteur en ligne (Salna au para 129, renvoyant à Rogers au para 24). Elle poursuit ainsi aux paragraphes 129 à 131 :

[. . .] Or, l’affaire Rogers a été tranchée avant les modifications apportées à l’article 41.26 en 2018, lorsque le législateur a précisé que l’avis ne devait pas inclure une offre visant le règlement, une demande ou exigence visant le versement de paiements ou l’obtention de renseignements personnels ou un renvoi à une telle offre, demande ou exigence (projet de loi C-86, Loi no 2 d’exécution du budget de 2018, L.C. 2018, ch. 27). Parallèlement, la modification proposant un avis rédigé dans la forme prévue par règlement a été rejetée au motif que le régime devrait laisser la possibilité de mettre au point des « solutions provenant du marché » (Décret fixant à la date qui tombe six mois après la date de publication du présent décret la date d’entrée en vigueur de certaines dispositions de la Loi sur le droit d’auteur, TR/2014-58, Partie II de la Gazette du Canada, vol. 148, no 14, le 2 juillet 2014, p. 2121 et 2122).

[130] La CIPPIC affirme qu’en restreignant le contenu de l’avis, le législateur avait l’intention d’empêcher le régime de servir d’interface aux recours civils pour violation du droit d’auteur. Voltage réplique que, dans ce cas, l’article 41.26 de la Loi sur le droit d’auteur ne vise qu’à dégager les FSI de toute responsabilité liée à la contrefaçon et ne fait rien pour protéger les titulaires de droits d’auteur.

[131] Il est évident que les fins auxquelles le législateur destinait l’article 41.26 de la Loi n’ont pas encore été déterminées, et cette question nécessite une argumentation complète ainsi qu’un contexte factuel. Sans connaître les fins précises envisagées, il était prématuré et conjectural pour la Cour fédérale de conclure que les avis prévus à l’article 41.26 de la Loi outrepassaient les pouvoirs conférés par la loi et imposeraient un fardeau excessif aux FSI. Les questions d’interprétation législative qui nécessitent une compréhension du contexte ne devraient pas être tranchées dans un vide factuel.

[70] La CAF fait remarquer que la jurisprudence sur la portée de l’article 46.26 de la Loi sur le droit d’auteur est rare et manque de précision sur la teneur et l’emploi des avis. Selon cette cour, la participation des FSI à la présente instance à titre d’intervenants serait le meilleur moyen de traiter les préoccupations de ces derniers sur l’emploi du régime d’avis et avis (Salna aux para 132 à 133).

[71] Le plan relatif à la poursuite de l’instance de Voltage dépend en grande partie du régime d’avis et avis pour la signification et la poursuite du recours collectif. Les intervenantes démentent la thèse de Voltage selon laquelle elle pourrait recourir au régime d’avis et avis prévu dans la Loi sur le droit d’auteur pour exiger des FSI qu’ils procèdent à la signification pour son compte et à leurs frais.

[72] En 2018, la Loi sur le droit d’auteur a été modifiée. La modification a interdit certains renseignements dans l’avis. Selon les intervenantes, la modification avait pour objet les éléments suivants :

  • (a)empêcher que le régime soit perverti pour forcer un règlement (projet de loi C-86 : Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 27 février 2018 et mettant en œuvre d’autres mesures, 2e lecture, Débats de la Chambre des communes, 42-1, no 350 (6 novembre 2018) p 23351 (David Lametti); projet de loi C-86, étape du rapport, Débats de la Chambre des communes, 42-1, n359 (27 novembre 2018) p 24020 (David Lametti));

  • (b)empêcher que l’on « contourne le processus judiciaire établi relativement à la divulgation des renseignements sur les abonnés dans le contexte de poursuites pour violation du droit d’auteur » (Foire aux questions : modifications législatives à la Loi sur le droit d’auteur (avis et avis) (31 octobre 2018), en ligne : Innovation, Sciences et Développement Économique du Canada < https://ised-isde.canada.ca/site/secteur-politique-strategique/fr/politique-dencadrement-marche/politique-droit-dauteur/foire-aux-questions-modifications-legislatives-loi-droit-dauteur-avis-avis);

  • (c)normaliser la forme des avis et réduire ainsi les frais de conformité au régime que doivent supporter les FSI (projet de loi C-86, étape du rapport, Débats de la Chambre des communes, 42-1, no 359 (27 novembre 2018) p 24020 (David Lametti); projet de loi C-86, 2e lecture, Débats de la Chambre des communes, 42-1, no 350 (6 novembre 2018) p 23351 (David Lametti).

[73] Les intervenantes se plaignent du plan relatif à la poursuite de l’instance de Voltage qui obligera les FSI à transmettre des documents judiciaires non autorisés par la Loi sur le droit d’auteur et à stocker les renseignements sur leurs abonnés pendant une période supérieure à celle prévue dans cette loi. La Loi mentionne expressément un « avis de prétendue violation » qui signale au destinataire une activité soupçonnée de constituer une violation détectée par le titulaire du droit d’auteur (art 41.26(1)). Une ordonnance d’autorisation sert un objet tout autre. Elle définit la nature du litige et mentionne les droits des parties sur le plan procédural.

[74] Partant, les intervenantes sont d’avis que Voltage est tenue de solliciter une ordonnance de type Norwich et de procéder elle-même à la signification aux membres du groupe de défendeurs suivant la procédure normale. Selon elles, le texte, le contexte et l’historique législatif des articles 41.25 et 41.26 de la Loi sur le droit d’auteur démontrent que les FSI sont tenus de transmettre des avis de prétendue violation pour informer les abonnés que leur compte Internet est associé à des activités susceptibles d’avoir violé le droit d’auteur. Le régime d’avis et avis ne joue aucun rôle dans les actions ultérieures que les titulaires de droit d’auteur prennent pour faire valoir leurs droits devant les tribunaux.

[75] En réponse, Voltage affirme que le recours au régime d’avis et avis pour l’envoi des avis d’autorisation qu’elle propose est conforme au souhait du législateur quant à des solutions issues du « marché » et n’impose aucune obligation aux FSI outre celles que prévoit déjà la loi. Voltage invoque le paragraphe 53 de l’arrêt de la CAF dans l’affaire Salna :

Enfin, aucun élément de preuve n’indique que l’utilisation proposée par Voltage du régime d’avis et avis ne convenait pas ou qu’elle aurait accablé de travail les FSI. Chaque mois, les FSI envoient automatiquement de 200 000 à 300 000 avis (Rogers, par. 40). Voltage affirme qu’elle devrait être autorisée à utiliser ce régime de manière novatrice, étant donné que la politique qui sous-tend le régime d’avis et avis de la Loi sur le droit d’auteur encourage le marché à trouver des solutions qui dépassent le cadre de la loi afin de réprimer la violation du droit d’auteur.

[76] Voltage soutient que les systèmes automatisés des FSI seront incapables de distinguer un avis de prétendue violation de celui qui annonce un recours collectif pour la violation en question et informe des étapes subséquentes. Tous les avis seront traités de la même manière : ils seront transmis directement à l’abonné conformément à l’article 41.26 de la Loi sur le droit d’auteur ou emporteront un résultat « négatif », à savoir une confirmation que l’avis n’a pas été transmis. Seuls les avis dits « positifs » serviront à définir le groupe.

[77] Selon Voltage, le législateur entendait accorder aux titulaires du droit d’auteur une grande liberté lorsqu’il s’agit de choisir le message à transmettre aux personnes soupçonnées d’avoir violé le droit d’auteur. Il n’a pas prescrit de limites quant à la forme des avis de prétendue violation sous le régime d’avis et avis, et ce malgré les observations présentées par les FSI. Il ressort de l’obligation de conservation de données que le législateur entendait que le régime d’avis et avis serve en cas de litige. Par conséquent, Voltage estime qu’un avis d’autorisation « s’inscrit tout naturellement » dans le cadre de la procédure existante d’avis et avis.

[78] Je ne suis pas d’accord. À mon avis, l’avis de prétendue violation prévu à la Loi sur le droit d’auteur doit recevoir une interprétation stricte. Le paragraphe 41.25(2) prévoit la teneur de l’avis, tandis que le paragraphe 41.26(1) établit une distinction nette entre un avis anonyme de prétendue violation et les étapes d’un litige qui s’ensuit. La conservation des données ne sert qu’à rassembler « [d]es preuves [qui] pourraient servir plus tard si une action en justice était intentée » (projet de loi C-11 : Loi sur la modernisation du droit d’auteur, 2e lecture, Débats de la Chambre des communes, 41-1, no 78 (10 février 2012) p 5127 (Scott Armstrong)).

[79] Les dispositions de la Loi sur le droit d’auteur qui prévoient le régime d’avis et avis ne contraignent pas les FSI à prendre des mesures pour empêcher ou limiter la violation du droit d’auteur. Si le législateur avait voulu que les FSI participent activement à limiter les actes de violation du droit d’auteur, ou que les avis contiennent des renseignements sur les instances judiciaires ou soient assortis de documents sur l’instruction du litige ou autres documents judiciaires, il l’aurait prévu en termes exprès. Pour citer l’avocat du CIPPIC :

[traduction]

Si le législateur avait voulu que le régime d’avis et avis entraîne des conséquences pour les contrevenants, il aurait pu prévoir l’inclusion dans les avis de clauses donnant lieu à un recours, imposer des obligations légales aux abonnés destinataires ou prévoir d’autres mécanismes d’application de la loi (voire des pénalités pour les abonnés ayant reçu plus d’un avis). Le législateur n’en a rien fait. Le régime d’avis et avis prévu dans la Loi sur le droit d’auteur interdit l’inclusion dans les avis d’offres de règlement ou de demandes, et la Loi n’impose pas de pénalité aux abonnés ni ne les oblige à faire quoi que ce soit à la réception de l’avis.

[80] Si la CAF dans l’arrêt Salna mentionne des solutions issues du « marché », on ne sait si elle renvoie à la teneur des avis transmis en application de l’article 41.26 de la Loi sur le droit d’auteur, ou à des solutions visant à lutter contre la violation du droit d’auteur qui dépassent le cadre de la loi (au para 129). Quoi qu’il en soit, toute solution innovatrice issue du marché ne saurait contrevenir aux dispositions légales.

[81] Dans l’arrêt Rogers, la Cour suprême du Canada, à la lumière de l’historique législatif du régime d’avis et avis, arrive à la conclusion que ce dernier avait deux objets complémentaires, à savoir (1) dissuader la violation en ligne du droit d’auteur; (2) établir un équilibre entre les droits des parties intéressées (au para 22). Elle poursuit en ces termes (au para 24) :

Toutefois, le régime d’avis et avis n’avait pas pour but d’établir un cadre exhaustif au moyen duquel les cas de violation en ligne du droit d’auteur pourraient être totalement éliminés. Comme l’a expliqué une représentante de Rogers devant le comité de la Chambre des communes qui examinait ce qui allait devenir la Loi sur la modernisation du droit d’auteur, « le processus d’avis et avis n’est pas une solution miracle; ce n’est que la première étape d’un processus permettant aux titulaires de droit de poursuivre ceux qui violeraient ces droits. [. . .] [Le titulaire du droit] peut ensuite s’en servir quand il décide de poursuivre le contrevenant allégué » (Chambre des communes, Comité législatif chargé du projet de loi C‐32, Témoignages, no 19, 3e sess., 40e lég., 22 mars 2011, p. 10). C’est pourquoi, comme je l’ai expliqué, le titulaire du droit d’auteur qui souhaite poursuivre une personne qui aurait violé son droit en ligne doit obtenir une ordonnance de type Norwich pour obliger le FSI à lui communiquer l’identité de cette personne. Le régime législatif d’avis et avis n’a pas écarté cette exigence; il fonctionne de concert avec elle. Cela est confirmé par l’al. 41.26(1)b), qui prévoit que le titulaire du droit d’auteur peut poursuivre une personne qui reçoit un avis dans le cadre du régime, et établit l’obligation du FSI de conserver le registre permettant d’identifier cette personne pendant une certaine période suivant la réception de cet avis.

[82] Le recours au régime d’avis et avis aux fins d’instruction du litige que propose Voltage ne s’inscrit pas dans les deux objets énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Rogers. Le plan relatif à la poursuite de l’instance proposé par Voltage transforme la fonction de dissuasion en une fonction d’application de la loi, ce qui modifie l’équilibre instauré par le régime.

[83] La conclusion de la Cour suprême est exprimée en termes impératifs : le titulaire du droit d’auteur qui souhaite poursuivre une personne qui aurait violé son droit en ligne doit obtenir une ordonnance de type Norwich pour obliger le FSI à lui communiquer l’identité de cette personne. (Rogers au para 24). Le régime légal d’avis et avis ne supplante pas une telle exigence.

[84] Le juge William Pentney reconnaît ce fait dans la décision ME2 Productions, Inc c M. Untel, [ME2], où il conclut que l’avis est un avertissement visant à faire cesser l’activité contrefaisante et peut « servir de fondement à la présentation d’une action en violation du droit d’auteur » (au para 36). Il rappelle la conclusion de la Cour suprême selon laquelle « le régime d’avis et avis n’a pas supplanté l’exigence d’obtenir une ordonnance de type Norwich pour forcer la divulgation, mais “fonctionne de concert avec elle’ » (ME2 au para 41).

[85] Le recours au régime d’avis et avis que propose Voltage ne respecte pas l’article 41.25(3) de la Loi sur le droit d’auteur. Le plan relatif à la poursuite de l’instance est donc irréalisable. Tout particulièrement, l’« avis d’autorisation » qu’elle propose comporte des éléments qui ne doivent pas être transmis dans le cadre du régime d’avis et avis. Il s’agit des éléments suivants :

  • (a)l’exigence que les destinataires d’avis cliquent sur un hyperlien menant à un site Web qui les obligera sans doute à communiquer des renseignements personnels permettant à l’avocat représentant le groupe de communiquer avec eux;

  • (b)l’exigence que les destinataires d’avis transmettent leurs renseignements personnels à un compte courriel pour se retirer du groupe, ce qui révélera, non seulement leur adresse de courriel et leur nom, mais également toutes les métadonnées contenues dans le courriel;

  • (c)l’exigence que les destinataires d’avis communiquent avec l’avocat représentant le groupe pour prouver que la prétendue violation a pris fin, assortie d’une menace que toute omission sera retenue contre eux;

  • (d)la possibilité de se retirer du recours et de démontrer que la prétendue violation a pris fin ainsi que des mesures d’atténuation du préjudice, qui sont contraires à la disposition interdisant l’offre de règlement dans l’avis.

[86] Partant, la requête en autorisation doit être rejetée au motif que le plan ne propose pas de méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement (sous-al 334.16(1)e)(ii)).

(5) Modifications au plan relatif à la poursuite de l’instance

[87] Les recours collectifs peuvent être des instances complexes et dynamiques. Il convient au juge chargé de la gestion de l’instance d’être proactif et de faire preuve de souplesse. Il doit toujours être ouvert aux modifications touchant des aspects comme la définition du groupe, les points communs et le plan relatif à la poursuite de l’instance, tout en demeurant un arbitre neutre lorsqu’il détermine si ces conditions ont été remplies (Buffalo c Nation crie Samson, 2010 CAF 165 aux para 12 et 13).

[88] Le recours collectif envisagé ne peut être autorisé à l’heure actuelle. Toutefois, il demeure loisible à Voltage de présenter un plan révisé relatif à la poursuite de l’instance qui corrige les principales lacunes décelées dans les présents motifs, à savoir (a) le paiement des services de l’avocat représentant le groupe et (b) la méthode choisie pour identifier les membres du groupe de défendeurs et pour communiquer avec eux.

[89] Dans l’affaire Condon c Canada, 2018 CF 522, la juge Jocelyne Gagné (plus tard juge en chef adjointe) affirme, à propos de l’importance d’assurer une rémunération suffisante aux avocats qui défendent les recours collectifs (au para 91) :

Notre Cour et d’autres tribunaux du pays ont reconnu que la viabilité du régime des recours collectifs est tributaire du travail d’avocats à l’esprit d’entreprise qui acceptent de mener ces batailles, et dont la rémunération doit être à l’avenant. La rémunération doit être suffisante pour [traduction] « donner aux avocats un incitatif financier réel qui les convaincra d’intenter un recours collectif et de le mener à bien ». [Renvois omis]

[90] Ce principe s’applique tout autant dans le cadre d’un recours collectif inversé. La plupart des préoccupations de M. Salna, voire toutes, à propos de son rôle de représentant des défendeurs dans l’instance découlent de l’insuffisance des fonds à cet égard.

[91] Le régime d’avis et avis prévu à la Loi sur le droit d’auteur peut servir à informer les membres du groupe que leurs activités de violation sont connues de Voltage. Une campagne publicitaire ciblée pourrait les persuader de révéler leur identité de manière confidentielle à l’avocat du groupe. Une ordonnance de type Norwich peut être obtenue pour révéler l’identité des membres récalcitrants du groupe, qui seront avisés du recours collectif selon la procédure suivie dans l’instance Voltage Holdings, LLC c M. Untel no 1, 2022 CF 827.

[92] Aux prises avec le risque réel d’être nommé à titre de défendeur dans une action individuelle, il se peut que les membres du groupe, forts des conseils de l’avocat représentant le groupe, reconnaissent l’intérêt d’une contribution modeste à une défense commune. Ceux qui sont le plus exposés pourraient voir les bienfaits d’une contribution proportionnelle à leur risque de responsabilité.

[93] Au bout du compte, Voltage se trouve dans la meilleure situation pour déterminer si le plan relatif à la poursuite de l’instance peut être modifié et, auquel cas, en quoi il peut l’être. Toutefois, le plan révisé doit prévoir des fonds suffisants pour le paiement des services de l’avocat représentant le groupe ainsi qu’un mécanisme pour aviser les membres du groupe de l’autorisation et du déroulement du recours collectif qui ne soit pas le régime d’avis et avis prévu à la Loi sur le droit d’auteur.

VI. Dépens

[94] En règle générale, la requête en autorisation ne donne pas lieu à l’adjudication des dépens, sauf à de rares exceptions. L’article 334.39 des Règles est ainsi libellé :

334.39(1) Sous réserve du paragraphe (2), les dépens ne sont adjugés contre une partie à une requête en vue de faire autoriser l’instance comme recours collectif, à un recours collectif ou à un appel découlant d’un recours collectif, que dans les cas suivants:

a) sa conduite a eu pour effet de prolonger inutilement la durée de l’instance;

b) une mesure prise par elle au cours de l’instance était inappropriée, vexatoire ou inutile ou a été effectuée de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

c) des circonstances exceptionnelles font en sorte qu’il serait injuste d’en priver la partie qui a eu gain de cause.

(2) La Cour a le pouvoir discrétionnaire d’adjuger les dépens qui sont liés aux décisions portant sur les réclamations individuelles de membres du groupe.

334.39(1) Subject to subsection (2), no costs may be awarded against any party to a motion for certification of a proceeding as a class proceeding, to a class proceeding or to an appeal arising from a class proceeding, unless

(a) the conduct of the party unnecessarily lengthened the duration of the proceeding;

(b) any step in the proceeding by the party was improper, vexatious or unnecessary or was taken through negligence, mistake or excessive caution; or

(c) exceptional circumstances make it unjust to deprive the successful party of costs.

(2) The Court has full discretion to award costs with respect to the determination of the individual claims of a class member.

[95] Le principe de non-adjudication des dépens s’applique dès lors que les parties à une action sont constituées parties à la requête en autorisation (Campbell c Canada (Procureur général), 2012 CAF 45 [Campbell]).

[96] Le 2 février 2017, le juge Boswell a accueilli la requête en cautionnement pour les dépens présentée par M. Salna à hauteur de 75 000 $ (Voltage Pictures, LLC c Salna, 2017 CF 130). Le 15 novembre 2017, la CAF a rejeté l’appel interjeté par Voltage de l’ordonnance ayant accordé le cautionnement pour les dépens (Voltage Pictures, LLC c Salna, 2017 CAF 221 [ordonnance confirmant le cautionnement]).

[97] La juge Mary Gleason de la CAF conclut qu’il était loisible à notre Cour, en vertu de l’alinéa 334.39(1)c) des Règles, d’ordonner le cautionnement pour les dépens, car le recours collectif inversé envisagé appartient aux circonstances exceptionnelles. Selon elle, les préoccupations relatives à l’accès à la justice qui justifient le principe de non-adjudication des dépens qui s’applique par défaut aux recours collectifs ne jouent pas en l’espèce (ordonnance confirmant le cautionnement, au para 12) :

En outre, aucune des préoccupations relatives à l’accès à la justice à l’origine du régime a priori sans dépens prévu par les Règles dans le cas de recours collectifs ne milite contre le prononcé d’une ordonnance de cautionnement en l’espèce. Les appelantes semblent tout à fait aptes à intenter leur action; elles étaient d’ailleurs représentées devant notre Cour par deux avocats mandatés. De plus, elles ont refusé de présenter en preuve des renseignements qui indiqueraient si elles ont les moyens de se faire représenter par un avocat ou de verser le cautionnement pour les dépens exigé. En revanche, l’intimé et d’autres membres du groupe proposé auront vraisemblablement du mal à payer leurs honoraires d’avocat. [...]

[98] Selon Voltage, la requête ne devrait pas donner lieu à des dépens. Elle affirme qu’il n’existe pas de « circonstances exceptionnelles », car le comportement d’aucune des parties n’est inapproprié ou odieux ou ne commande une telle mesure (citant Campbell, au para 46; Drover v BCE Inc, 2013 BCSC 50; Nation crie de Samson c Nation crie de Samson (Chef et conseil), 2008 CF 1308; Samos Investments Inc v Pattison, 2002 BCCA 442). Elle prétend qu’un recours collectif inversé ne saurait constituer des circonstances exceptionnelles, car ce type d’instance est prévu expressément dans les Règles; partant il est assujetti au principe de non-adjudication des dépens énoncé à l’article 334.39 des Règles.

[99] Invoquant le principe d’interprétation législative ejusdem generis, Voltage affirme que le terme « circonstances exceptionnelles » doit être interprété à la lumière des autres exceptions énumérées à l’article 334.39 des Règles. Les autres exceptions intéressent le comportement qui prolonge inutilement l’instance et toute mesure inappropriée, vexatoire ou inutile ou effectuée de manière négligente, par erreur ou avec une circonspection excessive. Par conséquent, Voltage soutient que le terme « circonstances exceptionnelles » figurant à l’alinéa 334.39(1)c) renvoie à une catégorie générale de comportements répréhensibles non visés par les autres exceptions.

[100] M. Salna fait remarquer que Voltage a invoqué cet argument précis devant la CAF, et la juge Gleason l’a rejeté d’emblée dans l’ordonnance ayant confirmé le cautionnement. Je conviens que la CAF reconnaît ainsi expressément qu’il est loisible à notre Cour d’adjuger les dépens à un représentant défendeur dans un recours collectif inversé au titre de l’alinéa 334.39(1)c) au motif que l’instance même appartient aux circonstances exceptionnelles (ordonnance confirmant le cautionnement, au para 8).

[101] L’observation suivante de la CAF, énoncée dans l’arrêt Campbell au paragraphe 26, s’applique en l’espèce, mais à l’envers :

Les obstacles financiers existeraient si les représentants des demandeurs étaient pleinement exposés à un régime bilatéral de dépens (la partie perdante paie la partie gagnante). Cette solution créerait un obstacle en raison du fait que la plupart des demandeurs seraient exposés à des risques de pertes substantielles en termes de dépens même s’ils avaient comparativement peu à gagner au cas où le tribunal ferait droit au recours collectif.

[102] M. Salna sollicite les dépens sur la base avocat-client. Selon lui, la Cour devrait exercer le pouvoir discrétionnaire qui l’habilite à adjuger les dépens d’une manière qui « contribu[e] ainsi à aider les citoyens ordinaires à avoir accès au système juridique lorsqu’ils cherchent à régler des questions qui revêtent de l’importance pour l’ensemble de la collectivité » (Mcewing c Canada (Procureur général), 2013 CF 953 [Mcewing] au para 11, citant Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71 au para 27). Il serait injuste d’obliger M. Salna à payer de sa poche, et une telle issue dissuaderait tout représentant défendeur de participer véritablement à un recours collectif inversé semblable.

[103] M. Salna affirme que sa situation est assimilable à celle d’un plaideur qui se réclame de l’intérêt public, et ce pour diverses raisons : (a) l’affaire fait intervenir des questions dont l’importance s’étend au-delà des intérêts immédiats des parties qui n’ont pas déjà été tranchées; (b) il n’a aucun intérêt personnel, propriétal ou pécuniaire dans le résultat de l’instance; (c) Voltage est davantage en mesure de supporter les dépens de l’instance; et (d) il n’a pas agi d’une façon vexatoire, futile ou abusive (Mcewing aux paras 13 à 17).

[104] Selon M. Salna, il aurait engagé 241 111,33 $ en frais et débours par suite de sa participation à l’instance. Par le ministère de son avocat, M. Salna certifie qu’il a engagé des frais et débours de 101 420,05 $ dans le cadre de l’instruction de la seconde requête en autorisation. Il reconnaît que les frais et débours qu’emportent les instances devant la CAF et la Cour suprême du Canada ne sont pas recouvrables sur ordonnance de notre Cour.

[105] J’estime que les circonstances exceptionnelles que présente l’instance justifient l’adjudication des dépens à M. Salna. Or, je ne crois pas que les dépens avocat-client conviennent en l’espèce.

[106] Pour citer le juge James Russell dans l’affaire Conseil coutumier de la Première Nation Anishinable de Roseau River c Nelson, 2013 CF 180 au paragraphe 63 :

En ce qui concerne les dépens avocat‐client, selon la jurisprudence de la Cour, on devrait n’y condamner que la ou les parties dont la conduite s’est révélée répréhensible, scandaleuse ou outrageante. Est dite répréhensible la conduite qui mérite une réprimande ou un blâme. Le terme « scandaleux » signifie propre à susciter la colère ou l’indignation publiques. Est qualifiée d’outrageante la conduite qui, notamment, s’avère profondément choquante, inacceptable, immorale et injurieuse. Voir la décision Louis Vuitton, précitée, au paragraphe 56. Des raisons d’intérêt public peuvent également fonder une telle ordonnance; voir Mackin c Nouveau‐Brunswick (Ministre de la Justice), 2002 CSC 13, au paragraphe 86.

[107] Selon M. Salna, sa situation est assimilable à celle d’un plaideur d’intérêt public. Or, ce n’est pas tout à fait le cas. On l’a proposé à titre de représentant défendeur seulement après que Voltage a démontré, à la satisfaction de notre Cour, de la CAF et de la Cour suprême du Canada, que son adresse IP avait servi à télécharger ou téléverser les cinq œuvres en question. L’espèce se distingue de la situation inédite – voire unique – qui a donné lieu à l’adjudication des dépens avocat-client en faveur du plaideur d’intérêt public dans l’affaire Friends of the Oldman River Society c Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 RCS 3 à la p 80, 1992 CanLII 110 (voir également les motifs dissidents du juge William Stevenson sur les dépens avocat-client aux pages 88 et 89).

[108] Le paragraphe 400(4) des Règles prévoit expressément la possibilité pour la Cour d’adjuger une somme globale. Il pourrait s’agir d’un moyen de favoriser l’objectif énoncé dans les Règles d’apporter « une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible » (art. 3; Nova Chemicals Corporation c Dow Chemical Company, 2017 CAF 25 [Nova] au para 11). Il incombe à la partie qui sollicite des dépens majorés de démontrer en quoi les circonstances particulières le justifient (Nova aux para 12 et 13).

[109] Selon la CAF, la somme globale adjugée se situe en général dans une fourchette allant de 10 % à 50 % des frais véritablement engagés, la norme tombant entre le quart et le tiers de ces frais. Si une somme supérieure a été adjugée dans certains cas, ces derniers constituent l’exception (Apotex Inc c Shire LLC, 2021 CAF 54 au para 22).

[110] M. Salna n’a rien révélé à la Cour de sa situation financière ni de la source des fonds qu’il a consacrés au litige, de la première audience sur l’autorisation aux appels devant diverses juridictions. Personne ne le dit impécunieux, et on ne sait pas s’il finance l’instance lui-même ou grâce à l’apport d’autrui.

[111] Au vu de toutes les considérations précédentes, tout particulièrement les préoccupations exceptionnelles relatives à l’accès à la justice que soulèvent les recours collectifs inversés, j’exerce le pouvoir discrétionnaire qui m’habilite à adjuger à M. Salna des dépens équivalant à la moitié des frais et débours qu’il a véritablement engagés pour l’instruction de la seconde requête en autorisation. Des dépens de 50 710 $ sont donc adjugés.

VII. Conclusion

[112] Voltage a démontré que sa thèse, selon laquelle le recours collectif est le meilleur moyen de régler les prétentions de violation du droit d’auteur, a un certain fondement factuel.

[113] Sous réserve d’une assurance raisonnable quant au paiement des services de l’avocat représentant le groupe, M. Salna constitue un représentant défendeur convenable.

[114] Le risque que des membres du groupe se retirent en nombre suffisant pour compromettre l’instance est conjectural et peut être géré dans le cadre de la gestion de l’instance.

[115] Les titulaires de droit d’auteur ne peuvent se prévaloir du régime d’avis et avis prévu dans la Loi sur le droit d’auteur pour informer les abonnés des FSI de l’autorisation d’un recours collectif ou de son déroulement. Ce régime ne peut pas non plus servir à fournir aux abonnés la possibilité de se retirer du recours en contrepartie de la preuve de la fin de la violation ou de mesures d’atténuation du préjudice

[116] Compte tenu des lacunes relevées dans le plan relatif à la poursuite de l’instance, le recours collectif proposé ne peut être autorisé à l’heure actuelle. Il est loisible à Voltage de présenter un nouveau plan qui ne recourt pas au régime d’avis et avis prévu à la Loi sur le droit d’auteur pour l’identification des membres du groupe et la communication avec ces derniers et qui prévoit des fonds suffisants pour le paiement des services de l’avocat représentant le groupe.

[117] La Cour adjuge à M. Salna une somme globale de 50 710 $ afférente à la requête.


ORDONNANCE

LA COUR REND L’ORDONNANCE SUIVANTE :

  1. La requête en autorisation du recours collectif proposé est rejetée et peut être modifiée.

  2. Le cautionnement pour dépens de 75 000 $ est remis à Voltage, plus les intérêts et moins le montant des dépens adjugés à Mr. Salna, soit la somme globale de 50 710 $.

« Simon Fothergill »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-662-16

 

INTITULÉ :

VOLTAGE PICTURES, LLC, COBBLER NEVADA, LLC, PTG NEVADA, LLC, CLEAR SKIES NEVADA, LLC, GLACIER ENTERTAINMENT S.A.R.L. OF LUXEMBOURG, GLACIER FILMS 1, LLC, ET FATHERS & DAUGHTERS NEVADA, LLC C ROBERT SALNA, JAMES ROSE ET LOREDANA CERILLI, REPRÉSENTANTS DÉFENDEURS PROPOSÉS, AU NOM DES DÉFENDEURS D’UN RECOURS COLLECTIF ET CLINIQUE D’INTÉRÊT PUBLIC ET DE POLITIQUE D’INTERNET DU CANADA SAMUELSON-GLUSHKO, ET BELL CANADA, COGECO CONNEXION INC., ROGERS COMMUNICATIONS CANADA INC., SASKTEL, TELUS COMMUNICATIONS INC., VIDÉOTRON LTÉE, ET XPLORE INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

les 20 et 21 avril 2023

 

ordonnance et motifs :

le juge FOTHERGILL

 

DATE :

26 juin 2023

 

COMPARUTIONS

Kenneth Clark

Lawrence Veregin

Patrick Copeland

 

pour les demanderesses

 

Sean Zeitz

Ian Klaiman

 

pour les défendeurs

 

David Fewer

pour l’intervenante,

CLINIQUE D’INTÉRÊT PUBLIC ET DE POLITIQUE D’INTERNET DU CANADA SAMUELSON-GLUSHKO

 

Karl Ferland

pour l’intervenante,

VIDÉOTRON LTÉE

 

Barry Sookman

Steven Mason

Richard Lizius

Kendra Levasseur

 

pour les intervenantes,

BELL CANADA, COGECO CONNEXION INC., ROGERS COMMUNICATIONS CANADA INC., SASKTEL, TELUS COMMUNICATIONS INC. ET XPLORE INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Aird & Berlis LLP

Toronto (Ontario)

 

pour les demanderesses

 

Lipman, Zener & Waxman LLP

Toronto (Ontario)

 

pour les défendeurs

 

Me David Fewer

Ottawa (Ontario)

 

pour l’intervenante,

CLINIQUE D’INTÉRÊT PUBLIC ET DE POLITIQUE D’INTERNET DU CANADA SAMUELSON-GLUSHKO

Québecor Média Inc.

Montréal (Québec)

 

Pour l’intervenante,

VIDÉOTRON LTÉE

McCarthy Tétrault LLP S.E.N.C.R.L.

Toronto (Ontario)

pour les intervenantes,

BELL CANADA, COGECO CONNEXION INC., ROGERS COMMUNICATIONS CANADA INC., SASKTEL, TELUS COMMUNICATIONS INC. ET XPLORE INC.

 

 

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