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Date : 20230626


Dossier : IMM-3303-22

Référence : 2023 CF 892

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 juin 2023

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

AMRITPAL SINGH BAINS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie du contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] a confirmé la décision de la Section de l’immigration [la SI] selon laquelle le demandeur est interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Pour les motifs exposés ci-dessous, je rejetterai la présente demande.

Contexte

[3] Le demandeur, Amritpal Singh Bains, est un citoyen de l’Inde. Il a été déclaré interdit de territoire en raison de fausses déclarations quant à l’authenticité de son mariage avec SH.

[4] SH est arrivée au Canada à titre d’enfant à charge dans la demande de résidence permanente de sa mère. Son père est décédé en 2004. La mère de SH a obtenu le statut de résidente permanente en 2005.

[5] Les familles du demandeur et de SH sont apparentées. À la suite de discussions entre les deux familles, SH s’est rendue en Inde pour épouser le demandeur en décembre 2006. Les deux époux ont vécu en Inde pendant plusieurs semaines, puis SH est retournée au Canada au début de 2007. En mai 2007, elle a présenté une demande de parrainage pour que le demandeur puisse venir au Canada. Ils ont tous deux été interrogés par un agent des visas en octobre 2007, qui a conclu que leur relation était authentique. Plusieurs jours plus tard, le demandeur a reçu un visa de résident permanent, puis il a obtenu le droit d’établissement au Canada le 13 janvier 2008.

[6] Au début, le couple vivait ensemble dans la maison de l’oncle du demandeur, Jagir. Le 19 janvier 2008, moins d’une semaine après l’arrivée du demandeur au Canada, SH a pris une surdose de somnifères et a été hospitalisée. D’après le témoignage du demandeur, SH lui a dit que la surdose était attribuable au stress qu’elle vivait à cause de ses études et du travail. Par contre, selon le témoignage de SH, elle était déprimée en raison du traitement que lui réservait le demandeur depuis son arrivée au Canada. Le 21 janvier 2008, SH a obtenu son congé de l’hôpital et est allée rester chez son beau-frère, Kuldeep, et sa mère pendant une courte période avant de retourner vivre avec le demandeur chez l’oncle de ce dernier.

[7] Le 11 mars 2008, le demandeur est retourné en Inde afin d’y poursuivre ses études. Selon les déclarations de SH, il est retourné en Inde sans l’informer de ses projets. Toutefois, selon le demandeur, SH était au courant de son départ. Le demandeur est revenu au Canada le 8 septembre 2008. Le couple n’a plus jamais cohabité.

[8] Le 27 août 2008, SH a signé une déclaration solennelle qui a été fournie à l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC]. Elle y affirme, entre autres, qu’au cours des trois semaines qu’il a passées en Inde après le mariage, le demandeur a passé très peu de temps avec elle. De plus, dans les deux ou trois jours suivant son arrivée au Canada, il a demandé à vivre séparément, car il n’était pas prêt pour la vie conjugale et ses parents l’avaient forcé à se marier. SH a également déclaré qu’elle croyait que le demandeur s’était servi d’elle pour venir au Canada et qu’il n’avait aucune intention de vivre avec elle dans le cadre d’une relation conjugale. Elle a ajouté qu’il l’avait flouée, ainsi que sa famille et les autorités canadiennes de l’immigration. Elle a par la suite déposé un affidavit à cet égard, souscrit le 19 avril 2015.

[9] Le 3 mai 2010, SH a demandé le divorce, qui a été accordé en avril 2011.

[10] Les déclarations sous serment de SH ont mené à l’établissement du rapport d’interdiction de territoire visé à l’article 44 de la LIPR.

[11] La SI a tenu une enquête en octobre 2015 et a déclaré le demandeur interdit de territoire pour fausses déclarations en raison de l’invraisemblance et du caractère déraisonnable de son témoignage. Elle a jugé que « [l]es déclarations [du demandeur] concernant sa relation avec [SH] et l’échec de leur relation [n’étaient] ni vraisemblables ni raisonnables » et que son témoignage était « contradictoire, vague et truffé d’invraisemblances ».

[12] Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SI devant la SAI, qui a rejeté l’appel dans une décision datée du 3 novembre 2017. La SAI a conclu que le témoignage du demandeur soulevait de nombreuses préoccupations importantes quant à la crédibilité et que ce dernier n’était pas crédible. Elle a jugé que le mariage n’était pas authentique et qu’il visait principalement à faciliter son immigration au Canada.

[13] Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de la décision de la SAI. La juge Southcott, de la Cour fédérale, a conclu que la décision de la SAI n’était pas raisonnable sur un point précis, à savoir que la SAI n’avait pas tenu compte d’un élément de preuve corroborant d’une tierce partie qui, à première vue, semblait contredire directement un aspect du témoignage de SH. Il s’agissait plus précisément du témoignage de l’oncle du demandeur selon lequel SH avait conduit le demandeur à l’aéroport le 11 mars 2008 (Bains c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 659 [Bains]). L’affaire a été renvoyée à la SAI pour nouvelle décision.

[14] À la suite d’une audience de novo qui s’est déroulée sur 10 jours, de 2019 à 2021, la SAI a conclu, dans une décision datée du 25 mars 2022, que la mesure de renvoi prise contre le demandeur était valide en droit. En outre, selon la prépondérance des probabilités, il n’y avait pas suffisamment de considérations d’ordre humanitaire, vu les autres circonstances de l’espèce, pour justifier la prise de mesures de spéciales en faveur du demandeur.

Décision faisant l’objet du contrôle

[15] La décision de la SAI compte 93 pages et contient 362 paragraphes. Il n’est pas nécessaire de résumer la totalité de son analyse en l’espèce.

[16] Cependant, après le résumé de l’historique des procédures que je viens d’exposer, je suis d’avis que le contexte fourni par la SAI est important et, pour cette raison, je le reproduis ci-dessous :

[5] Il y a deux questions à trancher en l’espèce :

• La décision de la SI était-elle valide en droit?

• Dans l’affirmative, y a-t-il, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales en faveur de l’appelant?

[6] J’ai eu l’occasion d’entendre le témoignage de SH dans le cadre du présent appel, de même que celui de l’appelant et de plusieurs témoins. Je mentionne d’entrée de jeu que ni l’appelant, ni SH ni aucun des témoins n’étaient crédibles, pour des motifs que j’expose en détail plus bas.

[7] Malgré ma conclusion générale selon laquelle aucun des témoins n’était crédible, en cas de contradiction entre les témoignages, j’ai privilégié celui de SH, car contrairement à celui de l’appelant, son témoignage au sujet d’événements importants survenus dans le cadre du mariage « sonnait juste », surtout pour ce qui est des événements antérieurs à septembre 2008. Le témoignage de SH était plus vraisemblable et plus conforme au bon sens que celui de l’appelant et de ses témoins.

[8] Je suis décideuse depuis de nombreuses années, et je ne me souviens pas d’avoir instruit une affaire où chaque témoignage était si peu fiable. Cela rend mon travail extrêmement difficile. De fait, l’absence de clarté et de cohérence des éléments de preuve en l’espèce est troublante. C’est pour cette raison que j’ai choisi de me fier davantage aux éléments de preuve documentaire objectifs concomitants, dans la mesure du possible, car j’estime qu’ils sont beaucoup plus éclairants, et qu’ils sont moins susceptibles d’être manipulés.

[9] Un nombre considérable d’éléments de preuve ont été présentés en l’espèce, mais certains brillaient par leur absence, principalement des éléments de preuve objectifs montrant que l’appelant a déployé des efforts crédibles et de bonne foi pour sauver son mariage après son départ pour l’Inde en mars 2008, ainsi que des éléments de preuve montrant qu’il s’est déjà investi dans la relation.

[10] En outre, j’estime que la conduite des gens en dit souvent plus long sur leurs intentions que ce qu’ils disent. Dans la présente affaire, les gestes sont plus éloquents que les paroles.

[11] De surcroît, deux autres commissaires ont trouvé tout à fait invraisemblable la version des faits présentée par l’appelant et les membres de sa famille. Comme il s’agit d’une audience de novo, je dois effectuer ma propre évaluation de la preuve, indépendante de celle menée par d’autres commissaires. Mon évaluation est fondée sur les éléments de preuve produits à l’audience et sur les observations présentées par les parties. Cependant, après avoir entendu l’appelant, ses témoins et SH, et compte tenu des observations présentées au sujet de ces éléments de preuve, j’ai moi aussi conclu que l’appelant est interdit de territoire pour fausses déclarations.

[12] L’unique chose qui me paraît claire en l’espèce, à l’issue de plusieurs jours d’audience et après examen de milliers de pages d’éléments de preuve, c’est que l’appelant n’a jamais eu l’intention de contracter un mariage authentique avec SH. Un examen de ce qui s’est passé dans les jours suivant l’obtention par l’appelant du droit d’établissement au Canada étaye cette conclusion. Pendant son propre témoignage, SH a admis avoir tenté de s’enlever la vie par une surdose de comprimés parce qu’elle était désespérée après que l’appelant lui a dit, quelques jours après avoir obtenu le droit d’établissement, qu’il ne voulait pas être marié avec elle. Cela a provoqué une rupture entre les familles; des frères et sœurs ne s’adressent plus la parole.

[13] Quelque chose d’important s’est produit. L’explication de SH concernant ce qui s’est passé lorsque l’appelant est venu au Canada est plus logique que la version des faits de l’appelant, et elle est étayée par mon évaluation de la preuve.

[14] La Cour m’a enjoint de préciser quelle version je privilégie. Je privilégie celle de SH, aussi imparfaite soit-elle. Cela m’amène à conclure que SH croyait que son mariage avec l’appelant était authentique, mais que l’appelant a contracté le mariage avec SH principalement à des fins d’immigration. La conduite de l’appelant montre qu’il a prétendu s’investir dans le mariage au début, mais que, après qu’il a obtenu le droit d’établissement, ses efforts sont devenus, au mieux, chancelants.

[15] Le témoignage de l’appelant ne concordait pas avec son témoignage antérieur ni avec ses documents, et le témoignage de ses témoins était exagéré, intéressé et peu fiable.

[16] Une vision globale de la preuve et un examen attentif des actes de l’appelant après qu’il a obtenu le droit d’établissement au Canada m’amènent à conclure que l’appelant s’est servi de SH et de sa famille pour obtenir la résidence permanente grâce à son mariage avec SH. Il s’agit d’une fausse déclaration directe. La mesure d’exclusion est valide en droit.

[17] Je conclus également qu’il n’y a pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales en faveur de l’appelant. L’appel est rejeté.

Questions en litige et norme de contrôle applicable

[17] Selon le demandeur, les questions en litige en l’espèce sont celles de savoir si la SAI a commis une erreur dans ses conclusions ou dans les évaluations qu’elle a effectuées au titre des alinéas 67(1)a), b) et c) de la LIPR. Ces questions relèvent toutes de la question fondamentale qui est de savoir si la décision de la SAI était raisonnable.

[18] Les parties soutiennent, et je suis d’accord avec elles, que la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 23, 25). Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour « doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit donc se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci » (Vavilov, au para 99).

Alinéa 67(1)a) – La décision attaquée était-elle erronée en droit, en fait ou en droit et en fait?

[19] Les parties ne s’entendent pas sur le fardeau de la preuve. Le demandeur affirme que la SAI a conclu à juste titre qu’il incombait au ministre d’établir la validité en droit de la mesure de renvoi et de prouver que le demandeur est interdit de territoire pour fausses déclarations, mais qu’elle a commis une erreur en inversant le fardeau de la preuve. Le défendeur affirme quant à lui que la SAI a commis une erreur en concluant que le fardeau reposait sur le ministre en appel, mais que, quoi qu’il en soit, la SAI a conclu à juste titre que le ministre s’était acquitté de son fardeau. J’expose plus en détail les positions des parties ci-après.

La position du demandeur

[20] Le demandeur soutient que la SAI a commis une erreur en concluant que le ministre s’était acquitté de son fardeau. L’alinéa 67(1)a) exige de la SAI qu’elle procède à un examen de novo du dossier original et des nouveaux éléments de preuve, et qu’elle détermine si la mesure de renvoi est valide en droit. Il incombe au ministre d’établir la validité en droit de la mesure de renvoi et d’établir que le demandeur est interdit de territoire pour fausses déclarations. Le demandeur fait valoir que le défendeur ne s’est pas acquitté de son fardeau, car il n’a présenté aucun élément de preuve fiable à l’appui de ses positions et, par conséquent, la SAI a inversé à tort le fardeau en obligeant le demandeur à prouver son innocence. Autrement dit, bien que la SAI ait convenu avec le demandeur que le fardeau de la preuve incombait au ministre, elle n’a pas correctement appliqué le critère puisqu’elle a indûment inversé le fardeau de la preuve. Le demandeur soutient que la position du défendeur – selon laquelle la SAI a commis une erreur en désignant le ministre comme étant celui à qui incombait le fardeau de la preuve, mais selon laquelle la décision était néanmoins raisonnable – est inintelligible. Il était également avantageux pour le défendeur de soutenir que la SAI avait commis une erreur dans son attribution du fardeau de la preuve parce que les [traduction] « nombreuses déclarations antérieures incohérentes [de SH] étaient indéfendables ».

La position du défendeur

[21] Le défendeur soutient que la SAI a commis une erreur en concluant qu’il incombait au ministre de démontrer que le demandeur était interdit de territoire pour fausses déclarations. C’est plutôt à la partie qui interjette appel de la décision de la SI devant la SAI qu’incombe le fardeau de la preuve, comme l’indique le sens ordinaire du libellé des alinéas 67(1)a) et b). Si le ministre a eu gain de cause devant la SI, comme c’était le cas en l’espèce, il n’est pas logique d’exiger de lui qu’il démontre que la SI a commis une erreur. Il va de soi que c’est la partie qui allègue les erreurs dans la procédure de la SI qui doit prouver ces erreurs.

[22] Le fait que la SAI a tenu une audience de novo n’a pas modifié le statut du demandeur lorsqu’il a comparu devant elle – la SI l’avait déclaré interdit de territoire. La nature de novo de l’audience a simplement permis au demandeur de présenter à la SAI, sans restriction, tous les éléments de preuve et tous les arguments qu’il souhaitait présenter. Elle n’a pas changé la nature fondamentale de l’instance, qui est un appel d’une décision de la SI dans le cadre duquel le demandeur devait convaincre la SAI d’annuler la décision de l’instance inférieure pour l’un des motifs énoncés au paragraphe 67(1) de la LIPR. De plus, la SAI s’est appuyée sur la décision Yang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1484 [Yang], mais a mal interprété ce qui est, au mieux, un commentaire ambigu de la Cour dans cette décision. La décision Yang se fonde sur les paragraphes 1 à 5 de la décision Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Amergo, 2018 CF 996 [Amergo], qui porte sur un appel interjeté par le ministre, où il était tout à fait approprié que le fardeau de la preuve incombe à ce dernier. Cela ne veut pas dire que le ministre porte le fardeau de la preuve en tout temps. La décision Hehar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1054 [Hehar], sur laquelle s’appuyait également la décision Yang, concernait la décision d’un agent des visas de rejeter une demande de visa de résident temporaire pour fausses déclarations. Dans cette affaire, la Cour a simplement affirmé que, dans de tels cas, le ministre doit démontrer que le demandeur a fait une présentation erronée sur un fait important. Le défendeur soutient que la décision Hehar n’est aucunement pertinente quant à la question de savoir à qui incombe le fardeau de la preuve dans le cadre d’un appel d’une décision de la SI selon laquelle un résident permanent est interdit de territoire et lorsqu’une mesure de renvoi est prise à l’encontre du demandeur.

Analyse

i. Fardeau de la preuve

[23] Aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, emporte interdiction de territoire pour fausses déclarations le fait de faire, directement ou indirectement, une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi.

[24] Les droits d’appel sont traités à la section 7 de la LIPR. Les paragraphes 63(3) et (5) portent sur le droit d’interjeter appel d’une mesure de renvoi ainsi que sur le droit d’appel du ministre. Les articles 66 et 67 concernent le règlement des appels :

Droit d’appel : mesure de renvoi

(3) Le résident permanent ou la personne protégée peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise en vertu du paragraphe 44(2) ou prise à l’enquête.

[...]

Droit d’appel du ministre

(5) Le ministre peut interjeter appel de la décision de la Section de l’immigration rendue dans le cadre de l’enquête.

Décision

66 Il est statué sur l’appel comme il suit :

a) il y fait droit conformément à l’article 67;

b) il est sursis à la mesure de renvoi conformément à l’article 68;

c) il est rejeté conformément à l’article 69.

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché ‒ des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

Effet

(2) La décision attaquée est cassée; y est substituée celle, accompagnée, le cas échéant, d’une mesure de renvoi, qui aurait dû être rendue, ou l’affaire est renvoyée devant l’instance compétente.

[25] La SAI a examiné la question du fardeau de la preuve à titre préliminaire, en exposant les positions respectives des parties. Elle a cité le paragraphe 23 de la décision Yang et a rejeté l’observation du défendeur selon laquelle la décision est erronée. La SAI a mentionné que, dans le cadre de l’appel de novo, et pour établir que la mesure de renvoi était valide en droit et que le demandeur était interdit de territoire pour fausses déclarations, le ministre s’était appuyé sur les éléments de preuve contenus dans le dossier et sur ceux déposés en appel, y compris le témoignage de SH. Elle a conclu qu’il incombait au ministre de prouver les fausses déclarations et que le ministre s’était acquitté de ce fardeau. De plus, dès lors qu’elle a tiré cette conclusion, il incombait au demandeur de démontrer qu’il y avait des considérations d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales, malgré les fausses déclarations.

[26] Dans la décision Castellon Viera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1086, qui portait sur une décision de la SAI selon laquelle le demandeur était interdit de territoire, la Cour a déclaré ce qui suit :

[10] Il est maintenant établi qu’un appel interjeté devant la SAI est « une audition de novo au sens large » (Kahlon c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1989 ACF no 104, au paragraphe 5 [Kahlon], Mohamed c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 3 CF 90, aux paragraphes 9 à 13 (CA) [Mohamed], Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1963, au paragraphe 8, Ni c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 241, au paragraphe 9, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Savard, 2006 CF 109, au paragraphe 16, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Venegas, 2006 CF 929, au paragraphe 18, et Contreras Mendoza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 934, aux paragraphes 17 à 20 [Contreras Mendoza]).

[11] En conséquence, la compétence de la SAI ne se limite pas au pouvoir de décider si la Section de l’immigration a conclu à juste titre ou de façon raisonnable qu’une personne qui cherche à être admise au Canada appartenait à une catégorie de personnes interdites de territoire. La SAI est plutôt tenue de décider si la personne est effectivement interdite de territoire (décision Mohamed, susmentionnée, décision Kahlon, susmentionnée, et décision Contreras Mendoza, susmentionnée). Contrairement à ce qu’affirme M. Castellon, aucune disposition de la LIPR non plus qu’aucune décision rendue ne restreignent l’exercice de la compétence de novo de la SAI aux situations où de nouveaux éléments de preuve qui n’avaient pas été portés à l’attention de la Section de l’immigration sont présentés.

[...]

[26] Tel qu’il est mentionné plus haut, la compétence de la SAI ne se limite pas à décider si la Section de l’immigration a conclu de façon raisonnable ou à juste titre qu’une personne cherchant à se faire admettre au Canada appartient à une catégorie de personnes interdites de territoire. La SAI doit plutôt décider si la personne est effectivement interdite de territoire (décision Mohamed, susmentionnée, décision Kahlon, susmentionnée, décision Contreras Mendoza, susmentionnée, et Rattan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 32, au paragraphe 7 [Rattan]). En d’autres termes, lorsqu’elle est saisie d’un appel d’une décision de la Section de l’immigration, la SAI se trouve essentiellement dans la même position que celle-ci. Dans le contexte de la présente affaire, cela signifie que la SAI avait pour tâche de décider si M. Castellon était interdit de territoire au Canada, eu égard au critère énoncé à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR et aux règles d’interprétation prévues à l’article 33. Ces règles prévoient de façon non ambiguë que « les faits – actes ou omissions – mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir ».

(Non souligné dans l’original.)

[27] Dans l’arrêt Kahlon c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 104, auquel renvoie la décision Castellon Viera, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit au paragraphe 5 :

Compte tenu de cette décision, j’estime que l’audition d’un appel par la Commission d’appel de l’immigration est une audition de novo au sens large. Encore une fois, je souscris au point de vue exprimé par le juge en chef Thurlow à la page 94 de l’affaire Mohamed.

À mon avis, la question que doit trancher la Commission à l’occasion d’un appel interjeté en vertu de l’article 79 de la Loi ne consiste pas à se demander si la décision administrative d’un agent des visas de rejeter une demande parce que les renseignements portés à sa connaissance indiquaient que la personne sollicitant son admission au Canada appartenait à une catégorie inadmissible a été prise régulièrement. Elle consiste plutôt à déterminer si, au moment de l’instruction de l’appel, la personne en cause fait effectivement partie de la catégorie interdite.

(Non souligné dans l’original; en italique dans l’original.)

(Voir également Petinglay c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1371 au para 27.

[28] La Cour d’appel fédérale a également précisé en quoi consiste un véritable processus de novo : « lorsqu’il y a réexamen de l’affaire de novo, le décideur repart à zéro, c’est-à-dire que la juridiction d’appel ne reçoit pas le dossier de l’instance inférieure et ne prend en compte aucun aspect de la décision initiale » (Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 93 au para 79).

[29] Selon le paragraphe 6(1) des Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230 [les Règles de la SAI], qui était en vigueur lorsque la SAI a rendu la décision attaquée (la version actuelle des Règles de la SAI contient des dispositions similaires : Règles de la Section d’appel de l’immigration, 2022, DORS/2022-277, art 20(2)), la SI devait, pour l’appel de la mesure de renvoi devant la SAI, doit préparer un dossier comportant : a) une table des matières; b) la mesure de renvoi; c) la transcription des débats tenus à l’enquête; d) tout document accepté en preuve à l’enquête; e) les motifs écrits, le cas échéant, de la décision de la SI justifiant la mesure de renvoi.

[30] Il ressort clairement de la jurisprudence et du paragraphe 6(1) des Règles de la SAI que les appels interjetés devant la SAI au titre de l’article 67 de la LIPR ne sont pas de véritables appels de novo. Autrement dit, il s’agit d’appels de novo seulement « au sens large ». La SAI peut rendre sa propre décision et, pour ce faire, elle ne se contente pas d’examiner les motifs de la SI et le dossier dont cette dernière disposait. En appel devant la SAI, les parties peuvent présenter des éléments de preuve et les témoins peuvent témoigner et être contre-interrogés, comme lorsque la SAI a instruit l’affaire dont je suis maintenant saisie.

[31] Quant à l’affaire Yang, sur laquelle la SAI s’est appuyée, ce sont les demandeurs qui avaient interjeté appel devant la SAI. La Cour a jugé que le fardeau de la preuve en appel incombait au ministre. Dans cette affaire, les demandeurs soutenaient que la SAI avait commis une erreur quant au fardeau de la preuve imposé par l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. À l’instar des demandeurs dans la présente affaire , les demandeurs dans l’affaire Yang affirmaient que la SAI avait inversé le fardeau de la preuve. La Cour a déterminé que le fardeau incombait au ministre et a rejeté l’argument selon lequel la SAI avait inversé ce fardeau, déclarant ce qui suit :

[23] Je ne conteste pas qu’il incombe au ministre de prouver une fausse déclaration alléguée au titre de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Amergo, 2018 CF 996 au para 18; Hehar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1054 au para 35). Je reconnais aussi que dans sa formulation, le paragraphe 14 de la décision de la SAI pourrait laisser entendre que la SAI a effectivement imposé aux demandeurs le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils n’ont pas directement ou indirectement fait une présentation erronée sur un fait important quant à un sujet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Cependant, en l’espèce, il ne fait pas de doute qu’il y a eu une fausse déclaration, étant donné que M. Wang a concédé qu’il s’était vu refuser un visa américain à quatre reprises différentes et que sa demande de mise à jour en mai 2013 ne faisait pas état de ces refus. Par ailleurs, lorsque l’extrait invoqué par les demandeurs est remis dans son contexte et que la décision est lue dans son intégralité, je n’ai aucune hésitation à conclure que la SAI a effectué une évaluation approfondie de la preuve soumise par les parties, qu’elle s’est assuré que le ministre avait fourni la preuve requise et qu’elle a raisonnablement conclu que ce dernier s’était acquitté de son fardeau quant à la fausse déclaration et à son importance. En d’autres mots, après avoir examiné la décision et le dossier dont disposait la SAI, je ne crois pas que cette dernière a mal interprété et mal appliqué le fardeau de preuve imposé par l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

[32] Dans la décision Yang, la Cour n’examine pas la question de savoir si, comme le soutient le défendeur, le fardeau de la preuve incombe à la partie qui interjette appel devant la SAI. Elle a toutefois jugé que, dans l’affaire dont elle était saisie, le fardeau de la preuve incombait au ministre, alors que l’appel avait été interjeté par les demandeurs. Par contre, au sujet de l’authenticité du mariage, la Cour a ultérieurement conclu, en renvoyant à la décision Yang, qu’il « incomb[e] au ministre de prouver les fausses déclarations alléguées, tant devant la SI que devant la SAI » (Menjivar Melgar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1490 au para 62).

[33] En l’espèce, les parties ne contestent pas qu’aux fins de l’application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, il incombe au ministre d’établir que le résident permanent ou l’étranger est interdit de territoire pour fausses déclarations. L’objet de l’appel est la décision de la SI à cet égard. Il ressort clairement de la jurisprudence que l’appel devant la SAI ne constitue pas une véritable audience de novo. Toutefois, il est loisible à la SAI d’examiner le dossier dont la SI était saisie ainsi que sa décision, de même que les nouveaux éléments de preuve et témoignages des parties. La SAI n’a pas à se prononcer uniquement sur le caractère raisonnable de la décision de la SI. Elle est tenue de déterminer si de fausses déclarations ont été faites. Ainsi, à mon avis, le point de départ pour déterminer à qui incombe le fardeau de la preuve, lorsqu’il est question de l’alinéa 67(1)a) de la LIPR, doit être le même pour la SI que pour la SAI, c’est-à-dire que la SAI doit « se trouv[er] essentiellement dans la même position que [la SI] » (Castellon Viera, au para 26). Par conséquent, le ministre doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que de fausses déclarations ont été faites. Lorsqu’elle instruit l’appel, la SAI doit tenir compte de la preuve dont disposait la SI ainsi que de tout nouvel élément de preuve présenté par les parties. En se fondant sur l’ensemble de cette preuve et sur les motifs de la SI, la SAI doit déterminer si le ministre s’est acquitté de son fardeau et si le demandeur est interdit de territoire. Autrement dit, en se fondant sur ces deux considérations, la SAI doit déterminer si, au moment où il est disposé de l’appel (c.-à-d. lorsqu’elle rend sa décision), la décision de la SI est valide en droit.

[34] Je conclus qu’à l’audience devant la SAI, le ministre était tenu d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la conclusion d’interdiction de territoire tirée par la SI était valide, compte tenu de l’ensemble de la preuve dont disposait la SAI et de la décision de la SI. La SAI n’a pas commis d’erreur en concluant que le fardeau incombait au ministre.

ii. Inversion du fardeau de la preuve

La position du demandeur

[35] Le demandeur soutient que le ministre n’a appelé aucun témoin pour corroborer sa thèse et que tous les documents sur lesquels le défendeur s’est appuyé proviennent de SH, qui n’a pas été jugée crédible. Le demandeur fait valoir qu’il a fourni des éléments de preuve objectifs démontrant que SH a menti à plusieurs reprises sous serment, notamment aux autorités indiennes, aux autorités canadiennes de l’immigration, à son conseiller familial et à la Cour supérieure de justice de l’Ontario, et qu’elle a induit la SAI en erreur lorsqu’elle a témoigné. De plus, les seuls éléments de preuve présentés par SH, soit des reçus de magasinage et un dossier financier, corroborent le récit du demandeur. La décision de la SAI selon laquelle les gestes sont plus éloquents que les paroles est incompréhensible, étant donné qu’elle disposait de nombreux éléments de preuve démontrant les méfaits de SH. Le demandeur affirme que SH [traduction] « s’est avérée être une menteuse invétérée qui a peu de respect pour l’intégrité de l’administration des tribunaux et des institutions judiciaires ». Elle a refusé de corroborer ses allégations. Le demandeur soutient qu’en revanche, il a « amplement étayé son récit de plusieurs témoignages de vive voix, affidavits/déclarations solennelles et éléments de preuve documentaire objectifs ».

[36] De plus, les raisons pour lesquelles la SAI a privilégié le témoignage de SH – parce que son témoignage concernant les événements importants du mariage sonnait juste – ne satisfont pas à la norme d’intelligibilité énoncée dans l’arrêt Vavilov. La décision ne démontre pas d’analyse rationnelle puisqu’aucun élément de preuve crédible ou fiable n’a été présenté par le ministre pour étayer sa preuve contre le demandeur et que la SAI n’explique pas de manière cohérente comment le défendeur s’est acquitté de son fardeau.

[37] Le demandeur soutient également que la SAI a accordé trop d’importance au fait non contesté selon lequel SH a fait une surdose de somnifères le 19 janvier 2008 et a été hospitalisée pendant deux jours. La SAI a cru le défendeur sur parole lorsqu’il a affirmé que la surdose était une tentative de suicide parce que SH avait l’impression d’être maltraitée par le demandeur. Ce dernier soutient qu’aucun élément de preuve ne démontre que SH a tenté de se suicider et que, si cela était vrai, elle n’aurait pas obtenu son congé de l’hôpital un jour et demi plus tard et ne serait pas revenue vivre avec lui.

La position du défendeur

[38] Le défendeur fait valoir que la SAI a expliqué de manière détaillée, rationnelle et raisonnée toutes ses conclusions, lesquelles ne contiennent aucune lacune. De plus, ses motifs, lus conjointement avec le dossier, expliquent pourquoi la SAI a conclu que les éléments de preuve du demandeur concernant des questions fondamentales clés n’étaient pas dignes de foi. Par conséquent, même si la SAI a commis une erreur en imposant le fardeau de la preuve au ministre, elle a raisonnablement conclu que la preuve étayait sa conclusion sur l’authenticité du mariage. Bien que le demandeur prétende avoir fourni des éléments de preuve objectifs pour démontrer que SH avait menti à plusieurs reprises et que la SAI n’aurait pas dû la croire, cela ne tient pas compte du point essentiel que la SAI a soulevé au début de ses motifs. Plus précisément, elle a conclu que certains aspects du témoignage de SH n’étaient pas crédibles, mais que, pour ce qui est de la question cruciale de son mariage avec le demandeur et de la dissolution de ce mariage, son témoignage était plus crédible que celui du demandeur et des divers témoins qui ont témoigné en sa faveur. Le défendeur soutient qu’il faut faire preuve de retenue envers les conclusions tirées par la SAI quant à la crédibilité.

[39] De plus, aucune des questions à l’égard desquelles le demandeur prétend que SH a menti n’a de rapport avec la question que la SAI devait trancher, à savoir si la preuve étayait la conclusion selon laquelle le demandeur avait fait de fausses déclarations afin d’obtenir le statut de résident permanent au Canada. Comme l’a mentionné la SAI, sa tâche principale consistait à évaluer la preuve relative aux actes et à la conduite du couple jusqu’en septembre 2008, moment où le demandeur est revenu de l’Inde et où SH avait déjà décidé de demander le divorce. Le défendeur résume les conclusions de la SAI en matière de preuve à cet égard et soutient que la SAI a soupesé les versions contradictoires des événements et est parvenue à des conclusions raisonnables. Il affirme que le fait que le demandeur soit en désaccord avec les conclusions ne les rend pas déraisonnables. Les problèmes relevés par le demandeur dans le témoignage de SH sont tous sans importance. Comme l’a indiqué la SAI, chacun des faits allégués est survenu après que le demandeur a obtenu la résidence permanente au moyen de fausses déclarations et n’a aucune incidence sur la question de savoir si le demandeur a contracté le mariage sous de faux prétextes. De plus, il importe peu qu’aucun membre de la famille de SH n’ait témoigné, puisque la SAI disposait d’éléments de preuve qui lui ont permis de conclure que le demandeur était interdit de territoire pour fausses déclarations. Par conséquent, le fait que SH n’a cité aucun témoin ne remet pas en question le caractère raisonnable de la décision de la SAI.

Analyse

[40] Il est important de reconnaître d’emblée que la SAI a le droit de tirer des conclusions quant à la crédibilité et que l’on doit faire preuve de retenue à l’égard de ces conclusions.

[41] Le juge LeBlanc a déclaré ce qui suit dans la décision Yu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 540 :

[13] [...] il est bien établi en droit que les conclusions de la SAI relatives à la crédibilité doivent faire l’objet d’un degré élevé de déférence. La SAI est la mieux placée pour apprécier la crédibilité puisqu’elle a la possibilité d’entendre et de voir le demandeur témoigner de vive voix au cours d’une audience (Barm, au paragraphe 11). Par conséquent, l’importance qu’il faut accorder à cette preuve est également une question sur laquelle elle a le pouvoir de se prononcer (Sanichara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1015, au paragraphe 20, 276 FTR 190 [Sanichara]. Tant et aussi longtemps que les conclusions et les inférences tirées par la SAI sont raisonnables au vu du dossier, il n’y a pas de raison de modifier sa décision (Sanichara, au paragraphe 20).

[42] De même, dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Munoz Pena, 2020 CF 719, le juge Pentney a conclu que la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de l’appréciation de la preuve par la SAI en raison de son rôle de juge des faits (renvoyant à Sivapatham c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 721 au para 12; Pabla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1141 aux para 12–13) et a ajouté ceci :

[30] Le demandeur fait référence à la décision de l’agent de visa et aux incohérences qu’il avait soulevées. Cependant, le rôle de la SAI est de déterminer la crédibilité pendant l’audience. Tant que les conclusions et les inférences tirées par la SAI sont raisonnables à la lumière de la preuve, ses conclusions ne devraient pas être modifiées (Yu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 540 aux paras 13-14). De plus, le rôle de la SAI ne se limite pas à l’équivalent d’un contrôle judiciaire : elle a la compétence « de rendre des décisions sur le fond qui peuvent ou non l’amener à substituer sa propre appréciation à celle de l’agent des visas » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Abdul, 2009 CF 967 au para 30).

[43] Je suis également d’accord avec le défendeur pour dire que le demandeur ne tient pas compte d’une conclusion centrale de la SAI dans ses observations. Comme je le mentionne plus haut, la SAI a conclu qu’aucun des témoins n’était crédible, pour les motifs qu’elle a exposés et décrits en détail dans sa décision. Toutefois, lorsque des éléments de preuve se contredisaient, la SAI a privilégié le témoignage de SH par rapport à celui du demandeur, car il « sonnait juste », en particulier pour ce qui est des événements importants du mariage. En ce qui concerne les événements antérieurs à septembre 2008, le témoignage de SH était plus plausible et conforme au bon sens que celui du demandeur et de ses témoins.

[44] Il ressort clairement des motifs de la SAI qu’elle était parfaitement consciente des éléments de preuve contradictoires et des problèmes de crédibilité qui en résultaient dans l’affaire dont elle était saisie.

[45] Par exemple, la SAI a renvoyé à la décision Bains du juge Southcott, qui avait jugé que sa décision antérieure était déraisonnable parce qu’elle avait omis de prendre en considération un élément de preuve corroborant. Plus précisément, cet élément était le témoignage de l’oncle du demandeur selon lequel SH avait conduit le demandeur à l’aéroport pour qu’il retourne en Inde, ce qui, à première vue, semblait contredire le témoignage de SH selon lequel elle ne savait pas que le demandeur retournait en Inde. La SAI a cité la décision du juge Southcott, dont les paragraphes pertinents sont reproduits ci-dessous :

[18] Ma décision d’accueillir cette demande de contrôle judiciaire repose sur l’argument du demandeur selon lequel la SAI a fait fi d’un élément de preuve pertinent. En arrivant à cette conclusion, je suis conscient de la tâche difficile à laquelle la SAI a dû s’atteler, et du fait qu’elle a dû trancher entre deux versions contradictoires des événements. À ce titre, je suis en désaccord avec l’argument de M. Bain selon lequel la SAI a commis une erreur en négligeant le principe selon lequel le témoignage sous serment d’un demandeur est présumé vrai sauf s’il y a une raison de douter de sa véracité. Ce principe est une règle de droit bien connue (voir Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), au paragraphe 5), mais il n’aide guère M. Bains. En effet, bien que M. Bains ait témoigné devant la SAI, son ex-femme a également fourni un témoignage écrit sous serment qui contredit le témoignage de M. Bains à bien des égards. La SAI devait par conséquent déterminer, en examinant l’appel de M. Bains, laquelle des deux versions des événements était la plus crédible.

[19] La SAI a conclu que le témoignage de l’ex-femme de M. Bains était plus crédible. Les deux parties caractérisent l’analyse de la crédibilité effectuée par la SAI, et celle-ci a tranché en faveur du témoignage de l’ex-femme de M. Bains, selon ses conclusions quant à la plausibilité, c’est-à-dire en ayant conclu que la version des événements de l’ex-femme était plus plausible que celle de M. Bains. M. Bains reconnaît que la SAI a le droit de tirer des conclusions quant à la plausibilité, mais fait valoir que les conclusions de la SAI en l’espèce ne sont pas fondées sur un élément de preuve manifeste ou des faits reconnus comme l’exige la jurisprudence (voir, par exemple, Ansar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1152, au paragraphe 17, et K.K. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 78, au paragraphe 60).

[20] Je suis d’accord avec la caractérisation des parties fondée sur la plausibilité dans l’analyse de la crédibilité de la SAI, et avec la reconnaissance qu’une telle analyse est un outil dont dispose la SAI. En effet, au moment d’examiner deux versions contradictoires des événements, une analyse de la mesure dans laquelle chaque version est cohérente avec le bon sens, en tenant compte des éléments de preuve disponibles et des faits incontestés, peut dans certaines circonstances être le seul moyen dont dispose un décideur administratif pour trancher entre deux versions contradictoires. Néanmoins, il convient également de se demander si l’une ou l’autre des versions des événements est incohérente avec d’autres éléments de preuve, afin de fournir une raison de douter de la crédibilité de l’une des versions et ainsi privilégier l’autre version. Ce qui me pose problème dans la décision en l’espèce est l’omission de la SAI de prendre en considération un élément de preuve de cette nature qui, à première vue, semble entrer directement en contradiction avec un aspect du témoignage de l’ex-femme de M. Bains.

[46] Le juge Southcott a également souligné qu’il n’exprimait aucune conclusion quant à l’importance du témoignage de l’oncle du demandeur ni à son apparente corroboration ou contradiction des versions contradictoires des événements, hormis que cet élément de preuve soulevait un point qui devait être pris en considération par la SAI afin que la décision soit considérée intelligible et, par conséquent, raisonnable. Pour cette raison, le contrôle judiciaire a été accueilli et l’affaire a été renvoyée à la SAI.

[47] Lorsqu’elle a réexaminé l’affaire, la SAI a déclaré que, dans l’appel dont elle était saisie, elle avait fait exactement ce que le juge Southcott avait demandé : « J’ai examiné les deux versions des faits. En l’espèce, le témoignage d’aucune des parties n’est crédible à quelque égard que ce soit. Cela dit, j’ai privilégié la version de SH des événements importants de la relation et de ce qui s’est passé lorsque les témoignages se contredisaient. Plus précisément, la version de SH de ce qui s’est passé avant la rupture totale de la relation en août ou septembre 2008 est plus crédible et plus fiable » (décision de la SAI, au para 89).

[48] En ce qui concerne les éléments de preuve en litige dans l’affaire Bains, la SAI a exposé les éléments de preuve contradictoires et les a évalués, ainsi que tout élément de preuve documentaire objectif, comme elle l’a fait dans chacune de ses nombreuses conclusions en matière de crédibilité. Elle a ensuite pris en considération ce qui suit : lors des diverses audiences, le témoignage du demandeur concernant le même événement était incohérent; les éléments de preuve que le demandeur a fournis lors de l’entrevue au bureau des visas ne corroboraient pas sa version des faits; et, parmi les deux oncles du demandeur qui ont témoigné devant la SAI, l’un a présenté un témoignage qui contredisait son propre témoignage antérieur et les deux ont présenté un témoignage incompatible avec celui de SH, que la SAI a privilégié. La SAI a également noté que SH avait utilisé sa carte de résident permanent comme pièce d’identité pour la déclaration solennelle qu’elle avait signée en août 2008, alors qu’elle avait utilisé son permis de conduire pour sa déclaration de 2014. Elle a conclu que cet élément de preuve concomitant étayait sa conclusion selon laquelle SH n’avait pas de permis de conduire en mars 2008 et qu’elle n’avait donc pas conduit le demandeur à l’aéroport.

[49] La SAI était aussi manifestement consciente des motivations contradictoires de SH et du demandeur et en a tenu compte. Même si l’avocate du demandeur a fait valoir que les allégations de SH selon lesquelles le mariage n’était pas authentique étaient intéressées et motivées par la vengeance, et même si elle doutait de sa crédibilité quant à certains aspects, la SAI a conclu que le mariage avait pris fin parce que le demandeur avait l’intention de se servir de SH pour venir au Canada en tant que résident permanent. Elle a déclaré que les motivations de SH, après septembre 2008, étaient claires et qu’elles avaient été prises en compte dans l’évaluation de la preuve. La SAI a également ajouté qu’elle était d’avis que la motivation du demandeur était de s’établir au Canada en tant que résident permanent grâce à son mariage avec SH et qu’il n’avait jamais eu l’intention d’honorer son vœu de mariage. De plus, elle a mentionné que le demandeur avait témoigné sous serment à trois reprises et qu’« [à] l’exception de quelques cas décrits ci-dessous, [elle ne croyait] rien de ce qu’[avait] dit l’appelant et [estimait] qu’il s’[agissait] d’un témoin totalement peu fiable et dépourvu de crédibilité. Le témoignage des témoins de l’appelant n’était pas non plus digne de foi, et il est évident que ces témoins ne sont pas impartiaux quant à l’issue du présent appel. » (décision de la SAI, au para 91)

[50] Après avoir examiné les divers éléments de preuve contradictoires, la SAI a conclu que le témoignage de SH concernant les événements survenus après septembre 2008 était moins fiable parce que, à ce moment-là, SH tentait assidûment de faire renvoyer le demandeur du Canada et elle présentait ses meilleurs arguments, qui contenaient des omissions et des mensonges. Cependant, tout au long de ses motifs, la SAI a réitéré sa conclusion selon laquelle, en ce qui concerne les événements antérieurs à septembre 2008, le témoignage de SH était plus crédible. Elle a conclu que ce n’était pas le cas du témoignage du demandeur et de ses témoins, dont la plupart n’étaient ni fiables ni crédibles selon elle. Elle a également conclu que les éléments de preuve documentaire portant sur la période précédant l’implosion du mariage, c’est-à-dire vers août ou septembre 2008, étaient plus fiables (décision de la SAI, au para 307).

[51] La SAI a tenu compte de la preuve, y compris de la conduite du demandeur, pour évaluer sa crédibilité. Voici un résumé de ses conclusions :

  • En 2019, le demandeur a pu retrouver trois courriels de 2006 concernant le mariage arrangé, mais il n’a produit aucun autre courriel concomitant ni aucune autre preuve de correspondance avec SH.
  • La preuve documentaire objective établissait que le demandeur n’était pas inscrit à l’école en Inde en décembre 2006, comme lui et sa famille le prétendaient, ce qui signifie que le moment choisi pour le mariage, soit décembre 2006, était convenu et non inopportun, et que le demandeur et sa famille n’ont pas dit la vérité à ce sujet afin de dissimuler l’intention du demandeur d’immigrer au Canada.
  • Le fait que le demandeur a demandé un visa de résident permanent avant de terminer ses études donnait à penser qu’il était motivé à venir au Canada dès que possible. Lors de son entrevue au bureau des visas, il n’a pas dit à l’agent qu’il avait l’intention de retourner en Inde pour terminer ses études, et les déclarations de SH au bureau des visas montraient qu’elle n’était pas au courant des plans du demandeur. Les notes prises durant l’entrevue au bureau des visas montraient que le demandeur avait dissimulé son intention de retourner en Inde pour obtenir son diplôme après avoir obtenu le droit d’établissement. De plus, selon le témoignage de sa sœur, il était censé retourner en Inde quelques jours après avoir obtenu le droit d’établissement.
  • Le demandeur et sa famille ont insisté sur le fait que SH savait que le demandeur retournerait en Inde et qu’elle était d’accord avec cela, mais SH a dit le contraire dans son témoignage. La SAI a privilégié la preuve documentaire concomitante qui démontrait que SH avait appris pour la première fois, deux mois après que le demandeur a obtenu le droit d’établissement, qu’il retournait en Inde pour étudier et qu’elle n’était pas au courant de son intention.
  • La conduite de SH au cours de la période en cause montrait qu’elle était véritablement investie dans le mariage. Jusqu’au moment où SH a décidé qu’elle ne pouvait pas poursuivre la relation, soit à la fin août 2008, cette relation était authentique pour elle. Indépendamment de sa conduite subséquente, ce facteur a conféré plus de crédibilité à sa version des faits.
  • La version qu’avait donnée SH de l’échec de la relation était plus crédible que celle du demandeur. Selon son témoignage, elle était allée chercher le demandeur à l’aéroport le 13 janvier 2008 avec les deux oncles de ce dernier. Après trois jours, le demandeur lui a dit qu’il ne voulait pas vivre avec elle et que sa famille l’avait forcé à l’épouser. Le 19 janvier 2008, à son retour du travail, les autres occupants de la maison lui ont dit que le demandeur était allé chez son cousin. Elle a attendu jusqu’à la nuit, puis l’a appelé pour lui demander quand il allait revenir. Il a répondu qu’il ne savait pas. Elle s’est ensuite rendue chez l’oncle du demandeur pour passer du temps avec lui, son neveu et sa mère. Elle était incapable de dormir et s’inquiétait de ce que les gens pourraient penser, car, dans sa culture, les gens ne voient pas le divorce d’un bon œil. Elle s’est rendue à la pharmacie et a acheté les comprimés que le pharmacien lui a proposés. Elle a affirmé que, dans un premier temps, son but était de s’endormir, mais qu’ensuite elle les a tous pris pour mettre fin à ses jours. La SAI a conclu que cette version des événements et de ce qui a mené à sa tentative de suicide était vraisemblable et crédible. Elle a mentionné que SH était une jeune femme (qui n’avait alors que 21 ans), qu’elle n’était arrivée au Canada qu’en 2005, après le décès soudain de son père en 2004, et qu’elle était donc quelque peu vulnérable. Elle a aussi conclu que son témoignage sonnait juste. Il n’était pas contesté qu’elle avait pris une surdose de somnifères quelques jours après que le demandeur a obtenu le droit d’établissement. SH a déclaré qu’elle l’avait fait parce que le demandeur lui avait dit qu’il voulait se séparer d’elle. La SAI a conclu que le témoignage du demandeur au sujet des actes commis par SH le 19 janvier 2008 et des raisons qui l’avaient poussée à agir de la sorte avait changé au fil du temps. Il a notamment affirmé que SH avait tenté de se suicider parce qu’il était rentré tard et qu’elle était stressée par ses examens; qu’elle avait essayé de lui faire peur et de le menacer, mais qu’il ne savait pas pourquoi; elle était contrariée parce qu’il ne l’avait pas écoutée; qu’il l’avait empêchée d’aller chez son oncle et que cela « s’était installé dans son esprit », mais, à l’inverse, qu’elle était fâchée parce qu’il ne l’avait pas laissée aller chez son oncle; et qu’il lui avait rendu visite à l’hôpital, mais qu’elle avait menacé de le faire arrêter. La SAI a conclu que le témoignage du père du demandeur concernant les raisons de la surdose était également incohérent. Elle a aussi relevé que le demandeur avait déclaré dans son témoignage que SH était retournée au travail et à l’école quelques jours après avoir obtenu son congé de l’hôpital. La SAI a conclu que si SH était stressée en raison de l’école ou du travail, il aurait été logique pour elle d’arrêter d’aller à l’école ou de travailler afin qu’elle puisse gérer son stress. Le fait qu’elle soit retournée à l’école et au travail si peu de temps après la surdose montrait clairement que la surdose était attribuable à une autre raison. La SAI a conclu que cette raison était que le demandeur lui avait dit qu’il ne voulait pas être avec elle. Cela appuyait la conclusion selon laquelle le demandeur l’avait épousée dans le but d’obtenir le statut de résident permanent. En outre, malgré la conduite douteuse du demandeur à son égard, SH a quand même accepté de se réconcilier avec lui après sa tentative de suicide, ce qui était un autre signe que le mariage était réel pour elle.
  • En ce qui concerne le retour du demandeur en Inde, la SAI a conclu que la déclaration de SH selon laquelle elle ne savait pas que le demandeur devait retourner en Inde pour ses études était minée par la déclaration qu’elle avait faite à la police indienne en janvier 2009. Dans cette déclaration, SH avait indiqué que le demandeur avait reçu sa carte de résident permanent après avoir passé environ un mois et demi au Canada et qu’après environ deux mois, il avait dit qu’il devait retourner en Inde pour remettre des documents scolaires. Cependant, il n’est revenu qu’après sept mois. La SAI a conclu que SH savait (deux mois après que le demandeur a obtenu le droit d’établissement) qu’il devait retourner en Inde, mais qu’il était parti le 11 mars 2008 sans le lui dire. Cette conclusion de la SAI était renforcée par d’autres constatations. La SAI a jugé crédible la déclaration contenue dans le rapport de police selon laquelle SH avait appris que le demandeur devait retourner en Inde pour étudier après qu’il a obtenu le droit d’établissement et selon laquelle il lui avait dit qu’il reviendrait auprès d’elle, mais il ne l’a pas fait.
  • Le diplôme universitaire du demandeur indiquait qu’il avait terminé ses études en mai 2008, mais le demandeur n’est pas retourné au Canada à ce moment-là. La SAI a évalué les éléments de preuve du demandeur selon lesquels il était resté en Inde en raison du diagnostic et du traitement du cancer du sein de sa mère, mais a conclu que son témoignage au sujet du moment où ces événements se sont passés était incohérent et ne concordait pas avec les dossiers médicaux. Le demandeur et son père avaient déclaré que SH était contrariée, qu’elle se moquait du diagnostic et qu’elle forçait le demandeur à revenir au Canada, alors que SH avait déclaré qu’elle n’était pas au courant. La SAI a conclu qu’il n’était pas crédible que, si SH croyait qu’il s’agissait d’une véritable relation, elle ait réagi de cette façon et que, si, comme l’avait affirmé le demandeur, SH était favorable à ce qu’il retourne en Inde, elle se soit montrée soudainement si déraisonnable devant ce retard dans son retour au Canada. De plus, peu d’éléments de preuve documentaire démontraient que le demandeur avait communiqué avec SH par quelque moyen que ce soit pendant qu’il était en Inde. Devant la SI, il avait déclaré qu’il ne pouvait pas obtenir de relevés téléphoniques de l’Inde, mais il avait aussi dit qu’il utilisait MSN et Yahoo pour communiquer avec SH et qu’il avait un compte Facebook. La SAI a souligné qu’à l’audience devant elle, le demandeur n’avait toujours pas produit d’éléments de preuve concernant la période en question, alors qu’il avait fourni trois courriels échangés entre lui et SH en 2006 et en 2007. Ce manque d’éléments de preuve appuyait la conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas essayé de communiquer avec SH lorsqu’il était en Inde et expliquait pourquoi SH avait conclu de façon raisonnable que le mariage était terminé en août ou en septembre 2008.
  • Malgré la maladie grave de sa mère, son témoignage selon lequel elle était sur son lit de mort et le témoignage de sa sœur selon lequel le demandeur conduisait sa mère partout, l’amenait à tous ses rendez-vous médicaux et l’aidait à prendre soin de sa personne, le demandeur est revenu au Canada en septembre 2008. Selon son témoignage, SH et sa famille avaient exercé des pressions sur lui pour qu’il revienne. De plus, après son arrivée à l’aéroport au Canada, il a appris qu’un rapport de police avait été déposé contre lui en Inde. Malgré cela, il est resté au Canada jusqu’en 2022. Il a présenté une demande de citoyenneté en 2012, fondée sur sa présence physique au Canada. La SAI a conclu que l’explication du demandeur au sujet de son retour au Canada était tout à fait invraisemblable. Elle a précisé son raisonnement à cet égard et a conclu qu’il était plus probable que le demandeur était au courant du rapport de police, déposé en Inde par l’oncle de SH le 4 septembre 2008, et que c’était la raison pour laquelle il avait fui pour revenir au Canada. Le rapport de police mentionne que SH et sa famille tentaient d’empêcher le demandeur de revenir au Canada parce qu’il avait rompu sa promesse de mariage. À son retour au Canada, le demandeur a évité SH, se faisait discret et a veillé à conserver son statut de résident permanent au Canada. La SAI a conclu que sa conduite et son comportement d’évitement par la suite appuyaient cette conclusion et montraient que le demandeur était conscient de la possibilité que SH prenne des mesures pour révoquer son statut d’immigration au Canada.
  • La SAI a examiné les éléments de preuve du demandeur au sujet de l’endroit où il avait vécu après son retour au Canada. Elle a accepté qu’il avait vécu aux adresses mentionnées, mais a conclu que, si c’était le cas, son témoignage et les éléments de preuve montraient qu’il avait menti dans le formulaire de citoyenneté rempli en octobre 2012. Cela a renforcé la conclusion de la SAI selon laquelle le demandeur savait que ses actes pouvaient entraîner des conséquences en matière d’immigration et qu’il se cachait. Je mentionne que, bien que l’avocate du demandeur ait continué d’affirmer dans le cadre du présent contrôle judiciaire qu’il avait été démontré que SH était une menteuse invétérée, en partie parce qu’elle avait fait de fausses déclarations à la Cour supérieure dans sa demande de divorce, la SAI a expressément rejeté cette affirmation et a conclu que la question de l’avocate du demandeur concernait plutôt l’huissier ou l’ancien conseil de SH, et non SH.
  • La SAI a conclu qu’il y avait peu d’éléments de preuve crédibles démontrant que le demandeur avait parlé avec SH entre mars et octobre 2008. Un relevé téléphonique faisait état de neuf appels à SH entre octobre et décembre 2008, tous d’une durée d’une minute, et rien n’indique que SH a répondu à l’un ou l’autre de ces appels. La SAI a ensuite examiné les éléments de preuve du demandeur et de SH au sujet des appels. Selon la preuve présentée par SH, le demandeur n’avait pas appelé avant la fin des quatre séances de consultation matrimoniale auxquelles elle s’était présentée (même si trois lettres avaient été envoyées au demandeur et que quatre appels avaient été passés pour qu’il se présente, il ne l’a pas fait). SH a alors décidé que le mariage était terminé. La SAI a conclu que le témoignage de SH était soutenu par le fait que les appels téléphoniques n’avaient commencé qu’après la fin de la consultation et qu’il concordait avec la déclaration du demandeur selon laquelle il l’avait appelée et qu’elle avait dit que c’était trop tard. La SAI a rejeté l’allégation du demandeur selon lequel ces appels constituaient un effort de bonne foi pour communiquer avec SH.
  • La SAI a également tenu compte de ce qu’elle a qualifié de nombreux témoignages confus et contradictoires concernant les efforts déployés par le demandeur pour se réconcilier avec SH, mais elle a noté qu’il y avait peu d’éléments de preuve objectifs corroborants crédibles. Elle a examiné les éléments de preuve et a conclu que peu démontraient que le demandeur avait déployé des efforts de bonne foi pour maintenir la relation après son retour au Canada en septembre 2008. De plus, les déclarations du demandeur et de ses témoins au sujet des efforts déployés pour réconcilier le couple étaient difficiles à comprendre à la lumière des actes de SH et de son côté de la famille. Ils étaient si lésés qu’ils ont déposé un rapport de police en Inde, et SH a cherché à obtenir la prise de mesures d’exécution de la loi contre le demandeur au Canada. Un point sur lequel tous les témoins s’entendaient était que SH et sa famille n’avaient aucun intérêt à chercher une réconciliation avec le demandeur après son retour au Canada. La SAI a conclu qu’il n’était pas crédible que le demandeur ait espéré, comme il l’a affirmé, que les choses s’arrangent, compte tenu du contexte. Sa déclaration selon laquelle il n’avait pas compris que la relation était terminée avant 2011 n’était pas crédible. Il n’avait fait aucun effort, mis à part les appels téléphoniques d’une minute pour communiquer avec SH et lui montrer qu’il voulait être un bon époux pour elle. Ses actes étaient plus éloquents que ses paroles.
  • Pour ce qui est de la lettre du conseiller matrimonial rédigée vers octobre 2008 et de l’affidavit qu’il a souscrit après avoir été approché par le demandeur en 2016, il suffit de dire que la SAI a déclaré qu’elle était plus cynique à l’égard des raisons pour lesquelles SH avait obtenu les services de consultation et a convenu qu’elle avait obtenu ces services pour étayer sa plainte contre le demandeur. Cependant, cela ne signifie pas que ce qu’elle a dit au conseiller était entièrement faux. Il était évident que le mariage était terminé pour SH et les membres de sa famille en septembre 2008, lorsque le rapport de police a été déposé.
  • La SAI a trouvé troublant qu’à l’audience, SH ne se soit pas rappelé avoir fait une déclaration à la police ni que les membres de sa famille avaient déposé un rapport en son nom. Elle a fait remarquer qu’elle avait pourtant mentionné le rapport de police dans sa requête en divorce. Cette déclaration selon laquelle elle ne s’en souvenait pas a miné sa crédibilité. Le rapport de police de septembre 2008 était fondé sur une question concernant la dot et la conduite du demandeur pour obtenir un statut au Canada. La SAI a fait remarquer qu’elle avait déjà conclu que le demandeur avait utilisé SH pour obtenir un statut au Canada, et elle a donc admis cette allégation comme étant véridique. De plus, les éléments de preuve présentés par SH concernant des événements survenus après septembre 2008 étaient moins fiables, car à ce moment-là, SH tentait assidûment de faire renvoyer le demandeur du Canada et elle présentait ses meilleurs arguments.
  • Enfin, la SAI a examiné le nombre considérable de lettres et d’affidavits présentés par le demandeur, mais, pour les motifs exposés, leur a accordé peu de poids.

[52] La SAI a conclu ce qui suit :

[316] L’appelant, ses témoins et ses déposants peuvent dire ce qu’ils veulent au sujet de ce qui s’est passé entre l’appelant et SH. Cependant, la conduite de l’appelant et la quantité négligeable d’éléments de preuve objectifs crédibles à l’appui de ses affirmations montrent clairement qu’il a utilisé SH et que son mariage avec elle visait principalement des fins d’immigration. Il s’agit d’une fausse déclaration directe.

[53] De plus, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur a fait une présentation erronée selon laquelle son mariage était authentique lorsqu’il est devenu résident permanent. Le mariage visait principalement des fins d’immigration. La SAI a souscrit à l’avis de la SI et a conclu que le demandeur avait fait directement une présentation erronée qui a entraîné une erreur dans l’application de la LIPR. Elle a également rejeté l’argument du demandeur relatif à l’équité procédurale et a conclu, par conséquent, que la décision de la SI était valide en droit. L’avocate du ministre s’était acquittée du fardeau qui lui incombait.

[54] Le demandeur est d’avis que, parce que le ministre s’est fondé uniquement sur les éléments communiqués dans le cadre de l’instance de la SI, la transcription de cette audience et la décision de la SI, et parce qu’il n’a appelé aucun témoin pour corroborer sa thèse, il ne s’est fondé que sur des documents provenant de SH, qui n’a pas été jugée crédible. Par conséquent, le ministre ne pouvait s’acquitter de son fardeau et la SAI a commis une erreur en inversant le fardeau de la preuve. Lorsqu’il a comparu devant moi, le demandeur a affirmé que la SAI ne pouvait pas se fonder sur ses éléments de preuve ni les prendre en considération pour déterminer si le ministre s’était acquitté du fardeau de la preuve.

[55] J’estime que cet argument n’est pas fondé. La SAI a examiné toute la preuve, en détail et de façon approfondie. Comme il a été conclu que le demandeur et les membres de sa famille n’étaient pas crédibles, leur témoignage avait peu de poids. La SAI a reconnu que SH avait également des problèmes de crédibilité, mais a conclu que, pour la période antérieure à septembre 2008, son témoignage était plus crédible que celui du demandeur. La SAI s’est également appuyée, dans la mesure du possible, sur des éléments de preuve documentaire concomitants. Comme elle a jugé que le témoignage de SH était plus crédible et plus fiable, elle lui a accordé plus de poids qu’à celui du demandeur et a donc conclu que le ministre s’était acquitté du fardeau de la preuve. La SAI peut recevoir les éléments qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision (LIPR, art 175(1)c)). Par conséquent, même si le demandeur affirme que la SAI a inversé le fardeau de la preuve, cet argument repose entièrement sur sa thèse voulant que le ministre n’ait produit aucun élément de preuve fiable à l’appui de sa position. Il ne tient cependant pas compte des conclusions de la SAI en matière de crédibilité, qui n’étayent pas une allégation d’inversion du fardeau de la preuve.

[56] Dans le cas où le demandeur avance qu’il a produit plus d’éléments de preuve que le ministre, mais que la SAI ne pouvait pas les prendre en considération pour déterminer si le ministre s’était acquitté de son fardeau, je ne suis pas d’accord avec lui. Le demandeur n’invoque aucune jurisprudence à l’appui de cette observation. En l’espèce, la SAI a conclu que la preuve produite par le ministre était tout simplement plus crédible que celle du demandeur. Elle lui a donc accordé plus de poids pour déterminer si le ministre s’était acquitté de son fardeau d’établir que le demandeur avait fait de fausses déclarations. Il ne s’agit pas de savoir combien de témoignages et combien d’affidavits et de documents le ministre ou le demandeur ont produits, même s’il est évident que le demandeur a toujours adopté l’approche selon laquelle « plus doit être mieux » dans le cadre de ce litige. La preuve doit être crédible.

[57] Je ne suis pas d’accord non plus pour dire que la SAI a accordé trop d’importance à la surdose de somnifères de SH. Il s’agissait de l’un des nombreux aspects de la preuve que la SAI a examinés. Cela dit, à mon avis, il s’agissait d’un événement très important. De plus, la SAI a raisonnablement conclu que cette tentative de suicide était attribuable au fait que le demandeur avait dit à SH, quelques jours après son arrivée au Canada, qu’il ne voulait pas vivre avec elle et que ses parents l’avaient forcé à l’épouser. Selon le témoignage de SH, dans un premier temps, son but était de prendre les somnifères pour s’endormir, mais ensuite, elle les a tous pris pour mettre fin à ses jours. La SAI a raisonnablement déduit qu’il s’agissait d’une tentative de suicide. Elle a conclu que le témoignage de SH sur ce point était plus crédible que celui du demandeur et de ses témoins. Le demandeur soutient devant moi qu’aucun élément de preuve corroborant n’a démontré que SH avait tenté de se suicider. Cependant, aucune preuve corroborante ne semble être requise, puisque la SAI a accepté le témoignage de SH sur ce point. Je rejette également l’affirmation du demandeur selon laquelle, si SH avait réellement tenté de se suicider, il était invraisemblable que l’hôpital l’ait autorisée à sortir un jour et demi plus tard. Le demandeur n’invoque aucun élément de preuve à l’appui de cette affirmation. Et, à mon avis, à moins que SH ait continué d’être un risque pour elle-même ou un risque pour les autres, il est tout à fait plausible qu’elle ait été autorisée à sortir après quelques jours. Quant aux autres observations du demandeur, elles ne constituent qu’un désaccord avec l’appréciation de la SAI quant à la crédibilité de la preuve. Le fait que le demandeur ne soit pas d’accord ne rend pas la décision déraisonnable. Les conclusions de la SAI relatives à la crédibilité doivent faire l’objet d’un degré élevé de déférence (Yu, au para 13).

iii. Le traitement des éléments de preuve du demandeur par la SAI

La position du demandeur

[58] Le demandeur affirme que les conclusions de la SAI selon lesquelles il n’y avait pas d’éléments de preuve objectifs démontrant qu’il avait déployé des efforts crédibles et de bonne foi pour sauver son mariage, ou qu’il s’était déjà investi dans la relation, montrent que la SAI a écarté ou rejeté des éléments de preuve essentiels sans fournir de motifs convaincants et renforcent son affirmation selon laquelle la SAI a indûment inversé le fardeau de la preuve en l’obligeant à prouver son innocence. Il affirme également que la SAI a procédé à une analyse microscopique et déraisonnable de son témoignage et de sa preuve, et souvent de questions périphériques, afin de justifier ses conclusions défavorables en matière de crédibilité ou ses conclusions d’invraisemblance. Selon lui, la SAI a commis une erreur dans le traitement de sa preuve en ne saisissant pas comment, lorsqu’elle est évaluée globalement, sa version des faits est cohérente quant à toutes les questions importantes et est bien corroborée. Elle aurait dû effectuer une analyse plus globale et examiner chaque élément de preuve par rapport à l’ensemble. La SAI n’a pas non plus tenu compte de l’incidence que les troubles de santé mentale du demandeur avaient sur son témoignage.

La position du défendeur

[59] Le défendeur soutient que la SAI a examiné et soupesé tous les éléments de preuve présentés par les parties et en a rejeté certains parce qu’ils étaient soit incompatibles avec d’autres éléments de preuve objectifs ou plus crédibles, soit simplement invraisemblables. Le rôle de la SAI en tant que juge des faits est essentiellement d’examiner les versions concurrentes et d’expliquer ses préférences de façon raisonnable. C’est exactement ce que la SAI a fait.

Analyse

[60] J’estime que les observations du demandeur ne sont pas fondées.

[61] À l’appui de son opinion selon laquelle la SAI a commis une erreur en concluant qu’il n’avait fait aucun effort de réconciliation, et selon laquelle cette conclusion est contredite par ses relevés téléphoniques, le demandeur soumet le témoignage de son oncle et un affidavit. Selon le demandeur, ces éléments de preuve, pris ensemble, étayent fortement la conclusion inverse selon laquelle sa famille et lui ont déployé de gros efforts pour se réconcilier avec SH. Il ajoute que la SAI n’a fourni aucune raison convaincante expliquant pourquoi ces éléments de preuve devraient être rejetés.

[62] Cependant, la SAI a clairement examiné cette question et d’autres éléments de preuve aux paragraphes 209 et 245 à 264 de ses motifs. Comme je le mentionne plus haut, elle a conclu que les seuls éléments de preuve présentés par le demandeur démontrant qu’il avait tenté de communiquer avec SH étaient un relevé téléphonique indiquant neuf appels d’une minute, ainsi que le témoignage de son père, celui de son oncle et un affidavit qui a été jugé non crédible concernant la question de la réconciliation.

[63] Je ne suis pas non plus d’accord pour dire que les motifs de la SAI étaient microscopiques et qu’ils étaient axés sur des questions secondaires visant à justifier ses conclusions ou que la SAI a effectué une analyse « cloisonnée » et n’a pas tenu compte de la preuve dans son ensemble. Même s’il est possible de cerner quelques points secondaires dans ses longs motifs (ce que le demandeur ne fait pas), dans l’ensemble, la SAI a axé son analyse de la crédibilité et de la plausibilité sur la preuve relative aux questions cruciales concernant le mariage de SH et du demandeur et la dissolution de ce mariage afin d’évaluer si le demandeur avait fait de fausses déclarations. La SAI a déclaré qu’elle avait procédé à un examen global de la preuve et, après avoir examiné les motifs de la SAI, je suis convaincue que c’est ce qu’elle a fait. L’utilisation de catégories de sujets pour organiser ses idées dans une longue décision n’a pas pour effet de cloisonner les questions de telle sorte que les éléments de preuve sont examinés séparément. De plus, les motifs de la SAI démontrent qu’une grande partie des éléments de preuve se chevauchent lorsqu’on examine les diverses catégories de sujets.

[64] Le demandeur affirme également que la SAI n’a pas tenu compte de son diagnostic de trouble de stress post-traumatique et de dépression, ainsi que de son insomnie chronique et de son niveau élevé de stress et de la façon dont cela a influé sur son témoignage. Cependant, la SAI a examiné les deux rapports psychiatriques qui ont été déposés par le demandeur après le début de l’audience (qui s’est déroulée sur une longue période) aux paragraphes 48 à 75 de sa décision et, pour les motifs exposés, elle leur a accordé peu de poids. Le premier rapport, daté du 30 septembre 2019, comportait deux phrases et indiquait seulement que le demandeur et sa sœur étaient allés chez le médecin ce jour-là et que la sœur du demandeur avait [traduction] « confirmé que son état mental était anormal ». Le médecin a déclaré que « d’après son diagnostic, il présentait un trouble d’adaptation ». La SAI a raisonnablement conclu qu’elle n’avait aucun moyen de comprendre la nature du trouble d’adaptation ni en quoi il a pu avoir une incidence sur la capacité du demandeur de témoigner.

[65] La SAI a conclu que le deuxième rapport, rédigé par un autre psychiatre et daté du 15 novembre 2019, était plus utile, mais lui a quand même accordé peu de poids. Entre autres, elle a mentionné que le demandeur et sa sœur avaient raconté leur histoire au psychiatre, qui semblait s’être fondé uniquement sur ce récit, car il n’avait effectué aucun test psychologique normalisé pour étayer le diagnostic de trouble de stress post-traumatique avec dissociation et d’épisode dépressif majeur actuel (de modéré à grave). La SAI a également souligné que, bien que le demandeur ait affirmé qu’il souffrait de problèmes de santé mentale depuis 2008, il s’agissait des premiers psychiatres qu’il avait consultés (en 2019) et qu’il n’avait fourni aucune preuve médicale de la part de son médecin de premier recours. De plus, selon les transcriptions des deux audiences précédentes, ni le demandeur ni sa conseil n’ont mentionné que la capacité du demandeur de témoigner avait été minée de quelque façon que ce soit par sa santé mentale, et il n’a jamais été question de savoir si le demandeur devrait être désigné comme une personne vulnérable. Le demandeur a également été sélectif quant à ce qu’il a dit au psychiatre, ne faisant pratiquement aucune mention de ses problèmes d’immigration ou de la raison pour laquelle il avait besoin d’un rapport. La déclaration que sa sœur a faite au psychiatre selon laquelle le demandeur n’éprouvait plus de plaisir à sortir avec des amis ou à jouer à des jeux et préférait passer du temps seul dans sa chambre contrastait avec les nombreuses lettres de soutien déposées par les amis du demandeur. La SAI a conclu que le rapport psychologique ne réglait pas les problèmes liés à la crédibilité du demandeur. Selon elle, le témoignage du demandeur n’était pas du tout fiable, et le demandeur et sa sœur n’avaient pas dit la vérité au psychiatre. Le psychiatre n’avait pas non plus expliqué en quoi l’état de santé mentale du demandeur aurait influé sur sa capacité de témoigner devant la SAI.

[66] Le demandeur ne répond à aucune de ces conclusions et ne mentionne pas que la SAI a tenu compte des rapports des psychiatres, mais qu’elle leur a accordé peu de poids.

Atteintes à l’équité procédurale – alinéa 67(1)b) de la LIPR

La position du demandeur

[67] Le demandeur soutient que l’alinéa 67(1)b) oblige la SAI à procéder à une évaluation indépendante pour déterminer s’il y a eu manquement à un principe de justice naturelle dans la procédure ayant mené à la mesure de renvoi. Les deux manquements allégués précédemment par le demandeur étaient le défaut de lui communiquer les plaintes que SH avait déposées au cours de l’enquête de l’ASFC sur le mariage de convenance en 2014 et le défaut de lui communiquer sa plainte de novembre 2008. Bien que la SAI se soit appuyée sur la décision Shan, dans laquelle il est établi qu’une partie doit soulever une question d’équité procédurale à la première occasion, le conseil du demandeur à l’époque avait communiqué avec l’ASFC à propos du manque de renseignements dans la lettre relative à l’équité procédurale. Il n’y était pas indiqué sur quoi reposait l’enquête sur le mariage de convenance, et le demandeur soutient qu’il aurait été imprudent de sa part de répondre à la lettre puisque les renseignements dont il disposait étaient incomplets. Le ministre a communiqué les documents d’enquête à la SI, qui s’est appuyée dessus pour rendre sa décision. La décision de la SI était donc entachée d’erreur, car elle était fondée sur des documents qui provenaient d’un processus d’enquête inéquitable.

[68] Le demandeur soutient également que la SAI n’a pas tenu compte de ses observations concernant une plainte de novembre 2008, préférant l’observation du défendeur selon laquelle le document n’existait pas.

[69] De plus, le demandeur affirme que la SAI a conclu à tort que les préoccupations en matière d’équité procédurale auraient dû être soulevées plus tôt. Cela serait vrai si elles étaient liées à la nouvelle décision de la SAI. Toutefois, en l’espèce, les préoccupations ont été soulevées dans le contexte d’un appel de novo de la SAI. C’est dans ce contexte que les questions d’équité procédurale devraient être soulevées. Le demandeur soutient que le défendeur a tort lorsqu’il affirme que la nature de novo de l’audience devant la SAI la soulage du fardeau de trancher les manquements antérieurs à l’équité procédurale.

La position du défendeur

[70] Le défendeur soutient que la SAI n’a pas manqué aux principes de justice naturelle. L’argument du demandeur concernant l’équité procédurale repose sur le prétendu défaut de l’ASFC de lui communiquer les déclarations solennelles que SH a faites dans le cadre d’une enquête pour fausses déclarations en 2014. Toutefois, ces déclarations lui ont finalement été communiquées dans le cadre de la procédure relative à l’admissibilité. Il prétend qu’une troisième déclaration ne lui a pas été communiquée, mais la SAI a conclu qu’il n’était pas certain que ce document existait puisque le ministre en niait l’existence. Étant donné qu’il s’agissait d’une procédure de novo, la SAI n’était pas liée par ce qui s’était passé avant. Le demandeur avait en sa possession les déclarations qui, selon ses dires, ne lui avaient pas été communiquées et il a pu contre-interroger SH sur leur contenu et sur toutes les questions relatives à leur mariage. Quoi qu’il en soit, le fait que le demandeur a tardé à soulever cette question constitue une renonciation tacite. Il était tenu de soulever la question dès la première occasion et il ne l’a fait à aucune des dix audiences de la SAI. Il l’a soulevée uniquement dans ses observations écrites finales.

Analyse

[71] Je mentionne d’abord que la SAI a traité cette question à titre préliminaire. Elle a indiqué que le problème tenait au fait que l’ASFC n’avait pas fourni les déclarations solennelles de SH au demandeur pendant que celui-ci faisait l’objet d’une enquête pour fausses déclarations en 2014. La SAI a reconnu que la lettre d’équité procédurale et le rapport rédigé en vertu du paragraphe 44(1) envoyés au demandeur ne contenaient pas suffisamment de renseignements pour qu’il puisse y répondre et que l’ASFC disposait de deux déclarations solennelles de SH, mais qu’elles n’avaient pas été fournies au demandeur à l’époque. L’ASFC était tenue de communiquer ces éléments pour respecter ses obligations en matière d’équité procédurale.

[72] Cependant, la SAI a indiqué que, selon le dossier, l’ancien conseil du demandeur (M. Hahn, son premier conseil) avait communiqué avec l’ASFC, mais qu’il n’avait présenté aucune observation (en réponse aux allégations contenues dans le rapport) avant la date limite de dépôt. Le dossier ne fournissait pas beaucoup d’éclaircissements sur les communications échangées.

[73] Quoi qu’il en soit, comme les questions d’équité procédurale auraient dû être soulevées plus tôt, la SAI a refusé d’annuler la décision de la SI. Elle a noté que les allégations n’avaient été soulevées par le demandeur que dans ses observations écrites finales, à l’issue des dix séances relatives à l’appel devant la SAI. Elle a déclaré qu’il aurait fallu les formuler avant même le début de l’audience. De plus, cela faisait environ huit ans que le rapport avait été établi au titre de l’article 44 et que l’affaire avait été renvoyée, et l’historique des procédures montrait qu’à l’audience devant la SI, le conseil du demandeur connaissait les faits sous-jacents étayant l’argument présenté devant le tribunal, tout comme le conseil subséquent. La question aurait pu être soulevée devant la Cour fédérale, dans le cadre d’une contestation du rapport établi au titre de l’article 44, du renvoi au titre de l’article 44 et peut-être même de la décision de la SI, si elle avait été soulevée en bonne et due forme. La SAI a conclu qu’il était trop tard pour la soulever maintenant.

[74] En outre, le demandeur a bénéficié d’audiences équitables devant la SI et devant la SAI. Bien que sa conseil actuelle ait soutenu qu’en raison d’une omission du conseil précédent, la SI disposait de très peu d’éléments de preuve, la SAI n’était pas d’accord et a souligné qu’avant l’audience de la SI, le conseil du demandeur (son deuxième conseil) avait reçu la trousse complète d’éléments de preuve contenus dans le dossier, y compris les déclarations de SH et les renseignements d’enquête du ministre, et avait déposé des éléments de preuve en réponse. Devant la SI, le conseil avait également soulevé la question de la lettre d’équité procédurale et des communications échangées avec le premier conseil du demandeur, mais n’avait fait aucune mention d’un manquement à l’équité procédurale. La troisième conseil du demandeur n’a pas non plus soulevé de question d’équité procédurale lorsque ce dernier a interjeté appel de la décision de la SI devant la SAI (le premier appel). Lors du contrôle judiciaire de la première décision de la SAI, rien n’indiquait non plus qu’une question d’équité procédurale avait été soulevée comme argument à ce moment-là (par la quatrième avocate du demandeur).

[75] La SAI a fait observer qu’elle avait entendu des témoignages pendant 10 jours, y compris celui de SH. Elle a conclu que le demandeur avait eu une possibilité pleine et équitable de présenter ses arguments et, qu’à ce stade-ci, un argument relatif à l’équité procédurale visant une étape antérieure du processus administratif devait être rejeté.

[76] Comme je le mentionne plus haut, l’audience devant la SAI était une audience de novo. « Cela signifie que la Commission peut prendre connaissance d’une preuve nouvelle et rendre sa propre décision; elle n’est pas liée par la décision du décideur initial » (Fang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 733 au para 26).

[77] Les deux déclarations solennelles de SH ont été communiquées au demandeur avant l’audience devant la SI et faisaient partie des dossiers dont disposait la SI et la SAI lors des deux appels. De plus, SH a été tenue de témoigner lors de la deuxième audience devant la SAI et elle a subi un contre-interrogatoire serré de la part de l’avocate actuelle du demandeur. Comme l’a indiqué la SAI, lors de l’appel, le dossier de fausses déclarations visant le demandeur reposait entièrement sur les allégations de SH. Étant donné ce qui précède et le fait que SH a témoigné et présenté des déclarations devant la SAI, il est difficile de voir comment la non‐communication des deux déclarations solennelles par l’ASFC lors de son enquête sur l’allégation de fausses déclarations n’a pas été entièrement corrigée par l’audience de novo devant la SAI, qui a également permis au demandeur et à bon nombre de ses proches de témoigner et de déposer des affidavits et d’autres documents à l’appui (voir Canada (Procureur général) c McBain, 2017 CAF 204 aux para 9-10; Ye c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2021 CF 1025 au para 17).

[78] Aux paragraphes 15 et 16 de la décision Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 105, sur laquelle le demandeur s’appuie, la Cour a fait observer qu’après avoir conclu qu’un agent des visas avait manqué à l’équité procédurale en omettant de fournir à la demanderesse suffisamment de renseignements sur ses préoccupations relatives à l’authenticité d’un document dans sa lettre d’équité procédurale, la SAI avait précisé expressément que son pouvoir de tenir une audience de novo permettait de corriger le manquement en appel sans avoir à renvoyer l’affaire à l’agent des visas pour un nouvel examen. De plus, afin de répondre aux préoccupations soulevées concernant le document, la demanderesse avait été autorisée à soumettre de nouveaux éléments de preuve dont l’agent des visas ne disposait pas et avait également eu l’occasion de témoigner et de soulever d’autres questions découlant de la décision de l’agent des visas. La Cour n’a pas contesté la position de la SAI quant à sa compétence et a finalement rejeté la demande de contrôle judiciaire.

[79] De même, en l’espèce, la nature de novo de l’appel devant la SAI a permis de corriger le prétendu manquement antérieur à l’équité procédurale de la part de l’ASFC.

[80] En outre, bien que le demandeur soutienne que le ministre a communiqué les documents d’enquête sur le mariage de convenance à la SI, qui s’est appuyée sur eux pour rendre sa décision, ce qui a fait en sorte que sa décision était« entachée d’erreur » parce qu’elle reposait sur des [traduction] « documents découlant d’un processus d’enquête inéquitable », il n’explique pas à quels documents il fait référence ni en quoi les documents d’enquête étaient préjudiciables et ont causé le problème allégué. Lorsqu’elle a comparu devant moi, l’avocate du demandeur a soutenu que cela avait eu des effets sur la conclusion de l’agent enquêteur, mais elle n’a pas expliqué comment. L’avocate a également fait valoir que le problème concernait le poids accordé au rapport d’enquête. Cependant, je ne sais pas du tout si la SAI a accordé un quelconque poids au rapport. Quoiqu’il en soit, comme je le mentionne plus haut, même s’il y a eu manquement à l’équité procédurale à l’étape de l’enquête, ce manquement a été entièrement corrigé par la suite, car la preuve de SH a été soigneusement examinée par le demandeur et évaluée par la SAI.

[81] En ce qui concerne la conclusion de la SAI selon laquelle le demandeur a agi trop tard en soulevant cet argument relatif à l’équité procédurale après les dix jours qu’ont duré les témoignages et uniquement dans le cadre de ses observations finales, je ne vois aucune erreur dans cette conclusion. La question n’avait été soulevée ni devant la SI, ni lors de l’appel antérieur devant la SAI, ni lors du contrôle judiciaire de la première décision de la SAI. De plus, l’avocate du demandeur n’explique pas pourquoi cette question n’a été soulevée qu’après la fin de l’audience devant la SAI.

[82] Comme le soutient le défendeur, il incombait au demandeur de présenter toute allégation d’équité procédurale dès la première occasion, et le défaut de le faire en temps utile équivaut à une renonciation tacite à tout manquement perçu à l’équité procédurale (Alexander c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 438 aux para 21-22; Zhong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 279 au para 22; Hanif c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 919 au para 15; In re Tribunal des droits de la personne et Énergie atomique Can. (1985), 1985 CanLII 5528 (CAF)). Le demandeur ne l’a pas fait et la SAR a raisonnablement refusé de lui permettre de soulever la question une fois l’audience terminée.

[83] Encore une fois, tout manquement à l’équité procédurale à l’étape de l’enquête a été corrigé lors de l’audience de novo.

[84] Enfin, bien que le demandeur insiste sur le fait qu’une troisième déclaration ne lui a pas été communiquée, la seule mention de ce document se trouve dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC]. Le demandeur a attiré l’attention de la Cour sur une entrée indiquant ceci : [traduction] « 24 NOVEMBRE 2008 – RÉCEPTION D’UNE DÉCLARATION SOLENNELLE DE LA RÉPONDANTE DATÉE DU 17 NOVEMBRE 2008 NOUS INFORMANT ENCORE DES MÊMES RENSEIGNEMENTS QUE CEUX MENTIONNÉS CI‐DESSUS. CEPENDANT, ELLE AFFIRME MAINTENANT QUE SON MARI EST DE RETOUR AU CANADA [...] ». Il ne ressort pas clairement du dossier que le premier conseil du demandeur devant la SI a soulevé une préoccupation concernant l’existence de cette déclaration solennelle – la décision de la SI ne fait mention ni de cette déclaration ni d’une préoccupation quant à l’équité procédurale. Devant la SAI, l’existence de cette déclaration ne semble pas avoir été soulevée avant l’argument de dernière minute relatif à l’équité procédurale de l’avocate actuelle. De plus, contrairement à ce que prétend le demandeur, la SAI n’a pas ignoré son observation quant à l’existence du document. C’est plutôt qu’elle n’était pas convaincue de son existence et a fait remarquer que le défendeur avait nié qu’elle existait et qu’il n’y avait aucune raison de douter de cette affirmation. J’ajouterais que, même si cette déclaration existait, d’après l’entrée dans le SMGC sur laquelle le demandeur s’appuie, elle ne semble pas avoir ajouté quoi que ce soit de nouveau à la déclaration antérieure de SH, et le demandeur ne relève aucun élément de preuve démontrant que la SAI s’est appuyée sur la déclaration contestée.

[85] Étant donné que le ministre a apparemment indiqué que cette déclaration n’existait pas et que le demandeur n’invoque rien dans les documents d’enquête ou ailleurs dans le dossier pour étayer son existence (à l’exception d’une seule mention dans les notes versées au SMGC) ou démontrer qu’elle a été utilisée à son détriment, la SAI était en droit d’accepter le point de vue du défendeur selon lequel le document n’existe pas. Ce point importe peu.

[86] À mon avis, la SAI n’a pas indûment refusé d’exercer la compétence qui lui est conférée à l’alinéa 67(1)b) de la LIPR.

Alinéa 67(1)c) de la LIPR – Considérations d’ordre humanitaire

La position du demandeur

[87] Le demandeur soutient que, même si la SAI a appliqué les facteurs établis dans la décision Ribic, qui ont été adaptés pour les cas de fausses déclarations, son évaluation de ces facteurs était fondamentalement faussée parce que le demandeur a toujours nié avoir contracté un mariage de convenance et que la prépondérance de la preuve appuie sa position. La SAI s’est appuyée sur la version des faits de SH, même si elle a conclu qu’elle manquait de crédibilité. La conclusion de la SAI selon laquelle le demandeur n’avait manifesté aucun remords parce qu’il avait refusé d’assumer la responsabilité des fausses déclarations, « compte tenu de la preuve accablante du contraire », était intrinsèquement incompatible avec sa conclusion selon laquelle SH n’était pas crédible.

[88] De plus, l’évaluation que la SAI a faite des difficultés personnelles que subirait le demandeur s’il était renvoyé en Inde démontre qu’elle a traité les éléments de preuve de manière cloisonnée et déraisonnable et qu’elle n’a pas évalué correctement les difficultés auxquelles le demandeur serait confronté s’il était renvoyé du Canada. Les conditions particulières en Inde n’ont pas été prises en considération, de même que les graves problèmes de santé mentale du demandeur et le fait qu’il risque de perdre tout ce qu’il a établi au Canada.

La position du défendeur

[89] Le défendeur soutient que la critique du demandeur à l’égard de l’application, par la SAI, des facteurs établis dans la décision Ribic est fondée sur le fait qu’il insiste pour dire que la preuve étaye son argument selon lequel il n’a pas contracté de mariage de convenance. Toutefois, la SAI a raisonnablement rejeté sa version des faits pour les motifs qu’elle a exposés. Le fait que le demandeur insiste pour dire qu’il n’a pas fait de fausses déclarations ne signifie pas que la SAI a commis une erreur dans son application globale des facteurs modifiés de la décision Ribic. De plus, la SAI a examiné les observations du demandeur concernant la situation dans le pays et les répercussions que cela pourrait avoir sur lui, mais elle a conclu qu’elle ne « dispos[ait] pas de suffisamment de renseignements pour tirer une conclusion concernant les difficultés que subirait [le demandeur] en raison de son TSPT ou de sa dépression, ou de tout autre profil ou problème particulier qu’il pourrait avoir s’il retournait en Inde ». Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas démontré le contraire.

Analyse

[90] La SAI a énoncé les facteurs établis dans la décision Ribic, adaptés aux cas de fausses déclarations, tels qu’ils sont formulés au paragraphe 8 de la décision Wang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 705 :

  • la gravité des fausses déclarations ayant entraîné la mesure de renvoi et les circonstances dans lesquelles elles ont eu lieu;
  • les remords exprimés;
  • le temps passé au Canada par le demandeur et son degré d’établissement;
  • la présence de membres de la famille du demandeur au Canada et les conséquences que le renvoi aurait pour la famille, y compris l’intérêt supérieur de l’enfant;
  • l’importance des épreuves que subirait le demandeur s’il était renvoyé du Canada, y compris la situation dans le pays où il serait probablement renvoyé.

[91] De plus, il incombe au demandeur d’expliquer pourquoi il devrait rester au Canada. La SAI a ensuite examiné chacun de ces facteurs. Il n’est pas nécessaire que j’expose cette analyse dans son intégralité pour répondre aux observations du demandeur en l’espèce.

[92] L’argument du demandeur selon lequel l’évaluation que la SAI a faite des facteurs de la décision Ribic était fondamentalement faussée ne peut être retenu. Cet argument repose sur le fait que le demandeur est d’avis qu’il a produit des éléments de preuve plus nombreux et plus crédibles à l’appui de son affirmation selon laquelle il n’a pas contracté de mariage de convenance. Cependant, la SAI a jugé son témoignage ni crédible ni fiable. De plus, même si la SAI a reconnu que la crédibilité de SH soulevait également des préoccupations, pour la période critique antérieure à septembre 2008, elle a privilégié son témoignage pour les raisons qu’elle a énoncées. Les conclusions de fait de la SAI quant à la crédibilité n’étaient donc pas intrinsèquement incohérentes, et son évaluation des facteurs établis dans la décision Ribic n’était pas faussée.

[93] En ce qui concerne les remords, la SAI a conclu que le demandeur n’avait jamais admis qu’il avait fait de fausses déclarations et qu’il avait persisté à présenter une version intrinsèquement incroyable des événements. Elle a conclu que son refus d’assumer sa responsabilité, compte tenu de la preuve accablante du contraire, témoignait d’une absence de remords et que ce facteur ne militait pas en faveur de la prise de mesures spéciales. Essentiellement, le demandeur est en désaccord avec la façon dont la SAI a apprécié la crédibilité de la preuve. Toutefois, le fait qu’il soit en désaccord ne rend pas l’évaluation que la SAI a faite des facteurs établis dans la décision Ribic déraisonnable.

[94] Lorsqu’elle a examiné l’importance des difficultés que causerait au demandeur son renvoi du Canada, la SAI a conclu que ces difficultés n’avaient pas été pas établies par la preuve. La SAI a exposé les observations du demandeur, y compris sa réponse lorsqu’on lui a demandé ce qui arriverait à sa santé mentale s’il était expulsé : [traduction] « Je ne suis déjà pas stable. Si cela devait m’arriver, je deviendrais fou, je pense. » Selon la SAI, les déclarations du demandeur au sujet des difficultés qu’il éprouverait en Inde étaient exagérées. De même, dans son témoignage, la sœur du demandeur a indiqué que celui-ci ne pourrait pas survivre en Inde en raison de la consommation de drogues et des gens qui s’entre-tuent là-bas. La SAI a fait remarquer que rien ne laissait entendre que le demandeur avait déjà consommé de la drogue de façon abusive; en fait, il avait dit au deuxième psychiatre qu’il n’avait jamais eu de trouble lié à la toxicomanie. Par conséquent, il était difficile de comprendre pourquoi la consommation de drogue en Inde serait une préoccupation.

[95] La SAI a également examiné les divers arguments de la conseil du demandeur, notamment le fait que ce dernier serait touché de façon disproportionnée par le renvoi en raison de ses problèmes de santé mentale qui, selon la conseil, seraient aggravés. La SAI a noté que le demandeur avait fourni divers articles, dont un qui laisse entendre que l’Inde ne dépense pas suffisamment de son PIB pour la santé mentale. Elle a conclu qu’il s’agissait d’un article d’opinion qui jetait peu de lumière sur la situation personnelle du demandeur. Il y avait aussi peu d’éléments de preuve démontrant que le demandeur avait besoin d’un soutien continu en santé mentale, et les rapports des psychiatres ne mentionnaient rien au sujet des répercussions d’un renvoi sur la santé mentale du demandeur. En bref, la SAI a conclu que le demandeur n’avait pas démontré comment il serait touché par l’un ou l’autre des problèmes soulevés dans les articles soumis par sa conseil, notamment la corruption, la pollution et les violations des droits de la personne. La SAI a conclu qu’elle ne disposait pas de suffisamment de renseignements pour tirer une conclusion concernant les difficultés que subirait le demandeur en raison de son TSPT ou de sa dépression, ou de tout autre profil ou problème particulier qu’il pourrait avoir s’il retournait en Inde.

[96] Après avoir examiné les motifs de la SAI, je suis d’avis qu’il est évident qu’elle s’est demandé, entre autres, si le renvoi influerait sur la santé mentale du demandeur, mais qu’elle a conclu que celui-ci n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour s’acquitter du fardeau qui lui incombait à cet égard.

[97] La SAI a conclu que les seuls facteurs qui militaient en faveur de la prise de mesures spéciales étaient l’établissement du demandeur et ses liens familiaux au Canada. Tous les autres facteurs étaient défavorables ou neutres. Dans l’affaire dont elle était saisie, le seuil pour la prise de mesures spéciales était élevé en raison de la gravité des fausses déclarations, qui ont été maintenues pendant de nombreuses années. La SAI a conclu que les facteurs favorables ne l’emportaient pas sur les facteurs défavorables et qu’ils ne justifiaient pas la prise de mesures spéciales.

[98] À mon avis, cette conclusion n’était pas déraisonnable.

Conclusion

[99] La principale hypothèse de presque toutes les observations du demandeur est fondée sur son désaccord quant à l’évaluation par la SAI de la crédibilité de la preuve. Cependant, le fait que le demandeur a produit plus de témoins et plus d’éléments de preuve documentaire que le ministre ne signifie pas qu’il est plus crédible que SH. Il ne s’agit pas d’une question de volume, mais de fiabilité de la preuve. La SAI a expliqué pourquoi elle privilégiait le témoignage de SH au sujet de la période critique antérieure à septembre 2008. Elle a effectué une évaluation exhaustive et globale de tous les éléments de preuve. Sa conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas crédible et son refus d’annuler la décision par laquelle la SI avait déclaré le demandeur interdit de territoire pour fausses déclarations étaient raisonnables, tout comme son évaluation des considérations d’ordre humanitaire pour décider que la prise de mesures spéciales n’était pas justifiée.

Questions proposées aux fins de certification

[100] Le demandeur a proposé la certification des deux questions suivantes :

  1. À quelle partie incombe le fardeau de la preuve dans un appel de novo devant la Section d’appel de l’immigration (« la SAI ») concernant la validité en droit d’une mesure de renvoi, au titre de l’alinéa 67(1)a) de la LIPR?

  2. Dans une instance en matière d’immigration, la preuve produite par un témoin opposé, à elle seule et sans corroboration, peut-elle satisfaire à la norme de preuve pour établir une allégation de fausse déclaration, présentée au titre de l’article 40 de la LIPR?

[101] Pour être certifiée, une question doit i) être déterminante quant à l’issue de l’appel, ii) transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. En corollaire, la question doit également avoir été soulevée et examinée dans la décision de la cour d’instance inférieure, et elle doit découler de l’affaire, et non des motifs du juge (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168 [Zhang] au para 9).

[102] En ce qui concerne la première question proposée, le demandeur soutient que, si le fardeau incombe au ministre, alors un simple examen des motifs de la SAI en l’espèce montre que le fardeau a été effectivement et déraisonnablement inversé puisqu’il a dû prouver qu’il n’avait pas fait de fausses déclarations. Si le fardeau incombe au demandeur, alors il n’a pas reçu d’avis en bonne et due forme. De plus, la question transcende manifestement les intérêts des parties, puisque l’issue de l’appel apportera une certitude quant au fardeau de la preuve aux deux parties à un appel d’une mesure de renvoi et au tribunal lui-même dans toutes les affaires ultérieures.

[103] À l’inverse, le défendeur soutient que la SAI a agi en se fondant sur le principe voulant que le fardeau incombe au ministre, ce qui était la position du demandeur. Comme le ministre l’a soutenu dans les observations écrites qu’il a présentées dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, la question de savoir si la SAI a commis une erreur est, au mieux, théorique en l’espèce. L’évaluation de la SAI ne reposait pas sur cette question, pas plus que l’évaluation, par la Cour, du caractère raisonnable de la décision de la SAI. Par conséquent, la première question ne serait pas déterminante.

[104] Je conclus que la question n’est pas déterminante quant à l’issue de l’appel. La SAI a imposé le fardeau au ministre, et c’est ce que le demandeur a préconisé devant la SAI et ce qu’il préconise encore devant moi. Compte tenu de l’évaluation de la crédibilité de la preuve par la SAI, le résultat n’aurait pas changé, même si le fardeau de la preuve avait été imposé au demandeur. Autrement dit, c’est la crédibilité de la preuve qui, en fin de compte, a été déterminante quant à la décision de la SAI et, par conséquent, quant au caractère raisonnable de cette décision dans le cadre du contrôle judiciaire. La question n’était pas de savoir à qui incombe le fardeau de la preuve. Bien que la SAI ait conclu que le ministre s’était acquitté de son fardeau, le résultat aurait été le même si le fardeau avait été imposé au demandeur. Pour la même raison, la question proposée ne transcende pas les intérêts des parties au litige.

[105] Quant à la deuxième question, le demandeur soutient que SH [traduction] « est un témoin opposé » et que ses « nombreuses allégations faites sous serment contre lui pourraient vraisemblablement la placer dans une situation de responsabilité civile ou criminelle ». Il fait valoir que la SI a conclu qu’il était interdit de territoire pour fausses déclarations en se fondant uniquement sur les déclarations de SH et les inférences subséquentes tirées par les agents d’immigration, qui n’ont renvoyé à aucun autre élément de preuve pour corroborer son allégation selon laquelle le demandeur avait contracté un mariage de convenance dans le but d’obtenir le statut de résident permanent. Les conclusions des enquêteurs et de la SI ont été intégrées dans l’analyse de la SAI.

[106] Le défendeur soutient que la question présume, sans fondement jurisprudentiel, que le témoignage d’une partie adverse n’est pas fiable ou crédible du seul fait que ses intérêts ne concordent pas avec ceux de la personne en cause. Elle ne tient pas compte du fait que l’un des rôles essentiels de la SAI, comme celui de tout juge des faits, consiste à évaluer la crédibilité des témoins et de leurs éléments de preuve. Exiger de la SAI qu’elle rejette le témoignage de SH simplement parce qu’elle a enclenché la procédure d’admissibilité revient à priver la SI et la SAI de leur capacité d’évaluer des récits divergents, d’en privilégier un par rapport à l’autre et de fournir des motifs convaincants pour justifier leur préférence. La question présume en outre, sans aucun fondement, qu’il est impossible pour un juge des faits d’évaluer la fiabilité et la véracité du témoignage d’un témoin en l’absence de corroboration. Quoi qu’il en soit, la question n’est pas déterminante quant à l’issue de l’appel, étant donné l’évaluation détaillée de la preuve contradictoire effectuée par la SAI et les raisons pour lesquelles elle a privilégié le témoignage de SH au sujet de questions cruciales.

[107] Je suis d’accord avec le défendeur. La question proposée ne tient pas compte de la question de la crédibilité de la preuve du « témoin opposé » et de celle des autres témoins. Dans tous les cas, il incombe au juge des faits d’apprécier la crédibilité et de soupeser la preuve. La question de savoir si une preuve corroborante est requise ou non dépend des faits; cela dépend des circonstances de l’affaire dont est saisi le décideur. Je ferais également remarquer que l’observation de l’avocate du demandeur selon laquelle les [traduction] « nombreuses allégations faites sous serment contre [le demandeur] pourraient vraisemblablement placer [SH] dans une situation de responsabilité civile ou criminelle » est incendiaire, inutile et sans fondement.

[108] Par conséquent, je refuse de certifier les questions proposées.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3303-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  3. Les questions proposées par le demandeur aux fins de certification sont rejetées.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3303-22

 

INTITULÉ :

AMRITPAL SINGH BAINS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 MAI 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 JUIN 2023

 

COMPARUTIONS :

Joanna Berry

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Bernard Assan

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Law Office of Joanna Berry

Fort Erie (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 

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