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Date : 20230704

Dossiers : T‐2276‐22

T‐2318‐22

Référence : 2023 CF 943

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2023

En présence du juge responsable de la gestion de l’instance, Benoit M. Duchesne

ENTRE :

BOEHRINGER INGELHEIM (CANADA) LTÉE et BOEHRINGER INGELHEIM

INTERNATIONAL GMBH

demanderesses

et

JAMP PHARMA CORPORATION

défenderesse

MOTIFS ET ORDONNANCE

[1] Les demanderesses et la défenderesse sont parties à une action intentée en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‐133 (le Règlement).

[2] Les demanderesses sollicitent un jugement déclaratoire et d’autres mesures de réparation contre la défenderesse relativement à la fabrication, à la construction, à l’utilisation ou à la vente de comprimés à 10 mg ou à 25 mg d’empagliflozine administrés par voie orale qui contreferaient directement les brevets canadiens portant les numéros 2 696 558, 2 752 435, 2 557 801, 2 606 650, 2 751 833 et 2 813 661, respectivement, ou inciteraient à la contrefaçon de diverses revendications contenues dans ces derniers. La défenderesse a présenté divers arguments pour sa défense, portant notamment que les brevets sont invalides et nuls. Aucun des moyens de défense invoqués n’est en cause dans le cadre de la présente requête.

[3] La défenderesse a déposé une requête visant à contraindre les inventeurs qui sont des employés des demanderesses (les inventeurs employés) à se soumettre à un interrogatoire préalable conformément au paragraphe 237(4) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‐106 (les Règles), aux termes d’une ordonnance contre les demanderesses en application du paragraphe 90(2) des Règles. La défenderesse cherche donc essentiellement à obtenir, à l’encontre des demanderesses, une ordonnance qui obligerait directement ces dernières à mettre à sa disposition des individus – qui sont des témoins potentiels, mais qui ne représentent pas les demanderesses –, à savoir les inventeurs employés, afin qu’elle puisse leur faire subir un interrogatoire préalable conformément au paragraphe 237(4) des Règles, faute de quoi l’ordonnance pourrait être exécutée contre les demanderesses.

[4] Les demanderesses s’opposent à la requête en soutenant notamment que les Règles ne permettent pas à la Cour de rendre une telle ordonnance. Je suis d’accord avec les demanderesses.

[5] La défenderesse souhaite également obtenir une ordonnance contraignant les demanderesses à fournir davantage de coordonnées – ou des coordonnées plus pertinentes ou utiles – , tels les numéros de téléphone et les adresses de courriel, des inventeurs désignés dans les brevets qui ne sont plus employés par les demanderesses (les inventeurs qui sont d’anciens employés). Les demanderesses affirment avoir respecté l’obligation que leur impose le Règlement à cet égard et elles soutiennent que le fait de les obliger à se conformer à une telle ordonnance donnerait lieu à un exercice futile que ni les Règles ni le Règlement n’envisagent. Je suis d’accord avec les demanderesses.

[6] Par ailleurs, la défenderesse sollicite une ordonnance obligeant les demanderesses à permettre à ses avocats d’avoir une discussion informelle avec chacun des inventeurs employés, pendant une heure et par vidéoconférence, en vue de déterminer le rôle de chacun de ces individus dans la conception des inventions en litige. Ces discussions ne porteraient pas atteinte à la capacité de la défenderesse de solliciter la délivrance de lettres de demande ou de lettres rogatoires afin de pouvoir interroger au préalable chacun des inventeurs employés et les avocats des demanderesses pourraient y assister. Les discussions ne seraient pas enregistrées, mais chacun des inventeurs employés devrait accepter de dire la vérité. Les demanderesses soutiennent que les Règles ne prévoient pas ce moyen de contrainte et que la demande devrait être rejetée. Je suis, encore une fois, d’accord avec les demanderesses.

[7] Finalement, la défenderesse demande à la Cour de rendre une ordonnance fixant l’échéancier des interrogatoires préalables et une ordonnance concernant la manière dont ceux‐ci se dérouleront dans le cas où les parties ne parvenaient pas à s’entendre après avoir reçu les présents motifs. La Cour enjoindra aux parties de demander une conférence de gestion de l’instance dans l’éventualité où elles ne peuvent s’entendre sur la démarche à suivre après le dépôt des présents motifs.

[8] La requête de la défenderesse sera donc rejetée pour les motifs qui suivent.

I. Contexte

[9] Les parties se préparent en vue de l’enquête préalable qui aura lieu dans le cadre de la présente instance. La défenderesse souhaite interroger les vingt‐trois (23) inventeurs désignés dans les brevets susmentionnés qui sont toujours vivants. Seulement treize (13) des inventeurs sont toujours employés par les demanderesses ou par une société contrôlée par ces dernières. Les inventeurs, qu’ils soient employés par les demanderesses ou non, résident à l’étranger, principalement en Allemagne, et sont donc hors de la portée de la compétence territoriale de la Cour.

[10] Chacun des inventeurs, qu’il soit employé par les demanderesses ou non, a cédé ses droits de brevet aux demanderesses, de sorte que les inventeurs et les demanderesses sont respectivement les cédants et les cessionnaires des droits de brevet aux fins de l’application du paragraphe 237(4) des Règles.

[11] Les parties se sont entretenues au sujet de l’interrogatoire préalable des inventeurs, mais elles ne sont pas parvenues à convenir d’un plan d’enquête préalable.

[12] Une ordonnance fixant l’échéancier des interrogatoires préalables a été rendue au début de l’instance. Selon cette ordonnance, les demanderesses devaient communiquer à la défenderesse l’identité des inventeurs qui participeraient aux interrogatoires préalables et lui dire où et comment ces derniers seraient disponibles. Les demanderesses ont proposé, pour l’ensemble des brevets en litige, que six (6) inventeurs subissent des interrogatoires préalables et que ceux‐ci aient lieu à Bruxelles plutôt qu’en Allemagne, compte tenu de contraintes alléguées liées à la Convention entre Sa Majesté et le Président du Reich Allemand concernant les actes de procédure en matières civile et commerciale (20 mars 1928) (la Convention entre l’Allemagne et le Royaume‐Uni; traité F101557 du Canada, en vigueur au Canada depuis le 1er août 1935).

[13] Les demanderesses ont fait cette proposition en suivant le raisonnement qu’elles pourraient permettre à la défenderesse de faire subir un interrogatoire préalable aux inventeurs employés qu’elles feraient comparaître à l’instruction. Elles ont informé la défenderesse qu’elles feraient en sorte que d’autres inventeurs employés qu’elles pourraient appeler à témoigner à l’instruction soient disponibles pour se soumettre à un interrogatoire préalable. Du point de vue des demanderesses, cette façon de faire permettrait de préciser les questions en litige et d’adopter une approche proportionnelle en ce qui concerne l’interrogatoire préalable des inventeurs, car cela permettrait d’éviter d’interroger inutilement ceux qui ne seraient pas appelés à témoigner à l’instruction.

[14] La défenderesse a demandé si les demanderesses feraient en sorte que les autres inventeurs employés se soumettent à un interrogatoire préalable. Les demanderesses ont répondu que ces inventeurs ne seraient pas disponibles [TRADUCTION] « pour le moment », mais qu’ils pourraient l’être ultérieurement s’ils étaient appelés à témoigner à l’instruction. Les demanderesses n’ont pas affirmé qu’elles n’appelleraient aucun autre inventeur comme témoin.

[15] La défenderesse interprète la réponse des demanderesses comme un refus de soumettre les inventeurs employés à un interrogatoire préalable et elle fait valoir que ce refus n’est pas fondé, car il porte atteinte au droit de mener des interrogatoires préalables que les Règles lui confèrent.

[16] Elle soutient que, par la présente requête, elle demande à la Cour de trancher la question de savoir si c’est le breveté ou le contestataire d’un brevet qui devrait avoir ou a le pouvoir de décider combien d’inventeurs seraient interrogés au cours de l’enquête préalable dans les litiges en matière de brevets canadiens, ainsi que l’identité de ces inventeurs. Bien que la défenderesse ait formulé sa requête ainsi, le paragraphe 237(4) des Règles et la jurisprudence pertinente établissent clairement qu’une partie à une action, en l’occurrence la défenderesse, peut interroger au préalable tout cédant de la partie qui a un intérêt opposé, sous réserve de toute ordonnance de la Cour définissant des paramètres ou des conditions visant la partie menant l’interrogatoire (articles 53 et 87.1, paragraphe 90(2) et articles 96, 97 et 238 des Règles; Richter Gedeon Vegyészeti Gyar Rt c Merck & Co. (CA), 1995 CanLII 3514 (CAF), [1995] 3 CF 330; Faulding (Canada) Inc. c Pharmacia S.P.A., 1999 CanLII 7940 (CF) au para 4).

[17] Quant à la présente requête, la véritable question en litige ne concerne pas le droit d’interroger au préalable un cédant ni la détermination des moyens à mettre en œuvre pour contraindre ce dernier à se soumettre à l’interrogatoire préalable. La véritable question concerne plutôt les mécanismes permettant d’obliger un cédant qui n’est pas partie à l’action à se soumettre à un interrogatoire préalable, comme le prévoit le paragraphe 237(4) des Règles, dans le contexte d’une poursuite sous le régime du Règlement lorsque le défendeur allègue que le brevet est invalide ou nul.

II. Droit applicable

[18] Les règles qui s’appliquent aux interrogatoires hors cour sont énoncées aux articles 87 à 100 et 234 à 254 des Règles. Les articles 87 à 100 des Règles prévoient les mécanismes généraux des interrogatoires hors cour; ils s’appliquent également aux dépositions recueillies hors cour pour être utilisées à l’instruction en application des articles 271 à 273 des Règles, au contre‐interrogatoire concernant un affidavit et à l’interrogatoire à l’appui d’une exécution forcée. Les articles 237 à 254 des Règles visent plus particulièrement les interrogatoires préalables.

[19] Le paragraphe 234(1) et les articles 235 et 236 des Règles concernent l’interrogatoire préalable d’une partie adverse à l’instance. Le paragraphe 234(2) ainsi que les articles 237, 238 et 239 des Règles s’appliquent à l’interrogatoire préalable d’une personne qui n’est pas nécessairement une partie à l’action.

[20] L’article 237 des Règles prévoit ce qui suit :

Interrogatoire d’une personne morale

Representative selected

237 (1) La personne morale, la société de personnes ou l’association sans personnalité morale qui est soumise à un interrogatoire préalable désigne un représentant pour répondre en son nom.

237 (1) A corporation, partnership or unincorporated association that is to be examined for discovery shall select a representative to be examined on its behalf.

Interrogatoire de la Couronne

Examination of Crown

(2) Lorsque la Couronne est soumise à un interrogatoire préalable, le procureur général du Canada désigne un représentant pour répondre en son nom.

(2) Where the Crown is to be examined for discovery, the Attorney General of Canada shall select a representative to be examined on its behalf.

Substitution ordonnée

Order for substitution

(3) La Cour peut, sur requête d’une partie ayant le droit d’interroger une personne désignée conformément aux paragraphes (1) ou (2), ordonner qu’une autre personne soit interrogée à sa place.

(3) The Court may, on the motion of a party entitled to examine a person selected under subsection (1) or (2), order that some other person be examined.

Interrogatoire du cessionnaire

Examination of assignee

(4) Lorsqu’un cessionnaire est partie à l’action, le cédant peut également être soumis à un interrogatoire préalable.

(4) Where an assignee is a party to an action, the assignor may also be examined for discovery.

Interrogatoire du syndic

Examination of trustee in bankruptcy

(5) Lorsqu’un syndic de faillite est partie à l’action, le failli peut aussi être soumis à un interrogatoire préalable.

(5) Where a trustee in bankruptcy is a party to an action, the bankrupt may also be examined for discovery.

Interrogatoire d’une personne sans capacité d’ester en justice

Examination of party under legal disability

(6) La partie qui entend soumettre à un interrogatoire préalable la personne désignée, en vertu de l’alinéa 115(1)b), pour représenter une personne n’ayant pas la capacité d’ester en justice peut, avec l’autorisation de la Cour, interroger aussi cette dernière.

(6) If a party intends to examine for discovery a person who is appointed under paragraph 115(1)(b) to represent a person under a legal disability, the party may, with leave of the Court, also examine the person under a legal disability.

Interrogatoire d’une personne qui n’est pas une partie

Examination of nominal party

(7) Si une partie entend soumettre à un interrogatoire préalable une partie qui introduit ou conteste l’action pour le compte d’une personne qui n’est pas une partie, elle peut aussi, avec l’autorisation de la Cour, soumettre cette personne à un interrogatoire préalable.

(7) Where a party intends to examine for discovery a person bringing or defending an action on behalf of another person who is not a party, with leave of the Court, the party may also examine that other person.

[21] Le paragraphe 237(1) des Règles prévoit la manière dont on peut interroger une personne morale, entité juridique non douée de sensibilité, c’est‐à‐dire en soumettant à un interrogatoire préalable son représentant désigné à cette fin. Ce représentant peut ou non être partie à l’action, selon la façon dont celle‐ci est formulée. De même, il est possible que la personne morale soit partie à l’action ou encore qu’elle ne le soit pas. Ce qui importe, c’est que ce paragraphe exige qu’une personne morale désigne un représentant pour répondre en son nom. Les réponses données par son représentant lors de l’interrogatoire préalable lient la personne morale.

[22] Le paragraphe 237(2) des Règles a le même effet, mais il s’applique lorsque la Couronne est soumise à un interrogatoire préalable. À l’instar d’une personne morale, la Couronne doit désigner un représentant pour répondre en son nom. Les réponses données par son représentant lors de l’interrogatoire préalable lient la Couronne.

[23] Le paragraphe 237(3) des Règles s’applique lorsqu’une partie ayant le droit d’interroger un représentant désigné par une personne morale ou par la Couronne souhaite interroger préalablement une autre personne à la place de ce dernier.

[24] Le paragraphe 237(4) des Règles prévoit explicitement que le cédant peut être soumis à un interrogatoire préalable lorsque le cessionnaire des droits de ce dernier est partie à l’action. Contrairement à ce que prévoient les paragraphes 237(1) et 237(2) des Règles pour une personne morale ou la Couronne, qui peut être partie à l’action ou non, le paragraphe 237(4) des Règles laisse entendre que le cédant n’est pas partie à l’action, et ce, même si le cessionnaire l’est. Il ressort également de ce paragraphe que le cédant, soit l’inventeur dans la présente requête, n’est pas le représentant du cessionnaire en ce qui concerne l’interrogatoire préalable en application du paragraphe 237(4) des Règles.

[25] Les paragraphes 237(5), 237(6) et 237(7) des Règles ont un objet et un effet similaires à ceux du paragraphe 237(4) de celles‐ci, car ils énoncent le droit de soumettre à un interrogatoire préalable une personne qui n’est pas une partie à l’action, sous réserve de l’autorisation de la Cour dans le cas des paragraphes 237(6) et 237(7).

[26] Les articles 88 à 100 des Règles s’appliquent aux interrogatoires préalables. Ces articles établissent les modalités d’exercice du droit de soumettre une partie ou une personne à un interrogatoire préalable. Les paragraphes 89(3) et 90(2) des Règles s’appliquent aux interrogatoires préalables menés hors du Canada ou lorsqu’une personne à interroger réside à l’étranger. Les dispositions pertinentes des Règles sont libellées comme suit :

Interrogatoire oral

Oral examination

89 (1) La partie qui demande un interrogatoire oral paie le montant relatif à l’enregistrement déterminé selon le tarif A.

89 (1) A party requesting an oral examination shall pay the fees and disbursements related to recording the examination in accordance with Tariff A.

Interrogatoire au Canada

Examination in Canada

(2) L’interrogatoire oral qui a lieu au Canada est enregistré par une personne autorisée à enregistrer des interrogatoires préalables selon la pratique et la procédure d’une cour supérieure au Canada.

(2) An oral examination that takes place in Canada shall be recorded by a person authorized to record examinations for discovery under the practice and procedure of a superior court in Canada.

Interrogatoire à l’étranger

Examination outside Canada

(3) L’interrogatoire oral qui a lieu à l’étranger est enregistré par une personne autorisée :

(3) An oral examination that takes place in a jurisdiction outside Canada shall be recorded by a person authorized to record:

a) soit à y enregistrer des procédures judiciaires;

(a) court proceedings in that jurisdiction; or

b) soit à enregistrer des interrogatoires préalables selon la pratique et la procédure d’une cour supérieure au Canada, si les parties y consentent.

(b) examinations for discovery under the practice and procedure of a superior court in Canada, if the parties consent.

Enregistrement intégral

Examination to be recorded

(4) La personne chargée d’enregistrer un interrogatoire oral l’enregistre intégralement, y compris les commentaires des avocats, en excluant toutefois les énoncés que les parties présentes consentent à exclure du dossier.

(4) A person who records an oral examination shall record it word for word, including any comment made by a solicitor, other than statements that the attending parties agree to exclude from the record.

Endroit de l’interrogatoire

Place of oral examination

90 (1) Lorsque la personne devant subir un interrogatoire oral réside au Canada et n’arrive pas à s’entendre avec les parties sur l’endroit où se déroulera l’interrogatoire, celui-ci est tenu à l’endroit où siège une cour supérieure qui est le plus proche de la résidence de la personne.

90 (1) Where a person to be examined on an oral examination resides in Canada and the person and the parties cannot agree on where to conduct the oral examination, it shall be conducted in the place closest to the person’s residence where a superior court sits.

Personne résidant à l’étranger

Person residing outside Canada

(2) Lorsque la personne devant subir un interrogatoire oral réside à l’étranger, l’interrogatoire est tenu aux date, heure et lieu, de la manière et pour les montants au titre des indemnités et dépenses dont conviennent la personne et les parties ou qu’ordonne la Cour sur requête.

(2) Where a person to be examined on an oral examination resides outside Canada, the time, place, manner and expenses of the oral examination shall be as agreed on by the person and the parties or, on motion, as ordered by the Court.

Frais de déplacement

Travel expenses

(3) Nul ne peut être contraint à comparaître aux termes d’une assignation à comparaître pour subir un interrogatoire oral que si des frais de déplacement raisonnables lui ont été payés ou offerts.

(3) No person is required to attend an oral examination unless reasonable travel expenses have been paid or tendered to the person.

[27] Interprétés conjointement, le paragraphe 237(4) des Règles donne à la défenderesse le droit d’interroger au préalable un inventeur cédant qui réside à l’étranger et le paragraphe 90(2) de celles‐ci précise les modalités de l’interrogatoire

[28] Or, ni l’un ni l’autre de ces paragraphes n’impose au cessionnaire l’obligation de faire en sorte que son inventeur cédant se soumette à un interrogatoire. Le paragraphe 237(4) des Règles énonce le droit d’interroger au préalable l’inventeur cédant, mais il ne fait mention d’aucune mesure que le cessionnaire doit prendre, le cas échéant, relativement au droit de la partie adverse d’interroger au préalable l’inventeur cédant.

[29] Selon les paragraphes 6.04(2) et 5(3.1) du Règlement, le cessionnaire est tenu de fournir les nom et coordonnées de tout inventeur qui pourrait avoir des renseignements pertinents quant à l’allégation qu’un brevet est invalide ou nul; toutefois, aucune disposition du Règlement n’exige que le cessionnaire fasse en sorte que l’inventeur cédant se soumette à un interrogatoire. Il s’ensuit que le droit d’interroger au préalable un inventeur cédant en vertu du paragraphe 237(4) des Règles, dans le contexte d’une action intentée en vertu de l’article 6 du Règlement dans laquelle il est allégué qu’un brevet est invalide ou nul, oblige le cessionnaire à fournir les nom et coordonnées des inventeurs et à indiquer, sur demande, si le cédant est l’un de ses employés ou non. Cependant, ce droit n’impose pas au cessionnaire l’obligation plus étendue de prendre des mesures afin de favoriser la présence du cédant à l’interrogatoire préalable.

[30] Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (Gazette du Canada, partie I, vol 151, no 28, à la page 1227 du recueil de la défenderesse) (le REIR) concernant les modifications apportées au Règlement en 2017 s’avère utile pour déterminer si le Règlement avait pour but d’imposer au cessionnaire une obligation plus étendue que celle qui lui est imposée au paragraphe 237(4) des Règles (Bristol‐Myers Squibb Co. c Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 RCS 533 au para 157). Le REIR prévoit seulement, selon la page 1236 du recueil de la défenderesse, que le cessionnaire doit fournir les nom et coordonnées de tout inventeur qui pourrait avoir des renseignements pertinents quant à l’allégation d’invalidité ou de nullité d’un brevet. L’exigence de fournir des coordonnées vise à faciliter et à accélérer l’accès aux éléments de preuve pertinents, que l’inventeur soit employé par le cessionnaire ou non. La différence dans la façon de faire, selon que le cédant est un employé ou non, réside uniquement dans la manière dont le cessionnaire peut remplir son obligation de fournir des coordonnées. Lorsque l’inventeur cédant est toujours un employé du cessionnaire, ce dernier peut remplir cette obligation en déclarant simplement que l’inventeur peut être contacté par l’entremise des avocats du cessionnaire. Lorsque l’inventeur cédant n’est plus un employé du cessionnaire, ce dernier doit alors fournir les coordonnées de l’inventeur. Cependant, ni l’une ni l’autre de ces situations n’impose au cessionnaire une quelconque obligation de faire en sorte que l’inventeur cédant, qu’il soit son employé ou non, soit disponible pour se soumettre à un interrogatoire préalable. En effet, il ressort plutôt du Règlement et du REIR (à la page 1230 du recueil de la défenderesse) que la seule obligation consiste à fournir les coordonnées et que les Règles s’appliqueront normalement aux interrogatoires et à l’accès à d’éventuels éléments de preuve.

[31] Par conséquent, l’obligation de fournir les coordonnées de l’inventeur est la seule obligation imposée directement au cessionnaire en lien avec le droit d’une partie, en application du paragraphe 237(4) des Règles, d’interroger au préalable un cédant qui n’est pas partie à l’action. La partie qui cherche à interroger un inventeur cédant peut utiliser ces coordonnées pour déclencher la procédure qui lui permettra de forcer ce dernier à se rendre disponible pour se soumettre à un interrogatoire préalable même s’il n’est pas partie à l’action. En outre, il est clair que, sous réserve de l’obligation imposée aux parties aux termes de l’article 6.09 du Règlement de collaborer de façon raisonnable au règlement expéditif de toute action intentée en vertu du paragraphe 6(1) de ce dernier, obligation soigneusement examinée et expliquée par la Cour dans la décision Allergan Inc. c Apotex Inc., 2020 CF 658 (CanLII) au para 18, les Règles n’imposent au cessionnaire aucune obligation de faire en sorte que l’un de ses inventeurs cédants soit disponible pour se soumettre à un interrogatoire préalable.

[32] Selon la procédure habituelle à suivre pour interroger un tiers au Canada, la partie qui entend interroger un inventeur cédant signifie à ce dernier une assignation à comparaître, conformément au paragraphe 91(1) et à l’alinéa 91(3)b) des Règles qui prévoient la signification d’une assignation à comparaître à la personne à interroger. Cela peut sembler évident, mais il faut signifier une assignation à comparaître à tout tiers à interroger, puisque la Cour peut ordonner à ce tiers de comparaître en application de l’article 97 des Règles uniquement à la suite d’un défaut de comparaître.

[33] La défenderesse laisse entendre que, lorsque l’inventeur cédant réside à l’étranger, il est possible de signifier l’assignation à comparaître au cessionnaire, au lieu de contraindre l’inventeur cédant à se présenter, afin que le cessionnaire fasse le nécessaire pour qu’une personne qui n’est pas son représentant se rende disponible pour se soumettre à un interrogatoire préalable. Elle laisse également entendre que la Cour peut rendre une ordonnance au titre du paragraphe 90(2) des Règles pour exercer, à l’égard du cessionnaire, le pouvoir que lui confère l’article 97 de ces dernières, si l’inventeur cédant ne se présente pas pour subir un interrogatoire préalable. Cette substitution proposée est erronée, puisqu’il ne faut pas confondre l’interrogatoire préalable d’un représentant du cessionnaire et celui d’un témoin tiers qui n’est pas un représentant du cessionnaire, mais qui a été choisi par ce dernier pour se soumettre à l’interrogatoire préalable. L’obligation de se soumettre à un interrogatoire préalable est une obligation personnelle qui lie la personne visée par l’assignation à comparaître, conformément aux Règles. En présentant cet argument, la défenderesse laisse entendre à tort qu’on peut imposer indirectement cette obligation personnelle en signifiant une assignation à comparaître à une personne autre que celle qui sera interrogée. Elle ne tient pas compte du fait que la Cour peut exercer le pouvoir coercitif que lui confère l’article 97 des Règles uniquement lorsqu’un témoin assigné à comparaître à une audience ne se présente pas à un interrogatoire. Ce pouvoir ne permet pas à la Cour de contraindre une personne à qui l’on n’a pas signifié une assignation à comparaître.

[34] S’agissant de l’interrogatoire d’un tiers qui ne réside pas au Canada, la procédure habituelle consiste à reconnaître les limites de la compétence territoriale et de la compétence personnelle de la Cour en ce qui concerne les tiers et à envisager la prise de mesures qui permettent de contraindre un tiers résidant à l’étranger à se présenter pour subir un interrogatoire. Le paragraphe 90(2) des Règles prévoit que l’interrogatoire d’une personne résidant à l’étranger doit se dérouler conformément aux modalités dont conviennent la personne et les parties ou que la Cour ordonne. Puisque la façon la plus efficace d’obliger une personne ne résidant pas au Canada à se présenter à un interrogatoire est de demander aux autorités locales concernées d’exercer un pouvoir de contrainte similaire au pouvoir prévu par l’article 97 des Règles, il apparaît évident que la Cour solliciterait la collaboration de ces autorités pour forcer l’intéressé à subir un interrogatoire préalable. La Cour fait régulièrement appel à une telle collaboration en rendant une ordonnance de commission rogatoire ou de lettre de demande comme le prévoient le paragraphe 53(1) de la Loi sur les Cours fédérales ainsi que les articles 271 et 272 des Règles, selon la formule 272, avec les adaptations nécessaires pour les fins de l’interrogatoire préalable. La Cour a un pouvoir discrétionnaire très vaste pour fixer les modalités de l’interrogatoire d’un tiers qui réside à l’étranger (Visx Inc. c Nidek Co., 1998 CanLII 8031 (CF) au para 9; voir aussi Allergan Inc. c Apotex Inc., 2020 CF 658 (CanLII) au para 17). Ce pouvoir permet à la Cour d’ordonner la délivrance de lettres de demande et d’une commission rogatoire si l’inventeur réside à l’étranger. Il s’agit de la méthode la plus efficace lorsque les parties ne s’entendent pas.

III. Analyse

A) Le droit d’interroger les inventeurs employés

[35] La défenderesse fait valoir que, en vertu du paragraphe 237(4) des Règles, elle a le droit d’interroger au préalable les inventeurs employés des demanderesses. Elle soutient en outre que son souhait d’interroger au préalable chaque inventeur employé est proportionnel et ne prolongerait pas indûment la durée de l’instance. Enfin, elle prétend que la question de la proportionnalité ne doit pas l’emporter sur son droit fondamental d’interroger au préalable les inventeurs employés.

[36] Les demanderesses reconnaissent que la défenderesse a le droit d’interroger au préalable les inventeurs employés en vertu du paragraphe 237(4) des Règles, mais elles font valoir que ce droit n’est pas illimité et qu’il est assujetti au principe de proportionnalité. Cet argument pose problème, puisque les demanderesses appliquent le principe de proportionnalité en l’espèce comme s’il était approprié pour le cessionnaire de déterminer à l’avance comment la défenderesse devrait mener l’interrogatoire préalable des inventeurs employés de façon à respecter ce principe. Or, ce n’est pas le cas.

[37] Finalement, les demanderesses soutiennent que la manière dont la défenderesse cherche à contraindre les inventeurs employés qui ne résident pas au Canada à comparaître — soit au moyen d’une ordonnance exécutoire contraignant les demanderesses à faire en sorte que ces inventeurs employés comparaissent à un interrogatoire préalable — n’est pas prévue par les Règles, et que la défenderesse devrait plutôt solliciter la délivrance de lettres de demande et d’une commission rogatoire.

[38] Comme je l’ai déjà mentionné, il est évident que la défenderesse a le droit d’interroger les inventeurs employés et qu’elle peut exercer ce droit (Richter Gedeon Vegyészeti Gyar Rt c Merck & Co. (C.A.), 1995 CanLII 3514 (CAF), [1995] 3 CF 330; Faulding (Canada) Inc. c Pharmacia S.P.A., 1999 CanLII 7940 (CF) au para 4).

[39] Il va sans dire que le droit à l’enquête préalable, y compris l’interrogatoire préalable, est assujetti au principe général de la proportionnalité énoncé à l’article 3 des Règles. Quant à l’application de ce principe dans le cadre de l’interrogatoire préalable oral, la Cour doit au moins se demander si l’information sollicitée est nécessaire pour permettre à la partie qui la demande d’établir le bien‐fondé de sa cause, ou si cette partie ne l’a sollicitée que pour ne pas être prise de court au procès (Apotex Inc. c H. Lundbeck A/S, 2012 CF 414 (CanLII) au para 48).

[40] Les demanderesses n’ont pas démontré dans la présente requête que le souhait de la défenderesse d’interroger au préalable les sept (7) autres des treize (13) inventeurs employés est disproportionné, compte tenu de l’importance des questions en litige. L’exercice du droit de la défenderesse d’interroger au préalable les treize (13) inventeurs employés en vertu du paragraphe 237(4) des Règles ne doit pas être entravé par les demanderesses, comme ce fut le cas en l’espèce. Même s’il est possible que la Cour juge plus tard que les demanderesses avaient déterminé à juste titre que seuls les inventeurs employés qu’elle propose de faire comparaître à un interrogatoire préalable doivent être interrogés dans le cadre de l’instance, ni les Règles ni le Règlement ne donnent aux demanderesses un quelconque droit préemptif de dicter unilatéralement ce qui est proportionnel ou non dans la façon dont la défenderesse entend interroger ces individus. Puisque les parties à une action sont tenues de collaborer de façon raisonnable au règlement expéditif de celle‐ci, même si un tel droit préemptif existait, il n’appartiendrait pas aux demanderesses de décider de l’exercice proportionnel de ce droit d’après leur évaluation du bien‐fondé de leur propre cause et de l’utilisation qui peut être faite au procès de l’interrogatoire préalable des inventeurs employés. Il s’ensuit que la conduite des demanderesses est contraire aux Règles, car elles veulent choisir unilatéralement lesquels des inventeurs employés qu’elles proposent de faire comparaître à un interrogatoire préalable en application du paragraphe 237(4) des Règles et elles s’accrochent à cette décision malgré la demande de la défenderesse d’interroger tous les inventeurs employés.

[41] Si les demanderesses ont des préoccupations légitimes concernant le nombre d’inventeurs employés que la défenderesse a l’intention de soumettre à un interrogatoire préalable, elles devraient soulever ces préoccupations lors d’une discussion sur l’établissement d’un plan d’enquête préalable, dans le cadre d’une conférence de gestion de l’instance, ou encore par l’entremise d’une requête demandant à la Cour d’imposer des conditions visant les interrogatoires préalables menés par la défenderesse en application du paragraphe 237(4) des Règles.

B) La manière de contraindre les inventeurs employés à se soumettre à un interrogatoire préalable

[42] La défenderesse sollicite, à l’encontre des demanderesses, une ordonnance qui obligerait ces dernières à mettre à la disposition de la défenderesse des individus – qui sont des témoins potentiels mais qui ne représentent pas les demanderesses –, à savoir les inventeurs employés, afin qu’elle puisse leur faire subir un interrogatoire préalable conformément au paragraphe 237(4) des Règles, faute de quoi l’ordonnance pourrait être exécutée contre les demanderesses. Comme je l’ai déjà expliqué, ni les Règles ni le Règlement ne permettent à la Cour de rendre une telle ordonnance. L’obligation des parties de collaborer de façon raisonnable au règlement expéditif de la présente instance en vertu de l’article 6.09 du Règlement ne permet pas d’exiger de la Cour qu’elle crée un nouveau véhicule procédural pour contraindre un tiers cessionnaire qui ne réside pas au Canada à se soumettre à un interrogatoire préalable lorsque les moyens qui peuvent normalement être exercés, tels une entente entre les parties ou la délivrance de lettres de demande et d’une commission rogatoire, n’ont pas été épuisés.

[43] À l’appui de son argument selon lequel il existe des précédents en matière d’ordonnance contraignant le représentant d’une société qui réside à l’étranger à comparaître au Canada pour y subir un interrogatoire préalable, la défenderesse invoque la décision Offshore Interiors Inc. c Worldspan Marine Inc., 2017 CF 479 (Offshore Interiors), rendue par le juge Phelan. La décision Offshore Interiors ne s’applique pas à la question en litige en l’espèce. La question soulevée dans cette affaire était celle de savoir si des représentants d’une société, qui avaient fourni des affidavits pour les fins d’une instance au Canada, pouvaient être contraints, à condition qu’aucun besoin physique ou psychologique ne les en empêche, de se rendre à Vancouver depuis les États‐Unis pour y être contre‐interrogés au sujet de leur affidavit respectif. La Cour se penchait alors sur le contre‐interrogatoire d’auteurs d’affidavit qui étaient des représentants d’intervenants, et non de témoins cédants qui n’étaient pas parties à l’instance. L’affaire Offshore Interiors ne portait pas du tout sur le paragraphe 237(4) des Règles, car elle portait sur le contre‐interrogatoire d’auteurs d’affidavit (Offshore Interiors, au para 11), ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[44] La défenderesse cite également la décision Allergan Inc. c Apotex Inc., 2020 CF 658 (CanLII), qui, à son avis, constitue un exemple clair de l’application du paragraphe 237(4) des Règles et de l’application du droit, exécutoire contre le cessionnaire, d’interroger au préalable un inventeur. Je ne suis pas d’accord. Dans l’affaire Allergan, un ensemble très précis de circonstances et d’événements a amené la Cour à rendre une ordonnance, conformément à l’article 3 des Règles et à l’article 6.09 du Règlement, exigeant que le cessionnaire fasse de son mieux pour obtenir qu’une inventrice qui ne résidait pas au Canada et n’était pas partie à l’instance, participe à un interrogatoire. Le cessionnaire n’a pas été contraint de faire le nécessaire pour que l’inventrice se soumette à un interrogatoire préalable, comme la défenderesse cherche à le faire en l’espèce.

[45] Il existe d’autres motifs conformes au bon sens, outre l’absence de fondement juridique, de refuser l’ordonnance demandée par la défenderesse. En effet, les demanderesses, même en faisant de leur mieux, pourraient ne pas être en mesure de respecter une telle ordonnance pour des raisons, des circonstances ou des intérêts indépendants de leur volonté et qui concernent uniquement le cédant à interroger.

[46] Dans leurs prétentions écrites et lors de l’audition de la présente requête, les demanderesses ont indiqué être prêtes à envisager et peut‐être même à ne pas contester, le cas échéant, une requête pour obtenir une ordonnance de commission rogatoire et de lettre de demande en vue de l’interrogatoire préalable des inventeurs employés qui ne résident pas au Canada. La défenderesse pourrait juger utile d’envisager la façon de faire suggérée par les demanderesses.

C) Coordonnées plus pertinentes des inventeurs qui sont d’anciens employés

[47] La défenderesse demande une ordonnance enjoignant aux demanderesses de fournir les coordonnées les plus récentes dont elles disposent des individus qui ne seraient plus membres de leur personnel, mais qui sont des inventeurs nommés dans un ou plusieurs des brevets en cause dans la présente affaire, y compris les adresses de courriel et les numéros de téléphone. Les demanderesses ont fourni à la défenderesse le nom et l’adresse du dernier domicile connu des inventeurs qui sont d’anciens employés. La défenderesse demande des [TRADUCTION] « coordonnées utiles », comme des numéros de téléphone et des adresses de courriel.

[48] Comme je l’ai déjà mentionné, les demanderesses devaient, en application des paragraphes 6.04(2) et 5(3.1) du Règlement, fournir les nom et coordonnées de tout inventeur susceptible d’avoir des renseignements pertinents quant à une allégation d’invalidité ou de nullité d’un brevet. Selon la preuve dont je dispose, les demanderesses l’ont fait. Il est possible que la défenderesse ne soit pas satisfaite de la nature, de la qualité ou de l’actualité des coordonnées fournies par les demanderesses, mais rien dans le dossier dont je dispose ne permet d’exiger des demanderesses qu’elles en fassent davantage.

[49] L’obligation des demanderesses était de fournir les nom et coordonnées des inventeurs. Bien que le Règlement ne contienne aucune disposition explicite à cet égard, le REIR établit clairement que l’exigence de fournir des coordonnées vise à faciliter et à accélérer l’accès aux éléments de preuve pertinents et, par le fait même, à faciliter l’éventuel interrogatoire préalable d’un témoin tiers grâce à la communication d’une adresse aux fins de signification. La défenderesse peut prendre les mesures qu’elle juge appropriées pour obtenir des coordonnées supplémentaires ou différentes, y compris en ayant recours à des ressources tierces en matière d’enquête, si elle n’est pas satisfaite de celles qui lui ont été fournies par les demanderesses.

D) Les discussions informelles avec les inventeurs employés

[50] La défenderesse a sollicité une ordonnance obligeant les demanderesses à permettre à ses avocats inscrits au dossier d’avoir une discussion informelle avec chacun des inventeurs employés, pendant une heure et par vidéoconférence, en vue de déterminer le rôle de chacun de ces individus dans la conception des inventions qui seraient en litige. Ces discussions ne porteraient pas atteinte à la capacité de la défenderesse de solliciter la délivrance de lettres de demande ou de lettres rogatoires pour interroger chacun des inventeurs employés. Les avocats inscrits au dossier qui agissent pour les demanderesses pourraient assister à ces discussions et les inventeurs employés seraient tenus de répondre aux questions avec sincérité. La défenderesse cherche donc essentiellement à obtenir une ordonnance l’autorisant à poser des questions aux inventeurs employés afin de décider, avant d’y consacrer des ressources, s’il lui serait utile de soumettre ces derniers à des interrogatoires préalables, le tout sans porter atteinte à son droit de mener de tels interrogatoires.

[51] Il est possible que certaines raisons pratiques justifient que les parties conviennent de mener ces discussions informelles dans le contexte d’une procédure appropriée pour accélérer l’instance et maîtriser les coûts en limitant le nombre d’inventeurs soumis à un interrogatoire préalable, mais je ne vois, dans le dossier dont je dispose et dans les Règles, aucun fondement pour rendre l’ordonnance sollicitée.


IV. Conclusions et dépens

[52] Pour les motifs exposés ci‐dessus, la requête de la défenderesse est rejetée.

[53] Les demanderesses ont indiqué, lors de l’audition de la présente requête, qu’elles solliciteraient des dépens de 3 000 $ si elles avaient gain de cause. Or, elles ont eu entièrement gain de cause. La défenderesse devra payer aux demanderesses les dépens liés à la présente requête, dont je fixe la somme globale à 1 000 $, tout compris, dans les 90 jours de la présente ordonnance.

[54] J’ai exercé mon pouvoir discrétionnaire pour accorder une somme peu élevée à titre de dépens, puisque le dossier dont je dispose démontre que les parties n’ont pas fait preuve d’un esprit pratique. Les demanderesses ont respecté l’ordonnance fixant l’échéancier des interrogatoires préalables rendue au début de l’instance, mais elles ont suivi leur propre idée de la proportionnalité en ce qui concerne la tenue d’autres interrogatoires préalables des inventeurs. Elles ne doivent pas être récompensées d’avoir entravé l’exercice des droits procéduraux de la défenderesse concernant l’interrogatoire préalable des inventeurs. Quant à la défenderesse, il convient de lui faire comprendre par une ordonnance relative aux dépens, si modeste soit le montant de ces derniers, que les ordonnances qu’elles cherchent à obtenir dans la présente requête ne sont pas conformes à la jurisprudence, aux Règles et au Règlement.

[55] Le REIR, les compromis convenus au sein de ce secteur d’activités et les compromis de nature réglementaire mis en œuvre par l’entremise du Règlement reflètent une préoccupation véritable, à savoir que tout litige concernant l’application de ce dernier, de la signification de l’acte introductif d’instance à la décision de première instance, doit être réglé rapidement, mais peut facilement échouer si l’une des parties ne collabore pas de façon raisonnable à toute étape du processus. Selon l’article 6.09 du Règlement, les parties à une action doivent collaborer de façon raisonnable au règlement expéditif de celle‐ci. Dans les Lignes directrices sur la gestion des instances pour les procédures complexes et les procédures visées par le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) qu’elle a publiées, la Cour rappelle aux parties qu’elles sont tenues de faire des efforts véritables et de bonne foi pour décider et fixer des calendriers réalistes. Les manquements à cet égard peuvent entraîner des conséquences, y compris des dépens importants. La Cour peut rendre diverses ordonnances, notamment pour limiter les droits de faire des interrogatoires, afin de rappeler aux parties qu’il est inacceptable de ne pas collaborer de façon raisonnable pour régler des questions de nature procédurale qui ne portent pas atteinte aux intérêts et aux droits légitimes d’une partie, mais ont pour effet de gaspiller du temps.

[56] La Cour incite les parties à tenir des discussions sérieuses pour planifier les interrogatoires préalables des inventeurs. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre, elles pourront demander la tenue d’une conférence de gestion de l’instance pour obtenir que la Cour les aide à planifier et à mener ces interrogatoires.

LA COUR REND L’ORDONNANCE qui suit :

  1. La requête de la défenderesse est rejetée.
  2. La défenderesse devra payer aux demanderesses les dépens liés à la présente requête, dont je fixe la somme globale à 1 000 $, tout compris, dans les 90 jours de la présente ordonnance.

(vide)

« Benoit M. Duchesne »

(vide)

Juge responsable de la gestion de l’instance

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS


DOSSIERS :

T‐2276‐22 et T‐2318‐22

 

INTITULÉ :

BOEHRINGER INGELHEIM (CANADA) LTÉE et BOEHRINGER INGELHEIM INTERNATIONAL GMBH c JAMP PHARMA CORPORATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 mai 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

Le juge adjoint Duchesne

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

Le 4 juillet 2023

COMPARUTIONS :

Alex Gloor

Alexander Camenzind

POUR LES DEMANDERESSES

 

Nathaniel Dillonsmith

Raenaud Tiwari

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alex Gloor

Alexander Camenzind

Gowlings WLG

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Nathaniel Dillonsmith

Raenaud Tiwari

Sprigings

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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