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Date : 20230628


Dossier : T-1176-20

Référence : 2023 CF 907

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2023

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

WARNER BROS. ENTERTAINMENT INC.

AMAZON CONTENT SERVICES LLC

BELL MÉDIA INC.

COLUMBIA PICTURES INDUSTRIES, INC.

DISNEY ENTERPRISES, INC.

NETFLIX STUDIOS, LLC

NETFLIX WORLDWIDE ENTERTAINMENT, LLC

PARAMOUNT PICTURES CORPORATION

SONY PICTURES TELEVISION INC.

UNIVERSAL CITY STUDIOS PRODUCTIONS, LLLP

demanderesses

et

TYLER WHITE, faisant affaire sous le nom de BEAST IPTV

COLIN WRIGHT, faisant affaire sous le nom de BEAST IPTV

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le 20 septembre 2021, le défendeur, M. Tyler White, a été déclaré coupable d’outrage au tribunal pour avoir désobéi à plusieurs dispositions de l’ordonnance provisoire rendue par le juge Yvan Roy le 17 novembre 2020 [l’ordonnance provisoire], après qu'il eut plaidé coupable aux accusations portées contre lui.

[2] À l’étape de la détermination de la peine pour outrage, les parties ont présenté des éléments de preuve dont la Cour devait prendre connaissance pour établir la peine juste à imposer à M. White.

[3] Les demanderesses recommandent à la Cour d’infliger à M. White une peine d’emprisonnement de 60 jours en raison des nombreux facteurs aggravants qui ont été établis à l’audience. Elles demandent également que M. White soit tenu de payer les dépens relatifs à l’instance pour outrage calculés sur une base avocat-client.

[4] M. White soutient qu’une peine d’emprisonnement serait exagérément disproportionnée, vu sa situation personnelle. Il affirme qu’une amende de 20 000 $ serait plus appropriée et que les dépens devraient être fixés à 20 000 $; il suggère aussi que le versement des deux sommes soit étalé sur une période de deux ans.

[5] Je dois trancher deux questions en l’espèce, soit celles de savoir quelle est la peine appropriée dans le cas de M. White et quel montant devrait être accordé aux demanderesses au titre des dépens.

[6] Comme je l’explique plus loin, je considère que la peine recommandée par les demanderesses est à la fois raisonnable et justifiée compte tenu de la conduite ouvertement arrogante et obstructionniste de M. White, conduite qui bafouait totalement les objectifs fondamentaux de l’ordonnance provisoire et constituait un affront à l’administration de la justice.

[7] Quant aux dépens, je ne vois rien dans les faits en l’espèce qui m’empêcherait de suivre la règle habituelle dans les affaires d’outrage au tribunal, soit d’adjuger les dépens sur la base avocat-client.

II. Le contexte factuel

[8] Les faits qui ont donné lieu à l’instance pour outrage contre M. White sont décrits en détail par le juge Roy dans la décision Warner Bros Entertainment Inc et autres c White (Beast IPTV), 2021 CF 53 [Warner Bros].

[9] En résumé, le 2 octobre 2020, les demanderesses ont intenté une action contre M. White et son codéfendeur, M. Colin Wright, à qui elles reprochaient d’avoir porté atteinte aux droits d’auteur sur leurs œuvres en créant, exploitant et tenant à jour le [traduction] « service Beast IPTV », en faisant la promotion de ce service et en vendant des abonnements à celui‐ci.

[10] Les demanderesses ont déposé une requête ex parte en vue d’obtenir une injonction provisoire, laquelle a été accordée par le juge Roy le 17 novembre 2020. Le juge Roy a été convaincu qu’il y avait lieu de rendre des ordonnances provisoires distinctes contre MM. White et Wright parce que les demanderesses avaient établi ce qui suit : (1) il y avait une question sérieuse à juger; (2) un préjudice irréparable serait causé si la requête n’était pas accueillie; (3) la prépondérance des inconvénients militait en faveur des demanderesses.

[11] Le préambule de l’ordonnance provisoire, intitulé [traduction] « Avis au défendeur », énonce notamment ce qui suit :

[traduction]
2. La présente ordonnance renferme entre autres une « injonction provisoire ». Celle-ci vous enjoint de cesser de vous livrer à certaines activités précises et autorise un avocat superviseur indépendant (ASI), avec l’aide notamment d’experts en criminalistique informatique, à prendre le contrôle de certains domaines, sous-domaines, serveurs et comptes de fournisseurs d’hébergement Internet, décrits plus en détail dans la présente ordonnance, pendant quatorze (14) jours suivant la date de signification de la présente ordonnance. L'ordonnance vous enjoint également de fournir certains renseignements à l’avocat superviseur indépendant et aux avocats des demanderesses. Il est recommandé de lire les modalités de l’injonction provisoire très soigneusement et de vous y conformer.

Vous avez le droit d’obtenir les conseils d’un avocat avant de vous conformer aux modalités de l’ordonnance, à condition de le faire dans un délai raisonnable ne dépassant pas deux (2) heures suivant l’heure à laquelle l’ordonnance vous a été expliquée. Si vous n’avez pas les moyens de payer un avocat, il se peut que vous puissiez obtenir des services juridiques auprès de votre bureau local d’aide juridique.

4. Vous avez le droit de demander aux avocats des demanderesses, en présence de l’avocat superviseur indépendant qui vous a signifié une copie de la présente ordonnance, de vous expliquer le sens de l’ordonnance en des termes clairs et simples.

5. Au moment où l’ordonnance vous est expliquée, seuls l’avocat superviseur indépendant, un huissier, un vidéographe et les avocats des demanderesses, ainsi que tout agent d’application de la loi dont la présence peut être nécessaire, peuvent entrer dans votre domicile ou établissement. Cependant, une fois que l’ordonnance vous a été expliquée, les personnes désignées dans l’ordonnance, ci-dessous, peuvent participer à son exécution, comme il est décrit plus loin dans les présentes.

6. Vous êtes tenu d’autoriser les personnes précisées ci-dessous à entrer dans votre domicile ou établissement n’importe quel jour ouvrable à partir de 8 h, ou plus tôt s’il y lieu pour exécuter la présente ordonnance, et jusqu’à toute heure raisonnable et nécessaire pour conclure l’exécution de l’ordonnance, dans un délai de quatorze (14) jours suivant la date à laquelle l’ordonnance vous a été signifiée.

7. La présente est une instance de nature civile et non pénale. Vous avez le droit de refuser l’entrée dans votre domicile ou établissement pour l’exécution de l’ordonnance, mais, le cas échéant, la Cour pourra tirer des conclusions défavorables de votre refus, et vous vous trouverez à désobéir à une ordonnance de la Cour et serez ainsi en situation d’outrage au tribunal aux termes de l’alinéa 466b) des Règles des Cours fédérales [les Règles]; vous pourriez alors devoir payer une amende et/ou être incarcéré au titre de l’article 472 des Règles. Il est possible d’obtenir des copies des Règles auprès de l’administrateur de la Cour fédérale du Canada à Ottawa, en Ontario (téléphone : 613-922-4238), ou auprès de tout bureau local de la Cour fédérale.

8. Vous avez le droit de garder le silence et de refuser de répondre aux questions autres que celles qui sont précisées ci-dessous dans l’ordonnance.

[12] Les dispositions pertinentes de l’ordonnance provisoire imposaient ce qui suit à M. White :

  1. divulguer les renseignements techniques concernant le service Beast IPTV (alinéa 2B) de l’ordonnance provisoire);

  2. ne pas communiquer avec des tiers pendant l’exécution de l’ordonnance provisoire afin d’en entraver l’exécution et ne pas dissimuler d’éléments de preuve (alinéas 2I), 3A) et 3B) i. de l’ordonnance provisoire);

  3. communiquer divers renseignements financiers pertinents (alinéa 2J) de l’ordonnance provisoire);

  4. autoriser ses fournisseurs de services financiers à divulguer ces renseignements aux demanderesses (alinéa 2K) de l’ordonnance provisoire).

[13] L’ordonnance provisoire interdisait expressément à M. White de communiquer avec M. Wright et des tiers pendant 48 heures après signification de l’ordonnance provisoire (alinéa 3B) i. de l’ordonnance provisoire), d’exploiter, d’entretenir et/ou de mettre à jour le service Beast IPTV ainsi que les applications et domaines correspondants (alinéa 2A) de l’ordonnance provisoire).

[14] Selon l’alinéa 2M) de l’ordonnance provisoire, il était interdit à M. White, qu’il le fasse lui-même ou par l’entremise de toute fiducie, entité, société de personnes ou personne physique ou morale qui est sous son autorité ou son contrôle ou avec laquelle il est affilié ou associé, de vendre, céder, aliéner, transférer ses éléments d’actif ou d’en disposer de quelque autre façon, que ce soit directement ou indirectement.

[15] Le 24 novembre 2020, à son domicile, M. White a reçu signification à personne de l’ordonnance provisoire, suivant les modalités qui y sont énoncées.

[16] L’ordonnance provisoire devait rester valide pour une période maximale de quatorze (14) jours, pendant laquelle les demanderesses étaient tenues de présenter une requête en vue de faire réviser l’exécution de l’ordonnance et de permettre l’examen de toute demande visant à convertir la mesure provisoire en mesure interlocutoire.

[17] Lors de la signification et pendant l’exécution, les modalités de l’ordonnance provisoire ont été expliquées à M. White par Me David Hutt, l’ASI, et par les avocats des demanderesses, notamment celles qui concernaient son droit de consulter un avocat, les obligations qui lui étaient imposées par l’ordonnance provisoire et le risque que des conclusions défavorables soient tirées de son refus de s’y conformer.

[18] M. White a été informé par l’ASI, entre autres, que le défaut de respecter les dispositions de l’ordonnance provisoire le mettrait en contravention des modalités qui y sont énoncées et l’exposerait au risque d’être visé par une requête pour outrage au tribunal, ce qui pourrait entraîner une amende et/ou une peine d’emprisonnement.

[19] M. White a eu l’occasion de poser des questions au sujet de l’ordonnance provisoire. Il a également été informé qu’il avait le droit de consulter son propre avocat avant de décider s’il devait se conformer à l’ordonnance, à la condition qu’il obtienne ces conseils dans un délai raisonnable, c’est-à-dire dans les deux (2) heures suivant le moment où l’ordonnance provisoire lui a été expliquée.

[20] Pendant l’exécution de l’ordonnance provisoire, M. White a affirmé ne pas connaître le service Beast IPTV et n’avoir aucune participation dans ce service.

[21] M. White a eu la possibilité de communiquer avec un avocat, mais n’a pu joindre personne durant la période allouée dans l’ordonnance provisoire. Un des membres de l’équipe chargée de l’exécution a finalement mis M. White en contact avec un avocat, Me Barry Mason. Après avoir reçu des conseils juridiques de Me Mason, M. White a refusé d’autoriser l’équipe à entrer dans son domicile ou de donner les renseignements précisés dans l’ordonnance provisoire.

[22] Le 25 novembre 2020, M. White a sollicité des conseils juridiques auprès d’un autre avocat, Me Paul Lomic. Le même jour, M. White a mis hors ligne le service Beast IPTV, y compris le site Web BeastIPTV.tv et le lecteur Web accessible à l’adresse watch.BeastIPTV.tv.

[23] Le 30 novembre 2020, M. White a retenu les services d’un nouvel avocat, Me Howard Knopf, qui a demandé un ajournement de l’audience relative à la requête en révision prévue pour le 7 décembre 2020. Le juge Roy a accueilli la demande d’ajournement et déclaré que l’ordonnance provisoire resterait valide et serait maintenue jusqu’à ce que la Cour statue sur la requête en révision.

III. Les accusations d’outrage

[24] La requête en révision a été entendue le 18 décembre 2020. Le 14 janvier 2021, le juge Roy a rendu la décision Warner Bros, dans laquelle il accordait une injonction interlocutoire et autorisait le dépôt de cinq chefs d’accusation pour outrage au tribunal visé à l’alinéa 466(1)b) des Règles contre MM. White et Wright en raison des actes suivants :

  1. MM. White et Wright ont désobéi à l’alinéa 2B) des ordonnances provisoires, et commis de ce fait l’outrage au tribunal visé à l’alinéa 466(1)b) des Règles, en refusant de divulguer les renseignements techniques exigés à l’alinéa 2B) des ordonnances provisoires au sujet du service Beast IPTV et en affirmant à tort qu’ils ne connaissaient pas ce service;

  2. MM. White et Wright ont désobéi aux alinéas 2I), 3A) et 3B) i. des ordonnances provisoires, et commis de ce fait un outrage au tribunal visé à l’alinéa 466(1)b) des Règles, en communiquant avec des tiers, par téléphone ou d’autres moyens électroniques, pendant l’exécution des ordonnances provisoires afin d’en entraver l’exécution et de dissimuler des éléments de preuve, notamment en donnant à des tiers l’ordre de supprimer des sites Web, des infrastructures ou des éléments de preuve relatifs à la présente instance;

  3. MM. White et Wright ont désobéi à l’alinéa 3B) i. des ordonnances provisoires, et commis de ce fait un outrage au tribunal visé à l’alinéa 466(1)b) des Règles, en communiquant l’un avec l’autre et avec des tiers au sujet de l’existence de la présente instance et des ordonnances provisoires dans les quarante-huit (48) heures qui ont suivi la signification des ordonnances en question;

  4. MM. White et Wright ont désobéi aux alinéas 2J) et 2K) des ordonnances provisoires, et commis de ce fait un outrage au tribunal visé à l’alinéa 466(1)b) des Règles, en refusant de divulguer à l’avocat superviseur indépendant et aux avocats des demanderesses les renseignements financiers exigés à l’alinéa 2J) des ordonnances provisoires et en refusant de fournir un consentement afin d’autoriser des institutions financières ou d’autres fournisseurs de services à faire cette divulgation, ainsi que l’exige l’alinéa 2K) des ordonnances provisoires;

  5. MM. White et Wright ont désobéi à l’alinéa 2A) des ordonnances provisoires, et commis de ce fait un outrage au tribunal visé à l’alinéa 466(1)b) des Règles,

  1. en créant, exploitant, tenant à jour et offrant des services de télévision IP non autorisés, y compris le service Beast IPTV, en en faisant la promotion, en fournissant le soutien connexe, en vendant des abonnements ou en autorisant des personnes à vendre des abonnements aux services en question;

  2. en créant, tenant à jour, mettant à niveau, hébergeant, distribuant ou vendant toute application logicielle qui donne accès à des services de télévision IP non autorisés, y compris le service Beast IPTV, ou en en faisant la promotion;

  3. en exploitant, tenant à jour, mettant à niveau ou hébergeant les domaines et sous‐domaines Internet par l’entremise de services de télévision IP non autorisés, y compris le service Beast IPTV, en en faisant la promotion ou en vendant l’accès aux domaines et sous‐domaines en question;

que ce soit eux-mêmes ou par l’entremise de leurs employés, représentants et mandataires, ou encore par l’entremise de toute fiducie, entité, société de personnes ou personne physique ou morale qui est sous leur autorité ou leur contrôle ou avec laquelle ils sont affiliés ou associés, et en omettant de prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que ces personnes cessent ces activités après la signification des ordonnances provisoires aux défendeurs.

IV. L’audience pour outrage au tribunal

[25] L’audience pour outrage au tribunal avait été fixée au 20 septembre 2021. Au début de septembre 2021, M. White a fait savoir qu’il plaiderait coupable aux accusations d’outrage au tribunal. Les parties ont par la suite produit un exposé conjoint des faits.

[26] Le 20 septembre 2021, M. White a formellement plaidé coupable à toutes les accusations d’outrage. Les faits étayant ces accusations, qui ont tous été admis par M. White, entrent dans trois catégories : A) la non-divulgation des serveurs et des domaines associés au service Beast IPTV; B) la non-divulgation de renseignements financiers; C) la communication avec des tiers.

A. La non-divulgation des serveurs et des domaines associés au service Beast IPTV

[27] M. White a acquis divers serveurs et services d’hébergement utilisés en liaison avec le service Beast IPTV, et a payé pour ceux-ci, y compris auprès des fournisseurs de serveurs et d’hébergement Mach Host, Zenex 5ive, reliablesite et Datapacket/DataCamp [les « serveurs de Beast IPTV »].

[28] Au moment de l’exécution de l'ordonnance provisoire, M. White et six autres personnes avaient tous connaissance de l’identité, de l’emplacement et des identifiants de connexion des serveurs de Beast IPTV, ou avaient accès à ces renseignements, et ils avaient aussi tous en leur possession les identifiants de connexion permettant d’accéder aux comptes des fournisseurs de serveurs et d’hébergement associés à Beast IPTV ou avaient accès à ces renseignements. Les six autres personnes en question étaient M. Wright ainsi qu’un individu identifié comme « Q », un individu identifié comme « Slip », un individu identifié comme « Andrew », un individu identifié comme « Sal » et un individu connu sous le nom de « Jay Stevens ».

[29] Durant l’exécution de l'ordonnance provisoire, M. White n’a pas communiqué à l’ASI ni aux demanderesses quelque renseignement que ce soit relativement à l’identité, à l’emplacement ou aux identifiants de connexion des serveurs de Beast IPTV ou de tout autre serveur, ni aux comptes connexes des fournisseurs de serveurs et d’hébergement.

[30] Au moment de l’exécution de l'ordonnance provisoire, M. White, M. Wright et Jay Stevens avaient tous connaissance d’au moins certains des comptes de bureau d’enregistrement associés aux domaines suivants utilisés en lien avec l’exploitation ou la promotion du service Beast IPTV [les « domaines de Beast IPTV »] :

  1. BeastIPTV.tv

  2. Beasthosts.net

  3. Beasthosts.org

  4. Powergraphics.shop

  5. Powergraphicsiptv.shop

  6. Beasttv.io

  7. Beasttv.cc

  8. BeastIPTV.cc

  9. Beasthosts.com

  10. Beasthosting.org

  11. BeastIPTV.com

  12. Strikeforceseo.com

[31] Au moment de l’exécution de l'ordonnance provisoire, M. White, M. Wright et Jay Stevens avaient tous en leur possession les identifiants de connexion nécessaires pour accéder aux comptes de bureau d’enregistrement associés à Beast IPTV ou avaient accès à ces identifiants.

[32] Durant l’exécution de l’ordonnance provisoire, M. White n’a pas communiqué à l’ASI ni aux demanderesses les comptes de bureau d’enregistrement ou les identifiants de connexion correspondants pour les domaines de Beast IPTV, ou tout autre domaine ou sous-domaine.

B. La non-divulgation de renseignements financiers

[33] Au moment de l’exécution de l'ordonnance provisoire, M. White, M. Wright et Sal avaient tous en leur possession des factures relatives aux serveurs de Beast IPTV ou avaient accès à ces factures.

[34] Durant l’exécution de l'ordonnance provisoire, M. White n’a pas communiqué à l’ASI ni aux demanderesses les factures associées aux serveurs de Beast IPTV.

[35] Au moment de l’exécution de l'ordonnance provisoire, MM. White et Wright avaient tous deux accès aux comptes PayPal, ou en avaient le contrôle, associés aux adresses de courriel strkeforceseo@protonmail.com et beasthosts@protonmail.com utilisées en lien avec l’exploitation du service Beast IPTV [les comptes PayPal associés à Beast IPTV].

[36] Durant l’exécution de l’ordonnance provisoire, M. White n’a pas ciblé ou communiqué quelque renseignement que ce soit à l’ASI ou aux demanderesses concernant les comptes PayPal associés à Beast IPTV.

[37] Durant l’exécution de l’ordonnance provisoire, M. White n’a pas communiqué à l’ASI ni aux demanderesses l’existence d’actifs, de revenus ou de documents financiers qui seraient liés à lui-même ou au service Beast IPTV.

[38] Durant l’exécution de l’ordonnance provisoire, M. White n’a pas communiqué l’identité d’une banque, d’une institution financière ou d’un autre fournisseur de services financiers qui serait responsable d’actifs liés à lui-même ou au service Beast IPTV.

[39] Le 3 septembre 2021, M. White a fourni son consentement écrit autorisant toute banque, toute institution financière ou tout autre fournisseur de services financiers à communiquer aux avocats des demanderesses tout renseignement au sujet d’actifs qu’il possède ou contrôle, que ce soit directement ou indirectement.

C. La communication avec les tiers

[40] Au moment de la signification de l’ordonnance provisoire et pendant son exécution, M. White a été informé qu’il pouvait désormais utiliser des dispositifs électroniques seulement sous la supervision de l’ASI. Il a aussi été avisé qu’il ne devait pas discuter de l’affaire avec qui que ce soit pendant quarante-huit (48) heures, sauf avec un avocat dans le but d’obtenir des conseils juridiques.

[41] Le matin de l’exécution de l’ordonnance provisoire, M. White a contrevenu aux modalités de cette ordonnance en demandant à un gestionnaire des serveurs de Beast IPTV, connu sous le nom de Jay Stevens, de supprimer les domaines powergraphicsiptv.shop et BeastIPTV.cc.

[42] À 12 h 30 HNE, les domaines Beast IPTV.cc et powergraphicsiptv.shop ont été suspendus ou autrement mis hors ligne.

[43] Après la mise hors ligne par M. White, un tiers a remis le service Beast IPTV en ligne et a modifié les identifiants nécessaires pour accéder au bureau d’enregistrement du domaine.

[44] En contravention de l’ordonnance provisoire, M. White a communiqué avec M. Wright dans les quarante-huit (48) heures suivant la signification de l’ordonnance pour discuter du fait que l’action des demanderesses et l’ordonnance provisoire leur avaient été signifiées à tous les deux ainsi que des difficultés que chacun éprouvait pour obtenir les services d’un avocat.

[45] Le 25 novembre 2020, M. White a également contrevenu à l’ordonnance provisoire lorsqu’il a mentionné l’existence de l’instance et l’exécution de l’ordonnance provisoire le visant à un autre tiers connu sous le nom de Sal, qui était associé au service Beast IPTV.

[46] Le 25 novembre 2020, vers 22 h 17 HNE, M. White s’est entretenu au téléphone avec Jay Stevens. Pendant cet appel, qui a duré 31 minutes, M. White a tenu des propos décousus quant à l’exécution de l’ordonnance provisoire et à la façon dont il avait l’intention de répondre aux actes de procédure.

V. L’audience sur la détermination de la peine

[47] À la demande des parties, l’audience sur la détermination de la peine pour outrage au tribunal a été ajournée jusqu’à ce qu’il soit statué sur l’appel interjeté par M. White à l’encontre de l’ordonnance rendue par le juge Roy le 14 janvier 2021. L’appel a été rejeté à l’audience par la Cour d’appel fédérale le 23 février 2022 : White (Beast IPTV) c Warner Bros Entertainment Inc, 2022 CAF 34.

[48] Conformément à mon ordonnance du 13 mai 2022, les demanderesses ont déposé un dossier relatif à l’audience sur la détermination de la peine qui renferme la preuve par affidavit des parties, l’exposé conjoint des faits, des extraits de l’interrogatoire préalable de M. White et des copies de documents identifiés ou authentifiés dans l’exposé conjoint des faits et les extraits de l’interrogatoire préalable. La preuve comprend aussi l’enregistrement de la conversation téléphonique du 25 novembre 2020 entre M. White et Jay Stevens dont il est question au paragraphe 46 ci-dessus.

A. La preuve présentée par les demanderesses

[49] Les demanderesses s’appuient sur les affidavits de M. Jason Vallée Buchanan, de Mme Martine Guy, de M. Anthony J. Martin et de M. Andrew McGuigan pour les besoins de la détermination de la peine. MM. Martin et McGuigan ont tous deux été contre-interrogés durant l’audience sur la détermination de la peine.

[50] La preuve qu’ils ont présentée peut être résumée comme suit.

[51] M. Buchanan est parajuriste et travaille pour les avocats des demanderesses inscrits au dossier. Il identifie plusieurs documents et les annexe à son affidavit, dont l’affidavit de documents de M. White souscrit le 16 avril 2021 et une copie de l’affidavit confidentiel de M. White fait sous serment le 21 juillet 2022 en lien avec une requête antérieure présentée par M. White en vue d’obtenir l’autorisation de vendre des actifs.

[52] Mme Guy est assistante juridique et travaille pour les avocats des demanderesses inscrits au dossier. Elle explique dans ses affidavits initial et complémentaires comment les honoraires et débours juridiques relatifs à l’instance pour outrage concernant M. White sont comptabilisés dans les dossiers internes du cabinet d’avocats et comment ils sont répartis entre les demanderesses appartenant à la Motion Pictures Association [MPA] et Bell Média Inc. [Bell Média]. Sont jointes à ses trois affidavits des copies de notes d’honoraires et de frais envoyées aux demanderesses relativement à l’action pour outrage.

[53] M. Martin est enquêteur au service de sûreté d’entreprise de BCE Inc. [BCE], société mère de Bell Média. Il mentionne dans son affidavit que le piratage de contenus médiatiques est [traduction] « un problème de longue date pour les titulaires de droits » comme les demanderesses. Il explique que l’essor rapide du piratage de contenu télévisuel a causé d’énormes préjudices aux créateurs et aux titulaires de droits d’auteur au Canada, y compris Bell Média, tout en affaiblissant leur viabilité. D’après son expérience, ceux qui reproduisent illégalement et distribuent des copies contrefaites d’œuvres protégées déploient souvent d’énormes efforts pour cacher leur identité et la véritable nature de leurs activités afin de se mettre à l’abri des conséquences juridiques éventuelles. M. Martin souligne que Bell Média et ses sociétés affiliées ont investi des ressources importantes dans le dépôt et la poursuite d’actions judiciaires contre les personnes physiques et morales qui se livrent à ces formes de piratage. Il fait part ensuite de la tendance générale, observée chez ceux qui piratent du contenu au Canada, à désobéir aux ordonnances des tribunaux.

[54] M. McGuigan est directeur du service de protection de contenu à l’échelle mondiale [le SPCM] de l’Association cinématographique – Canada [MPA-Canada], société du groupe MPA, et a participé personnellement aux enquêtes du SPCM concernant les activités présumées de violation du droit d’auteur de la part de Beast IPTV.

[55] M. McGuigan explique que l’infrastructure en ligne du service Beast IPTV était constituée de plusieurs domaines et serveurs de diffusion de contenu essentiels à son fonctionnement. Selon M. McGuigan, si les identifiants demandés avaient été fournis à l’ASI au moment de l’exécution de l’ordonnance provisoire, le 24 novembre 2020, il aurait été possible de bloquer les comptes du bureau d’enregistrement et de fermer les serveurs, ce qui aurait rendu Beast IPTV non fonctionnel et évité que ces comptes ou serveurs puissent être pris en charge par un tiers.

[56] M. McGuigan décrit avec force détails la surveillance des activités de Beast IPTV exercée par le SPCM durant l’exécution de l’ordonnance provisoire et dans les jours qui ont suivi, de manière à pouvoir détecter toute activité ou modification touchant Beast IPTV reliées à ces mesures d’application de la loi.

[57] Le 25 novembre 2020, les gens du SPCM ont constaté que le service Beast IPTV, y compris le domaine principal, beastiptv.tv, avait été mis hors ligne. Toutefois, le lendemain, ils se sont rendu compte que certains aspects du service Beast IPTV fonctionnaient de nouveau, y compris le portail des revendeurs et des administrateurs, qui est le panneau de contrôle servant à gérer les comptes et les abonnements des utilisateurs.

[58] Le 1er décembre 2020, le SPCM a pu confirmer à l’aide de tests que les abonnés pouvaient encore accéder au contenu et le visionner par l’intermédiaire du lecteur Web de Beast IPTV, de l’application pour Android de Beast IPTV et du lecteur média de Beast IPTV, Perfect Player. Le SPCM a également appris, en consultant le groupe de Beast IPTV sur Telegram, que des utilisateurs se plaignaient de ne pas pouvoir renouveler leurs abonnements.

[59] Bien que le SPCM ait soupçonné dès le 5 décembre 2020 que les administrateurs de Beast IPTV renouvelaient manuellement les abonnements par l’intermédiaire de PayPal, en tant que solution provisoire leur permettant de contourner un problème avec les portails de paiement de Beast IPTV, il est devenu clair autour du 10 décembre 2020 que ces administrateurs tentaient clandestinement de transférer certains des abonnés de Beast IPTV vers un nouveau service dérivé.

[60] Après la fermeture du service Beast IPTV, des messages ont été publiés sur le domaine beastsoftware.net, que le SPCM considérait lié au soutien aux paiements pour Beast IPTV, avant l’exécution de l’ordonnance provisoire. Le SPCM a obtenu la capture d’écran d’un message tiré des médias sociaux le 26 décembre 2020 et correspondant à un message publié la veille sur un site Web de Beast IPTV. Voici un extrait de la capture d’écran en question.

[traduction]
BEAST IPTV CONTRAINT DE FERMER

 

Nous voulions diffuser le présent message avant que l’ordonnance judiciaire visant la prise en charge des domaines de Beast soit exécutée et que Beast ne puisse plus communiquer sous quelque forme que ce soit avec ses clients.

 

Les autorités américaines et canadiennes ont signifié des documents juridiques à Beast et à ses fournisseurs de services au nom de Disney, Netflix, Bell Média, Warner Bros et d’autres entreprises. Selon l’ordonnance judiciaire, tous les domaines, les serveurs et les données relatives aux clients, etc., seront saisis. En plus, Beast IPTV et ses fournisseurs doivent mettre fin au service dès l’entrée en vigueur des ordonnances judiciaires.

 

BEAST A FERMÉ TOUS LES COMPTES DE SES CLIENTS

 

Beast n’a eu d’autre choix que de FERMER les comptes de tous les clients et de METTRE FIN à tous ses services pour protéger ses données. Veuillez NE PAS DEMANDER DE RÉTROFACTURATION, parce que vous RISQUEZ alors de communiquer vos renseignements personnels aux autorités. S’il y a remboursement ou rétrofacturation, l’entité qui traite les paiements renverra l’information au domaine, lequel aura été pris en charge par les autorités américaines et canadiennes.

 

Comme bon nombre d’entre vous le savez, le traitement des paiements par carte de crédit a pris fin il y a plus de trois semaines, et la plupart des utilisateurs ont déjà reçu le service pour lequel ils avaient payé.

 

Si vous voulez quand même obtenir un remboursement, VOUS LE FAITES À VOS PROPRES RISQUES

 

Beast s’excuse sincèrement pour tout inconvénient que la situation a pu vous causer et souhaite VOUS REMERCIER CHALEUREUSEMENT d’avoir été ses loyaux clients. Ce fut une belle expérience, mais comme le veut l’adage : « Toute bonne chose a une fin »

 

REP Beast

 

INFORMATION NÉCESSAIRE POUR LE TRAITEMENT DES REMBOURSEMENTS

 

Veuillez envoyer un courriel à BeastRefunds@gmail.com en donnant les précisions suivantes :

 

  • -Vos prénom et nom de famille avec votre adresse courriel (celle que vous utilisiez pour accéder au site)

  • -Le montant payé (si vous avez payé pour 3 ou 6 mois, quel est le montant du remboursement calculé au prorata?)

  • -Les quatre derniers chiffres de votre numéro de carte de crédit

 

P.S. Laissez-nous jusqu’à 48 heures pour répondre à votre courriel parce que l’équipe de Beast est restreinte; ses membres feront tout leur possible pour répondre à chaque courriel.

[61] Selon M. McGuigan, ce message semble être une tactique employée pour retenir les fonds qui ont déjà été versés au service et/ou peut-être pour encourager les utilisateurs à communiquer avec les parties directement à l’adresse courriel fournie en vue de faciliter la migration vers un autre service. Un message semblable a été affiché sur le domaine billing.beastsoftware.net le 26 décembre 2020.

[TRADUCTION]

BEAST IPTV CONTRAINT DE FERMER

Nous voulions diffuser le présent message à tous pour vous informer que le service est fermé définitivement et ne sera pas réactivé. Si quelqu’un vous dit que Beast a déménagé ou est devenu un autre service, sachez que c’est faux. Nous vous invitons à faire preuve de prudence face à ce genre de personne.

Nous ne pouvons vous donner de détails sur la raison de la fermeture du service.

BEAST A FERMÉ TOUS LES COMPTES DE SES CLIENTS

Beast n’a eu d’autre choix que de FERMER tous les comptes de ses clients et de METTRE FIN À tous les services pour protéger ses données. Veuillez NE PAS DEMANDER DE RÉTROFACTURATION parce que vous RISQUERIEZ alors de communiquer vos renseignements personnels aux autorités. S’il y a remboursement ou rétrofacturation, l’entité qui traite les paiements renverra l’information au domaine, lequel aura été pris en charge par les autorités américaines et canadiennes.

Comme bon nombre d’entre vous le savez, le traitement des paiements par carte de crédit a pris fin il y a plus de trois semaines, et la plupart des utilisateurs ont déjà reçu le service pour lequel ils avaient payé.

Beast s’excuse sincèrement pour tout inconvénient que la situation a pu vous causer et souhaite VOUS REMERCIER CHALEUREUSEMENT d’avoir été ses loyaux clients. Ce fut une belle expérience, mais comme le veut l’adage : « Toute bonne chose a une fin »

REP Beast

[62] Selon M. McGuigan, le SCPM observe depuis quelques années une tendance, chez les exploitants de services de télévision IP non autorisés, à essayer de contourner ses mesures d’application de la loi en faisant migrer les abonnés vers un autre service non autorisé à l’aide des données liées aux données ciblées.

[63] Il donne l’exemple d’un service de télévision IP autorisé, connu sous le nom de « Vader Streams », qui a été l’objet d’une enquête du SCPM enclenchée en 2018. Le 11 mars 2019, huit mois avant l’exécution de l’ordonnance provisoire en l’espèce, MPA-Canada a envoyé une mise en demeure à M. White le sommant de prendre des mesures immédiates pour contrer la diffusion, en violation du droit d’auteur, de nombreux programmes télévisés et de longs métrages par l’intermédiaire du site Internet « Vaders.cc ». M. White a été averti expressément que les tribunaux canadiens avaient prononcé plusieurs jugements et ordonnances ayant donné lieu à des injonctions et à l’octroi d’importants dommages-intérêts à la suite de la diffusion non autorisée d’œuvres détenues par les gros studios de production cinématographique et d’autres titulaires de droits représentés par MPA-Canada.

[64] M. McGuigan s’est entretenu à quelques occasions avec M. White après la signification de la mise en demeure. M. White a admis à M. McGuigan qu’il exploitait plusieurs sites de revente pour Vader Streams et a accepté de les fermer. Il a cependant nié avoir des liens avec le service Beast IPTV et a précisé qu’il n’était plus impliqué dans la vente d’abonnements ou l’exploitation de services de télévision IP non autorisés.

[65] Vader Streams a effectivement fermé à l’été 2019 après le début du litige à la Cour fédérale.

[66] Durant son interrogatoire préalable. M. White a reconnu que le nombre d’abonnés de Beast IPTV avait explosé après le transfert d’une vaste portion de ses anciens clients de Vader Streams vers Beast après la fermeture.

[67] M. McGuigan conclut son affidavit en soulignant que les personnes physiques et morales qui exploitaient les services de télévision IP non autorisés visés par les efforts d’application de la loi du SPCM ont pu utiliser les données associées aux services en question pour faciliter la migration des abonnés vers d’autres services. Par conséquent, les perturbations pour les abonnés ont pu être limitées au minimum, et les actes de violation du droit d’auteur ont, au fond, changé d’endroit au lieu de prendre fin.

B. La preuve présentée par M. White

[68] M. White a déposé son propre affidavit et celui de Karen Laroque.

[69] Mme Laroque est auxiliaire juridique en contentieux au sein du cabinet d’avocats qui représente M. White. Son affidavit s’accompagne de documents qui décrivent les moyens soutenus pris par M. White pour se conformer aux dispositions de l’ordonnance provisoire sur les renseignements et les documents financiers à produire, dont les affidavits de documents complémentaires transmis aux demanderesses pendant une année. Mme Laroque n’a pas été contre-interrogée.

[70] Dans son affidavit, M. White dit regretter les actes qu’il a posés et qui ont mené à l’outrage au tribunal. Il affirme bien comprendre dorénavant l’importance des ordonnances judiciaires et l’obligation d’en respecter toutes les modalités.

[71] M. White souligne qu’il n'a pas d'excuses pour justifier son défaut de se conformer à toutes les dispositions de l’ordonnance provisoire, mais il attribue [traduction] « en grande mesure » ce défaut aux renseignements juridiques inadéquats fournis par Me Mason et auxquels il s’est fié. Il explique avoir refusé de transmettre les renseignements exigés après avoir été informé par Me Mason que [traduction] « l’équipe d’avocats ne pouvait rien [lui] faire ce jour-là » et qu’il [traduction] « n’avait pas besoin de faire quoi que ce soit et devait simplement attendre de se trouver un avocat spécialisé ».

[72] M. White décrit dans son affidavit certains pans de sa vie personnelle dont il souhaite que la Cour tienne compte pour atténuer sa peine, notamment l’état de santé de son fils, son plaidoyer de culpabilité et le fait qu’il n’a jamais été accusé d’outrage civil auparavant.

[73] À l’audience, M. White a réitéré ses excuses à la Cour. Il a reconnu que sa décision de ne pas obéir à l’ordonnance judiciaire était [traduction] « grave » et constituait un [traduction] « manque de jugement lamentable » de sa part. Il a été ensuite longuement contre-interrogé par les avocats des demanderesses.

[74] M. White a admis en contre-interrogatoire qu’il était membre du forum BlackHatWorld, sous le nom d’« Activeits », et qu’il avait démarré un fil de discussion le 14 mars 2018 intitulé [traduction] « Comment je m’y prends pour gagner 1 000 $ par jour ou plus » sous la rubrique [traduction] « Faire de l’argent »

[75] Même si une seule saisie d’écran, soit la page 4 sur 5 du fil de discussion, a été déposée en preuve, j’infère du titre de la discussion et des réponses qui figurent dans la saisie d’écran que le premier message de M. White avait trait à la possibilité de faire de l’argent en ligne au moyen de la revente d’abonnements à un service de télévision IP et que M. White s’apprêtait à faire connaître certaines astuces en ligne à des gens ayant des intérêts similaires aux siens. Des extraits du fil de discussion sont reproduits textuellement ci-dessous.

[76] Le 4 septembre 2018, un membre du forum a félicité M. White pour son travail : [TRADUCTION] « J’ai hâte que tu nous décrives ta démarche étape par étape! Gagner 1 000 $ par jour, tout un exploit. Je te souhaite de continuer à avoir du succès! » Toutefois, le 5 septembre 2018, un autre membre avait un message différent : [TRADUCTION] « Eh bien, tu risquerais la prison pour longtemps au Royaume-Uni avec ce genre de magouille, maintenant. Enc**age garanti ». Le 9 septembre 2018, un troisième membre a publié un commentaire semblable.

[traduction]
Regarder la télévision par IP, ce n’est pas illégal aux États-Unis (que le service soit offert légalement ou illégalement). La rediffusion de contenu protégé par un droit d’auteur l’est. Par contre, si la personne télécharge et redistribue le contenu acquis d’une source illégale, comme IPTV (entre autres), et qu’elle le met en ligne, ça c’est illégal.

Donc ta démarche était sans risque, à mon avis, vu que tu ne diffusais rien, en principe, que tu faisais juste revendre des abonnements. Est-ce que tu diffuses maintenant? Si c’est le cas, malgré les profits que ça peut générer, est-ce que les ramifications légales t’inquiètent?

[77] M. White a répondu à ce message le 2 octobre 2018. Apparemment peu troublé par ces avertissements, il s’est vanté de n’avoir aucune inquiétude quant à la légalité de ses actes et d’en connaître toutes les conséquences possibles :

[traduction]
Non, aucune inquiétude. Dans tout ce que je fais, je prends mes précautions. J’ai découvert en plus récemment une passerelle de paiement qui accepte les cartes de crédit et paie en BTC ou en PP ou en n’importe quoi d’autre, selon mes besoins. La passerelle peut aussi payer des factures pour moi, donc je ne laisse aucune trace.

Le BTC est le meilleur ami de l’homme dans ce marché-là, et les gens ne doivent pas oublier qu’il faut toujours prendre des précautions et savoir ce qui risque d’arriver si les choses tournent mal... il faut juste être habile, et il y a un TAS d’argent à faire dans les services IPTV. Et ce n’est que le début pour moi!

Merci pour votre soutien, tout le monde!

[78] En contre-interrogatoire, M. White a admis qu’il détenait au moins 744 000 $ dans plusieurs comptes bancaires lorsque l’ordonnance provisoire lui a été signifiée. Il a également admis qu’il s’était rendu à la banque, tout de suite après l’exécution de l’ordonnance provisoire, pour retirer 10 000 $ en coupures de cent dollars.

[79] M. White a reconnu par ailleurs que, à la date de l’audience sur la détermination de la peine, il n’avait pas encore relevé ni communiqué les détails relatifs à divers comptes de placement qu’il détenait chez WealthSimple et Questrade de même qu’à son compte en cryptomonnaie chez Coinbase; les demanderesses ont pu mettre ces comptes au jour seulement après avoir épluché des centaines de pages de relevés d’opérations bancaires fournis par M. White.

C. La crédibilité des témoins

[80] M. White soutient que la preuve présentée par MM. Martin McGuigan repose presque entièrement sur du ouï-dire, des hypothèses ou des éléments non pertinents et qu’elle devrait se voir accorder peu de poids, voire aucun. Je ne suis pas d’accord.

[81] La mise en contexte faite par M. Martin aide la Cour à mieux comprendre le problème de piratage auquel sont confrontés les titulaires de droits au Canada, les effets préjudiciables du piratage sur la viabilité des créateurs et des titulaires de droits d’auteur de même que l’ampleur des ressources que ces créateurs et titulaires de droits ont investies au fil des années pour intenter des actions en justice contre des personnes physiques et morales s’adonnant à une forme ou une autre de piratage. La preuve qu’il a présentée est bien étayée et non contentieuse.

[82] En ce qui concerne M. McGuigan, je suis convaincu que, compte tenu de son rôle comme directeur du SPCM et de sa participation personnelle aux enquêtes de ce dernier sur les activités de piratage de Beast IPTV, il était en mesure de savoir que les faits attestés dans son affidavit étaient véridiques : voir O’Grady c Canada (Procureur général), 2016 CF 9, conf par 2016 CAF 221, aux para 18–20. Il n’y a aucune conjecture de sa part. De fait, ses propos sont en grande partie corroborés par la preuve documentaire et, dans bien des cas, par les propres admissions de M. White. De plus, son témoignage n’a été affaibli sur aucun point substantiel en contre-interrogatoire.

[83] À mon avis, la preuve présentée par ces deux témoins est crédible et fiable.

[84] Quant à M. White, disons simplement qu’il s’est révélé un témoin totalement dépourvu de crédibilité : il a été évasif et approximatif tout au long de son témoignage, la mémoire lui faisant aussi opportunément défaut si le sujet tendait à l’incriminer, même lorsque des éléments de preuve irréfutables lui étaient présentés.

[85] Les avocats des demanderesses ont soumis à M. White plusieurs déclarations qu’il avait faites à Jay Stevens à propos des conseils juridiques reçus de Me Lomic. Les avocats de M. White se sont opposés à cette série de questions et ont soutenu que la communication de conseils juridiques à un membre clé de Beast IPTV ne constituait pas une renonciation explicite ou implicite au privilège fondé sur le secret professionnel de l’avocat. Je ne suis pas d’accord.

[86] Rien ne porte à croire que Me Lomic ait été retenu pour représenter un membre de Beast IPTV autre que M. White. Ce dernier a discuté librement avec Jay Stevens des conseils juridiques qu’il a reçus de Me Lomic et a exprimé sa frustration, parce que l’avocat ne lui disait pas ce qu’il voulait entendre. Quoi qu’il en soit, même s'il n'y a pas eu renonciation au privilège, M. White a mis en cause les conseils juridiques qu’il avait reçus en déclarant ce qui suit, au paragraphe 32 de son affidavit : [TRADUCTION] « Je réalise maintenant qu’en suivant ces conseils (de Me Mason) je n’ai pas respecté toutes les dispositions de l’ordonnance du 17 novembre 2020, de sorte que j’ai été reconnu coupable d’outrage au tribunal ». En avançant le fait de suivre des conseils juridiques comme un moyen de défense ou une excuse qui justifiait sa conduite, M. White a forcément mis en cause tous les conseils juridiques qu’il avait reçus lorsqu’il a enfreint les modalités de l’ordonnance provisoire, de façon telle qu’il serait injuste d’empêcher la divulgation de ces communications : Apotex Inc c Canada (Ministre de la Santé), [2004] 2 RCF 137, conf par 2004 CAF 280, au para 44.

VI. Les principes de détermination de la peine pour outrage civil

[87] Le pouvoir des tribunaux de faire observer leur procédure est une des pierres d’assise de la primauté du droit. Pour que le processus judiciaire fonctionne, les ordonnances de la Cour doivent être respectées.

[88] Dans l’arrêt United Nurses of Alberta c Alberta (Procureur général), [1992] 1 RCS 901 à la p 931, la Cour suprême du Canada a expliqué le principe sous-tendant l’importance du respect des décisions des tribunaux :

Tant l’outrage civil au tribunal que l’outrage criminel au tribunal reposent sur le pouvoir de la cour de maintenir sa dignité et sa procédure. La primauté du droit est le fondement de notre société; sans elle, la paix, l’ordre et le bon gouvernement n’existent pas. La primauté du droit est directement tributaire de la capacité des tribunaux de faire observer leur procédure et de maintenir leur dignité et le respect qui leur est dû. Pour ce faire, les tribunaux ont, depuis le XIIe siècle, exercé le pouvoir de punir pour outrage au tribunal.

[89] Ce principe a été réitéré par le juge en chef Paul Crampton dans la récente décision Bell Media Inc c Macciacchera (Smoothstreams.tv) 2023 FC 801 au para 1 : [TRADUCTION] « Les personnes qui décident quand et dans quelles circonstances elles respecteront une ordonnance judiciaire se font essentiellement justice elles-mêmes, ce qui est inacceptable dans une société régie par la primauté du droit ».

[90] Le pouvoir de notre Cour d’imposer des peines pour outrage au tribunal est régi par les articles 466 à 472 des Règles.

[91] L’article 472 établit les peines pouvant être imposées en cas d’outrage au tribunal.

Peine

Penalty

472 Lorsqu’une personne est reconnue coupable d’outrage au tribunal, le juge peut ordonner :

a) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans ou jusqu’à ce qu’elle se conforme à l’ordonnance;

b) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans si elle ne se conforme pas à l’ordonnance;

c) qu’elle paie une amende;

d) qu’elle accomplisse un acte ou s’abstienne de l’accomplir;

e) que les biens de la personne soient mis sous séquestre, dans le cas visé à la règle 429;

f) qu’elle soit condamnée aux dépens.

472 Where a person is found to be in contempt, a judge may order that

(a) the person be imprisoned for a period of less than five years or until the person complies with the order;

(b) the person be imprisoned for a period of less than five years if the person fails to comply with the order;

(c) the person pay a fine;

(d) the person do or refrain from doing any act;

(e) in respect of a person referred to in rule 429, the person’s property be sequestered; and

(f) the person pay costs.

[92] Le juge John Norris offre une description utile et exhaustive des principes généraux de la détermination de la peine pour outrage civil dans la décision Bell Canada et autres c Red Rhino Entertainment Inc, 2021 CF 895 [Red Rhino], aux para 6–13.

[93] Comme l’a souligné le juge Norris, le tribunal dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer la sanction appropriée en cas d’outrage civil (Red Rhino, au para 9; Tremaine c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 2014 CAF 192 [Tremaine] au para 26).

[94] Dans les cas d’outrage de nature civile, les principes ordinaires de détermination de la peine en matière d’outrage de nature criminelle jouent (Tremaine, au para 19). La Cour d’appel fédérale établit dans l’arrêt Tremaine le cadre servant à déterminer ce qui constitue une peine « indiquée » dans un cas donné et souligne l’importance de la dissuasion et de la proportionnalité en tant qu’objectifs de la de la détermination de la peine :

[21] Afin de déterminer ce qui constitue une peine « indiquée » dans un cas donné, le juge chargé de la détermination de la peine doit tenir compte de l’échelle des peines infligées relativement à des infractions similaires dans la jurisprudence et ajuster la peine en fonction des objectifs de détermination de la peine et de toute circonstance aggravante ou atténuante pertinente à l’affaire dont il est saisi (R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 R.C.S. 206, au paragraphe 43; Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Bremsak, 2013 CAF 214, [2013] A.C.F. no 1009, au paragraphe 33 [Bremsak]).

[22] Le juge doit également tenir compte de l’importance de la dissuasion spécifique et générale pour préserver la confiance du public envers l’administration de la justice, tout en respectant le principe de la proportionnalité en matière de détermination de la peine (Canada (Ministre du Revenu national) c. Marshall, 2006 CF 788, [2006] A.C.F. no 1008, au paragraphe 16 [Marshall].

[95] Il existe plusieurs facteurs aggravants et atténuants qu’un tribunal peut prendre en considération pour choisir la sanction à infliger en cas d’outrage civil. Les facteurs aggravants doivent être établis hors de tout doute raisonnable par la partie requérante (les demanderesses dans la présente instance) et englobent les suivants :

a. le fait que la conduite fautive se soit échelonnée sur une longue période ou qu’il s’agissait d’un incident isolé;

b. la portée ou l’importance de la conduite fautive;

c. le fait que la conduite se soit poursuivie ou pas, même après qu’il a été conclu qu’elle constituait un outrage;

  1. les motifs du contrevenant;

  2. la question de savoir si le contrevenant a déjà été déclaré coupable d’outrage.

(Red Rhino, au para 13)

[96] Les facteurs atténuants, qui doivent être établis selon la prépondérance des probabilités par la partie qui les invoque (M. White en l’espèce), comprennent ce qui suit :

a. les remords véritables exprimés par le contrevenant;

b. l’admission, par le contrevenant, de sa responsabilité;

c. les mesures prises par le contrevenant en vue de sa réadaptation;

d. les efforts que le contrevenant a faits de bonne foi pour se conformer à l’ordonnance;

e. certaines circonstances personnelles telles que le jeune âge du contrevenant ou une dépendance pouvant réduire son degré de responsabilité dans la conduite fautive.

(Red Rhino, au para 13)

[97] Dans la décision Red Rhino, au paragraphe 14, le juge Norris rappelle que, dans un contexte commercial, la rentabilité de la conduite fautive est également un facteur pertinent susceptible d’avoir une incidence sur le montant de l’amende qui, par son effet dissuasif, dénoncerait de façon significative la conduite répréhensible et protégerait l’administration de la justice. Si le contrevenant était motivé par la cupidité, il pourrait s’agir d’un facteur aggravant.

[98] Selon le juge Norris, « [a]ucun de ces objectifs ne pourra être atteint si l’amende représente simplement le prix à payer pour faire des affaires en contravention d’une ordonnance judiciaire ». C’est à la partie requérante qu’incombe le fardeau d’établir la capacité de payer du contrevenant selon la prépondérance des probabilités (Red Rhino, au para 15).

[99] En résumé, les éléments suivants doivent être pris en considération par le tribunal qui doit fixer la peine indiquée :

  • a)la proportionnalité de la peine au regard de la faute;

  • b)la présence de facteurs aggravants;

  • c)la présence de facteurs atténuants;

  • d)les principes de dissuasion et de dénonciation;

  • e)la similarité des peines infligées dans des situations semblables;

  • f)le caractère raisonnable d’une amende et celui d’une peine d’emprisonnement.

VII. Analyse

[100] La Cour suprême du Canada a déclaré maintes fois que la détermination de la peine « demeure l’une des étapes les plus délicates du processus de justice pénale et criminelle au Canada » : voir R c Lacasse, 2015 CSC 64 au para 1; R c Friesen, 2020 CSC 9 au para 31; R c Parranto, 2021 CSC 46 [Parranto] au para 9. Il en est de même dans les instances pour outrage au tribunal.

[101] Comme l’a souligné la Cour suprême au paragraphe 10 de l’arrêt Parranto : « [l]e but est d’infliger dans chaque cas une sanction équitable, juste et fondée sur des principes. La proportionnalité est le principe directeur qui permet d’atteindre cet objectif ».

[102] Pour établir une peine proportionnée, la détermination de la peine se doit d’être une « opération éminemment individualisée (Parranto, au para 12). Le juge chargé de fixer la peine doit établir quels objectifs de la détermination de la peine méritent qu’on leur accorde plus de poids et évaluer l’importance des facteurs atténuants et des facteurs aggravants.

A. Les facteurs aggravants ou atténuants

[103] Afin de déterminer la peine à infliger en l’espèce, j’ai pris en considération les facteurs suivants.

(1) L’outrage a été commis sciemment

[104] M. White prétend que, au moment de l’exécution de l’ordonnance provisoire à son domicile, il était [traduction] « confus, frustré et grandement désavantagé en raison de [sa] méconnaissance de ce genre d’action judiciaire civile ou de [son] inexpérience à cet égard ». Je juge cette assertion totalement dénuée de crédibilité.

[105] M. White connaissait le monde du piratage de services de télévision IP avant l’arrivée de l’équipe chargée de l’exécution de l’ordonnance. Sa publication sur le forum BlackHatWorld montre clairement qu’il vendait des abonnements à des chaînes de télévision IP piratées depuis au moins 2018 et qu’il connaissait les ramifications légales de ses activités. Il s’est moqué publiquement de toute poursuite possible devant les tribunaux et a affirmé sans équivoque qu’il ne s’inquiétait pas des conséquences de ses actes et qu’il était uniquement motivé par le profit.

[106] Il se peut que M. White n’ait pas eu pleinement conscience de la gravité de sa conduite et des répercussions juridiques possibles, mais toute confusion aurait été dissipée par la mise en demeure qu’il a reçue de MPA en 2019 et ses discussions subséquentes avec M. McGuigan.

[107] Il est clair que M. White connaissait parfaitement les risques qu’il prenait en continuant d’exploiter un service de télévision IP non autorisé, comme le démontrent d'ailleurs les propos résignés qu'il a tenus dans sa conversation téléphonique avec Jay Stevens le 25 novembre 2020.

[traduction]
M. TYLER WHITE : Bon, tu sais, mon vieux... je ne... écoute... Je ne cherche même pas de la sympathie. On est les seuls responsables, on le savait... on connaissait les risques, pas vrai?

[108] Dans les circonstances, les arguments fondés sur la « confusion » ou l’ignorance face au processus judiciaire avancés par M. White ne tiennent pas. Devant la preuve accablante qui m’a été présentée, je conclus que M. White a commis les actes d’outrage en sachant parfaitement bien qu’ils étaient illégaux, autant sur le plan objectif que subjectif.

(2) L’outrage était délibéré

[109] M. White prétend avoir été avisé par Me Mason qu’il n’avait pas besoin de faire quoi que ce soit et qu’il pouvait prendre le temps de se trouver un avocat spécialisé. Il m’est difficile de croire que ce sont les seuls conseils juridiques donnés par Me Mason. De toute façon, ils n’excusent en rien la conduite de M. White. Au contraire, plutôt que de suivre les conseils de Me Mason et de ne rien faire, M. White a tout de suite pris une série de mesures contraires à l’ordonnance judiciaire qui se sont poursuivies dans les jours puis dans les mois subséquents.

[110] M. White s’est fait rappeler en contre-interrogatoire que, le 25 novembre 2020, il avait retenu les services de Me Paul Lomic, avocat spécialisé en droit d’auteur, qu’il avait discuté de son dossier avec lui ce jour-là et qu’il avait alors reçu pour directive de se conformer aux modalités de l’ordonnance provisoire. Ces conseils ont été ignorés.

[111] Il est clair que M. White ne voulait pas suivre les conseils juridiques qui n'allaient pas dans le sens de ses intérêts.

[112] M. White a ensuite communiqué avec plusieurs personnes associées au service Beast IPTV, ce qui était en violation flagrante de l’ordonnance provisoire. M. White savait, comme il l’a admis en contre-interrogatoire, que certaines personnes au sein de Beast IPTV s’occupaient de chercher d’autres serveurs et tentaient de faire migrer leurs abonnés vers de nouvelles plateformes. Ces personnes ont pu accéder aux listes d’abonnés de Beast IPTV et, dans les jours et les semaines qui ont suivi la tentative d’exécution de l’ordonnance provisoire, elles ont pu utiliser les adresses de courriel et les autres coordonnées des abonnés pour contrôler les messages qui étaient communiqués à ces derniers. Cette information a permis à des tiers de transférer les clients de Beast vers d’autres services de télévision IP non autorisés.

[113] En renvoyant l’équipe chargée de l’exécution sans divulguer les renseignements techniques exigés dans l’ordonnance provisoire, M. White a agi de manière étudiée dans le but de contrecarrer un des objectifs fondamentaux de l’ordonnance provisoire, qui était de prendre sans tarder le contrôle de l’infrastructure de Beast IPTV et de mettre fin à toute violation ultérieure du droit d’auteur.

[114] La conduite de M. White allait à l’encontre d’un autre objectif fondamental de l’ordonnance provisoire, soit celui d’empêcher la dilapidation de ses profits potentiellement illégaux. Au fil du temps, M. White a dilapidé le plus d’actifs possible pour les garder hors de la portée de la Cour et des demanderesses.

[115] Quand il a finalement identifié certains de ses comptes bancaires, en avril de l’année suivante, la majeure partie de l’argent qui s’y trouvait avait été retirée, sauf environ 50 000 $. Un montant de 400 000 $ semble avoir servi à payer les frais et débours juridiques, mais M. White n’a fourni aucune explication valable quant à ce qu’il était advenu des 295 000 $ restants.

[116] Le seul indice au sujet des fonds disparus est donné dans l’enregistrement de la conversation téléphonique entre M. White et Jay Stevens. Dans l’échange qui suit, M. White envisage de déclarer faussement faillite pour se protéger et d’employer l’argent qui était censé être bloqué par l’ordonnance provisoire afin de [traduction] « tenir quelque temps ».

[traduction]
M. TYLER WHITE : Je pense que... si – merde, si je m’arrête juste à penser à ce que j’ai en main puis au fait qu’ils peuvent me poursuivre pour telle ou telle raison, je pourrais, genre, déclarer faillite et dire que j’ai pas ce qu’ils cherchent. Au moins là je sais...

M. JAY STEVENS : Eh bien...

M. TYLER WHITE : --- les montants que je peux sortir. Je sais que c’est -- tu vois, je suis bon.

M. JAY STEVENS : Je sais pas comment ça fonctionne chez vous. Ici, les tribunaux -- certains tribunaux disent qu’on ne peut pas ---

M. TYLER WHITE : Non, ils m’ont dit que je peux pas, mais qu’est-ce qu’ils vont me faire?

M. JAY STEVENS : Eh bien, en partant, tu vas démolir ta cote de crédit, donc tu pourras jamais plus obtenir de financement.

M. TYLER WHITE : Bah, cet argent-là pourrait me permettre de tenir quelque temps, non?

[117] En ne divulguant pas les renseignements financiers qu’il était censé présenter en novembre 2020, M. White a pu profiter de centaines de milliers de dollars, environ.

(3) L’outrage au tribunal n’a pas été réparé

[118] M. White soutient qu’il a fait tout son possible pour réparer son outrage au tribunal. Je ne suis pas d’accord.

[119] M. White prétend que, au 25 novembre 2020, il a fait fermer le système de Beast IPTV dans la mesure où il le pouvait et qu’il n’avait plus aucune forme de contrôle, de participation ou de pouvoir à l’égard du système. Selon lui, en date du 7 septembre 2021, il a fourni aux avocats des demanderesses tous les renseignements de nature technique connus et disponibles.

[120] C'était, pour ces deux mesures, trop peu, trop tard. Le préjudice avait déjà été causé et la situation ne pouvait plus être corrigée.

[121] M. White affirme également que, le 2 novembre 2021, il a [traduction] « fait de son mieux » pour divulguer en détail tous les renseignements financiers demandés qu’il avait en sa possession et qu’il a transmis aux avocats des demanderesses le 25 février 2022 d’autres renseignements financiers à jour obtenus de sa banque.

[122] Cependant, M. White n’a pas dévoilé tous ses comptes, comme il le prétend. En fait, à la date de l’audience sur la détermination de la peine, il contrevenait encore aux alinéas 2J) et 2K) de l’ordonnance provisoire. Comme je le souligne plus haut dans les présents motifs, M. White a reconnu en contre-interrogatoire qu’il n’avait toujours pas recensé certains comptes de placement et n’en avait pas non plus communiqué les détails.

(4) L’outrage a causé un préjudice irréparable aux demanderesses

[123] M. White fait valoir que la divulgation tardive des renseignements techniques relatifs à Beast IPTV, dont les données d’accès aux domaines et l’information connexe, n’a pas causé de préjudice aux demanderesses ou nui à leur cause. Je ne suis pas d’accord.

[124] Le défaut de M. White de se conformer aux modalités de l’ordonnance provisoire dans le délai qui y était précisé a empêché l’ASI de sécuriser et de désactiver l’infrastructure de Beast IPTV puis d’en prendre la garde.

[125] Aux paragraphes 10 et 11 de son affidavit, M. McGuigan explique l’importance de sécuriser une infrastructure en ligne :

[traduction]
10. [...] il n’est pas inhabituel pour les exploitants de services de télévision IP non autorisés de transférer le contrôle des infrastructures en ligne entre différents partenaires situés dans différents endroits pour éviter d’être détectés et poursuivis, et ce transfert peut s’effectuer très rapidement.

11. Il est donc crucial de demander la remise des données d’accès aux domaines et aux serveurs lors de l’exécution des ordonnances, pour les raisons suivantes :

a) s’assurer que le service de télévision IP non autorisé ciblé par la mesure d’exécution soit fermé le plus rapidement possible;

b) éviter que des parties de l’infrastructure soient transférées à des tiers qui échappent à la compétence des tribunaux canadiens;

c) prévenir l’utilisation de l’infrastructure par une partie défenderesse ou des tiers abonnés dans le but de faciliter la migration ou l’inscription d’abonnés du service ciblé vers un service de télévision IP non autorisé, ce qui permet de contourner la mesure d’exécution.

[126] Même s’il est vrai que M. White a fermé le service Beast IPTV le 25 novembre 2020, cette fermeture était vide de sens, puisqu’une autre entité avait déjà pris la relève, ce qui ne se serait pas produit si M. White n’avait pas communiqué avec Jay Stevens le matin de l’exécution de l’ordonnance provisoire afin de lui donner pour instruction de supprimer deux domaines, en contravention flagrante de l’ordonnance provisoire. On a alors « découvert le pot aux roses », comme le veut l’adage.

[127] Le service Beast IPTV n’a pas réellement été fermé avant un mois environ après l’exécution de l’ordonnance provisoire chez M. White, et il l’a été seulement après les efforts concertés du personnel de Beast IPTV et de ses revendeurs destinés à faire migrer les abonnés vers une des entités offrant des services de télévision IP non autorisés qui avaient remplacé Beast ou lui avaient succédé.

[128] En fin de compte, toutes les heures, les ressources et l’énergie qui ont été investies par les demanderesses pour réunir les éléments de preuve, obtenir une ordonnance interlocutoire de la Cour et prendre des dispositions en vue de l’exécution de cette ordonnance n’ont servi à rien. Les demanderesses sont maintenant contraintes de reprendre depuis le début un incessant jeu du chat et de la souris dans leur lutte contre les sites de piratage de contenu.

(5) Les facteurs atténuants

[129] Selon M. White, certains facteurs atténuants militent en faveur de l’imposition d’une amende au lieu d’une peine d’emprisonnement ainsi qu’en faveur d’une adjudication des dépens proportionnelle et non pas sur la base avocat-client.

[130] Le plaidoyer de culpabilité de M. White joue certainement en sa faveur, car il a permis d’accélérer le processus judiciaire et d’éviter que des témoins aient à se présenter à l’audience relative à l’outrage au tribunal.

[131] Il semble également que ce soit la première fois que M. White est visé par une accusation d’outrage, et l’absence de condamnation antérieure pour cette infraction est une circonstance atténuante.

[132] M. White s’est excusé de sa conduite et a exprimé ses regrets à la Cour de même qu’à l’endroit des demanderesses pour avoir désobéi aux dispositions de l’ordonnance provisoire dont il était l’objet. Cependant, ses regrets sonnent faux à mes oreilles, puisque certains aspects de l’outrage au tribunal persistent ou ne peuvent pas être corrigés. Des excuses présentées lors de la détermination de la peine ont peu de valeur, sinon aucune, lorsqu’elles semblent avoir pour seul but d’atténuer la peine qui sera infligée.

[133] Quant aux remords de M. White, j’ai des doutes sur leur sincérité. Selon moi, M. White s’apitoyait plus sur son sort, et sur la situation difficile dans laquelle il se retrouve, qu’il ne regrettait le tort causé à la Cour ou aux demanderesses. J’estime que les déclarations de M. White à Jay Stevens, le 25 novembre 2020, montrent son véritable état d’esprit et reflètent ce qu’il pense réellement des demanderesses et de notre Cour.

[134] M. White a adopté une approche qui, suivant ses propres termes, visait à [traduction] « embêter les demanderesses – juste un peu ». Il a également fait preuve de mépris envers notre Cour, qu’il a qualifiée avec dédain de [traduction] « cour civile ».

[TRADUCTION]

M. TYLER WHITE : (Inaudible) à la banque, j’ai sorti tout ce que j’ai pu, et là, tu sais, ils s’en apercevront, c’est sûr, et ils vont me demander, genre, où est passé l’argent? et je pourrai, euh, dire que je sais pas, que j’ai tout dépensé, désolé, que je me suis gouré, ou quelque chose de semblable. C’est une cour civile, pas une cour criminelle, au fond. Il m’a dit qu’ils essaieraient de me punir plus sévèrement et de tout prendre. Mais moi, mon vieux, j’aurai encore ce que j’ai pu sortir. Tu vois ce que je veux dire?

[135] M. White prétend qu’il a eu sa leçon et qu’il ne désobéira plus jamais à une ordonnance judiciaire. Toutefois, dans sa conversation avec Jay Stevens, il opte pour l’arrogance, même après avoir reçu des conseils juridiques appropriés, et il envisage tout haut de déclarer faillite pour ne pas avoir à payer les montants qu’un jugement pourrait lui imposer. Même si M. White n’a pas vraiment donné suite à ce stratagème, j’en infère qu’il prendra encore n’importe quel moyen, légal ou pas, pour empêcher les demanderesses d’obtenir justice auprès de notre Cour.

[136] M. White a présenté des éléments de preuve sur sa santé et celle de son fils de même que sur la situation personnelle de sa partenaire et de ses parents. Il souligne qu’il est le principal responsable des soins prodigués à son fils, dont il est également le seul tuteur légal, et que toute peine de prison nuira grandement à ces soins et perturbera sa vie. Toutefois, cette situation n’a rien d’exceptionnel.

[137] Les tribunaux, et plus particulièrement les juridictions pénales, sont souvent tenus d’infliger des peines de prison à des accusés qui sont des proches aidants. M. White n’a pas établi qu’il avait un quelconque problème de santé grave, et encore moins un problème qui ne pourrait être soigné en prison. De plus, il n’a présenté aucun élément de preuve provenant de la mère de son fils, de sa petite amie ou des grands-parents de son fils qui aurait établi qu’aucun d’entre eux n’est disposé ou apte à s’occuper du garçon.

[138] M. White souligne qu’il travaille enfin à temps plein après avoir passé près de deux ans essentiellement au chômage. Il se trouve actuellement en période de probation et souhaite ardemment conserver son emploi et utiliser son modeste revenu pour subvenir aux besoins de sa partenaire et de son fils, bénéficier d’un régime de soins de santé, rembourser ses dettes et se défendre contre la présente action. Selon lui, une peine de prison lui fera probablement perdre son emploi. Encore une fois, cette situation n’a rien d’exceptionnel.

[139] Même si l’existence de facteurs atténuants est démontrée, ces facteurs sont négligeables par rapport aux nombreuses circonstances aggravantes qui ont été établies hors de tout doute raisonnable par les demanderesses.

B. La peine à infliger

[140] Les deux parties s’entendent pour dire que notre Cour doit tenir compte du principe de parité, selon lequel des délinquants semblables ayant commis des infractions semblables dans des circonstances semblables devraient recevoir des peines semblables. L’examen d’affaires comparables est important pour que la Cour puisse déterminer une peine appropriée, parce qu’il s’agit de repères utiles : voir Red Rhino, au para 51.

[141] M. White fait valoir qu’aucune décision rendue par notre Cour en matière de détermination de la peine en cas d’outrage dans le domaine de la propriété intellectuelle ne s’est traduite par un emprisonnement immédiat et que la Cour a plutôt infligé des amendes allant de 1 000 $ à 50 000 $. D’après lui, contrairement aux faits présents dans les décisions Bell Canada c Vincent Wesley (MTL FreeTv.com), 2018 CF 66 [Wesley] et Red Rhino, où des amendes de 30 000 $ et de 40 000 $, respectivement, avaient été infligées, la gravité de l’outrage qu’il a commis en l’espèce ne se situe pas à la limite supérieure de l’échelle de la gravité. À mon avis, toute comparaison entre ces deux décisions et la présente instance revient à comparer des « pommes et des oranges ».

[142] La conduite des parties défenderesses accusées d’outrage dans les décisions Wesley et Red Rhino était effectivement grave. Cependant, chaque affaire doit être tranchée en fonction des faits qui lui sont propres et de la situation particulière de l’auteur de l’outrage.

[143] Dans la décision Wesley, le juge Roy a souligné que le défendeur lui était apparu plutôt insouciant et naïf. Il a conclu qu’il n’y avait aucune preuve des profits que le défendeur aurait pu dégager et, si c’était le cas, ces profits ne pouvaient être importants. Quant à l’objectif de dissuasion, le juge Roy était d’avis qu’il pouvait être atteint au moyen d’une lourde amende proportionnelle aux moyens financiers du défendeur.

[144] Dans la décision Red Rhino, le juge Norris a estimé que le défendeur était sincère lorsqu’il a déclaré qu’il reconnaissait les erreurs qu’il avait commises, qu’il n’avait pas contrevenu à l’injonction depuis et qu’il ne recommencerait pas. Le juge a souligné aussi qu’il y avait peu d’éléments de preuve directs concernant la situation ou les obligations financières du défendeur.

[145] Aucun des facteurs ou des lacunes dans la preuve qui avaient été relevés dans ces deux affaires n’est présent en l’espèce. Surtout, les décisions Wesley et Red Rhino ne portaient pas sur des contraventions à une ordonnance Anton Piller, laquelle doit, de par sa nature même, être exécutée sans délai pour porter fruit.

[146] L’ordonnance Anton Piller tire son nom de l’arrêt Anton Piller KG v Manufacturing Processes Ltd, [1976] 1 All ER 779 (CA), où la Cour d’appel de l’Angleterre a approuvé une pratique qui venait d’être adoptée par la Division de la chancellerie dans des dossiers de violations des droits de propriété, soit de rendre des ordonnances qui, pour reprendre les termes du président de la cour, lord Denning, [traduction] « ressemblent un peu à des mandats de perquisition », à une différence près. À la page 60 de l’arrêt, lord Denning souligne ce qui suit :

[traduction]
Permettez-moi de dire d’abord qu’aucun tribunal anglais n’a le pouvoir de délivrer un mandat de perquisition autorisant une personne à entrer dans la maison d’une autre pour voir s’il s’y trouve des papiers ou des documents incriminants, qu’il s’agisse de libelles ou de violations du droit d’auteur ou d’autres crimes semblables. Aucun policier ou huissier ne peut frapper à la porte et demander d’entrer afin d’inspecter des papiers ou des documents. L’occupant de la maison peut lui fermer la porte au nez et lui ordonner de partir. C’est ce qui a été établi dans l’arrêt de principe Entick v Carringtron (1765), 2 Wils K B 275.

La Cour, incapable d’autoriser les demanderesses ou leurs mandataires à entrer chez les défenderesses contre leur gré, s’est appuyée sur une logique circulaire pour élaborer une ordonnance contraignant les défenderesses à laisser les demanderesses entrer, inspecter les lieux, copier et saisir ou emporter des documents ou des objets. Le refus des défenderesses d’obtempérer ne donne pas aux demanderesses le pouvoir d’entrer sur les lieux par la force, mais les défenderesses sont susceptibles de sanctions pour avoir désobéi à l’ordonnance.

[147] Comme l’a souligné le juge Roy aux paragraphes 79 et 80 de la décision Warner Bros, les ordonnances provisoires rendues contre les défendeurs « [n’appartenaient] pas à la catégorie des ordonnances Anton Piller habituelles » parce qu’il ne s’agissait pas de mandats de perquisition; cependant, elles constituaient, « de par leur nature, une mesure attentatoire semblable à celle causée par une ordonnance Anton Piller typique ».

[148] En règle générale, l’auteur de l’outrage au tribunal a la possibilité de s’amender. Lors de l’audience relative à la détermination de la peine, l’élimination de l’outrage est un facteur atténuant important dans le choix de la peine qui sera prononcée par le tribunal. La nature extraordinaire de l’ordonnance provisoire rendue dans la présente instance se justifiait par la nécessité d’une exécution immédiate et reposait sur la menace d’une action pour outrage en cas de non-conformité. Elle visait à préserver la compétence de la Cour en empêchant les défendeurs de se soustraire à cette compétence au moyen du transfert de la propriété ou du contrôle du service Beast IPTV hors du ressort de la Cour et à bloquer la dilapidation des profits potentiellement illicites de M. White.

[149] M. White ne peut pas remédier à son outrage. En effet, lorsqu’il a communiqué les identifiants de connexion des anciens serveurs de Beast IPTV quelque quatre mois après l’exécution de l’ordonnance provisoire, les dommages étaient faits et ne pouvaient être réparés. En plus, des actifs importants ont été dilapidés et ne peuvent plus être retracés.

[150] La dénonciation d’une conduite illégale constitue un important objectif de la détermination de la peine, étape où le juge doit tenir compte de l’objectif de dissuasion spécifique et générale nécessaire, surtout dans les cas de piratage de contenu.

[151] De l’aveu même de M. White, [traduction] « il y a un TAS d’argent à faire dans les services de télévision IP ». En contre-interrogatoire, M. White a reconnu que la communauté de piratage de services de télévision IP en est venue à comprendre que l’amende la plus souvent infligée en cas de violation du droit d’auteur se chiffrait à environ 50 000 $, ce qui représente plus du double de l’amende qu’il propose maintenant à notre Cour.

[152] Le secteur des services de télévision IP illicites offre de toute évidence un incitatif financier considérable à ne pas se conformer aux ordonnances de la Cour. Après tout, les protagonistes de ce secteur ne sont guère plus que des voleurs de contenu numérique qui engrangent d’énormes profits en s’emparant de la propriété intellectuelle d’autrui. Ils sont motivés par l’appât du gain, purement et simplement. À mon avis, une amende qui est perçue comme rien de plus qu’un [traduction] « coût d’exploitation » n’enverrait pas le bon message pour ce qui est de la dissuasion.

[153] D’après des saisies d’écran des échanges, survenus entre le 7 et le 11 décembre 2020, entre les membres d’un groupe de soutien de Beast IPTV et les messages publiés sur le site web de Beast IPTV plus tard au cours de ce même mois, il est raisonnable de croire que le milieu du piratage satellite est au courant de la présente affaire. Les demanderesses soutiennent que la peine infligée devrait faire comprendre aux pirates de signaux satellites que ces types d’ordonnances ne peuvent être ignorées ou contournées sans qu’il y ait de graves conséquences.

[154] Pour que justice soit rendue concrètement et efficacement, la Cour doit s’assurer de la crédibilité de sa menace d’accusations pour outrage en étant prête à infliger de lourdes pénalités en cas de non-conformité à ses ordonnances.

[155] En l’espèce, il est difficile de chiffrer l’amende qui pourrait servir l’objectif de dissuasion et ce, principalement parce que M. White n’a pas obéi à l’ordonnance provisoire. Comme je le mentionne plus tôt dans les présents motifs, en raison des actes d’outrage commis par M. White, divers aspects du service Beast IPTV ont été migrés ailleurs, de sorte que d’importants éléments de preuve ont été soit détruits, soit dissimulés. En outre, il a été établi en contre-interrogatoire que M. White avait empêché les demanderesses de prévenir la dilapidation d’au moins 344 000 $, sans compter les 400 000 $ versés à ses avocats. M. White n’avait pas non plus encore divulgué de renseignements sur ses comptes en cryptomonnaie et ses comptes de placement à la date de l’audience sur la détermination de sa peine.

[156] M. White fait valoir qu’il n’a pas la capacité financière de payer une amende substantielle. Je ne le crois pas. Les éléments de preuve qu’il a présentés lui-même permettent de constater qu’il possède des fonds propres importants dans quatre biens immobiliers, y compris sa résidence personnelle. Qui plus est, j’infère de la publication de M. White sur le forum BlackHatWorld à propos de l’avantage d’utiliser des bitcoins (BTC), ainsi que de sa déclaration à Jay Stevens quant au fait que l’argent qu’il pourrait retirer lui permettrait de [traduction] « tenir quelque temps », qu’il a mis de côté une importante quantité d’argent qui ne peut être retracée. Malheureusement, il est impossible d’établir exactement le montant auquel M. White peut avoir accès puisqu’il manque encore des renseignements sur sa situation financière.

[157] M. White a nui à la capacité de notre Cour de fixer une amende valable qui aurait un effet dissuasif. Je suis donc obligé d’envisager quelle autre sanction servirait à transmettre le message que notre Cour prend au sérieux les contraventions à ses ordonnances et à dissuader des tiers d’adopter une conduite similaire.

[158] Pour ce qui est de la parité, j’abonde dans le même sens que les demanderesses, soit que, en l’absence de jugements sur ce point rendus par notre Cour, les peines prononcées par les tribunaux ontariens dans des cas semblables de non-respect d’ordonnances Anton Piller devraient guider ma décision. Il s’agit notamment des décisions Echostar Communications Corp v Rodgers, 2010 ONSC 2164 [Echostar]; DIRECTV Inc v Boudreau, 2005 CarswellOnt 7026 (CS Ont) [Boudreau], modif par [2006] OJ No 1583, 2006 CarswellOnt 2391 (CA Ont); Bell Expressvu Limited Partnership v Rodgers, dossier de la Cour no 06-CL-6574, décision non publiée datée du 18 mai 2010 [Rodgers].

[159] Dans la décision Echostar, les défendeurs ont chacun reçu une peine d’emprisonnement de quatre mois pour outrage aux ordonnances Anton Piller. La Cour supérieure de l’Ontario a jugé que l’emprisonnement était approprié [traduction] « dans les cas où le refus d’obtempérer à une ordonnance empêche la collecte de renseignements importants nécessaires pour résoudre une situation complexe et a de graves répercussions sur le demandeur » (Echostar, au para 55). La Cour a ajouté ce qui suit au paragraphe 56 :

[traduction]
[56] Une peine d’emprisonnement est aussi appropriée quand la non-conformité à l’ordonnance de la Cour a eu et continuera d’avoir des conséquences extrêmement graves pour la demanderesse. L’emprisonnement peut servir d’incitatif et donc pousser une personne à changer d’attitude, puis à comprendre et à respecter le système juridique. Il envoie un message clair, soit que le non-respect des ordonnances de la Cour ne sera pas toléré ni pris à la légère, ce qui correspond aux objectifs de dénonciation et de dissuasion générale et spécifique de la détermination de la peine.

[160] Dans la décision Boudreau, le tribunal a ordonné que le défendeur soit incarcéré pendant neuf mois (peine qui a été réduite à trois mois en appel) pour avoir omis de donner accès à un site Web, entraînant ainsi la perte d’éléments de preuve et un grave préjudice pour les demanderesses.

[161] Dans la décision Rodgers, la Cour a ordonné qu’un défendeur soit incarcéré pendant quatre mois pour avoir omis de donner accès sans délai à des locaux et à plusieurs sites Web et pour avoir mis en place un stratagème compliqué destiné à camoufler ces activités.

[162] Même s’il est possible d’établir certaines distinctions entre les faits de la présente instance et ceux des affaires ontariennes citées plus haut, il s’en dégage un seul et même thème, soit que la peine imposée devrait viser un objectif de dissuasion générale pour éviter que des tiers imitent l’auteur de l’outrage : voir aussi Echostar Satellite Corporation et al v Megill et al, motifs non publiés de la juge Pepall datés du 19 avril 2007, dossier no 06-CL-6619, 06-CL-6618.

[163] L’outrage aux ordonnances judiciaires est pris au sérieux par les tribunaux ontariens, même quand la personne accusée en est à sa première infraction : Mercedes-Benz Financial (DCFS Canada Corp) v Kovacevic, 2009 CanLII 9423 (CS Ont) au para 41. Dans cette affaire, le juge chargé de la détermination de la peine a conclu que le défendeur avait délibérément et sciemment désobéi à une ordonnance du tribunal, qu’il avait fait preuve de dédain envers le tribunal et que son arrogance envers le tribunal était palpable, dénuée de remords et persistante. Même s’il s’agissait d’une première infraction et que le défendeur avait corrigé son outrage, le juge lui a infligé une peine de 5 jours d’emprisonnement à purger dans un établissement correctionnel provincial.

[164] Dans les motifs dissidents qu’elle a rédigés dans l’arrêt Bell Canada c Adwokat, 2023 CAF 106 [Adwokat], la juge Nathalie Goyette a souligné au paragraphe 58 l’existence de divergences entre les approches suivies par les cours fédérales et les cours ontariennes.

[58] [...] Selon toute vraisemblance, les tribunaux ontariens auraient infligé une peine d’incarcération à M. Adwokat si la présente affaire leur avait été soumise : Dish Network à la p. 14; DIRECTV. Les cours fédérales, y compris notre Cour, se montrent beaucoup plus indulgentes. À ma connaissance, dans des affaires d’outrage civil concernant le droit d’auteur, les cours fédérales ont infligé une peine d’incarcération à trois reprises, et seulement si certaines conditions n’étaient pas satisfaites : Lari c. Canadian Copyright Licensing Agency, 2007 CAF 127 [Lari]; P.S. Knight; Polsat. Cette divergence d’approche entre les tribunaux doit cesser. La Cour fédérale ne doit pas être un refuge pour les personnes coupables d’outrage au tribunal.

[165] À l’instar de la juge Goyette, je suis d’avis que les tribunaux canadiens devraient faire preuve d'uniformité lorsqu’ils doivent déterminer la peine en cas d’outrage au tribunal dans les dossiers de droit d’auteur. Il est important de déboulonner l’idée préconçue suivant laquelle la Cour, qui est le tribunal de référence pour les litiges en matière de propriété intellectuelle, serait plus clémente que les cours supérieures provinciales.

[166] Malgré le principe de retenue applicable au recours à l’incarcération, je considère qu’une peine d’emprisonnement est justifiée en l’espèce. La preuve contre M. White est abondante et accablante. La présence de nombreux facteurs aggravants a été établie par les demanderesses hors de tout doute raisonnable, à partir principalement des propres aveux de M. White, dont ses propos enregistrés ou publiés en ligne.

[167] Je rejette la proposition de M. White, soit de lui imposer des services communautaires, parce qu’elle enverrait à tort le message qu’il y a restitution. La peine habituelle d’emprisonnement indiquera clairement aux pirates de signaux satellites, et aux entités qui facilitent leurs activités, que M. White a commis des actes graves d’outrage au tribunal auxquels se rattache une stigmatisation morale. Il y a lieu de lancer un message clair à quiconque pourrait envisager d’entraver l’exécution d’une ordonnance de la Cour : une peine d’emprisonnement est non seulement possible, elle est même probable.

[168] Quant à la durée de l’emprisonnement, j’accepte la recommandation de deux mois formulée par les demanderesses, même si j’estime qu’elle se situe à l’extrémité inférieure de la fourchette de peines possibles. J’ajoute que, n’eut été le plaidoyer de culpabilité de M. White, j’aurais été enclin à imposer une peine plus longue.

[169] Les avocats de M. White ont affirmé à l’audience que, si la Cour souhaitait infliger une peine d’emprisonnement, elle pouvait opter pour certaines mesures qui en réduiraient l’incidence, comme ordonner que la peine soit purgée de façon discontinue, conformément au paragraphe 732(1) du Code criminel. Je souligne que M. White occupe maintenant enfin un emploi rémunérateur à temps plein pendant la semaine, après une période de presque deux années de chômage ininterrompu. Dans les circonstances, je suis prêt à ordonner qu’il purge sa peine d’emprisonnement de façon discontinue, ce qui lui permettra de conserver son emploi et d’utiliser son revenu pour subvenir aux besoins de sa partenaire et de son fils.

[170] M. White sera donc condamné à 60 jours d’emprisonnement à l’établissement correctionnel provincial situé à Halifax, en Nouvelle-Écosse, peine qui sera purgée de façon discontinue du vendredi soir, 18 h, jusqu’au lundi matin, 6 h.

[171] À la demande de M. White, et en l’absence d’opposition de la part des demanderesses, je suspendrai la délivrance de mon mandat de dépôt pendant 45 jours afin de laisser le temps à M. White d’interjeter appel et de demander à la Cour d’appel fédérale de surseoir à l’exécution de la présente ordonnance.

C. Les dépens

[172] Les demanderesses sollicitent une ordonnance autorisant l’adjudication de dépens en leur faveur sur la base avocat-client. Dans les cas d’outrage au tribunal, il est habituel que les dépens soient adjugés sur une base avocat-client. Comme l’a déclaré le juge Gilles Létourneau dans l’arrêt Lari c Canadian Copyright Licensing Agency, 2007 CAF 127 au para 38, citant Pfizer Canada Inc c Apotex Inc, [1998] CanLII 8951 au para 8 : « [...] La politique sous-jacente à cette tendance jurisprudentielle est claire : une partie qui aide la Cour à appliquer les ordonnances qu’elle rend et à en assurer le respect ne devrait pas être tenue de payer de sa poche les frais qu’elle engage à cette fin ». À la lumière des faits en l’espèce, je ne vois aucune raison de déroger à la règle générale.

[173] Les justificatifs présentés lors de l’audience relative à la détermination de la peine et tout de suite après établissent que les demanderesses ont engagé des frais juridiques importants qui totalisent environ 187 000 $ et correspondent à la préparation du matériel destiné aux audiences sur l’outrage et la détermination de la peine de même qu’à la présence des avocats aux audiences.

[174] M. White soutient que l’affaire n’était pas très compliquée et que les dépens réclamés par les demanderesses sont manifestement excessifs. Il fait valoir que Bell Média et le cabinet d’avocats qui la représente en l’espèce ont participé à de nombreuses affaires devant notre Cour en matière de violations alléguées du droit d’auteur, de piratage et d’outrage au tribunal qui sont semblables à de nombreux égards à la présente affaire. S’il est vrai que chaque dossier est différent, M. White est d’avis néanmoins qu’il existe clairement un certain nombre d’éléments qui se recoupent dans ces autres affaires, notamment pour ce qui est de la recherche juridique, de la collecte et de la présentation d’éléments de preuve ainsi que des arguments sur l’outrage au tribunal.

[175] Il m’est un peu difficile d’évaluer le caractère raisonnable des dépens réclamés par les demanderesses, puisqu’aucun mémoire de frais n’a été présenté. Par conséquent, je ne peux pas savoir quels services ont été fournis par des avocats, ni par quels avocats en particulier et à quel taux, ni même quels ont été les débours. On ne sait pas exactement non plus s’il y avait un recoupement entre la présente instance pour outrage et les autres affaires qui l’ont précédée, comme l’affirme M. White.

[176] En dehors de cette preuve limitée, les affidavits de Mme Guy montrent que des frais ont bel et bien été engagés et facturés aux demanderesses aux fins de la préparation du dossier et de la présence à l’audience sur l’outrage au tribunal. Les sommes facturées par les avocats des demanderesses peuvent sembler excessives de prime abord, mais ce n’est pas surprenant, puisque le contentieux en matière de propriété intellectuelle coûte cher en soi, étant donné qu’il s’agit d’un domaine spécialisé du droit. M. White le sait fort bien, car il a versé lui-même 400 000 $ en guise d’acompte à son avocat.

[177] M. White a eu l’occasion de contre-interroger Mme Guy relativement aux affidavits ainsi que d’exiger les détails au sujet des services rendus et la présentation de pièces justificatives. Il a choisi de ne pas le faire. Je conclus donc que les demanderesses ont établi prima facie le caractère raisonnable de leurs dépens.

[178] À mon avis, il est dans l’intérêt de la justice envers les deux parties et conforme au principe énoncé à l’article 3 des Règles que la question des dépens et des débours des demanderesses soit soumise à un officier taxateur en application de l’article 405 des Règles pour que les montants soient calculés sur une base avocat-client. Je resterai saisi de la présente affaire au cas où les parties auraient besoin de directives de la Cour aux fins de la taxation des dépens.

 


ORDONNANCE dans le dossier T-1176-20

LA COUR REND L’ORDONNANCE qui suit :

  1. Le défendeur, Tyler White, est condamné à un emprisonnement de 60 jours dans l’établissement correctionnel provincial situé à Halifax, en Nouvelle-Écosse, peine qui débutera à la date fixée par la Cour et sera purgée de façon discontinue du vendredi soir, 18 h, jusqu’au lundi matin, 6 h.

  2. Dans l’éventualité où M. White échoue à obtenir le sursis de la présente ordonnance à la Cour d’appel fédérale dans un délai de 45 jours suivant la date de la présente ordonnance, les demanderesses peuvent solliciter informellement ex parte la délivrance d’un mandat de dépôt.

  3. Les dépens relatifs à l'instance pour outrage doivent être calculés sur une base avocat-client et versés par M. White aux demanderesses. L’affaire est renvoyée à un officier taxateur pour qu’il procède à une adjudication précise des dépens.

  4. La Cour demeure saisie de la présente affaire afin de pouvoir régler toute question découlant des modalités de la présente ordonnance.

Vide

« Roger R. Lafrenière »

Vide

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Martine Corbeil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1176-20

 

INTITULÉ :

WARNER BROS. ENTERTAINMENT INC., AMAZON CONTENT SERVICES LLC, BELL MÉDIA INC., COLUMBIA PICTURES INDUSTRIES, INC., DISNEY ENTERPRISES, INC., NETFLIX STUDIOS, LLC, NETFLIX WORLDWIDE ENTERTAINMENT, LLC, PARAMOUNT PICTURES CORPORATION, SONY PICTURES TELEVISION INC., UNIVERSAL CITY STUDIOS PRODUCTIONS, LLLP c TYLER WHITE, faisant affaire sous le nom de BEAST IPTVBEAST IPTV, COLIN WRIGHT, faisant affaire sous le nom de BEAST IPTV

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 12 ET 13 DÉCEMBRE 2022

 

ORDONNANCE ET MOTIFS

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 28 JUIN 2023

 

COMPARUTIONS :

Evan Nuttall

Ryan T. Evans

Denise Felsztyna

POUR LES DEMANDERESSES

 

Dino Clarizio

Howard P. Knopf

Meika Ellis

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Ridout & Maybee LLP

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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