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Date : 20060629

Dossier : IMM-6794-05

Référence : 2006 CF 834

Montréal, (Québec), le 29 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

EDUARDO RUIZ MONROY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) et visant la décision du 20 octobre 2005 par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié - section de la protection des réfugiés (la Commission) - a conclu que Mr. Eduardo Ruiz Monroy (le demandeur) n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

FAITS PERTINENTS

[2]                Le demandeur est un citoyen du Mexique. Il revendique le statut de réfugié en raison de son appartenance à un groupe social particulier. Il allègue une crainte bien fondée de persécution aux mains d'éléments criminels, à savoir, des narcotrafiquants qui jouissent de la collaboration des membres de l'appareil policier. Le demandeur allègue également avoir la qualité de personne à protéger dans la mesure où il serait personnellement exposé au risque de torture et à une menace à sa vie, ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

[3]                Le demandeur déclare avoir commencé à travailler en septembre 2004 dans une discothèque. En janvier 2005, le demandeur aurait découvert que son patron était impliqué dans le trafic de drogue. En date du 19 janvier 2005, le demandeur déclare avoir fait une plainte auprès du procureur général contre son employeur pour trafic de drogue.

[4]                Le 20 janvier 2005, il allègue avoir été victime de voies de fait et de menaces de mort par des personnes inconnues qui lui reprochaient d'avoir déposé une plainte à la police. Suite à cette agression, il s'est adressé à un ami dans la police judiciaire dans le but d'avoir de l'aide dans sa démarche auprès des autorités. La riposte ne s'est pas fait attendre et, de fait, le demandeur a été victime d'une tentative de meurtre quelques jours plus tard.

[5]                Par la suite, le demandeur a été informé par son frère, qu'il était recherché par la police. Lorsqu'il a parlé au gérant de la discothèque, il a appris qu'il était recherché. C'est à ce moment qu'il a également su que le propriétaire de la discothèque, Luis Ariona, était un commandant de la police judiciaire.

[6]                Le demandeur aurait alors quitté la ville de Guadalajara. Cependant, le demandeur affirme avoir été informé du fait que son agent persécuteur savait qu'il se trouvait à Tijuana et qu'il le recherchait activement.

[7]                Craignant pour sa sécurité, il a décidé de voyager illégalement vers les États-Unis. À la suggestion de son cousin, le demandeur a voyagé jusqu'à Charlotte pour contacter son cousin. Ce dernier lui aurait dit que la situation aux États-Unis n'était pas bonne. Il lui aurait conseillé de se réfugier au Canada. Le demandeur est entré illégalement au Canada à bord d'un camion et a réclamé le statut de réfugié quelques jours plus tard.

QUESTIONS EN LITIGE

[8]                      1. Est-ce que la Commission a erré en concluant que le demandeur n'avait pas établi l'incapacité de l'État mexicain d'accorder la protection?

2. Est-ce que la Commission a erré en tirant des inférences négatives?

ANALYSE

1. Est-ce que la Commission a erré en concluant que le demandeur n'avait pas établi l'incapacité de l'État mexicain d'accorder la protection?

[9]                La Commission a conclu que le demandeur n'a pas rencontré le fardeau de la preuve pour démontrer de façon claire et convaincante que l'État mexicain ne pouvait pas fournir une protection adéquate. La norme de contrôle applicable aux questions touchant la protection de l'État est celle de la décision raisonnable simpliciter (Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2005 CF 193, aux paragraphes 9-11).

[10]            Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada a déclaré, au paragraphe 50 :

[...] il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection [...] En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens.    La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté.    En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur.

[11]            La Cour suprême affirme qu'en l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, il y a lieu de présumer qu'un État est capable de protéger ses citoyens. De plus, il appartient au demandeur de renverser la présomption en démontrant, par une preuve claire et convaincante, que l'État était incapable de le protéger.

[12]            Le demandeur allègue que la Commission a erré en concluant que le demandeur n'a pas renversé la présomption voulant que les autorités du Mexique soient en mesure d'assurer sa protection. Le demandeur allègue qu'il a fait des démarches raisonnables pour obtenir l'aide de l'État mexicain. Cependant, chaque fois qu'il avait entrepris une démarche, il y a eu répercussion sur sa personne. Il prétend qu'on ne peut exiger qu'il entreprenne d'autres démarches si elles ont pour conséquence de mettre sa vie en péril.

[13]            Dans l'arrêt Chaves, ci-dessus, la juge Danielle Tremblay-Lamer indique, au paragraphe 15, que lorsque l'État est l'auteur présumé de la persécution, le demandeur n'a pas besoin d'épuiser tous les recours possibles au pays pour rencontrer son fardeau et pour démontrer qu'il existe une crainte objective :

Lorsque les représentants de l'État sont eux-mêmes à l'origine de la persécution en cause et que la crédibilité du demandeur n'est pas entachée, celui-ci peut réfuter la présomption de protection de l'État sans devoir épuiser tout recours possible au pays. Le fait même que les représentants de l'État soient les auteurs présumés de la persécution affaiblit la nature démocratique apparente des institutions de l'État, ce qui diminue d'autant le fardeau de la preuve. Comme je l'ai expliqué dans Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 2 C.F. 339 (1re inst.), le jugement Kadenko n'est guère pertinent lorsque "[...] les policiers n'ont pas seulement refusé de protéger les demandeurs, ce sont eux qui se sont livrés aux actes de violence"; décision Molnar, précitée, au paragraphe 19.

[14]            Dans l'arrêt Espinosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2005 CF 1393, le juge Yves de Montigny, aux paragraphes 7 et 8, adopte la position de la juge Tremblay-Lamer :

Il est vrai qu'en règle générale, le demandeur de statut de réfugié doit recourir à la protection de son pays avant de demander la protection internationale. Comme l'affirmait le juge La Forest dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, ([1993] 2 R.C.S. 689, p. 726), "la présomption [que l'État est capable de protéger le demandeur] sert à renforcer la raison d'être de la protection internationale à titre de mesure auxiliaire qui entre en jeu si le demandeur ne dispose d'aucune solution de rechange". Il ne sera pas suffisant, pour écarter cette présomption, de prétendre que la police est corrompue ou qu'un policier n'a pas donné suite à une plainte. Dans cette optique, je suis donc prêt à admettre, comme plusieurs de mes collègues, que le Mexique est en mesure de protéger ses citoyens même si cette protection est loin d'être parfaite : Velazquez c. Canada (M.C.I.), [1999] A.C.F. no 934 (QL); Garcia c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 2058 (QL); Urgel c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 2171 (QL); Valdes c. Canada (M.C.I.), [2005] A.C.F. no 123 (QL); Balderas c. Canada (M.C.I.), [2005] A.C.F. no 225 (QL); B.O.T. c. Canada (M.C.I.), [2005] F.C.J. No. 343 (QL).

Ceci étant dit, il en va bien autrement lorsque c'est un représentant de l'État qui est l'auteur présumé de la persécution ou des menaces de violence. Comme l'affirmait ma collègue la juge Tremblay-Lamer, "le fait même que les représentants de l'État soient les auteurs présumés de la persécution affaiblit la nature démocratique apparente des institutions de l'État, ce qui diminue d'autant le fardeau de la preuve" (Chaves c. Canada (M.C.I.), [2005] A.C.F. no 232, 2005 CF 193); voir aussi Molnar c. Canada (M.C.I.), [2003] 2 C.F. 339. Après tout, il serait absurde d'exiger qu'un demandeur mette sa vie en danger pour prouver l'inefficacité de la protection dans son pays. Ce raisonnement s'applique avec d'autant plus de force lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, le présumé responsable de la persécution est la personne de qui relève ultimement la sécurité publique dans l'État. La Commission n'a pas semblé tenir compte de cet élément dans sa décision; en effet, la preuve documentaire qu'elle cite pour illustrer qu'un recours était possible ne tient pas compte de cette dimension du problème.

[15]            La situation actuelle devant la Cour est différente de celle mentionnée par le juge de Montigny. C'est-à-dire, en l'espèce la Commission a tenu compte du fait que le propriétaire de la discothèque, Luis Ariona, était un commandant de la police judiciaire. Cependant, même en tenant compte de la possibilité qu'un agent de l'État pourrait être à l'origine de la persécution en cause, la Commission était satisfaite que la preuve documentaire démontre que le demandeur n'a pas épuisé ses recours et que la protection de l'État mexicain existait :

D'ailleurs, le demandeur dit avoir déposé, une seule et unique fois, une plainte auprès de la pgr, et il aurait pu ainsi entreprendre d'autres démarches auprès du bureau du contrôleur, chose qu'il n'a pas faite. Il aurait pu contacter d'autres postes de police, chose qu'il n'a pas faite. Le demandeur habitait dans une grande ville. Il est évident qu'il aurait pu contacter et porter plainte à un autre bureau.

Toujours sur la preuve documentaire, la pgr a été remise en 2001 afin de mieux lutter contre la corruption à l'interne et de faire face au trafic de stupéfiants et au crime organisé. Les personnes reconnues coupables de corruption à l'interne ont été suspendues, licenciées et certains cas incarcérées. Nous comprenons que la police trop souvent se protège entre eux. Nous comprenons que le demandeur faisait l'objet de recherches et d'attaques de la part d'individus qui s'étaient identifiés comme étant de la police, mais ceci en soi n'est pas une preuve suffisante qui justifie son manque d'assiduité pour obtenir une protection auprès des institutions mexicaines ou encore auprès d'autres services de police.

La SPR est donc convaincue que les représentants de l'État mexicain ont pris des mesures pour lutter contre la corruption au sein de la police et du système de justice et que le demandeur d'asile n'a aucune raison objective de ne pas chercher la protection de l'État et de tout faire qui est raisonnable dans les circonstances pour obtenir la protection.

À la lumière de la preuve documentaire, le tribunal conclut que le gouvernement mexicain déploie de sérieux efforts contre la criminalité et protège ses victimes de crimes et que la protection d'État sera offerte au demandeur d'asile même si l'agent de la persécution allégué est une personne d'influence ou une personne travaillant au sein du système de justice.

(Décision de la Commission, le 20 octobre 2005, à la page 5)

[16]            Même si un agent de l'État est à l'origine des attaques, la Commission a conclu que les autorités au Mexique étaient en mesure d'assurer la sécurité du demandeur. Le demandeur n'a pas soulevé une preuve claire et convaincante indiquant le contraire. La Commission a tenu compte de la preuve documentaire objective portant sur le Mexique. La Commission fait de nombreuses références à cette preuve et elle a même constaté que bien que la corruption soit répandue auprès des policiers, même de la police judiciaire, plusieurs mesures ont été prises par l'État afin de lutter contre la criminalité et afin de mieux lutter contre la corruption à l'interne, et également pour faire face au trafic de stupéfiants et au crime organisé.

[17]            La seule démarche que le demandeur a entreprise pour demander la protection de l'État, est celle auprès de son ami policier. Bien qu'il ait été menacé et agressé, la Commission a conclu qu'il n'avait pas fait suffisamment de démarches pour obtenir une protection adéquate de l'État.

[18]            Le demandeur ne m'a pas convaincu que la Commission a erré en concluant que le demandeur n'avait pas réussi à renverser la présomption quant à la protection de l'État.

2. Est-ce que la Commission a erré en tirant des inférences négatives?

[19]            Le demandeur allègue que la Commission a erré en tirant des inférences négatives concernant le fait qu'elle n'avait pas obtenu une copie de la dénonciation. De plus, le demandeur prétend que la Commission a également erré en tirant des inférences négatives concernant la durée d'un certain trajet entre la frontière américaine et Los Angeles.

[20]            Je suis d'accord avec la position du défendeur qui mentionne qu'une simple lecture de la décision démontre que les prétentions du demandeur ne sont pas fondées puisque la Commission n'a tiré aucune des inférences auxquelles réfère ce dernier. La Commission ne semble pas avoir mis en doute le témoignage du demandeur concernant l'absence de copie de la dénonciation. Pour ce qui est du trajet de la frontière américaine, la décision n'en traite tout simplement pas.

[21]            En conséquence, le demandeur ne m'a pas convaincu que la Commission avait commis une erreur qui puisse justifier l'intervention de notre Cour.

[22]            La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

[23]            Les parties n'ont soumis aucune question à certifier.

JUGEMENT

·         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

·         Aucune question ne sera certifiée.

« Pierre Blais »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-6794-05

INTITULÉ :                                        EDUARDO RUIZ MONROY c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                27 juin 2006

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT :                    LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                       29 juin 2006

COMPARUTIONS:

Me Gisela Barraza

POUR LE DEMANDEUR

Me Isabelle Brochu

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Gisela Barraza - Montréal

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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