Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230719

Dossier : IMM-6593-21

Référence : 2023 CF 981

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 19 juillet 2023

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

NAVJOT SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 30 juillet 2021 par laquelle un agent principal a rejeté sa demande d’examen des risques avant renvoi (« ERAR ») présentée au titre de l’article 112 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (« LIPR »). L’agent a conclu que la preuve fournie par le demandeur ne suffisait pas à démontrer qu’il serait exposé à un risque de persécution ou de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou de peines cruels et inusités s’il retournait en Inde.

[2] Le demandeur demande à la Cour d’annuler la décision et de renvoyer sa demande à un autre agent pour une nouvelle décision. Il soutient qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale en raison de l’incompétence de son ancienne avocate. Il prétend également que la décision de l’agent est déraisonnable eu égard aux principes énoncés dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653.

[3] Pour les motifs exposés ci-après, je conclus que la demande doit être rejetée.

I. Événements à l’origine de la présente demande

[4] Le demandeur est un citoyen de l’Inde âgé de 28 ans. Le 19 septembre 2017, il a obtenu un visa pour entrées multiples au Canada.

[5] Le 12 octobre 2017, le demandeur est entré au Canada. Il a présenté une demande d’asile sous le régime de la LIPR.

[6] En mars 2020, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a jugé que le demandeur n’était plus admissible à présenter une demande d’asile étant donné qu’il était interdit de territoire pour grande criminalité. Le 9 mars 2021, une mesure d’expulsion a été prise contre lui.

[7] Le 18 mars 2021, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (« IRCC ») a informé le demandeur qu’il pouvait présenter une demande d’ERAR, ce qu’il a fait le 1er avril 2021. Le demandeur avait jusqu’au 17 avril 2021 pour déposer des observations supplémentaires, mais il ne l’a pas fait.

[8] À la fin du mois d’avril 2021, le demandeur a contacté une avocate, Me Kapoor.

[9] Le 2 juin 2021, IRCC a accordé au demandeur 30 jours supplémentaires pour présenter des observations.

[10] Le 2 juillet 2021, le demandeur a envoyé une demande de prorogation de délai par courriel à IRCC. Il disait avoir de la difficulté à obtenir des documents en raison de la pandémie de COVID-19 et demandait plus de temps pour présenter tous ses documents adéquatement.

[11] Le 6 juillet 2021, l’agent chargé de se prononcer sur la demande d’ERAR a refusé de proroger le délai et a donné au demandeur jusqu’au 14 juillet 2021 pour fournir les documents, à défaut de quoi il rendrait sa décision à la lumière du dossier dont il disposait.

[12] Le 14 juillet 2021, le demandeur a présenté une autre demande de prorogation de délai, qui a été refusée par le même agent le 16 juillet 2021. Comme dans sa première demande de prorogation, le demandeur n’a pas précisé quels documents il avait du mal à obtenir et n’a pas fourni de preuve de ses efforts. L’agent a informé le demandeur qu’il rendrait une décision sur la base des renseignements dont il disposait à ce moment-là.

[13] Dans une lettre datée du 30 juillet 2021 à laquelle les motifs de la décision étaient joints, l’agent a rejeté la demande d’ERAR du demandeur. Il a conclu que la preuve qui lui avait été présentée ne suffisait pas à établir, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur serait exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution, à un risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou à une risque de traitement cruel ou inusité s’il retournait en Inde.

[14] Dans ses motifs, l’agent a également exposé les événements qui ont mené à sa décision relative à l’ERAR, dont les demandes de prorogation de délai du 2 juillet et du 14 juillet 2021 pour déposer les documents à l’appui, ainsi que les raisons pour lesquelles il a rejeté ces demandes.

II. Analyse

[15] La présente demande soulève les trois questions suivantes :

  1. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale ou à la justice naturelle en raison de l’incompétence reprochée à l’ancienne avocate du demandeur?

B. La décision rendue par l’agent relativement à la demande d’ERAR était-elle déraisonnable?

C. L’agent a-t-il tiré une conclusion voilée en matière de crédibilité et a-t-il eu tort de ne pas tenir d’audience?

[16] J’examinerai successivement chacune de ces trois questions.

A. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale ou à la justice naturelle en raison de l’incompétence reprochée à l’ancienne avocate du demandeur?

[17] Cette question a occupé la majeure partie de l’audience devant la Cour. Elle concerne le droit du demandeur de bénéficier d’une possibilité pleine et entière de faire valoir ses arguments relativement à sa demande d’ERAR.

[18] Lorsqu’elle est appelée à trancher une question d’équité procédurale, la Cour doit adopter une approche semblable à la norme de contrôle de la décision correcte. La cour de révision doit déterminer si la procédure suivie par le décideur était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, notamment à la nature des droits substantiels concernés et aux conséquences pour la personne : Adeshina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1559 au para 12 [Adeshina]; Obasuyi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 508 au para 13. Voir, de façon générale, les arrêts Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, [2021] 1 RCF 271 au para 35; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 RCF 121 aux para 54-55.

[19] Le demandeur soutient qu’il a retenu les services de Me Kapoor, mais que celle-ci n’a rien fait pour lui, pas même obtenu un délai supplémentaire pour lui permettre de déposer les documents à l’appui de sa demande d’asile. Il affirme qu’elle a soudainement arrêté de communiquer avec lui et qu’en tant qu’avocate le représentant, Me Kapoor ne l’a pas conseillé sur les documents personnels à fournir à IRCC en attendant que des copies de ses documents arrivent de l’Inde ou sur les conséquences de ne pas déposer d’autres éléments de preuve à l’appui de sa demande d’ERAR.

[20] Comme l’a déclaré ma collègue, la juge Sadrehashemi, dans la décision Adeshina, pour prouver qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale ou à la justice naturelle en raison de l’assistance non effective d’un avocat ou d’un représentant dans le cadre d’une procédure d’immigration, la Cour a jugé qu’un demandeur doit établir la présence des trois composantes suivantes :

  • a)les omissions ou les actes allégués contre le représentant constituaient de l’incompétence;

b) il y a eu déni de justice, en ce sens que, n’eût été la conduite alléguée, il existe une probabilité raisonnable que le résultat de l’audience initiale ait été différent;

c) le représentant a été informé des allégations et a eu une possibilité raisonnable de répondre.

Voir la décision Adeshina, au para 13 (citant Guadron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1092 au para 11; R c GDB, 2000 CSC 22 au para 26). Voir aussi Ghorbanniay Hassankiadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 33 au para 8; Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1046 au para 15; Galyas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 250 au para 84.

[21] Pour les motifs exposés ci-après, je conclus que le demandeur ne peut avoir gain de cause parce qu’il ne satisfait pas aux deux premiers volets du critère. Les parties ne contestent pas que le troisième volet du critère est rempli, car le demandeur a offert à Me Kapoor la possibilité de répondre.

1) Il ne ressort pas de la preuve que le demandeur avait une avocate

[22] Premièrement, le demandeur ne m’a pas convaincu qu’il a retenu les services de Me Kapoor ou qu’il croyait raisonnablement qu’elle avait accepté de lui fournir des services juridiques.

[23] Le demandeur a fait référence à la définition suivante du terme « client » au sens de l’article 1.1 (Définitions) du Code de déontologie du Barreau de l’Ontario :

« client » S’entend d’une personne qui :

a) consulte un avocat et pour le compte de qui l’avocat rend ou accepte de rendre des services juridiques;

b) après avoir consulté l’avocat, conclut raisonnablement que l’avocat a accepté de rendre des services juridiques en son nom;

et comprend une cliente ou un client du cabinet dont l’avocat fait partie à titre d’associé ou de professionnel salarié, qu’il soit ou non appelé à travailler à son dossier.

[24] Le défendeur n’a pas proposé une autre définition ou n’a pas cité de jurisprudence qui recommande l’utilisation d’un autre critère ou d’une autre norme pour déterminer s’il existait une relation juridique professionnelle entre le demandeur et Me Kapoor, à titre d’avocate en Ontario.

[25] Je souligne que, dans la décision Correct Group Inc v Cameron, 2019 ONSC 3901, le juge principal régional Daley a déclaré ce qui suit au paragraphe 51 après avoir renvoyé à la définition susmentionnée :

[traduction]

Il existe plusieurs signes ou indices qui permettent d’établir l’existence d’une relation entre avocat et client, et il n’est pas nécessaire qu’ils soient tous présents. Parmi ces signes, en voici quelques-uns : (i) des rencontres ont lieu entre l’avocat et les parties; (ii) une correspondance est entretenue entre l’avocat et les parties; (iii) l’avocat a remis une facture à la partie; (iv) la partie a donné des instructions à l’avocat; (v) l’avocat agit sur la base de ces instructions; (vi) l’avocat a déclaré agir pour le compte de la partie; (vii) l’avocat a offert des conseils juridiques à la partie; (viii) l’avocat a préparé des documents juridiques pour la partie : Jeffers v Calico Compression Systems, 2002 ABQB 72 au para 8.

[26] Toujours dans la décision Jeffers, le juge Hawco fait remarquer ce qui suit :

[traduction]

Il n’est pas nécessaire qu’une personne retienne officiellement les services d’un avocat au moyen d’une lettre ou d’un autre document pour établir l’existence d’une relation entre avocat et client. Il n’est pas non plus nécessaire que l’avocat remette une facture à la partie plaignante ou que celle-ci paie une facture à l’avocat.

Je suis d’accord. Voir Jeffers v Calico Compression Systems, 2002 ABQB 72 au para 8.

[27] Dans le cadre de la présente demande, le demandeur a déposé deux courts affidavits. Le deuxième visait à « clarifier » certains éléments de preuve fournis dans le premier.

[28] Dans le premier affidavit souscrit le 31 octobre 2021, le demandeur affirme qu’il a eu de la difficulté à trouver un avocat pour l’aider à déposer des observations écrites et des documents à l’appui de sa demande d’ERAR. Il soutient qu’il a contacté Me Kapoor en juillet 2021 afin qu’elle l’aide avec sa demande d’ERAR. Me Kapoor parle le punjabi, comme le demandeur.

[29] Dans son affidavit, le demandeur affirme ce qui suit :

[traduction]

Me Kapoor a présenté une demande de prorogation de délai. Elle a envoyé un courriel à partir de son adresse courriel. Je ne me souviens pas de la date exacte à laquelle la demande de prorogation de délai a été envoyée, mais je crois que c’était avant le 30 juillet 2021.

[30] Dans son affidavit, le demandeur affirme qu’il n’avait aucun document à l’appui de sa demande d’ERAR en sa possession et qu’il attendait que ces documents arrivent de l’Inde. Ils tardaient à arriver en raison de la pandémie. Il soutient que Me Kapoor ne lui a fourni [traduction] « aucun conseil sur ce [qu’il] devrait présenter à l’agent d’ERAR pendant [qu’il] attendait ses documents. C’est pourquoi [il n’a] pas déposé d’observations écrites ou de documents à l’appui de [sa] demande d’ERAR. »

[31] Dans son affidavit, le demandeur affirme ce qui suit :

[traduction]

J’avais compris que Me Kapoor agissait pour mon compte. Elle a accepté verbalement de m’aider. Le fait qu’elle ait contacté l’agent d’ERAR en mon nom me l’a confirmé.

[32] Selon l’affidavit, une fois la demande de prorogation de délai envoyée, le demandeur a tenté de communiquer avec Me Kapoor à plusieurs reprises, mais elle n’a pas répondu. Le demandeur affirme également ne pas avoir contacté d’autres avocats parce qu’il croyait que Me Kapoor était son avocate.

[33] Dans son affidavit, le demandeur a mis l’accent sur le fait qu’il est un immigrant indien, qui a des compétences limitées en anglais et qui éprouve des difficultés financières, et qu’il ne comprenait pas ce qui était exigé de lui sans l’aide d’un avocat et d’un interprète.

[34] L’affidavit supplémentaire souscrit par le demandeur le 28 septembre 202[2], visait à [traduction] « clarifie[r] les renseignements précédents » fournis dans son premier affidavit. Le demandeur a également dit qu’il avait [traduction] « très récemment trouvé une preuve de ses communications » avec Me Kapoor, qu’il a dû récupérer d’un autre téléphone qu’il n’utilisait plus et qui ne fonctionnait pas bien.

[35] Le demandeur a indiqué que c’était lui, et non Me Kapoor, qui avait envoyé la demande de prorogation de délai à l’agent. Il a affirmé que, selon une conversation téléphonique qu’il avait eue avec Me Kapoor au moyen de l’application WhatsApp, il [traduction] « croyait qu’[elle] avait également envoyé une demande de prorogation de délai à l’agent d’ERAR ».

[36] Comme preuve de sa communication avec Me Kapoor, le demandeur a joint une capture d’écran de documents envoyés par quelqu’un à « Shireen Kapoor » les 22 et 28 avril 2021. Selon le dossier, les deux seuls messages texte à Me Kapoor ont été envoyés par le demandeur, premièrement, le 4 mai 2021 ([traduction] « Bonjour Maître ») et deuxièmement, quelque temps après le 7 juillet 2021 – apparemment le 15 août 2021. Le demandeur a joint à son deuxième message texte une lettre d’IRCC datée du 7 juillet 2021. Dans son deuxième message, le demandeur disait [traduction] « Bonjour Maître », « Pouvez-vous m’appeler », et « Hnji, Maître ». Me Kapoor a répondu « Hanji, je vérifie » et le demandeur a terminé en disant « Ok ».

[37] Dans l’affidavit supplémentaire qu’il a déposé, le demandeur précise qu’il a contacté Me Kapoor dès avril 2021 (et non en juillet 2021). Il ajoute que Me Kapoor [traduction] « [lui] a[vait] demandé de remplir le formulaire Recours aux services d’un représentant, qu’elle [lui] a[vait] envoyé par WhatsApp, ce qui lui a donné l’impression une fois de plus qu’elle était [sa] représentante ». Il rappelle qu’il avait des difficultés financières et que les retards dans le traitement de sa demande découlaient du fait qu’il n’avait pas les moyens de payer les honoraires liés aux documents supplémentaires à sa demande.

[38] Le demandeur n’a pas déposé de formulaire Recours aux services d’un représentant signé dans le cadre de la présente instance. Les messages WhatsApp laissent entendre que Me Kapoor lui a envoyé le formulaire en version PDF le 28 avril 2021. Sous l’image du formulaire en PDF, il y a de très petites captures d’écran de trois pages d’un ou de plusieurs documents (et une capture d’écran qui indique +8), mais malheureusement, je ne peux pas les lire. (Le demandeur affirme qu’il s’agit des formulaires relatifs à sa demande d’ERAR.)

[39] Il ne ressort pas de la preuve que le demandeur a rempli un formulaire Recours aux services d’un représentant, qu’il en a envoyé un à Me Kapoor ou qu’IRCC en a reçu un.

[40] L’affidavit supplémentaire du demandeur n’apporte pas non plus de précision quant aux échanges qu’il aurait eus avec Me Kapoor à la fin d’avril 2021 (le cas échéant), ou toute autre communication entre fin avril et plusieurs mois plus tard, lorsque le demandeur a contacté Me Kapoor par message texte au moyen de l’application WhatsApp. Dans son affidavit, le demandeur ne décrit aucun appel téléphonique ni aucune autre communication qui aurait découlé de cet échange sur WhatsApp.

[41] Comme je l’ai mentionné, le demandeur a offert la possibilité à Me Kapoor de répondre à sa prétention selon laquelle elle était son avocate. Dans un courriel envoyé à l’avocat du demandeur, Me Kapoor a répondu aux [traduction] « fausses allégations concernant sa conduite professionnelle envers » le demandeur. Voici ce qu’a dit Me Kapoor :

[traduction]

J’ai vérifié mes dossiers et je n’ai aucun mandat formel ni aucun engagement verbal avec ce client. En fait, je suis à l’extérieur du Canada depuis près de six mois.

Aucuns honoraires n’ont été perçus par moi ou par mon cabinet à ce titre. Aucun formulaire Recours aux services d’un représentant n’a été rempli.

J’ai explicitement avisé le client que jusqu’à ce que ses documents arrivent de l’Inde, je ne serais pas en mesure de m’occuper de son cas, et c’est la dernière conversation que j’ai eue avec lui.

[42] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la preuve au dossier ne permet pas d’établir que Me Kapoor était l’avocate du demandeur ou que le demandeur était son client.

[43] Comme l’a reconnu à juste titre l’avocat du demandeur à l’audience devant la Cour, il n’y a aucune preuve objective permettant d’établir l’existence d’une relation juridique professionnelle à un moment ou à un autre. Le dossier de preuve ne contient aucune communication entre le demandeur et l’avocate qui donne à penser qu’une relation professionnelle a pris naissance, comme une demande d’aide ou l’envoi de renseignements personnels ou confidentiels. Rien ne démontre que des communications ont été échangées à propos de la demande d’asile du demandeur ou de la demande de prorogation de délai pour présenter des documents supplémentaires. Le demandeur n’a pas déposé de formulaire Recours aux services d’un représentant signé; il n’y a eu qu’un message envoyé au demandeur auquel était joint le formulaire en format PDF. Il n’y a aucune preuve que Me Kapoor a entrepris des démarches au nom du demandeur ou que celui-ci lui a demandé de faire quoi que ce soit.

[44] Dans son premier affidavit, le demandeur affirme que Me Kapoor a envoyé une demande de prorogation de délai à IRCC. Dans son affidavit supplémentaire, il explique qu’en fait, il l’a fait lui-même, mais qu’il avait compris que Me Kapoor avait également envoyé une demande de prorogation de délai à l’agent. Toutefois, le demandeur n’a joint à son affidavit supplémentaire aucun courriel de Me Kapoor à IRCC au sujet d’une prorogation de délai quelconque et n’a renvoyé à aucun élément de preuve pour appuyer sa compréhension des faits.

[45] L’agent n’a traité qu’avec le demandeur directement, par courriel. Le dossier certifié du tribunal ne contient aucun courriel entre l’agent et Me Kapoor. Les courriels envoyés par le demandeur à l’agent entre le 2 juillet 2021 et le 14 juillet 2021 ne font pas mention de Me Kapoor ou d’une avocate, et le demandeur n’a pas mis Me Kapoor en copie conforme des courriels envoyés à l’agent. Dans le courriel envoyé à l’agent le 14 juillet, le demandeur utilise à plusieurs reprises la première personne (je) pour expliquer les efforts qu’il a déployés pour obtenir ses documents, ce qui ne donne pas l’impression qu’il avait une avocate.

[46] En résumé, selon la preuve au dossier, le demandeur a communiqué avec Me Kapoor à la fin d’avril 2021. Il n’y a aucun renseignement quant au contenu de leurs communications, à l’exception du fait que le demandeur a reçu un formulaire Recours aux services d’un représentant en format PDF. Ensuite, pendant une longue période de plusieurs mois, le demandeur a communiqué directement avec l’agent d’ERAR, par courriel, sans faire référence à une avocate. Il a demandé une prorogation de délai et l’agent a traité directement avec lui. Au cours de l’été 2021, le demandeur a contacté Me Kapoor de nouveau. Aucun élément de preuve déposé dans le cadre de la présente demande n’expose le contenu de leurs communications ou n’étaye de manière objective la compréhension qu’avait le demandeur de la situation à l’époque.

[47] Compte tenu de la preuve produite dans le cadre de la présente demande, je ne peux pas conclure que le demandeur était le client de Me Kapoor. La preuve ne permet pas d’établir la présence d’une relation juridique professionnelle. Aux termes du Code de déontologie du Barreau de l’Ontario, Me Kapoor n’a pas rendu ou accepté de rendre des services juridiques pour le compte du demandeur. Elle ne soutient pas non plus de manière réaliste ou raisonnable la position du demandeur dans son affidavit selon laquelle Me Kapoor agissait à titre d’avocate ou de représentante. Selon la preuve au dossier, il n’était pas raisonnable pour le demandeur de conclure que Me Kapoor avait accepté de rendre des services juridiques pour son compte.

[48] Je remarque qu’aucun des signes ou indices énoncés dans la décision Correct Group Inc n’est présent dans le dossier en l’espèce, à l’exception des messages WhatsApp analysés plus haut.

[49] Je conclus que les arguments du demandeur relatifs à l’équité procédurale et à la justice naturelle ne peuvent être accueillis parce que la preuve ne permet pas d’établir que le demandeur avait une avocate qui aurait agi de manière incompétente.

[50] Dans les circonstances, j’examinerai également le deuxième volet du critère, qui mène au même résultat.

2) La preuve ne permet pas d’établir l’existence d’une erreur judiciaire

[51] Deuxièmement, je conviens avec le défendeur que la preuve en l’espèce ne permet pas d’établir que l’inaction de la prétendue représentante juridique a donné lieu à une erreur judiciaire. Le demandeur n’a pas démontré qu’il existe une probabilité raisonnable que l’issue de sa demande d’ERAR, ou de sa demande de prorogation de délai pour déposer les documents à l’appui de sa demande d’ERAR, aurait été différente si l’avocate avait entrepris des démarches en son nom.

[52] Dans le cadre de la présente instance, le demandeur n’a pas déposé d’éléments de preuve relatifs aux risques auxquels il serait exposé s’il retournait en Inde qui n’étaient pas à la disposition de l’agent. En l’absence de tels éléments de preuve – par exemple, les documents que le demandeur prétendait attendre en 2021 – tout argument concernant l’existence d’une erreur judiciaire, ou d’un préjudice quelconque qu’il aurait subi, est hypothétique. Voir : Ghorbanniay Hassankiadeh, en particulier aux para 14-15 et 18-19; Zhou, aux para 21-28.

[53] L’affaire qui nous occupe n’est pas semblable à l’affaire Brown c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1305, invoquée par le demandeur. Dans cette décision, « [le consultant] aurait pu aborder ces problèmes d’insuffisance de la preuve s’il avait fait preuve du professionnalisme nécessaire pour obtenir un exposé circonstancié acceptable à l’appui de l’ERAR et pour recueillir les documents essentiels » : Brown, au para 68. Les faits en l’espèce ne sont pas analogues à ceux dans la décision Brown, et je ne peux parvenir à une conclusion similaire parce que le demandeur n’a pas présenté ou fait mention d’éléments de preuve qui auraient pu appuyer sa demande d’ERAR : voir l’analyse dans Brown, aux para 63-69.

[54] Par conséquent, je dois conclure que l’argument principal du demandeur selon lequel il a été privé de son droit à l’équité procédurale ou à la justice naturelle ne peut pas être accueilli.

B. La décision rendue par l’agent relativement à la demande d’ERAR était-elle déraisonnable?

[55] La décision de fond prise par l’agent d’ERAR doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable, telle qu’elle est décrite dans l’arrêt Vavilov : Bah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 570 au para 11; Nekenkie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 271 au para 16.

[56] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est un examen empreint de déférence et rigoureux visant à déterminer si la décision administrative est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, aux para 12, 13 et 15. Les motifs du décideur, qui doivent être interprétés de façon globale et contextuelle, et lus en corrélation avec le dossier dont disposait ce dernier, constituent le point de départ. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, en particulier aux para 85, 91-97, 103, 105-106 et 194; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 RCS 900 aux para 2, 28-33, 61.

[57] À mon avis, le demandeur n’a pas démontré que la décision de l’agent était déraisonnable.

[58] Un ERAR est la dernière évaluation officielle des risques dont font l’objet les personnes admissibles avant leur renvoi du Canada. Conformément aux obligations imposées au Canada par le droit international, le processus d’ERAR vise à s’assurer que ces personnes ne sont pas renvoyées dans un pays où leur vie serait en danger ou où elles risqueraient d’être persécutées, torturées ou de subir d’autres traitements ou peines cruels et inusités : voir Valencia Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1 au para 1; Revell c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 262 au para 11.

[59] L’agent a rejeté la demande d’ERAR au motif que la preuve fournie par le demandeur ne suffisait pas à établir qu’il serait exposé à un risque de persécution ou de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou de peines cruels et inusités s’il était renvoyé en Inde.

[60] L’agent était au fait que le demandeur avait nommé l’Inde comme étant le pays où il serait exposé à un risque de persécution. Dans ses motifs, sous le titre [traduction] « Évaluation du risque », l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas soulevé de risques particuliers à prendre en compte dans le formulaire de demande d’ERAR et n’avait présenté aucune observation supplémentaire. L’agent a souligné que le demandeur a affirmé dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande qu’il risquait d’être persécuté par le groupe Kurbani Dal de Baba Gurmit Ram Rahum ou de Sirsa. L’agent a déclaré qu’aucune preuve au dossier ne permettait de soutenir ces allégations, et le demandeur n’a pas mentionné ces risques dans ses observations relatives à sa demande d’ERAR.

[61] Le dossier appuie les conclusions de l’agent. Voici ce que révèle le formulaire d’ERAR du demandeur :

  • a)À l’endroit où le demandeur aurait dû décrire les incidents qui l’ont mené à demander l’asile, le formulaire était resté vierge;

b) À l’endroit où le demandeur est interrogé sur la protection qu’il demande, il a écrit [traduction] « observations à venir »;

c) Dans la section intitulée « Éléments de preuve à l’appui », le demandeur a écrit [traduction] « Éléments de preuve à venir ».

[62] L’agent a examiné la documentation récente et publique au sujet de la situation dans le pays et des droits de la personne en Inde. Bien que la documentation faisait état de problèmes préoccupants en Inde, l’agent a conclu que le demandeur n’avait démontré aucun lien avec ces situations. Dans ses observations à la Cour, le demandeur ne conteste pas cette conclusion.

[63] À mon avis, il était loisible à l’agent de conclure, sur la base du dossier qui lui était présenté, que la preuve fournie par le demandeur ne suffisait pas à établir un risque à son retour en Inde. La décision de l’agent n’était pas indéfendable à la lumière des contraintes factuelles pertinentes : Vavilov, aux para 91-96 et 101; Société canadienne des postes, aux para 32, 35 et 39.

[64] En application des principes établis dans l’arrêt Vavilov, je conclus que le demandeur n’a pas démontré que la décision de l’agent du 30 juillet 2021 était déraisonnable.

C. L’agent a-t-il tiré une conclusion voilée en matière de crédibilité et a-t-il eu tort de ne pas tenir d’audience?

[65] Le demandeur soutient que les motifs exposés par l’agent contenaient une conclusion voilée en matière de crédibilité qui lui était défavorable. Selon lui, la conclusion défavorable aurait dû inciter l’agent à tenir une audience pour la demande d’ERAR.

[66] La norme de contrôle pour cette question n’est pas importante parce que le résultat sera le même, qu’elle soit analysée selon la norme de la décision raisonnable ou selon la norme de la décision correcte.

[67] Le demandeur s’est appuyé sur un seul commentaire dans les motifs de l’agent : [traduction] « Aucun élément de preuve au dossier n’étaye l’affirmation du demandeur dans son formulaire Fondement de la demande quant aux risques auxquels il serait exposé et je remarque que le demandeur n’a pas indiqué les mêmes risques dans ses observations relatives à l’ERAR. » [Non souligné dans l’original.]

[68] Je ne vois rien dans le passage souligné qui justifie la tenue d’une audience. À la lecture de ce seul commentaire dans le contexte du reste des motifs de l’agent, et compte tenu de l’ensemble des motifs, il est clair que les réserves de l’agent tenaient au manque de preuve relative aux risques auxquels le demandeur serait exposé à son retour en Inde. Les réserves de l’agent ne concernaient pas la crédibilité du demandeur ni la preuve qu’il a présentée, mais plutôt l’absence de preuve pour étayer sa demande d’ERAR au-delà de ce que le formulaire Fondement de la demande contenait. Voir Ihejieto c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1151 aux para 7 et 14; Iwekaeze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 814 aux para 27-29. En outre, le commentaire de l’agent était loin d’être déterminant ou important pour l’issue de l’ERAR. La présente affaire est donc fondamentalement différente de l’affaire B147, sur laquelle le demandeur s’est fondé : voir B147 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 843 aux para 16, 23.

[69] Par conséquent, l’argument du demandeur selon lequel l’agent a tiré une conclusion voilée quant à sa crédibilité ne justifiait pas l’intervention de la Cour dans la décision de l’agent d’ERAR.

III. Conclusion

[70] Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[71] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune question ne sera énoncée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6593-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1. La demande est rejetée.

2. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel, au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

« Andrew D. Little »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6593-21

INTITULÉ :

NAVJOT SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO, ONTARIO (PAR VIDÉOCONFÉRENCE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 FÉVRIER 2023

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE A. D. LITTLE

DATE DES MOTIFS :

LE 19 JUILLET 2023

COMPARUTIONS :

Felix Chakirov

Pour le demandeur

Idorenyin Udor-Orok

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Felix Chakirov

Agape Law

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Idorenyin Udor-Orok

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.