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Date : 20230726


Dossier : IMM-3048-22

Référence : 2023 CF 1022

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 juillet 2023

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

MARJAN SHIRKAVAND

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 22 mars 2022 [la décision contestée] par laquelle un agent des visas [l’agent] a rejeté la demande de permis de travail que la demanderesse avait présentée au titre de l’alinéa 205a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR].

[2] Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, puisque la décision de l’agent est raisonnable et que l’existence de problèmes d’équité procédurale n’a pas été établie.

I. Contexte et décision faisant l’objet du contrôle

[3] La demanderesse est une citoyenne de l’Iran âgée de 47 ans. Elle a présenté une demande de permis de travail en tant que propriétaire d’entreprise indépendante dans le cadre de la Stratégie en matière de compétences mondiales, au titre de l’alinéa 205a) du RIPR. Ces permis de travail sont aussi nommés visas C11. La demanderesse a présenté une demande de visa C11 pour fonder une entreprise qui fera le commerce de produits de beauté et de soins de la peau à Vancouver.

[4] Dans la décision contestée, l’agent affirme avoir rejeté la demande de permis de travail, car il n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour compte tenu du but de sa visite.

[5] Dans ses notes consignées dans le Système mondial de gestion de cas [le SMGC], l’agent énonce ce qui suit :

[traduction]

J’ai examiné la demande.

L’emploi envisagé par la demanderesse au Canada ne semble pas raisonnable, étant donné les éléments suivants :

La demanderesse a présenté une demande à titre d’entrepreneure. Elle propose de fonder l’entreprise Olva Beauty and Skincare Supply inc., qui vendra des produits de beauté et de soin de la peau dans la région de Vancouver.

La demanderesse n’a fourni aucune preuve de sa compréhension de l’anglais ou du français. Il y a donc des doutes quant à sa capacité à remplir les fonctions décrites dans son plan d’affaires.

Le plan d’affaires prévoit un chiffre d’affaires important de plus de 370 000 dollars au cours de la première année, mais la manière dont ce chiffre d’affaires sera atteint n’est pas claire. Aucune précision n’a été fournie au sujet de clients ou de contrats potentiels avec des entreprises canadiennes. De plus, selon son plan d’affaires, la seule embauche que la demanderesse envisage est celle d’un spécialiste en marketing, de sorte que l’on ne voit pas très bien comment les prévisions de ventes pourraient être réalisées avec la main-d’œuvre proposée. Sur la base de cette information, les revenus estimés des ventes semblent spéculatifs.

Compte tenu de ce qui précède, je ne suis pas convaincu que la demanderesse est admissible à être dispensée de l’exigence relative à l’EIMT, car elle n’a pas présenté un plan d’affaires viable qui ferait état d’un avantage significatif pour le Canada.

Après avoir soupesé les facteurs à prendre en considération dans le cadre de la présente demande, je ne suis pas convaincu que la demanderesse quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

Pour les motifs que je viens d’exposer, je rejette la présente demande.

II. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[6] La demanderesse soulève des questions relatives à l’équité procédurale et au caractère raisonnable de la décision.

[7] Les questions d’équité procédurale sont examinées à la lumière de la norme de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54).

[8] Autrement, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]). Comme la Cour suprême l’a déclaré aux paragraphes 86 et 99 de l’arrêt Vavilov, une décision est raisonnable si elle possède les caractéristiques de justification, de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel. « Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision », ni constituer une erreur mineure (Vavilov, au para 100).

[9] Lorsqu’elle procède à un examen selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve présentée au décideur et de modifier les conclusions de fait qu’il a tirées à moins de circonstances exceptionnelles (Vavilov, au para 125).

III. Analyse

A. L’équité procédurale

[10] La demanderesse soutient que la décision soulève de nombreuses questions d’équité procédurale, dont les suivants : (1) l’utilisation du programme Chinook; (2) le défaut de fournir des motifs détaillés avant le dépôt de la présente demande; (3) le défaut de l’agent de lui faire part de ses doutes; (4) le traitement de sa demande a pris sept mois, ce qui va à l’encontre du délai de deux semaines mentionné dans la Stratégie en matière de compétences mondiales; (5) l’agent a fait preuve de partialité à son égard; (6) l’agent a tiré une conclusion voilée en matière de crédibilité à son encontre.

[11] Avant de procéder à l’analyse des questions d’équité procédurale, il est important de souligner que le degré d’équité procédurale applicable dans le contexte des demandes de permis de travail temporaire est peu élevé (Brar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 70 au para 22, et Haghshenas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 464 au para 20 [Haghshenas]).

[12] Tout d’abord, concernant l’utilisation du programme Chinook, la Cour a rejeté des arguments semblables dans d’autres décisions (voir Haghshenas, Raja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 719 [Raja], et Zargar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 905 [Zargar]). Cela ne signifie pas que l’utilisation de ce programme ne soulèvera jamais de questions d’équité procédurale. Cependant, la simple utilisation du programme, en l’absence de preuve que celle-ci a mené à une décision inéquitable, ne suffit pas à établir un manquement à l’équité procédurale.

[13] Le seul argument de la demanderesse portant précisément sur le programme Chinook concerne le fait que l’agent a, selon la prétention de la demanderesse, commis une erreur en indiquant qu’elle prévoyait un chiffre d’affaires de 370 000 $, alors que son plan d’affaires faisait état d’une prévision d’un chiffre d’affaires de 320 460 $. Selon elle, cette erreur révèle que l’agent n’a pas examiné le plan d’affaires et s’est fié au le programme Chinook pour générer des motifs. Il s’agit, dans le meilleur des cas, d’un argument reposant sur des conjectures. De plus, l’agent a également souligné que le plan d’affaires n’indique pas comment la demanderesse compte atteindre le chiffre d’affaires, quel qu’il soit, car il ne fournit aucun détail à propos de clients potentiels ou de contrats avec des entreprises canadiennes.

[14] Les allégations de la demanderesse au sujet de l’utilisation du programme Chinook reposent sur des conjectures et aucun manquement à l’équité procédurale n’a été relevé.

[15] Pour ce qui est du défaut de fournir des motifs, je souligne que le dossier certifié du tribunal, qui comprend les motifs détaillés, a été communiqué conformément à l’article 9 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22. Un argument semblable a été formulé dans l’affaire Haghshenas; le juge Brown l’a rejeté au paragraphe 25 de ses motifs. De même, en l’espèce, l’obligation de communiquer prévue à l’article 9 ne permet pas d’étayer l’affirmation selon laquelle des motifs détaillés n’ont pas été fournis autrement ou que le fait de les avoir fournis après le dépôt de la demande de contrôle judiciaire constitue un manquement à l’équité procédurale. De plus, il est établi que l’obligation de fournir des motifs dans le contexte des visas se situe à l’extrémité inférieure du spectre.

[16] En ce qui concerne l’argument selon lequel l’agent a omis de faire part de ses doutes à la demanderesse quant à sa demande de permis de travail, je remarque que l’agent n’avait aucune obligation d’aviser la demanderesse de ses doutes et des lacunes que comporte sa demande (voir Haghshenas, au para 21; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 790 au para 9; Sulce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1132 au para 16).

[17] La demanderesse affirme qu’elle avait le droit de voir sa demande être traitée en deux semaines, mais qu’il lui a fallu près de sept mois pour recevoir la décision contestée. La demanderesse soutient que ses attentes légitimes n’ont pas été respectées, car elle s’attendait à ce que sa demande soit traitée conformément à la procédure indiquée dans la Stratégie en matière de compétence mondiale.

[18] Bien que la Stratégie en matière de compétence mondiale prévoie un délai de traitement de deux semaines, il s’agit d’un idéal à atteindre et non d’un objectif inscrit dans la loi. Autrement dit, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada n’est pas légalement tenu de respecter un délai de traitement de deux semaines dans le cadre de ce programme. En outre, la demande de la demanderesse a fait l’objet d’un renvoi pour examen de l’admissibilité, ce qui a allongé le délai de traitement.

[19] La demanderesse affirme également que son droit à un processus décisionnel juste et impartial n’a pas été respecté. Elle allègue que l’agent a fait preuve de partialité lorsqu’il a conclu qu’elle ne quitterait pas le Canada, alors que la preuve démontrait qu’elle est toujours retournée en Iran lors de ses voyages précédents. Elle soutient que l’agent a tiré une conclusion voilée en matière de crédibilité en concluant qu’elle ne quitterait pas le Canada, comme dans la décision Al Aridi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 381.

[20] Le critère pour établir la partialité est élevé et les motifs doivent être importants. En l’espèce, la demanderesse n’a relevé aucune conclusion ni aucun élément de preuve qui appuie son argument quant à la partialité (Haghshenas, au para 26).

[21] Selon mon examen de la décision contestée et du dossier certifié du tribunal, l’agent a rejeté la demande de permis de travail en se fondant sur son appréciation de la preuve au dossier. Une conclusion quant à l’insuffisance de documentation pour appuyer une demande de visa constitue une conclusion concernant le caractère suffisant ou non de la preuve, ce qui est différent d’une conclusion défavorable en matière de crédibilité (Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690 aux para 40-41).

[22] La demanderesse n’a donné aucun exemple qui laisserait entendre que l’agent avait remis en doute son intention réelle. Le passage dans lequel l’agent remet en doute qu’elle quittera le Canada à la fin de son séjour est simplement une référence à la disposition législative pertinente et ne signifie pas que l’agent n’a pas cru que la demande était « authentique ». Enfin, la demanderesse a été invitée à présenter une nouvelle demande afin de répondre aux doutes soulevés par l’agent, ce qui donne à pense que les motifs du rejet étaient fondés sur le manque de preuve à l’appui de la demande.

[23] Comme je l’ai déjà souligné, l’obligation d’équité procédurale à l’égard des demandeurs de visas se situe à l’extrémité inférieure du spectre. Compte tenu de cette norme peu élevée, je suis d’avis que la demanderesse n’a pas établi qu’il y a eu quelque manquement à l’équité procédurale.

B. Le caractère raisonnable de la décision

[24] La demanderesse soutient que la décision est déraisonnable pour un certain nombre de motifs, notamment parce que l’agent a imposé à tort une exigence linguistique, qu’il a mal décrit le chiffre d’affaires prévisionnel, ce qui témoigne de son recours au programme Chinook, et qu’il a exigé une preuve de contrats et de clients canadiens.

[25] Pour évaluer le caractère raisonnable de la décision contestée, il est important de souligner que l’agent se fonde sur l’alinéa 200(3)a) du RIPR, qui prévoit que le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger si l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé. Il incombait à la demanderesse de convaincre l’agent qu’elle est capable d’exercer l’emploi.

[26] Comme la Cour l’a souligné au paragraphe 10 de la décision Safdar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 189 :

[…] Il incombe au demandeur de produire des documents qui démontrent qu’il satisfait aux exigences du Règlement […] y compris qu’il possède les compétences linguistiques requises pour exercer l’emploi pour lequel le permis est demandé lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire que ces compétences sont nécessaires pour exercer l’emploi en question. [Renvois omis.]

[27] Les instructions et lignes directrices opérationnelles du programme de visa C11 indiquent que l’une des questions que l’agent doit évaluer est celle de savoir si « [l]e demandeur possède […] les compétences linguistiques nécessaires pour gérer l’entreprise ». Dans les circonstances, il était raisonnable de la part de l’agent de se pencher sur compétences linguistiques de la demanderesse (Sun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1548 aux para 19-28).

[28] De plus, l’agent a évalué le plan d’affaires de la demanderesse et a conclu que les chiffres d’affaires étaient spéculatifs. Comme la Cour l’a souligné au paragraphe 32 de la décision Haghshenas, il était raisonnablement loisible à l’agent de douter des chiffres d’affaires en l’absence de preuve de clients et de contrats potentiels. En outre, l’erreur que l’agent a commise concernant le montant du chiffre d’affaires, soit 370 000 $ au lieu de 320 000 $, est mineure et n’est pas suffisamment centrale pour rendre la décision contestée déraisonnable (Vavilov, au para 100).

[29] Il ressort clairement des motifs de l’agent que celui-ci a fait une analyse individualisée du dossier. L’agent a expressément fait référence à la proposition d’entreprise de la demanderesse et a relevé des faiblesses dans son plan d’affaires.

[30] Globalement, la demanderesse n’a pas démontré que la décision était déraisonnable. La demanderesse, dans la majorité de ses observations, invite la Cour à soupeser à nouveau la preuve, ce qui n’est pas le rôle de la Cour.

IV. Conclusion

[31] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


 

JUGEMENT dans le dossier IMM-3048-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Ann Marie McDonald »

Juge


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-3048-22

INTITULÉ :

SHIRKAVAND c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 juin 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

LE 26 juillet 2023

COMPARUTIONS :

Afshin Yazdani

Pour le demandeur

Andrea Mauti

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

YLG Professional Corporation

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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