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Date : 20230725


Dossier : IMM-591-22

Référence : 2023 CF 1018

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2023

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

ABOSEDE OLAYINKA FALOWO

SAMUEL OLUWATOMISIN FALOWO

DEBORAH TEMILOLUWA FALOWO

ESTHER TOLUWALOPE FALOWO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Abosede Olayinka Falowo, la demanderesse principale [la DP], et ses enfants, les codemandeurs, sont des citoyens du Nigeria qui craignent d’être persécutés par belle-famille de la DP (la famille de son défunt époux). Les demandeurs affirment que la belle-famille veut forcer les enfants à subir certains rituels obligatoires, y compris la mutilation des organes génitaux pour les filles, l’ingestion d’une préparation pour le frère et un remariage forcé dans le cas de la DP.

[2] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la CISR] a jugé que les demandeurs étaient généralement crédibles, mais est parvenue à la conclusion déterminante qu’ils disposaient d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] à Abuja. En appel, la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la CISR a confirmé la conclusion de la SPR concernant la PRI et a jugé que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger [la décision].

[3] La principale question que la Cour doit trancher est de savoir si la décision est raisonnable. Il ne fait aucun doute que la norme de contrôle présumée s’appliquer en l’espèce est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 17, 25. Je juge qu’aucune des situations dans lesquelles la norme présumée s’appliquer peut être réfutée n’est présente en l’espèce.

[4] Pour éviter l’intervention judiciaire, la décision doit posséder les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité : Vavilov, précité, au para 99. Il incombe à la partie qui conteste la décision de démontrer que la décision est déraisonnable : Vavilov, précité, au para 100.

[5] Pour les motifs qui suivent, je juge que les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombait et, par conséquent, je rejetterai leur demande de contrôle judiciaire.

II. Analyse

[6] Je ne suis pas convaincue que les motifs de la SAR ou les conclusions qu’elle a tirées sont déraisonnables.

[7] La demande d’asile sera rejetée si le demandeur dispose d’une PRI viable : Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 CanLII 3011 (CAF), [1994] 1 CF 589 [Thirunavukkarasu]. Pour obtenir une protection, le demandeur d’asile doit établir, selon la prépondérance des probabilités, (i) qu’il risque sérieusement d’être persécuté dans l’endroit proposé comme PRI, et (ii) qu’objectivement, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles lui étant particulières, il serait déraisonnable ou trop sévère de s’attendre à ce qu’il y cherche refuge : Thirunavukkarasu, précité; Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, 1991 CanLII 13517 (CAF), [1992] 1 CF 706; Olasina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 103 au para 4; Haastrup c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 141 au para 29.

[8] La question dont la Cour est saisie dans le cadre du contrôle judiciaire est de savoir si la décision contestée possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, l’intelligibilité et la transparence, pour éviter l’intervention judiciaire. Il ne s’agit pas d’une occasion de débattre de nouveau de l’appel interjeté devant la SAR, ce que les demandeurs ont fait en l’espèce à mon avis. Il n’appartient pas non plus à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par la SAR : Vavilov, précité, au para 125. Compte tenu de ces principes, j’examinerai ensuite le caractère raisonnable de l’analyse de la SAR et des conclusions tirées par celle-ci concernant chaque volet du critère applicable.

(1) Un risque sérieux de persécution

[9] Les demandeurs n’ont pas démontré, à mon avis, que la SAR a commis une erreur. Comme je l’explique, je juge que les motifs de la SAR permettent à la Cour de comprendre les conclusions qu’elle a tirées. En d’autres termes, je juge que le raisonnement de la SAR « se tient » : Vavilov, précité, aux para 102, 104.

[10] Les demandeurs soutiennent devant la Cour, comme ils l’ont fait devant la SAR, que le ou les tribunaux inférieurs ont commis une erreur lorsqu’ils ont pris en considération la taille et la population du Nigeria et d’Abuja dans leur analyse de la PRI. La SAR a examiné cette question et a raisonnablement conclu que la SPR a simplement décrit des conditions très générales au Nigeria et que, tout au plus, ce n’était qu’un facteur parmi d’autres dont la SPR a tenu compte.

[11] Je ne suis pas convaincue non plus que la SAR a commis une erreur en jugeant que les demandeurs pouvaient se rendre à la ville proposée comme PRI en avion. Contrairement aux observations des demandeurs, je juge que la SAR a tenu compte des dangers que peut encourir une mère célibataire en se rendant à Abuja et que les demandeurs n’ont pas réussi à relever ce qui rendrait le transport aérien particulièrement dangereux dans leur situation compte tenu du grand aéroport qui s’y trouve. À mon avis, les demandeurs se sont pas parvenus à montrer une erreur susceptible de contrôle dans l’analyse de la SAR.

[12] Je conviens en outre avec le défendeur que la SAR n’a pas commis d’erreur dans son application des Directives numéro 4 du président : Considérations liées au genre dans les procédures devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada de la CISR. La SAR a raisonnablement conclu qu’il n’y avait aucune preuve à l’appui de l’argument des demandeurs selon lequel le sexe de la DP était à l’origine de son manque de connaissances détaillées sur les agents du préjudice. Il incombe aux demandeurs de réfuter l’existence d’une PRI viable : Thirunavukkarasu, précité, aux pages 593, 597.

[13] De plus, je ne suis pas convaincue que la SAR a commis une erreur en appréciant la question de savoir si les agents de persécution auraient la capacité à suivre les demandeurs dans la ville proposée comme PRI. Non seulement les demandeurs n’ont pas fourni de preuve pour appuyer ces arguments, mais la SAR a raisonnablement abordé chacune de leurs allégations. Elle a conclu qu’aucune preuve n’avait été présentée pour appuyer l’allégation selon laquelle le suivi des téléphones cellulaires est une pratique courante au Nigeria. La SAR a également conclu que les agents de persécution n’avaient jamais localisé la résidence personnelle de la DP dans la ville où celle-ci avait déménagé avant de quitter le Nigeria et, en outre, qu’elle n’avait jamais changé son numéro de téléphone malgré les appels téléphoniques menaçants qu’elle avait reçus. La SAR a conclu qu’il n’y avait pas de preuve pour soutenir que la tentative d’enlèvement du fils de la DP était liée à la crainte alléguée des demandeurs.

[14] La SAR est présumée avoir examiné l’ensemble de la preuve qui lui a été présenté et n’a pas à mentionner chaque élément explicitement : Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 765 au para 32. Les demandeurs ne m’ont pas convaincue de l’existence d’un motif pour réfuter cette présomption.

(2) Le caractère raisonnable du déménagement

[15] Je suis convaincue que la SAR n’a pas commis d’erreur en concluant qu’il ne serait pas déraisonnable, compte tenu de la situation particulière des demandeurs, qu’ils déménagent à Abuja. À mon avis, ils n’ont pas démontré comment la SAR a commis une erreur dans son analyse et ont plutôt invité la Cour à apprécier à nouveau la preuve, ce qui n’est pas son rôle lors d’un contrôle judiciaire : Vavilov, précité, au para 125.

[16] Contrairement aux observations soulevées par les demandeurs, une fois que la SAR a proposé la PRI à Abuja, les demandeurs avaient le fardeau de prouver qu’il serait déraisonnable pour eux de déménager à Abuja : Yafu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 293 au para 8.

[17] La SAR a raisonnablement répondu, à mon avis, aux allégations des demandeurs concernant le profil de la DP et sa capacité à trouver un emploi à Abuja. La SAR a également pris acte de la preuve objective selon laquelle certaines femmes sont victimes de harcèlement et d’exploitation sur leur lieu de travail au Nigeria, mais a finalement conclu que la DP avait des années d’expérience professionnelle au Nigeria, y compris après le décès de son époux, sans aucune preuve qu’elle a déjà été victime de mauvais traitements, en particulier dans le contexte où elle gère sa propre entreprise. La SAR a également pris acte de la nature patriarcale de la société nigériane et a conclu que le fils de la DP pourrait être en mesure de l’aider pour obtenir un logement.

[18] Je ne suis pas non plus convaincue que la SAR a commis une erreur dans l’appréciation des évaluations psychologiques des demandeurs ou qu’elle a ignoré celles-ci. La SAR a examiné la preuve et a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils n’avaient pas accès à des soins au Nigeria. À mon avis, la preuve des conditions dans le pays en cause invoquée par les demandeurs devant la Cour est appliquée hors contexte dans une tentative phrase par phrase qui vise à contester la décision. La SAR n’est pas tenue de mentionner tous les éléments de preuve, et les demandeurs n’ont pas réussi, à mon avis, à établir un lien entre les conditions générales dans le pays en cause et leur situation particulière : Jean-Baptiste c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 285 aux para 19, 20.

[19] De plus, je juge que la décision Li c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 548, n’aide pas les demandeurs en l’espèce, car la SAR n’a pas conclu que rien n’empêchait les demandeurs de déménager, mais plutôt qu’il serait raisonnable pour eux de déménager après un examen global et une analyse de la preuve.

[20] En fin de compte, je suis convaincue que la décision démontre que la SAR a procédé à une analyse rationnelle de la preuve dont elle disposait pour tirer sa conclusion, ce qui permet à la Cour de relier les points : Vavilov, précité, aux para 17 et 102.

III. Conclusion

[21] Pour les motifs qui précèdent, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire.

[22] Aucune des parties n’a proposé de question grave de portée générale à certifier, et je conclus que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-591-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Janet M. Fuhrer »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-591-22

INTITULÉ :

ABOSEDE OLAYINKA FALOWO, SAMUEL OLUWATOMISIN FALOWO, DEBORAH TEMILOLUWA FALOWO, ESTHER TOLUWALOPE FALOWO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 JANVIER 2023

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE FUHRER

DATE DES MOTIFS :

LE 25 JUILLET 2023

COMPARUTIONS :

Ugochukwu Ojukwu

POUR LES DEMANDEURS

Pavel Filatov

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ugochukwu Ojukwu

Law Office of Ugo Ojukwu

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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