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Date : 20060530

Dossier : IMM-6797-05

Référence : 2006 CF 660

Vancouver (Colombie-Britannique), le 30 mai 2006

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

SADEGH DUST PARAST

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur conteste la légalité d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commissionde l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 26 septembre 2005, qui statue qu'il n'a pas le statut de « réfugié au sens de la Convention » , ni la qualité de « personne à protéger » au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27.

DEMANDE D'ASILE

[2]                Le demandeur est un citoyen de l'Iran. Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), il allègue s'être converti en 2003 à la religion mormone suite à sa rencontre avec un dénommé Sohail Panahi. Suite à sa conversion, il change alors de nom et s'efforce de propager sa nouvelle religion dans son pays, en distribuant des photocopies du Livre des Mormons lors de rencontres et de réunions diverses. En mai 2004, les autorités iraniennes le recherchent. Il réussit à se cacher mais trois de ses amis sont arrêtés, emprisonnés puis exécutés. Par la suite, il consulte un avocat et apprend qu'un musulman qui se convertit à une autre religion risque d'être exécuté. Il décide de fuir son pays. Avec l'aide d'un passeur, il se rend d'abord en Turquie au mois d'octobre 2004. Il prend par la suite le train pour se rendre en Italie puis en Allemagne. Il quitte l'Allemagne par bateau le 6 novembre 2004 et arrive au Canada le 16 novembre 2004, à l'aide d'un passeport norvégien.

DÉCISION CONTESTÉE

[3]                Dans la décision contestée, la Commission conclut que le demandeur n'a présenté aucun élément de preuve crédible pour appuyer son récit. La Commission décide que le demandeur n'a fait ni la preuve de la date réelle de son départ de l'Iran, ni la preuve de son itinéraire pour atteindre le Canada. La Commission conclut également au manque total de crédibilité du demandeur en raison des nombreuses divergences constatées entre son témoignage, son récit et les notes de l'agent de l'immigration au point d'entrée. De plus, la Commission est d'avis que le demandeur n'a présenté aucun élément de preuve pouvant attester de sa présence en Iran entre 2003 et 2004 ni aucun document permettant d'appuyer le fait qu'il s'est converti à la religion mormone.

MOTIFS DE RÉVISION JUDICIAIRE

[4]                Le demandeur soumet comme principal motif de révision judiciaire qu'il n'a pas eu l'opportunité de soumettre à l'audition des éléments de preuve pertinents devant la Commission, et ce, sur les conseils frauduleux de son ancienne procureure. Celle-ci lui a alors fortement conseillé de taire à la Commission l'existence des faits suivants, sans quoi le gouvernement canadien allait le renvoyer, à savoir :

-          qu'il n'est pas parti de l'Iran au mois d'octobre 2004 mais plutôt au mois de juillet 2000;

-          qu'il s'est alors réfugié en Suisse, mais qu'on lui a par la suite refusé l'asile;

-          qu'il a été baptisé chez les Mormons en Suisse au mois de juin 2001.

[5]                Le demandeur soumet que son ancienne procureure a commis une grave erreur professionnelle en lui conseillant de mentir et de cacher l'existence de son séjour en Suisse. Le demandeur est d'avis qu'il n'a commis aucune faute, si ce n'est que de s'être fié aux conseils de son ancienne procureure. D'ailleurs, au début du mois de novembre 2005, le demandeur, par l'entremise de sa nouvelle procureure, a déposé au Syndic du Barreau du Québec une plainte contre son ancienne procureure. N'eut été des agissements frauduleux de son ancienne procureure, le demandeur est d'avis que la Commission aurait accueilli sa demande d'asile. Le 14 novembre 2005, le demandeur a présenté sa demande d'autorisation de contrôle judiciaire devant cette Cour.

ANALYSE

[6]                Le demandeur ne m'a pas convaincu qu'il y a lieu d'annuler la décision de la Commission.

[7]                Je note en premier lieu que la légalité de la décision contestée n'est pas ici sérieusement attaquée. Dans le cas présent, le demandeur a eu l'opportunité de présenter des preuves et de faire valoir son point de vue à une audition dûment convoquée à cette fin où des témoins ont pu être entendus. En se fondant sur les nombreuses contradictions et l'absence d'explications raisonnables du demandeur, la Commissionpouvait raisonnablement conclure que le récit du demandeur n'était pas crédible.

[8]                Il est manifeste ici que la Commission a considéré l'ensemble de la preuve soumise à l'audition par le demandeur. Rappelons qu'au soutien de sa demande d'asile, le demandeur a notamment déposé deux lettres afin d'appuyer le fait de sa conversion à la religion mormone. Dans une lettre datée du 16 février 2005, M. Bruno Cornil, évêque de l'Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours dans la paroisse d'Hochelaga à Montréal, reconnaît que le demandeur s'est engagé à prendre des leçons missionnaires en vue d'un baptême officiel. Une seconde lettre, non datée et préparée par un Ancien de l'Église, atteste des mêmes faits. La Commission pouvait raisonnablement conclure que les documents en question sont insuffisants pour démontrer que le demandeur s'est effectivement converti à la religion mormone.

[9]                Au cours de l'été 2005, le demandeur dit qu'il a voulu changer de procureur. Il a cependant jugé préférable de ne rien faire après avoir été informé, par l'assistant de son ancienne procureure, que Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) ne voit pas d'un bon oeil les changements de procureur. Depuis, le demandeur est retourné voir l'évêque Cornil afin de lui raconter tous les détails de son récit, y compris son périple en Suisse. Il ne précise pas à quelle date cet entretien a eu lieu. Quoi qu'il en soit, celui-ci atteste, dans une lettre datée du 6 décembre 2005, soit plus de deux mois après la décision contestée, que le 3 juin 2001, le demandeur a été baptisé en Suisse selon la tradition mormone reconnue.

[10]            Le contrôle judiciaire permet d'examiner la décision rendue par la Commission, à la lumière des preuves dont celle-ci disposait à l'audience, et de décider s'il existe des raisons justifiant la révision de la décision initiale. Je n'ai pas à décider si la demande d'asile aurait été accueillie par la Commission si les preuves supplémentaires que le demandeur entend maintenant produire avaient été déposées à l'audience qui a eu lieu en juillet 2005 : voir Asafov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 713 (C.F. 1re inst.) (QL).

[11]            Le demandeur doit accepter les conséquences du choix de son conseiller et de la décision qu'il a délibérément pris de mentir sur sa situation personnelle. Ce n'est que dans les circonstances les plus exceptionnelles que la Cour peut tenir compte de l'incompétence d'un avocat. Selon la jurisprudence, la preuve de l'incompétence de l'avocat doit être si claire et sans équivoque et les circonstances si déplorables que l'injustice causée au requérant crèverait pratiquement les yeux : voir Dukuzumuremyi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 278 au para. 9, [2006] A.C.F. no 349 (QL); Drummond c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) (1996), 112 F.T.R. 33 au para. 6 (C.F. 1re inst.).

[12]            L'incompétence de l'ancienne procureure du demandeur n'a pas été prouvée devant cette Cour. En particulier, il n'a pas été démontré que le défaut de produire une autre lettre de l'évêque Cornil est attribuable à un manque de compétence de l'ancienne procureure du demandeur. Si le demandeur n'était pas en accord avec la stratégie adoptée par son ancienne procureure, il lui appartenait de se trouver un nouveau représentant, et le cas échéant, de solliciter un ajournement de l'audition.

[13]            Ici, le mensonge du demandeur fait prétendument sur les conseils de son ancienne procureure n'a pas eu pour effet de le priver du droit d'être entendu : voir Bhullar c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 652 (C.F. 1re inst.) (QL). En effet, le demandeur a délibérément et en toute connaissance de cause rendu un faux témoignage, notamment sur la date où il aurait quitté l'Iran et sur son itinéraire pour venir au Canada, et ce, manifestement, dans le but d'obtenir une décision favorable quant à sa demande d'asile. Le demandeur a de plus caché à la Commission avoir vécu en Suisse pendant quatre ans et y avoir réclamé sans succès le statut de réfugié.

[14]            Il est clair que le demandeur ne serait pas devant cette Cour si la Commission avait cru son histoire. Il ne se plaindrait pas alors d'avoir été mal conseillé ou représenté par son ancienne procureure. Lorsqu'un demandeur s'adresse à la Cour pour obtenir l'émission d'une ordonnance discrétionnaire, comme c'est le cas en l'espèce, sa conduite doit être irréprochable : voir Jaouadi c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), 2003 CF 1347 au para. 17, [2003] A.C.F. no 1714 (QL); Kouchek c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 323 au para. 6 (C.F. 1re inst.) (QL); E.L.D. c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), 2005 CF 1475 au para. 55, [2005] A.C.F. no 1812 (QL); Mutanda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1101 au para. 16, [2005] A.C.F. no 1353 (QL). Dans la présente affaire, le demandeur admet avoir menti devant la Commission. Ce comportement fautif est à lui seul suffisant pour rejeter la demande de contrôle judiciaire, d'autant plus que le mensonge du demandeur s'est étalé sur plusieurs mois.

[15]            D'ailleurs, comme je le soulignais dans Jaouadi, au paragraphe 19 :

[...] En effet, la Cour n'est pas prête à accepter qu'un revendicateur du statut de réfugié ayant inventé une histoire sur les conseils d'un ancien représentant puisse demander une nouvelle audition devant une formation différente du tribunal simplement sur la base qu'il aurait été mal conseillé par ce dernier. Le demandeur ne peut ici se prévaloir de sa propre turpitude. Faut-il le rappeler, le demandeur a prêté serment de dire toute la vérité. C'est donc lui qui doit assumer l'entière responsabilité de tout parjure qu'il a pu commettre devant le tribunal.

[16]            Au passage, j'ajouterais que, dans son ensemble, la décision contestée ne m'apparaît pas manifestement déraisonnable dans les circonstances.

[17]            La présente demande de contrôle judiciaire doit donc être refusée.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question d'importance générale n'a été soulevée et aucune question ne sera certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-6797-05

INTITULÉ :                                        Sadegh Dust Parast c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 24 mai 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                       Le 30 mai 2006

COMPARUTIONS:

Me Annick Legault

Me Catherine Sabourin

POUR LE DEMANDEUR

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Annick Legault

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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