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Date : 20230529


Dossier : T‑897‑22

Référence : 2023 CF 746

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 29 mai 2023

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

SAMAN ABDI

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, M. Abdi, demande à la Cour d’annuler la décision rendue le 2 mars 2022 au dernier palier de la procédure de règlement des griefs par le sous‑ministre adjoint pour la région de l’Ouest du Canada et des territoires d’Emploi et Développement social Canada (EDSC). Dans sa décision, le sous‑ministre adjoint a rejeté le grief du demandeur lié à son renvoi pendant sa période de stage.

[2] Le demandeur a soutenu que la décision devrait être annulée au motif qu’elle est déraisonnable selon les principes énoncés dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653. Il a également soulevé un argument relatif à l’équité procédurale.

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I. Faits à l’origine de la présente demande

[4] Le demandeur est titulaire d’un baccalauréat ès arts et d’une maîtrise ès arts de l’Université Simon Fraser.

[5] Au début de 2021, le demandeur a reçu une offre pour se joindre à Service Canada en tant qu’agent de services aux paiements. Par lettre du 11 janvier 2021, il a été embauché et assujetti à une période de stage de douze mois dans le cadre d’un contrat d’emploi à durée déterminée allant du 25 janvier 2021 au 21 janvier 2022.

[6] Le 25 janvier 2021, le demandeur a commencé à travailler au centre d’appels de l’assurance‑emploi de Vancouver. En tant que nouvel employé, le demandeur a participé à un [traduction] « programme de formation structuré » comptant quatre phases. La première phase était la formation en classe, au cours de laquelle le demandeur devait passer cinq examens.

[7] Comme tous les nouveaux agents de services aux paiements, le demandeur devait obtenir la note de passage de 75 % à trois des cinq examens.

[8] En février et mars 2021, le demandeur a participé à la phase de la formation en classe, qui s’est principalement déroulée en ligne en raison de la pandémie de COVID‑19. Il a effectué les cinq examens. Malheureusement, il n’a pas obtenu la note de passage de 75 % à trois des cinq examens. Il a obtenu 81 %, 60 %, 80 %, 73 % et 72 %.

[9] Après avoir obtenu une note inférieure à la note de passage aux deuxième et quatrième examens, le demandeur a rencontré le chef d’équipe par intérim d’EDSC pour discuter des résultats, des causes ainsi que de la manière de s’améliorer et d’obtenir du soutien. Le chef d’équipe par intérim a confirmé la teneur de leurs discussions dans des courriels qu’il a envoyés au demandeur les 26 février 2021 et 22 mars 2021.

[10] Après que le demandeur a obtenu une note inférieure à la note de passage au cinquième examen, EDSC l’a renvoyé pendant sa période de stage par lettre du 24 mars 2021. Il n’avait pas accompli de façon satisfaisante les tâches d’un agent de services aux paiements, puisqu’il n’avait pas réussi trois des cinq examens, comme il était exigé.

[11] Le 27 avril 2021, avec le soutien de son syndicat, le demandeur a déposé un grief, dans lequel il indiquait que son [traduction] « renvoi en cours de stage [par l’employeur] était un acte de mauvaise foi ». Selon le grief, l’employeur n’a pas fourni au demandeur [traduction] « la formation et le soutien nécessaires » et « n’a pas offert de soutien lorsque le client avait demandé de l’aide et des mesures d’adaptation, ce qui a mené à la note d’échec ». Le 14 mars 2021, le demandeur a fait une présentation à l’appui de son grief.

[12] Au premier palier, EDSC a rejeté le grief du demandeur dans une lettre du 28 mai 2021.

[13] Le 1er juin 2021, le demandeur a transmis son grief au deuxième palier. Avec son représentant syndical, il a fait une présentation à l’appui de son grief lors d’une consultation sur le grief tenue le 13 septembre 2021.

[14] Au deuxième palier, EDSC a rejeté le grief du demandeur dans une lettre du 5 octobre 2021.

[15] Le 6 octobre 2021, le demandeur a transmis son grief au troisième et dernier palier. Il a présenté des observations écrites en vue d’une consultation le 22 février 2022. Le demandeur et son représentant syndical ont participé à la consultation, tout comme la décideuse, son chef du personnel et un agent principal des relations de travail.

[16] Le lendemain, une demande a été déposée pour confirmer l’exactitude des résultats d’examen du demandeur. Dans un courriel du 23 février 2022, il a été confirmé que les résultats du demandeur avaient été vérifiés et validés.

[17] Le 28 février 2022, l’agent principal des relations de travail a envoyé au décideur à des fins d’examen un mémoire écrit de neuf pages daté du 22 février 2022 et intitulé [traduction] « Aperçu du grief au dernier palier » (l’aperçu du grief).


II. Décision faisant l’objet du contrôle

[18] Dans une lettre du 2 mars 2022, EDSC a fourni sa réponse au grief au dernier palier, par laquelle il a rejeté le grief du demandeur.

[19] Après avoir présenté l’exposé du grief du demandeur et les mesures correctives demandées, la décideuse a confirmé qu’elle avait examiné les observations faites par le demandeur lors de la consultation sur le grief tenue le 22 février 2022 ainsi que tous les documents dont elle disposait.

[20] La décideuse a expliqué brièvement que le demandeur avait affirmé avoir eu de nombreuses difficultés techniques et matérielles, qu’il avait exprimé des préoccupations quant à la formation et qu’il contestait les attentes de rendement relativement à la note de passage pour les examens écrits. De plus, il avait fait part de problèmes personnels qui lui causaient du stress.

[21] La décideuse n’a trouvé aucune preuve de traitement inadéquat de son dossier justifiant une intervention. L’employeur s’était assuré que le demandeur avait obtenu les ressources et le soutien nécessaires pour devenir un agent de services aux paiements pleinement qualifié. Bien qu’il ait eu l’occasion à plusieurs reprises de proposer d’autres mesures de soutien et d’envisager la prise de mesures d’adaptation, le demandeur a refusé de le faire. Malgré les efforts déployés pour l’aider à satisfaire aux exigences de l’emploi, il n’a pas été en mesure d’atteindre de manière systématique les normes de rendement exigées. La décideuse a conclu qu’il s’agissait d’un motif lié à l’emploi légitime pour justifier son renvoi en cours de stage.

[22] La décideuse a confirmé que la direction locale n’avait reçu aucune demande de références visant le demandeur et a assuré ce dernier que l’employeur ne l’empêchait pas de se trouver un nouvel emploi.

[23] La décideuse a pris acte de la demande du demandeur que ses résultats d’examen soient validés. La direction locale a informé la décideuse que les résultats du demandeur avaient été vérifiés et jugés exacts.

[24] Par conséquent, le grief du demandeur a été rejeté.

III. Analyse

[25] Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable, telle qu’elle est décrite dans l’arrêt Vavilov : Burlacu c Canada (Procureur général), 2022 FC 1467 au para 14; Kohlenerg c Canada (Procureur général), 2022 CF 906 au para 31.

[26] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable constitue une évaluation empreinte de déférence et rigoureuse visant à déterminer si la décision administrative est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, aux para 12‑13 et 15. Les motifs fournis par le décideur constituent le point de départ. Ils sont interprétés de façon globale et contextuelle, et lus en corrélation avec le dossier dont disposait le décideur. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, particulièrement aux para 85, 91‑97, 103, 105-106 et 194; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 RCS 900 [Postes Canada] aux para 2, 28‑33, 61.

A. La décision rendue au dernier palier de la procédure de règlement des griefs était‑elle raisonnable?

[27] Dans son grief, le demandeur a avancé les arguments précis suivants :

  • deux de ses résultats d’examen étaient légèrement inférieurs à la note de passage de 75 % et devraient être [traduction] « arrondis » de manière à le faire passer;

  • la formation était inadéquate, notamment parce qu’elle ne tenait pas bien compte des différents besoins et stress des employés pendant la pandémie;

  • le demandeur a reçu un soutien insuffisant, surtout de la part des TI, pendant la phase de formation;

  • le demandeur a vécu plusieurs situations personnelles stressantes, dont la panne de son véhicule, de sorte qu’il n’a pas bien dormi;

  • à la suite de communications entre le demandeur et le chef d’équipe par intérim, le demandeur a annulé un rendez‑vous médical qu’il attendait depuis plusieurs mois.

[28] Dans ses observations à la Cour, le demandeur a répété la plupart de ces arguments. Selon ses observations écrites, la formation était en ligne et les TI ne répondaient aux employés dans les 24 heures suivant une demande que [traduction] « s’ils en avaient envie ». Il a soutenu que l’employeur ne l’avait pas formé et qu’il le tenait responsable de ce manque de formation. Il a fait valoir que l’employeur avait été inéquitable et déraisonnable à son endroit et qu’il avait fait preuve de mauvaise foi (citant Wallace c United Grain Growers Ltd, [1997] 3 RCS 701).

[29] À l’audience, le demandeur a expliqué que la phase de formation s’était déroulée en personne les deux ou trois premiers jours, puis en ligne. Il était en Colombie‑Britannique, mais les TI qui offraient du soutien étaient en Ontario, de sorte qu’il était seul et travaillait à distance.

[30] Le demandeur a fait valoir qu’il n’avait pas obtenu la note de passage de 75 % à l’examen final uniquement en raison d’une seule question. Le renvoyer pour ce motif était inéquitable pendant la pandémie.

[31] Je comprends la frustration ressentie par le demandeur, surtout en période de pandémie.

[32] Le défendeur a soutenu que l’employeur avait le pouvoir discrétionnaire d’évaluer l’aptitude de chaque nouvel employé (renvoyant à l’article 62 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 22 (la LEFP)). Il a invoqué les arrêts Kot c Canada (Procureur général), 2022 FCA 133, Canada (Procureur général) c Alexis, 2021 CAF 216, et Jacmain c Procureur général (Canada) et autre, [1978] 2 RCS 15, ainsi que les articles 12 et 13 de la LEFP. Le défendeur a souligné que la décision de mettre fin à l’emploi du demandeur était uniquement fondée sur le rendement, à savoir sur le fait qu’il n’avait pas atteint de manière systématique les normes de rendement exigées applicables aux examens. Tous les employés devaient être traités équitablement.

[33] De plus, le défendeur a souligné que l’employeur avait offert au demandeur de la formation supplémentaire pendant la phase de la formation en classe et du soutien personnel par l’intermédiaire du Programme d’aide aux employés. Le défendeur a fait référence aux courriels envoyés au demandeur les 26 février et 22 mars 2021, lesquels confirment les discussions qui ont eu lieu après les résultats de ce dernier aux deuxième et quatrième examens et qui portaient sur ces sujets et la possible prise de mesures d’adaptation pour le demandeur. Cependant, le demandeur a refusé toutes les offres de soutien et d’aide supplémentaires.

[34] J’ai lu attentivement le grief du demandeur ainsi que les décisions rendues par EDSC aux premier, deuxième et dernier paliers. J’ai examiné les observations écrites qu’il a déposées à la Cour dans le cadre de la présente demande et j’ai écouté attentivement les observations orales qu’il a présentées clairement à l’audience. Je me suis encore une fois penché sur ses arguments au moment de rédiger les présents motifs.

[35] En application des principes établis dans les arrêts Vavilov et Postes Canada, je conclus que la décision rendue au dernier palier était raisonnable.

[36] Dans son évaluation du caractère raisonnable de la décision rendue au dernier palier, la Cour peut prendre en considération les motifs des décisions rendues aux premier et deuxième paliers de la procédure de règlement des griefs : Veillette c Canada (Agence du revenu), 2020 CF 544 au para 27. Elle peut également tenir compte du contenu de l’aperçu du grief rédigé à l’intention du décideur au dernier palier : Meguellati c Canada (Procureur général), 2020 CF 1010 au para 24; Veillette, au para 27.

[37] La majorité des observations du demandeur portait sur la question de savoir si la décision rendue au dernier palier était correcte sur le fond. Cependant, comme je l’ai expliqué à l’audience, dans le cadre du présent contrôle judiciaire, il n’est pas loisible à la Cour d’intervenir si elle ne souscrit pas à la décision rendue au dernier palier. Je ne suis pas autorisé à procéder au réexamen de la preuve pour déterminer ce que j’aurais fait à la place de la décideuse. Je ne peux pas non plus corriger la décision si je n’y souscris pas. Je dois déterminer si cette décision était « raisonnable » en appliquant les normes établies par les cours d’appel et la Cour dans leurs décisions antérieures.

[38] Comme l’a fait valoir le défendeur, les employeurs ont un [traduction] « pouvoir discrétionnaire très étendu lorsqu’il s’agit d’évaluer les aptitudes d’un employé stagiaire, et leurs décisions portent peu à révision » : Kot, au para 15. Compte tenu également de l’article 62 de la LEFP, rien ne me permet de conclure que la décision rendue au dernier palier ne respecte pas les contraintes juridiques qui ont une incidence sur elle : Vavilov, aux para 83, 99 et 101; Postes Canada, aux para 2, 30, 32 et 41.

[39] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a précisé que la cour de révision peut se demander si, et comment, la preuve dont disposait le décideur constituait une contrainte pour ce dernier. Toutefois, comme je l’ai déjà mentionné, la cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve et, sauf dans des circonstances inhabituelles, d’analyser et de trancher elle‑même la question de savoir si la décision était correcte : Vavilov, aux para 83, 116, 124, 125‑126.

[40] En l’espèce, la décision rendue au dernier palier était étayée par l’aperçu du grief, lequel résumait et analysait le grief et la position du demandeur. À la lecture de la décision rendue au dernier palier, conjointement avec les décisions rendues aux premier et deuxième paliers, je ne suis pas convaincu que les aspects importants de la position du demandeur ou que les circonstances factuelles liées à son grief ont été ignorés. Le demandeur n’a pas prétendu que la décideuse avait mal compris son grief ou avait omis d’examiner ses arguments. Il n’a fait référence à aucun élément de preuve contemporain qui contredisait les déclarations ou les conclusions présentées dans la décision rendue au dernier palier, comme la déclaration selon laquelle il avait eu l’occasion de définir d’autres mesures de soutien, ce qu’il avait refusé de faire. En effet, cette déclaration concorde avec le dossier dont disposait la décideuse (voir les courriels envoyés au demandeur les 26 février 2021 et 22 mars 2021 par le chef d’équipe par intérim, lesquels confirment les discussions tenues avec lui après les deuxième et quatrième examens).

[41] Je remarque que le demandeur n’a pas contesté le fait qu’il avait été informé, au début de son emploi, puis après le deuxième et le quatrième examen, auxquels il avait échoué, qu’il devait obtenir la note de passage de 75 % à au moins trois des cinq examens, sinon l’employeur mettrait fin à son emploi[1].

[42] Rien ne permet à la Cour d’intervenir quant à l’argument selon lequel la décideuse au dernier palier aurait dû conclure que l’employeur avait fait preuve de mauvaise foi en mettant fin à l’emploi du demandeur, comme ce dernier l’a allégué. Le demandeur n’a mentionné aucun incident ou comportement particulier à l’appui de sa position, pas même à la date de fin de son emploi après le cinquième examen, soit le 24 mars 2021. Peu importe les critères appliqués, que ce soit ceux de l’arrêt Wallace ou ceux de l’arrêt Kot, il était loisible à la décideuse au dossier de conclure que le demandeur avait omis de démontrer que l’employeur n’avait pas été candide, honnête, équitable ou sensible et que son renvoi n’était pas un camouflage, une supercherie ou un acte de mauvaise foi.

[43] Pour les motifs qui précèdent, je ne vois aucune raison de conclure que la décision rendue au dernier palier était déraisonnable.

B. EDSC a‑t‑il porté atteinte aux droits du demandeur en matière d’équité procédurale?

[44] Le demandeur a soutenu qu’il avait été privé de son droit à l’équité procédurale, puisqu’EDSC ne lui avait pas divulgué un échange de courriels qui avait eu lieu au milieu du mois de septembre 2021. L’échange avait eu lieu dans le cadre des enquêtes internes menées par l’employeur à peu près au moment de la procédure de règlement du grief au deuxième palier.

[45] L’échange de courriels était entre un conseiller spécialiste des ressources humaines et le gestionnaire des services qui avait été le décideur au premier palier. Le conseiller posait les questions, et le gestionnaire des services y répondait. Parmi les sujets importants abordés figuraient les questions de savoir si la formation reçue par le demandeur différait de celle offerte dans d’autres classes (la réponse était que ce n’était pas vraiment le cas), si le demandeur avait eu des problèmes informatiques (la réponse était que les problèmes initiaux avaient été réglés dès le deuxième jour de formation), si le demandeur avait perdu du temps de classe en raison d’un problème informatique ou parce qu’il était malade, s’il n’avait pas bénéficié du soutien ou des mesures d’adaptation dont il avait besoin (la réponse était non à toutes les questions; les préoccupations n’avaient été soulevées qu’après les résultats d’examen) et si la direction était au courant de difficultés personnelles et de facteurs de stress (la réponse était oui, mais ces éléments n’avaient pas été soulevés comme un problème qui l’aurait empêché de passer un examen).

[46] Le demandeur n’a obtenu une copie de cet échange de courriels que lorsqu’il a reçu l’affidavit déposé à la Cour par le défendeur, qui établissait la chronologie du grief jusqu’à la décision rendue au dernier palier et comprenait les documents dont disposait la décideuse au dernier palier. L’un de ces documents était l’échange de courriels.

[47] Le demandeur a qualifié l’échange de courriels de [traduction] « fictif » et a allégué que l’employeur avait [traduction] « échoué misérablement » en ne lui divulguant pas cet échange.

[48] Le défendeur a fait valoir que le niveau d’équité procédurale auquel a droit un employé dans le cadre d’une procédure interne de règlement des griefs se situe à l’extrémité inférieure du continuum (De Santis c Canada (Procureur général), 2020 CF 723 au para 28, et Hagel c Canada (Procureur général), 2009 CF 329 au para 35). L’employé a le droit d’être informé des faits défavorables à sa thèse et d’y répondre. Cependant, il n’existe pas de droit à la divulgation du moindre document que l’employeur a en sa possession. Le défendeur a invoqué les paragraphes 28 et 30 de la décision De Santis ainsi que le paragraphe 66 de la décision Moodie c Canada (Procureur général), 2014 CF 433. Voir aussi Clarke c Canada (Procureur général), 2016 CF 977 aux para 15‑17.

[49] Le défendeur a soutenu que le demandeur connaissait la preuve à réfuter, puisqu’il était à l’origine de la procédure de règlement des griefs (citant la décision De Santis, au para 30). L’échange de courriels visait à vérifier ses propres allégations dans le cadre du deuxième palier de la procédure de règlement du grief. Le défendeur a fait valoir que le demandeur n’a pas expliqué de quelle manière le contenu des courriels échangés nuisait à sa capacité de connaître la preuve à réfuter.

[50] Aucune des parties n’a présenté d’observations concernant les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 22‑28.

[51] Après mûre réflexion, je ne suis pas convaincu que l’employeur a privé le demandeur de son droit à l’équité procédurale en ne lui divulguant pas cet échange de courriels avant la décision rendue au dernier palier.

[52] Lorsqu’elle procède au contrôle judiciaire des questions d’équité procédurale, la Cour ne doit pas faire preuve de déférence à l’égard du décideur. La question est de savoir si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, en mettant l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne : Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Office des transports), 2021 CAF 69 aux para 46‑47; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 RCF 121, particulièrement aux para 49 et 54.

[53] En l’espèce, le cadre juridique applicable à l’équité procédurale a été décrit par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Gladman c Canada (Procureur général), 2017 CAF 109 :

[40] À moins d’indication contraire du législateur, le droit d’être informé de faits importants défavorables non divulgués qui sont pris en compte par un décideur et le droit de présenter des observations à leur sujet (sous une forme ou une autre) constituent le niveau minimal d’équité auquel a droit toute personne dont les droits, privilèges ou intérêts sont compromis par un décideur public. Comme l’ont noté la Cour suprême du Canada et notre Cour, cette divulgation, accompagnée de la possibilité correspondante de présenter des observations, permet d’éviter que l’intéressé, en l’occurrence M. Gladman, soit laissé dans l’ignorance à propos d’un processus qui finira par avoir des conséquences positives ou négatives sur ses intérêts, et la divulgation permet aussi à l’intéressé d’être en mesure de contester adéquatement une décision en exerçant le recours à sa disposition : [renvois omis] […].

[54] En l’espèce, la question d’ordre général consiste à savoir si le demandeur connaissait suffisamment la position factuelle de l’employeur sur son grief pour être en mesure de véritablement participer à la procédure et de répondre à la position grâce à ses propres éléments de preuve et arguments : voir Moodie, au para 66. La question précise est celle de savoir si les courriels échangés comportaient de nouveaux faits importants défavorables qui auraient dû être divulgués au demandeur avant que la décision soit rendue au dernier palier. Je suis d’avis que le demandeur n’en a pas démontré l’existence.

[55] Premièrement, il s’agit en l’espèce d’une décision rendue au troisième et dernier palier à l’égard d’un grief déposé par le demandeur à la suite de son renvoi à titre d’employé stagiaire. Bien que le niveau d’équité procédurale se situe à l’extrémité inférieure du continuum, le demandeur a néanmoins certains droits de participation, dont le droit d’être entendu : Baouya c Canada (Bureau d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports), 2023 FC 90 au para 36; Kohlenberg, au para 23; De Santis, au para 28, citant Canada (Procureur général) c Allard, 2018 CAF 85 au para 41.

[56] Dans le contexte d’un grief en matière d’emploi, la Cour a récemment conclu que l’équité procédurale n’exige pas qu’un employeur divulgue des courriels ou un mémoire antérieur à la décision (tel que l’aperçu du grief). La question de l’équité procédurale est liée à celle de savoir si le document comporte des faits importants qui étaient nouveaux ou dont l’employé s’estimant lésé n’avait pas connaissance : Burlacu c Canada (Procureur général), 2022 CF 1179 aux para 16‑19; Burlacu c Canada (Procureur général), 2022 CF 1112 aux para 40, 43‑45; Burlacu c Canada (Procureur général), 2021 CF 864, au para 29.

[57] Deuxièmement, dans la présente affaire, tout comme dans l’affaire De Santis, c’est le demandeur qui a déposé le grief. C’est donc lui (avec son représentant syndical) qui a énoncé le fondement factuel et formulé les questions. Le demandeur était manifestement au courant de ce qui s’était passé pendant son stage. Il était présent lors des circonstances à l’origine de ses allégations et il a communiqué avec l’employeur, que ce soit par courriel ou en personne. Accompagné d’un représentant syndical, le demandeur a fait des présentations au cours des réunions de consultation à chacun des trois paliers de la procédure de règlement des griefs.

[58] Troisièmement, comme l’a fait remarquer le défendeur, une partie du contenu des courriels échangés reprenait des renseignements figurant dans d’autres documents que le demandeur avait en sa possession avant la décision rendue au dernier palier le 2 mars 2022. Le contenu des courriels échangés en septembre 2021 concernant les autres mesures de soutien offertes au demandeur (mais qu’il a refusées) reprenait le contenu de courriels antérieurs envoyés au demandeur par le chef d’équipe par intérim les 26 février 2021 et 22 mars 2021. Comme je l’ai déjà mentionné, ces courriels confirmaient les conversations tenues entre le demandeur et le chef d’équipe par intérim après les deux premiers examens auxquels le demandeur a échoué.

[59] De plus, avant la décision rendue au dernier palier, le demandeur avait reçu les décisions rendues au premier et au deuxième paliers. Ces deux décisions lui donnaient des renseignements supplémentaires sur la position de l’employeur, auxquels il devait répondre s’il voulait avoir gain de cause au dernier palier.

[60] Dans la décision rendue au premier palier, EDSC a indiqué que [traduction] « le superviseur [du demandeur lui] avait demandé à maintes reprises au cours de [sa] formation s[‘il] avait besoin de mesures d’adaptation ou d’autres mesures de soutien et, chaque fois, [le demandeur] avait répondu qu[‘il] n’en avait pas besoin ». Dans la décision rendue au premier palier, il était indiqué que le demandeur avait été invité à faire appel au Programme d’aide aux employés. Il était également indiqué que la pandémie avait posé de nombreux défis et avait transformé la manière de donner de la formation et de fournir des services, mais que les mesures d’adaptation n’avaient pas permis au demandeur de répondre aux attentes de rendement au cours de sa formation.

[61] La décision rendue au deuxième palier allait dans le sens de la première. Il était conclu que l’employeur s’était assuré que le demandeur avait obtenu les ressources et le soutien nécessaires pour devenir un agent de services aux paiements pleinement qualifié. Il était également indiqué qu’il avait eu l’occasion à plusieurs reprises de définir d’autres mesures de soutien et d’envisager la prise de mesures d’adaptation, ce qu’il avait refusé de faire.

[62] Quatrièmement, à l’audience, le demandeur a affirmé, sans entrer dans les détails, qu’il n’approuvait pas du tout le contenu des courriels échangés. Il n’y a rien relevé de nouveau pour lui. Il n’a pas non plus expliqué comment ni pourquoi les arguments soulevés dans son grief auraient été différents si certains faits lui avaient été divulgués, ni en quoi sa réponse aurait différé s’il avait reçu l’échange de courriels plus tôt. Le demandeur n’a relevé aucun élément de preuve dont la décideuse disposait (ni tenté d’en présenter de nouveaux) qui contredisait le contenu des courriels échangés. Comme l’a conclu le juge Zinn dans la décision Clarke, une réponse plus détaillée et précise était requise de la part du demandeur avant que je puisse conclure à l’existence de nouveaux faits importants défavorables non divulgués dans les courriels échangés qui le privaient de son droit à l’équité procédurale : Clarke, au para 17. Voir aussi Taseko Mines Limited c Canada (Environnement), 2019 CAF 320 aux para 52‑54, 61‑64.

[63] Enfin, d’après mon propre examen de l’échange de courriels, de l’aperçu du grief et des décisions rendues à chacun des trois paliers, je conclus que les courriels échangés ne comportent aucun renseignement non divulgué qui aurait pu faire pencher la balance de façon importante en faveur du demandeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Par exemple, les courriels échangés ne faisaient référence à aucune erreur possible dans les résultats d’examen du demandeur ayant mené à son renvoi ni à aucun nouvel élément de preuve pouvant appuyer son allégation de mauvaise foi. L’échange de courriels portait sur les communications avec le demandeur lui‑même. Comme il était indiqué dans la décision rendue au dernier palier, l’exactitude de ses notes a par la suite été confirmée.

[64] Compte tenu de l’ensemble des circonstances juridiques et factuelles, je conclus que le demandeur n’a pas démontré l’existence de nouveaux faits importants défavorables non divulgués dans les courriels échangés qui a donné lieu à un manquement à l’équité procédurale au dernier palier.

IV. Conclusion

[65] Pour les motifs qui précèdent, la demande sera rejetée. Le défendeur n’a pas demandé de dépens.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑897‑22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande est rejetée, sans dépens.

« Andrew D. Little »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T‑897‑22

 

INTITULÉ :

SAMAN ABDI c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 JANVIER 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 MAI 2023

COMPARUTIONS :

Saman Abdi

 

POUR SON PROPRE COMPTE

Marie‑France Boyer

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marie‑France Boyer

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 



[1] Au début, le demandeur avait été informé qu’il devait obtenir au moins 75 % dans les cinq examens, mais cette information a par la suite été rectifiée.

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