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Date : 20230706


Dossier : T-461-23

Référence : 2023 CF 929

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 juillet 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

JENNIFER HORSMAN

demanderesse

et

LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE, en tant qu’organisme de PÊCHES ET OCÉANS CANADA

défenderesse

et

SERVICES PUBLICS ET APPROVISIONNEMENT CANADA, en tant qu’administrateur du SYSTÈME DE PAYE DE PHÉNIX

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les défendeurs, la Garde côtière canadienne (la GCC) et Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC), ont présenté une requête visant à faire radier la déclaration de la demanderesse pour des motifs de compétence au titre de l’article 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles).

[2] Les défendeurs soutiennent que, selon l’article 236 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, LC 2003, c 22, art 2 (la LRTSPF), la Cour n’a pas compétence pour statuer sur la déclaration de la demanderesse.

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente requête est accueillie.

II. Les faits

[4] La GCC est un organisme de service spécial du ministère des Pêches et des Océans. SPAC est un ministère du gouvernement du Canada qui administre la paye des fonctionnaires au service des employeurs fédéraux au moyen du système de paye Phénix (Phénix).

[5] La demanderesse, Jennifer Horsman, n’est pas représentée par un avocat dans la présente instance. De novembre 2011 à mai 2021, elle a travaillé comme coordonnatrice de recherche et sauvetage maritime de la GCC au Centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage (le CCCOS) à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Le 1er mai 2021, elle a informé la GCC de son choix de quitter son emploi.

[6] La demanderesse dit avoir reçu une lettre d’un conseiller en événements de la vie de Pêches et Océans Canada le 26 avril 2021. Cette lettre l’informait que les seuls arrérages dans son compte étaient un paiement de transition unique effectué le 21 mai 2014. La demanderesse ajoute qu’elle n’a pas contesté la somme et qu’elle l’a recouvrée lorsque son indemnité de cessation d’emploi lui a été versée. Elle affirme qu’elle était en droit de considérer cette lettre comme le règlement final de sa relation financière avec les défendeurs.

[7] En mars 2022, la demanderesse a recommencé à travailler au CCCOS à Halifax à titre d’employée temporaire. Elle dit avoir remis ses feuilles de temps pour ce travail le 13 juillet 2022.

[8] La demanderesse dit avoir reçu, le 15 août 2022 ou vers cette date, un courriel de SPAC l’informant qu’elle avait perçu un trop-payé de 8 752,28 $ pour sa période d’emploi de 2016 à 2020. Cette somme représentait le solde d’un trop-payé en partie recouvré qui s’élevait à 12 662,49 $. Les démarches de recouvrement du trop-payé ont été entreprises le 28 septembre 2022, après que la demanderesse eut repris son travail à la GCC à titre d’employée occasionnelle.

[9] La demanderesse affirme qu’elle a clairement fait connaître son intention de contester le montant du trop-payé. Elle allègue qu’elle avait tenu un journal détaillé des jours travaillés, y compris tous les quarts de travail en heures supplémentaires, et que les entrées de ce journal ne correspondaient pas aux versements excédentaires allégués dans le courriel de SPAC reçu le 15 août. Selon elle, Phénix a mal géré sa rémunération.

[10] La demanderesse aurait tenté de résoudre ses problèmes de rémunération en communiquant avec la direction de la GCC, en déposant une plainte auprès d’Emploi et Développement social Canada concernant le salaire non versé, et en sollicitant l’aide de son syndicat, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’AFPC). Elle affirme que ces démarches ont été vaines et que la mauvaise gestion de sa rémunération lui a causé de graves difficultés financières et une grande tension mentale.

[11] Le 8 mars 2023, la demanderesse a déposé une déclaration contre les défendeurs auprès de la Cour. Le 21 avril 2023, les défendeurs ont déposé un avis de requête modifié qui visait l’obtention d’une ordonnance radiant la déclaration au titre de l’article 221 des Règles.

III. La question en litige et la norme de contrôle applicable

[12] La seule question en litige est celle de savoir si la déclaration doit être radiée pour des motifs de compétence au titre de l’article 221 des Règles.

[13] La Cour a exposé le critère juridique applicable à une requête en radiation pour des motifs de compétence : il doit être « évident et manifeste, en supposant que les faits allégués sont avérés ou prouvables, que notre Cour n’a pas compétence quant à la réclamation du demandeur » (Ebadi c Canada, 2022 CF 834 au para 26). Tel que l’a établi la Cour suprême du Canada dans R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, le critère du caractère « évident et manifeste » exige de se demander si « la demande [n’a] aucune possibilité raisonnable d’être accueillie » (au para 17; voir aussi Apotex Inc c Ambrose, 2017 CF 487 au para 38).

IV. Analyse

[14] Les défendeurs font valoir que l’article 236 de la LRTSPF prévoit qu’un fonctionnaire n’a aucun droit d’action lorsqu’il dispose d’un droit de recours relativement à tout différend lié à ses conditions d’emploi. L’article 236 est ainsi libellé :

Différend lié à l’emploi

236 (1) Le droit de recours du fonctionnaire par voie de grief relativement à tout différend lié à ses conditions d’emploi remplace ses droits d’action en justice relativement aux faits — actions ou omissions — à l’origine du différend.

Application

(2) Le paragraphe (1) s’applique que le fonctionnaire se prévale ou non de son droit de présenter un grief et qu’il soit possible ou non de soumettre le grief à l’arbitrage.

Disputes relating to employment

236 (1) The right of an employee to seek redress by way of grievance for any dispute relating to his or her terms or conditions of employment is in lieu of any right of action that the employee may have in relation to any act or omission giving rise to the dispute.

Application

(2) Subsection (1) applies whether or not the employee avails himself or herself of the right to present a grievance in any particular case and whether or not the grievance could be referred to adjudication.

[15] Les défendeurs soutiennent que toutes les allégations que la demanderesse a formulées dans sa déclaration sont directement liées à son emploi au sein de la GCC. Ils affirment que la rémunération pour un travail effectué est clairement une question relative à l’emploi et qu’elle est régie par la convention collective de la demanderesse.

[16] Les défendeurs soutiennent que les employés syndiqués et non syndiqués ont le droit de déposer un grief suivant l’article 206 de la LRTSPF. Ils soutiennent également que l’article 208 de la LRTSPF confère aux employés le droit général de présenter un grief relativement à presque tous les différends liés à l’emploi. Ils soulignent, en citant les paragraphes 28 et 29 de la décision Price c Canada (Procureur général), 2016 CF 649, que la demanderesse, en tant qu’ancienne employée de la GCC, a le droit de présenter un grief sous le régime de la convention collective relativement à des faits qui se sont produits lorsqu’elle était employée dans la fonction publique.

[17] Les défendeurs s’appuient sur la décision Adelberg c Canada, 2023 CF 252 (Adelberg), dans laquelle la Cour est parvenue à la conclusion suivante :

[13] Le paragraphe 236(1) de la LRTSPF a été reconnu comme une [traduction] « éviction explicite » de la compétence des tribunaux (Bron v Canada (Attorney General), 2010 ONCA 71 [Bron] au para 4). Une fois qu’il est établi qu’une question doit faire l’objet d’un grief, le processus de grief ne peut être contourné, même pour des raisons d’efficacité, en invoquant la compétence résiduelle d’un tribunal (Bouchard c Procureur général du Canada, 2019 QCCA 2067).

[18] Dans un affidavit déposé le 13 juin 2023, la demanderesse a affirmé qu’elle avait communiqué avec l’AFPC pour obtenir de l’aide concernant ses problèmes de rémunération et qu’un spécialiste des relations de travail avait été affecté à son dossier. Elle a également affirmé qu’on lui avait conseillé de présenter un grief. Elle a ajouté qu’elle avait le droit d’être représentée par son syndicat, mais qu’elle en avait été privée. Elle a affirmé que l’AFPC lui avait finalement conseillé de communiquer avec le bureau de son député local, qui l’avait informée qu’il ne pouvait rien faire de plus que de plaider sa cause.

[19] Je conclus que le critère du caractère « évident et manifeste » applicable à une requête visant à faire radier une demande pour défaut de compétence est respecté en l’espèce. Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que le libellé du paragraphe 236(1) de la LRTSPF rend clairement la déclaration de la demanderesse irrecevable et exige que la demanderesse demande réparation selon la procédure de grief générale dont elle dispose relativement aux questions liées à son emploi sous le régime de sa convention collective.

[20] Je comprends la frustration que, manifestement, cette situation cause à la demanderesse, ainsi que la tension mentale et les difficultés financières que la demanderesse dit avoir subies. La demanderesse a exprimé cette frustration à l’audience, et j’espère qu’en tant que plaideuse non représentée, elle s’est sentie écoutée par la Cour. Je suis sensible à sa situation, mais les demandes qu’elle a formulées concernant la mauvaise gestion de sa rémunération en tant qu’ancienne employée de la GCC sont directement liées à ses conditions d’emploi. De telles demandes « doi[vent] faire l’objet d’un grief », un processus qui ne peut être contourné « en invoquant la compétence résiduelle d’un tribunal » (Adelberg, au para 13, citant Bron v Canada (Procureur général), 2010 ONCA 71 au para 4; Bouchard c Procureur général du Canada, 2019 QCCA 2067).

[21] Les défendeurs sollicitent les dépens de la présente requête, mais, en l’espèce, je juge qu’il n’est pas justifié de les adjuger contre la demanderesse.

V. Conclusion

[22] À mon avis, il est évident et manifeste que, selon l’article 236 de la LRTSPF, la Cour n’a pas compétence pour entendre la déclaration de la demanderesse. Par conséquent, la requête des défendeurs visant à faire radier la déclaration est accueillie, sans dépens.


ORDONNANCE dans le dossier T-461-23

LA COUR ORDONNE que la requête présentée au titre de l’article 221 des Règles en vue de faire radier la déclaration est accueillie, sans autorisation de modification et sans dépens.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

N. Belhumeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-461-23

 

INTITULÉ :

JENNIFER HORSMAN c LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE, EN TANT QU’ORGANISME DE PÊCHES ET OCÉANS CANADA, ET SERVICES PUBLICS ET APPROVISIONNEMENT CANADA, EN TANT QU’ADMINISTRATEUR DU SYSTÈME DE PAYE DE PHÉNIX

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 JUIN 2023

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 JUILLET 2023

 

COMPARUTIONS :

Jennifer Horsman

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Corinne Bedford

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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