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Date : 20230804


Dossier : T-1513-22

Référence : 2023 CF 1076

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 août 2023

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

KEVIN HAYNES

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Kevin Haynes, agit pour son propre compte. Il est développeur de logiciels et travaille à Emploi et Développement social Canada (EDSC) depuis 2008. Il est employé comme analyste de programme au sein de la Direction générale de l’innovation, de l’information et de la technologie.

[2] M. Haynes a reçu un diagnostic d’autisme à l’âge de 3 ans. Au départ, il n’a pas demandé de mesures d’adaptation pour sa déficience, mais en 2016, il a fourni un billet de médecin confirmant sa déficience et prescrivant la prise de certaines mesures d’adaptation au travail.

[3] Le 10 mai 2021, M. Haynes a présenté un grief officiel comportant 13 allégations de harcèlement et de discrimination en milieu de travail, de même qu’une demande de mesures correctives et d’indemnisation [le grief]. M. Haynes explique qu’il a présenté le grief dans le but de mettre un terme au harcèlement, à la discrimination et à la violence dont il faisait l’objet au travail. Dans le grief, il allègue notamment que l’employeur a toujours refusé de tenir compte de sa déficience et qu’il a fait l’objet d’un traitement défavorable fondé sur sa race et sa déficience, deux facteurs intersectionnels. L’un des points centraux du grief de M. Haynes est que celui-ci s’est vu refuser un travail de niveau égal ou supérieur au sien, ce qui l’a rendu oisif et l’a empêché d’être actif et de relever des défis au travail.

[4] Le 23 juin 2022, à la suite d’une audience relative au grief de dernier palier, la sous‐ministre adjointe, Darlene de Gravina [la décideuse], a rendu sa décision par laquelle elle a accueilli le grief en partie [la décision].

[5] M. Haynes demande le contrôle judiciaire de la décision au motif que celle-ci est viciée et que la décideuse n’a pas rendu une décision transparente, justifiée et intelligible. Le défendeur soutient qu’il était raisonnable de la part de la décideuse de conclure qu’elle ne disposait pas de renseignements suffisants pour statuer sur les allégations de discrimination et de harcèlement de M. Hayes et que la décision de la décideuse selon laquelle une enquête administrative serait nécessaire était claire et cohérente.

[6] Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

II. Contexte

[7] Dans ses actes de procédure et lors de l’audience, M. Haynes a fait remarquer que le présent grief n’est pas la première plainte qu’il a déposée auprès de son employeur au sujet des mesures d’adaptation liées à sa déficience, de la discrimination et du harcèlement. Selon M. Haynes, le processus actuel est le résultat d’un problème qu’EDSC a esquivé et n’a pas réglé pendant des années. M. Haynes souligne que certaines des questions soulevées précèdent le dépôt du grief de plusieurs années.

[8] M. Haynes a déjà déposé quatre plaintes au titre de la politique de harcèlement d’EDSC, dont deux ont été rejetées et deux ont été accueillies en partie. Une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la fonctionnaire désignée avait souscrit aux conclusions des quatre rapports d’enquête a été rejetée (2020 CF 536), comme l’appel subséquent (2023 CAF 158).

[9] En ce qui concerne le présent grief, déposé le 10 mai 2021, les parties ont convenu de le transmettre directement au deuxième palier de décision, évitant ainsi le premier palier. Une offre de médiation a été présentée, mais M. Hayes l’a rejetée parce qu’il estimait que ses supérieurs n’avaient pas été honnêtes et transparents avec lui.

[10] M. Haynes a eu de nombreux échanges avec le décideur de deuxième palier, le directeur général de la Direction générale de l’innovation, de l’information et de la technologie, M. Nasser Alsukayri, avant que la décision ne soit rendue. Plus précisément, M. Alsukayri a proposé de faire appel au Centre d’expertise sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, ce que le demandeur a accepté, afin de s’assurer que M. Haynes bénéficie de toutes les mesures d’adaptation nécessaires.

[11] Après l’audience du 11 juin 2021, M. Alsukayri a également demandé un délai supplémentaire pour examiner l’affaire, jusqu’au 30 juillet 2021, ce que M. Haynes a accepté. Le 30 juillet 2021, M. Alsukayri a demandé une autre prorogation afin d’obtenir des renseignements complémentaires auprès de M. Haynes et d’effectuer une analyse approfondie compte tenu de la nature du grief. Le 2 août 2021, M. Haynes a refusé et a demandé que la décision soit rendue le jour ouvrable suivant. Le 3 août 2021, M. Alsukayri a rejeté le grief, indiquant que, en l’absence de précisions à l’égard des allégations, il ne pouvait pas conclure que la direction avait manqué à son obligation de prendre des mesures d’adaptation ou avait violé le code de conduite d’EDSC, ou qu’elle n’avait pas créé et maintenu un lieu de travail sain et exempt de harcèlement, de discrimination et de violence. Il a également conclu que M. Haynes n’avait pas démontré que ses caractéristiques protégées avaient joué un rôle dans les actions de ses superviseurs.

[12] Le 1er septembre 2021, parallèlement à la poursuite de la procédure de règlement des griefs, M. Haynes et son employeur ont conclu une entente relative à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation comprenant toutes les mesures d’adaptation prescrites dans le billet du médecin fourni par M. Haynes.

[13] En septembre 2021, le grief a été transmis au décideur du dernier palier, le dirigeant principal de l’information, M. Peter Littlefield. Le 3 septembre 2021, M. Littlefield a proposé de tenir une discussion dirigée avec un professionnel du Bureau de la gestion informelle des conflits afin que la direction entende les préoccupations de M. Haynes et comprenne les questions soulevées dans le grief. Le 7 septembre 2021, M. Haynes a refusé cette offre et a demandé que le processus se poursuive. Par conséquent, l’audience relative au grief a eu lieu le 8 septembre 2021, comme prévu.

[14] Après l’audience, des efforts ont été déployés pour que des discussions soient tenues en vue d’un règlement. Des réunions ont eu lieu les 4 et 18 octobre 2021 et divers échanges ont suivi en novembre. Le 25 novembre 2021, M. Haynes a informé M. Littlefield que, si une nouvelle discussion en vue d’un règlement n’était pas prévue d’ici la fin de la journée, il n’essaierait plus de recourir à ce genre de discussion et demanderait qu’une décision soit rendue relativement au grief dans les quatre jours suivants. Le 29 novembre 2021, M. Littlefield a répondu qu’il restait disposé à poursuivre les discussions, mais a pris note de la demande de M. Haynes et a confirmé qu’il rendrait une décision d’ici le 1er décembre 2021.

[15] Le 1er décembre 2021, M. Littlefield a rendu une décision de dernier palier par laquelle il a rejeté le grief et les mesures correctives demandées. En ce qui a trait à la question de la discrimination, M. Littlefield a estimé que M. Haynes n’avait pas fourni suffisamment de renseignements pour démontrer que ses caractéristiques protégées avaient joué un rôle dans les décisions relatives à la gestion du rendement et à l’attribution de travail valorisant. En ce qui concerne le harcèlement, M. Littlefield a jugé que certains des renseignements fournis répondaient, à première vue, à la définition de harcèlement, et il a indiqué qu’il explorait actuellement les options à sa disposition afin de décider s’il y avait effectivement eu harcèlement. Il a toutefois jugé que, sans confirmation des allégations de M. Haynes, il ne pouvait pas conclure que M. Haynes avait été harcelé.

[16] Le 4 janvier 2022, M. Haynes a demandé le contrôle judiciaire de la décision de dernier palier rendue par M. Littlefield. M. Haynes a invoqué certains motifs, notamment le fait que M. Littlefield n’avait pas examiné l’ensemble des questions et des éléments de preuve présentés et n’avait pas répondu à toutes les allégations. Le défendeur a demandé que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée pour réexamen. Le 15 février 2022, la Cour a annulé la décision de M. Littlefield et a renvoyé l’affaire pour réexamen (jugement du juge Simon Fothergill rendu le 15 février 2022 dans le dossier T-13-22). Conformément au jugement, M. Haynes s’est vu offrir une autre possibilité de présenter des éléments de preuve et des observations avant tout nouvel examen. La Cour n’a adjugé aucuns dépens. M. Haynes a interjeté appel sur la question des dépens, et celui-ci est toujours en instance.

[17] En vue du nouvel examen, l’affaire a été confiée à la décideuse, Mme de Gravina. Entre mars et mai 2022, M. Haynes a eu divers échanges avec une conseillère principale en ressources humaines au sujet des mesures d’adaptation pour l’audience, des documents supplémentaires pour la décideuse, de la prolongation de la durée de l’audience et de la période d’examen des documents avant l’audience. Parallèlement, en avril 2022, M. Haynes a modifié son grief pour y inclure des chefs de dommages supplémentaires, à savoir des dommages-intérêts généraux, spéciaux, moraux, punitifs, majorés, pécuniaires et non pécuniaires, ainsi que des dommages-intérêts pour diffamation, infliction de souffrance morale et préjudice moral.

[18] L’audience relative au grief a eu lieu le 3 juin 2022. Le 10 juin 2022, la décideuse a écrit à M. Haynes pour l’informer que, à la lumière des arguments présentés lors de l’audience, elle avait jugé qu’il y avait suffisamment de préoccupations pour justifier un examen plus approfondi des allégations et a proposé qu’une société externe soit mandatée pour procéder à un examen préliminaire des allégations. La décideuse a reconnu que M. Haynes avait, au cours de l’audience, indiqué qu’il estimait qu’il y avait eu des retards injustifiés et que, par le passé, il n’avait pas souhaité mettre le grief en suspens pendant la durée de l’enquête. La décideuse a fait remarquer qu’il s’agissait de son premier contact avec le dossier et qu’elle souhaitait donc présenter deux options :

[traduction]

Option 1 : Fournir une réponse au grief de dernier palier dans les délais établis par la procédure de règlement des griefs (c.-à-d. au plus tard le 4 juillet 2022). La réponse au grief et les mesures correctives seraient fondées sur les renseignements dont je dispose actuellement. Malgré ce qui précède, je ne peux pas répondre adéquatement aux allégations de harcèlement et à la question de savoir si vous avez ou non bénéficié d’un lieu de travail exempt de harcèlement, car vos allégations n’ont pas fait l’objet d’une évaluation/enquête complète.

Option 2 Conclure un accord mutuel pour mettre le grief en suspens en attendant les résultats de l’enquête. À l’issue du processus d’enquête, une réponse au grief serait préparée et comprendrait les mesures correctives envisageables.

[19] Le 14 juin 2022, M. Hayes a répondu et a demandé que la décision soit rendue dans les délais prévus par la procédure de règlement des griefs. Il a également indiqué que, si la décideuse ne pouvait pas ou ne voulait pas répondre aux allégations contenues dans son grief, elle ne pouvait pas ou ne voulait pas procéder à un réexamen, même si le défendeur avait accepté un réexamen dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire.

[20] Le 15 juin 2022, la décideuse a fourni la réponse suivante :

[traduction]
En réponse à votre message ci-dessous, je tiens à préciser que, bien que je ne puisse conclure à l’existence de harcèlement, de discrimination et de violence sans enquêter sur les allégations que vous avez formulées, il est faux de supposer que je ne suis pas disposée à le faire. En effet, comme je l’ai indiqué dans mon message ci-dessous, je m’engage à mandater une société externe pour faire examiner les incidents que vous avez signalés afin de déterminer le bien-fondé des allégations de discrimination, de harcèlement et/ou de violence.

[21] Elle fait remarquer que M. Hayes a refusé de mettre le grief en suspens dans l’attente d’une enquête et mentionne qu’elle respectera sa décision et qu’elle s’engage à rendre une décision dans les vingt jours ouvrables.

[22] Le 23 juin 2022, la décideuse a rendu la décision par laquelle elle a accueilli en partie le grief et les mesures correctives. Elle a reconnu que [traduction] « la direction n’[avait] pas été en mesure de fournir à [M. Haynes] une évaluation du rendement à la fin de 2020-2021 », mais a souligné qu’un plan de gestion des talents avait été établi pour 2021-2022 et qu’elle était [traduction] « convaincue que, à l’avenir, les gestionnaires s’acquitteraient de leurs responsabilités, telles que décrites dans la directive sur la gestion du rendement ».

[23] En ce qui concerne les allégations 1 à 7, que la décideuse a regroupées sous la rubrique portant sur la gestion du rendement et la discrimination (fondée sur la déficience et la race), elle a admis que M. Haynes avait subi des répercussions négatives, en ce sens qu’il n’avait pas bénéficié de l’ensemble des normes applicables en matière d’attribution des tâches et de gestion du rendement. Elle a toutefois indiqué qu’elle n’était pas en mesure de déterminer si la déficience ou la race de M. Haynes constituait un facteur sur le plan de la gestion du rendement et, à cet égard, a [traduction] « pris la décision de mandater une société externe pour examiner les incidents soulevés par [M. Haynes] et mener une enquête administrative sur l’affaire ». Elle a ajouté que M. Haynes s’était vu offrir une mise en suspens dans l’attente de la conclusion de l’enquête, mais qu’il l’avait refusée et que, par conséquent, la décision avait été rendue.

[24] En ce qui concerne les allégations 8 à 12, qu’elle a regroupées sous la rubrique portant sur le harcèlement, la décideuse a indiqué que, à la lumière des éléments de preuve présentés, elle n’était pas en mesure de conclure qu’il y avait eu harcèlement. Elle a fait remarquer qu’elle était tout de même préoccupée par les incidents portés à son attention et qu’elle les inclurait donc dans le mandat confié à l’enquêteur.

[25] Enfin, en ce qui concerne l’allégation 13 relative aux mesures d’adaptation au travail, la décideuse a souligné l’allégation de M. Haynes selon laquelle il n’avait pas bénéficié de toutes les mesures d’adaptation requises, malgré l’entente relative à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. Elle a indiqué qu’elle était donc prête à travailler avec l’équipe de direction de M. Haynes pour s’assurer de la réception des renseignements les plus récents sur la limitation fonctionnelle de M. Haynes et de leur prise en compte adéquate dans une entente mise à jour, une fois que ce dernier serait apte à retourner au travail. M. Haynes n’était pas au travail au moment de la décision, car il avait pris un congé de maladie en novembre 2021.

[26] Le 22 juillet 2022, M. Haynes a déposé la présente demande de contrôle judiciaire visant la décision contestée, en vue de faire annuler celle-ci et d’obtenir une ordonnance prévoyant la tenue d’une enquête par un tiers ainsi que certaines conditions, notamment que les mesures correctives lui soient accordées, que le défendeur mette fin au harcèlement, à la discrimination et aux mauvais traitements à son égard, et que les dépens lui soient adjugés.

[27] Le 30 janvier 2023, la semaine précédant l’audience de la présente affaire, j’ai convoqué une conférence préparatoire à l’audience compte tenu de la nature des allégations et de la déficience de M. Haynes. J’ai discuté avec M. Haynes et le défendeur de la question des mesures d’adaptation que pourrait nécessiter M. Haynes le jour de l’audience. J’ai accédé à la demande de M. Haynes pour que sa mère, Mme Haynes, s’assoie avec lui à la table des avocats pendant l’audience. J’ai passé en revue les différentes possibilités de pause et la gestion du temps au cours de l’audience d’une journée afin que M. Haynes comprenne le déroulement de la journée et sache qu’il existe une certaine flexibilité en ce qui concerne l’horaire et la durée des pauses. Les avocats du défendeur et M. Haynes ont convenu de poursuivre la discussion sur la répartition du temps et la planification au cours de la semaine précédant l’audience. À la demande de la Cour, les avocats du défendeur et M. Haynes ont également accepté de discuter de l’adjudication des dépens afin de déterminer s’il était possible de parvenir à un accord à cet égard avant l’audience.

[28] L’audience d’une journée a eu lieu le 7 février 2023. Mme Haynes a été autorisée à s’asseoir avec M. Haynes à la table des avocats et à l’assister pendant l’audience. Des pauses ont été proposées et prises lorsqu’il y avait lieu. Je remercie les parties pour leur coopération et leurs efforts visant à assurer le déroulement ordonné et harmonieux de l’audience.

III. Question en litige et norme de contrôle

[29] Bien que diverses questions aient été soulevées, je suis d’avis que la question déterminante est de savoir si la décision est raisonnable.

[30] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 85 [Vavilov]).

[31] Il incombe à M. Haynes de démontrer que la décision est déraisonnable (Vavilov, au para 100). Pour pouvoir intervenir, la cour de révision doit être convaincue par la partie qui conteste la décision que celle-ci « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence », et que les lacunes ou insuffisances reprochées « ne [sont pas] simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Vavilov, au para 100).

[32] La cour doit centrer son attention sur la décision effectivement rendue, notamment sur la justification fournie, et non sur la conclusion à laquelle elle serait parvenue à la place du décideur administratif. La cour de révision ne doit pas modifier les conclusions de fait, à moins de circonstances exceptionnelles, et elle doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Vavilov, au para 125); Clark c Air Line Pilots Association, 2022 CAF 217 au para 9).

IV. Analyse

[33] M. Haynes soutient que la décision ne satisfait pas à la norme de la décision raisonnable parce que, entre autres, la décideuse n’a fourni aucune justification et n’a pas expliqué le raisonnement ou la logique qui l’a amenée à rejeter les allégations. M. Haynes soutient que la décision est inintelligible, car la décideuse n’a pas répondu à toutes les allégations et qu’il est impossible de savoir lesquelles des 13 allégations elle a acceptées ou refusées.

[34] M. Haynes souligne qu’il ne connaît pas les motifs des conclusions tirées par la décideuse à l’égard des allégations et que cette dernière a eu tort de regrouper les allégations en deux catégories, à savoir la gestion du rendement et la discrimination (les allégations 1 à 7), et le harcèlement (les allégations 8 à 12). L’allégation 13 a été traitée de façon distincte. Selon M. Haynes, ce regroupement constitue une caractérisation erronée de diverses allégations et nuit encore plus à la compréhension des motifs de la décision.

[35] Au cours de l’audience, M. Haynes a passé en revue chacune des 13 allégations et les mesures correctives demandées en fonction de la décision contestée et a présenté son analyse visant à savoir si chaque élément était [traduction] « décrit, analysé, accueilli, rejeté, justifié » par la décideuse. Il affirme que la grande majorité des allégations n’ont été ni analysées ni justifiées. Il fait valoir que, comme il a décliné la proposition d’enquête de la décideuse, celle-ci avait l’obligation de rendre une décision contenant les motifs et la justification de ses conclusions. M. Haynes estime qu’il ne lui était pas loisible d’éviter de répondre à ses arguments et d’opter pour une enquête. Il soutient que la décideuse disposait de suffisamment de renseignements pour statuer sur ces questions et qu’elle aurait dû le faire.

[36] Le défendeur fait valoir que, compte tenu du contexte et du dossier de preuve, il était raisonnable pour la décideuse de conclure qu’il n’y avait pas suffisamment de renseignements pour statuer sur les allégations de discrimination et de harcèlement de M. Haynes et donc de s’engager à mandater une société externe pour mener une enquête administrative. Il souligne que la preuve soumise à la décideuse par M. Haynes comprend une liste de noms d’employés et les dates des incidents, mais aucun détail sur les incidents eux-mêmes ou autre information sur ce qui s’est réellement passé.

[37] Le défendeur souligne en outre que le grief énonce les extraits des politiques, des codes et des lois qui, selon M. Haynes, ont été enfreints, mais ne fournit aucun exemple ou incident précis. Il s’appuie sur le résumé de l’audience relative au grief où Mme Brindamour, conseillère principale en ressources humaines, a demandé de plus amples renseignements sur les incidents. M. Haynes indique qu’il a fourni une feuille de calcul contenant les noms des employés, mais ajoute ce qui suit : [traduction] « Je ne suis pas entré dans les détails, car il y en a beaucoup, et je me suis fait dire de ne pas le faire parce que, s’il y avait une enquête, c’est dans le cadre de celle-ci que je devrais les fournir ».

[38] En ce qui concerne les mesures correctives, le défendeur souligne que, lors de l’audience relative au grief, M. Haynes a été interrogé sur les mesures correctives, sur ce qui pouvait être fait pour résoudre la situation et sur ce qu’il cherchait à obtenir. Le défendeur note que M. Haynes a répondu qu’il lui serait difficile de parler de mesures correctives, ne sachant pas encore quelle serait la décision. M. Haynes a fait la déclaration suivante : [traduction] « il est inutile que j’explique ce que j’aimerais qu’il soit fait alors que nous ne sommes même pas rendus à parler de mesures correctives parce que nous n’avons pas encore déterminé l’existence d’un préjudice ». M. Haynes a également déclaré qu’il avait [traduction] « énoncé les mesures à prendre, mais que, en même temps, il était prématuré d’en discuter, tant que le grief ne serait pas accepté, et qu’alors seulement nous pourrions parler des mesures correctives ».

[39] Le défendeur soutient que la décideuse avait en fait trois options : i) elle aurait pu rejeter les allégations en les jugeant non fondées, comme cela avait été le cas précédemment; ii) elle aurait pu accueillir le grief en l’absence d’allégations fondées; ou iii) elle aurait pu chercher à obtenir des renseignements supplémentaires par l’entremise d’un enquêteur tiers. Le défendeur fait valoir que l’option ii) n’était pas viable et que, en optant pour une enquête, la décideuse voulait aider M. Haynes. Dans les faits, la décision est finalement une avancée favorable à M. Haynes. Selon le défendeur, la décideuse cherchait à aider M. Haynes et s’était engagée à aller au fond des allégations contenues dans le grief. Le défendeur mentionne que M. Haynes a même tacitement convenu avec la décideuse qu’une enquête était appropriée, car celui-ci a demandé la tenue d’une enquête par un tiers dans le cadre de sa demande de réparation en l’espèce.

[40] Il ressort clairement de la décision que la décideuse était préoccupée par les incidents invoqués et a admis que M. Haynes n’avait pas bénéficié de l’ensemble des normes applicables en matière d’attribution des tâches et de gestion du rendement. Compte tenu de ce qui précède, on peut comprendre pourquoi la décideuse a choisi de procéder à une enquête plutôt que de rendre une décision rejetant les éléments du grief.

[41] La difficulté réside dans le fait que la décideuse avait informé M. Haynes après l’audience, dans son courriel du 10 juin 2022, qu’elle n’était pas en mesure de répondre adéquatement aux allégations en fonction des renseignements dont elle disposait et qu’elle proposait de mettre le grief en suspens dans l’attente des résultats de l’enquête. De même, elle lui avait offert la possibilité de fournir la réponse au grief au dernier palier dans le délai imparti. M. Haynes s’est vu proposer les deux options (citées dans la section II (Contexte) du présent jugement) et a opté pour que la décision soit rendue dans les délais de la procédure de règlement des griefs plutôt que pour la tenue d’une enquête. En conséquence, dans sa réponse, la décideuse a souligné de nouveau son incapacité à conclure à l’existence de harcèlement, de discrimination ou de violence sans la tenue d’une enquête, mais a confirmé qu’elle respecterait la volonté de M. Haynes, qui souhaitait qu’une décision soit rendue dans un délai de vingt jours ouvrables.

[42] Je conclus donc que la décision ne satisfait pas à la norme de la décision raisonnable établie dans l’arrêt Vavilov. Plus précisément, j’estime que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100). La décision se termine comme suit : [traduction] « Par conséquent, votre grief et les mesures correctives demandées sont accueillis en partie selon ce qui est décrit ci-dessus ». Je suis d’accord avec M. Haynes pour dire que, dans sa décision, la décideuse n’indique pas clairement les allégations qu’elle a rejetées ou accueillies et celles qu’elle a refusé de trancher.

[43] En fin de compte, la décideuse était tenue de rendre une décision concernant le grief au dernier palier à l’égard des allégations, en fonction du dossier dont elle disposait, étant donné que M. Haynes n’avait pas consenti à ce que l’affaire soit mise en suspens pour permettre la tenue d’une enquête. En cherchant à éviter de rendre une décision sur diverses allégations, la décideuse a finalement rendu une décision qui ne répond pas à la norme de la décision raisonnable. Par conséquent, j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire.

V. Réparation et dépens

[44] Dans son avis modifié de demande de contrôle judiciaire, M. Haynes sollicite une ordonnance visant à i) annuler la décision contestée; ii) obliger le défendeur à mandater un tiers pour mener une enquête externe sur les 13 allégations; iii) exiger que l’enquêteur choisi ait une spécialisation et une expertise dans les domaines intersectionnels des déficiences, des mauvais traitements, de la violence et des traumatismes mentaux/psychologiques ainsi que du racisme envers les Noirs; iv) permettre à M. Haynes d’examiner les références des candidats envisagés aux fins de l’enquête; v) enjoindre à M. Haynes et au défendeur de s’entendre quant au choix de l’enquêteur; vi) permettre à l’enquêteur d’élargir la portée de l’enquête si d’autres infractions ou manquements aux politiques ou aux lois sont découverts au cours de l’enquête; vii) contraindre le défendeur à cesser le harcèlement, la discrimination et les mauvais traitements psychologiques/mentaux à l’endroit de M. Haynes; viii) accorder toutes les mesures correctives décrites dans le grief mis à jour en avril 2022; ix) exiger que le défendeur cesse et s’abstienne d’exercer d’autres représailles à l’encontre de M. Haynes; x) accorder les dépens, les débours et tous les autres frais que la Cour juge nécessaires; et xi) exiger que le défendeur se conforme sans délai aux ordres de la Cour.

[45] En ce qui concerne le point viii), les mesures correctives décrites dans le grief mis à jour, M. Haynes les a regroupées en deux catégories, les [traduction] « injonctions » et les [traduction] « dommages-intérêts ». La première catégorie est composée des éléments suivants :

[traduction]

- L’employeur doit s’assurer d’offrir immédiatement un environnement de travail sécuritaire et exempt de harcèlement, de discrimination et de violence;

- L’employeur doit veiller à ce que le harcèlement, la discrimination et la violence ne se reproduisent plus à l’avenir;

- L’employeur doit veiller à ce qu’il n’y ait plus de représailles à mon encontre;

- L’employeur doit s’assurer de me fournir une entente de rendement juste, équitable et réalisable au début de l’exercice financier;

- L’employeur doit s’assurer de me fournir des objectifs professionnels/indicateurs de rendement SMART dans l’entente de rendement juste, équitable et réalisable;

- L’employeur doit veiller à ce que je reçoive une évaluation relative à l’entente de rendement à la fin de l’exercice financier;

- L’employeur doit s’assurer que la direction suit toutes les lignes directrices de la politique de gestion du rendement applicables;

- L’employeur doit respecter immédiatement toutes les mesures d’adaptation décrites dans les billets de mon médecin;

- L’employeur doit respecter immédiatement l’intégralité de l’entente sur les mesures d’adaptation en milieu de travail signée avec moi;

- L’employeur doit s’assurer qu’il n’y a plus de manquements au code de conduite d’EDSC en ce qui me concerne;

- L’employeur doit se conformer immédiatement à l’intégralité de la politique en cinq étapes d’EDSC relative à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation.

[46] Les mesures de la deuxième catégorie, les « dommages-intérêts », prévoient qu’EDSC verse des dommages-intérêts généraux, spéciaux, moraux, punitifs, majorés, pécuniaires et non pécuniaires, ainsi que des dommages-intérêts pour diffamation, infliction intentionnelle et négligente de souffrance morale et préjudice moral.

[47] Dans son mémoire et ses observations de vive voix, M. Haynes sollicite les dépens sur la base d’une indemnisation totale en fonction de l’allégation selon laquelle le défendeur s’est livré à un comportement [traduction] « répréhensible et scandaleux ». M. Haynes affirme que le défendeur a toujours évité de faire face à la situation et d’y remédier, ajoutant qu’il s’agit du deuxième contrôle judiciaire qu’il doit subir et qu’il ne devrait pas avoir à assumer le coût financier de l’accès à la justice.

[48] En ce qui a trait à sa demande de réparation concernant une enquête par un tiers et son rôle dans le choix et l’approbation d’un enquêteur, M. Haynes affirme que, en 2018, le défendeur a nommé un enquêteur en lien avec des plaintes antérieures, mais que [traduction] « l’enquêteur a mené une enquête biaisée en faveur du défendeur ». À cet égard, je note que M. Haynes a demandé un contrôle judiciaire de la décision par laquelle le fonctionnaire désigné avait accueilli les conclusions de l’enquêteur. La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire (2020 CF 536) et la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel (2023 CAF 158).

[49] Le défendeur soutient qu’il n’est pas de mauvaise foi et que le dossier montre qu’il a cherché à plusieurs reprises à entamer des discussions en vue d’un règlement et qu’il a proposé à deux reprises une enquête indépendante. Le défendeur souligne qu’il a consenti à un réexamen pour éviter une audience relative au premier contrôle judiciaire et qu’il s’est engagé à tenir une enquête et à prendre d’autres mesures d’adaptation, même si M. Haynes ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver les allégations contenues dans son grief. Le défendeur fait valoir que, même si la décideuse ne disposait pas de renseignements et d’éléments de preuve suffisants pour conclure à l’existence de discrimination et de harcèlement, elle a agi compte tenu de ses préoccupations et s’est engagée à en savoir davantage par la voie d’une enquête.

[50] Le défendeur soutient que, si M. Haynes obtient gain de cause, le recours approprié consistera à renvoyer l’affaire pour qu’elle soit réexaminée. Selon le défendeur, un verdict imposé est une réparation exceptionnelle utilisée lorsqu’un résultat précis est inévitable, ce qui n’est pas le cas pour les réparations demandées par M. Haynes.

[51] En ce qui concerne l’indemnisation complète des dépens, le défendeur souligne que M. Haynes n’a soumis aucun élément de preuve à l’appui de sa demande d’adjudication des dépens. Le défendeur fait valoir que les parties qui ne sont pas représentées par un avocat n’ont pas droit aux dépens, à l’exception d’un montant raisonnable, si elles peuvent démontrer qu’elles ont assumé un coût de renonciation en cessant d’exercer des activités rémunératrices.

[52] Je suis consciente que le renvoi de l’affaire pour réexamen entraînera une troisième réponse de dernier palier au présent grief. Je suis consciente également de la frustration exprimée par M. Haynes en raison du temps que l’affaire a pris depuis le dépôt initial du grief et je suis sensible à ses descriptions des répercussions de cette situation sur son bien-être.

[53] La présente affaire n’est pas un cas où la Cour peut exiger un résultat précis du décideur administratif. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a déclaré que, en règle générale, les cours de justice doivent respecter la volonté du législateur de confier l’affaire à un décideur administratif, mais qu’il existe des scénarios où le refus de renvoyer l’affaire peut s’avérer indiqué lorsqu’un résultat donné est inévitable, si bien que le renvoi de l’affaire ne servirait à rien (au para 142). Le recours au verdict imposé constitue un pouvoir exceptionnel qui ne devrait être exercé que dans les cas les plus clairs, ce qui sera rarement le cas lorsque la question en litige est essentiellement de nature factuelle (Burlacu c Canada (Procureur général), 2022 CF 1467 au para 40; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c Rafuse, 2002 CAF 31 au para 14).

[54] La Cour d’appel fédérale a indiqué qu’une cour peut imposer un verdict dirigé à l’organisme administratif auquel un dossier est retourné, mais qu’il s’agit là d’un pouvoir que la cour n’utilisera que dans les cas les plus clairs, par exemple lorsqu’il ne peut y avoir qu’une seule issue possible (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Yansane, 2017 CFA 48 au para 17 [Yansane]). Dans l’hypothèse contraire où l’évaluation de la preuve peut être déterminante, il est mieux avisé de laisser le soin au décideur administratif de se prononcer, quitte à réviser de nouveau sa décision sous l’angle de la raisonnabilité si l’une des parties n’est pas satisfaite de la décision (ibid). Dans l’arrêt Yansane, la Cour d’appel fédéral a précisé qu’il faut faire preuve de prudence à l’égard des directives et des instructions à l’intention du décideur administratif lorsqu’une demande de contrôle judiciaire est accueillie :

[18] J’estime qu’il faut faire preuve de la même circonspection à l’égard des directives et instructions que la Cour peut émettre lorsqu’elle accueille une demande de contrôle judiciaire. Il ne faut jamais perdre de vue que de telles directives ou instructions dérogent à la logique du contrôle judiciaire, et que leur utilisation abusive et injustifiée irait à l’encontre de la volonté du législateur de confier à des organismes administratifs spécialisés le soin de se prononcer sur des questions qui requièrent souvent une expertise que ne possèdent pas les tribunaux de droit commun. Il en va ainsi tout particulièrement en ce qui concerne l’admissibilité et l’appréciation des preuves, qui se trouve au cœur même du mandat confié aux décideurs administratifs.

[55] Par conséquent, et étant donné que la présente affaire repose sur l’évaluation par le décideur administratif des éléments de preuve à l’appui des 13 allégations de M. Haynes, il n’est pas, à mon avis, approprié que je rende une ordonnance accordant les mesures correctives que M. Haynes demande dans son grief. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’un cas clair où un résultat donné est inévitable.

[56] À la lumière des instructions de la Cour d’appel fédérale, il n’est pas non plus indiqué que j’accueille les autres réparations demandées, à l’exception d’un réexamen. Les questions concernant la possibilité d’une enquête externe menée par un tiers et les étapes suivantes d’un réexamen doivent être tranchées par l’organisme administratif spécialisé, à savoir la procédure de règlement des griefs d’EDSC.

[57] Je considère toutefois qu’il convient, compte tenu du contexte de la présente affaire, de formuler une remarque incidente quant au réexamen. Dans la liste des mesures d’adaptation contenues dans le billet du 1er décembre 2016 du Dr Lotwin, il est mentionné que certaines décisions (comme la raison pour laquelle aucun travail n’est attribué) doivent être clairement expliquées à M. Haynes par courriel. Si l’on applique cela au réexamen, en tenant compte des arguments soulevés par M. Haynes dans la présente demande, il serait bien que la décision qui en découlera détaille chacune des 13 allégations et explique clairement pourquoi elles sont accueillies ou rejetées au vu du dossier.

[58] Pour ce qui est de la question des dépens, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que M. Haynes n’a pas droit à une indemnisation complète des dépens. Bien que je sois sensible à la frustration exprimée par M. Haynes face à une deuxième demande de contrôle judiciaire, au temps que celle-ci requiert et à ses effets néfastes sur sa santé mentale, après examen du dossier, je ne suis pas convaincue que le défendeur a eu une conduite répréhensible et malveillante avant le litige.

[59] En ce qui concerne les frais, de façon générale, les parties qui ne sont pas représentées par un avocat peuvent avoir droit à un montant raisonnable en plus de leurs débours pour le temps et les efforts qu’elles ont consacrés à la préparation et à la présentation de leur cause, et dans la mesure où elles ont cessé d’exercer d’autres activités rémunératrices (Sherman c Canada (Ministre du Revenu national), 2003 CAF 202 aux para 47-52; Yu c Canada (Procureur général), 2011 CAF 42 au para 37 [Yu]). Lorsqu’un plaideur agissant pour son propre compte a engagé un coût de renonciation en cessant d’exercer des activités rémunératrices, un montant raisonnable est justifié, mais ce montant ne doit pas dépasser celui auquel il aurait eu droit selon le tarif applicable s’il avait été représenté par un avocat (Yu au para 37; Air Canada c. Thibodeau, 2007 CAF 115 au para 24).

[60] M. Haynes n’a présenté aucun élément de preuve démontrant qu’il a engagé un coût de renonciation en étant contraint de cesser d’exercer des activités rémunératrices pour préparer et présenter son dossier. M. Haynes soutient plutôt que le défaut d’EDSC de prendre des mesures d’adaptation a joué un rôle majeur dans la nécessité de prendre un congé de maladie. M. Haynes estime que son coût de renonciation découle du fait qu’il a dû consacrer son temps à se rétablir plutôt qu’à préparer et à présenter sa demande de contrôle judiciaire.

[61] Bien que je ne doute pas que M. Haynes ait trouvé difficile de travailler à la présente demande et que je le félicite pour la préparation et la présentation de son dossier, je suis liée par la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Yu selon laquelle une telle indemnisation doit uniquement être accordée dans la mesure où M. Haynes a engagé un coût de renonciation en cessant d’exercer des activités rémunératrices (Yu, aux para 37-38). M. Haynes a toutefois droit aux débours qu’il a engagés devant notre Cour, que le défendeur devra lui verser.

VI. Conclusion

[62] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de M. Haynes sera accueillie. La décision du 23 juin 2022 sera donc annulée et les débours seront accordés à M. Haynes.

[63] Comme je le mentionne plus haut, dans sa décision, la décideuse s’est engagée à mandater une société externe pour examiner les incidents invoqués dans le grief de M. Haynes. Si une enquête est, en fait, en cours ou doit commencer, les présents motifs n’auront aucun effet à l’égard de cette enquête et ne devront aucunement être interprétés comme ayant pour effet de l’interrompre ou de l’annuler.


JUGEMENT dans le dossier T-1513-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est accueillie;

  2. La décision concernant le grief de dernier palier rendue le 23 juin 2022 par la sous-ministre adjointe d’Emploi et Développement social Canada est annulée;

  3. L’affaire est renvoyée à un autre décideur au dernier palier pour qu’il procède à un réexamen conformément aux présents motifs;

  4. S’il le souhaite, le demandeur a la possibilité de présenter des éléments de preuve supplémentaires et des observations avant le réexamen;

  5. Le défendeur remboursera au demandeur les débours qu’il a engagés devant la Cour.

« Vanessa Rochester »

Juge

Traduction certifiée conforme

Philippe Lavigne-Labelle


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1513-22

INTITULÉ :

KEVIN HAYNES c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 FÉVRIER 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

LE 4 AOÛT 2023

COMPARUTIONS :

Kevin Haynes

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Chris Hutchison

Peter Doherty

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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