Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230731


Dossier : T-1809-21

Référence : 2023 CF 1042

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 juillet 2023

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE:

VERONICA ANDREA PIATKA-WASTY et

JOHN SYMON WASTY

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS ET JUGEMENT

I. INTRODUCTION

  • [1]Par voie d’un avis de demande déposé le 26 novembre 2021, Mme Veronica Piatka-Wasty et M. John Symon Wasty (les demandeurs) sollicitent, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, le contrôle judiciaire d’une décision (la décision contestée) rendue par l’agente des pêches Wilhelmina Jansen (l’agente ou Mme Jansen) le 27 octobre 2021. L’agente travaille pour le ministère des Pêches et des Océans (le MPO).

  • [2]Les demandeurs sollicitent les mesures de réparation suivantes [passage traduit tel que reproduit dans la version anglaise] :

[traduction]
Un jugement déclarant ce qui suit :

  1. La décision contestée, selon laquelle une détérioration, une destruction ou une perturbation (la DDP) de l’habitat du poisson a eu lieu et se poursuit en raison de la construction et de l’existence du quai, des pieux et de la rampe sur l’estran de la propriété (les ouvrages), est déraisonnable et, n’étant appuyée par aucun élément de preuve objectif, elle repose entièrement sur une opinion conjecturale non éclairée elle-même arbitraire et déraisonnable et aucunement étayée par des connaissances scientifiques ni par une évaluation des conséquences sur l’« habitat essentiel » fondée sur des critères mesurables;

  2. L’agente, en rendant la décision contestée et en donnant l’ordre qui en découle, a commis le manquement visé à l’alinéa 18.1(4)b) de la Loi sur les Cours fédérales, soit celui de ne pas observer les exigences de la justice naturelle ou de l’équité procédurale ou une autre procédure qu’elle était tenue de respecter, car :

    1. elle a ordonné aux demandeurs d’effectuer une auto-évaluation de l’installation proposée et de juger si cette installation créerait une DDP de l’habitat du poisson, et n’a ensuite pas tenu compte de cette auto-évaluation dans son évaluation du quai, des pieux et de la rampe;

    2. l’agente n’a pas avisé les demandeurs qu’elle effectuait l’évaluation qui a mené à la décision contestée et a omis ou refusé de donner aux demandeurs l’occasion de présenter des observations sur leurs évaluations initiales et l’installation du quai, des pieux et de la rampe;

    3. elle n’a pas obtenu ou pris en considération des informations générales concernant, entre autres, les approbations existantes, les occasions pour les agences provinciales et fédérales d’évaluer le quai, les pieux et la rampe, et l’auto-évaluation imposée par le MPO relativement à l’article 35 de la Loi sur les pêches;

    4. elle a refusé de répondre aux attentes légitimes et raisonnables des demandeurs :

      1. en prétendant adopter une conduite réglementaire avant de revenir à une interdiction unilatérale;

      2. en visant le quai, les pieux et la rampe des demandeurs alors qu’il y avait des centaines de quais semblables dans l’habitat essentiel désigné;

      3. en ne tenant pas compte des mesures relatives aux sanctuaires provisoires, qui font partie des mesures de gestion de 2021 visant à protéger les épaulards résidents du Sud et les zones « très fréquentées » indiquées dans ce plan;

    5. l’agente a fait preuve de partialité, notamment en refusant de communiquer des observations et des plaintes reçues d’autres agences ou personnes, ou de donner aux demandeurs l’occasion d’être entendus et de répondre aux plaintes et aux renseignements acceptés;

    6. elle a demandé que l’ordre qui découle de la décision contestée soit immédiatement appliqué en dépit du fait que rien n’indiquait qu’il y avait urgence, d’une façon qui a limité ou empêché l’application régulière de la loi dans toutes les circonstances;

    7. elle a omis ou refusé de fournir aux demandeurs les notes, les documents ou les observations qui auraient servi de fondement à la décision contestée, malgré la demande en ce sens;

    8. tout autre manquement que les avocats pourraient ajouter à l’audience et que la Cour pourrait admettre;

  3. Le MPO a commis l’erreur de droit visée à l’alinéa 18.1(4)c) de la Loi sur les Cours fédérales, car il a mal interprété l’article 35 de la Loi sur les pêches et il n’a pas effectué le processus et l’évaluation qu’exige l’article 34.3;

  4. Le MPO a commis le manquement visé à l’alinéa 18.1(4)d), soit celui de fonder sa décision ou son ordre sur une conclusion de fait erronée qu’il a tirée de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments dont il disposait, car :

    1. la décision contestée est dépourvue de fondement probatoire ou, subsidiairement, toute opinion substantielle ou observation formulée après l’installation des ouvrages, soit autour du 14 août 2020, ou, en particulier, depuis le 4 juin 2021, ne constitue pas une évaluation raisonnable de l’état réel du site, est incomplète, ne concorde pas avec ce qu’a déclaré le ministre à propos de la gestion des épaulards et jette plutôt le discrédit sur la gestion du MPO;

    2. le processus du MPO concernant les installations d’amarrage privées exige que les demandeurs effectuent une auto-évaluation visant à déterminer si l’installation proposée créera une DDP de l’habitat du poisson. L’auto-évaluation effectuée dans la présente affaire, à la demande du MPO, est une évaluation professionnelle d’envergure fondée sur les données propres au site, dont la conclusion, qui demeure exacte, était que les ouvrages ne causaient pas de DDP. Il est déraisonnable que le MPO remette en question cette conclusion sans avoir obtenu l’auto-évaluation, la preuve et la justification à l’appui et, de ce fait, sans les avoir examinées;

    3. la décision contestée est partiale, fondée sur de l’information et une évaluation conjecturales fournies par des tiers dont les intérêts ne sont pas liés à la protection des baleines;

    4. la décision contestée ne fait pas intervenir l’article 35 de la Loi sur les pêches, car il n’existe pas d’ouvrage, d’entreprise ou d’activité en lien avec le positionnement ou l’emplacement du quai, des pieux et de la rampe, lesquels ont tous été évalués et approuvés par des agences provinciales et fédérales;

    5. tout autre moyen que les avocats pourraient invoquer à l’audience et que la Cour pourrait admettre;

Une ordonnance annulant la décision contestée;

3. Sans préjudice de la position des demandeurs selon laquelle le quai, les pieux et la rampe n’enfreignent aucune partie de la Loi sur les pêches, et en vue d’apporter de la certitude juridique, une injonction provisoire ou interlocutoire, rétroactive au 18 novembre 2021, suspendant la décision contestée jusqu’à ce que la présente demande soit tranchée;

4. L’adjudication des dépens en faveur des demandeurs;

5. Toute autre mesure de réparation que les avocats pourraient proposer et que la Cour pourrait accorder.

II. LA DÉCISION CONTESTÉE

[3] La décision contestée indique ce qui suit :

[traduction]
Le présent document constitue un ordre donné en vertu du paragraphe 38(7.1) de la Loi sur les pêches.

Description de la situation :

La Direction de la conservation et de la protection de Pêches et Océans Canada (la Direction de la conservation et de la protection du MPO) a des motifs raisonnables de croire qu’une détérioration, perturbation ou destruction de l’habitat des poissons s’est produite et se poursuivra à cause de la construction et de l’existence du quai, des pieux et de la rampe sur l’estran de la propriété située au 1301, chemin MacKinnon, sur l’île Pender Nord, en Colombie-Britannique. Ces ouvrages, entreprises ou activités ont entraîné une infraction au paragraphe 35(1) de la Loi sur les pêches.

[…]

D’après les observations faites lors d’une visite sur le site le 4 juin 2021, le Secteur des Sciences de Pêches et Océans Canada (le Secteur des sciences du MPO) et la Direction de la conservation et de la protection du MPO ont conclu que la détérioration, perturbation ou destruction de l’habitat des poissons décrite ci-dessous s’est produite et qu’elle se poursuivra si des mesures correctives immédiates ne sont pas prises :

· Le quai, les pieux et la rampe ont été construits dans un secteur d’une importance considérable à la fois pour la population d’épaulards de Bigg (ou épaulards migrateurs), une espèce menacée, et pour l’habitat essentiel des épaulards résidents du Sud (l’ERS), une espèce en voie de disparition, et ils forment un obstacle physique permanent aux déplacements habituels généraux des épaulards.

Le MPO est d’avis que ces structures forment un obstacle physique aux déplacements des épaulards de Bigg et de l’ERS dans une zone de haute fréquence d’observation et qu’elles constituent une destruction de l’habitat essentiel de l’ERS.

Les mesures correctives immédiates que vous devez prendre :

L’agente des pêches Wilhelmina Jansen est convaincue, pour des motifs raisonnables, que des mesures correctives immédiates compatibles avec la sécurité publique et la conservation et la préservation du poisson et de son habitat doivent être prises pour prévenir l’événement mentionné ou pour neutraliser, atténuer ou réparer les dommages qui en résultent ou pourraient normalement en résulter.

En vertu du paragraphe 38(7.1) de la Loi sur les pêches, l’agente des pêches Jansen vous ordonne par la présente de prendre les mesures correctives suivantes conformément à ce même paragraphe 38(7.1) :

· Retenir les services d’un professionnel qualifié de l’environnement (le PQE) possédant de l’expertise dans le domaine des eaux marines et de l’habitat essentiel des espèces en péril (suivant la Loi sur les espèces en péril) pour l’évaluation, l’élaboration, la mise en œuvre et la supervision d’un plan de retrait du quai, des pieux et de la rampe se trouvant sur l’estran de la propriété située au 1301, chemin MacKinnon, sur l’île Pender Nord, en Colombie-Britannique, d’ici le 18 novembre 2021 à 14 heures;

· Le PQE doit élaborer un plan de retrait qui tient également compte des périodes particulières du MPO relativement aux travaux de retrait et qui comprend la surveillance des mammifères marins sur le site pour garantir que, pendant l’exécution des travaux relatifs aux mesures correctives, aucun mammifère marin ne sera présent et qu’il n’y aura pas d’autres conséquences sur l’ERS.

· Le plan de retrait doit être soumis à l’agente des pêches Jansen au plus tard le 2 décembre 2021 à 14 heures.

[…]

[Caractères gras et soulignement dans l’original.]

[4] Lors de l’audience, les parties ont indiqué que l’application de la décision était suspendue jusqu’à ce que la Cour ait statué sur la présente demande.

III. LE CONTEXTE

[5] Les faits et les renseignements qui suivent sont tirés du dossier certifié du tribunal (le DCT) déposé par le défendeur conformément aux Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), des affidavits déposés par les parties ainsi que des pièces jointes aux affidavits et des transcriptions des contre-interrogatoires sur ces affidavits.

[6] Les demandeurs vivent sur l’île Pender, l’une des îles Gulf, en Colombie-Britannique. En 2009, une zone du sud des îles Gulf a été désignée comme habitat essentiel de l’ERS en vertu de la Loi sur les espèces en péril, LC 2002, c 29 (la LEP).

[7] La protection de l’ERS conformément à la LEP nécessite l’élaboration d’un programme de rétablissement. L’un des objectifs du programme de rétablissement est de protéger les déplacements de la vie marine dans l’eau.

[8] Bien que de nombreux documents déposés en l’espèce portent sur l’« habitat essentiel » et le programme de rétablissement, l’objet du présent contrôle est la décision contestée rendue par l’agente ainsi que le processus et les procédures que l’agente a suivis pour parvenir à la décision contestée.

A. Les parties

[9] Les demandeurs sont les propriétaires d’une propriété riveraine située au 1301, chemin MacKinnon, sur l’île Pender Nord, en Colombie-Britannique. Entre mai et août 2020, ils ont installé un quai sur le rivage de leur propriété. Ce rivage est situé du côté est du chenal Swanson, un passage entre les îles que les bateaux et les poissons empruntent.

[10] Le défendeur représente le ministre des Pêches et des Océans. Conformément aux Règles, le défendeur dans la présente instance est le procureur général du Canada (le défendeur).

B. Les affidavits

[11] Chacune des parties a inclus des affidavits dans son dossier de demande.

[12] Les demandeurs ont déposé les affidavits suivants :

- l’affidavit de M. Andrew Trites, souscrit le 29 décembre 2021;

- l’affidavit de M. Dean Johnson, souscrit le 23 décembre 2021;

- l’affidavit de Mme Melody Parker, souscrit le 26 novembre 2021;

- l’affidavit de M. David McKerrell, souscrit le 21 décembre 2021;

- le premier affidavit de M. Corey Johnson, souscrit le 21 décembre 2021;

- le deuxième affidavit de M. Corey Johnson, souscrit le 21 décembre 2021.

[13] Le défendeur a déposé les affidavits suivants :

- l’affidavit de Mme Sheila J. Thornton, souscrit le 4 février 2022;

- l’affidavit de Mme Wilhelmina, Jansen souscrit le 3 février 2022.

C. Les déposants

[14] M. Trites est professeur et directeur de l’unité de recherche sur les mammifères marins à l’Institut pour les océans et la pêche de l’Université de la Colombie-Britannique. Il a joint à son affidavit une analyse d’un énoncé d’impact que Mme Thornton avait préparé pour l’agente. Dans cette analyse, il a décrit les caractéristiques physiques de la zone qui fait l’objet de la décision contestée. Il a également formulé des observations sur les déplacements des épaulards (Orcinus orca) dans cette zone.

[15] M. Dean Johnson est le directeur du service de la marine de la société Terra Remote Sensing. Il a fourni un rapport d’enquête daté du 23 décembre 2021 ainsi que des rendus du fond du chenal et du rivage à divers endroits de l’île Pender Nord.

[16] M. Dean Johnson a également fourni des cartes et des représentations graphiques, y compris des visualisations du quai des demandeurs.

[17] Mme Parker est assistante juridique au sein du cabinet Cox Taylor, dont les demandeurs ont retenu les services. Dans son affidavit, elle a fourni une copie papier d’une page Web du gouvernement du Canada intitulée « Les mesures de gestion de 2021 pour protéger les épaulards résidents du Sud ». Elle y a également joint des cartes et plusieurs captures d’écran de Google Maps montrant le chenal Swanson et l’île Pender Nord.

[18] M. McKerrell est agent de permis au sein de la société Island Marine Construction Services Ltd. (Island Marine) et a agi en cette qualité pour les demandeurs. Il a décrit sa connaissance de la vie marine dans la région des îles Gulf et le travail qu’il avait effectué pendant plusieurs années dans le domaine de la construction de quais privés, dont sa participation à des consultations auprès du ministère des Forêts, des Terres, de l’Exploitation des ressources naturelles et du Développement rural de la Colombie-Britannique. Il a également mentionné les interactions qu’il avait eues avec le MPO au fil des ans.

[19] M. McKerrell a présenté une chronologie des événements pertinents qui comprend ses interactions avec les anciens propriétaires, la sélection du site du quai et les démarches faites pour obtenir une [traduction] « permission expresse pour un amarrage privé » auprès du ministère des Forêts, des Terres, de l’Exploitation des ressources naturelles et du Développement rural de la Colombie-Britannique. Il a aussi inclus dans sa chronologie des renseignements sur ses relations avec le MPO et sur la construction du quai des demandeurs.

[20] M. McKerrell a également fait état d’une évaluation de base de l’habitat datée du 30 septembre 2016, qu’Island Marine avait obtenue, et des mesures prises pour éviter de causer une DDP (une « détérioration, une destruction ou une perturbation ») de l’habitat du poisson.

[21] De plus, M. McKerrell a fait mention de renseignements reçus de M. Corey Johnson, un autre employé d’Island Marine, à propos d’une plainte déposée le 30 juillet 2020 par une femme qui s’était présentée sur le site et qui [traduction] « avait crié à l’équipe de construction de s’arrêter ».

[22] M. McKerrell a fait état d’un processus public de publicité amorcé après qu’Island Marine eut reçu une lettre du ministère des Forêts, des Terres, de l’Exploitation des ressources naturelles et du Développement rural de la Colombie-Britannique. Cette lettre, datée du 27 janvier 2016, indiquait que la révision de la demande comprendrait des demandes de consultation adressées aux Premières Nations, à des agences gouvernementales, aux autorités locales et au public.

[23] M. Corey Johnson est associé directeur au sein d’Island Marine. Il a fourni deux affidavits qui ont tous deux été souscrits le 21 décembre 2021.

[24] Dans son premier affidavit, souscrit le 21 décembre 2021, M. Johnson a donné des renseignements généraux sur Island Marine et présenté des observations sur la construction de quais dans la région sud des îles Gulf. Il a également expliqué qu’il avait directement pris part à l’installation du quai des demandeurs.

[25] M. Johnson a décrit les mesures de sécurité et les pratiques exemplaires de gestion que l’équipe d’Island Marine avait mises en œuvre pour éviter que des problèmes liés aux mammifères marins se produisent. Il s’est dit d’avis que le quai ne constituait pas une DDP. Il a reconnu qu’il y avait eu des communications de la part d’Islands Trust de façon intermittente entre août 2020 et octobre 2021 au sujet de l’emplacement du quai dans les marges de reculement applicables.

[26] M. Johnson a également décrit les composants du quai. Il a ajouté que le coût de l’installation du quai des demandeurs avait [traduction] « largement dépassé les 200 000 dollars » et que le coût estimé du retrait [traduction] « dépasserait les 100 000 dollars, voire plus, selon la portée des rapports environnementaux ou des rapports de consultants requis ».

[27] M. Johnson a affirmé qu’à sa connaissance, par rapport au quai des demandeurs, aucun des [traduction] « quelque 600 quais d’amarrage privés de la zone de service » n’avait exigé un permis plus étendu ou [traduction] « un meilleur permis ».

[28] En outre, M. Johnson a fait état de ses relations avec le MPO en ce qui concerne le quai des demandeurs.

[29] Dans son deuxième affidavit, M. Johnson a fourni des renseignements sur le site et exposé les considérations prises en compte pour le positionnement et l’installation du quai des demandeurs. Il a formulé des observations sur le fond du chenal et le rivage à l’emplacement du quai et sur la profondeur de l’eau dans la zone autour du quai.

[30] M. Johnson a joint à son affidavit des photographies du quai prises pendant et après l’installation.

[31] Mme Thornton est chercheuse au MPO. Ses fonctions consistent principalement à évaluer l’incidence anthropique sur les cétacés, en particulier l’ERS.

[32] Mme Thornton a fait un survol des questions qu’elle avait examinées en préparant son énoncé d’impact ainsi que du processus et des considérations qui l’avaient amenée à conclure que le quai des demandeurs constituait une destruction de l’habitat essentiel de l’ERS. Elle a affirmé que l’agente lui avait demandé de donner son [traduction] « avis sur la question de savoir si le quai constituait une destruction de l’habitat essentiel ».

[33] Dans son affidavit, Mme Thornton a fait des remarques sur la fréquence d’observation de l’ERS dans la zone concernée et elle a affirmé que l’emplacement du quai des demandeurs se trouvait dans l’habitat que privilégiait l’ERS entre juin et octobre. Elle a également fourni des renseignements sur le profil bathymétrique et le substrat de la zone autour du quai des demandeurs.

[34] Mme Thornton a également examiné l’affidavit de M. Trites. Elle a estimé qu’il était [traduction] « incorrect » en ce qui concerne les déplacements de l’ERS dans la zone où se trouve le quai. Elle a fourni des renseignements sur la délimitation de l’habitat essentiel de l’ERS dans le chenal Swanson et elle a exposé les motifs de sa conclusion.

[35] Mme Jansen, qui a rendu la décision faisant l’objet de la présente demande, est agente des pêches au sein de l’Unité de protection des baleines. Dans son affidavit, elle a décrit ses tâches et ses activités quotidiennes.

[36] Mme Jansen a joint à son affidavit une copie du [traduction] « plan d’action et du programme de rétablissement de l’épaulard résident du Nord et du Sud au Canada ». Elle a également fait état des efforts déployés par le Canada pour protéger l’ERS.

[37] Mme Jansen a présenté un calendrier et un survol de son enquête sur la situation du quai des demandeurs et la question de savoir s’il causait une DDP. Elle a mentionné les communications du 20 octobre 2021 entre elle et M. McKerrell ainsi que les documents reçus de lui plus tard le même jour.

[38] Mme Jansen a également affirmé avoir parlé avec M. « Cory [sic] Johnson » le 27 octobre 2021. Elle a ajouté qu’elle avait [traduction] « communiqué avec » M. McKerrell le 27 octobre 2021 et qu’elle avait [traduction] « obtenu un numéro de téléphone auquel elle pouvait communiquer directement avec les demandeurs ».

[39] En outre, Mme Jansen a affirmé qu’elle avait [traduction] « fait un appel interurbain » pour parler à Mme Piatka-Wasty le 27 octobre 2021. Elle a indiqué que son intention était de [traduction] « lui communiquer les détails de la mesure corrective et de discuter avec elle du développement du nouveau quai ».

[40] Dans son affidavit, Mme Jansen a prétendu exposer le raisonnement sur lequel reposait la décision contestée rendue le 27 octobre 2021.

[41] Seules Mme Thornton et l’agente ont été contre-interrogées à propos de leurs affidavits. Les transcriptions de ces contre-interrogatoires ont été incluses dans le dossier de demande déposé par les demandeurs.

D. Le dossier certifié du tribunal

[42] L’agente a fondé la décision contestée sur son examen des documents contenus dans le DCT produit conformément à l’article 318 des Règles.

[43] Le DCT comprend une attestation signée le 16 décembre 2021 et indiquant ce qui suit :

[traduction]
Je, soussignée, Wilhelmina Jansen, agente des pêches du ministère des Pêches et des Océans du Canada, certifie par la présente que les documents joints au présent certificat sont des copies conformes des documents pris en considération lorsque j’ai donné l’ordre en vertu du paragraphe 38(7.1) de la Loi sur les pêches, le 27 octobre 2021, à Veronica Andrea Piatka-Wasty et John Symon Wasty.

[44] La DCT contient également les documents suivants :

- les notes de l’agente :

1. ses notes numérisées à propos de sa visite du site avec le biologiste du Programme de protection du poisson et de son habitat (le PPPH), M. Andrew MacInnis, datées du 5 août 2020;

2. ses notes numérisées à propos de sa visite du site avec M. MacInnis, datées du 6 octobre 2020;

3. ses notes numérisées à propos de sa visite du site avec Mme Sheila Thornton, datées du 4 juin 2021;

4. ses notes numérisées à propos de sa conversation avec M. McKerrell, datées du 20 octobre 2021;

5. ses notes numérisées à propos de sa conversation avec Mme Thornton, datées du 22 octobre 2021;

6. ses notes numérisées à propos de sa conversation avec M. McKerrell, datées du 26 octobre 2021;

7. ses notes numérisées à propos de sa conversation avec M. Corey Johnson et Mme Wasty, datées du 27 octobre 2021;

8. ses notes numérisées à propos de sa conversation avec la demanderesse, Mme Wasty, datées du 28 octobre 2021;

- la correspondance avec les biologistes de l’habitat :

9. des courriels entre l’agente et M. Donald Koop, datés du 19 mai 2020;

10. un courriel de l’agente envoyé à M. MacInnis, daté du 21 juillet 2020. Ce document comprend le formulaire de triage d’incidents liés à l’habitat du poisson dans la région du Pacifique (l’annexe 4);

11. des courriels échangés entre l’agente et M. MacInnis, datés du 28 juillet 2020;

12. des courriels échangés entre l’agente et M. MacInnis, datés du 28 juillet 2020;

13. des courriels échangés entre l’agente et M. MacInnis, datés du 28 juillet 2020;

14. des courriels échangés entre l’agente et M. MacInnis, datés du 9 septembre 2020;

15. des courriels échangés entre l’agente et M. MacInnis, datés du 2 octobre 2020;

16. des courriels échangés entre l’agente et M. MacInnis, datés du 2 octobre 2020;

17. des courriels échangés entre l’agente et M. MacInnis, datés du 23 octobre 2020;

18. un courriel de l’agente envoyé à M. MacInnis, daté du 17 novembre 2020;

19. un courriel de l’agente envoyé à M. MacInnis, daté du 30 novembre 2020;

20. des courriels échangés entre l’agente et M. MacInnis, datés du 3 février 2021. Ce document comprend l’annexe 4, remplie par M. MacInnis;

21. des courriels échangés entre l’agente, Mme Brenda Rotinsky, M. Brad Wattie, M. Dustin DeGagne, M. Donald Koop, M. Derek Chung, Mme Holly Pulvermacher, M. MacInnis et M. Vince Harper, datés du 3 février 2021;

22. un courriel de l’agente envoyé à M. MacInnis, daté du 15 février 2021. Ce document contient des observations de l’agente à propos de l’ébauche de l’annexe 4;

23. des courriels échangés entre l’agente, M. MacInnis, M. Koop et Mme Rotinsky, datés du 1er mars 2021. Ce document comprend une nouvelle ébauche de l’annexe 4;

24. un courriel de l’agente envoyé à M. MacInnis, daté du 17 mars 2021;

- la correspondance avec Island Marine Construction Services Ltd. :

25. un courriel de M. McKerrell envoyé à l’agente et à M. Corey Johnson, daté du 20 octobre 2021. Ce document comporte plusieurs pièces jointes à ce courriel, notamment un plan de gestion approuvé, un avis d’examen final, une autorisation particulière, une demande de concession de terres de la Couronne, une lettre d’accusé de réception du client, des courriels, l’étude sur l’estran, et le document de la permission générale;

26. des courriels échangés entre l’agente et M. McKerrell, datés du 22 octobre 2021;

- la correspondance avec Mme Sheila Thornton :

27. des courriels échangés entre l’agente et le Mme Thornton, datés du 19 mars 2021. Ce document comprend l’ébauche de l’annexe 4 de M. MacInnis.

28. des courriels échangés entre l’agente et Mme Thornton, datés du 5 août 2021;

29. des courriels échangés entre l’agente et Mme Thornton, datés du 16 septembre 2021. Ce document comprend l’énoncé d’impact de Mme Thornton et un article intitulé « Natural Entrapment of Killer Whales (Orcinus orca): A Review of Cases and Assessment of Intervention Techniques » [L’emprisonnement naturel des épaulards (Orcinus orca) : examen des cas et évaluation des techniques d’intervention];

30. des courriels échangés entre l’agente et Mme Thornton, datés du 21 octobre 2021;

31. des courriels échangés entre l’agente et Mme Thornton, datés du 22 octobre 2021;

32. des courriels échangés entre l’agente et Mme Thornton, datés du 27 octobre 2021. Ce document comprend également l’énoncé d’impact de Mme Thornton et l’article joint à un courriel que Mme Thornton avait envoyé à l’agente le 16 septembre 2021;

33. un courriel de l’agente envoyé à Mme Thornton, daté du 18 novembre 2021;

34. des courriels échangés entre l’agente et Mme Thornton, M. Thomas Doniol-Valcroze et M. Sean MacConnachie, datés du 22 novembre 2021;

35. des courriels échangés entre l’agente et Mme Thornton, M. Doniol-Valcroze et M. MacConnachie, datés du 22 novembre 2021. Ce document comprend la version définitive de l’énoncé d’impact;

- la correspondance avec les demandeurs et leurs avocats :

36. un courriel de l’agente envoyé à Mme Wasty, daté du 27 octobre 2021. Ce document comprend l’ordre de prendre des mesures correctives immédiates;

37. une lettre envoyée aux avocats des demandeurs, datée du 12 novembre 2021.

IV. HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

[45] Par voie d’un avis de requête déposé le 16 février 2022, les demandeurs ont demandé la production de documents supplémentaires au titre de l’article 317 des Règles, c’est-à-dire à propos du contenu du DCT, de même que l’autorisation de déposer un affidavit supplémentaire après la réception des documents demandés.

[46] À la suite d’une audience tenue le 22 février 2022, la juge adjointe Coughlan a rendu une ordonnance rejetant la requête. Dans ses motifs, elle a estimé que suffisamment de documents contenus dans le DCT avaient été produits pour permettre aux demandeurs de présenter leurs arguments à propos de la partialité et de l’iniquité procédurale de l’agente.

[47] Les demandeurs n’ont pas interjeté appel de cette ordonnance.

[48] Le 1er juin 2022, les demandeurs ont déposé un avis de requête visant l’autorisation de déposer deux affidavits supplémentaires de M. Trites et un dossier de demande supplémentaire, et visant également la production d’autres documents pour compléter ceux contenus dans le DCT.

[49] Par voie d’une ordonnance rendue le 10 août 2022, la requête a été rejetée. Dans ses motifs, la juge Pallotta a conclu que les affidavits supplémentaires ne seraient ni pertinents ni utiles pour statuer sur la présente instance.

[50] La juge Pallotta n’était pas convaincue que la demande visant la production de documents supplémentaires pour compléter le DCT était pertinente et admissible. En outre, elle a estimé que cette demande des demandeurs s’apparentait à une [traduction] « recherche à l’aveuglette ».

[51] Il n’y a pas eu appel de cette ordonnance.

V. LES OBJECTIONS AUX AFFIDAVITS

[52] Chacune des parties a présenté une requête en radiation des affidavits déposés par la partie adverse.

[53] Le 13 septembre 2022, les demandeurs ont déposé un avis de requête visant la radiation, en tout ou en partie, des affidavits déposés par le défendeur, y compris les pièces jointes.

[54] Pour sa part, le défendeur sollicite la radiation des affidavits de M. Trites, de Mme Parker et de M. Dean Johnson, des deux affidavits de M. Corey Johnson et de certaines parties de l’affidavit de M. McKerrell.

[55] Une conférence de gestion de l’instance a été tenue le 30 août 2022 devant la juge associée Ring. La juge associée a ordonné que les demandeurs puissent déposer un avis de requête en radiation, en tout ou en partie, des affidavits du défendeur et que la requête soit entendue à l’audition de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente.

[56] Ces requêtes devaient initialement être débattues au début de l’audience, mais les parties ont présenté leurs observations au cours des plaidoiries sur le fond de la demande de contrôle judiciaire.

[57] Il est bien connu que, règle générale, seuls les éléments de preuve qui ont été portés à la connaissance du décideur sont admissibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. Je renvoie à l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 (CAF). Toutefois, il existe des exceptions à cette règle, ce sur quoi porte le paragraphe 20 de cet arrêt :

Le principe général interdisant à notre Cour d’admettre de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire souffre quelques exceptions reconnues et la liste des exceptions n’est sans doute pas exhaustive. Ces exceptions ne jouent que dans les situations dans lesquelles l’admission, par notre Cour, d’éléments de preuve n’est pas incompatible avec le rôle différent joué par la juridiction de révision et par le tribunal administratif ([renvois omis]). En fait, bon nombre de ces exceptions sont susceptibles de faciliter ou de favoriser la tâche de la juridiction de révision sans porter atteinte à la mission qui est confiée au tribunal administratif. Voici trois de ces exceptions :

(a) Parfois, notre Cour admettra en preuve un affidavit qui contient des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire [renvois omis]. […]

(b) Parfois les affidavits sont nécessaires pour porter à l’attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif, permettant ainsi à la juridiction de révision de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale [renvoi omis]. […]

(c) Parfois, un affidavit est admis en preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire pour faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée [renvoi omis].

[58] Les demandeurs contestent l’affidavit de l’agente au motif que la décision contestée y est indûment développée. Ils contestent l’affidavit de Mme Thornton au motif qu’il complète la décision contestée initialement rendue et qu’il n’est pas conforme à l’article 52.1 des Règles, lequel porte sur les témoins experts.

[59] Le défendeur soutient que des documents dont ne disposait pas l’agente sont joints à l’affidavit de M. McKerrell. Ces documents portent des dates comprises entre février 2014 et novembre 2021.

[60] Je suis d’accord avec certaines des objections des parties à propos des affidavits, dont, par exemple, celle selon laquelle l’avis de M. Trites ne peut être accepté en tant que connaissances scientifiques [traduction] « concurrentes ». Toutefois, il est acceptable en tant que source d’informations générales et de précisions sur l’emplacement du quai.

[61] Les témoignages de M. McKerrell, M. Dean Johnson et M. Corey Johnson sont également admissibles en preuve en tant que sources d’informations générales. Si les demandeurs avaient été avisés de l’enquête, ils auraient eu l’occasion de soumettre des documents pertinents.

[62] L’affidavit de Mme Parker, y compris les pièces jointes, contient essentiellement des renseignements factuels.

[63] Je suis d’accord avec les critiques que les demandeurs ont formulées au sujet des affidavits de Mme Jansen et de Mme Thornton.

[64] Les demandeurs soutiennent que Mme Jansen a développé la décision contestée en présentant des motifs [traduction] « supplémentaires meilleurs » que les précédents.

[65] À mon avis, l’affidavit de l’agente sert à « motiver davantage » la décision contestée, une pratique qui a été critiquée par la Cour d’appel fédérale au paragraphe 145 de l’arrêt Leahy c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2014] 1 RCF 766 :

À cet égard, l’avocat doit être conscient des limites des affidavits produits à l’appui dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Ils ne peuvent servir à étoffer les motifs du décideur ou les motiver davantage après le fait. Ils peuvent faire la lumière sur des éléments factuels et contextuels qui n’apparaissent pas ailleurs dans le dossier, mais qui étaient manifestement connus du décideur. Ils peuvent aussi fournir au tribunal de révision des indices généraux, par exemple sur la manière dont la demande de renseignements a été traitée, dont les documents ont été recueillis ou dont l’évaluation a été effectuée. […]

[66] Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que l’affidavit de Mme Thornton est un avis déguisé. Elle n’a pas simplement décrit le processus qu’elle avait suivi pour préparer l’énoncé d’impact, lequel avait été plusieurs fois révisé avant qu’une version définitive soit produite, le 22 novembre 2021, quelques semaines après que la décision contestée eut été rendue.

[67] Les affidavits déposés par les demandeurs outrepassent les strictes limites énoncées au paragraphe 81(1) des Règles, mais j’exercerai mon pouvoir discrétionnaire de ne pas les radier. Ils correspondent à l’une des exceptions à la règle, soit celle de contenir des informations générales, mais, dans la mesure où ils dérogent à cette exception, moins de poids leur sera accordé.

[68] En grande partie, les mêmes observations s’appliquent aux affidavits déposés par le défendeur. Dans la mesure où Mme Jansen ajoute de l’information au dossier sur les mesures qu’elle a prises en vue de rendre la décision contestée, l’élément de preuve est irrégulier et sera apprécié en conséquence.

VI. LES QUESTIONS EN LITIGE

[69] Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

1. La décision contestée et l’ordre qui en découle sont-ils déraisonnables du fait qu’ils sont fondés sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments soumis, et ainsi visés à l’alinéa 18.1(4)d)?

2. La décision contestée et l’ordre qui en découle étaient-ils contraires à la justice naturelle ou à l’équité procédurale, ou contrevenaient-ils à toute autre procédure devant être respectée en l’espèce, et ainsi visés à l’alinéa 18.1(4)b) de la Loi sur les cours fédérales?

3. La décision contestée et l’ordre qui en découle sont-ils entachés d’une erreur de droit et d’une interprétation erronée de l’article 35 de la Loi sur les pêches, et ainsi visés à l’alinéa 18.1(4)c) de la Loi sur les cours fédérales, du fait que :

a. le critère établi par l’article 35 de la Loi sur les pêches a été mal interprété;

b. le décideur n’a pas tenu compte du processus et de l’évaluation qu’exige l’article 34.3;

c. le décideur n’avait pas compétence?

4. Quelle est la réparation appropriée eu égard aux circonstances de la présente affaire?

[70] Le défendeur formule les questions en litige de la façon suivante :

A. Question préliminaire : les affidavits des demandeurs doivent-ils être radiés en tout ou en partie?

B. Quelle est la norme de contrôle applicable?

C. La décision contestée rendue le 27 octobre 2021 est-elle déraisonnable?

D. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale ou au principe de justice naturelle?

E. Quelle est la mesure de réparation appropriée?

VII. LES OBSERVATIONS

[71] En plus des observations écrites incluses dans leurs dossiers de demande, les parties se sont vu accorder, par la voie d’une directive donnée le 22 décembre 2022, l’occasion de présenter des observations supplémentaires sur la question de la partialité.

A. Les observations des demandeurs

[72] Les demandeurs soutiennent que la décision contestée ne tient pas compte de la preuve, notamment des éléments relatifs aux caractéristiques physiques de la voie navigable où le quai a été installé et aux déplacements de l’ERS et de l’épaulard de Bigg (ou épaulard migrateur), une espèce menacée, dans cette zone.

[73] Les demandeurs ajoutent que la décision contestée ne satisfait pas à la norme de la décision raisonnable que la Cour suprême du Canada a énoncée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, [2019] 4 RCS 653.

[74] Les demandeurs soutiennent également que la décision contestée a été rendue en violation de leur droit à l’équité procédurale, car ils n’ont pas reçu d’avis, ils n’ont pas eu l’occasion de présenter des observations et il y a eu partialité, ou apparence de partialité, de la part du décideur, c’est-à-dire l’agente.

B. Les observations du défendeur

[75] Le défendeur soutient que l’agente a fait preuve d’ouverture d’esprit et qu’elle a satisfait aux exigences de l’équité procédurale applicables. Il fait valoir qu’elle a avisé l’agent des demandeurs et qu’elle a reçu des renseignements sur les mesures prises avant la construction du quai.

[76] Le défendeur soutient également que, compte tenu du contexte législatif et de la nécessité primordiale de protéger l’ERS, une espèce dont on sait qu’elle est en péril, la décision contestée satisfait à la norme de la décision raisonnable, tel qu’il est requis.

[77] Dans ses observations supplémentaires déposées en janvier 2023, le défendeur soutient que l’agente a fait preuve d’impartialité en tout temps.

VIII. LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[78] La décision contestée a été rendue en vertu de la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F-14 (la Loi). L’objet de la Loi, énoncé à l’article 2.1 de celle-ci, est le suivant :

Objet de la loi

2.1 La présente loi vise à encadrer :

a) la gestion et la surveillance judicieuses des pêches;

b) la conservation et la protection du poisson et de son habitat, notamment par la prévention de la pollution.

Purpose of Act

2.1 The purpose of this Act is to provide a framework for

(a) the proper management and control of fisheries; and

(b) the conservation and protection of fish and fish habitat, including by preventing pollution.

[79] L’article 35 porte sur la détérioration, la destruction et la perturbation de l’habitat. Les paragraphes 35(1) et (2), qui sont applicables en l’espèce, prévoient ce qui suit :

Détérioration, destruction ou perturbation de l’habitat

35 (1) Il est interdit d’exploiter un ouvrage ou une entreprise ou d’exercer une activité entraînant la détérioration, la destruction ou la perturbation de l’habitat du poisson.

Exception

(2) Il est permis d’exploiter un ouvrage ou une entreprise ou d’exercer une activité sans contrevenir au paragraphe (1) dans les cas suivants

[…]

d) la détérioration, la destruction ou la perturbation est entraînée par l’accomplissement d’un acte requis, autorisé ou permis sous le régime de la présente loi;

Harmful alteration, disruption or destruction of fish habitat

35 (1) No person shall carry on any work, undertaking or activity that results in the harmful alteration, disruption or destruction of fish habitat.

Exception

(2) A person may carry on a work, undertaking or activity without contravening subsection (1) if

[…]

(d) the harmful alteration, disruption or destruction results from the doing of anything that is authorized, permitted or required under this Act;

[80] L’agente a été désignée en vertu du paragraphe 38(1) de la Loi, qui prévoit ce qui suit :

Pouvoir de désignation

38 (1) Le ministre peut désigner toute personne — à titre individuel ou au titre de son appartenance à une catégorie déterminée — à titre d’inspecteur pour l’exécution et le contrôle d’application de la présente loi et peut restreindre, de la façon qu’il estime indiquée, les pouvoirs que ce dernier est autorisé à exercer sous le régime de la présente loi.

Power to designate

38 (1) The Minister may designate persons or classes of persons as inspectors for the purposes of the administration and enforcement of this Act and may limit in any manner he or she considers appropriate the powers that an inspector may exercise under this Act.

[81] La décision contestée a été rendue en vertu du paragraphe 38(7.1) de la Loi, qui prévoit ce qui suit :

Mesures correctives

(7.1) Même en l’absence de l’avis exigé par les paragraphes (4), (4.1) ou (5) ou du rapport mentionné au paragraphe (7), l’inspecteur ou l’agent des pêches peut, sous réserve du paragraphe (7.2), prendre ou faire prendre, aux frais de la personne visée aux alinéas (4)a) ou b), (4.1)a) ou b) ou (5)a) ou b), les mesures mentionnées au paragraphe (6), ou ordonner à cette personne de le faire à ses frais lorsqu’il est convaincu, pour des motifs raisonnables, de l’urgence de ces mesures.

Corrective measures

(7.1) If an inspector or fishery officer, whether or not they have been notified under subsection (4), (4.1) or (5) or provided with a report under subsection (7), is satisfied on reasonable grounds that immediate action is necessary in order to take any measures referred to in subsection (6), the inspector or officer may, subject to subsection (7.2), take any of those measures at the expense of any person described in paragraph (4)(a) or (b), (4.1)(a) or (b) or (5)(a) or (b) or direct that person to take the measures at their expense.

IX. ANALYSE ET DÉCISION

[82] La première question à examiner est celle de la norme de contrôle applicable. La décision contestée, qu’une agente a rendue en vertu de la Loi, est de nature administrative. Depuis que la Cour suprême du Canada a rendu l’arrêt Vavilov, précité, la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable.

[83] Dans l’examen du caractère raisonnable, la Cour doit se demander si la décision faisant l’objet du contrôle « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » : voir l’arrêt Vavilov, précité, au para 99.

[84] Les questions relatives à l’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte : voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339.

[85] Je renvoie également au paragraphe 33 de l’arrêt CB Powell Limited c Canada (Agence des services frontaliers), [2011] 2 RCF 332.

[86] En premier lieu, j’examine les arguments relatifs à l’équité procédurale.

[87] Dans l’arrêt Cardinal c Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur l’obligation de respecter l’équité dans la procédure découlant d’un régime réglementaire particulier, soit celui du Règlement sur le service des pénitenciers. Toutefois, au paragraphe 14, elle a admis le principe général de common law selon lequel « une obligation de respecter l’équité dans la procédure incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d’une personne ».

[88] Au paragraphe 50 de l’arrêt Knight c Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 RCS 653 [Knight], la Cour suprême du Canada a formulé des observations sur les circonstances dans lesquelles il existe une obligation d’équité :

Tout comme les principes de justice naturelle, la notion d’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas.

[…]

Notre Cour a souligné une fois de plus très récemment dans l’arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), précité, où le juge Sopinka écrit au nom de la majorité, aux pp. 895 et 896 :

Aussi bien les règles de justice naturelle que l’obligation d’agir équitablement sont des normes variables. Leur contenu dépend des circonstances de l’affaire, des dispositions législatives en cause et de la nature de la question à trancher. La distinction entre elles s’estompe donc lorsqu’on approche du bas de l’échelle dans le cas de tribunaux judiciaires ou quasi judiciaires et du haut de l’échelle dans le cas de tribunaux administratifs ou exécutifs. C’est pourquoi on ne détermine plus maintenant le contenu des règles à suivre par un tribunal en essayant de le ranger dans la catégorie de tribunal judiciaire, quasi judiciaire, administratif ou exécutif. Au contraire, on décide du contenu de ces règles en tenant compte de toutes les circonstances dans lesquelles fonctionne le tribunal en question.

[Souligné dans l’original, caractère gras ajouté.]

[89] Je renvoie aux paragraphes 21 à 28 de l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], où la Cour suprême a présenté une liste non exhaustive de facteurs qui influent sur le contenu de l’équité procédurale, à savoir :

1. la nature de la décision et le processus suivi pour y parvenir;

2. la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle agit le décideur;

3. l’importance de la décision pour les personnes visées;

4. les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;

5. les choix de procédure que le décideur fait.

[90] Les demandeurs se concentrent sur les troisième et quatrième facteurs, bien qu’ils aient également mentionné le cinquième.

[91] Le « régime législatif » est celui de la Loi, laquelle vise notamment à encadrer « la conservation et la protection du poisson et de son habitat ».

[92] L’existence d’un pouvoir discrétionnaire permet à l’agente de choisir librement son processus, mais non pas de faire abstraction d’obligations fondamentales comme celles d’aviser les demandeurs, de leur donner l’occasion de répondre et de faire preuve d’ouverture d’esprit jusqu’à la fin de l’enquête.

[93] En l’espèce, je suis d’avis que l’agente a manqué à chacune de ces obligations.

[94] Après avoir examiné le contenu du DCT et les observations des parties, je suis convaincue que la décision contestée a été rendue en violation de l’équité procédurale due aux demandeurs.

[95] Le défendeur soutient que les demandeurs avaient droit au degré minimal d’équité procédurale et qu’ils n’étaient pas en droit d’être avisés que l’agente menait une enquête.

[96] Je ne suis pas d’accord.

[97] Les demandeurs soutiennent que Mme Jansen a « orienté » M. MacInnis, un employé du MPO, en ce qui a trait à la préparation de l’annexe 4, un document intitulé [traduction] « formulaire de triage d’incidents liés à l’habitat du poisson dans la région du Pacifique ». Selon le DCT, Mme Jansen a communiqué avec M. MacInnis au sujet d’une annexe 4 concernant la propriété des demandeurs pour la première fois le 21 juillet 2020, par courriel. Elle a mentionné qu’une visite de cette propriété devait avoir lieu le 5 août 2020. Voici un extrait de son courriel :

[traduction]
Il pourrait vous être utile dans vos recherches (suivant le point 1.4 de l’annexe ci-jointe) de savoir que les anciens propriétaires sont David et Pixie Riddle et qu’ils avaient apparemment présenté une demande en vue d’installer un quai en 2016 (le plaignant a indiqué que [caviardé dans l’original] l’avait lu dans une annonce dans le journal Island Tides). Je n’ai pas d’autres renseignements à ce sujet. Je sais seulement que c’était en février 2016 et que Shona Smith (du Programme de protection des pêches) devait communiquer avec le plaignant à ce sujet. Je ne connais pas la suite. Si vous trouvez des renseignements sur ce sujet, vous pouvez soit les inscrire dans l’annexe, soit me faire savoir quelles sont les recherches dans le système Suivi des activités du programme de l’habitat, et je pourrai les inscrire.

[98] La version de l’annexe 4 que Mme Jansen a envoyée à M. MacInnis fait mention d’une plainte que le MPO avait reçue le 11 mai 2020. Il n’y a aucun renseignement sur la plainte.

[99] D’après un courriel que M. MacInnis a envoyé à Mme Jansen le 28 juillet 2020, un examen des documents ministériels a révélé que ni les anciens propriétaires ni les demandeurs n’avaient soumis de plan ou de proposition au MPO.

[100] Mme Jansen a apparemment reçu une version de l’annexe 4 qui figure aux pages 46 à 55 du DCT, par courriel le 2 février 2021 à 16 h 41.

[101] Dans un courriel envoyé le 3 février 2021 à 9 h 53, Mme Jansen a informé Mme Brenda Rotinsky, du MPO, qu’elle n’assisterait pas à une réunion avec l’équipe du PPPH sans avoir d’abord eu l’occasion d’examiner l’annexe 4.

[102] Ce courriel de Mme Jansen semble avoir été envoyé en réponse à un courriel de Mme Rotinsky envoyé le 2 février 2021 à 15 h 14. Le courriel de Mme Rotinsky figure à la page 57 du DCT. En voici un extrait :

[traduction]
[…] Nous souhaitons communiquer notre analyse qui résulte de discussions avec la Direction des sciences et d’un examen du dossier par des pairs. Ce travail a été plus long que nous l’avions espéré en raison de la complexité de la définition de l’habitat essentiel de l’ERS. Nous donnons fréquemment des conseils à propos de quais situés dans un environnement marin (et d’eau douce) et nous pourrions vous suggérer quelques façons de procéder avec le propriétaire pour atténuer les conséquences de leur quai, si vous y voyez un intérêt. Toutefois, pour avoir une discussion adéquate, nous souhaitons nous réunir et examiner l’annexe. Le PPPH aimerait transmettre ses connaissances sur le sujet et connaître votre position.

[103] Le 15 février 2021, Mme Jansen a envoyé un courriel à M. MacInnis. En voici un extrait :

[traduction]
[…]

J’ai toutefois quelques réserves concernant le libellé de l’annexe 4 et notre capacité à prendre des mesures correctives, à donner un avertissement ou à engager des poursuites de quelque type que ce soit, car la décision contenue dans cette annexe 4 n’est pas défendable.

J’ai joint l’annexe 4, à laquelle j’ai inclus quelques commentaires et surligné certains passages qui montrent certaines de mes réserves.

Veuillez examiner l’annexe 4 ci-jointe et mes commentaires, et réviser l’annexe 4 de façon à ce qu’elle indique que vous avez considéré qu’il s’agissait, non pas seulement d’une « détérioration de l’habitat du poisson », mais aussi d’une « destruction de l’habitat essentiel d’une espèce aquatique en voie de disparition ou menacée inscrite sur la liste de la LEP », à savoir l’ERS (suivant le point 4.2).

Cette décision doit être très claire et décisive.

Si vous n’êtes pas en mesure d’étayer votre décision avec des conclusions plus décisives, j’en déduirai que vous ne le pouvez pas et je prendrai des dispositions pour retenir les services d’un expert de l’habitat essentiel de l’ERS.

Veuillez me faire savoir dès que possible si vous pouvez le faire ou non. Si vous le pouvez, veuillez également remplir la nouvelle version de l’annexe 4 avant le 1er mars 2021.

J’ai fixé un calendrier serré parce que la préparation de cette décision et de l’annexe 4 a pris trop de temps.

Voici le calendrier jusqu’à maintenant :

· 11 mai 2020 : La Direction de la conservation et de la protection a été informée de la présence de deux pieux dans l’habitat essentiel de l’ERS près du 1301, chemin MacKinnon, sur l’île Pender Nord.

· 21 juillet 2020 : L’annexe 4 a été soumise à Andrew MacInnis, biologiste du PPPH.

· 5 août 2020 : Une visite du site a été effectuée. Les pieux et la zone ont été inspectés avec Andrew MacInnis, biologiste du PPPH.

· 9 septembre 2020 : Lors d’une patrouille dans le secteur, des agents des pêches ont constaté qu’un quai et l’infrastructure connexe avaient été installés sur le site.

· 6 octobre 2020 : Une visite du site a été effectuée. Le quai et l’infrastructure connexe ont été inspectés avec Andrew MacInnis, biologiste du PPPH.

· 2 février 2021 : L’annexe 4 remplie a été reçue.

Veuillez également noter que ce courriel, les autres courriels, les notes et les ébauches peuvent tous faire l’objet d’une communication complète.

[…]

[Caractère gras dans l’original.]

[104] Avec le courriel envoyé le 15 février 2021 à 9 h 46, Mme Jansen a fait parvenir à M. MacInnis plusieurs pages de notes sur la version de l’annexe 4 qu’il avait envoyée le 2 février 2021. Ces notes figurent dans le DCT aux pages suivantes :

- page 67 : notes à propos de la page 5 de l’annexe 4;

- Page 69 : notes à propos de la page 6 de l’annexe 4;

- Page 71 : notes à propos de la page 7 de l’annexe 4;

- Page 73 : notes à propos de la page 8 de l’annexe 4;

- Page 75 : notes à propos de la page 9 de l’annexe 4;

- Page 77 : notes à propos de la page 10 de l’annexe 4.

[105] Parmi les notes que l’agente a envoyées à M. MacInnis figure le commentaire ci-dessous au sujet de la section de l’annexe 4 concernant l’incidence du flotteur et des ancres du quai sur l’ERS :

[traduction]
Cette section est la partie la plus importante de l’annexe 4. Elle est vraiment capitale. Le texte de cette section est celui que j’utiliserais pour rédiger une « mesure corrective » qui serait communiquée au propriétaire pour qu’il soit obligé d’atténuer les conséquences sur l’habitat essentiel de l’ERS. Vu l’ambiguïté de l’ensemble de la section, je ne peux pas rédiger un tel document. Le texte doit être catégorique. Les mots « probablement », « potentiellement » et « prévu » le rendent moins clair en ce qui concerne les conséquences.

[106] D’après un courriel envoyé le 1er mars 2021 à 13 h 51, M. MacInnis a fourni une [traduction] « version de cette annexe légèrement modifiée de façon à en accroître la clarté ».

[107] Dans un courriel envoyé à M. MacInnis le 17 mars 2021 à 13 h 18, Mme Jansen a affirmé ce qui suit :

[traduction]
Je sais qu’il y a eu des discussions à un échelon supérieur au nôtre sur les prochaines étapes en ce qui concerne l’habitat essentiel suivant la LEP et le travail qui a été fait ou qui pourrait être fait, et qui doit certainement être fait. Cependant, je dois aller de l’avant avec le dossier que nous avons (vous et moi) à propos du 1301, chemin McKinnon, sur l’île Pender Nord.

Étant donné que l’annexe 4 que vous avez fournie ne nous permet toujours pas d’aller de l’avant avec des mesures contraignantes – des mesures correctives ou une procédure judiciaire –, et, compte tenu des commentaires qui vous ont été présentés et du comité de surveillance auquel vous avez soumis l’annexe 4 et avec lequel vous avez discuté de celle-ci, je souhaite établir un contrat à fournisseur unique avec M. John Ford afin que nous puissions faire appel à lui en tant qu’« expert » à propos non seulement de l’ERS, mais aussi de l’habitat essentiel de l’ERS.

Si nous pouvions faire appel à M. Ford, j’aimerais également proposer que vous soyez présent à une inspection du site pour qu’il y ait une sorte de mentorat entre le PPPH et une personne qui a réellement participé à la rédaction du plan de rétablissement de l’ERS et à la désignation de l’habitat essentiel de l’ERS, et qui peut parler de la forme, de la fonction et des attributs de l’habitat essentiel de l’ERS.

Il faut vraiment que l’annexe 4 porte principalement sur l’ERS et sur la question de savoir si cet ouvrage en particulier constitue ou non une DDP ou une destruction de l’habitat essentiel de l’ERS.

[108] Dans un courriel envoyé le 18 mars 2021, Mme Jansen a demandé de l’aide à Mme Thornton. Mme Jansen y a décrit le contexte de la façon suivante :

[traduction]
[…]

Hier, j’ai discuté avec Sean de certains problèmes liés à des travaux effectués dans l’habitat essentiel de l’ERS, notamment d’un problème lié à un quai qui a été installé dans l’habitat essentiel de l’ERS, et il m’a suggéré de communiquer avec vous pour savoir si vous voudriez et pourriez donner votre avis sur la question de savoir si cet « ouvrage » a causé une destruction de l’habitat essentiel de l’ERS. Je travaille avec le PPPH (le Programme de protection du poisson et de son habitat) sur cette question. J’ai effectué deux visites sur le site avec l’un de ses biologistes, conformément à sa politique, pour juger s’il y a eu « destruction » de l’habitat essentiel de l’ERS, mais les renseignements contenus dans l’annexe 4 (l’annexe 4 est essentiellement le rapport présentant ses conclusions) ne répondent pas à la question de savoir s’il y a eu destruction de l’habitat essentiel de l’ERS.

Seriez-vous en mesure de m’aider à ce sujet?

J’aimerais également proposer que vous soyez présente à une inspection du site pour qu’il y ait une sorte de mentorat entre le PPPH et une personne qui a réellement participé à la rédaction du plan de rétablissement de l’ERS et à la désignation de l’habitat essentiel de l’ERS, et qui peut parler de la forme, de la fonction et des attributs de l’habitat essentiel de l’ERS.

Il faut vraiment que l’annexe 4 porte principalement sur l’ERS et sur la question de savoir si cet ouvrage en particulier constitue ou non une destruction de l’habitat essentiel de l’ERS.

Je peux vous fournir plus de renseignements et une copie de l’annexe 4 si vous pensez que vous pourriez l’examiner. Si vous voulez m’appeler pour en discuter, faites-le-moi savoir. Mon numéro de téléphone cellulaire est le [numéro de téléphone omis].

[109] Ce courriel porte principalement sur une conclusion selon laquelle il y a eu destruction de l’habitat essentiel de l’ERS.

[110] Par courriel, le 19 mars 2021 à 8 heures, Mme Jansen a transmis à Mme Thornton la [traduction] « plus récente version de l’annexe 4 » dont elle disposait, qui était datée du 26 février 2021.

[111] Dans un courriel envoyé le 22 mars 2021 à 12 h 56, Mme Thornton a indiqué qu’elle avait examiné l’annexe 4. Elle a ajouté ce qui suit :

[traduction]
Thomas et moi avons examiné l’annexe (qui est très bien rédigée et documentée) et nous sommes d’accord pour dire qu’il y a destruction de l’habitat essentiel de l’ERS. En outre, il pourrait y avoir des conséquences sur l’épaulard migrateur, car, comme d’autres mammifères marins, il devrait dévier de sa trajectoire vers l’ouest, dans des zones de trafic maritime intense, ce qui entraînerait des impacts acoustiques, car il se rapprocherait de la source sonore, ainsi qu’un risque accru de collision avec un navire et un changement dans son comportement général.

Si la Direction de la conservation et de la protection souhaite intenter une action au titre de la LEP et de la [Loi sur les pêches], indiquez-nous comment nous pouvons vous aider (je suppose que la première étape serait de préparer un énoncé d’impact).

[112] Dans un courriel envoyé le 30 mars 2021 à 14 h 08, Mme Jansen a précisé ce qu’elle attendait de Mme Thornton :

[traduction]
Bonjour, Sheila. Merci beaucoup à vous et à Thomas d’avoir examiné l’annexe.

Je ne veux pas que l’annexe 4 contienne une affirmation que vous, Thomas ou qui que ce soit d’autre ne pourrait en fin de compte pas défendre. Cependant, il est vraiment nécessaire que l’annexe 4 et la conclusion selon laquelle il y a destruction de l’habitat essentiel de l’ERS soient plus décisives. Vous dites dans votre courriel que vous êtes d’accord qu’il y a eu destruction de l’habitat essentiel de l’ERS, et cette affirmation doit être étayée dans l’annexe 4.

Vous remarquerez à la page 9, qui est la partie la plus importante de l’annexe 4, la grande ambiguïté de toute la section en raison des mots « probablement », « potentiellement » et « prévu » utilisés plusieurs fois. Ces mots rendent le texte moins clair en ce qui concerne les conséquences possibles des ouvrages et, en fin de compte, la conclusion selon laquelle il y a eu destruction de l’habitat essentiel de l’ERS.

Le libellé de cette section est celui qui serait utilisé pour rédiger une « mesure corrective » qui serait communiquée au propriétaire pour qu’il soit obligé d’atténuer les conséquences sur l’habitat essentiel de l’ERS, ou si nous devons prendre la voie des tribunaux.

Vu l’ambiguïté de l’ensemble de la section, je ne peux pas rédiger un tel document. Le texte doit être catégorique. Les mots « probablement », « potentiellement » et « prévu » le rendent moins clair en ce qui concerne les conséquences.

Nous, la Direction de la conservation et de la protection, aimerions soulever cette question au regard de la LEP et de la Loi sur les pêches si les ouvrages sont considérés comme une destruction de l’habitat essentiel de l’ERS. Il serait également très bien d’inspecter le site avec une personne de votre équipe et le biologiste du PPPH pour qu’il y ait une sorte de mentorat en ce qui concerne l’habitat essentiel de l’ERS et afin qu’il soit possible de mieux dire ce qui peut être étayé et ce qui ne peut pas l’être.

Est-ce que vous seriez d’accord pour le faire? Il est certain que nous prendrons toutes les mesures de protection nécessaires contre la COVID pour que vous soyez à l’aise. Si vous croyez que vous y arriveriez, vous pourriez aussi examiner la vidéo et les autres images prises par Andrew McInnis, ainsi que celles de l’annexe 4, que vous avez examinée, et nous donner une réponse plus catégorique à la question de savoir s’il y a eu destruction de l’habitat essentiel de l’ERS.

À nouveau, merci d’avoir examiné le document. En fin de compte, ce que nous voulons, c’est protéger l’habitat essentiel de l’ERS conformément au plan de rétablissement, ce qui permettra également de mieux comprendre et de mieux protéger d’autres espèces.

[Caractères gras et soulignement dans l’original.]

[113] À mon avis, Mme Jansen ne se borne pas à demander à Mme Thornton de se pencher sur une question.

[114] Mme Thornton a répondu à Mme Jansen par courriel le 30 mars 2021 à 14 h 45. Voici un extrait de ce courriel :

[traduction]
Bonjour Willi. J’aimerais appuyer ces démarches dans toute la mesure possible. Comme je l’ai mentionné dans mon courriel précédent, la zone en question se trouve dans l’un des polygones de haute fréquence d’occurrence de l’ERS. Si nous ne pouvons pas protéger ces zones, nous manquons vraiment à notre devoir de faire respecter l’objectif de la LEP.

Je vais regarder les sections que vous avez indiquées ci-dessous. En tant que scientifiques, nous parlons toujours de probabilité, et non pas de certitude, ce qui, je le sais, est un problème pour l’application de la loi. Toutefois, lorsqu’il s’agit d’une installation permanente (par opposition à un acte entraînant une réduction temporaire de la qualité de l’habitat), nous devrions pouvoir nous exprimer de façon plus catégorique.

[115] D’après sa réponse envoyée le 30 mars 2021 à 14 h 55, Mme Jansen partage l’avis de Mme Thornton à propos de la LEP.

[116] Mme Thornton a effectué une visite du site le 4 juin 2021. Selon la transcription de son contre-interrogatoire, elle a été présente sur le site, à bord d’un canot pneumatique, pendant environ quatre minutes. L’agente, qui était dans une autre embarcation, ne se souvient pas de la durée de sa visite du site.

[117] Mme Thornton a préparé l’énoncé d’impact et en a envoyé une copie par courriel à ses collègues le 14 septembre 2021 à 14 h 31. Voici un extrait de ce courriel :

[traduction]
[…]

J’ai rédigé un énoncé d’impact concernant le quai construit sur l’île Pender Nord. Thomas, si vous pouviez l’examiner, ajouter tout point pertinent lié à l’épaulard migrateur avec des renvois à l’appui et le réviser impitoyablement, je vous en serais reconnaissante.

Je travaillerai avec Willi pour remplir la première partie, à propos des renseignements sur les activités, et l’énoncé sera envoyé aux avocats, qui veilleront à ce que le texte soit défendable (vous remarquerez que je n’utilise pas les expressions « susceptible de » ou « forte probabilité que », qu’ils n’aiment pas). J’ajouterai des photos et des renseignements sur l’emplacement, mais n’oubliez pas que ce sera une partie d’un ensemble de documents et qu’il doit être considéré comme l’« énoncé d’impact », et non comme la description complète de l’activité visée par l’enquête.

[…]

[118] Mme Thornton a apparemment transféré ce courriel à Mme Jansen le 16 septembre 2021 à 15 h 55. Elle a demandé des renseignements à Mme Jansen et lui a transmis les observations suivantes :

[traduction]
[…] J’ai envoyé l’ébauche de mon énoncé d’impact à Thomas et à Sean pour qu’ils le commentent, et j’aimerais avoir des renseignements pour la première section, « Renseignements sur les activités visées par l’enquête », avant de finaliser le document.

[…] En quelques années seulement, nous avons constaté que le nombre d’embarcations qui s’approchent des baleines augmente et nous nous sommes heurtés à une certaine hostilité ou à un manque de respect de la part de plaisanciers que nous avons abordés dans le détroit de Johnstone cette année (en particulier les kayakistes, qui semblent croire qu’ils sont exemptés).

S’il y a des renseignements que vous souhaiteriez voir figurer dans l’énoncé d’impact, faites-le-moi savoir. Je suis sûre qu’il y aura encore quelques versions.

[119] Une ébauche de l’énoncé d’impact figure aux pages 157 à 177 du DCT. Dans un courriel envoyé le 21 octobre 2021, Mme Jansen a demandé à Mme Thornton de lui passer [traduction] « un bref coup de fil » parce qu’elle avait une « une petite question à propos de l’énoncé ».

[120] Dans un courriel envoyé le 22 octobre 2021 à 10 h 57, Mme Jansen a accusé réception de l’énoncé d’impact et a fourni à Mme Thornton des renseignements permettant de remplir la section [traduction] « Renseignements sur les activités visées par l’enquête » :

[traduction]
[…]

Voici quelques renseignements contextuels qui vous permettront de remplir la section « Renseignements sur les activités visées par l’enquête ».

Le quai a été installé entre mai et septembre 2020 à côté de la propriété située au 1301, chemin MacKinnon sur l’île Pender Nord, à environ 48° 48’ 43” N et 123°19’ 63” O. L’ensemble du quai se compose de deux pieux en acier d’un diamètre de 0,3 m installés dans le fond marin à 15 m de la laisse de haute mer (LHM), d’une passerelle en deux parties suspendue et d’un quai d’amarrage flottant de 12 m sur 4 m en béton ancré au fond marin à environ 2 m des deux pieux d’acier, du côté de la mer, au moyen de quatre chaînes fixées aux quatre coins du quai flottant.

L’ensemble de la structure du quai est perpendiculaire au rivage et son extrémité se trouve à environ 29 m de la LHM dans le chenal Swanson.

[121] Dans un courriel envoyé le 16 novembre 2021 à 15 h, Mme Jansen a demandé à Mme Thornton si elle avait apporté [traduction] « des modifications à l’énoncé d’impact [qu’elle avait] envoyé le 16 septembre 2021 ». Elle a également indiqué qu’une demande avait été faite visant à obtenir une copie de l’énoncé d’impact.

[122] Le 18 novembre 2021, dans un courriel envoyé à 12 h 08, Mme Jansen a proposé à Mme Thornton un autre [traduction] « bref coup de fil » au sujet de l’énoncé d’impact.

[123] Dans un courriel envoyé le 22 novembre 2021 à 10 h 13, Mme Thornton a répondu ce qui suit au courriel de Mme Jansen daté du 16 novembre 2021 :

[traduction]
J’ai joint l’énoncé d’impact auquel la description du quai que vous aviez fournie a été ajoutée, mais je n’ai jamais reçu de document incluant des modifications de votre part. Si d’autres modifications ont été apportées, veuillez m’en informer. Sinon, considérez celle-ci comme la version définitive, examinée par Sean, Thomas et moi-même, et incluant maintenant une description plus détaillée de l’activité.

[124] Dans un courriel envoyé le 22 novembre 2021 à 10 h 42, Mme Jansen a répondu ce qui suit :

[traduction]
[…] Je n’ai pas modifié votre document… J’ai seulement fourni le paragraphe à intégrer. Merci à tous. Cet énoncé est très important, et il est à espérer que nous pourrons protéger adéquatement l’habitat essentiel de l’ERS et de tous les autres épaulards.

[125] Dans son courriel du 22 novembre 2021, Mme Thornton a qualifié la pièce jointe de [traduction] « version définitive » de l’énoncé d’impact. La version qui figure aux pages 209 à 216 du DCT est datée du 15 novembre 2021.

[126] À mon avis, ces entrées du DCT révèlent un manquement à l’équité procédurale envers les demandeurs, lequel résulte du fait qu’ils n’ont pas été avisés et qu’ils n’ont pas eu la possibilité de participer au processus décisionnel.

[127] Le défendeur, renvoyant à la page 685 de l’arrêt Knight, précité, soutient que l’agente disposait d’un vaste pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne l’élaboration du processus qui a mené à la décision contestée. Cependant, le principe fondamental de l’équité procédurale est que le demandeur connaisse la preuve qu’il doit réfuter.

[128] Le défendeur soutient que les demandeurs n’avaient pas droit à un processus en particulier et que des engagements ont été pris de manière implicite ou autrement. Il s’appuie sur la décision Foster Farms LLC c Canada (Diversification du commerce international), 2020 CF 656.

[129] À mon avis, ces arguments ne sont pas à propos. Les demandeurs ne soutiennent pas qu’ils avaient droit à un processus en particulier, mais plutôt que leur droit fondamental d’être avisé et d’avoir la possibilité de participer au processus décisionnel n’a pas été pris en compte.

[130] Je suis d’accord.

[131] D’après le DCT, l’agente était au courant de la construction du quai depuis au moins le 5 mai 2020. Elle n’a cependant pas communiqué avec les demandeurs avant le 27 octobre 2021. Elle a communiqué avec M. McKerrell le 20 octobre 2021 et avec M. Corey Johnson le 27 octobre 2021.

[132] Contrairement à ce que soutient le défendeur dans ses observations, les appels de dernière minute à M. McKerrell et à M. Johnson ne constituaient pas un [traduction] « avis » aux demandeurs ni une possibilité pour ces derniers de présenter des observations à l’agente.

[133] Au paragraphe 20 de la décision Conesa c Canada (Procureur général), 2021 CF 632, le juge Shore a formulé les observations suivantes au sujet de l’obligation d’équité procédurale :

[20] Compte tenu de l’urgence et du rôle du MPO, pondérant ce qui précède, le présent contexte donne lieu à un moindre devoir d’équité procédurale. La partie concernée par une décision doit toutefois connaître ce qui la concerne et avoir l’occasion d’y répondre, peu importe la déférence qui puisse s’accorder au choix de la procédure (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 56).

[134] L’agente savait qu’il existait d’autres quais ou structures dans la région. Rien dans la preuve n’indique que l’un des propriétaires de ces quais ou de ces structures a été visé par une enquête du MPO.

[135] Le défendeur soutient que l’agente a fait preuve de diligence raisonnable dans l’exercice de ses fonctions prévues à l’article 38 de la Loi et qu’elle disposait d’un vaste pouvoir discrétionnaire à cet égard.

[136] Les arguments relatifs à la « diligence raisonnable » ont de quoi laisser perplexe. En tant que fonctionnaire, l’agente bénéficie de la présomption qu’elle exerce ses fonctions comme il se doit.

[137] Le terme « diligence raisonnable » appartient au domaine du droit relatif à la négligence et désigne un élément de l’obligation de diligence, qui est examinée dans l’arrêt Coast Ferries Ltd c Century Ins Co of Canada et al, [1975] 2 RCS 477, ou un moyen de défense contre une infraction de responsabilité stricte, comme aux paragraphes 145 et 293 de la décision R c Scott, 2017 BCPC 220 (Cour provinciale de la C.-B.). Dans la présente affaire, aucune question de négligence n’a été soulevée. Il n’est aucunement question d’une accusation aux termes de la Loi.

[138] Le défendeur fait valoir qu’en appelant M. McKerrell le 20 octobre 2020 à 13 h 38 et en lui posant des questions sur la construction du quai et sur les permis obtenus à cette fin, le cas échéant, l’agente a rempli son obligation d’aviser les demandeurs. D’après ses notes, qui figurent dans le DCT, l’agente a informé M. McKerrell que le [traduction] « battage de pieux et le quai étaient considérés comme une destruction de l’habitat essentiel de l’ERS ».

[139] Toujours d’après ces notes, M. McKerrell a affirmé qu’il fournirait à l’agente tout ce dont il disposait. Il semble que ce soit en réponse aux questions de l’agente concernant les démarches faites avant la construction, y compris l’auto-évaluation précédemment effectuée.

[140] Le défendeur qualifie M. McKerrell [traduction] « [d’]agent » des demandeurs et soutient qu’aviser celui-ci revenait à aviser les demandeurs.

[141] Je ne suis pas d’accord.

[142] Rien dans le DCT n’étaye l’idée que M. McKerrell fasse office de représentant légal des demandeurs en ce qui concerne l’avis du MPO.

[143] Qui plus est, un avis au sujet d’un problème existant ou potentiel transmis le 20 octobre 2020, soit une semaine avant que la décision contestée soit rendue, ne peut être considéré comme une communication de la preuve à réfuter.

[144] Le défendeur soutient que le contenu de l’équité procédurale est minimal dans les circonstances envisagées à l’article 38 de la Loi, et que l’agente a fait preuve de diligence raisonnable dans une situation d’urgence.

[145] Les demandeurs doutent, avec raison, qu’il y avait urgence et que l’agente devait agir et rendre la décision contestée immédiatement.

[146] D’après le DCT, une plainte concernant la construction du quai a été déposée le 11 mai 2020. Rien n’a été directement dit aux demandeurs avant le 27 octobre 2021, jour où, à 13 h 37, l’agente a parlé à Mme Piatka-Wasty au téléphone. D’après les notes, l’agente a informé Mme Piatka-Wasty que le quai construit au 1301, chemin McKinnon [traduction] « avait causé la destruction de l’habitat de l’épaulard résident du Sud et qu’en conséquence, une mesure corrective serait ordonnée, à savoir la planification du retrait du quai ».

[147] Dans ces circonstances, les demandeurs n’ont effectivement pas eu l’occasion de répondre ou de présenter des observations.

[148] Le défendeur soutient que l’agente n’était pas tenue d’aviser les demandeurs. Ce n’est pas mon avis.

[149] Au paragraphe 56 de l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), [2019] 1 RCF 121 [Canadien Pacifique], la Cour d’appel fédérale a affirmé ce qui suit au sujet des exigences fondamentales de l’obligation d’équité procédurale :

Peu importe la déférence qui est accordée aux tribunaux administratifs en ce qui concerne l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de faire des choix de procédure, la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre. […]

[150] D’après l’arrêt Baker, précité, l’importance des droits touchés par une décision administrative peut avoir une incidence sur le contenu de l’obligation d’équité procédurale due.

[151] Les demandeurs jouissent assurément de droits de propriété sur leur propriété. Abstraction faite des subtilités des droits riverains, le fait est que l’on doit tenir compte de ces droits.

[152] L’agente a indiqué dans ses notes qu’elle souhaitait obtenir une déclaration de M. McKerrell et de M. Johnson. Aucune explication n’est donnée. Il y a lieu de se demander pourquoi elle souhaitait avoir une déclaration après avoir rendu la décision contestée.

[153] Les demandeurs soutiennent que l’agente a fait preuve de partialité et qu’elle a préjugé de l’affaire.

[154] Dans ses observations supplémentaires déposées le 25 janvier 2023, le défendeur a fait valoir que le critère relatif à la partialité était très strict et que les demandeurs n’y avaient pas satisfait. À cet égard, il s’appuie sur les paragraphes 27 et 28 de la décision Burlacu c Canada (Procureur général), 2022 CF 1467, où la Cour a affirmé ce qui suit :

[27] Les décideurs administratifs sont présumés agir de manière impartiale et en faisant preuve d’ouverture d’esprit. En cas d’allégation de partialité, le critère à appliquer vise à déterminer l’existence non pas d’une partialité réelle, mais plutôt d’une crainte raisonnable de partialité : une personne sensée, raisonnable et bien informée conclurait-elle, selon toute vraisemblance, que le décideur, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? (Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369 aux p 386 et 394).

[28] La présomption selon laquelle un décideur est impartial n’est pas facile à réfuter. Le seuil permettant de conclure à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité est élevé, et le fardeau d’établir la partialité qui incombe à la partie qui en allègue l’existence est tout aussi élevé. Pour s’acquitter de ce fardeau, la partie doit présenter une preuve claire et concrète. L’analyse à effectuer est contextuelle et fondée sur les faits (Keita c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1115 au para 1; Grey c Première Nation de Whitefish Lake, 2020 CF 949 aux para 23, 24).

[155] Le défendeur soutient que l’agente a fait preuve d’ouverture d’esprit, qu’elle a demandé de la manière appropriée des conseils et des renseignements à des personnes qualifiées et qu’elle a donné aux demandeurs la possibilité de répondre.

[156] Quant à eux, les demandeurs soutiennent que le critère applicable en ce qui concerne la partialité est celui qui est énoncé au paragraphe 98 de la décision Chrétien c Canada (Ex-commissaire, Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires), [2009] 2 RCF 417 [Chrétien] :

[98] Le critère déterminant, ainsi qu’il est indiqué ci-dessus, consiste à savoir si une personne raisonnablement bien renseignée, qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, conclurait à une crainte raisonnable de partialité. […]

[157] Dans l’arrêt Baker, précité, la Cour suprême du Canada, qui examinait la question du contenu de l’obligation d’équité dans un cas particulier, a fait observer qu’il fallait tenir compte de la nature de la décision recherchée et du processus suivi pour y parvenir, de la nature du régime législatif et des termes de la loi régissant le décideur.

[158] En l’espèce, il s’agit d’une décision administrative rendue en vertu du paragraphe 38(7.1) de la Loi. Pour rendre la décision, il est nécessaire d’exercer un pouvoir discrétionnaire, dans les limites de la Loi.

[159] D’après le DCT, les demandeurs n’ont pas été avisés. M. McKerrell était l’agent des demandeurs pour les besoins du processus d’obtention des permis. Cela n’en faisait pas [traduction] « l’agent » des demandeurs à tous égards, y compris pour la réception de l’avis à propos de l’enquête sur l’installation du quai.

[160] Le DCT contient bon nombre d’entrées et de documents indiquant que l’agente a tenté d’orienter la démarche et les conclusions de M. MacInnis. J’en ai donné plusieurs exemples dans les paragraphes précédents.

[161] Les parties ont saisi l’occasion de déposer des observations supplémentaires sur la partialité, notamment par rapport à la décision Chrétien, précitée.

[162] La partialité est un élément de l’équité procédurale qui concerne le droit d’une personne à bénéficier d’un traitement équitable dans le cadre du processus menant à une décision administrative.

[163] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le [traduction] « contexte » de l’affaire qui fait l’objet de la décision Chrétien, précitée, est différent de celui qui prévaut en l’espèce. Toutefois, les principes relatifs au droit à l’impartialité sont les mêmes.

[164] En l’espèce, les arguments des demandeurs me convainquent davantage que ceux du défendeur. Je suis d’accord pour dire que l’agente n’a pas démontré qu’elle était [traduction] « disposée à se laisser convaincre ». Le dossier montre que les demandeurs n’ont pas eu l’occasion de la [traduction] « convaincre ».

[165] Il n’est pas nécessaire de démontrer que le traitement a réellement été partial. D’après la jurisprudence, l’apparence de partialité suffit à vicier l’équité d’une décision administrative.

[166] La DCT appuie le point de vue selon lequel l’agente avait un objectif en vue et a fait tout ce qu’elle pouvait pour l’atteindre. Il montre qu’elle a [traduction] « orienté » M. MacInnis. À mon avis, elle a également orienté Mme Thornton.

[167] Comme j’ai conclu que la décision contestée avait été rendue en violation de l’équité procédurale, elle doit être annulée. Il n’est pas nécessaire que je réponde aux observations formulées au sujet de son bien-fondé. La décision contestée ne peut satisfaire à la norme de la décision raisonnable, car il a été établi qu’elle avait été rendue en violation de l’équité procédurale.

X. LA RÉPARATION

[168] Les demandeurs demandent qu’une ordonnance annulant la décision contestée soit rendue et que, s’ils obtiennent gain de cause dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, l’affaire ne soit pas renvoyée pour nouvel examen.

[169] Le défendeur s’y oppose en soutenant que, si la décision contestée est annulée, l’affaire doit être renvoyée à un autre agent pour qu’une nouvelle décision soit rendue. Il fait valoir qu’il s’agit de la mesure de réparation [traduction] « habituelle » dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

[170] Le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, précitée, énonce les pouvoirs dont dispose la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire :

Pouvoirs de la Cour fédérale

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

Powers of Federal Court

(3) On an application for judicial review, the Federal Court may

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

[171] Je suis d’accord avec le défendeur au sujet de la réparation.

XI. CONCLUSION

[172] En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie et la décision contestée sera annulée. La preuve et les observations des parties ont toutes été prises en compte. Il n’est pas nécessaire d’examiner le bien-fondé de la décision contestée pour statuer sur la présente demande.

[173] Chaque partie a demandé la possibilité d’aborder la question des dépens qui pourraient lui être adjugés si elle avait gain de cause en l’espèce. Normalement, les dépens suivent l’issue de la cause. Une directive sur la question des dépens sera donnée.


JUGEMENT dans le dossier T-1809-21

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision contestée est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

Une directive sur la question des dépens sera donnée.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Normand Belhumeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


DOSSIER :

T-1809-21

 

INTITULÉ :

VERONICA ANDREA PIATKA-WASTY et JOHN SYMON WASTY c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATES DE L’AUDIENCE :

LES 14, 15, 19, 20, 21 et 22 DÉCEMBRE 2022

DATES DES OBSERVATIONS SUPPLÉMENTAIRES :

LES 9, 25 et 31 JANVIER 2023

 

MOTIFS ET JUGEMENT :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :

LE 31 JUILLET 2023

COMPARUTIONS :

Aurora Faulkner-Killam et Edward Hanman

 

POUR LES DEMANDEURS

Sarah Bird et Matthew Morawski

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cox Taylor

Victoria (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

Ministère de la Justice du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.