Décisions de la Cour fédérale

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     T-1830-96

Ottawa (Ontario), le 7 août 1997

En présence de monsieur le juge Muldoon

Entre :

     COMMUNITY BEFORE CARS COALITION,

     requérante,

     - et -

     COMMISSION DE LA CAPITALE NATIONALE,

     intimée.

     ORDONNANCE

         APRÈS avoir entendu les avocats de chacune des parties lors des séances tenues les 1er, 2, 3, 8 et 10 avril 1997 à Ottawa, et après avoir lu la documentation volumineuse à laquelle ils ont renvoyé la Cour dans la présente affaire ainsi que dans les trois autres entendues en même temps, et

         POUR les motifs écrits unifiés qui ont été rendus à pareille date dans ces affaires,

LA PRÉSENTE COUR STATUE que la demande de la requérante est rejetée, sans dépens à payer de la part ou en faveur de l'une ou l'autre des parties.

     F.C. Muldoon

                                 Juge
Traduction certifiée conforme :     
                             F. Blais, LL.L.

     T-2481-96

Ottawa (Ontario), le 7 août 1997

En présence de monsieur le juge Muldoon

Entre :

     COMMUNITY BEFORE CARS COALITION,

     requérante,

     - et -

     COMMISSION DE LA CAPITALE NATIONALE,

     intimée.

     ORDONNANCE

         APRÈS avoir entendu les avocats de chacune des parties lors des séances tenues les 1er, 2, 3, 8 et 10 avril 1997 à Ottawa, et après avoir lu la documentation volumineuse à laquelle ils ont renvoyé la Cour dans la présente affaire ainsi que dans les trois autres entendues en même temps, et

         POUR les motifs écrits unifiés qui ont été rendus à pareille date dans ces affaires,

LA PRÉSENTE COUR STATUE que la demande de la requérante est rejetée, sans dépens à payer de la part ou en faveur de l'une ou l'autre des parties.

     F.C. Muldoon

                                 Juge
Traduction certifiée conforme :     
                             F. Blais, LL.L.

     T-2865-96

Ottawa (Ontario), le 7 août 1997

En présence de monsieur le juge Muldoon

Entre :

     COMMUNITY BEFORE CARS COALITION,

     requérante,

     - et -

     COMMISSION DE LA CAPITALE NATIONALE,

     intimée.

     ORDONNANCE

         APRÈS avoir entendu les avocats de chacune des parties lors des séances tenues les 1er, 2, 3, 8 et 10 avril 1997 à Ottawa, et après avoir lu la documentation volumineuse à laquelle ils ont renvoyé la Cour dans la présente affaire ainsi que dans les trois autres entendues en même temps, et

         POUR les motifs écrits unifiés qui ont été rendus à pareille date dans ces affaires,

LA PRÉSENTE COUR STATUE que la demande de la requérante est rejetée, sans dépens à payer de la part ou en faveur de l'une ou l'autre des parties.

     F.C. Muldoon

                                 Juge
Traduction certifiée conforme :     
                             F. Blais, LL.L.

     T-2866-96

Ottawa (Ontario), le 7 août 1997

En présence de monsieur le juge Muldoon

Entre :

     COMMUNITY BEFORE CARS COALITION,

     requérante,

     - et -

     COMMISSION DE LA CAPITALE NATIONALE,

     intimée.

     ORDONNANCE

         APRÈS avoir entendu les avocats de chacune des parties lors des séances tenues les 1er, 2, 3, 8 et 10 avril 1997 à Ottawa, et après avoir lu la documentation volumineuse à laquelle ils ont renvoyé la Cour dans la présente affaire ainsi que dans les trois autres entendues en même temps, et

         POUR les motifs écrits unifiés qui ont été rendus à pareille date dans ces affaires,

LA PRÉSENTE COUR STATUE que la demande de la requérante est rejetée, sans dépens à payer de la part ou en faveur de l'une ou l'autre des parties.

     F.C. Muldoon

                                 Juge
Traduction certifiée conforme :     
                             F. Blais, LL.L.

     T-1830-96

     T-2481-96

     T-2865-96

     T-2866-96

Entre :

     COMMUNITY BEFORE CARS COALITION,

     requérante,

     - et -

     COMMISSION DE LA CAPITALE NATIONALE,

     intimée.

     MOTIFS D'ORDONNANCE

Le juge Muldoon

         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de quatre décisions que la Commission de la capitale nationale (CCN) a rendues le 3 septembre et le 15 octobre 1996. Ces décisions se rapportent à une structure faite d'acier et de béton, d'une longueur de 1 142 mètres et vieille de 70 ans, qui enjambe la rivière des Outaouais et porte le nom de pont Champlain. Les décisions contestées concernent toutes le projet établi par la CCN en vue d'élargir le pont de deux à trois voies. Pour mieux comprendre ce sur quoi portent les quatre demandes portant les nos de greffe T-1830-96, T-2481-96, T-2865-96 et T-2866-96, il est utile de relater en détail les faits qui ont mené aux procédures dont la présente Cour a été saisie.

         La requérante est une coalition d'associations communautaires de l'Ouest d'Ottawa qui s'opposent au projet d'élargissement du pont de la CCN.


         L'intimée, la CCN, est une société d'État fédérale constituée en vertu de la Loi sur la capitale nationale, L.R.C. (1985), ch. N-4. Elle possède et exploite le pont Champlain qui, des cinq ponts qui enjambent la rivière des Outaouais sur son parcours entre la ville d'Ottawa et le secteur Aylmer-Hull, est celui qui est situé le plus à l'ouest. La rivière des Outaouais, naturellement, constitue la limite entre le Québec et l'Ontario. Du côté du Québec, on accède au pont depuis la route 148 et d'autres artères par l'intersection Lucerne-Brunet. En Ontario, l'accès se fait par l'intersection de la promenade de l'Outaouais et de la promenade Island Park, deux routes qui appartiennent à la CCN. Le pont, construit entre 1924 et 1928 et d'une largeur de 12,5 mètres, comporte deux voies de circulation et deux trottoirs. Comme bien des structures bâties après la chute de l'empire romain, le pont a besoin d'être réparé. Il a subi deux remises en état d'envergure : le remplacement du tablier en 1969 et, en 1978, la réfection des appuis d'extrémité et le remplacement des joints de dilatation [dossier de l'intimée (DI), vol. I-A, onglet 1 : p. 5 et 7; vol. 1-B, onglet 1-G : p. 471].

         La CCN a retenu les services de la société Fenco Engineers Inc. (Fenco) pour procéder à une étude du pont, ce qui a été fait entre 1988 et 1989. Fenco a relevé à un certain nombre d'endroits une détérioration marquée de la structure, et a fait plusieurs recommandations : un programme annuel d'inspection et de réparation étalé sur sept ans, le remplacement du tablier et d'importants travaux de remise en état de la superstructure et de l'infrastructure d'acier en 1997, de même que le remplacement complet du pont après 20 ans. Sur ce dernier, la circulation était limitée aux automobiles, aux camionnettes et aux petits autobus, et, en 1992, un poids limite de 10 tonnes a été imposé (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 13; onglet 1-C : p. 296-298; vol. II-A, onglet 1-Q : p. 997). Le programme de remise en état à court terme a été entrepris en 1991, et s'est poursuivi au coût de 250 000 $ par année (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 15). Les gros autobus sont interdits de circulation sur le pont, et l'utilisation qu'en font les véhicules d'urgence et de déneigement est réduite au minimum (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 13; vol. II, onglet 1-Q : p. 1001). La justification des travaux de remise en état du pont est résumée dans un document intitulé Champlain Bridge Reconstruction Environmental Assessment Study, " Rationale for the Project " (Reconstruction du pont Champlain et étude d'impact environnemental, " Justification du projet "), vol. I-B, onglet 1-K : p. 543 et 545 du dossier de l'intimée :

         [TRADUCTION]
         L'état de la structure du pont Champlain est fort préoccupant, vu son état actuel et le besoin de l'entretenir et de l'utiliser de manière efficace sans mettre en péril la sécurité du public.                 
         ***
         la structure actuelle du pont Champlain est dans un état tel qu'il est nécessaire de prendre des mesures correctrices, car la durée de vie utile du tablier a été atteinte et une détérioration supplémentaire mettrait sérieusement en péril sa sûreté d'utilisation.                 

         Pour trouver une solution au problème de la détérioration du pont, la CCN a étudié diverses options elle-même, ainsi qu'à titre de membre d'un Comité administratif conjoint de la planification et des transports (CANPET), un groupe intergouvernemental formé de représentants de la CCN et des administrations de niveau fédéral, provincial et municipal. Le CANPET a procédé à une étude en deux étapes du problème du pont interprovincial. La première étape a pris fin en 1989; la seconde en 1994. À l'issue de la première étape, le CANPET a conclu dans son étude qu'en bâtissant un nouveau pont à Britannia-Deschênes, il ne serait pas nécessaire d'élargir le pont Champlain. Le CANPET a suggéré que si l'on ne construisait pas un nouveau pont, le pont Champlain pouvait être élargi ou doublé, c'est-à-dire que l'on bâtirait un autre pont à deux voies à côté du pont existant. Seule l'option de doublement a été recommandée en vue d'une étude supplémentaire (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 9, 11 et 13; dossier de la requérante (DR), vol. 1, onglet 3 : p. 34; onglet 6 : p. 74-78; vol. II, onglet 21 : p. 1098-1099). En novembre 1994, le CANPET a conclu dans son rapport définitif que si l'on construisait un nouveau pont, celui-ci devrait être situé dans le corridor de l'île Kettle, et non aux sites Britannia-Deschênes ou Champlain. L'option du doublement du pont Champlain a aussi été rejetée. Le CANPET a posé en principe, essentiellement, qu'il ne faudrait pas construire un nouveau pont dans le corridor de l'île Kettle avant l'an 2011 au plus tôt. Il a également rejeté l'option de " ne rien faire ". Pour ce qui était des ponts existants, on maximiserait leur utilisation et des efforts seraient faits pour promouvoir le covoiturage (en créant des voies spéciales réservées aux véhicules à plusieurs occupants, ou VPO), l'utilisation des transports en commun, la marche et la bicyclette, pour ne nommer que quelques-unes des mesures recommandées (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 9 et 11; onglet 1-B : p. 265-266; 268-269).

         Avant que le rapport définitif du CANPET soit diffusé, la CCN a continué d'analyser les options de remise en état du pont Champlain. Elle a procédé à deux études : la Champlain Bridge Widening Traffic Analysis (terminée en décembre 1992) et la Champlain Bridge Widening Traffic Analysis Parkdale Alternative and a Balanced North-South Traffic Flow Scenario (mars 1993). L'étude réalisée en 1992 a permis de conclure que si l'on élargissait le pont à trois voies, il serait nécessaire de modifier considérablement l'intersection de la promenade Island Park et de la promenade de l'Outaouais, et peut-être d'effectuer d'autres changements le long des deux artères afin de pouvoir absorber toute augmentation de la circulation (DR, vol. III-A, onglet 31 : p. 1206; vol. III-A, onglet 31 : p. 1211-1212). L'étude de 1993 a examiné la possibilité de modifier l'avenue Parkdale pour qu'elle puisse absorber une circulation plus intense et maintenir ainsi la circulation sur la promenade Island Park aux niveaux existants ou à un niveau inférieur, si l'on élargissait le pont (DR, vol. III-A, onglet 32 : p. 1253, 1266-1276).

         En 1994, la CCN a retenu les services de Fenco MacClaren Inc. en vue d'étudier la faisabilité des exigences de conception fonctionnelle relatives à la remise en état et à l'élargissement du pont Champlain. Cette étude (la Champlain Bridge Functional Study) a analysé les options des deux et trois voies et déterminé que les deux étaient faisables d'un point de vue structurel. Fenco a recommandé que l'on évalue d'un point de vue environnemental une solution à trois voies (DI, vol. I-B, onglet 1-D : p. 401-402). Le personnel de la CCN a établi en novembre 1994 une ébauche d'attributions relatives à la réalisation d'une étude environnementale de toutes les options raisonnables de remise en état ou de reconstruction. À cette époque, la CCN était le " ministère responsable " sous le régime du Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement , DORS/84-476 (le " Décret sur les lignes directrices "). L'étude devait être menée en accord avec le Décret sur les lignes directrices ainsi qu'avec la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale , L.R.C. (1985), ch. C-15, (la " LCÉE "), qui a remplacé le Décret sur les lignes directrices en janvier 1995 (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 17, 23 et 25). L'une des questions secondaires qui se posent dans le présent litige est de savoir si la CCN est soumise ou non à la LCÉE. L'ébauche d'attributions a été remise à divers groupes, dont la requérante, ainsi qu'à différents organismes et hauts fonctionnaires (DI, vol. 1-A, onglet 1 : p. 17; vol. I-B, onglet 1-E : p. 458-459).

         Le personnel de la CCN a mis la dernière main aux attributions après avoir reçu des commentaires sur leur version préliminaire en janvier 1995 (DI, vol. 1-A, onglet 1 : p. 17; vol. I-B, onglet 1-G : p. 469-491). L'objectif de l'étude en question est exposé au volume 1-B, onglet 1-G : p. 473 du dossier de l'intimée :

         [TRADUCTION]                 
         L'étude a pour but d'aider à déterminer l'option privilégiée qui permettra d'utiliser le pont Champlain d'une manière efficace, sûre et efficiente. Cette étude tiendra compte de la congestion de la circulation et de la détérioration du pont.                 
         Les lignes directrices et la législation fédérale en matière d'évaluation environnementale obligent à adopter un système de planification exhaustif qui tient compte de toutes les options raisonnables relatives à la reconstruction et à la remise en état éventuelles du pont Champlain, selon divers facteurs socio-économiques, techniques et liés à l'environnement et aux transports.                 

         La liste préliminaire d'options sur laquelle devait porter l'étude comprenait la fermeture partielle ou complète du pont, des options à deux voies permettant de préserver le niveau actuel de la circulation ou d'absorber une augmentation de cette dernière, de même qu'une option à trois voies, dont une réversible, sur laquelle pourraient circuler les VPO et les autobus (DI, vol. I-B, onglet 1-G : p. 477). Selon les attributions, l'étude examinerait une pléthore de solutions de rechange (DI, vol. I-B, onglet 1-G : p. 475). Les attributions prévoyaient aussi la consultation et la participation du public. Un comité consultatif public, désigné ci-après par le sigle CCP, serait [TRADUCTION] " établi par la société d'experts-conseils afin de faire part des opinions et des conseils du public aux experts-conseils durant l'étude ". Le comité bénéficierait d'une [TRADUCTION] " représentation équilibrée des groupes communautaires, environnementaux, du milieu des affaires et du secteur des transports ayant un lien direct avec la zone d'étude ". Les attributions insistaient sur le fait que [TRADUCTION] " [l]a participation et la consultation du grand public sont destinées à être un élément important de cette étude " (DI, vol. 1-B, onglet 1-G : p. 485 et 489). En résumé, l'étude satisferait aux exigences imposées à la CCN par le Décret sur les lignes directrices, et aiderait cette dernière à trouver l'option privilégiée.

         McCormick Rankin and Associates Ltd a été la société d'experts-conseils qu'a retenue le personnel de la CCN en fonction de critères publiés et, en avril 1995, elle a passé un marché avec la CCN pour procéder à l'évaluation requise. Les membres de la haute direction, dont le président de la CCN, M. Marcel Beaudry, n'ont pas pris part à la sélection (DI, vol. 1-A, onglet 1 : p. 19, 21 et 23; vol. IV-A, onglet 2 : p. 2273; onglet 3 : p. 2439).

         M. André Bonin, vice-président chargé de la Direction de la gestion des terrains et de l'environnement à la CCN, déclare dans son affidavit signé le 17 janvier 1996 que [TRADUCTION] " la CCN n'était pas soumise à la LCÉE, et ne l'est pas non plus aujourd'hui ", comme elle l'était au Décret sur les lignes directrices. Voilà qui pourrait être inquiétant pour l'avenir. La Cour ignore les raisons pour lesquelles le Parlement, ou le gouvernement, a immunisé la CCN contre les barrières salutaires et les restrictions touchant la protection de l'environnement que prévoit la LCÉE, mais il s'agirait là d'un bon sujet d'étude pour un comité mixte du Parlement. Pour l'heure, cependant, M. Bonin atteste, au paragraphe 31, qu'en dépit de cette immunisation, la CCN [TRADUCTION] " dans ses attributions *** a prescrit que l'étude devait tenir compte des exigences des deux régimes. *** La CCN a demandé que l'on se conforme aux deux régimes parce que d'autres organismes fédéraux qui prendraient vraisemblablement part au processus après janvier 1995 seraient régis par la LCÉE ". À cet égard, on peut se demander pourquoi la CCN n'est pas régie de cette façon " en permanence. (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 23 & 27 [non dans l'ordre]).

         Il ressort des attributions que l'étude devait se dérouler en deux étapes : [TRADUCTION] " [l]a première étape servira à définir la nécessité et la justification de la reconstruction dans le contexte des besoins de transport interprovinciaux *** La seconde étape de cette initiative servira à évaluer d'autres moyens de régler les besoins et les problèmes relevés à la première étape, ainsi qu'à recommander l'option privilégiée *** " [souligné dans le texte original] (DR, vol. I-B, onglet 1-G : p. 479 et 481).

         En plus de consulter les études existantes (DR, vol. II-B, onglet 1-Q : p. 999), l'une des premières mesures qu'a prises la société d'experts-conseils a été de dresser un plan de consultation publique, qui a donné naissance au CCP. Ce plan indique clairement qu'il fallait prendre au sérieux le rôle consultatif du public, comme en fait abondamment foi l'extrait suivant, qui concerne les objectifs du plan (vol. I-B, onglet 1-L : p. 565 et 567) :

         [TRADUCTION]                 
         Il est indispensable pour la présente étude de prendre note des préoccupations et des opinions du public à l'égard des options futures concernant le pont Champlain, ce qui ne peut se faire qu'au moyen d'un processus de consultation efficace. L'étude vise aussi à consulter le public de manière efficace dans le cadre de la procédure d'évaluation environnementale qu'applique la CCN pour la plupart des réalisations de cette nature, en reconnaissance du fait que la consultation du public est un élément clé des évaluations environnementales. Dans ce contexte, le processus de consultation publique est soumis aux objectifs qui suivent.                 
         " favoriser l'échange d'informations et le dialogue, entendre les divers sujets de préoccupation de la collectivité au sujet du pont Champlain, et rendre compte de ces derniers.                 
         ***                 
         " faire participer tôt le grand public à l'étude, qui mènera en fin de compte à une recommandation sur le choix d'une option privilégiée.                 
         " créer et établir, de pair avec le public, un processus de consultation et d'évaluation qui soit transparent et représente de manière équitable et juste les intérêts pertinents des résidents des collectivités locales de l'Ontario et du Québec.                 
         " cerner et reconnaître les sujets de préoccupation pertinents et les intérêts légitimes de divers groupes communautaires, professionnels, récréatifs et environnementaux, et favoriser une discussion publique complète et franche sur les questions d'intérêt communautaire qui se rapportent au pont.                 
         " créer une tribune qui favorisera la participation maximale du public, ainsi qu'une discussion franche et une rétroaction sur les problèmes, les préoccupations et les options qui se rapportent au pont.                 
         " former un comité consultatif public (CCP) et, par ricochet, offrir au public la possibilité de participer de manière utile aux consultations et aux discussions entourant les futures options et recommandations.                 
         ***                 

Tout ce qui précède est valable dans une société démocratique mais forcément un peu naïf, car on ne peut présumer que le public soit, en bloc, unanime. Il n'y a pas eu de vote pour régler les divergences de vue.

         Le CCP a tenu six réunions au cours de l'étude (le double du nombre envisagé dans les attributions). Quatre séances de consultation publique " le nombre requis était de deux au départ " ont aussi eu lieu (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 35, 37 et 41; vol. I-B, onglet 1-L : p. 567-573; onglet 1-G : p. 485 et 487; vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1004-1011; vol. IV-A, onglet 3 : p. 2441).


         Au CCP est venu se greffer le CCT (comité consultatif technique), formé de représentants de tous les niveaux de gouvernement et d'organismes de réglementation et ayant pour tâche de fournir des conseils de nature technique. Les membres du CCT se sont rencontrés à cinq reprises au cours de l'étude (DI, vol. I-B, onglet 1-G : p. 485; vol. II-B, onglet 1-Q : p. 11-12).

         En ce qui concerne le pont, la société d'experts-conseils a relevé au départ 19 options de remise en état ou de reconstruction. Après avoir été soumise au CCP et au CCT, cette liste a été réduite à huit options, lesquelles ont été présentées au public à la première séance de consultation, en janvier 1996 (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 33 et 35; vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1016-1020). Le public s'est vu ainsi présenter diverses variations sur les options à deux voies (largeur maximale de 12,75 mètres) et à trois voies (largeur maximale de 18,75 mètres). Certaines [TRADUCTION] " options secondaires " comprenaient des dégagements de 0,5 mètre pour séparer les automobilistes des cyclistes et des piétons, de même que des modifications aux accès nord et sud (DR, vol. I-B, onglet 1-N : p. 619 et 631; vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1022-1039).

         Les commentaires du public ont permis de cerner trois grands sujets de préoccupation : il faudrait garder plus qu'une voie lors de la construction, la durée de vie utile du pont devrait être supérieure à 20 ans, et les options relatives au pont devraient inclure à la fois le coût initial ou le coût d'immobilisation de la reconstruction du pont et les coûts du cycle de vie, lesquels comprennent les coûts initiaux de construction, d'entretien et de remplacement à la fin de la durée de vie du pont (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 39; vol. II-A, onglet 1-O : p. 59; vol. IV-A, onglet 2 : p. 2273). Résultat, en mars 1996 la CCN a chargé la société d'experts-conseils de réexaminer les options de reconstruction et de trouver d'autres options à deux et à trois voies qui répondraient à ces préoccupations. En outre, la CCN a indiqué à la société d'experts-conseils d'estimer les coûts en prenant pour base le " cycle de vie " (DR, vol. I-A, onglet 1 : p. 39; DI, vol. II-A, onglet 1-O : p. 659; vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1010).

         Munie de ces instructions, la société d'experts-conseils a procédé à une étude subsidiaire intitulée Champlain Bridge Reconstruction Option Reassessment (Reconstruction du pont Champlain - Réévaluation des options) (le " rapport d'avril "), qui a pris fin en avril 1996. Ont ainsi été relevées 11 options à soumettre à une analyse plus approfondie : cinq à deux voies et six à trois voies (DI, vol. II-A, onglet 1-O : p. 659; vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1035 et 1063). Les options à deux voies avaient une largeur de 12,75 mètres et ne comportaient aucun dégagement; celles à trois voies avaient entre 16,25 mètres et 18,75 mètres de largeur. Certaines comportaient des dégagements, d'autres pas, et l'option la plus large comprenait quatre dégagements d'un demi-mètre de largeur et un trottoir de 2 mètres (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 39; vol. I-B, onglet 1-N : p. 619, 621 et 631). Les dégagements et les trottoirs de 2 mètres de largeur sont les options que recommande le Highway Bridge Design Code de l'Ontario (DI, vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1022, 1054 et 1253; vol. III-A, onglet 1-Y : p. 1707-1708). En plus des options relatives à la reconstruction du pont, des possibilités de modification de l'intersection de la promenade Island Park et d'amélioration de l'accès à la promenade de l'Outaouais ont été examinées (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 47 et 49; vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1025-1035; p. 1076-1077). Toutes ces options allaient être soumises à un examen supplémentaire de la part de la société d'experts-conseils (DI, vol. II-B : p. 1040-1070).

         La détermination des facteurs dont l'étude se servirait était [TRADUCTION] " fondée sur la compréhension technique des solutions possibles, ainsi que sur les commentaires du CCP, du CCT et du public " (DI, vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1040). La première liste provisoire de facteurs a été [TRADUCTION] " mise au point de manière continue de façon à refléter les commentaires des divers participants à l'étude, à mesure que l'on comprenait, au cours de l'étude, les effets qu'auraient les diverses options " (DI, vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1012). Ce travail a débouché sur la liste de facteurs dont la société d'experts-conseils s'est servie pour son rapport définitif du 21 juin 1996, la Champlain Bridge Reconstruction Environmental Study . Les quatre grands facteurs étaient les suivants : i) le milieu naturel, ii) le milieu social, iii) les transports et iv) les coûts. Toutes les options relatives au pont ont été évaluées en fonction de ces facteurs (DI, vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1040-1070). Avant de diffuser son rapport définitif, la société d'experts-conseils a résumé son analyse dans un document intitulé Analysis of Alternatives, lequel a été remis au CCP (1er mai 1996) et au CCT (le lendemain) pour examen et commentaires (DR, vol. I, onglet 11; vol. II-A, onglet 14 : p. 491-538; DI, vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1171-1216; 1257-1260).

         C'est la méthode dite de comparaison-élimination qui a été retenue en fin de compte pour analyser les facteurs. Il s'agit d'une méthode satisfaisante, qui consiste à relever le meilleur type distinct d'options (deux vois, trois voies, questions d'accès), et de classer ensuite les options retenues (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 43; vol. IV-B, onglet 53 : p. 1752-1755; vol. IV-B, onglet 54 : p. 1899-1901). Jusque là, tout est clair. La question de savoir si l'intimée a promis au départ une prétendue méthode de " pondération " sera déterminée plus loin.

         Les conclusions préliminaires de la société d'experts-conseils ont été présentées au CCP et au CCT le 21 mai 1996, de même qu'au grand public à l'occasion d'une séance de consultation publique tenue les 28 et 29 mai suivants. Les commentaires qu'a faits le public à la suite de cette séance sont présentés à l'annexe E, intitulée " Compte rendu des séances de consultation publique de mai 1996 " et jointe à l'étude Reconstruction du pont Champlain et étude d'impact environnemental (le " rapport de juin ") remise au personnel de la CCN le 21 juin 1996 (DI, vol. II-B, onglet 1-Q : p. 987 et 1323).

         Les options à deux voies [TRADUCTION] " privilégiées " par la société d'experts-conseils étaient les options " 1.2.3 " et " 2.2 ". L'option 1.2.3 consistait à remplacer le tablier et à affermir et recouvrir ultérieurement la superstructure existante. Le pont aurait une durée de vie de 40 ans. L'option 2.2 consistait à remplacer le tablier et la superstructure de béton. En outre, durant les travaux de reconstruction, il faudrait mettre en place un pont temporaire pour conserver deux voies de circulation (au coût de six millions de dollars), et la durée de vie serait de 80 ans. La meilleure option à trois voies était l'option " 3.2.1 ". Celle-ci obligeait à remplacer le tablier et la structure de béton, ainsi qu'à élargir les piliers. Sa durée de vie serait de 80 ans (DI, vol. II-A, onglet 1-O : p. 659-700; vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1064, 1066 et 1071). Il n'était pas question de dégagements dans la recommandation de la société d'expert-conseils.

         Quant à la modification des intersections, la société d'experts-conseils a conclu qu'aucune modification ne devrait être effectuée à l'intersection de la promenade Island Park car le coût social de tels travaux serait inacceptable (DI, vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1085-1090). Dans ce contexte, les trois options ont été examinées sans l'option secondaire de la modification de l'intersection. Elles consisteraient en des voies de circulation de 3,5 mètres, un trottoir de 1,5 mètre, des parapets de 0,625 mètre, et aucun dégagement. La comparaison des coûts était fondée sur un pont à deux voies de 12,75 mètres de largeur et un pont à trois voies de 16,25 mètres de largeur, et le taux d'escompte était de 6 p. 100 (DI, vol. III-A, onglet 1-Y : p. 1695-1696).

         Lorsque les quatre facteurs d'évaluation ont été pris en compte, l'option d'un pont à deux voies a été légèrement privilégiée au chapitre du milieu naturel et des coûts. Le pont à trois voies a été privilégié à l'égard du facteur des transports (non pas parce qu'un plus grand nombre de véhicules pouvaient franchir le pont, mais parce qu'il était possible d'aménager des dégagements) (DI, vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1064 et 1066).

         Les extraits pertinents de la recommandation de la société d'experts-conseils sont les suivants (DI, vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1105-1106) :

         [TRADUCTION]                 
         Il est donc recommandé d'utiliser deux voies de circulation sur le pont Champlain, d'améliorer l'intersection de la route 148 et du boulevard Lucerne et de ne pas modifier l'intersection de la promenade Island Park. De plus, le pont reconstruit devrait comprendre un trottoir pour piétons et deux voies cyclables de 1,5 mètre, une dans chaque direction.                 
         ***                 
         Au-delà des limites proprement dites de l'intersection promenade Island Park-promenade de l'Outaouais, il serait possible d'effectuer de légères améliorations en élargissant le virage à droite sans arrêt entre la promenade de l'Outaouais et le pont de manière à obtenir une voie d'incorporation plus longue. Cela permettrait aux véhicules d'intégrer plus rapidement la circulation et réduirait la queue qui se forme à l'heure de pointe en fin d'après-midi, tant sur la promenade de l'Outaouais que sur la promenade Island Park.                 
         L'analyse et l'évaluation des diverses options qui fourniraient des liens routiers supplémentaires avec la promenade de l'Outaouais ont mené à la recommandation de construire un accès direct au Parc Tunney.                 
         Pendant toute l'analyse et l'évaluation des diverses méthodes de construction du pont, deux options à deux voies ont été conservées. La première, 1.2.3 (remplacement du tablier et renforcement et recouvrement ultérieurs), présentait un coût d'immobilisation et de cycle de vie inférieur, mais une possibilité supérieure de hausses de coûts ou de remplacement anticipé de structures. La seconde option, 2.2 (remplacement de la superstructure de béton), présentait un coût d'immobilisation et de cycle de vie supérieur, mais une possibilité moindre de hausses de coûts ou de remplacement anticipé de structures. Les coûts de la seconde option (2.2) sont fort semblables à ceux de l'option privilégiée 3.2.1, soit la construction d'un pont à trois voies. L'ajout ultérieur d'une troisième voie coûterait 12 millions de dollars (1996). Suivant la méthode de construction choisie, le pont a une durée de vie potentielle de 80 ans avant qu'il faille procéder à un remplacement complet. Il faudrait donc songer à bâtir la structure du pont de manière assez large à ce stade des travaux de reconstruction pour qu'il ne faille effectuer plus tard que des modifications de surface afin que le pont comporte trois voies (deux voies de circulation mixtes et une voie réservée aux VPO) en cas de changements à l'utilisation du terrain ou au réseau de transport.                 

         Après avoir reçu de la société d'experts-conseils la recommandation découlant de l'évaluation environnementale, le personnel de la CCN a établi son propre rapport (DI, vol. I, onglet 1 : p. 51 et 53). La recommandation du personnel (et les motifs correspondants) est présentée au vol. III-A, onglet 1-R : p. 1588-1589 du dossier de l'intimée :


         [TRADUCTION]                 
         4.0          Conclusions                 
         Attendu que le rapport d'étude intitulé Reconstruction du pont Champlain et étude d'impact environnemental indique une légère différence de classement entre l'option à deux voies et l'option à trois voies, et ce, sans modifications à l'intersection promenade Island Park-promenade de l'Outaouais,                 
         Que les impacts de l'option à deux voies ou de l'option à trois voies sans modification de l'intersection promenade Island Park-promenade de l'Outaouais sur les milieux naturel et social sont minimes et peuvent être atténués;                 
         Que l'option à deux voies 1.2.3, c'est-à-dire : remplacement du tablier avec renforcement et recouvrement ultérieurs, et l'option à deux voies 2.2, c'est-à-dire : remplacement de la superstructure de béton avec pont temporaire lors des travaux de construction, ont été classées au même rang,                 
         Que les conclusions du rapport Reconstruction du pont Champlain et étude d'impact environnemental relèvent de très légères différences de coûts entre l'option à deux voies (2.2) et l'option à trois voies (3.2.1) sans modification de l'intersection promenade Island Park-promenade de l'Outaouais (0,3 million);                 
         Qu'il serait fort coûteux d'ajouter ultérieurement une troisième voie (12,6 millions de dollars) par rapport à ce qu'il en coûterait à présent pour élargir le pont afin de pouvoir supporter trois voies (0,3 million);                 
         Que l'option à trois voies (3.2.1) sans modification de l'intersection de la promenade Island Park-promenade de l'Outaouais améliorerait l'écoulement de la circulation dans la direction vers laquelle se dirigent les véhicules à l'heure de pointe en fin de journée;                 
         Que, dans l'avenir prévisible, le pont Champlain continuera d'être le seul lien interprovincial entre les villes d'Aylmer et Ottawa;                 
         Le personnel conclut que la reconstruction du pont Champlain en une structure à trois voies est une mesure réalisable, rentable et responsable d'un point de vue financier.                 
         4.1          Recommandations                 
         Il est recommandé que la Commission retienne, pour la reconstruction du pont Champlain, la proposition suivante :                 
         1.      Le remplacement de la superstructure et du tablier existants par une structure à trois voies, dont une réservée aux véhicules comptant plusieurs occupants dans la direction de la circulation à l'heure de pointe, un trottoir pour piétons de 2,0 mètres et deux voies cyclables de 1,5 mètre, de même qu'un dégagement de 0,5 mètre des deux côtés des voies cyclables, conformément aux normes actuelles de l'OHBDC;                 
         2.      Des modifications à l'intersection de la route 148 et de Lucerne-Brunet, et aucune modification à l'intersection de la promenade Island Park-promenade de l'Outaouais;                 
         3.      Un nouvel accès au Parc Tunney à partir de la promenade de l'Outaouais, en vue d'améliorer les services de transport et réduire la circulation le long de la promenade Island Park et de l'avenue Parkdale;                 
         4.      Le prolongement de la voie d'accès nord au pont, à partir de la promenade de l'Outaouais, afin de faciliter l'incorporation des véhicules et réduire la congestion dans la direction vers laquelle se dirigent les véhicules à l'heure de pointe en fin de journée;                 
         5.      Vu le rôle principal que jouent le pont Champlain et la promenade Island Park en tant que liens indispensables au sein du réseau global des voies-promenades, le maintien de l'interdiction de circuler imposée aux véhicules commerciaux sur le pont Champlain et la promenade Island Park.                 
         ÉTAPES SUIVANTES                 
         Voici un résumé des prochaines étapes qui mèneront à une décision de la Commission, en accord avec le Décret fédéral sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement.                 
         1.      La proposition que retiendrait la Commission serait rendue publique et accompagnée de tous les documents techniques à l'appui, soit le rapport du personnel de la Commission et les rapports de la société d'experts-conseils;                 
         2.      Les membres du public auraient un délai de soixante (60) jours pour examiner la proposition retenue par la Commission ainsi que tous les documents techniques à l'appui;                 
         3.      Le personnel de la Commission consulterait les ministères fédéraux compétents afin de procéder aux mesures d'évaluation environnementale relatives à la proposition retenue par la Commission, conformément aux exigences du Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement et la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale.                 

Le texte précité révèle que le personnel de la CCN a retenu la plupart des recommandations de la société d'experts-conseils. L'un des points de désaccord entre le personnel de la CCN et la société d'experts-conseils réside dans la sixième conclusion reproduite ci-dessus : " l'option à trois voies (3.2.1) sans modification de l'intersection de la promenade Island Park-promenade de l'Outaouais améliorerait l'écoulement de la circulation dans la direction vers laquelle se dirigent les véhicules à l'heure de pointe en fin de journée ". Le personnel de la CCN a en effet conclu qu'il était possible d'obtenir en fin de journée la capacité accrue éventuelle que procurerait un pont à trois voies avec la circulation se dirigeant vers le nord à l'heure de pointe, et ce, sans modifier l'intersection de la promenade Island Park, car l'intersection Lucerne-Brunet pourrait compenser la situation étant donné qu'elle était en mesure d'absorber une circulation accrue (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 59; vol. III-A, onglet 1-R : p. 1587). En outre, le personnel de la CCN a présumé que la société d'experts-conseils n'avait pas reconnu comme il le fallait la souplesse accrue que pouvaient procurer les voies réversibles et réservées aux VPO si l'on choisissait l'option à trois voies (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 61). Le pont recommandé par le personnel avait une largeur de 18,75 mètres.

         Le 28 juin 1996, les commissaires de la CCN se sont rencontrés et ont discuté, notamment, de la proposition. Le procès-verbal (DI, vol. III-A, onglet 1-U : p. 1646-1647) révèle qu'avant le vote, le président, M. Beaudry :

         [TRADUCTION]                 
         fait savoir qu'il a informé M. Wilson, le conseiller en éthique, qu'il a des intérêts dans certains biens immobiliers dans l'Outaouais, plus particulièrement à Hull et à Aylmer. Cependant, ces biens ne sont pas contigus au pont Champlain.                 
         M. Wilson a indiqué dans sa réponse écrite qu'il était d'avis que le président ne se trouvait pas en situation de conflit d'intérêts. Il a toutefois convenu que bien des gens considéreraient la situation comme un conflit apparent, et que dans les circonstances, il serait préférable pour M. Beaudry et la CCN qu'il ne participe pas aux discussions et à la décision sur l'avenir du pont Champlain.                 
         Le président quitte ensuite la salle du conseil.                 

Par une majorité de six contre quatre, les commissaires de la CCN ont adopté la recommandation du personnel comme étant [TRADUCTION] " l'intention de décision " de la CCN (DI, vol. III-A, onglet 1-U : p. 1651 et 1653). Cette intention a été communiquée au public le 28 juin 1996, et ce dernier a eu un délai de 60 jours pour faire part de ses commentaires. Les documents, y compris le rapport du personnel, ont été mis à la disposition du public le 8 juillet 1996.

         Les deux rapports de la société d'experts-conseils et les rapports de juin du personnel satisfaisaient à la condition de procéder à une évaluation environnementale de la proposition qu'imposait à la CCN le paragraphe 10(1) du Décret sur les lignes directrices. La CCN a satisfait à l'article 12 dudit Décret par la diffusion, le 18 juillet 1996, de l'Évaluation environnementale initiale de la reconstruction du pont Champlain (DI, vol. III-A, onglet 1-W). L'évaluation a mené à une détermination en vertu de l'alinéa 12c) du Décret, selon laquelle [TRADUCTION] " ... les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l'environnement sont minimes ou peuvent être atténués par l'application de mesures techniques connues " (DI, vol. III-Aa, onglet 1-W : p. 1668). Le public a été informé de cette décision, conformément à l'article 15 du Décret, par la voie d'un communiqué de presse daté du 19 juillet 1996. Le public a eu jusqu'au 17 septembre 1996 pour présenter des commentaires écrits sur l'évaluation (DI, vol. III-A, onglet 1-X : p. 1681).

         Le 23 juillet 1996, les procureurs de la requérante ont écrit à la CCN pour faire remarquer que l'option du pont à trois voies d'une largeur de 18,75 mètres sur laquelle portait la décision n'était pas le pont à trois voies de 16,25 mètres dont la société d'experts-conseils avait évalué le prix, et que les coûts et les effets environnementaux de cette option n'avaient pas été rendus publics. Ils ont signalé en outre que le coût des travaux concernant les voies d'accès au pont n'avait pas été communiqué non plus (DR, vol. II-B, onglet 21 : p. 1095-1096).

         Afin de remédier aux problèmes signalés par la requérante, la CCN a donné ordre à la société d'experts-conseils de rédiger un rapport supplémentaire, intitulé Champlain Bridge Reconstruction Environmental Study Supplementary Report. Sans trop nous étendre sur les détails fastidieux de ce document, disons qu'il a accompli plusieurs choses. Premièrement, l'étude a confirmé que les dimensions du pont adoptées dans le rapport de juin de la CCN étaient inexactes mais que dans la mesure où des comparaisons de coûts avaient été faites dans le rapport de la société d'experts-conseils, une largeur de base de 16,25 mètres, sans dégagements, avait été présumée. En outre, la société d'experts-conseils avait analysé les effets environnementaux de chaque option jusqu'à celle d'un pont d'une largeur de 18,75 mètres (DI, vol. III-A, onglet 1-Y : p. 1691-1696). Le rapport a exposé ensuite les coûts initiaux et les coûts de cycle de vie des options 1.2.3, 2.2 et 3.2.1 (sans dégagements et avec un trottoir d'une largeur de 1,5 mètre).

         Le rapport a comparé aussi les coûts relatifs à l'élargissement des options 2.2 et 3.2.1 pour inclure deux dégagements de 0,5 mètre et des dégagements de 1,5 et 2 mètres. L'option 1.2.3 a été exclue de la comparaison car il était impossible d'un point de vue structurel d'élargir cette option de manière satisfaisante. La société d'experts-conseils a conclu que lorsque l'on ajoutait aux options les dégagements et un trottoir de deux mètres de largeur, le coût du cycle de vie de l'option 3.2.1 n'était que de 130 000 $ de plus que celui de l'option 2.2 (DI, vol. III-A, onglet 1-Y : p. 1695-1698). Enfin, les coûts relatifs aux voies d'accès ont été estimés eux aussi (DI, vol. III-A, onglet 1-Y : p. 1693-1694).

         Après avoir examiné le rapport supplémentaire de la société d'experts-conseils, le personnel de la CCN a établi lui aussi un autre rapport. L'option recommandée a de nouveau été celle d'un pont à trois voies, mais cette fois-ci, d'une largeur de 17,75 mètres, et non de 18,75 mètres. Ce pont comprenait trois voies de circulation, dont une réservée aux VPO, deux voies cyclables et deux dégagements (et non quatre) (DI, vol. III-A, onglet 1-Z : p. 1725-1726). Un additif a été fait à l'évaluation environnementale datée du 18 juillet 1996, dans lequel le personnel de la CCN a conclu que le pont d'une largeur de 17,75 mètres causerait à l'environnement des effets néfastes minimes ou qui pouvaient être atténués. Cela répondait aux exigences de l'alinéa 12c) du Décret sur les lignes directrices (DI, vol. III-A, onglet 1-AA : p. 1745). Le 29 août 1996, le rapport supplémentaire de la société d'experts-conseils, le rapport modifié du personnel de la CCN, l'évaluation environnementale du 18 juillet 1996 ainsi que le projet d'additif au document d'évaluation environnementale ont été mis à la disposition du public.

         Le 3 septembre 1996, les commissaires de la CCN ont voté, à sept contre cinq, en faveur de l'adoption des recommandations présentées dans le rapport modifié du personnel sur la reconstruction, ainsi que l'additif s'y rapportant, comme étant une [TRADUCTION] " intention de décision ". Par la même occasion, ils ont voté aussi en faveur de l'adoption de la détermination faite par le personnel en vertu de l'alinéa 12c ). M. Beaudry n'a pas pris part au vote (DI, vol. III-A, onglet 1-CC : p. 1795). L'intention de décision a été annoncée au public ce jour-là. Ce dernier avait jusqu'au 7 octobre 1996 pour faire des commentaires sur la détermination rendue en vertu du Décret sur les lignes directrices, ainsi que sur la proposition en général. La décision définitive serait prise le 15 octobre 1996 (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 89; vol. III-A, onglet 1-DD : p. 1807 et 1809). Le même jour, il allait falloir décider si le projet serait soumis à une commission d'examen public en exécution de l'article 13 du Décret sur les lignes directrices.

         Pour renseigner les commissaires de la CCN qui avaient à décider s'ils soumettraient ou non le projet à une commission d'examen public, le personnel de la CCN a établi une analyse de préoccupations publiques. Dans cette analyse, d'une longueur de 367 pages environ, le personnel a recommandé que les commissaires de la CCN décident de ne pas soumettre le projet à une commission d'examen public. Les extraits pertinents de ce rapport sont les suivants (DI, vol. III-B, onglet 1-FF : p. 1831) :

         [TRADUCTION]                 
         4.4      Possibilité que l'examen public procure de nouvelles informations aux décisionnaires                 
         Le personnel de la CCN est convaincu que la quantité d'informations ayant servi à évaluer les répercussions environnementales de la proposition est suffisante et qu'il est possible de régler les préoccupations soulevées à l'égard du projet en modifiant les plans et en prenant des mesures d'atténuation qui pourraient être mises en oeuvre en cas d'exécution du projet.                 
         Les préoccupations générales qui ont été soulevées au sujet des transports excèdent le pouvoir de la CCN ainsi que la portée d'un projet particulier.                 
         Le personnel de la CCN, les experts-conseils et les membres du Comité consultatif technique ont examiné de manière exhaustive, à l'interne et à l'externe, l'évaluation environnementale du pont Champlain. Les réponses reçues entre le 29 juin et la date de publication du présent rapport portent sur les mêmes questions, dans le contexte du Décret sur les lignes directrices visant le PÉEE, que celles formulées à l'étape de la participation du public au processus, dont les détails sont exposés au chapitre 2 du RÉE. L'absence d'évolution dans les commentaires reçus appuie la conclusion qu'il y a peu de chances que le fait qu'une commission procède à un examen public de l'évaluation procure, au sujet de la proposition ou des solutions de rechange à cette dernière, de nouvelles informations importantes dont ne disposent pas déjà les décisionnaires.                 
         5.      Recommandations                 
         Les sujets de préoccupation qui ont été soulevés durant tout le processus, tant avant qu'après la décision, n'ont pas changé. Après les avoir passés en revue, la CCN est convaincue que toutes les questions liées à l'étude ont été examinées.                 
         Le public a eu de nombreuses occasions d'exprimer ses préoccupations et de mieux comprendre le projet. La contribution du public à l'égard du projet a toujours été un élément clé de l'étude aux yeux de la CCN, et ce, tant avant qu'après la détermination effectuée en exécution de l'article 12.                 
         Attendu que :                 
         "      une évaluation environnementale a été effectuée sur la foi de laquelle il a été décidé que les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l'environnement sont minimes ou peuvent être atténués par l'application de mesures techniques connues.                 
         ***                 
         "      le public a eu amplement le temps d'examiner tous les renseignements disponibles sur la proposition et l'évaluation environnementale, et a eu la possibilité de commenter par écrit la documentation relative à l'évaluation environnementale ainsi que les conclusions tirées;                 
         "      qu'au vu des sujets de préoccupation soulevés par le public, le fait qu'une commission procède à un examen public de l'évaluation a peu de chances de procurer de nouvelles informations sur la proposition et n'aurait pas de valeur supplémentaire.                 
         "      que, si la proposition s'est heurtée à une certaine opposition, il y a eu aussi un appui considérable de la part du public à son égard, et toutes les préoccupations raisonnables ont été prises en compte ou seront réglées par des mesures de conception et d'atténuation.                 
         Il est recommandé que la Commission décide :                 
         1.0      qu'en exécution de l'article 13 du Décret sur les lignes directrices visant le PÉEE, il n'est pas souhaitable qu'une commission procède à un examen public de l'évaluation;                 
         ***                 

         Le 15 octobre 1996, les commissaires de la CCN se sont rencontrés et, à neuf contre quatre, ont pris la décision définitive de faire reconstruire le pont, sous la forme suivante : un pont de 17,75 mètres de largeur à trois voies, dont une voie réservée au VPO dans la direction de la circulation à l'heure de pointe, deux voies cyclables, deux dégagements, un trottoir et deux parapets,

         [TRADUCTION]                 
         mais fonctionnant comme un pont à deux voies jusqu'à ce que la MROC et la CUO puissent s'entendre, de pair avec la CCN, sur le choix définitif d'un pont à deux ou à trois voies.                 
         Si la CCN et les deux administrations municipales ne parviennent pas à s'entendre avant le 15 octobre 1997, la CCN étudiera et tranchera la question. [Non souligné dans l'original]                 

Les commissaires de la CCN ont adopté la recommandation formulée par le personnel de la CCN en exécution de l'article 13 du Décret sur les lignes directrices, soit de ne pas soumettre le projet à un examen public mené par une commission. M. Beaudry n'a pas pris part au vote (DI, vol. III-B, onglet 1-GG : p. 2259-2260).

         Les demandes de contrôle judiciaire dont il est question en l'espèce découlent des faits qui précèdent. La demande portant le nE de greffe T-1830-96 concerne l'" intention de décision " du 3 septembre 1996 qu'a établie la Commission de la capitale nationale et sollicite une ordonnance d'annulation de ladite annulation. Sont également requises plusieurs ordonnances de mandamus visant à : 1) procéder à une évaluation complète des solutions de rechange au projet et mener une évaluation environnementale complète en accord avec les attributions, 2) fournir une série complète de critères de sélection et de pondérations connexes afin que le public puisse les examiner et les commenter, et fournir à ce dernier un rapport sur la proposition toute entière, de la manière dont cela devrait être fait d'après la requérante, 3) une déclaration portant que les renseignements publics que la CCN a communiqués sont incomplets ou inexacts, et que la CCN a omis de s'acquitter de l'obligation que lui impose la loi à cet égard, ou une déclaration portant que la CCN n'est pas compétente pour prendre la décision relative à la reconstruction du pont à trois voies. Enfin, la requérante cherche à obtenir une ordonnance d'interdiction afin de faire arrêter tout travail de construction relatif au projet. La demande nE T-2481-96 sollicite une mesure de redressement similaire au sujet de la décision définitive du 15 octobre 1996, parce qu'il n'existait plus à ce moment une proposition complète; la requérante désire aussi obtenir une ordonnance de mandamus prescrivant à la CCN de procéder à une nouvelle évaluation environnementale.

         Dans la demande nE T-2865-96, la requérante sollicite une ordonnance annulant la décision datée du 3 septembre 1996 par laquelle il a été déterminé, en exécution de l'alinéa 12c ) du Décret sur les lignes directrices, que le projet aurait sur l'environnement des effets néfastes minimes ou pouvant être atténués, de même que diverses ordonnances de mandamus et d'interdiction au même effet. La demande nE T-2866-96 requiert des ordonnances similaires au sujet de la décision prise le 15 octobre 1996 en vertu de l'article 13 dudit Décret, par laquelle il a été déterminé de ne pas soumettre le projet à une commission d'examen public.

         Les questions soulevées dans ces demandes se répartissent comme suit :

1.          La CCN a-t-elle compétence pour ajouter une troisième voie au pont Champlain?

2.          a) L'une quelconque des décisions est-elle entachée de partialité en raison d'un présumé conflit d'intérêts personnel de la part du président de la CCN?

         b) Les résultats de l'étude menée en vertu du Décret sur les lignes directrices sont-ils entachés de partialité parce que le personnel de la CCN les aurait déterminés à l'avance?

3.          L'" intention de décision " datée du 3 septembre 1996 a-t-elle été établie sur la base de renseignements inexacts, non objectifs et incomplets?

4.          La CCN s'est-elle conformée aux articles 12 et 13 du Décret sur les lignes directrices?

     La compétence de la CCN

         L'arrêt prépondérant sur la compétence de la CCN est Munro c. Commission de la capitale nationale, [1966] R.C.S. 663. Dans cette affaire, la CCN s'était appropriée des terres agricoles dans le but d'établir la ceinture de verdure, qui faisait partie du " plan d'aménagement principal " (appelé le plan Gréber) mis en oeuvre dans le but de faire valoir la région de la capitale nationale. La CCN était une entité singulière d'un point de vue constitutionnel car le pouvoir relatif à sa création ne figurait ni à l'article 91 ni à l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1982 . La Cour suprême a conclu que le Parlement fédéral avait les pouvoirs constitutionnels voulus pour créer la CCN en vue de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement du Canada. Deux points sont d'un intérêt particulier pour les demandes dont il est question en l'espèce. Premièrement, le juge Cartwright a conclu que les pouvoirs de la CCN, c'est-à-dire [TRADUCTION] " l'établissement de règlements de zonage et l'imposition de mesures de contrôle sur l'utilisation de terres situées dans une province quelconque " (p. 667 du recueil) sont similaire à ceux qu'attribue aux assemblées législatives provinciales l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 .

         Deuxièmement, le juge Cartwright a écrit, à la p. 671 du recueil, qu'il a eu :

         [TRADUCTION]                 
         de la difficulté à suggérer un sujet de loi qui aille plus clairement au-delà de l'intérêt d'une localité ou d'une province et vise le Canada dans son ensemble que l'aménagement, la conservation et l'amélioration de la région de la capitale nationale conformément à un plan cohérent, de manière à ce que le cachet et le caractère du siège du gouvernement du Canada puissent être dignes de son importance nationale.                 

C'est sur ce dernier commentaire que la requérante fonde l'élément premier de son attaque. En bref, sa position est la suivante. Le " plan cohérent " mentionné par la Cour suprême dans Munro , qui régit le fonctionnement actuel de la CCN, est le Plan d'utilisation des terrains fédéraux (PUTF) de 1988. Le PUTF est un document détaillé, et ni ce dernier ni les modifications qui y ont été apportées ne prévoient l'établissement d'un pont à trois voies. En outre, le pont Champlain fait partie du réseau de voies-promenades, qui est défini comme une route touristique à accès restreint, formée habituellement de deux voies, et traversant la région de la capitale nationale. Plus particulièrement, la requérante s'appuie sur l'extrait suivant du PUTF pour atténuer l'importance de la fonction de transport de la voie-promenade : [TRADUCTION] " Le réseau de voies-promenades montre qu'il existe une distinction physique et fonctionnelle entre un système de transport répondant aux besoins uniques de la Capitale et le réseau routier régional " (DI, vol. IV-A, onglet 7-A : p. 2821). En outre, dans son argumentation tant écrite que verbale, la requérante a mis l'accent sur des documents qui, selon elle, montrent que même la CCN elle-même ne croyait pas qu'elle avait compétence pour ajouter une troisième voie au pont.

         À titre d'observation préliminaire, la Cour se doit de souligner que même si la CCN pensait au départ qu'elle n'était pas compétente pour entreprendre un projet à trois voies, cela est tout autant dénué de pertinence en l'espèce que le fait qu'elle a pensé plus tard qu'elle l'était. L'unique question dont la Cour est saisie est une question de droit, qui consiste à savoir si la CCN était compétente pour élargir le pont. La réponse à cette question se trouve dans la Loi sur la capitale nationale et le PUTF, et non dans les réflexions contemplatives de divers membres du personnel de la CCN.

         Il y a peu de doute que la CCN a effectivement compétence pour transformer le pont Champlain en une structure à trois voies. Cette compétence est ancrée dans les articles 10 et 11 de la Loi sur la capitale nationale, précitée. Les éléments importants de ces dispositions sont libellés en ces termes :

         10.(1) La Commission a pour mission :                 
             a) d'établir des plans d'aménagement, de conservation et d'embellissement de la région de la capitale nationale et de concourir à la réalisation de ces trois buts, afin de doter le siège du gouvernement du Canada d'un cachet et d'un caractère dignes de son importance nationale;                         

         ***                 
         (2) Pour l'application de la présente loi, la Commission peut :                 
             b) acquérir, détenir, gérer ou mettre en valeur des biens;                         
         ***                 
             c) construire, entretenir et exploiter des parcs, places, voies publiques, promenades, ponts, bâtiments et tous autres ouvrages;                         
         11. La Commission coordonne, conformément aux plans généraux établis en application de la présente loi, l'aménagement des terrains publics dans la région de la capitale nationale.                 

         Le PUTF, qui découle de l'article 11 de la Loi, indique ce qui suit (vol. IV-B, onglet 7-A : p. 2641 du dossier de l'intimée) :

         [TRADUCTION]                 
         Les directives que comportent le présent plan général seront reflétées et précisées dans un certain nombre de plans de secteur plus détaillés, axés sur des zones géographiques de plus petite taille, comme le parc de la Gatineau, la ceinture verte et le secteur urbain de la capitale. Ces plans secondaires traiteront plus en détail de secteurs de moindre envergure, afin de fournir des conseils stratégiques et plus précis. L'exécution de ces plans de secteur peut obliger à modifier le plan général.                 

La voie-promenade, dont le pont fait partie, est définie en ces termes (vol. IV-A, onglet 7-A : p. 2827 du dossier de l'intimée) :

         [TRADUCTION]                 
         Il s'agit d'une voie publique touristique à accès restreint, conçue, bâtie, surveillée et entretenue par la Commission de la capitale nationale sur des terres fédérales. Cette voie, qui traverse des terres ayant un cachet touristique distinctif, est habituellement formée de deux voies, ainsi que d'une emprise d'une largeur minimale de 60 mètres réservée à des fins d'aménagement paysager et d'espaces verts.                 

         On trouve dans le PUTF de nombreuses références qui pourraient conférer à la CCN les pouvoirs appropriés. Au vol. IV-A, onglet 7-A : p. 2815, le plan indique : [TRADUCTION] " Certains ponts interprovinciaux présentent des problèmes de structure qui restreindront leur durée de vie. Cette situation fait ressortir le besoin de procéder à une planification exhaustive des ponts ". Sous la rubrique [TRADUCTION] " Instructions ", la CCN devait [TRADUCTION] " d) envisager d'établir des ponts supplémentaires sur la rivière des Outaouais, ainsi que d'aménager des liens avec les principales voies d'accès et promenades pour faciliter la circulation d'accès interprovinciale [note de bas de page omise] " (DI, vol. IV-A, onglet 7-A : p. 2819).

         La question des " pont supplémentaires " est un sujet qui a été conçu et abandonné par le Comité administratif conjoint de la planification et des transports (CANPET), dans son rapport de novembre 1994 intitulé Study of the Interprovincial Bridges in the NC Region - Phase 2, " Synthesis, Conclusions and Recommendations - Final Report (Étude des ponts interprovinciaux dans la RCN - Phase 2, Synthèse, conclusions et recommandations - Rapport définitif), dont un exemplaire constitue la pièce B jointe à l'affidavit de M. Bonin, signé le 17 janvier 1997 (DI, vol. I-A, onglet 1-B : p. 183 à 271).

         À la page 236, le paragraphe 3.2.1 traite du corridor Britannia-Deschênes. Le texte est trop volumineux pour être cité ici, d'autant plus que les deux parties le connaissent bien. En voici quelques passages :

         [TRADUCTION]                 
         Ce corridor est celui qui, parmi ceux qui sont à l'étude, est situé le plus à l'ouest. Il relie les villes d'Aylmer et Ottawa-Nepean, depuis la route 417 à Ottawa-Carleton jusqu'au boulevard McConnell-Laramée au départ, et peut-être ensuite le boulevard Pink/route 550, dans l'Outaouais. En Ontario, les voies d'accès au pont seraient situées dans le corridor Promenade de l'Outaouais-voie de transport sud-ouest d'OC Transpo, et, au Québec, les voies d'accès seraient situées dans une emprise existante réservée au futur boulevard Deschênes.                 

                 ***      ***      ***

         La partie " pont " du corridor serait située juste à l'est de l'usine d'épuration d'eau de la MROC à Ottawa, ainsi qu'à l'extrémité sud du secteur Deschênes à Aylmer. Cet axe a été choisi de manière à éviter la zone écologiquement vulnérable du lac Mud, située juste à l'ouest de l'usine d'épuration d'eau de la MROC, ainsi que pour profiter de l'emprise existante, expropriée au début des années 1970 par la province du Québec en prévision de la construction du futur boulevard Deschênes et d'un éventuel pont Britannia-Deschênes. Le pont serait d'un accès restreint, du type artère urbaine. Il nécessiterait environ 14 piliers et serait situé à faible hauteur puisqu'il n'enjamberait pas un chenal navigable.                 

                 ***      ***      ***

         Au point de vue de la circulation, le corridor du pont devrait attirer un nombre modéré de véhicules aux heures de pointe (de 2 600 à 3 400 environ à l'heure). À l'extrémité supérieure de la plage de circulation, le pont et ses accès bénéficieraient d'une capacité de réserve de 2 011 véhicules. On ne s'attend pas à ce que le corridor attire un nombre considérable de véhicules commerciaux qui empruntent les ponts existant à l'heure actuelle dans la zone centrale.                 

La Cour ignore comment l'on peur tirer cette dernière conclusion sans savoir quel sera le degré de lotissement sur les terrains situés à distance moyenne de chaque extrémité de ce pont théorique. Il s'agit certes là d'une leçon qu'enseigne la controverse entourant le pont Champlain. Toutefois, à la p. 268 du rapport définitif du CANPET, figure la recommandation importante : [TRADUCTION] " Que l'idée de construire un nouveau pont dans les corridors Britannia-Deschênes et Champlain soit abandonnée " (DI, vol. I-A, onglet 1-B : p. 236-237 et 268).

         De la même façon, dans son rapport final le CANPET envisage de doubler le pont Champlain, ainsi que de construire un pont sur l'île Lemieux, un pont sur l'île Kettle, un pont pour l'OC Transpo/STO, de même qu'un pont pour trains de banlieue de CP Rail. Le pont de l'île Kettle a été considéré comme le meilleur choix.

         L'annexe A au PUTF, intitulée " NCC Parkway Policy Review " (Examen de la politique de la CCN concernant les promenades), indique ce qui suit :

         Les voies publiques constituent un moyen pittoresque, sûr et efficace d'accéder aux institutions et aux attractions de la Capitale *** Le réseau de promenades a évolué depuis sa création au début du siècle. Conçus au départ comme une promenade à caractère touristique, de nombreux segments du réseau remplissent d'autres fonctions : elles sont de plus en plus utilisées par des navetteurs et des véhicules de transport en commun régionaux, pour se rendre au travail (DI, vol. IV-A, onglet 7-B : p. 2891).                 

Le plan ajoute ce qui suit :

         Il est proposé que la Commission de la capitale nationale :                 
         a) désigne un réseau de voies-promenades (voir la carte nE 3) dont les fonctions principales sont les suivantes :                 
         i) fournir un moyen d'accès à d'importants secteurs touristiques et récréatifs, ainsi qu'aux institutions et aux attractions de la Capitale;                 
         ii) desservir les institutions et les installations de la Capitale d'une manière compatible avec la préservation du caractère ouvert et écologique du réseau des promenades;                 
         iii) fournir un accès touristique à la zone centrale de la Capitale au moyen de connexions avec des routes provinciales à des intersections clés;                 
         iv) contribuer à des activités récréatives et culturelles et à des événements d'envergure internationale, nationale ou régionale;                 
         v) servir à l'occasion de parcours d'honneur;                 
         vi) faciliter l'accès d'une province à l'autre;                 

                 [non souligné dans l'original]

         Les passages qui précèdent, extraits du PUTF, mènent à la conclusion inévitable que l'ajout d'une troisième voie au pont Champlain tombe sous le coup des pouvoirs décisionnels de la CCN. Le PUTF est similaire au plan Gréber qui était en litige dans l'affaire Munro. Le juge Gibson de la Cour de l'Échiquier a reproduit le texte du plan Gréber dans [1965] 2 R.C. É. 579. Sa description est la suivante : [TRADUCTION] " non un plan définitif et rigide d'application immédiate, mais un tableau exhaustif et souple d'activités d'aménagement coordonnées, soumises aux modifications et aux adaptations découlant d'études détaillées et de circonstances imprévues " (p. 611). Le PUTF de 1988 n'est pas différent.

         Le PUTF de 1988 vise à trouver un juste équilibre entre le cachet touristique de la promenade et ses aspects pratiques, plus précisément l'accès interprovincial qu'elle assure. L'ajout d'une troisième voie n'excéderait la compétence de la CCN que si cela transformait la promenade en une grande artère régionale et faisait carrément abstraction des autres facteurs qui sous-tendent son existence. Qu'on le veuille ou non, le pont doit quand même absorber la circulation aux heures de pointe. Le dossier ne comporte aucun élément de preuve qui donne le moindrement à penser que l'ajout d'une troisième voie, réservée aux VPO dans un sens, modifierait le caractère de la promenade au point de mettre en péril l'équilibre établi par le plan entre ce qui est utile et ce qui est esthétique. En outre, le fait que le pont puisse comporter trois voies n'est pas incompatible avec le plan, qui note que la promenade comporte habituellement deux voies. Le PUTF ne limite pas la promenade à deux voies. En fait, la promenade de l'Outaouais et celle de l'Aviation comptent jusqu'à quatre voies, et sur la première des deux circulent des véhicules de transport en commun (DI, vol. IV-B, onglet 7-B : p. 2911 et 2917). Il s'ensuit, en droit comme dans les faits, que la CCN possède et exerce la compétence voulue pour ajouter une troisième voie au pont Champlain, s'il y a lieu de le faire, en accord avec les principes relatifs au contrôle judiciaire d'actes administratifs.

     La partialité

         L'exemple le plus flagrant de partialité que l'on relève dans la littérature est Rhadamante, le cruel juge des Enfers, qui châtiait avant d'entendre (De Smith, Woolf et Jowell, Judicial Review of Admnistrative Action, 5e éd. (Londres : Sweet & Maxwell, 1995, p. 525). L'affaire qui nous occupe ici comporte cependant une analyse plus complexe. La première allégation de partialité dont fait état la requérante est que le président de la CCN, M. Beaudry, se trouvait en situation de conflit d'intérêts et que ce conflit a faussé les décisions de la CCN même si il n'y a pas pris part. C'est-à-dire que M. Beaudry se serait retiré trop tard du processus décisionnel; il a entaché le processus. Cette situation découle de ses intérêts (détenus dernièrement, depuis 1993, par son épouse) dans des terrains d'une superficie d'environ 1 000 acres, situés à un peu plus de 3 kilomètres de l'extrémité nord du pont (DR, vol. IV-B, onglet 55 : p. 1908-1910), ainsi que du fait qu'après s'être retiré, il a continué d'exercer ses fonctions de chef de la direction de la CCN. Le président de la CCN, rappelons-le, remplit deux fonctions sous le régime de la Loi sur la capitale nationale : président du conseil d'administration et chef de la direction. M. Beaudry a été assermenté comme président de la CCN le 2 septembre 1992.

         La première question à trancher est celle de savoir quel est le critère relatif à la partialité qui s'applique en l'espèce. Habituellement, une preuve d'intérêt pécuniaire mène à l'exclusion immédiate du décisionnaire pour cause d'apparence de partialité. Comme l'a écrit le juge Marceau dans l'arrêt Enquête Énergie c. Canada (Commission de contrôle de l'énergie atomique), [1985] 1 C.F. 563, aux p. 579 et 580 :

         On a rapidement " découvert ", tous les manuels l'enseignent, que la common law , comme le droit romain et le droit canon bien avant elle, ne permettait pas à un juge de connaître d'une affaire dans laquelle il avait un intérêt d'ordre pécuniaire ou venant d'un droit de propriété (voir de Smith, Judicial Review of Administrative Action, (4e éd. 1980), page 248).                 

Il s'agit là en fait de l'origine même des différents types de partialité que reconnaît aujourd'hui le droit canadien. Le juge Marceau a décrit ensuite l'évolution du droit de la partialité, à la p. 580 du recueil :

         Depuis ce moment, si je comprends bien, le droit en ce domaine a évolué à partir de deux idées. La première est qu'il existe plusieurs intérêts autres que pécuniaires qui peuvent avoir un effet sur l'impartialité d'une personne appelée à rendre une décision, des intérêts de type émotionnel pourrait-on dire (voir Pépin et Ouellette, Principes de contentieux administratif (2e éd.), page 253), comme la parenté, l'amitié, la partialité, des relations professionnelles ou commerciales particulières avec l'une des parties, l'animosité envers une personne ayant un intérêt dans l'affaire, une opinion arrêtée sur la question en litige, etc. L'autre idée qui est devenue une sorte d'axiome juridique, porte que ... " il est non seulement [...] fondamental que [...] justice soit rendue, mais il doit être manifeste et indubitable qu'elle a été rendue ". L'évolution du droit à partir de ces deux idées a eu pour conséquence qu'on distingue aujourd'hui nettement les situations où la personne appelée à rendre une décision a un intérêt pécuniaire dans le résultat du litige et les situations où son intérêt est d'un autre genre. Dans le premier cas, où la maxime memo judex in causa sua trouve application immédiate, la personne appelée à rendre une décision devient péremptoirement inhabile à statuer peu importe l'importance de son intérêt, pourvu seulement qu'il s'agisse d'un intérêt rattaché à la décision elle-même et que cet intérêt ne soit pas trop éloigné ou incertain pour avoir quelque influence. Dans le second cas, la personne appelée à rendre une décision devient inhabile à statuer si son intérêt est tel qu'il laisserait dans l'esprit d'un homme raisonnable informé des faits une crainte raisonnable de partialité.                 

         La Cour suprême du Canada, dans les arrêts Newfoundland Telephone c. Terre-Neuve (Public Utilities Board), [1992] 1 R.C.S. 623 et Association des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville) , [1990] 3 R.C.S. 1170, a exposé des lignes directrices qui permettent de formuler et d'appliquer le critère relatif à la partialité. Dans Newfoundland Telephone, le juge Cory a décrété que l'obligation d'agir équitablement, qui comporte l'impartialité, s'applique à tout corps administratif, mais que " l'étendue de cette obligation tient à la nature et à la fonction du tribunal en question " (p. 636). Après avoir souscrit à la décision de la Cour écrite par le juge Sopinka dans l'affaire Vieux St-Boniface , le juge Cory a décrit ensuite de quelle façon le critère de la partialité devait s'appliquer, aux p. 638 et 639 du recueil :

         De toute évidence, il existe une grande diversité de commissions administratives. Celles qui remplissent des fonctions essentiellement juridictionnelles devront respecter la norme applicable aux cours de justice. C'est-à-dire que la conduite des membres de la commission ne doit susciter aucune crainte raisonnable de partialité relativement à leur décision. À l'autre extrémité se trouvent les commissions dont les membres sont élus par le public. C'est le cas notamment de celles qui s'occupent de questions d'urbanisme et d'aménagement, dont les membres sont des conseillers municipaux. Pour ces commissions, la norme est nettement moins sévère. La partie qui conteste l'habilité des membres ne peut en obtenir la récusation que si elle établit que l'affaire a été préjugée au point de rendre vain tout argument contraire. Les commissions administratives qui s'occupent de questions de principe sont dans une large mesure assimilables à celles composées de conseillers municipaux en ce sens que l'application stricte du critère de la crainte raisonnable de partialité risquerait de ruiner le rôle que leur a précisément confié le législateur.                 
         ***                 
         En outre, le membre d'une commission qui remplit une fonction d'élaboration des politiques ne devrait pas être exposé à une accusation de partialité du seul fait d'avoir exprimé avant l'audience des opinions bien arrêtées. Cela ne veut pas dire, évidemment, que la conduite des membres d'une commission n'est assujettie à aucune restriction. Il s'agit plutôt de la simple confirmation du principe suivant lequel les tribunaux doivent faire preuve de souplesse face à ce problème, de manière que la norme appliquée varie selon le rôle et la fonction de la commission en cause. En dernière analyse, cependant, les commissaires doivent fonder leur décision sur la preuve qui leur a été présentée. Bien qu'ils puissent faire appel à leur expérience, à leurs connaissances et à leur compréhension du domaine, cela doit se faire dans le cadre de la preuve produite devant la commission.                 

En résumé, le critère suit une échelle mobile, allant de l'extrémité législative (qui donne lieu à l'application la plus indulgente) à l'extrémité juridictionnelle (qui est inévitablement la plus stricte). La première mesure que doit donc prendre la Cour est de déterminer où se situe l'organisme décisionnel sur cette échelle.

         Une fois l'organisme administratif situé sur l'échelle, la Cour doit appliquer le critère qui convient. Lorsque le décisionnaire agit dans le cadre d'une fonction juridictionnelle, comme c'est le cas d'un tribunal des droits de la personne, le critère qui s'applique est celui de savoir s'il existe une crainte raisonnable de partialité (Newfoundland Telephone, p. 638). Dans le contexte législatif, comme dans le cas de projets d'urbanisme menés par des représentants élus par le public - ou comme le dit le juge Cory dans l'extrait cité ci-dessus, les commissions administratives qui s'occupent de questions de principe - le critère à appliquer est celui qu'a formulé le juge Sopinka dans l'arrêt Vieux St-Boniface, à la p. 1197 du recueil :

         La partie qui allègue la partialité entraînant l'inhabilité doit établir que l'affaire a en fait été préjugée, de sorte qu'il ne servirait à rien de présenter des arguments contredisant le point de vue adopté. Les déclarations de conseillers individuels, bien qu'elles puissent fort bien créer une apparence de partialité, ne satisfont au critère que si la Cour conclut qu'elles sont l'expression d'une opinion finale et irrévocable sur la question.                 

C'est-à-dire que le décisionnaire a l'esprit fermé.

         Qui détermine si un décisionnaire a ce que l'on appelle l'esprit fermé? Selon le juge Sopinka : " la personne raisonnablement bien informée " (Vieux St-Boniface , p. 1196 et 1198; tiré de Committee for Justice c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369).

         Quel est donc le critère qui s'applique en l'espèce? La CCN se situe à l'extrémité de l'échelle qui concerne l'élaboration des politiques. Bien que ses commissaires soient nommés et non élus, la CCN joue un rôle qui est fort semblable à celui des conseils municipaux. Il ne s'agit pas là d'une révélation surprenante; l'arrêt Munro le reconnaissait. Disons simplement que la CCN élabore des politiques, décide quelle voie suivre sur le plan de l'administration de la région de la capitale nationale, et applique ensuite la décision. C'est ce que fait un conseil municipal. Par exemple, un conseil municipal peut juger, pour une question d'ordre administratif, qu'il faut ramasser les ordures de la municipalité en raison des odeurs intolérables et insalubres qu'elles dégagent. Le conseil détermine ensuite qu'il faudrait concevoir, pour régler le problème, un système quelconque de ramassage des ordures. Après cela, il décide que les ordures seront ramassées le lundi seulement et que, pour ce faire, il faudrait retenir les services d'une entreprise privée. Des appels d'offre sont lancés, et les ordures sont ramassées. C'est exactement comme cela que procède la CCN, sauf, évidemment, que les commissaires ne briguent pas les suffrages. Il s'agit exactement du genre d'organisme qu'envisage le juge Cory dans le passage extrait de l'arrêt Newfoundland Telephone cité plus tôt : " Les commissions administratives qui s'occupent de questions de principe sont dans une large mesure assimilables à celles composées de conseillers municipaux en ce sens que l'application stricte du critère de la crainte raisonnable de partialité risquerait de miner le rôle que leur a précisément confié le législateur ".

         Avant d'appliquer les critères, il est utile de rappeler qui ils visent exactement. Les décisions contestées ont été prises par le conseil d'administration de la CCN et il ressort clairement de la preuve que M. Beaudry, suivant les conseils de M. Wilson, le conseiller en éthique, s'est retiré des délibérations et des décisions portant sur le pont Champlain. Rappelons que les allégations de la requérante visent surtout M. Beaudry; pour ce qui est des commissaires, ce n'est que de façon indirecte. Il serait tentant, à première vue, de rejeter entièrement l'argument de la partialité car M. Beaudry n'était pas un décisionnaire. Une telle solution serait insatisfaisante au vu des allégations de la requérante car 1) quand M. Beaudry a été nommé, le 2 septembre 1992, il était relativement tôt dans le processus pour prendre la décision concernant la reconstruction ou la remise en état du pont, 2) après s'être retiré, M. Beaudry est resté à la tête du personnel de la CCN, lequel recommandait un pont à trois voies, 3) il n'est pas contesté que M. Beaudry appuie l'idée d'une troisième voie, 4) il s'est retiré presque quatre ans après avoir été nommé. Poursuivre l'enquête concorde avec le principe sous-jacent voulant que ce soit l'intégrité du processus décisionnel qu'il faut examiner.

         Voilà qui complique quelque peu l'analyse car la Cour doit examiner en premier lieu les gestes de M. Beaudry en se fondant sur un critère différent de celui qui s'appliquera aux commissaires de la CCN; en effet, la partialité pour cause de préjugé et la partialité pour cause d'intérêt personnel sont traitées de façon différente. Dans l'arrêt Vieux St-Boniface, le juge Sopinka fait la distinction suivante, à la p. 1196 du recueil :

         Je fais une distinction entre la partialité pour cause de préjugé, d'une part, et la partialité découlant d'un intérêt personnel, d'autre part. Il se dégage nettement des faits de l'espèce, par exemple, qu'un certain niveau de préjugé est inhérent au rôle de conseiller. On ne peut pas en dire autant de l'intérêt personnel. En effet, il n'y a rien d'inhérent aux fonctions hybrides des conseillers municipaux, qu'elles soient politiques, législatives ou autres, qui rendrait obligatoire ou souhaitable de les soustraire à l'obligation de ne pas intervenir dans des affaires dans lesquelles ils ont un intérêt personnel ou autre. Il n'est pas exigé des conseillers municipaux qu'ils aient dans les dossiers qui leur sont soumis un intérêt personnel au-delà de l'intérêt qu'ils partagent avec d'autres citoyens dans la municipalité. Quand on conclut à l'existence d'un tel intérêt personnel, alors, aussi bien en vertu de la common law que de la loi, un conseiller devient inhabile si l'intérêt est à ce point lié à l'exercice d'une fonction publique qu'une personne raisonnablement bien informée conclurait que cet intérêt risquerait d'influer sur l'exercice de la fonction en question. C'est ce qu'on appelle communément un conflit d'intérêts. Voir Re Blustein and Borough of North York, [1967] 1 O.R. 604 (H.C.), Re Moll and Fisher (1979), 23 O.R. (2d) 609 (C. div.), Committee for Justice, précité, et Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673.                 

         Le dossier ne comporte aucune preuve montrant que M. Beaudry a directement influencé les commissaires au moment où chaque décision a été prise. En fait, la situation est tout autre. Dans son affidavit, qui a fait l'objet d'un contre-interrogatoire, M. Beaudry a déclaré ce qui suit :

         [TRADUCTION]                 
         À aucun moment que ce soit avant ou après m'être retiré du processus décisionnel de la Commission concernant la proposition ai-je communiqué avec un membre quelconque de cette dernière en vue de faire pression en faveur d'une option à trois voies, ou tenté d'une autre manière, par des moyens indirects, d'influencer l'issue du processus (DI, vol. IV-B, onglet 2 : p. 2279).                 

La requérante n'a pas non plus fait ressortir assez d'éléments de preuve qui permettraient à la Cour d'inférer que la présence de M. Beaudry à titre de président de la CCN pendant les quatre années précédentes a eu une incidence quelconque sur les commissaires au moment où ceux-ci ont pris les deux décisions. Pour conclure à la partialité des commissaires, la Cour doit juger que tout conflit lié aux intérêts de propriété de M. Beaudry a fait son chemin dans les décisions des commissaires du fait de l'influence de ce dernier auprès du personnel de la CCN. Dans ce contexte, cet individu redoutable qu'est la personne raisonnablement bien informée entreprend sa tâche.

         L'objet principal de l'argumentation de la requérante est compatible avec la distinction que fait le juge Sopinka entre les préjugés et les intérêts personnels. C'est-à-dire que la requérante s'en est pris avec vigueur aux intérêts de propriété de M. Beaudry. Sa position est que M. Beaudry se trouve dans une situation classique de conflit d'intérêts. Aux yeux de la Cour, la façon dont l'intimée caractérise cet argument est juste : [TRADUCTION] " L'objet réel de l'allégation semble être que le président a un parti pris en faveur d'un pont à trois voies pour cause d'intérêt personnel et que, par sa participation à certains aspects administratifs du projet de reconstruction du pont, son parti pris a entaché le processus qui a mené à la décision faisant l'objet d'un contrôle et, partant, les décisions elles-mêmes " (DI, vol. V, onglet 8 : p. 53). Si les faits le confirment, cet argument a du bon. Le fait de se conformer aux lignes directrices en matière de conflits d'intérêts empêche seulement que les décisions des commissaires aient pu être entachées parce que M. Beaudry aurait directement influencé ces derniers. Cette conformité ne peut remédier à une influence quelconque que M. Beaudry avait peut-être déjà sur le personnel, à moins que le fait d'informer tout le monde que le président avait un intérêt de propriété dans des terrains ait eu un effet réparateur. (Rappelons qu'il a été conclu plus tôt qu'il n'existe aucune preuve que les commissaires ont été influencés de quelque manière.)

         Le juge Sopinka a laissé entendre que le critère (ou le critère secondaire, lorsqu'on examine la situation dans le cadre de l'ensemble de l'argument de partialité) qui permet de déterminer si un conseiller municipal se trouve dans une situation de conflit d'intérêts, consiste à examiner s'il existait un intérêt personnel aussi bien en vertu de la loi que de la common law. Dans l'affirmative, cela a habituellement pour effet que la personne en question devient inhabile à prendre part à une décision quelconque au sujet de l'intérêt en question. Il s'agit là, à toutes fins pratiques, du critère qui s'applique à la situation de M. Beaudry. La CCN ressemble à un conseil municipal et, de la même façon, le poste de commissaire " ou, dans le cas de M. Beaudry, celui de commissaire en chef, est similaire à celui d'un préfet ou d'un commissaire municipal. La Cour reconnaît que, contrairement à la plupart des conseillers municipaux, les commissaires de la CCN ne sont pas élus, de sorte qu'il n'existe aucun élément de préjugé inhérent dans les positions qu'ils adoptent sur le plan des politiques. Cependant, pour ce qui est des conflits d'intérêts, le juge Sopinka a écarté l'élément du " préjugé inhérent " car le fait d'avoir un intérêt personnel dans une question n'est pas un aspect inhérent d'une charge municipale.

         Il est utile de souligner que M. Beaudry s'est retiré des décisions. À l'évidence, la Cour ne peut vicier les décisions ou annuler le vote de M. Beaudry parce qu'il y a eu préemption du redressement habituel, l'exclusion. Toutefois, s'il existait un conflit, ce serait un facteur important à prendre en considération au moment d'appliquer au conseil d'administration le critère de la crainte raisonnable de partialité.

         À l'instar de tous les hauts fonctionnaires que nomme le gouvernement fédéral, M. Beaudry devait se conformer au Code régissant les conflits d'intérêts et l'après-mandat s'appliquant à la fonction publique. Selon son affidavit dressé sous serment, c'est ce que fait M. Beaudry depuis qu'il a été nommé (DI, vol. IV-A, onglet 2 : p. 2275). Il a cédé ses intérêts de propriété à son épouse en décembre 1993 (DR, vol. IV-B, onglet 55 : p. 1980). Cependant, cette mesure n'exonère personne. Mais elle était conforme au Code. En outre, le fait que M. Beaudry se soit conformé au Code indique très clairement que le président détenait les intérêts en question. Rien n'a été fait pour les dissimuler, et il n'y a jamais eu de tollé contre cela. Détail plus important, comme le moment de prendre les décisions approchait rapidement et que le débat public entourant les propositions relatives au pont était intense, M. Beaudry a fait un geste supplémentaire : il a consulté M. Howard Wilson, le conseiller en éthique, en juin 1996, et a proposé de se retirer de toute discussion ou décision concernant le pont. M. Wilson a répondu qu'il n'y avait pas de conflit véritable; toutefois, pour éviter toute apparence de conflit, il a conseillé à M. Beaudry de suivre son idée. Le 24 juin 1996, M. Wilson a écrit ce qui suit (DI, vol. IV-A, onglet 2-D : p. 2399) :

         Comme mentionné lors de notre réunion du 19 juin, je ne crois pas que vous soyiez [sic] dans une situation de conflit d'intérêts réel. Cependant, j'estime que plusieurs y verront là une situation apparente de conflit. C'est pourquoi, dans les circonstances actuelles, je crois qu'il serait préférable, et pour vous et pour la Commission, que vous ne participiez pas aux discussions et à la prise de décision touchant l'avenir du pont Champlain. Vous m'avez indiqué que vous aviez l'intention de demander à un autre membre de la Commission de présider aux discussions et de vous retirer de la salle durant le temps alloué pour discuter de cette question. Je suis donc entièrement d'accord avec les mesures que vous nous proposez de prendre à cet égard.                 

Compte tenu de ces faits, la Cour conclut que M. Beaudry n'a rien fait de mal. Qu'aurait-il pu faire de plus, à part démissionner? Selon la requérante, une fiducie sans droit de regard aurait été une solution appropriée. Comme l'a fait valoir l'intimée, cela n'aurait fait aucune différence. M. Beaudry saurait quand même qu'il avait des intérêts dans les terrains en question. Cela est très différent d'une fiducie sans droit de regard qui sert à détenir des valeurs cotées en bourse, car l'identité des terrains est bien précise; dans le cas d'actions, ce l'est beaucoup moins.

         En bref, M. Beaudry a divulgué tous ses intérêts, conformément aux exigences du Code. Cela suffit pour satisfaire au premier élément du critère relatif au conflits d'intérêts, c'est-à-dire la conformité à la loi. En l'espèce, le Code n'est même pas une exigence légale. Suivant l'avis du conseiller en éthique, M. Beaudry s'est retiré de toutes les délibérations et décisions relatives au pont. Le conseiller a conclu que M. Beaudry ne se trouvait pas en situation de conflit d'intérêts et que c'était une bonne idée de se retirer pour éviter tout risque d'apparence de conflit.

         Il va sans dire que la Cour n'a pas à approuver sans discussion l'opinion du conseiller en éthique. Cette opinion est toutefois utile. Cela nous amène au second élément du conflit d'intérêt : existe-t-il un conflit en vertu de la common law? La Cour d'appel fédérale a exposé le critère qui s'applique aux titulaires d'une charge publique dans l'arrêt Threader c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 1 C.F. 41, à la p. 56 :

         Les lignes directrices ne définissent pas l'expression " apparence de conflit d'intérêts " et le silence des tribunaux à cet égard est explicable à la lumière du point de vue ayant cours en common law , dont nous avons déjà parlé. La notion suivant laquelle une apparence de conflit d'intérêts peut entraîner des conséquences juridiques est tout à fait moderne. Normalement, seules les situations réelles peuvent engendrer des conséquences juridiques. Notre droit comporte toutefois un principe bien établi en vertu duquel une simple perception entraîne des conséquences juridiques. Dans un tel cas, la question qui se pose est la suivante :                 
             Est-ce qu'une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait que, selon toute vraisemblance, le fonctionnaire, consciemment ou non, sera influencé par des considérations d'intérêt personnel dans l'exercice de ses fonctions officielles?                         

Ces propos ont été confirmés par la Cour d'appel dans l'arrêt Canada (Conseil du Trésor) c. Spinks, (1987), 79 N.R. 375, et cités par la Division de première instance de la Cour suprême de Terre-Neuve, dans la décision Sparks c. Enterprise Newfoundland & Labrador Corp. (1994), 122 Nfld. & P.E.I.R. 25, comme étant le critère qui s'applique aux conflits d'intérêts au sein de la fonction publique. Pour l'affaire qui nous occupe ici, le critère est le suivant : une personne bien renseignée et raisonnable croirait-elle que M. Beaudry a été influencé, consciemment ou non, par les intérêts de propriété qu'il possède (et qui appartiennent aujourd'hui à son épouse) dans l'exercice de ses fonctions officielles?

         Le premier point dont doit tenir compte la personne raisonnable est celui de savoir si le président de la CCN a un avantage quelconque à retirer d'un pont à trois voies. La requérante demande à la Cour de conclure comme un fait, vraisemblablement en tirant une inférence d'un accès censément plus facile, que la valeur des terrains de M. Beaudry augmentera. La requérante n'a fourni aucune preuve qui étaye cette allégation. La preuve non contestée est que M. Beaudry croyait que la valeur des terrains n'augmenterait pas à la suite de l'élargissement du pont Champlain. Lors du contre-interrogatoire sur l'affidavit de M. Beaudry, l'échange suivant à eu lieu entre ce dernier et l'avocat de l'intimée au cours du réinterrogatoire (DR, vol. IV-B, onglet 55 : p. 1917) :

         [TRADUCTION]                 
         Q.          Une dernière question, M. Beaudry. Quelle effet aurait, selon vous, l'élargissement du pont Champlain sur la valeur des terrains que vous possédez?                 
         R.          Aucun, aucun effet du tout.                 

Bien que l'instinct puisse dicter qu'un accès accru, amélioré, aura une incidence positive sur la valeur de terrains, la présente Cour ne peut admettre d'office ce fait, d'autant plus qu'il existe une preuve non contestée de deux choses. La première est le témoignage de M. Beaudry selon lequel la valeur n'augmenterait pas. La seconde est que, à ce moment-ci, le trajet le plus direct entre les terrains en question et Ottawa ne passe pas par le pont Champlain mais par le pont MacDonald-Cartier (DR, vol. IV-B, onglet 55 : p. 1916). Ces faits non contestés portent un coup fatal à l'inférence que la requérante voudrait voir la Cour tirer. Le seul fait que cela laisse à la personne raisonnable bien renseignée est que M. Beaudry n'a rien à gagner d'un élargissement du pont. En revanche, M. Beaudry a lui-même pensé qu'il devait consulter le conseiller en éthique et se départir de la propriété apparente de ces terrains en les cédant à son épouse, une personne que l'on ne considère pas comme étant " dénuée d'un lien de dépendance ".

         Le second point dont tenir compte la personne raisonnable est de savoir si M. Beaudry a [TRADUCTION] " manigancé " pour que la CCN change d'opinion, c'est-à-dire que, d'après la requérante, le personnel favorisait auparavant une option à deux voies. Après tout, il est reconnu que [TRADUCTION] " il n'est un secret pour personne que le président est en faveur de l'idée d'un pont à trois voies " (DI, vol. V : p. 55). On pourrait se demander si le personnel s'est posé la question suivante : [TRADUCTION] " que veut le président? ". Comme il est indiqué ci-dessus, il ressort toutefois du dossier - et ceci est un fait non réfuté - que M. Beaudry ne croyait pas que l'élargissement du pont aurait pour effet de hausser la valeur de ses intérêts de propriété. Il s'agit là d'une chose dont la personne raisonnable ne peut faire abstraction, car la requérante n'a produit aucun expert ou aucune preuve (qui aurait été conjecturale de toute façon) indiquant que la valeur des terrains de Mme Beaudry augmenterait parce qu'il serait plus facile de franchir la rivière sur un pont à trois voies.

         Si l'on fait abstraction de toute la question du présumé intérêt pécuniaire, il n'existe aucune preuve qui permette à la Cour d'inférer que M. Beaudry a influencé le personnel de manière telle qu'un pont à trois voies a été proposé comme étant, de loin, la solution préférable. Il s'agit uniquement d'une question de preuve. Avec quoi informe-t-on la personne raisonnable? Le témoignage sous serment de M. Beaudry sur son rôle concernant la proposition mérite d'être reproduit en entier (DI, vol. IV-A, onglet 2 : p. 2269-2274) :

         [TRADUCTION]                 
         4.          En m'acquittant des fonctions de ma charge, je me suis occupé de certains aspects administratifs de la proposition de remise en état et de reconstruction du pont Champlain (la " proposition "). La reconstruction du pont, qui est l'un des projets d'immobilisation les plus importants de la CCN, nécessitera des dépenses d'immobilisation considérables. Vu l'ampleur du projet, il est convenable et nécessaire que le président s'occupe de la proposition. Il lui incombe de s'assurer que des dépenses de deniers publics d'une telle envergure sont fondées sur des décisions de gestion saines, prises en accord avec les meilleures pratiques qui soient ainsi qu'avec les exigences législatives et de principe applicables. Cependant, le pouvoir décisionnel ultime concernant la proposition réside entre les mains des 15 membres nommés de la Commission de la capitale nationale (la " Commission "), qui proviennent de toutes les régions du Canada.                 
         5.          Depuis ma nomination comme président, j'ai pris part à un certain nombre de réunions et de séances d'information au sujet de la proposition, toutes organisées par le personnel de la CCN. Ma première séance d'information sur le dossier du pont Champlain a eu lieu au début de décembre 1992. À ce moment, la CCN avait déjà relevé les deux principales options relatives à la reconstruction du pont : un pont à deux voies ou un pont à trois voies. Dès 1968, la CCN avait envisagé d'ajouter une troisième voie au pont Champlain. En 1990, plus de deux ans avant ma nomination à la présidence, la CCN avait retenu les services de la société Fenco MacLaren pour procéder à l'analyse d'une option à trois voies. L'étude préparée pour le Comité administratif conjoint de la planification et des transports avait même envisagé un pont à quatre voies à l'emplacement du pont Champlain, mais cette option n'a pas eu de suite.                 
         6.          La plupart des réunions du personnel et des séances d'information qui ont eu lieu subséquemment au sujet du pont Champlain et auxquelles j'ai participé avaient pour but de me fournir des rapports d'étape sur l'avancement de la proposition, afin que je sois au courant de la situation et que je puisse m'acquitter de mes obligations comme porte-parole de la CCN. Ce n'est qu'à deux occasions seulement que j'ai donné au personnel de la CCN des instructions sur la proposition.                 
         7.          La première a eu lieu aux environs du 13 février 1995, dans le contexte du processus de sélection d'un expert-conseil qui serait chargé de mener une étude environnemental des diverses options de reconstruction du pont Champlain (l'" étude "). Ayant reçu du personnel de la CCN l'ébauche d'attributions de l'étude, j'ai ordonné que l'on évalue les propositions détaillées présentées en prenant pour base un rapport de 70 % - 30 % entre les éléments techniques et de prix de l'évaluation globale, plutôt qu'un rapport de 80 % - 20 %. J'étais d'avis que comme on avait déjà évalué la compétence technique à l'étape de la " déclaration d'intérêt ", il convenait d'accorder plus de poids à l'élément " prix " à la seconde étape du processus. Cela était conforme à la façon dont j'avais procédé dans d'autres projets, et cette méthode ne s'appliquait pas uniquement à la proposition. Mon souci, dans tous les cas, était de garantir que la CCN dépensait avec prudence des deniers publics.                 
         8.          La pondération des critères d'évaluation a été communiquée à tous les intéressés dans l'appel de propositions détaillées lancé le 22 février 1995. Cette pondération ne favorisait aucune des entreprises proposantes.                 
         9.          Je n'ai pas pris part à l'évaluation des déclarations d'intérêt ou des propositions détaillées. Je n'ai donné aucune instruction au personnel de la CCN quant à la société d'experts-conseils qu'il fallait choisir pour mener l'étude, pas plus que je n'ai fait état d'une préférence quelconque quant au choix de la société d'experts-conseils. En fait, je n'avais aucune préférence.                 
         10.          En février 1996, j'ai pris conscience que l'étude reposait sur le fait que la durée de vie du pont Champlain reconstruit n'aurait été que d'une vingtaine d'années et qu'au cours des travaux de reconstruction, il n'y aurait sur le pont qu'une seule voie de circulation. Lors des consultations publiques, des questions avaient été soulevées au sujet de la courte durée de vie du pont et de l'écoulement restreint de la circulation. En réponse à ces préoccupations, j'ai jugé qu'il m'incombait d'étudier la possibilité de prolonger la durée de vie du pont au-delà de vingt ans pour des questions d'efficacité et de rentabilité, ainsi que d'éviter les perturbations et les désaccords que susciterait un second projet de reconstruction, une vingtaine d'années plus tard seulement. C'est donc pourquoi, le 1er mars 1996, j'ai rencontré le personnel supérieur de la CCN et lui ai ordonné de demander à la société d'experts-conseils qui procédait à l'étude d'étudier des solutions de reconstruction qui présenteraient une durée de vie plus longue, mais un effet minime sur le coût des travaux de reconstruction, et qui laisseraient ouvertes deux voies de circulation pendant les travaux.                 
         11.          Je n'ai, à aucun moment, donné des ordres à la société d'experts-conseils ou au personnel de la CCN, ou fait pression sur eux, pour qu'ils privilégient une option particulière. J'ai plutôt appuyé l'analyse et l'évaluation complètes de toutes les options raisonnables, tant celles à deux voies que celles à trois voies. Mon souci premier pendant toute la durée de la proposition a été de garantir que la Commission prendrait une décision éclairée et avisée sur le plan financier, et que cette décision serait l'aboutissement d'un processus décisionnel sensé.                 

         Ce témoignage est corroboré par les affidavits de M. John Sutherns et M. André Bonin, vice-président chargé de l'aménagement de la capitale auprès de la CCN. M. Sutherns, qui préside la société McCormick Rankin, a fait la déposition suivante (DI, vol. IV-A, onglet 3 : p. 2441) :

         [TRADUCTION]                 
         6.      Comme cela se fait d'habitude, et conformément à des pratiques professionnelles sérieuses, MR/BBL [la société d'experts-conseils] a rencontré régulièrement l'équipe de projet interne de la CCN pendant toute la durée de l'étude. Dans ce contexte, les observations du personnel de la CCN qui, de l'avis professionnel objectif de MR/BBL, étaient appropriées, ont été incluses dans le RÉE. Toutefois, MR/BBL s'est toujours comportée de façon professionnelle. À aucun moment durant l'étude le personnel de la CCN, les commissaires ou le président ont-ils ordonné à MR/BBL de ne pas faire preuve du meilleur jugement objectif et professionnel qui soit dans le cadre de son travail.                 

M. Bonin a également juré n'avoir jamais été influencé par M. Beaudry (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 5) :

         [TRADUCTION]                 
         3.      En exerçant mes fonctions de gestionnaire supérieur, telles qu'indiquées ci-dessus, j'ai toujours fait preuve du meilleur jugement objectif qui soit. Personne ne m'a donné d'instructions ou contraint dans l'exercice de ces fonctions, pas plus que l'issue n'a été décidée à l'avance.                 

La requérante n'a pas contesté ces déclarations en contre-interrogatoire.

         M. Beaudry a également été contre-interrogé sur son affidavit. La requérante n'a présenté à ce moment aucune preuve contestant les déclarations faites sous serment par M. Beaudry. Ce que la requérante a fait, c'est montrer à la Cour un certain nombre de documents non établis sous serment qu'elle n'a pas présentés à M. Beaudry ou à qui que soit d'autre au moment du contre-interrogatoire portant sur son affidavit. C'est sur la foi de ces documents que la requérante demande à la Cour d'inférer que le président a contribué, pour une raison quelconque, à convaincre le personnel de la CCN qu'il fallait construire à tout prix un pont à trois voies. Cette inférence doit être rejetée; rien ne prouve que M. Beaudry a influencé d'une façon ou d'une autre le personnel de la CCN pour ce qui est de choisir et de recommander des options relatives au pont.

         Il peut être ajouté par souci d'intégralité que la preuve n'étaye pas non plus la prétention de la requérante selon laquelle, avant l'arrivée de M. Beaudry, le personnel de la CCN était en faveur de la reconstruction des deux voies. Il existe des faits indéniables : 1) dès 1968, la CCN avait envisagé de faire du pont Champlain un pont à trois voies (DI, vol. IV-B, onglet 2 : p. 2272), 2) le rapport de Fenco/Maclaren, daté de décembre 1992 et commandé en 1990, envisageait trois et quatre voies (DI, vol. IV-A, onglet 2 : p. 2270-2271), et 3) les résultats obtenus en 1989 de la première étape du CANPET, à laquelle avait participé la CCN, concluaient qu'il fallait élargir ou doubler le pont Champlain si l'on ne construisait pas un nouveau pont à un autre endroit (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 9).

         La note de service datée du 21 janvier 1994 que M. Bonin a envoyée à M. Beaudry est un élément de preuve intéressant qui corrobore l'affidavit de M. Beaudry. L'élément central de ce document est que le CANPET recommandait dans les résultats définitifs de son étude que s'il fallait construire un nouveau pont, il faudrait que ce soit dans le corridor de l'île Kettle, et pas avant 2011. Il était donc nécessaire de maximiser l'utilisation des ponts existants. Comme l'a écrit M. Bonin, [TRADUCTION] " Le fait d'élargir le pont Champlain et de le doter de voies réversibles et réservées aux VPO mériterait donc que l'on étudie cette option *** Nous vous demandons donc d'accepter la proposition relative à l'élargissement du pont Champlain " (DR, vol. V-A, onglet 57 : p. 2014-2015). Ce document donne fortement à penser que M. Beaudry a bel et bien fait montre d'une attitude de [TRADUCTION] " non-ingérence " à l'égard de la conduite du projet. C'est donc dire que la personne raisonnable bien informée dont il est question dans la jurisprudence, tiendrait compte du fait qu'il n'existe aucune preuve montrant que M. Beaudry a manigancé pour que le personnel change d'opinion.

         Après avoir examiné les éléments qui précèdent, cette personne raisonnable conclurait qu'il n'existe aucune preuve montrant que l'intérêt de propriété que possède M. Beaudry dans des terrains à Aylmer (terrains qui appartiennent aujourd'hui, de nom, à son épouse) a influencé, consciemment ou inconsciemment, l'exercice de ses fonctions officielles.

         Qu'est-ce que tout cela veut dire? En fin de compte, M. Beaudry n'étant pas en situation de conflit d'intérêts, il n'existe aucune [TRADUCTION] " partialité maligne ", entre les fonctions qu'il exerce comme chef du personnel de la CCN et les décisions non unanimes des commissaires de la CCN, qui contribuerait à l'existence d'une crainte raisonnable de partialité de la part des commissaires. Lorsque l'on applique le bon critère de partialité, la personne raisonnablement bien informée conclurait qu'il n'existe aucune crainte raisonnable que les commissaires de la CCN avaient préconçu qu'un pont à trois voies serait la meilleure option, au point où toute démarche contraire à ce point de vue, qui a été adopté, s'avérerait futile. Aucune preuve ne montre que c'est ce que les commissaires de la CCN avaient déterminé collectivement. M. Beaudry ne se trouvait pas en situation de conflit d'intérêts et n'avait pas influencé les recommandations de la société d'experts-conseils et du personnel. Les commissaires avaient, au sujet de la reconstruction, trois options possibles : deux à deux voies et une à trois voies. Ils savaient que la société d'experts-conseils avait recommandé un pont à deux voies et que le personnel de la CCN avait recommandé un pont à trois voies pour des raisons dont la société d'experts-conseils n'avait pas tenu compte. Le 3 septembre 1996, les commissaires ont voté, à sept contre cinq, en faveur d'un pont à trois voies. Le 15 octobre suivant, la marge était de neuf contre quatre. Ces chiffres peuvent fort bien suffire en soi à prouver l'absence de partialité, selon le critère qu'a énoncé la Cour suprême du Canada. Même dans ce cas, l'analyse qui précède exonère M. Beaudry et rejette l'idée qu'il était coupable d'une partialité quelconque. M. Beaudry a fait du mieux qu'il pouvait, sauf démissionner, dans une situation regrettable.

         Le second élément de l'allégation de partialité que formule la requérante est censément axé sur le processus d'évaluation environnementale que prévoit le Décret sur les lignes directrices. Dans son exposé des points d'argument, l'intimée a décrit la situation en termes justes (DI, vol. V, onglet 8 : p. 56) : [TRADUCTION] " Le but véritable de son allégation n'est pas que les résultats du processus d'évaluation environnementale lui-même *** ont été fixés à l'avance, mais plutôt que l'issue du processus de planification d'ensemble (c'est-à-dire la recommandation du personnel de reconstruire le pont en tant qu'installation à trois voies) a été fixée à l'avance ". Cette description est exacte car, comme l'a fait remarquer l'avocat de l'intimée dans sa plaidoirie, la requérante ne conteste nullement [TRADUCTION] " la conclusion que les effets sur l'environnement d'un pont à deux voies ou d'un pont à trois voies sont minimes et peuvent être atténués " (notes sténographiques, vol. IV : p. 826). Cette attaque vise donc la recommandation du personnel au sujet de la construction d'un pont à trois voies (p. 827).

         L'analyse de cette question suivra de près celle qui a été faite au sujet de M. Beaudry. Pour les motifs indiqués plus tôt, le critère applicable est, là encore, celui de l'esprit fermé. Il n'y a aucune raison pour laquelle le personnel de la CCN n'est pas moins un organe d'élaboration de politiques que les commissaires de la CCN, sauf, bien sûr, que se sont ces derniers qui détiennent le pouvoir ultime. Le personnel est l'instrument qui élabore les suggestions et les lignes directrices éventuelles en vue de les soumettre aux commissaires pour approbation, rejet ou modification.

         Tant dans ses observations écrites que dans sa plaidoirie, la requérante a tenté de montrer que le personnel était résolu de manière indépendante à faire construire un pont à trois voies. L'avocate de l'intimée a présenté l'essentiel de son attaque dans son exposé oral :

         [TRADUCTION]                 
         Ils contestent la méthode d'évaluation qu'a suivie la société d'experts-conseils. Ils contestent la description de l'option 1.2.3, qui, considèrent-ils, présente des risques élevés. Ils contestent l'inclusion des dégagements. Ils contestent le fait que la proposition de SNC Lavalin n'a pas été soumise aux commissaires. Ils contestent la durée de vie du pont, qu'ils considèrent comme un moyen dissimulé de justifier et de mousser l'idée des trois voies. Ils contestent les renseignements financiers qui se rapportent aux diverses options possibles et laissent entendre que ces renseignements ont été manipulés. Ils contestent le fait que l'on n'a pas fait référence à l'étude de TRANS " qu'il n'en a pas été fait mention dans le rapport du personnel de la CCN. Ils s'en prennent même au pauvre Arto Keklikian en déclarant qu'il n'est nullement justifié de construire un pont à trois voies, sans modifier l'intersection PIP/PO (notes sténographiques, vol. IV : p. 825 et 826).                 

L'observation première et déterminante que ferait assurément la personne raisonnablement informée est la suivante. Il n'existe aucune prédisposition à l'égard d'un pont à trois voies; cette option suit manifestement l'élaboration d'une politique. C'est pour cela que la CCN et le personnel de cette dernière sont [TRADUCTION] " en affaires ". La CCN doit se former une opinion quelconque. La Cour n'est pas douée de seconde vue, mais si le personnel de la CCN avait recommandé une option à deux voies, il est raisonnablement prévisible que la requérante ne se trouverait pas en cour. Aucune des preuves que la requérante a présentées à la Cour ne montre que ni le personnel de la CCN ni les commissaires n'avaient déterminé au préalable l'issue de l'étude dans une mesure quelconque, encore moins qu'ils avaient l'esprit fermé. Ainsi qu'il a été noté plus tôt, M. Sutherns a attesté que le personnel ne l'avait nullement influencé, et qu'en fait les commissaires avaient en mains plus d'options à deux voies qu'à trois voies. Il est presque inutile de mentionner le résultat numérique des votes. Le point de vue compréhensible de la requérante est qu'il n'est pas souhaitable qu'un plus grand nombre de véhicules traversent ses collectivités. Si la Cour avait été établie pour tenir davantage compte des points de vue des parties et avoir plus d'égards pour eux, elle serait une institution politique, non une institution judiciaire.

         Il serait peu utile d'ajouter à ces motifs déjà concis un compte rendu détaillé de tous les éléments de preuve que la requérante a produits et que la Cour a lus. Il convient toutefois de dire quelques mots au sujet des points les plus importants. Premièrement, une " proposition " " le mot est défini à l'article 2 du Décret sur les lignes directrices " inclurait un projet de reconstruction à deux voies de même qu'un projet à trois voies. Tous deux seraient soumis à une évaluation environnementale. Il ne peut être dit que l'évaluation avait pour seul motif de favoriser une option à trois voies.

         Selon la requérante, le changement de méthode, c'est-à-dire l'abandon de l'approche pondérée en faveur du processus de comparaison-élimination, n'était pas convenable. C'est la société d'experts-conseils, non la CCN, qui a décidé de changer de méthode d'évaluation. La décision de recourir à la seconde méthode était tout à fait du ressort de la société d'experts-conseils, et n'a empiété d'aucune manière sur l'obligation d'origine législative de la CCN. En outre, nul ne semble contester que la méthode qui a été employée en définitive est satisfaisante (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 43; onglet IV-A, onglet 3 : p. 2439-2441; DR, vol. IV-B, onglet 53 : p. 1739-1743; onglet 54 : p. 1899-1901).

         La référence qui est faite à propos de l'élément de risque dans le rapport de septembre du personnel de la CCN - [TRADUCTION] " il a été reconnu, notamment, que l'option 1.2.3 constituait un risque élevé " " signifie qu'il est difficile d'évaluer avec précision quels seraient les coûts futurs de l'ajout d'une troisième voie. En contre-interrogatoire, M. Sutherns a déclaré qu'il s'agissait :

         [TRADUCTION]                 
         [d']un risque élevé compte tenu de la fiabilité avec laquelle il est possible de déterminer les coûts absolus associés qui sont associés à la construction. Un risque est présent, car ce type de construction comporte nettement plus de travaux de réparation que de travaux de remplacement. Il existe un risque réel, pour ce qui est de déterminer le coût véritable d'une chose lorsqu'on la répare au lieu de la remplacer (DR, vol. IV-B, onglet 54 : p. 1894).                 

Le " risque élevé " ne peut évidemment pas être pris pour quelque chose d'autre. En fait, une transcription d'un enregistrement sur bande de la réunion que la CCN a tenue le 3 septembre 1996 a été remise à la Cour et éclaircit ce point. L'échange suivant a eu lieu entre la commissaire Joan O'Neill et M. Tony Wing, représentant de la société d'experts-conseils :

         [TRADUCTION]                 
         Joan O'Neill : Je pense que je dois vous reposer la question parce que je sais qu'il y a eu... J'ai senti un peu de confusion la dernière fois, lorsque vous étiez parti et que nous avons commencé à parler du mot " risque "; j'ai entendu quelqu'un dire : " s'agit-il d'un risque pour la sécurité, et certains ont dit, et bien, " nous voulons éliminer l'option 1.2.3 parce qu'elle est risquée ". La société d'experts-conseils a dit que l'option était risquée, et nous ne voulons rien faire qui le soit. Vous ne dites pas qu'il est risqué de remettre en état un pont.                 
         Tony Wing :      Nous disons que le risque est supérieur par rapport à notre estimation de coûts...                 
         ***                 
         Tony Wing :      Cette option coûte moins cher que les options 2.2 et 3.2.1, et je crois qu'il est juste de dire que, par rapport à toutes les options envisagées, c'est encore celle-là qui est la moins coûteuse. Oui.                 
         Joan O'Neill :      La moins coûteuse, et la remise en état de ce pont ne pose aucun risque au public sur le plan de la sécurité.                 
         Tony Wing :      C'est exact.                 

Tout cela pour dire que l'emploi des mots " risque élevé " n'a pas induit les commissaires en erreur. Selon la société d'experts-conseils, le mot " risque " " un choix de mot regrettable " fait néanmoins référence au risque que posent des prévisions financières inexactes, et non au fait que le pont s'effondrera.

         La question de la durée de vie n'a pas été introduite pour s'assurer que l'on choisirait en fin de compte une option à trois voies. Comme il a été mentionné plus tôt, le public se souciait du fait que le pont devrait avoir une durée de vie supérieure à 20 ans (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 39; vol. II-A, onglet 1-O : p. 59). Cet aspect a été ajouté en réponse aux préoccupations du public et, soit-dit en passant, il en a été de même des coûts du cycle de vie.

         La bicyclette et la marche sont deux moyens de déplacement mentionnés dans les attributions que la société d'experts-conseils devait prendre en considération dans son rapport (DI, vol. I-B, onglet 1-G : p. 475). Pendant que que l'étude avançait, tant le CCP que le CCT ont indiqué que les questions relatives aux piétons et aux cyclistes, la sécurité surtout, étaient un élément dont il fallait tenir compte (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 57, 59, 79 et 81; vol. II-A, onglet 1-O : p. 60; vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1014, 1022, 1333, 1336, 1337, 1343, 1054 et 1253; vol. III-A, onglet 1-Y : p. 1707 et 1708; DR, vol. IV-B, onglet 54 : p. 1868 et 1869). Les dégagements sont une option qui est recommandée selon le Ontario Highway Bridge Design Code (DI, vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1022, 1054 et 1253; vol. III-A, onglet 1-Y : p. 1076 et 1077). Comme l'a indiqué M. Sutherns :

         [TRADUCTION]                 
         Pour ce qui est du pont à trois voies, il est possible, au moment de refaire le tablier, d'aménager des dégagements entre les voies destinées aux véhicules et aux cyclistes, ainsi qu'entre les cyclistes et les piétons. Un dégagement n'est pas obligatoire, mais je crois qu'il est certainement préférable d'en avoir un que le contraire, si tous les autres éléments sont similaires. (DR, vol. IV-B, onglet 54 : p. 1869).                 

La Cour conclut que l'inclusion, par la société d'experts-conseils, de dégagements pour certaines options était un choix inévitable, intelligent et tout à fait fondé. Nul ne peut dire que les dégagements ont été inclus à dessein de manière à favoriser les options à trois voies.

         La requérante fait valoir aussi qu'une proposition de Fenco-Maclaren Inc./(SNC Lavalin) (Fenco), que le personnel de la CCN a reçue en juillet 1996, aurait dû être soumise aux commissaires et qu'étant donné qu'elle ne l'a pas été, le personnel avait un parti pris vu que la proposition montrerait que la différence de coûts entre l'option 2.2 et l'option 3.2.1 pourrait être de quelque 7,6 millions de dollars (DR, vol. VI-B, onglet 57 : p. 2588). Essentiellement, si cet élément était inclus dans le rapport, il n'aurait pas montré l'option à trois voies sous un jour favorable.

         Fenco était l'une des six sociétés d'experts-conseils approuvées au préalable auxquelles la CCN avait demandé des avant-projets d'étude pour un pont à deux et un pont à trois voies. On se souviendra que Fenco a effectué l'enquête menée en 1989 et l'étude fonctionnelle de 1994 sur le pont Champlain. Compte du peu de temps disponible, la CCN voulait choisir un entrepreneur en conception avant de prendre une décision définitive. Les attributions des propositions faisaient référence à l'étude menée par Fenco en 1994 au sujet du volume de la circulation. La Cour fait remarquer que, pour les avant-projets d'étude, les spécifications relatives à la quantité de véhicules sont les suivantes : 1) avant-midi : 657 direction nord, 1 619 direction sud, 2) après-midi : 1 703 direction nord, 816 direction sud. À l'heure actuelle, les chiffres sont : avant-midi : 600 direction nord, 1 600 direction sud; après-midi : 1520 direction nord, 600 direction sud (DI, vol. I-B, onglet 1-D : p. 351; vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1001).

         On ne peut accorder grand poids à la proposition de Fenco, encore qu'elle soit intéressante. Premièrement, elle a été portée à l'attention de M. Suthern, et ensuite de M. Bonin, lors du contre-interrogatoire. Elle n'a pas été vérifiée. Deuxièmement, comme l'a signalé l'avocat de l'intimée, la description d'une solution toute nouvelle s'étend sur deux pages seulement, ce qui est loin d'être complet. Il s'agit là d'un fait que l'étude elle-même reconnaît (DR, vol. VI-B, onglet 57 : p. 2589) :

         [TRADUCTION]                 
         Évidemment, cette solution technique peut avoir une influence fondamentale sur l'ensemble du projet de reconstruction du pont Champlain. Son effet sur d'autres éléments, comme les routes d'accès, la périphérie de l'île, la gestion de la circulation et les questions d'ordre environnemental seront cernées et évaluées au stade de l'étude.                 

Même si Fenco connaissait bien le pont Champlain, pour avoir procédé auparavant à une étude, elle ne bénéficiait pas des résultats des séances du CCP, du CCT et de consultations publiques. Au lieu du processus long (un an et demi environ) et intense, où les idées étaient soumises à l'examen de spécialistes et du public, Fenco a soumis une proposition équivalant à peine plus que deux pages. Aucune substance. La [TRADUCTION] " variante " (le nom donné par Fenco à la proposition que la requérante a considérée favorablement) est enfouie dans une annexe. Le but de ce document, bien qu'admirable, n'est pas d'aider la CCN à choisir entre un pont à deux voies et un pont à trois voies, mais d'obtenir le contrat d'étude. Il s'agit là d'un contexte tout à fait différent. Le résultat essentiel est le suivant : en tant que solution de remplacement aux options soumises par le personnel de la CCN aux commissaires, la proposition est trop mince, et n'était probablement pas conçue pour être plus que cela. Il s'ensuit que le personnel de la CCN n'a pas subverti le processus décisionnel en n'incluant pas dans son rapport la proposition de Fenco.

         En ce qui concerne les coûts, la Cour ne dispose pas d'assez de preuves pour décider d'une façon ou d'une autre si la détermination du coût des options était délibérément faussée ou incomplète. La requérante s'est fondée dans une grande mesure sur la proposition d'étude du pont de Fenco/SNC, mais, ainsi qu'il a été mentionné plus tôt, il faudrait accorder peu de poids à ces renseignements. Cela mis à part, la requérante n'a pas mis le doigt sur une chose qui puisse convaincre la Cour que les coûts " dans lesquels étaient compris les coûts du cycle de vie " qu'avaient en main les commissaires au moment de prendre les décisions étaient loin d'être exacts et complets. Les coûts en question se trouvaient dans le rapport supplémentaire de la société d'experts-conseils, daté du mois d'août. Toutes les options relatives au pont étaient chiffrées (DR, vol. III-A, onglet 27 : p. 1148). Comme le fait remarquer la requérante, le prix de la seule option à deux voies " l'option 2.2 " qui permettait d'aménager des dégagements a été fixé en incluant le coût de ces derniers (DR, vol. III-A, onglet 27 : p. 1149). De l'avis de la Cour, rien dans le dossier ne montre qu'il n'y avait pas de motifs raisonnables pour prendre les décisions [Martineau c. Canada (1989), 31 F.T.R. 161, p. 165). Il ne faut pas perdre de vue que la société d'experts-conseils a recommandé un pont à trois voies, et que ce sont les chiffres de cette dernière dont s'est servi le personnel de la CCN et sur lesquels se sont fondés les commissaires.

         Un autre élément de l'argument qu'a invoqué la requérante au sujet de la prédétermination est que le personnel de la CCN n'a pas porté à l'attention des commissaires le rapport de l'étude TRANS (sur les mesures de gestion de la demande de circulation), mentionné plus tôt. Au dire de la requérante, le personnel a rejeté, et ensuite mal interprété, le rapport. Cette allégation est sans fondement. Premièrement, l'étude a été faite plutôt tardivement. Le dossier n'indique pas précisément la date exacte à laquelle l'étude a été réalisée, mais dans son rapport du mois de juin, la société d'experts-conseils a mentionné qu'elle était [TRADUCTION] " en cours " (DI, vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1000). L'étude de TRANS avait pour but de trouver des stratégies de transport prometteuses. Comme l'indique l'avocat de l'intimée, l'étude est en réalité une [TRADUCTION] " vaste étude régionale ", conçue pour analyser d'éventuelles solutions. Il suffit de jeter un coup d'oeil au sommaire de l'étude pour s'en rendre compte. En outre, l'étude n'a pas formulé de recommandation favorable ou opposée à l'ajout de voies réservées aux VPO sur des ponts autres que le pont Chaudière. L'étude a examiné les ponts du secteur Ottawa/Outaouais qui existaient à l'époque, et comme aucune décision n'avait été prise au sujet du nombre de voies qu'aurait le pont Champlain, l'étude ne pouvait envisager aucune recommandation concernant des voies réservées aux VPO pour le pont (DR, vol. VI-B, onglet 57 : p. 2454; vol. IV-B, onglet 53 : p. 1728). Comme l'a dit M. Bonin en contre-interrogatoire, l'étude n'a pas traité de la question des voies réservées aux VPO pour les ponts à deux voies car l'effet d'un tel pont sur d'autres ponts du secteur serait inacceptable (DR, vol. IV-B, onglet 53 : p. 1729).

         La requérante a également attiré l'attention de la Cour sur plusieurs documents contenant des commentaires qui montraient censément que le personnel de la CCN avait déjà déterminé l'issue de la recommandation qu'il ferait. Ces documents ont tous été situés dans leur juste contexte par l'intimée, à la satisfaction de la Cour, au vol. V, p. 58 de son dossier. Le premier était la remarque de M. Keklikian selon laquelle il n'y avait [TRADUCTION] " aucune raison d'ajouter une troisième voie " (DR, vol. VI-B, onglet 57 : p. 2546). Le reste de la phrase se lit comme suit : [TRADUCTION] " sans modification de l'intersection de la PIP ". Le deuxième était un message électronique où il était question de [TRADUCTION] " récupérer la troisième voie " (DR, vol. V-B : p. 2274). Lorsqu'on lit le message entier, le sens de la remarque en question est clair :

         [TRADUCTION]                 
         Comme vous le savez, d'après le plan initial, le pont sera conservé pendant les 20 prochaines années (2017) après quoi il sera remplacé entièrement par un nouveau pont, situé juste à l'ouest du [pont] existant. Le problème est le suivant : il ne semble pas justifiable de procéder à un investissement de plus de 13 millions de dollars afin de construire une voie supplémentaire pour un délai de 20 ans seulement.                 
         On s'est demandé s'il était possible de quelque manière de récupérer la troisième voie. Compte tenu de la situation et du plan actuel, il a été conclu que non. Cependant, il a été déterminé que si l'on changeait de stratégie de planification, cette solution pourrait être faisable et qu'il était possible d'établir les objectifs suivants si l'on mettait en oeuvre l'option des trois voies.                 
         ***                 
         - démolir la structure à deux voies existantes après 20 ans ou plus, et la remplacer par une structure nouvelle tout en récupérant la troisième voie.                 

La remarque concernant la " récupération " posait simplement la question de savoir s'il était possible de récupérer une troisième voie qui serait [TRADUCTION] " accolée " à la structure à deux voies existantes. Il n'y a là aucune preuve de prédisposition, juste d'un examen général, approprié, de diverses possibilités.

         La requérante a fait valoir que la nature du projet a changé et n'a pas été divulguée quand les réunions du CCP ont été [TRADUCTION] " annulées ". Le projet n'a pas changé, et ainsi qu'il est signalé dans l'exposé du contexte entourant la présente affaire, les réunions du CCP ont été retardées jusqu'à la fin d'avril parce qu'il était nécessaire de procéder à une analyse plus approfondie en réponse aux préoccupations du public (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 39; vol. II-A, onglet 1-O : p. 59; vol. IV-A, onglet 2 : p. 2273; DR, vol. V-A, onglet 57 : p. 2303).

         Le dernier point dont la Cour est obligé de traiter, un point qui est accessoire à l'argument de la partialité, est celui de savoir si la requérante s'attendait légitimement à ce qu'aucune option de reconstruction privilégiée ne voie le jour avant la conclusion de l'étude. Comme il a été noté plus tôt, il n'existait aucune [TRADUCTION] " option privilégiée ". Par ailleurs, la doctrine de l'expectative légitimes n'accorderait de toute façon pas à la requérante le redressement qu'elle recherche car ce qu'elle désire c'est un redressement de fond. Une expectative légitime ne donnera lieu qu'à un redressement de nature procédurale (Vieux St-Boniface, précité; Renvoi relatif au régime d'assistance publique du Canada (C.-B.) , [1991] 2 R.C.S. 525).

         La personne raisonnable qui prend ces conclusions en compte conclura inévitablement que le personnel de la CCN n'avait pas du tout l'esprit fixé sur un pont à trois voies, et ce, au point où tout argument contraire serait futile. La Cour conclut que le personnel n'a fait montre d'aucune partialité, appréhendée ou non.

La légalité de l'" intention de décision "datée du 3 septembre 1996 : reposait-elle sur des renseignements objectifs, minutieux et complets?

         L'" intention de décision " qu'ont adoptée les commissaires de la CCN le 3 septembre 1996 n'était rien de plus que cela, une intention de décision, un moyen de prévenir tous les intéressés. La décision proprement dite à laquelle la CCN allait donner suite est la décision définitive qu'elle a prise le 15 octobre 1996. Dans ce qui équivaut à une objection préliminaire au contrôle judiciaire de la décision datée du 3 septembre 1996, l'intimée fait valoir que cette dernière est théorique car elle a été subsumée par la décision datée du 15 octobre 1996. Voilà un argument intéressant. L'arrêt qui fait autorité sur la question du caractère théorique est Borowski c. Canada (Procureur général) , [1989] 1 R.C.S. 342. Le juge Sopinka a écrit ceci, à la p. 353 du recueil :

         La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale [sic] voulant qu'un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu'une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s'applique quand la décision du tribunal n'aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l'affaire. Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l'action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après l'introduction de l'action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu'il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. Le principe ou la pratique général [sic] s'applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n'exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l'appliquer. J'examinerai plus loin les facteurs dont le tribunal tient compte pour décider d'exercer ou non ce pouvoir discrétionnaire.                 
         La démarche suivie dans des affaires récentes comporte une analyse en deux temps. En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l'affaire. La jurisprudence n'indique pas toujours très clairement si le mot " théorique " (moot ) s'applique aux affaires qui ne comportent pas de litige concret ou s'il s'applique seulement à celles de ces affaires que le tribunal refuse d'entendre. Pour être précis, je considère qu'une affaire est " théorique " si elle ne répond pas au critère du " litige actuel ". Un tribunal peut de toute façon choisir de juger une question théorique s'il estime que les circonstances le justifient.                 

Pour conclure qu'une affaire est théorique il faut donc : 1) une absence de différend entre les parties qui peut être réglée par les voies de justice, 2) qu'aucun motif permette au juge d'exercer son pouvoir discrétionnaire et d'entendre l'affaire.

         En l'espèce, le différend qui oppose les parties n'a pas disparu, pas plus que les questions en litige ne sont devenues purement théoriques, même s'il peut être dit que la décision du 3 septembre a été subsumée par celle du 15 octobre. La décision du 3 septembre n'est pas théorique. La Cour souscrit à l'argument de la requérante quant à l'importance de la décision du 3 septembre. Cette décision constituait un [TRADUCTION] " point de jonction critique " dans le processus. C'est au stade de la décision que se rencontrent le processus d'évaluation et celui de la collecte de renseignements. Cette décision donne lieu à un " litige actuel " qui, comme nous le verrons sous peu, ne peut être réglé différemment. Cette conclusion s'impose par la façon dont la requérante a structuré son attaque contre les décisions. Cette dernière est d'avis que la décision n'a pas été prise sur la foi de renseignements complets et objectifs. Le fait de conclure que la décision est théorique soustrairait à un examen le processus qui a précédé la décision, relativement à la collecte des renseignements que la CCN avait en main au moment où les deux décisions ont été prises. La requérante n'a pas contesté la décision datée du 15 octobre au sujet de la reconstruction du pont en disant que celle-ci ne reposait pas sur des renseignements objectifs, minutieux et complets. Si la décision du 3 septembre était subsumée dans son intégralité, c'est-à-dire qu'elle a été englobée dans celle du 15 octobre, ce qu'a fait valoir l'intimée, il semble ne pas y avoir de raison pour laquelle on n'aurait pu contester la décision du 15 octobre en se fondant sur les mêmes motifs : que cette décision a été prise sans preuves complètes et objectives. Cela ne veut pas dire que l'on reproche à la requérante d'avoir agi comme elle l'a fait. Celle-ci a déposé un avis de requête introductif d'instance au sujet de la décision que la CCN a rendue le 17 juillet 1996 en vertu de l'article 12 du Décret sur les lignes directrices. L'avis en question a été tenu en suspens avec le consentement des parties jusqu'à ce que la requérante avise l'intimée que la requête serait maintenue. (Cela faisait partie d'une ordonnance de consentement rendue par le juge MacKay.) Après la décision du 3 septembre 1996, la requérante a déposé une requête visant à enjoindre la CCN de ne prendre aucune autre mesure. Cette requête a été rejetée mais, le 7 octobre 1996, le juge Cullen a donné l'autorisation de modifier l'avis de requête introductive d'instance. Ledit avis a été modifié dans la décision nE T-1830-96 pour contester la décision datée du 3 septembre. Le 10 décembre 1996, le juge Dubé a entendu les requêtes des deux parties. L'un des éléments de la requête de l'intimée était qu'il fallait rejeter la décision T-1830-96 en raison de son caractère théorique. Ce qu'a rejeté par voie d'ordonnance le juge Dubé le 23 décembre 1996. Bien qu'il n'eusse pas fallu considérer cela comme une décision définitive au sujet de la question du caractère théorique [la Cour n'a pas le pouvoir de radier un avis de requête introductive d'instance avant l'instruction, à moins que l'action n'ait aucune chance de succès : David Bull Laboratories Inc. c. Pharmacia Inc. , [1995] 1 C.F. 588], aucun motif n'a été donné et il s'agit peut-être là de la cause d'une certaine confusion. Un jugement que l'on rend après coup ne comporte aucune faille, et aucun des avis introductifs n'a été modifié. Soutenir le contraire mettrait un certain nombre de questions d'intérêt public à l'abri d'un contrôle judiciaire car aucun avis de requête introductive d'instance n'a été déposé à l'égard de la décision datée du 15 octobre 1996 au sujet de ce motif.

         Cela étant dit, la requérante fait valoir que les renseignements sur lesquels les commissaires de la CCN ont fondé leur décision du 3 septembre 1996 comportent des lacunes bien précises. La requérante conteste ce qui suit :

1) l'absence d'étude (ou, à tout le moins, le manque d'attention) au sujet de la gestion de la demande de circulation (GDC) pour l'option des deux voies;

2) le fait que le personnel n'ait pas fait référence à l'étude de TRANS;

3) l'emploi des mots " risque élevé " dans le rapport de septembre du personnel; la requérante fait valoir que ces mots étaient des plus trompeurs;

4) le [TRADUCTION] " caractère sans cesse changeant de la justification relative à l'option proposée ", et plus précisément :

     a)      l'inclusion des dégagements;
     b)      le caractère véridique des renseignements relatifs au calcul des coûts;
     c)      le fait de n'avoir pas pris en compte le rapport de Fenco/SNC;
     d)      que cela était attribuable à un changement présumé dans la méthode employée par la société d'experts-conseils.

         Il ne fait aucun doute que les renseignements dont disposait la CCN le 3 septembre 1996 devaient être complets et objectifs, car ils ont servi de fondement à [TRADUCTION] " l'intention de décision " et la décision fondée sur l'alinéa 12c) du Décret sur les lignes directrices (dont il sera question plus loin). Dans l'arrêt Friends of the Oldman River c. Ministre de l'Environnement, [1992] 1 R.C.S. 3, la Cour suprême a souligné que le décisionnaire doit disposer d'informations objectives pour prendre une décision en vertu du Décret sur les lignes directrices. Comme le laisse entendre la requérante, on pourrait ajouter à ce critère les mots " complets et minutieux " ainsi que l'a fait le juge MacKay dans l'arrêt Union of Nova Scotia Indian c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) , [1997] 1 C.F. 325. Le critère que devraient respecter la CCN et son personnel ne peut être rien moins que scrupuleux (Fédération canadienne de la faune c. Ministre de l'Environnement, (1989) 31 F.T.R. 1, p. 15).

         Tous les points susmentionnés, hormis le premier et le dernier, ont été analysés de façon suffisante là où il a été question du second élément de l'argument relatif à la partialité. Bien que le fait de conclure à une absence de partialité ne veuille pas toujours dire que les renseignements que l'on réunit pour un décisionnaire sont minutieux, complets et objectifs, on peut dire que c'est le cas en l'espèce. Par conséquent, les raisons pour conclure à une absence de partialité peuvent être transposées ici; toute différence importe peu dans ce cas-ci. Aucune de ces allégations n'est étayée par des preuves suffisantes pour montrer que les renseignements du personnel de la CCN que les commissaires ont examinés n'étaient pas complets, minutieux et objectifs.

         En ce qui concerne l'allégation relative à la GDC, la requérante soutient que l'évaluation n'a pas traité complètement de la question de l'amélioration des options de GDC concernant un pont à deux voies, même si c'était ce que prescrivaient les attributions et que certains des participants du public avaient exigé lors du processus d'évaluation. De l'avis de la requérante, ce fait est corroboré par une lettre datée du 14 mars 1996, adressée par la société d'experts-conseils à la CCN (DR, vol. V-B, onglet 53 : p. 2295) ainsi qu'à la p. 96 du rapport de juin de la société d'experts-conseils (DR, vol. II-A, onglet 14 : p. 420). L'extrait pertinent de la lettre indique simplement que [TRADUCTION] " [L]'obligation d'assurer une gestion efficace de la circulation et le souhait que deux voies de circulation demeurent ouvertes pendant tous les travaux de reconstruction ont également été inclus dans le processus environnemental. " La page en question du rapport de la société d'experts-conseils est libellée comme suit :

         [TRADUCTION]                 
         En procédant aux évaluations des solutions de remplacement, on a reconnu qu'indépendamment du système qui serait considéré comme privilégié, il allait falloir examiner des méthodes visant à faire augmenter les taux d'occupation des véhicules et, ainsi, réduire peut-être le volume de la circulation ainsi que l'accroissement de ce volume pendant de pair avec l'augmentation des niveaux de population et d'emploi des deux côtés de la rivière.                 

         Aucun de ces éléments de preuve n'étaye la prétention de la requérante. Dans la définition de la portée de la proposition (DI, vol. I-B, onglet 1-G : p. 477), les attributions envisagent l'examen de :

         [TRADUCTION]                 
         *** solutions de remplacement et d'options raisonnables pour que l'étude puisse les évaluer ***                 
         2.      Un nouveau tablier à deux voies qui préserve la capacité, les modes de transport, la configuration des voies d'accès et les mesures de limitation de la circulation qui existent à l'heure actuelle;                 
         3.      Un nouveau pont à deux voies qui, combiné à des mesures de limitation de la circulation et à une configuration correspondante des voies d'accès, donne la priorité aux transports en commun et permette au pont d'accueillir plus de personnes;                 
         4.      Un nouveau tablier à deux voies et une configuration correspondante des voies d'accès, conçus spécifiquement pour les véhicules à plusieurs occupants (VPO), de pair avec l'application de mesures de limitation de la congestion (péages ou frais d'utilisation) pour les véhicules à occupant unique (VOU) qui roulent sur le pont;                 
         ***                 

Nulle part les attributions exigent-elles que l'on étudie séparément l'amélioration de la GDC pour les options à deux voies. Elles prescrivent uniquement que l'on intègre dans l'évaluation des options les effets sur la circulation de diverses configurations à deux (et à trois) voies.


         Il ressort clairement du rapport de juin de la société d'experts-conseils que cela a été fait. Il n'est pas nécessaire de reproduire tous les éléments du rapport où il est question de GDC. Les références qui suivent donnent quelques exemples de la façon dont la GDC a été examinée en ce qui concerne les options à deux voies (DR, vol. II-A, onglet 14 : p. 344, 345, 351, 353, 356, 375-384, 409-410, 413-415 et 418). En outre, M. Bonin a déclaré, lors du contre-interrogatoire sur son affidavit, que (DR, vol. IV-B, onglet 53 : p. 1747) :

         [TRADUCTION]                 
         Dans la gestion de la demande de transport, il existe d'autres mesures, comme le parc de gare. Bien sûr, cela n'était pas directement lié au pont, mais les experts-conseils étaient conscients que la Société de transport de l'Outaouais et le gouvernement du Québec allaient procéder à la construction du parc de gare au chemin d'Aylmer, à l'intersection du chemin de Rivermead.                 

En contre-interrogatoire, M. Sutherns a déclaré qu'il y avait eu des entretiens avec des représentants de l'Ontario et du Québec à propos de l'utilisation éventuelle de VPO et de la désignation de voies réservées à cette fin des deux côtés de la rivière. Il a déclaré aussi qu'il avait été question de péages ou de frais d'utilisation (en vue de réduire la congestion) (DR, vol. IV-B, onglet 54 : p. 1859-1860). Cela étant dit, les attributions ont été respectées, et le fait que la société d'experts-conseils n'ait pas mené une étude distincte pour envisager d'améliorer les options relatives à un pont à deux voies n'indique pas la décision datée du 3 septembre 1996 a été prise en se fondant sur des renseignements objectifs et complets insuffisants. Les questions en cause ont été examinées de manière exhaustive.

         Un dernier point, souligné par la requérante dans sa plaidoirie, est qu'il existe un lien entre la méthode proposée au départ par la société d'experts-conseils et celle qui a été employé en fin de compte. La requérante a fait valoir qu'il s'agissait là du moyen qui aurait permis de justifier de façon différente le projet. La requérante déclare ceci dans son argumentation écrite : [TRADUCTION] " cette justification différente est le résultat direct de l'élimination du processus de pondération lors de l'évaluation environnementale initiale " (DR, vol. VII : p. 2623). Elle ajoute que le lien en question se manifeste de la façon suivante : la requérante s'attendait de façon légitime à ce que la méthode employée lors de l'évaluation serait celle de la pondération, et non celle de la comparaison-élimination. Comme il ressort de la preuve qu'il n'y a pas eu de justification différente, il n'est pas nécessaire de traiter ici de la question. Par contre, il en sera question ci-après, dans le cadre de l'analyse de la façon dont la CCN s'est conformée aux dispositions du Décret sur les lignes directrices.

La CCN s'est-elle conformée aux exigences des articles 12 et 13 du Décret sur les lignes directrices visant le PÉEE?

         La dernière question que la Cour doit trancher est celle de savoir si la CCN s'est conformée aux exigences du Décret sur les lignes directrices visant le PÉEE (le " Décret "). La requérante conteste essentiellement les déterminations faites en vertu de l'alinéa 12c ) et de l'article 13 du Décret, le déroulement du processus et la prétendue [TRADUCTION] " décision différée " qui, si elle a raison, minerait tout le processus. Par souci de clarté, l'analyse est présentée de la manière suivante :

         a)      La décision datée du 3 septembre 1996, rendue en vertu de l'alinéa 12c) du Décret;

             ii)      le processus de consultation publique satisfaisait-il au critère nécessaire?

             iii)      le projet a-t-il été " partagé ", c'est-à-dire, les effets cumulatifs ont-ils été pris en considération?

         b)      La décision prise le 15 octobre 1996 en vertu de l'article 13 du Décret était-elle légale (renvoi à une commission pour examen public)?

         c)      La décision " définitive " rendue le 15 octobre 1996 au sujet de la reconstruction était-elle légale parce qu'elle " différait " censément la décision proprement dite?

         Il faut se souvenir que le rapport de juin de la société d'experts-conseils avait un double objectif : aider la CCN à choisir une option de reconstruction, et satisfaire aux exigences du Décret. L'article 3 de ce dernier définit la portée et l'objet du processus d'évaluation environnementale. Cette disposition est libellée comme suit :

         3. Le processus est une méthode d'auto-évaluation selon laquelle le ministère responsable examine, le plus tôt possible au cours de l'étape de planification et avant de prendre des décisions irrévocables, les répercussions environnementales de toutes les propositions à l'égard desquelles il exerce le pouvoir de décision.                 

Les effets possibles qui doivent être pris en considération sont énoncés au paragraphe 4(1) :

         4.(1) Lors de l'examen d'une proposition selon l'article 3, le ministère responsable étudie :                 
             a ) les effets possibles de la proposition sur l'environnement ainsi que les répercussions sociales directement liées à ces effets, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du territoire canadien; et                         
             b) les préoccupations du public qui concernent la proposition et ses effets possibles sur l'environnement.                         

Chaque proposition doit subir un examen initial, comme le prescrit l'article 10 :

         10.(1) Le ministère responsable s'assure que chaque proposition à l'égard de laquelle il exerce le pouvoir de décision est soumise à un examen préalable ou à une évaluation initiale, afin de déterminer la nature et l'étendue des effets néfastes qu'elle peut avoir sur l'environnement.                 
         (2)      Les décisions qui font suite à l'examen préalable ou à l'évaluation initiale visés au paragraphe (1) sont prises par le ministère responsable et ne peuvent être déléguées à nul autre organisme.                 

Cette détermination des effets néfastes possibles étant faite, l'article 12 exige que le ministère responsable procède à une détermination :

         12. Le ministère responsable examine ou évalue chaque proposition à l'égard de laquelle il exerce le pouvoir de décision, afin de déterminer :                 
         ***                 
         c) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l'environnement sont minimes ou peuvent être atténués par l'application de mesures techniques connues, auquel cas la proposition est réalisée telle que prévue ou à l'aide de ces mesures, selon le cas;                 
         d) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l'environnement sont inconnus, auquel cas la proposition est soumise à d'autres études suivies d'un autre examen ou évaluation initiale, ou est soumise au Ministre pour qu'un examen public soit mené par une commission;                 
         e) si, selon les critères établis par le Bureau, de concert avec le ministère responsable, les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l'environnement sont importants, auquel cas la proposition est soumise au Ministre pour qu'un examen public soit mené par une commission; ou                 
         f) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l'environnement sont inacceptables, auquel cas la proposition est soit annulée, soit modifiée et soumise à un nouvel examen ou évaluation initiale.                 

S'il y a suffisamment d'inquiétude de la part du public au sujet des projets, la proposition doit être soumise à une commission en vue de la tenue d'un examen public. Cette exigence figure à l'article 13 :

         13. Nonobstant la détermination des effets d'une proposition, faite conformément à l'article 12, le ministère responsable soumet la proposition au Ministre en vue de la tenue d'un examen public par une commission, chaque fois que les préoccupations du public au sujet de la proposition rendent un tel examen souhaitable.                 

Après qu'une décision a été prise en vertu de l'article 12, l'alinéa 15a) exige ce qui suit du ministère responsable :

         a) après qu'une détermination sur les effets d'une proposition a été faite conformément à l'article 12 ou après qu'une proposition a été soumise au Ministre conformément à l'article 13, et                 
         ***                 
         que le public a accès à l'information concernant cette proposition conformément à la Loi sur l'accès à l'information.                 

         La Cour suprême a souligné l'importance du processus du Décret dans l'arrêt Friends of the Oldman River c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 3, à la p. 71 du recueil :

         L'évaluation des incidences environnementales est, sous sa forme la plus simple, un outil de planification que l'on considère généralement comme faisant partie intégrante d'un processus éclairé de prise de décisions. R. Cotton et D.P. Emond, dans un ouvrage intitulé " Environmental Impact Assessment ", dans J. Swaigen, dir. Environmental Rights in Canada (1981), 245, à la p. 247, résument l'objet fondamental de cette évaluation :                 
             Les concepts fondamentaux à la base de l'évaluation environnementale peuvent être énoncés en termes simples : 1) déterminer et évaluer avant coup toutes les conséquences environnementales possibles d'une entreprise proposée; 2) permettre une prise de décisions qui à la fois garantira l'à-propos du processus et conciliera le plus possible les désirs d'aménagement du promoteur et la protection et la préservation de l'environnement.                         
         En tant qu'outil de planification, le processus d'évaluation renferme un mécanisme de collecte de renseignements et de prise de décisions, qui fournit au décideur une base objective sur laquelle il pourra s'appuyer pour autoriser ou refuser un projet d'aménagement; voir M.I. Jeffery, Environmental Approvals in Canada (1989), à la p. 1.2, 1.4; D.P. Emond, Environmental Assessment Law in Canada (1978), à la p. 5. Bref, l'évaluation des incidences environnementales constitue simplement une description du processus de prise de décisions.                 

L'affaire dont la Cour est présentement saisie est un exemple paradigmatique de l'évaluation, en ce sens qu'elle comporte à la fois un aspect " collecte de renseignements " et un aspect " prise de décisions ". Dans ce contexte, il est maintenant possible de régler les questions de droit distinctes qui se posent.

         Il convient de signaler que, lorsqu'il est question d'examiner la tenue d'une évaluation environnementale, le rôle que joue la Cour est similaire à celui qui est joué dans n'importe quelle autre procédure de contrôle judiciaire : en règle générale, tant que la ou les décisions contestées comportent un fondement raisonnable, que l'on n'entre pas en ligne de compte des questions dénuées de pertinence et qu'aucune erreur de droit n'est commise, la Cour n'intervient pas [Fédération canadienne de la faune Inc. et autres c. Canada (Ministre de l'Environnement) et Saskatchewan Water Corp (1989), 31 F.T.R. 1, p. 14; arrêt confirmé par la Cour d'appel : [1991] 1 C.F. 641 (C.A.F.)].

Le processus de consultation satisfait-il aux critères nécessaires?

         La consultation publique fait partie du processus d'évaluation que prévoit le Décret en vertu de l'alinéa 4(1)b), précité, lequel indique qu'il faut tenir compte des préoccupations du public. Le juge Reed, dans l'arrêt Friends of the Island c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1993] 2 C.F. 229 (1re inst.) a déclaré que le Décret a pour but " de permettre la discussion publique, utile et complète, des impacts environnementaux possibles " (p. 265). Bien que cet énoncé ne crée pas de manière explicite un critère juridique qui permette d'évaluer la consultation publique, il n'y a aucune raison sensée pour laquelle les mots " utile et complet " ne pourraient constituer la norme. Décréter le contraire rendrait l'alinéa 4(1)b ) inopérant. [La Cour signale que les deux décisions auxquelles la requérante a fait référence : Renvoi relatif au C.R.T.C. et London Cable T.V Ltd. (1976), 67 D.L.R. (3d) 267 (C.A.F.) et Québec (P.G.) c. Canada (O.N.É.), [1994] 1 R.C.S. 159, et qui illustrent, selon elle, la norme juridique à laquelle devraient satisfaire les processus de consultation publique, sont sans objet car ces affaires comportaient des audiences (C.R.T.C. : un organisme quasi judiciaire) ou des audiences publiques (l'Office national de l'énergie : audiences publiques prescrites par la loi).] Comme le fait remarquer la requérante, il y a deux périodes en cause : 1) celle qui précède la décision datée du 3 septembre 1996, et 2) la période postérieure au 5 septembre 1996, qui tombe sous le coup de l'article 15 du Décret. Examinons tout d'abord la première période.

         La consultation publique a été exhaustive. Dans son exposé des points d'argument (DI, vol. V, onglet 8), l'intimée expose tous les renseignements applicables, aux p. 71-72 et 77-78. Les points saillants sont les suivants. La consultation publique et l'établissement du CCP ont été énoncés dans les attributions (DI, vol. I-B, onglet 1-G : p. 487). L'argument de la requérante, savoir que la CCN s'efforçait de faire pencher le CCP en sa faveur parce que [TRADUCTION] " la participation de citoyens particuliers est d'une valeur douteuse " (DR, vol. V-B, p. 2227), est dénué de tout fondement. La déclaration en question est tirée d'un document télécopié, daté du 14 juin 1995, de M. Keklikian (planificateur principal de la CCN) à M. Gosselin (à l'époque, chef de l'évaluation auprès de la société d'experts-conseils). Lorsqu'on lit ce document dans son juste contexte, il est évident que M. Keklikian essayait seulement d'équilibrer les points de vue sur le CCP. Comme l'a fait remarquer l'intimée, les attributions envisageaient un tel équilibre.

         Deux séances de consultation publique ont eu lieu, en mai et en juin 1996 (ces séances sont décrites aux annexes D, E et F accompagnant le rapport de juin de la société d'experts-conseils, DI, vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1109-1121 et 1297-1435). Le CCP a tenu six réunions (les 26 juin, 1er août, 8 novembre et 6 décembre 1995, et les 1er et 21 mai 1996), soit trois de plus que ce qu'envisageaient les attributions. Il a été fait référence à ces réunions dans le rapport du mois de juin. Les observations faites lors de ces réunions et le procès verbal de ces dernières ont été annexés au rapport (DI, vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1004-1007 et p. 1123-1220). Après l'" intention de décision " du mois de juin (celle qui a été annulée, rappelons-le), il y a eu une période de commentaires d'une soixantaine de 60 jours. Des avis ont été publiés dans les journaux, et il était possible de consulter les documents aux bureaux de l'intimée ainsi que dans les bibliothèques publiques. Cinquante-huit communications individuelles et une pétition ont été envoyées en réponse. L'analyse qu'a faite le personnel de la CCN au sujet des préoccupations du public a été résumée, et répondait auxdites préoccupations (DI, vol. III-B, onglet 1-EE : p. 1818-1822 et 1835-1866).

         Le processus a également été utile. Dans l'affidavit de M. Bonin, de nombreux exemples montrent l'étendue et l'effet des préoccupations du public qui ont été relevées lors de la consultation (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 27, 31, 33, 35-43, 61-63, 75-87 et 89-91). Un exemple tiré de ces références est suffisant pour le prouver (p. 37) : [TRADUCTION] " Par suite des commentaires reçus des réunions publiques de janvier 1996, ainsi que des commentaires émanant de membres du CCP et du CCT, et faits dans des lettres que la CCN a reçues subséquemment, la société d'experts-conseils a mené une étude supplémentaire, non prévue, intitulée " Champlain Bridge Reconstruction Program Option Reassessment " *** (Réévaluation des options relatives au programme de reconstruction du pont Champlain). C'est ce que signale aussi le rapport de juin de la société d'experts-conseils (DI, vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1109-1121 et 1297-1435). Enfin, on se souviendra que les préoccupations du public portaient sur la durée de vie du pont et la viabilité des voies lors des travaux de construction, et que ces mêmes préoccupations ont forcé la société d'experts-conseils à produire un rapport supplémentaire.

         Il convient d'ajouter que toute allusion à la [TRADUCTION] " suspension sommaire " de la participation du CCP est sans fondement aucun. Une réunion du CCP était prévue pour février. Le public ayant réagi massivement à l'étude de consultation publique du mois de janvier, la société d'experts-conseils avait besoin de plus de temps pour s'occuper de la réponse. En fait, elle a dû majorer ses honoraires pour pouvoir s'occuper de la réponse au public. C'est ce qui ressort de la lettre datée du 14 février 1996 que la société d'experts-conseils a fait parvenir à M. Keklikian (DR, vol. V-B, p. 2280) :

         [TRADUCTION]                 
         Les études de nature similaire à l'étude environnementale de la reconstruction du pont Champlain sont très sensibles à l'apport du public. En fait, il s'agit de la pierre angulaire du processus d'évaluation environnementale.                 
         ***                 
         Le degré de participation du public et du milieu politique a dépassé de loin les attentes que nous avions au début de l'étude; nous avons donc passé un temps considérable à répondre à des questions que nous n'avions pas prévues.                 

L'augmentation des coûts était, selon les estimations, de 43 000 $ à 47 500 $. La réunion du mois de février a donc été reportée pour une raison tout à fait simple et valable, soit répondre aux préoccupations du public.

         Un second point, analysé sous la rubrique d'un processus de consultation publique utile, est celui de savoir si l'on s'attendait de façon légitime à ce que une méthode particulière soit utilisée et, dans l'affirmative, s'il y avait eu manquement à cette expectative légitime. Il est bien établi, par les arrêts jurisprudentiels cités plus tôt, que la doctrine de l'expectative légitime ne s'applique qu'aux droits procéduraux, et non aux droits formels. Cette doctrine est invoquée parce que, d'après la requérante, le changement de méthode a mis un frein à la participation du public au processus d'évaluation. Comme l'a dit l'avocat de la requérante : [TRADUCTION] " pour ce qui était de s'assurer que toutes les solutions étaient étudiées convenablement, la CCN est devenue liée par ses propres règles, ses propres attributions, son propre contrat " si je puis m'exprimer ainsi " avec les groupes communautaires que l'on avait invités à prendre part à la consultation publique " (notes sténographiques, vol. II : p. 364). Il s'agit là d'un argument complexe, d'un argument qui s'applique à l'ensemble du processus d'évaluation. Même s'il ressort de la preuve que toutes les solutions ont été étudiées convenablement au moyen d'une méthode autre que celle de la pondération , c'est-à-dire la méthode de comparaison-élimination, cela ne suffit pas pour faire disparaître l'expectative légitime de la requérante, si tant est qu'il en existe une, pour ce qui était de participer au processus de " pondération ". En l'espèce, les expectatives légitimes ont tout à voir avec un processus équitable, et rien à voir avec la validité de la méthode effectivement utilisée, qui, a-t-il été montré, était légitime.

         Cet argument découle de la décision qu'a rendue la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Travailleurs des pâtes, des papiers et du bois du Canada, section 8 et autres c. Canada (Ministre de l'Agriculture) et autres (1994), 174 N.R. 37, où le ministre de l'Agriculture avait entrepris d'inclure Santé et Bien-être social Canada dans le processus d'évaluation d'un pesticide. Devant la Section de première instance ainsi que devant la Cour d'appel, le Syndicat des travailleurs des pâtes, des papiers et du bois a fait valoir avec succès qu'une brochure intitulée " Les pesticides en perspective ", publiée par Agriculture Canada (1985) et mise à la disposition du grand public, créait l'expectative légitime qu'Agriculture Canada consulterait d'autres ministères " plus particulièrement Santé et Bien-être social Canada " avant d'enregistrer un pesticide. Le passage pertinent de cette brochure est le suivant (p. 45-46) :

         La Loi sur les produits antiparasitaires régit la vente et l'utilisation de tous les pesticides et permet à Agriculture Canada d'en assurer l'efficacité et l'innocuité avant leur mise en marché. Santé et Bien-être Canada, Environnement Canada, Pêches et Océans Canada, ainsi que les ministères provinciaux équivalents participent aux prises de décision.                 
         ***                 
         Il faut jusqu'à dix ans de travail en laboratoire et d'essais en situation avant qu'un produit puisse être commercialisé.                 

S'exprimant au nom de la Cour d'appel, le juge Desjardins a conclu que cela créait une expectative légitime pour les raisons suivantes (p. 47-49) :

         La théorie de l'expectative légitime ressortit essentiellement à la procédure. Le juge Hugessen de la Cour d'appel l'a énoncée en ces termes dans l'affaire Bendahmane c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'Immigration) [1989] 3 F.C. 16; 94 N.R. 385, à la p. 31 :                 
             Le principe applicable est parfois énoncé sous la rubrique " expectative raisonnable " ou " expectative légitime ". Il a une importante histoire dans le droit administratif, et le Conseil privé l'a énoncé avec fermeté dans l'affaire Attorney-General of Hong Kong v. Ng Yuen Shiu [1983] 2 A.C. 629 (C.P.). Dans cette affaire, Ng était un immigrant illégal ayant gagné Hong Kong à partir de Macao comme plusieurs milliers d'autres. Le gouvernement a publiquement promis que chaque immigrant illégal aurait droit à une entrevue, et que chaque cas serait traité selon ses propres faits. Malgré cela, Ng, dont le statut illégal n'était pas contesté, a fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion sans avoir la possibilité d'expliquer pourquoi le pouvoir discrétionnaire devrait être exercé en sa faveur pour des raisons humanitaires et autres. Le Conseil privé a statué que, en agissant ainsi, les autorités ont rejeté les expectatives raisonnables de Ng fondées sur les propres déclarations du gouvernement. Lord Fraser of Tullybelton s'est exprimé en ces termes (à la page 638) :                         
             ... lorsqu'une autorité publique a promis de suivre une certaine procédure, l'intérêt d'une bonne administration exige qu'elle agisse équitablement et accomplisse sa promesse, pourvu que cet accomplissement n'empêche pas l'exercice de ses fonctions prévues par la loi. Le principe se trouve également justifié par l'autre idée que, lorsque la promesse a été faite, l'autorité doit avoir considéré que toutes observations de la part des parties intéressées l'aideraient à s'acquitter de ses fonctions équitablement et, règle générale, cela est exact.                         
             Leurs Seigneuries estiment que le principe selon lequel une autorité publique est liée par ses engagements quant à la procédure qu'elle va suivre, pourvu qu'ils ne sont pas incompatibles avec ses fonctions, s'applique à l'engagement que le gouvernement de Hong Kong a donné au requérant, et à d'autres immigrants illégaux venant de Macao, lors de l'annonce faite à l'extérieur de la résidence du gouverneur le 28 octobre, savoir que chaque cas serait examiné selon ses propres faits.                         
             ***                         
         En l'occurrence, le ministre a annoncé dans la brochure en quoi consiste, en gros, le processus consultatif par lequel il parviendrait à cette décision. Les mots " participent aux prises de décision " ne sauraient viser une décision collective étant donné que le ministre est le seul qui soit habilité par la loi à prendre la décision finale. Dans les faits, il a annoncé qu'il demanderait à des ministères spécialisés de l'aider de leurs lumières. Aucune loi ne l'empêchait de faire connaître la façon dont il pourrait décider de procéder pour prendre sa décision. Lorsqu'il a fait cette annonce, son geste a uniquement pu avoir pour effet de créer, chez les personnes dont l'attention est éveillée aux dangers de l'utilisation des pesticides, en particulier celles qui sont les plus exposées aux effets possibles du produit antiparasitaire, une expectative raisonnable que certaines procédures seraient suivies afin de garantir la santé de la population ("[...] participent [...] Il faut jusqu'à dix ans [...] ").                 
         Dans les cas où le ministre commet une omission, la présente Cour est en droit, comme l'a déclaré la Cour suprême du Canada dans l'affaire Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), de suppléer à l'omission lorsqu'une partie a été amenée à croire que son droit à un environnement sûr serait lésé si la consultation appropriée n'avait pas lieu.                 
         Le ministre est devenu lié par ses propres règles. La théorie de l'expectative légitime, en tant qu'élément de l'équité procédurale, s'applique pleinement à l'espèce. C'est ce qu'a statué le juge de première instance, et je suis du même avis que lui.                 

En résumé, les exigences d'une expectative légitime qui découle d'un engagement pris par une autorité publique reposent sur l'engagement ou la promesse en question. Lorsqu'une autorité publique s'est engagée à faire quelque chose - une évaluation environnementale par exemple - d'une certaine façon en vue de rendre une décision prévue par la loi, cette autorité sera liée par l'engagement en question.

         Durant les plaidoiries, l'avocat de la requérante a expliqué dans le détail à la Cour la différence qu'il y a entre la méthode de pondération et la méthode de comparaison-élimination (notes sténographiques, vol. II : p. 368-394). La méthode de pondération fonctionne comme suit : divers critères sont choisis, par exemple : le temps de déplacement, la qualité de l'air, des questions relatives aux résidents, et des valeurs numériques sont attribuées à chaque critère. On totalise ensuite ces valeurs. Comme l'a souligné l'avocat de la requérante, la valeur des critères est donnée par l'évaluateur. Si des groupes de la communauté participent à la pondération, la méthode permet de refléter l'intérêt de la communauté. La méthode de comparaison-élimination a été qualifiée de non participative par l'avocat de la requérante. Diverses options sont comparées les unes aux autres à l'aide de divers critères et, au bout du compte, il n'en reste qu'une seule. À ce stade, le public peut faire des commentaires sur le résultat obtenu. M. Sutherns a décrit comme suit le processus en contre-interrogatoire : [TRADUCTION] " [L]e plus souvent, j'ai entendu dire qu'il s'agissait d'un moyen de classer les diverses options, à partir de quoi une comparaison par paires permet de choisir une option de préférence à une autre " (DR, vol. IV-B, onglet 54 : p. 1899).

         Les attributions relatives à l'évaluation laissaient à la société d'experts-conseils le soin de choisir l'une ou l'autre méthode (ou n'importe quelle autre). L'argument de l'expectative légitime revient à se demander si la société d'experts-conseils a entrepris de recourir à la méthode de pondération ou non. Il ne fait aucun doute que la requérante voulait que la société utilise cette méthode. La lettre datée du 3 septembre 1995 qu'ont adressée à la société d'experts-conseils certains des groupes communautaires, dont fait partie la requérante, en est une bonne preuve (DR, vol. V-B, onglet 57 : p. 2236) :

         [TRADUCTION]                 
         4. Le CCP doit comprendre ces paramètres et pouvoir donner sur eux des " conseils ", puisque les valeurs et les classements de base d'un ingénieur peuvent être très différents des niveaux que le CCP juge acceptables. Le CCP et le public doivent avoir la possibilité de classer et de pondérer les facteurs d'une manière indépendante du classement fait par le groupe technique et les experts-conseils, comme cela a été le cas dans l'évaluation environnementale portant sur le secteur sud-est. (Voir l'exemple ci-joint).                 

L'évaluation dont il est question dans la lettre faisait appel à quatre évaluateurs différents, dont un était un comité consultatif public. La méthode employée était celle de la pondération (DR, vol. V-B, onglet 57 : p. 2238). Si le but visé est clair, l'existence d'un engagement ou d'une promesse est quelque peu nébuleuse.

         Il est nécessaire d'examiner un certain nombre de questions. La première est celle des attributions, dont le passage pertinent est libellé en ces termes (DI, vol. I-B, onglet 1-G : p. 487) :

         [TRADUCTION]                 
         Les experts-conseils sont censés synthétiser les données existantes afin de déterminer les besoins et les justifications, cerner tout besoin en données supplémentaires, fixer des critères d'évaluation appropriés et une méthode d'évaluation environnementale convenable, et procéder à l'évaluation environnementale de mesures de remplacement, dans le but de recommander l'option privilégiée. Les experts-conseils sont censés s'occuper de tous les aspects logistiques, des préparatifs techniques, des invitations, de la documentation, de la diffusion et de la présentation qui sont associés à l'exécution du programme de consultation publique se rapportant à cette étude.                 

Cela n'ordonne pas à l'expert-conseil de recourir à une méthodologie particulière. Le choix est laissé entièrement à sa discrétion. La participation du public est toutefois prise en considération. La seconde phase exige de [TRADUCTION] " prendre note des préoccupations et des opinions du public au sujet des critères d'évaluation, de la méthode employée et des résultats obtenus, ainsi que d'établir un rapport définissant le programme de consultation et la façon dont les préoccupations du public sont intégrées à la deuxième étape de l'étude " (DI, vol. I-B, onglet 1-G : p. 485). Les attributions prévoyaient aussi la constitution du CCP et fixaient un calendrier de consultation publique. Les attributions prouvent donc deux choses. La première est que la CCN n'a pas promis de méthode d'évaluation particulière; la seconde est que la seule promesse ou le seul engagement pertinents était qu'il y aurait une consultation publique.

         Le second élément de preuve est la lettre datée du 11 septembre 1995 que M. Keklikian a envoyé à M. Gosselin. Cette lettre faisait suite à la lettre du 3 septembre 1995 susmentionnée, que les groupes de la communauté avaient adressée à la société d'experts-conseils. L'élément important de la lettre du 3 septembre est le suivant (DR, vol. V-B, onglet 57 : p. 2242) :

         [TRADUCTION]                 
         l'équipe d'experts-conseils doit clairement expliquer la méthode et le processus d'évaluation aux membres du Comité consultatif public. L'équipe doit également s'assurer que ces derniers auront l'occasion d'évaluer et de classer les options et les facteurs de façon indépendante, et en plus du CCT.                 

La réponse à cette lettre, que la société d'experts-conseils a envoyée aux groupes de la communauté, forme le troisième élément de preuve. Le texte de l'ébauche de cette lettre figure aux p. 243-2245 du vol. V-B, onglet 57, du dossier de la requérante. En voici les éléments importants :

         [TRADUCTION]                 
         Nous sommes généralement d'accord avec vous que ces réunions ne se sont pas bien déroulées et que nous n'avons pu avancer dans l'étude comme nous l'avions prévu.                 
         ***                 
         Les membres du CCP ne sont pas tous d'avis que nous ne devrions pas examiner l'option des trois voies. Nous avons remarqué toutefois que vous croyez le contraire. Selon nous, pour procéder à une étude d'évaluation environnementale, il est nécessaire d'identifier des solutions de remplacement raisonnables. Il y a de simples particuliers, des membres du Comité consultatif public ainsi que des organismes situés dans la région de la capitale nationale qui croient qu'il faudrait examiner une option à trois voies, et ce fait à lui seul dénote qu'il convient de le faire. Si, après avoir fait l'analyse et l'évaluation des solutions de remplacement, il est clair que l'option des trois voies est plus désavantageuse et a sur l'environnement un effet néfaste pire que l'option à deux voies, elle ne sera donc aucunement recommandée. Cependant, nous ne pouvons écarter cette option avant que l'analyse associée à l'étude d'ÉE ait été effectuée.                 
         Nous avons intégré dans le plan de consultation publique tous les commentaires de votre part que nous croyons justifiés. Ceux qui ne l'étaient pas font maintenant partie du dossier public et il est possible d'y faire référence en tout temps.                 
         ***                 
         4) Le CCP aura l'occasion de faire connaître son point de vue et d'examiner l'évaluation des solutions de remplacement, ainsi que de faire des commentaires sur la pondération des facteurs. [Non souligné dans l'original]                 

Ces deux lettres, au dire de la requérante, contiennent une réponse à sa demande, soit de promettre que l'on utiliserait la méthode de pondération et que le CCP pourrait prendre part à la pondération.

         Il ressort de la preuve que la société d'experts-conseils a dû expliquer la méthode au public et procurer à ce dernier la possibilité de formuler des commentaires et d'examiner l'évaluation des solutions de remplacement. La preuve indique aussi que divers groupes de la communauté au sein du CCP voulaient que la méthode soit celle de la pondération, et désiraient y prendre part. Les attributions permettent à la société d'experts-conseils, et à nulle autre partie, de déterminer quelle méthode servira à déterminer les solutions de remplacement. La preuve n'indique pas que la société d'experts-conseils a promis d'utiliser la méthode de pondération. Ce n'est pas ainsi que l'on peut interpréter le passage cité ci-dessus : " Le CCP aura l'occasion de faire part de ses conseils et d'examiner l'évaluation des solutions de remplacement, ainsi que de faire des commentaires sur la pondération des facteurs ". Ce que ces mots veulent dire, c'est que le CCP et le grand public seraient en mesure d'examiner les quatre grands facteurs (milieu naturel, transports, milieu social et coûts) que la société d'experts-conseils avait relevés et pondérés de manière égale dans son rapport préliminaire daté du 1er mai (DI, vol. II-A, onglet I-P). Le CCP a eu plus de sept semaines pour faire des commentaires au sujet de l'évaluation. De nombreux commentaires ont été faits, et sont exposés dans une annexe au rapport de juin de la société d'experts-conseils (vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1175-1216). Certains de ceux que la requérante a portés à l'attention de la Cour indiquent que plusieurs groupes de la communauté présumaient que la méthode d'évaluation serait effectivement celle de la pondération (voir, par exemple, la lettre de la Westboro Beach Community Association, DI, vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1182; la lettre de M. Michael Pellet, DI, vol. II-B, onglet I-Q : p. 1186; la lettre du Hampton-Iona Community Group, DI, vol. II-B, onglet I-Q : p. 1189; la lettre de la Island Park Community Association, DI, II-B, onglet I-Q : p. 1198). Le fait que certains groupes aient pensé à tort que c'était la méthode de pondération qui allait être utilisée n'est qu'une preuve de la confusion qui régnait. Cet argument n'est tout simplement pas pertinent en l'absence de toute promesse de la part de la CCN ou de sa représentante, la société d'experts-conseils.

         En conséquence, il n'y a pas eu de manquement à une expectative légitime car ni la CCN ni la société d'experts-conseils n'ont promis que l'on recourrait à la méthode de pondération. Aucune expectative légitime n'a été créée. La seule promesse faite était que le public participerait à l'étude en faisant des commentaires sur la méthode d'évaluation, et le dossier en est plein.

         En ce qui concerne la seconde période, qui s'étend du 5 septembre 1996 au 7 octobre suivant, la requérante se fonde sur l'argument suivant : [TRADUCTION] " une grande part des renseignements factuels à l'égard desquels [la requérante] croit qu'il y a eu erreur dans les décisions des commissaires de la CCN s'appliquaient également au processus de consultation publique lancé par la CCN le 5 septembre 1996. Les mêmes documents écrits ont été communiqués au public à cette fin " (DR, vol. VII : p. 28). La Cour a déjà conclu qu'il n'y avait rien de mal dans les documents soumis aux commissaires. Cet argument ne peut donc être retenu. Les préoccupations du public à l'égard de cette période ont été réglées au moyen de consultations publiques utiles et complètes.

Le projet a-t-il été " partagé "?

         Cet élément de l'attaque de la requérante découle de la décision datée du 3 septembre 1996 par laquelle les commissaires de la CCN ont déterminé que les effets sur l'environnement de la proposition à trois voies étaient minimes ou pouvaient être atténués par l'application de mesures techniques connues, aux termes de l'alinéa 12c) du Décret. Cela satisfaisait à l'obligation qu'imposait à la Commission l'article 12 dudit Décret. La décision en question entérinait la recommandation du personnel de la CCN datée du 3 septembre 1996 (DI, vol. III-A, onglet 1-AA : p. 1745) laquelle, en substance, était la même que celle que le personnel avait faite le 18 juillet précédent (DI, vol. III-A, onglet 1-W). Cela n'est guère surprenant car, comme le signale la seconde recommandation, le changement dans les renseignements relatifs aux coûts ne révélait aucun nouvel effet sur l'environnement (DI, vol. III-A, onglet 1-AA : p. 1745).

         Au coeur de toute décision rendue en vertu de l'alinéa 12c) réside la détermination que les effets sur l'environnement sont minimes ou peuvent être atténués. Cette détermination découle directement de l'évaluation environnementale. La Cour d'appel fédérale a reconnu dans une décision rendue sous le régime de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, L.C. (1992) ch. C-37 (LCÉE : il s'agit de la loi qui a succédé au Décret) que " [a]ucun élément d'information portant sur les effets futurs probables d'un projet ne saurait jamais être complet ou exclure toutes les conséquences possibles *** Des personnes raisonnables peuvent ne pas être du même avis - et ne le sont effectivement pas - sur la question de savoir si des éléments de preuve qui prévoient certaines répercussions à venir sont suffisants et exhaustifs et sur l'importance de ces répercussions sans soulever par le fait même des questions de droit " (Alberta Wilderness Assn. c. Express Pipelines Ltd. (A-494-96, A-586-96, 96-A-32) (24 juillet 1996, p. 5-6). Dans l'arrêt Cantwell c. Canada (Ministre de l'Environnement) (1991), 41 F.T.R. 18, [confirmé en appel : (A-124-91), 6 juin 1991], le juge MacKay a écrit ce qui suit au sujet du rôle que joue la Cour lors du contrôle d'une telle détermination (p. 31 de la décision) :

         Il serait inapproprié que la Cour impose une forme donnée ou tire une conclusion différente, par rapport aux commentaires formulés par d'autres, au sujet des effets néfastes qui sont traités dans ladite étude. Celle-ci n'est pas rédigée par des avocats, mais par du personnel qui est spécialisé dans les domaines technique, scientifique et gestionnel et dont le jugement technique et scientifique est requis. À moins qu'il n'y ait une raison claire de mettre en doute leur compétence et leur méthodologie, et celles-ci ne sont pas contestées en l'espèce, il faut s'en remettre à leur connaissance et leur compréhension des faits qui constituent le fondement de leur jugement.                 

En étant attentif à ces commentaires, la Cour se penche sur la présente affaire.

         Le fondement de la plainte de la requérante est que la décision rendue en vertu de l'alinéa 12c) du Décret n'a pas tenu compte des modifications qui pourraient être apportées à l'intersection de la promenade Island Park (intersection de la PIP) pour accueillir plus de véhicules. Selon la requérante, cela montre que l'évaluation environnementale, ainsi que les décisions en découlant, ont omis de prendre en considération l'impact entier, ou les effets cumulés, de l'option des trois voies qui était privilégiée. D'après la Coalition, toutes les études sur le pont Champlain montrent que la seule façon de mettre en oeuvre une option à trois voies est de modifier l'intersection de la PIP. Aux yeux de la requérante, les attributions envisagent que les modifications en question faisaient [TRADUCTION] " partie de la solution relative à l'ajout d'une troisième voie " (DR, vol. VII : p. 2624) et qu'elles ont été supprimées du rapport de juin de la société d'experts-conseils. La requérante demande donc à la Cour d'inférer que la CCN a l'intention de modifier ultérieurement l'intersection ([TRADUCTION] " En fait, la CCN s'efforce déjà de préparer le terrain en vue de la modification de l'intersection " : DR, vol. VII : p. 2625) et soustrairait ainsi le projet à tout examen de nature environnementale. (Parce que l'intimée est d'avis qu'elle n'est pas liée par la nouvelle LCÉE.)

         Réduit à sa plus simple expression, l'argument de la requérante comporte deux points. Le premier est que l'on a fait abstraction des effets cumulés de toute modification à la PIP; le second est que les modifications en question sont inextricablement liées à une troisième voie. La requérante se fonde sur les propos du juge Iacobucci, qui s'est exprimé au nom de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Québec (P.G.) c. Canada (O.N.É.), [1994] 1 R.C.S. 159, où la Cour avait à examiner si la construction d'installations de production d'électricité était liée à la construction de lignes d'exportation vers les États-Unis dans le contexte du Décret. Voici ce qu'a déclaré le juge Iacobucci, à la p. 192 du recueil :

         Il vaut mieux se demander simplement si la construction de nouvelles installations est nécessaire, entre autres, pour répondre à la demande créée par un contrat d'exportation. Dans l'affirmative, les effets sur l'environnement de la construction de ces installations ont un lien avec l'exportation. Dans ces circonstances, il devient alors approprié pour l'Office de tenir compte de la source de l'énergie électrique à exporter et des coûts environnementaux associés à la production de cette énergie.                 


Par conséquent, le second argument de la requérant est essentiellement le suivant :

         [TRADUCTION]                 
         Tous les rapports établis à ce jour sur l'expansion du pont Champlain indiquent que, pour aménager une troisième voie, il est nécessaire de modifier l'intersection pont Champlain-promenade de l'Outaouais-promenade Island Park, et accroître la capacité. Il s'agit donc d'un travail directement connexe dont les effets doivent être pris en compte. Les effets sont généralement connus, et considérés en général comme fort importants (DR, vol. VII : p. 2626).                 

         À ce stade-ci, il est indispensable de rappeler les faits entourant la décision qui a été prise en fin de compte. Ces faits règlent deux questions. Dans son rapport environnemental daté du mois de juin, la société d'experts-conseils a recommandé une reconstruction à deux voies (DI, vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1105). Elle a examiné et pris en considération toutes les études antérieures sur la circulation qui avaient trait à l'expansion du pont. Les études en question sont énumérées dans le rapport du mois de juin : [TRADUCTION] " En procédant à l'étude d'évaluation environnementale, nous avons consulté dans une large mesure les études qui avaient été menées antérieurement *** Champlain Bridge Investigation Report***Champlain Bridge One Directional Flow Impact Assessment *** [etc.] " (DI, vol. II-B, onglet 1-Q : p. 999-1000). Trois options que la société d'experts-conseils a analysées dans son étude comprenaient l'examen de la fermeture de la PIP à la promenade de l'Outaouais, et la construction d'une bretelle d'accès tourne-à-gauche à croisements superposés. La société d'experts-conseils, et plus tard le personnel de la CCN, n'ont recommandé aucune modification à l'intersection de la PIP car le coût social de cette solution serait inacceptable (DI, vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1085-1090). Le témoignage non contesté de M. Bonin est le suivant :

         [TRADUCTION]                 
         La société d'experts-conseils et le personnel de la CCN ont recommandé qu'aucun changement ne soit effectué. Dans ces circonstances, aucun effet important sur la circulation du côté ontarien n'a lieu. Les seuls changements qui surviennent sont l'utilisation du reste de la capacité inutilisée à l'intersection PIP/PO, par suite des améliorations apportées aux voies d'accès au pont du côté québécois, qui se retrouvent dans toutes les options et variantes. La société d'experts-conseils a quantifié cet effet comme suit : augmentation de 7 % de la circulation sur la promenade Island Park. Cette augmentation est atténuée par la construction de la connexion du parc Tunney, qui mènerait à une réduction de 10 % de la circulation sur la promenade Island Park, et, ainsi, à une réduction nette de 3 % (DI, vol. 1-A, onglet 1 : p. 57).                 

Les chiffres présentés par la société d'experts-conseils dans son rapport du mois de juin corroborent ce qui précède (DI, vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1069-1070).

         En premier lieu donc, il ressort de la preuve que la société d'experts-conseils a tenu compte des effets cumulés d'un projet de pont à trois voies comportant des modifications à l'intersection de la PIP. En fait, la société d'experts-conseils a rejeté l'idée de cette modification en raison de son coût social inacceptable. Le premier élément de l'argument de la requérante est donc rejeté.

         Le second élément de l'attaque se heurte lui aussi à la preuve. Le personnel de la CCN a recommandé que [TRADUCTION] " l'option des trois voies (3.2.1), sans modification de l'intersection promenade Island Park-promenade de l'Outaouais améliorerait le degré de service de la circulation dans la direction vers laquelle celle-ci se dirige à l'heure de pointe en fin de journée " (DI, vol. III-A., onglet 1-R, p. 1588). Et ce, parce que, ainsi qu'il a été noté plus tôt, le personnel a conclu qu'il était possible d'obtenir la capacité améliorée que procurerait un pont à trois voies pour la circulation en direction nord en fin de journée sans avoir à modifier l'intersection de la Promenade Island Park, car l'intersection Lucerne-Brunet est en mesure d'accueillir plus de véhicules (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 59; vol. III-A, onglet 1-R : p. 1587). En outre, le personnel de la CCN était d'avis que la souplesse supplémentaire qu'il pouvait y avoir, sur le plan des voies réversibles et réservées aux VPO si l'on retenait l'option à trois voies, n'avait pas été reconnue comme il le fallait par la société d'experts-conseils (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 61). La recommandation formulée par le personnel de la CCN en exécution de l'alinéa 12c ) et que les commissaires ont adoptée le 3 septembre 1996, reposait donc sur les motifs suivants : un pont à trois voies et aucune modification à l'intersection de la Promenade Island Park. Rien de plus, rien de moins.

         Ces faits minent le fondement du second argument de la requérante. Le personnel de la CCN a décidé que la capacité supplémentaire que procurait une troisième voie ne serait pas perdue si l'on ne modifiait pas l'intersection de la PIP pour la simple raison que le gain obtenu sur le plan de l'écoulement de la circulation des véhicules en direction nord en fin de journée justifiait la troisième voie. Il s'agit là d'une raison valable, qui n'est fondée sur aucune question dénuée de pertinence. Cette raison ne fait pas abstraction non plus des questions pertinentes (que nous venons de voir). En outre, la Cour ne peut inférer que la CCN ouvre la voie à une modification de l'intersection de manière à soustraire les modifications ultérieures à un examen des effets environnementaux. En effet, en l'absence de preuves circonstancielles convaincantes, la Cour n'examinera que le dossier. Le seul élément de preuve qui a été produit à l'appui de l'allégation de la requérante est les attributions relatives au contrat d'étude du pont. La requérante fait remarquer que, d'après les attributions, le volume de la circulation que requiert l'écoulement maximal d'une troisième voie mixte est de [TRADUCTION] " 2 400 véhicules à l'heure " (DR, vol. VII : p. 2626; l'élément pertinent du document du projet d'étude relatif au pont figure au vol. Vi-B, onglet 57 : p. 2596, qui renvoie au Champlain Bridge Functional Study ). Selon cette étude, le nombre de véhicules à l'heure sont précisément les suivants : avant-midi : 657 direction nord, 1 619 direction sud, et après-midi : 1 703 direction nord, 816 direction sud (DI, vol. I-B, onglet 1-D : p. 351). Ainsi qu'il est mentionné ci-dessus, le nombre de véhicules qui franchissent le pont à l'heure actuelle est le suivant : avant-midi : 600 direction nord, 1 600 direction sud, et après-midi : 1 520 direction nord, 600 direction sud (DI, vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1001). N'étant pas douée de seconde vue, la Cour ne fera pas d'hypothèse quant à la probabilité que l'on modifie l'intersection de la PIP faute de preuves insuffisantes. En résumé, la modification de l'intersection n'est pas liée de manière inextricable à une troisième voie.


     Pour ces motifs, la CCN n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a décidé, en exécution de l'alinéa 12c) du Décret, que la proposition aurait des effets minimes ou qui peuvent être atténués.

La décision rendue le 15 octobre 1996 en vertu de l'article 13 du Décret était-elle légale?

         Le 15 octobre 1996, les commissaires de la CCN ont décidé de ne pas soumettre la proposition à une commission en vue de la tenue d'un examen public. Selon l'article 13 du Décret, cité plus tôt, le ministère responsable soumettra la proposition au Ministre en vue de la tenue d'un examen public par une commission si les préoccupations du public au sujet de cette proposition rendent un tel examen souhaitable. Il s'agit d'une question purement légale. Le critère qu'applique la Cour au moment de contrôler une décision de ne pas soumettre une proposition à une commission pour examen public a été exposé par le juge McKay (arrêt confirmé par la Cour d'appel) dans la décision Cantwell, précitée, à la p. 35 du recueil :

         À l'instar de l'avocat des requérants, je reconnais que le pouvoir dont le ministre est investi en vertu de l'article 13 n'est pas absolu, [voir, par exemple, les commentaires du juge Lamer (tel était alors son titre) dans Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, p. 1076;] et que le ministre doit l'exercer de façon raisonnable et de bonne foi en tenant compte des facteurs pertinents, eu égard aux objets du Décret sur les lignes directrices. Les préoccupations du public au sujet d'une proposition et des effets néfastes qu'elle peut avoir sur l'environnement sont des questions importantes qu'il faut examiner au cours de l'évaluation de la proposition. Lorsque celle-ci est susceptible d'avoir des effets néfastes importants sur l'environnement, elle doit être renvoyée au ministre de l'Environnement aux fins d'un examen public en commission. [Le Décret sur les lignes directrices, art. 3 et 4 et par 12e)] La participation du public à diverses étapes du processus fait partie intégrante de l'examen complet des effets sur l'environnement que les lignes directrices exigent, même à l'étape de l'étude préliminaire.                 
         Les requérants font valoir que, compte tenu des objets du Décret sur les lignes directrices, si les préoccupations soulevées par le public au sujet d'un projet sont suffisantes, un examen public devrait avoir lieu. Ce n'est pas ce que dit l'article 13 du Décret. Je reconnais que le degré et l'ampleur des préoccupations du public devraient être un élément important dont le ministre tient compte pour déterminer, conformément à l'article 13, si un examen public par une commission " est souhaitable ".                 
         ***                 
         Le principal argument que les requérants invoquent au sujet de l'article 13 est le fait que, lorsqu'il a pris sa décision, le ministre a semblé tenir compte de facteurs qui ne sont pas pertinents aux fins du Décret et, par conséquent, aux fins de sa décision. S'il s'agit là des seuls facteurs dont le ministre a tenu compte lors de sa décision et s'il est clair qu'il s'est fondé sur des facteurs non pertinents, les requérants auront droit à une ordonnance de certiorari. [Note de bas de page omise]                 

Selon le libellé de l'article, il s'agit d'une décision de nature discrétionnaire, et le critère exposé par le juge MacKay est conforme à la manière dont les décisions de cette nature sont habituellement soumises à un contrôle. Comme l'a admis la requérante dans sa plaidoirie, le critère fait peser un lourd fardeau sur les épaules de la partie requérante (notes sténographiques, vol. III : p. 586). Le juge MacKay a également donné quelques exemples de questions pertinentes, à la p. 36 du recueil :

         Je suis prêt à reconnaître, comme l'avocat des requérants l'a dit, que bon nombre des facteurs proposés aux fins de l'examen par le ministre n'étaient pas pertinents quant à la question à trancher. D'autre part, le ministre a manifestement tenu compte des facteurs suivants qui, à mon sens, étaient pertinents : la conclusion générale de l'étude dans laquelle on fait expressément allusion aux préoccupations du public et à la nécessité de prendre une décision fondée sur l'article 13; l'intérêt répandu que le projet a suscité chez le public et l'intérêt évident de plusieurs à l'égard d'un examen public, intérêt qui ressortait clairement de l'étude et d'autres documents, dont la note dans laquelle le sous-ministre a recommandé que la conclusion de l'étude soit acceptée et que la question ne soit pas renvoyée aux fins d'un examen public en commission. D'autres facteurs énumérés dans la note envoyée au ministre pourraient également être jugés pertinents, comme le fait que le renvoi à un examen public serait perçu par bon nombre de citoyens comme une réponse positive aux préoccupations du public et le fait que l'examen public permettrait, à tout le moins, à la population de mieux comprendre les effets prévus du projet sur l'environnement, ce qui l'inciterait à se montrer moins soupçonneuse à l'endroit du gouvernement.                 

         On se souviendra que le personnel de la CCN a établi une analyse des préoccupations du public afin d'aider les commissaires à rendre la décision prévue à l'article 13. L'analyse, qui s'étend sur quelque 367 pages, recommandait que les commissaires de la CCN ne soumettent pas le projet à une commission en vue de la tenue d'un examen public. Les commissaires ont adopté la recommandation du personnel. Aux yeux de ce dernier, l'objet de l'analyse des préoccupations du public est le suivant : [TRADUCTION] " Si la Commission décide qu'il n'est pas souhaitable qu'une commission procède à un examen, elle doit alors décider s'il faut donner suite au projet ou, alors, le modifier et le réévaluer. Le présent rapport a pour but de formuler des recommandations à la Commission à cet égard " (DI, vol. III-B, onglet 1-EE : p. 1815). Après un bref survol de cette analyse, on est surpris par l'intégralité du document. Tous les commentaires faits lors des réunions du CCP, ainsi que toutes les lettres, sont méticuleusement résumés, soit séparément soit groupés avec des commentaires ou des lettres similaires (par exemple : des cartes postales formulaires envoyées par des résidents d'Aylmer qui étaient en faveur du pont à trois voies, et celles des résidents d'Ottawa qui s'opposaient au projet). C'est sur la foi de toutes les réponses du public que la CCN a reçues au sujet de la proposition que le personnel a formulé sa recommandation. Aucune préoccupation n'a été ignorée ou mise de côté.

         Il est utile de reproduire l'extrait suivant de l'analyse du personnel, cité plus tôt, car ce dernier y indique précisément pourquoi il n'est pas recommandé de soumettre la proposition à une commission. Il réduit l'analyse exhaustive des préoccupations du public à ses éléments essentiels et mène à la recommandation de ne pas soumettre la proposition à une commission en vue de la tenue d'un examen (DI, vol. III-B, onglet 1-FF : p. 1831).

         [TRADUCTION]                 
         4.4      Possibilité que l'examen public procure de nouvelles informations aux décisionnaires                 
         Le personnel de la CCN est convaincu que la quantité d'informations ayant servi à évaluer les répercussions environnementales de la proposition est suffisante et qu'il est possible de régler les préoccupations soulevées à l'égard du projet en modifiant les plans et en prenant des mesures d'atténuation qui pourraient être mises en oeuvre en cas d'exécution du projet.                 
         Les préoccupations générales qui ont été soulevées au sujet des transports excèdent le pouvoir de la CCN ainsi que la portée d'un projet particulier.                 
         Le personnel de la CCN, les experts-conseils et les membres du Comité consultatif technique ont examiné de manière exhaustive, à l'interne et à l'externe, l'évaluation environnementale du pont Champlain. Les réponses reçues entre le 29 juin et la date de publication du présent rapport portent sur les mêmes questions, dans le contexte du Décret sur les lignes directrices visant le PÉEE, que celles formulées à l'étape de la participation du public au processus, dont les détails sont exposés au chapitre 2 du RÉE. L'absence d'évolution dans les commentaires reçus appuie la conclusion qu'il y a peu de chances que le fait qu'une commission procède à un examen public de l'évaluation procure, au sujet de la proposition ou des solutions de rechange à cette dernière, de nouvelles informations importantes dont ne disposent pas déjà les décisionnaires.                 
         5.      Recommandations                 
         Les sujets de préoccupation qui ont été soulevés durant tout le processus, tant avant qu'après la décision, n'ont pas changé. Après les avoir passés en revue, la CCN est convaincue que toutes les questions liées à l'étude ont été examinées.                 
         Le public a eu de nombreuses occasions d'exprimer ses préoccupations et de mieux comprendre le projet. La contribution du public à l'égard du projet a toujours été un élément clé de l'étude aux yeux de la CCN, et ce, tant avant qu'après la détermination effectuée en exécution de l'article 12.                 
         Attendu que :                 
         "      une évaluation environnementale a été effectuée sur la foi de laquelle il a été décidé que les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l'environnement sont minimes ou peuvent être atténués par l'application de mesures techniques connues.                 
         ***                 
         "      le public a eu amplement le temps d'examiner tous les renseignements disponibles sur la proposition et l'évaluation environnementale, et a eu la possibilité de commenter par écrit la documentation relative à l'évaluation environnementale ainsi que les conclusions tirées;                 
         "      qu'au vu des sujets de préoccupation soulevés par le public, le fait qu'une commission procède à un examen public de l'évaluation a peu de chances de procurer de nouvelles informations sur la proposition et n'aurait pas de valeur supplémentaire.                 
         "      que, si la proposition s'est heurtée à une certaine opposition, il y a eu aussi un appui considérable de la part du public à son égard, et toutes les préoccupations raisonnables ont été prises en compte ou seront réglées par des mesures de conception et d'atténuation.                 
         Il est recommandé que la Commission décide :                 
         1.0      qu'en exécution de l'article 13 du Décret sur les lignes directrices visant le PÉEE, il n'est pas souhaitable qu'une commission procède à un examen public de l'évaluation;                 
         ***                 

Comme l'a souligné l'avocat de l'intimée, c'est là bien plus qu'une mesure de l'opinion publique; les préoccupations du public sont ce sur quoi porte l'article 13 du Décret. L'analyse a mesuré comme il le fallait ces préoccupations. Comme il a déjà été dit, il n'a été fait abstraction d'aucune préoccupation. Ce que dit le personnel de la CCN, c'est que la réaction du public n'a pas soulevé de nouvelles questions que la société d'experts-conseils et le personnel n'avaient pas déjà pris en considération.

         Lors de son exposé devant les commissaires de la CCN, le 15 octobre 1996, M. Bonin a utilisé des rétrodiapositives. Ces dernières figurent au DI, vol. III-B, onglet 1-FF. D'après la requérante, certaines des conclusions qui apparaissent dans ces diapositives sont dénuées de pertinence (vol. VII, p. 2633 du dossier de la requérante). La plupart d'entre elles sont manifestement pertinentes, et la requérante ne les conteste pas. Les conclusions dont l'avocat de la requérante a traitées dans sa plaidoirie et qui valent la peine d'être commentées seront examinées. Il est à souligner que les diapositives ne sont rien de plus qu'une aide visuelle. Il est indispensable de les situer dans leur juste contexte, c'est-à-dire l'analyse des préoccupations du public dans son ensemble. Les deux premières indiquent ce qui suit (DR, vol. VII : p. 2633) : [TRADUCTION] " ii) le public a eu de nombreuses occasions au cours de l'étude environnementale pour comprendre les projets et exprimer ses préoccupations *** iii) les préoccupations et les commentaires soulevés *** au cours de l'étude environnementale, ainsi que ceux soulevés durant l'examen public de la proposition sont cohérents ". La requérante fait valoir que la CCN

         [TRADUCTION]                 
         se sert des faits de sa participation [celle de la requérante] pour dire : " Nous avons déjà entendu tout cela. Nous n'avons pas besoin de procéder à un examen indépendant. Le promoteur a entendu cela auparavant. Le public a participé. Nous l'avons entendu. Nous ne sommes pas obligés de le faire. Nous n'avons plus besoin de sonder davantage le public ". Il s'agit en réalité d'utiliser cette participation contre eux au sujet d'une question critique. Il s'agit là d'un processus qui indique que, s'il subsiste encore des préoccupations du public après avoir effectué le processus d'ÉE lancé par le promoteur, les étapes initiales, vous devriez examiner la question de la commission publique (notes sténographiques, vol. III : p. 593).                 

La Cour rejette cet argument. L'accepter voudrait dire que tant qu'une proposition se heurte à une ferme opposition, il est inévitable que l'on recourra à une commission d'examen public. Comme l'a fait remarquer l'avocat de l'intimée, cela voudrait dire qu'un processus d'auto-évaluation ne serait plus nécessaire. De plus, si l'on veut être réaliste, certaines propositions se heurteront toujours à une certaine opposition, surtout dans des dossiers comme celui-ci, où le public est à ce point polarisé : la valeur des maisons et la tranquillité des quartiers, par opposition à l'accès au travail. La conclusion du personnel est liée au motif de base pour lequel il ne convient pas de soumettre la proposition à un examen : aucun élément nouveau ne sera soulevé. La conclusion doit être un facteur pertinent. Si le public n'a pas eu une occasion convenable d'exposer ses préoccupations lors d'un processus environnemental, il serait très difficile de justifier le fait de ne pas soumettre une proposition à un examen public plus approfondi. Il faut à tout le moins poser la question. Et y répondre.

         La conclusion suivante que conteste la requérante est celle-ci : [TRADUCTION] " iv) la proposition procure d'importants avantages " (DR, vol. VII : p. 2633) car, selon elle, cela n'a rien à voir avec les préoccupations du public. La question est pertinente, car du point de vue des résidents du Québec, le public se préoccupe du fait qu'un accès accru à Ottawa est un avantage de taille, qui disparaît si l'option d'une troisième voie n'est pas adoptée. Est tout aussi pertinente la conclusion selon laquelle [TRADUCTION] " [l]es préoccupations plus générales au sujet de la politique des transports excèdent les pouvoirs de la CCN et la portée du projet en question " (DR, vol. II : p. 2633). Un coup d'oeil à n'importe quel élément de l'analyse, ou presque, révèle qu'un grand nombre des préoccupations soulevaient des questions plus générales au sujet des transports. Il serait tout à fait valable que les commissaires prennent cela en considération.

         La question suivante que soulève la requérante est sans rapport avec cette conclusion (DR, vol. VII : p. 2633) : [TRADUCTION] " le processus d'évaluation environnementale dénote que les effets néfastes que peut avoir la proposition sur l'environnement sont minimes ou peuvent être atténués par l'application de mesures techniques connues ". Il s'agit là d'un point pertinent, car la plupart des préoccupations publiques soulevées contre la troisième voie proposée étaient axées sur les effets néfastes perçus dont avait traité la société d'experts-conseils au moment d'examiner les mesures d'atténuation. À quoi cela servirait-il de constituer une commission d'examen si les préoccupations du public qui seraient entendues étaient déjà considérées comme atténuables? Le fait de prendre en considération cette conclusion n'est pas, comme le soutient la requérante, tautologique. Il ne s'ensuit pas toujours que si une détermination est faite en vertu de l'alinéa 12c ), aucun examen ne sera effectué en vertu de l'article 13. Il serait peut-être bien moins pertinent (et plus facile à comprendre) si la requérante contestait la décision rendue en vertu de l'alinéa 12c) en soi, savoir que tout effet néfaste était minime ou pouvait être atténué par l'application de mesures techniques connues. La requérante ne l'a pas fait. Ce même raisonnement peut s'appliquer à l'avant-dernière question contestée : [TRADUCTION] " il est possible de répondre aux préoccupations relatives à la proposition en adoptant des plans et des mesures d'atténuation proposées que l'on mettrait en oeuvre s'il était donné suite à la proposition " (DR, vol. Vii : p. 2633).

         Enfin, la requérante s'élève contre la conclusion suivante : [TRADUCTION] " il y a peu de chances que l'examen mené par la commission fournirait de nouvelles informations ou solutions de remplacement au sujet des mesures d'atténuation proposées que l'on mettrait en oeuvre s'il était donné suite à la proposition " (DR, vol. VII : p. 2633). Il s'agit là d'une variation de la conclusion suivante : [TRADUCTION] " si le public s'y oppose, il faut qu'il y ait un examen ". La requérante demande à la Cour de conclure que cela n'est pas pertinent car [TRADUCTION] " Nul ne sait quand de nouvelles choses vont survenir, de nouvelles idées, de nouvelles solutions, surtout lorsque l'on passe du promoteur à l'étape indépendante. Cela est fort présomptif " (notes sténographiques, vol. III : p. 599). Et juste, naturellement, dans la mesure où nul ne peut prédire l'avenir. Mais cela ne peut vouloir dire que la conclusion est dénuée de pertinence. Il s'agit d'une question pertinente, surtout lorsque l'on examine la teneur de l'analyse des préoccupations publiques. Il n'est un secret pour personne que certains membres du public ne sont pas en faveur du pont. Ils n'apprécient pas l'idée d'une troisième voie. Jamais ils ne l'apprécieront, et c'est ce qui ressort nettement de l'analyse des préoccupations publiques. Cela prouve aussi qu'à ce stade là, rien n'indiquait que les préoccupations publiques avaient soulevé quoi que ce soit de nouveau (à l'exception du battage entourant les plans de SNC-Lavalin, mentionné plus tôt). Ne serait-ce pas pertinent si la preuve révélait que les préoccupations du public avaient soulevé des points nouveaux ou relevé des aspects dont il n'était pas question dans le rapport? Bien sûr que oui.

         Il ressort de la preuve que l'analyse des préoccupations du public ne soulève pas de questions dénuées de pertinence. Les commissaires avaient en main le document et ont adopté la recommandation. À cause de cela, la décision est justifiée (contrairement à l'affaire Cantwell, citée plus tôt). Comme nous l'avons vu, les raisons sont essentiellement que : 1) compte tenu des préoccupations publiques soulevées, un examen public de l'évaluation, par l'entremise d'une commission, a peu de chances de faire apparaître de nouveaux éléments d'information au sujet de la proposition et n'aurait pas d'utilité supplémentaire, 2) si des opposants à la proposition se sont fait entendre, il y a eu aussi, au sein du public, un appui considérable envers la proposition, et l'on a pris en compte toutes les préoccupations raisonnables ou l'on y répondra par des mesures de conception et d'atténuation. Cette raison correspond à tous les éléments de preuve qui ont été examinés en détail plus tôt.

         La Cour conclut donc qu'il n'existe aucun fondement probant ou juridique qui prouve que les commissaires se sont bel et bien fiés à des questions dénuées de pertinence.

La décision " finale "sur la reconstruction, datée du 15 octobre 1996, était-elle légale parce qu'elle " différait "censément la décision véritable?

         Le dernier point qu'il faut régler est celui que la requérante qualifie de " partage de la décision ". Le 15 octobre 1996, les commissaires ont voté à neuf contre quatre en faveur de la reconstruction du pont sous la forme d'une structure à trois voies d'une largeur de 17,75 mètres et comportant une voie réservée aux VPO dans la direction de la circulation à l'heure de pointe, deux voies cyclables, deux dégagements, un trottoir et deux parapets. Cette structure fonctionnerait toutefois comme un pont à deux voies seulement, jusqu'à ce que les diverses instances municipales et la CCN s'entendent sur les plans définitifs concernant un pont à deux ou à trois voies. À défaut d'un accord avant le 15 octobre 1997, la question doit être examinée et réglée par la CCN (DI, vol. III-B, onglet 1-GG : p. 2259-2260).

         La requérante est d'avis que :

         [TRADUCTION]                 
         ce type de décision partagée vicie l'existence continue d'une proposition précise, comme l'exige une détermination finale des effets sur l'environnement et des préoccupations publiques, ainsi que la possibilité subséquente de donner suite à un projet en vertu du Décret *** Dans la présente affaire, la requérante fait valoir que l'évaluation était un croisement entre une étape conceptuelle et des démarches plus précises. Mais jamais a-t-on mis de l'avant, au cours de l'ÉE, des plans précis concernant un pont d'une largeur de 17,75 mètres. La requérante fait valoir que le partage de la décision signifie qu'à l'heure actuelle, il n'existe aucune proposition précise, même au stade conceptuel (DR., vol. VII : p. 2631).                 

À l'appui de cette position, la requérante s'appuie sur l'affaire du pont de raccordement fixe Friends of the Island c. Canada (Ministre des Travaux publics), 1993 2 C.F. 229 (1re inst.), à la p. 229. La requérante demande à la Cour d'ordonner qu'une nouvelle décision soit rendue en vertu du Décret après qu'une décision a été prise au sujet de plans particuliers.


         Dans l'arrêt Friends of the Island, le juge Reid formule les commentaires suivants à la p. 264 :

         Tous s'accordent pour dire qu'il est préférable de cerner les effets sur l'environnement que peut avoir un projet avant que les promoteurs du secteur privé (ou du secteur public, quant à cela) ne dressent les plans définitifs. Il est également souhaitable d'utiliser le processus comme instrument de travail au cours de l'étape de la planification et d'éviter le double emploi. Je ne suis cependant pas convaincue qu'il soit utile de décider si le Décret sur les lignes directrices exige l'évaluation de la proposition au stade conceptuel ou durant une autre étape de conception plus détaillée. Ce qui est exigé peut très bien dépendre du type de projet examiné. Ce qui semble clair, c'est que l'évaluation doit être faite durant une étape où les répercutions environnementales peuvent être examinées (article 3) et où il est possible de déterminer la nature et l'étendue des effets néfastes que la proposition peut avoir sur l'environnement (paragraphe 10(1)). (Non souligné dans l'original, p. 229 : approuvé par le juge Iacobucci dans Québec (P.G.) c. Canada (O.N.É.), (aux p. 198 et 199) précité).                 

La Cour est d'accord avec l'intimée que le juge Reid envisageait une approche souple. Le moment où l'évaluation a lieu ne peut être soumis à une règle stricte.

         Il n'est pas nécessaire de s'étendre sur cet argument. Premièrement, la proposition concerne la reconstruction d'une structure déjà existante, c'est-à-dire que le pont est déjà construit. La proposition n'est donc pas aussi conceptuelle que la requérante le dit. En fait, dès le départ, la proposition est plus que conceptuelle. Il faut se rappeler aussi que le rapport de la société d'experts-conseils a atteint deux objectifs : il a contribué à répondre aux exigences du Décret, et il a aidé la Commission à choisir une option. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu'il n'est pas justifié d'exiger que la CCN attende que des plans définitifs soient dressés avant que l'on procède à l'évaluation environnementale. Faut-il que toute entreprise proposée soit soumise à un processus à deux étapes? Est-ce si mal de " faire d'une pierre deux coups " lorsqu'on est sûr qu'il n'y en aura pas plus que deux? Les circonstances dans lesquelles une telle mesure ne conviendrait pas entrent dans les limites des propos du juge Reid : il faut que ce soit fait à un stade où il est possible de prendre tous les effets en considération.

         Deuxièmement, plusieurs configurations à deux et à trois voies ont été étudiées afin de déterminer leurs effets sur l'environnement. Ces configurations comprenaient une option à trois voies de 18,75 mètres (DI, vol. III-A, onglet 1-Y : p. 1691-1696). L'option retenue avait un mètre " de trop ". La requérante n'a pas indiqué, et la Cour ne peut même prédire, quels effets néfastes pourrait avoir un pont de 17,75 mètres de largeur (l'option retenue) que n'aurait pas un pont de 18,75 mètres. Selon la preuve, le pont à trois voies de 17,75 mètres que le personnel de la CCN a recommandé dans son rapport de septembre, et que les commissaires de la CCN ont adopté le 15 octobre 1996, est la même option que celle qui a été recommandée dans le rapport de juin du personnel ainsi que dans l'évaluation environnementale initiale. Évidemment, cette option ne comporte aucune modification à l'intersection de la promenade Island Park, comme le recommandait la société d'experts-conseils. (DI, vol. I-A, onglet 1 : p. 49, 61, 85-86; vol. II-B, onglet 1-Q : p. 1105-1106; vol. III-A, onglet 1-Z : p. 1725-1727 et 1731; vol. III-A, onglet 1-R : p. 1591; vol. III-A, onglet 1-W : p. 1674-1675). C'est tout ce que montre la preuve. Enfin, la Cour ajoute qu'au vu de l'ensemble des éléments de preuve, l'évaluation a eu lieu à un stade où il était possible de tenir entièrement compte des effets sur l'environnement. Cela répond aux préoccupations soulignées par le juge Reid, dans l'arrêt précité. En fait, la requérante n'indique même pas sérieusement que l'évaluation environnementale était prématurée.

         La Cour rejette donc l'allégation de la requérante selon laquelle il faudrait procéder plus tard, lorsque des plans précis seront prêts, à une détermination en vertu de l'article 12. Compte tenu de cette conclusion, il n'est pas nécessaire d'analyser davantage la question de savoir si la CCN serait tenue de procéder à une autre détermination en vertu de l'article 12 du Décret en raison de l'abrogation de ce dernier et de son remplacement par la LCÉE. Il ne fait aucun doute que la CCN prendra conseil et se conformera à la loi.

         C'est pour tous les motifs qui précèdent que la présente Cour rejette les quatre demandes de contrôle judiciaire. Il n'y aura aucune adjudication de dépens.

         La Cour regrette d'avoir à rejeter les demandes d'un authentique organisme communautaire " de base ". Les mesures que ce dernier a prises pour faire valoir les intérêts de la collectivité, tels que ses membres les perçoivent, méritent d'être louées à une époque où l'on commence à percevoir les premiers signes d'une aliénation sociale, voire d'une désintégration, du milieu urbain. Il s'agit d'une manifestation et d'une expression de démocratie fondamentale. Malheureusement, la requérante ne dispose pas d'un niveau de gouvernement élu directement et démocratiquement qu'elle pourrait tenir responsable, d'un point de vue électoral, des mesures qui lui déplaisent tant. Il s'agirait là d'une tribune appropriée où exprimer son mécontentement démocratique. La présente Cour, ou n'importe quelle autre, est une tribune où le droit d'exprimer d'une manière effective son mécontentement n'est pas garanti, car la Cour doit appliquer le droit qui est en vigueur et, qui l'était, longtemps avant que la cause de la coalition requérante voie le jour, même si le législateur l'a récemment modifié. L'abrogation du Décret et l'adoption de la LCÉE sont le changement qui n'était pas prévu.

         Bien que le président et les commissaires de la CCN soient choisis, on l'espère, pour leur intelligence et leur sensibilité envers leurs concitoyens, la Loi sur la capitale nationale ne comporte en soi aucune responsabilité électorale pour ce qui est de répondre aux inquiétudes de la coalition à l'égard de la valeur des biens de ses membres et de la qualité de vie des quartiers où ils vivent, comme l'indique son nom. Toutefois, la Loi et la réglementation en matière


d'environnement sont le droit en vigueur que la Cour doit appliquer de son mieux, sans crainte ou faveur.

     F.C. Muldoon

                                 Juge

Ottawa (Ontario)

Le 7 août 1997

Traduction certifiée conforme :     
                     F. Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

Nos DU GREFFE :              T-1830-96, T-2481-96, T-2865-96 et T-2866-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Community Before Cars Coalition
                     c. Commission de la capitale nationale
LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)
DATES D'AUDIENCE :          1er, 2, 3, 8 et 10 avril 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE MULDOON

EN DATE DU :              7 août 1997

ONT COMPARU

Me Roger Harris              POUR LA REQUÉRANTE

Me Haward Mann

Me Joseph de Pencier          POUR L'INTIMÉE

Me Yvonne Milosevic

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

Lyon & Rick                  POUR LA REQUÉRANTE

Avocats et procureurs

Kanata (Ontario)

Me George Thomson              POUR L'INTIMÉE

Sous-procureur général

du Canada

Ottawa (Ontario)

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