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Date : 20230815


Dossier : T-2335-22

Référence : 2023 CF 1104

Ottawa (Ontario), le 15 août 2023

En présence de l’honorable madame la juge Rochester

ENTRE :

SOUAD AKOUZ

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Souad Akouz, se représente seule. Elle est une travailleuse indépendante qui fournit des services d’entretien ménager. Pendant la pandémie de COVID-19, les revenus de la demanderesse ont diminué en raison des annulations de ménages de ses clients.

[2] La demanderesse a demandé et reçu la Prestation canadienne de la relance économique [PCRE]. La PCRE fait partie d’un ensemble de mesures introduites par le gouvernement du Canada en réponse aux répercussions causées par la pandémie de COVID-19. Cette prestation était disponible pour toute période de deux semaines comprise entre le 27 septembre 2020 et le 23 octobre 2021 pour les salariés et travailleurs indépendants admissibles qui ont subi une perte de revenus en raison de la pandémie de COVID-19 (Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 au para 2 [Aryan]).

[3] Les critères d’admissibilité à la PCRE sont prévus et détaillés au paragraphe 3(1) de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [la Loi]. Ces critères exigent, entre autres, que le salarié ou le travailleur indépendant ait gagné au moins 5 000 $ de revenus d'emploi ou de revenus nets de travail indépendant en 2019, en 2020, ou au cours des 12 mois précédant la date de sa dernière demande (alinéa 3(1)e) de la Loi).

[4] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’une agente d’observation [l’Agente] de l’Agence du revenu du Canada [ARC], datée du 7 octobre 2022 [Décision], par laquelle, suite à un deuxième examen, l’Agente a conclu que la demanderesse n’était pas admissible à la PCRE. L’ARC a refusé sa demande au motif qu’elle n’a pas gagné au moins 5 000 $ de revenus nets de travail indépendant en 2019, en 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande.

[5] La demanderesse prétend que la Décision est déraisonnable, car selon elle, elle a respecté les critères de la Loi, notamment qu’elle a gagné un revenu de plus de 5 000 $ dans l’année 2019. Selon la demanderesse, l'Agente aurait dû prendre en compte son nouvel avis de cotisation suivant la déclaration de revenues amendée pour l'année d’imposition 2019. Ce nouvel avis de cotisation, daté le 15 août 2022, précise que le revenu net s’élève à 5 711 $ alors que le précédent indiquait 4 852 $. La demanderesse soutient que son comptable a commis une erreur qu’il a ensuite corrigée.

[6] Le défendeur fait valoir que la Décision est raisonnable considérant que la demanderesse a déclaré 450 $ de revenu net d’entreprise pour l’année 2018, 4 852 $ pour l’année 2019, et une perte de 5 179 $ pour l’année 2020. Compte tenu du fait que le revenu était inférieur à 5 000 $, la demanderesse n’était pas admissible à la PCRE au motif qu’elle n’a pas rempli le critère du revenu net minimal de 5 000 $ en 2019, en 2020, ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande. Le défendeur fait valoir qu’il était raisonnable pour l'Agente de ne pas tenir compte du nouvel avis de cotisation étant donné qu'il a été produit après la première décision négative dans le but de répondre au critère du 5 000 $. Le défendeur souligne que la demanderesse n’a pas précisé quels montants avaient été déduits par erreur par son comptable, et a indiqué qu’elle ne pouvait fournir à l’ARC aucun autre document que son nouvel avis de cotisation à cet effet.

[7] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Décision de l’Agente est raisonnable. Par conséquent, la demande de la demanderesse doit être rejetée.

II. La norme de contrôle

[8] Il est bien établi que la norme de contrôle applicable en l’espèce est la norme de la décision raisonnable (He c Canada (Procureur général), 2022 CF 1503 au para 20 [He]; Aryan aux para 15–16).

[9] Pour être raisonnable, une décision doit être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov 2019 CSC 65 au para 85 [Vavilov]). Il incombe à la demanderesse, la partie qui conteste la Décision, de démontrer le caractère déraisonnable de la Décision (Vavilov au para 100).

[10] La cour de révision doit adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov au para 13). Pour pouvoir intervenir, la cour de révision doit être convaincue par la partie contestant la décision que celle-ci « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence », et que ces lacunes ou insuffisances reprochées « ne [sont] pas [...] simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Vavilov au para 100).

[11] La cour doit centrer son attention sur la décision même qu’a rendue le décideur administratif, notamment sur sa justification, et non sur la décision qu’elle aurait rendue à sa place. À moins de circonstances exceptionnelles, une cour de révision ne doit pas modifier des conclusions de fait. De plus, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, il n’appartient pas à notre Cour d’apprécier ou de soupeser à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Vavilov au para 125; Clark v Air Line Pilots Association, 2022 FCA 217 au para 9).

III. Analyse

[12] Comme discuté ci-haut, le fardeau incombe à la demanderesse, dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire, de démontrer que la Décision est déraisonnable.

[13] Concernant le nouvel avis de cotisation, daté du 15 août 2022, soit plus de deux semaines après la première décision de l’ARC rendue le 27 juillet 2022, la demanderesse fait valoir que cet avis de cotisation démontre qu’elle a gagné un revenu de plus de 5 000 $ en 2019. Elle prétend que sur cette base, la Décision est déraisonnable car elle a respecté les critères de la Loi.

[14] Lors de l'audition, la demanderesse n'a donné aucune explication sur l'origine de son nouvel avis de cotisation, si ce n'est qu'il s'agit d'une erreur de son comptable. Elle n'a pas non plus pu se référer à un document dans le dossier qui fournisse des détails sur l'erreur du comptable ou une explication de celle-ci. L’explication donnée à l’ARC avec sa demande de deuxième examen étant : « on s’est aperçu qu’une erreur d’inattention s’est glissée et a donné un revenu inférieur à 5000 $ ». Durant ses échanges avec l’Agente, la demanderesse a communiqué que son nouvel avis de cotisation contient des dépenses réduites pour répondre au critère du 5 000 $ et a indiqué à l’Agente qu’elle n’avait aucun autre document qu’elle pouvait fournir à cet effet.

[15] Le défendeur fait valoir que la demanderesse ne peut pas simplement amender sa déclaration de revenus pour l’année 2019 une fois que la première décision est rendue afin de se rendre admissible à la PCRE. Le défendeur soutient que l’ARC était en droit de requérir les informations qu’elle estimait pertinentes à la détermination de l’admissibilité de la demanderesse. Dans le présent cas, aucune information n’a été fournie à l’ARC afin de justifier que la demanderesse satisfaisait le critère du 5 000 $.

[16] J'ai examiné attentivement la Décision, et le dossier sur lequel la Décision est fondée, et je conclus que la demanderesse a été incapable de cerner une lacune ou une déficience suffisamment importante ou grave pour rendre la Décision déraisonnable.

[17] Il ne fait donc aucun doute que le fardeau de la preuve incombe à celui ou celle qui formule une demande de PCRE, d’établir qu’il ou elle satisfait, selon la prépondérance des probabilités, aux critères de la loi habilitante (He au para 25; Cantin c Canada (Procureur général), 2022 CF 939 au para 15).

[18] Je suis également d’avis, tout comme mon collègue, le juge Denis Gascon le cite que : « Le régime fiscal canadien — qui, depuis la pandémie, compte la PCU parmi ses composantes — repose sur les principes d’autocotisation et d’autodéclaration. Il prescrit notamment que chaque contribuable a la responsabilité de déclarer et d’être en mesure de prouver ses revenus. » (He au para 25).

[19] La responsabilité de l’autocotisation s’accompagne d’une obligation, énoncée à l’article 6 de la Loi, de fournir « tout renseignement que [l’ARC] peut exiger relativement à la demande ». Selon cette exigence, un demandeur doit fournir les documents et renseignements demandés par l’ARC pour confirmer la conformité aux dispositions législatives, ou expliquer pourquoi il n’est pas en mesure de répondre à la demande.

[20] En l’espèce, la demanderesse n’a pas fourni de justification ou, à tout le moins, le contexte sous-jacent de son nouvel avis de cotisation. Selon le défendeur, le défaut de la demanderesse de ne pas fournir de documentation ou d’explication, est suffisant pour établir le caractère raisonnable de la Décision.

[21] Je ne suis pas convaincue du caractère déraisonnable de la conclusion de l’Agente selon laquelle la demanderesse n’a pas prouvé qu’elle avait gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) de revenus d’emploi ou de revenus nets de travail indépendant en 2019, en 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande. La Décision est conforme aux exigences de Vavilov – en effet, à la lecture du dossier, on peut discerner la logique et le raisonnement sous-jacents de la Décision. Cette logique et ce raisonnement sont cohérents et fondés sur la preuve. Par conséquent, la Décision de l’Agente est donc raisonnable.

IV. Conclusion

[22] La demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir que la Décision rendue par l’Agente est déraisonnable. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[23] Le défendeur sollicite les dépens qu’il a droit suite au rejet de la demande. Les parties ont convenu sur la question des dépens pour un montant de 500 $. Je suis d’avis que cette somme est raisonnable et justifiée.


JUGEMENT dans T-2335-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Des dépens au montant de 500 $ sont adjugés au défendeur.

« Vanessa Rochester »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2335-22

INTITULÉ :

SOUAD AKOUZ c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 juin 2023

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

LE 15 août 2023

COMPARUTIONS :

Souad Akouz

Pour la demanderesse

(EN SON PROPRE NOM)

Anne-Élizabeth Morin

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur générale du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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