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Date : 20230814


Dossier : T-846-21

Référence : 2023 CF 1105

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 août 2023

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

SOUTHERN RAILWAY OF BRITISH COLUMBIA LIMITED

demanderesse

et

ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER FRASER ET DP WORLD LOGISTICS CANADA INC.

défenderesses

MOTIFS ET ORDONNANCE

I. INTRODUCTION

[1] La juge adjointe Ring a prononcé le 9 décembre 2022 une ordonnance dans laquelle elle a accueilli en partie la requête déposée par Southern Railway of British Columbia Limited (la demanderesse ou SRY) visant à obtenir la production de certains documents de l’Administration portuaire Vancouver Fraser (l’APVF) et de DP World Logistics Canada Inc. (DPW), collectivement les défenderesses (les défenderesses) relativement à l’avis de demande de contrôle judiciaire déposé le 21 mai 2021

[2] L’ordonnance du 9 décembre 2022 prévoit ceci :

[traduction]

LA COUR ORDONNE :

1. La requête de SRY est accueillie en partie.

2. Sous réserve du paragraphe 3 de la présente ordonnance, DPWL transmettra les documents suivants au greffe de la Cour et à SRY dans les vingt et un (21) jours suivant la date de la présente ordonnance :

a) tout contrat ou toute convention de bail concernant l’utilisation, l’exploitation ou la gestion des « terres » (au sens de l’avis de demande) ou ayant pour objet de conférer à DPWL le pouvoir légal d’imposer des frais aux utilisateurs du port, y compris (non exclusivement) le tarif des services ferroviaires, conclu par : (i) l’APVF et (ii) DPWL;

b) tout document sur lequel s’appuie DPWL pour établir les frais énoncés dans le tarif des services ferroviaires;

c) toute correspondance entre (i) DPWL et (ii) l’APVF, DPFS ou toute autre entité liée ou tierce partie en ce qui concerne la formulation et la mise en œuvre du tarif des services ferroviaires.

3. Au besoin, la Cour peut examiner une demande de prorogation du délai dont dispose DPWL pour transmettre les documents énumérés au paragraphe 2 de la présente ordonnance si les défenderesses, ou l’une d’entre elles, demandent une ordonnance de confidentialité à l’égard de ces documents.

4. Dans la mesure où la requête de SRY vise à obtenir la production de documents demandés de DPWL qui ne sont pas indiqués au paragraphe 2 de la présente ordonnance, la requête est rejetée.

5. La requête de SRY visant à obtenir une ordonnance contraignant l’APVF à fournir les documents demandés aux termes de l’article 317 des Règles est aussi rejetée.

6. Les dépens afférents à la requête sont fixés à 1 500 $, taxes et débours compris, et doivent être payés par DPWL et l’APVF à SRY, quelle que soit l’issue de la cause.

[3] Au moyen d’un avis de requête déposé le 19 décembre 2022, DPW a interjeté appel de cette ordonnance en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles). Elle sollicite les réparations suivantes :

[traduction]

1. Un sursis de l’exécution de l’ordonnance du 9 décembre 2022 rendue par la juge responsable de la gestion de l’instance (l’ordonnance) en attendant l’audition et la décision concernant cette requête;

2. Une ordonnance annulant l’ordonnance;

3. Les dépens afférents à la présente requête;

4. Toute autre réparation que DPWL pourrait demander et que la Cour pourrait accorder.

[4] SRY n’a pas interjeté appel de l’ordonnance relative à l’APVF. L’APVF a déposé de brèves observations qui appuient les arguments invoqués par DPW.

II. CONTEXTE

[5] SRY a déposé, le 21 mai 2021, une demande de contrôle judiciaire contestant l’imposition d’un tarif par DPW, dans laquelle DPW et l’APVF étaient désignées comme défenderesses. SRY sollicite les réparations énoncées ci-dessous dans sa demande de contrôle judiciaire :

[traduction]

La demanderesse sollicite une ou des ordonnances :

a. annulant la décision d’imposer le tarif des services ferroviaires;

b. subsidiairement, déclarant que le tarif des services ferroviaires ne s’appliquent pas à la demanderesse;

c. exigeant le remboursement de tout paiement du tarif des services ferroviaires effectué par la demanderesse;

d. accordant à la demanderesse les dépens afférents à la présente demande;

e. toute autre réparation que la Cour estime appropriée.

[6] Dans sa demande de contrôle judiciaire, SRY a inclus une demande de production des documents suivants :

[traduction]

1. Tout contrat ou toute convention de bail concernant l’utilisation, l’exploitation ou la gestion des terres ou ayant pour objet de conférer à DP World Logistics le pouvoir légal d’imposer des frais aux utilisateurs du port, y compris (non exclusivement) le tarif des services ferroviaires, conclu par :

a. l’APVF,

b. DP World Logistics ou DP World FSD, ou toute autre entité liée;

2. Tout document sur lequel s’appuie l’APVF, DP World Logistics, DP World FSD ou toute autre entité liée pour établir les frais énoncés dans le tarif des services ferroviaires;

3. Toute correspondance entre l’APVF, DP World Logistics, DP World FSD ou toute autre entité liée ou tierce partie en ce qui concerne la formulation et la mise en œuvre du tarif des services ferroviaires;

4. Tout autre document pertinent à une question en litige dans l’instance.

[7] Dans une lettre datée du 7 septembre 2021, l’APVF s’est opposée à la demande de production, présentée par SRY, d’une copie certifiée conforme des documents indiqués dans l’avis de demande au motif qu’elle n’a pas agi comme un « office fédéral » ni rendu une « ordonnance » concernant le tarif des services ferroviaires de DPW.

[8] Dans une lettre datée du 8 septembre 2021, DPW s’est opposée à la demande de production, présentée par SRY, d’une copie certifiée conforme des documents indiqués dans l’avis de demande au motif que l’article 317 des Règles ne s’applique pas à DPW, car il ne s’agit pas d’un « office fédéral » et qu’aucune « ordonnance » n’a été rendue en application des Règles.

[9] Dans la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‐7, le terme « office fédéral » a le même sens que « conseil, bureau, commission ou autre organisme [de nature fédérale] » censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale.

[10] La juge adjointe Ring a convoqué une conférence de gestion de l’instance pour discuter des prochaines étapes. Le 15 octobre 2021, elle a rendu une ordonnance formulée en ces termes :

[traduction]

LA COUR ORDONNE :

1. La demande sera traitée comme une instance à gestion spéciale.

2. Le greffe de la Cour doit renvoyer l’affaire au juge en chef pour que celui-ci nomme un juge responsable de la gestion de l’instance.

3. Sauf directive contraire du juge responsable de la gestion de l’instance, dans les quinze (15) jours suivant la date de nomination d’un juge responsable de la gestion de l’instance, les parties se consulteront et présenteront un compte rendu sur l’état de l’instance

4. Toute opposition formulée conformément au paragraphe 318(2) des Règles doit être signalée au moyen d’une requête officielle présentée par la demanderesse. Après s’être consultées et au plus tard le 27 octobre 2021, les parties fourniront une proposition d’échéancier conjointe concernant l’échange de documents relatifs à la requête, ainsi que leurs dates de disponibilité pour l’audition de la requête.

[11] Le 22 octobre 2021, la juge adjointe Ring a été nommée juge responsable de la gestion de l’instance.

[12] SRY a déposé son dossier de requête le 17 décembre 2021. Elle sollicitait les réparations suivantes dans son avis de requête :

[traduction]

1. Une ordonnance en vertu du paragraphe 318(4) des Règles enjoignant aux défenderesses, l’Administration portuaire Vancouver Fraser (l’APVF) et DP World Logistics Canada Inc. (DP World Logistics), de transmettre à la demanderesse tous les documents pertinents à la décision, au sens de l’avis de demande, à savoir :

a. tout contrat ou toute convention de bail concernant l’utilisation, l’exploitation ou la gestion des terres ou ayant pour objet de conférer à DP World Logistics le pouvoir légal d’imposer des frais aux utilisateurs du port, y compris (non exclusivement) le tarif des services ferroviaires, conclu par l’APVF et DP World Logistics, ou DP World FSD ou toute autre entité liée;

b. tout document sur lequel s’appuie l’APVF, DP World Logistics, DP World FSD ou toute autre entité liée pour établir les frais énoncés dans le tarif des services ferroviaires;

c. toute correspondance entre l’APVF et DP World Logistics, DP World FSD ou toute autre entité liée ou tierce partie en ce qui concerne la formulation et la mise en œuvre du tarif des services ferroviaires;

d. tout autre document pertinent à une question en litige dans l’instance (collectivement les « documents demandés »)

2. Une ordonnance adjugeant les dépens afférents à la requête à SRY.

3. Toute autre réparation que la Cour estime juste.

[13] La preuve dont disposait la juge adjointe comprenait des affidavits auxquels des pièces étaient annexées. SRY a déposé les affidavits de M. Gerald Linden, de M. Ryan Simpson et de Mme Aelene Guingcangco dans son dossier de requête, qu’elle a déposé le 17 décembre 2021.

[14] L’APVF a déposé les affidavits de M. Lindsay Colin et de Mme Prairie Jolliffe dans son dossier de requête, qu’elle a déposé le 14 janvier 2022.

[15] DPW a déposé l’affidavit de M. Tabare Dominguez dans son dossier de requête, qu’elle a déposé le 14 janvier 2022.

[16] M. Linden est le président de SRY. Dans son affidavit, il donne un aperçu des activités de SRY, une société créée sous le régime des lois de la Colombie-Britannique. SRY est un chemin de fer de marchandises qui utilise des installations situées sur des terres exploitées par l’APVF dans le port de Vancouver, y compris des lignes de chemin de fer dans la gare de triage de l’administration portuaire.

[17] M. Linden a aussi déclaré qu’à sa connaissance, SRY n’avait [traduction] « payé aucuns frais pour utiliser la gare de triage de l’administration portuaire » dans le cadre de ses activités au port de Vancouver.

[18] M. Simpson est le directeur du développement des affaires de SRY. Il a entre autres déclaré qu’il avait appris le 8 décembre 2020 que DPW [traduction] « avait l’intention d’imposer un tarif des services ferroviaires pour tous les utilisateurs » de la gare de triage de l’administration portuaire.

[19] Mme Guingcangco est parajuriste pour le cabinet d’avocats Borden Ladner Gervais, S.E.N.C.R.L, s.r.l., qui représente la demanderesse. Dans son affidavit, elle a fait des déclarations concernant la réalisation de certaines recherches sur le Web au sujet de la création de l’APVF par des lettres patentes délivrées par le gouvernement du Canada et de l’emplacement de la gare de triage de l’administration portuaire pouvant être assujetti aux tarif des services ferroviaires.

[20] M. Colin est le directeur de l’immobilier pour l’APVF. Dans son affidavit, il a répondu à l’affidavit de M. Linden. Il a entre autres déclaré qu’il n’est pas d’accord pour dire [traduction] « que l’APVF ou quiconque agissant en son nom a fixé ou imposé les “droitsˮ, comme le fait valoir SRY ».

[21] M. Colin a aussi déclaré que l’APVF perçoit certains droits, comme des droits d’accostage et d’amarrage, conformément à la Loi maritime du Canada, LC 1998, c 10. Il a ajouté que l’APVF n’avait jamais imposé de « droits » au sens de la Loi maritime du Canada, précitée, en ce qui a trait à la gare de triage de l’administration portuaire.

[22] Mme Jolliffe est une assistante juridique au sein du cabinet d’avocats Owen Bird Law Corporation, qui représente l’APVF. Un courriel concernant la demande de production de documents présentée par SRY est joint à son affidavit, à titre de pièce.

[23] M. Dominguez est le directeur commercial de DPW et de DP World Fraser Surrey Inc. Il a déclaré que DPW est une société constituée en vertu des lois du Canada qui est enregistrée en Colombie-Britannique comme une société extraprovinciale.

[24] M. Dominguez a traité du statut de DPW à titre de [traduction] « déléguée » de l’APVF aux paragraphes 9 et 10 de son affidavit. Il a déclaré au paragraphe 9 que [traduction] « l’APVF n’a délégué aucun pouvoir à DPW en ce qui concerne l’imposition ou la perception de droits pour les mouvements ferroviaires, le déplacement de marchandises ou toute autre activité dans la gare de triage de l’administration portuaire au nom de l’APVF ».

[25] M. Dominguez a déclaré que son affidavit avait été déposé à l’appui de l’opposition de DPW quant à la production de documents à la demande de SRY.

[26] Dans les motifs de l’ordonnance prononcés le 9 décembre 2022, la juge adjointe Ring a établi que DPW soulevait un argument relatif à la compétence en s’opposant à la demande de production de documents présentée par SRY. Elle a appliqué le critère du caractère « évident et manifeste » et a tiré la conclusion suivante :

[traduction]

[63] En conclusion, pour les motifs exposés ci‐dessus, il n’est pas évident et manifeste que DPWL n’est pas un « office fédéral » ou que la décision de DPWL d’imposer un tarif des services ferroviaires n’est pas une « ordonnance ». Par conséquent, je conclus que SRY peut invoquer l’article 317 des Règles pour solliciter la communication des documents pertinents de DPWL.

III. OBSERVATIONS

[27] DPW fait maintenant valoir que la juge adjointe a commis une erreur de droit en appliquant le mauvais critère à la requête que SRY a présentée relativement à l’article 318 des Règles. DPW soutient que l’application du mauvais critère est une erreur de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, citant l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, [2017] 1 RCF 331 (CAF). Elle fait valoir que l’ordonnance doit être annulée.

[28] DPW soutient en outre que la juge adjointe a manqué à l’équité procédurale en énonçant une certaine façon de procéder dans l’ordonnance du 15 octobre 2021, puis en tranchant la requête de SRY conformément à une autre façon de procéder, assujettie à un autre critère juridique, le tout sans préavis.

[29] Par ailleurs, DPW fait valoir que l’ordonnance de la juge adjointe comporte une erreur manifeste et dominante, et qu’en plus, elle a été prise sans égard à la preuve.

[30] L’APVF a déposé de brèves observations qui appuient celles présentées par DPW.

[31] Pour sa part, SRY soutient que la juge adjointe n’a commis aucune erreur de droit ou autre susceptible de contrôle. SRY avance qu’il faut présumer que la juge a examiné l’ensemble de la preuve et l’a évaluée raisonnablement avant d’ordonner à DPW de produire des documents.

IV. ANALYSE ET DÉCISION

[32] La première question à examiner concerne la norme de contrôle applicable. Dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira, précité, la Cour d’appel fédérale s’est exprimée en ces termes sur la norme de contrôle applicable à l’appel d’une décision rendue par un juge adjoint :

[27] [...] la décision discrétionnaire d’un protonotaire est entachée d’erreur flagrante, et ouvre donc droit à l’intervention d’un juge en appel, lorsqu’elle se fonde 1) sur un mauvais principe — d’où il suit qu’elle doit être correcte en ce qui concerne les questions de droit — ou 2) sur une mauvaise appréciation des faits — critère qui semble correspondre à celui de l’« erreur manifeste et dominante » de la norme Housen si cette mauvaise appréciation a eu pour effet d’entacher la décision d’une « erreur flagrante ».

[...]

[66] La Cour suprême a exposé dans l’arrêt Housen la norme de contrôle applicable aux décisions des juges de première instance. Elle y a notamment établi que la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait d’un juge de première instance est celle de l’erreur manifeste et dominante. Quant à la norme applicable aux questions de droit, et aux questions mixtes de fait et de droit lorsqu’il y a une question de droit isolable, la Cour suprême a conclu que c’est celle de la décision correcte.

[Référence omise.]

[33] SRY a demandé la production de documents de l’APVF et de DPW en vertu des articles 317 et 318 des Règles, qui sont formulés ainsi :




Matériel en la possession de l’office fédéral

317 (1) Toute partie peut demander la transmission des documents ou des éléments matériels pertinents quant à la demande, qu’elle n’a pas mais qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande, en signifiant à l’office une requête à cet effet puis en la déposant. La requête précise les documents ou les éléments matériels demandés.

Demande inclue dans l’avis de demande

(2) Un demandeur peut inclure sa demande de transmission de documents dans son avis de demande.

Signification de la demande de transmission

(3) Si le demandeur n’inclut pas sa demande de transmission de documents dans son avis de demande, il est tenu de signifier cette demande aux autres parties.

Documents à transmettre

318 (1) Dans les 20 jours suivant la signification de la demande de transmission visée à la règle 317, l’office fédéral transmet :

a) au greffe et à la partie qui en a fait la demande une copie certifiée conforme des documents en cause;

b) au greffe les documents qui ne se prêtent pas à la reproduction et les éléments matériels en cause.

Opposition de l’office fédéral

(2) Si l’office fédéral ou une partie s’opposent à la demande de transmission, ils informent par écrit toutes les parties et l’administrateur des motifs de leur opposition.

Directives de la Cour

(3) La Cour peut donner aux parties et à l’office fédéral des directives sur la façon de procéder pour présenter des observations au sujet d’une opposition à la demande de transmission.

Ordonnance

(4) La Cour peut, après avoir entendu les observations sur l’opposition, ordonner qu’une copie certifiée conforme ou l’original des documents ou que les éléments matériels soient transmis, en totalité ou en partie, au greffe.

Material from tribunal

317 (1) A party may request material relevant to an application that is in the possession of a tribunal whose order is the subject of the application and not in the possession of the party by serving on the tribunal and filing a written request, identifying the material requested.

 

Request in notice of application

(2) An applicant may include a request under subsection (1) in its notice of application.

Service of request

(3) If an applicant does not include a request under subsection (1) in its notice of application, the applicant shall serve the request on the other parties.

Materials to be transmitted

318 (1) Within 20 days after service of a request under rule 317, the tribunal shall transmit

(a) a certified copy of the requested material to the Registry and to the party making the request; or

(b) where the material cannot be reproduced, the original material to the Registry.

 

Objection by tribunal

(2) Where a tribunal or party objects to a request under rule 317, the tribunal or the party shall inform all parties and the Administrator, in writing, of the reasons for the objection.

Directions as to procedure

(3) The Court may give directions to the parties and to a tribunal as to the procedure for making submissions with respect to an objection under subsection (2).

Order

(4) The Court may, after hearing submissions with respect to an objection under subsection (2), order that a certified copy, or the original, of all or part of the material requested be forwarded to the Registry.

[34] La juge adjointe a énoncé une façon de procéder en ce qui a trait aux objections soulevées par l’APVF et DPW, comme le prévoit le paragraphe 318(3) des Règles. Je conviens que la juge adjointe n’a pas appliqué cette façon de faire lorsqu’elle a tranché la requête dont elle était saisie, et dans les circonstances de l’espèce, elle a ainsi manqué à l’équité procédurale.

[35] L’élément fondamental de l’équité procédurale réside dans la possibilité, pour la partie adverse, de connaître la preuve pesant « contre » elle et de se faire entendre. Je renvoie à l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), [2019] 1 RCF 121, dans lequel la Cour d’appel fédérale s’est exprimée en ces termes au paragraphe 56 :

[56] Peu importe la déférence qui est accordée aux tribunaux administratifs en ce qui concerne l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de faire des choix de procédure, la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre. [...]

[36] À mon avis, le même principe s’applique à une décision rendue par un officier de justice.

[37] En utilisant une façon de faire différente de celle énoncée dans l’ordonnance du 15 octobre 2021, la juge adjointe a porté atteinte au droit de DPW de connaître la preuve à réfuter.

[38] La juge adjointe a décrit une façon de faire, mais en a appliqué une autre. L’APVF et DPW ont eu l’occasion de présenter des observations, et l’ont fait de la façon énoncée dans l’ordonnance du 28 octobre 2021. Cependant, l’ordonnance que la juge adjointe a finalement prononcée ne s’appuyait pas sur cette façon de faire.

[39] À mon avis, la juge adjointe a commis une erreur de droit en établissant une façon de faire pour les parties, mais en rendant une décision fondée sur une autre façon de faire, à savoir en appliquant le critère à une requête en radiation. Ce critère est énoncé en ces termes dans l’arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc c Pharmacia Inc, [1995] 1 CF 588 (CA), à la page 600 :

Nous n’affirmons pas que la Cour n’a aucune compétence, soit de façon inhérente, soit par analogie avec d’autres règles en vertu de la Règle 5, pour rejeter sommairement un avis de requête qui est manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli. Ces cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis, où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l’avis de requête.

[40] Dans ses motifs, la juge adjointe a décrit la question soulevée par DPW dans son objection à la demande de production de documents comme une question de [traduction] « compétence ». Elle a ensuite appliqué le critère rigoureux visant à établir s’il est « évident et manifeste » que la demande de contrôle judiciaire n’a aucune chance d’être accueillie.

[41] Je souscris aux observations de DPW, appuyées par l’APVF, selon lesquelles la juge adjointe a commis une erreur de droit en appliquant ce critère, tandis que l’ordonnance du 15 octobre 2021 ne précisait pas que la requête de SRY serait tranchée en fonction de ce critère.

[42] L’application du mauvais critère juridique est une erreur de droit. Je renvoie à la décision Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 430, où la Cour a affirmé ceci :

[3] [...] La détermination du critère que doit appliquer la Section est une question de droit et la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

[43] Une erreur de droit justifie l’intervention de la Cour.

[44] Enfin, je me penche sur les arguments invoqués au sujet de l’erreur manifeste et dominante du fait que la juge adjointe n’aurait pas tenu compte des éléments de preuve présentés par les parties.

[45] Dans son long affidavit, M. Linden dresse l’historique des activités de SRY dans le port de Vancouver.

[46] Dans son affidavit, M. Dominguez a clairement affirmé que DPW est une entité commerciale agissant de manière indépendante de l’APVF, c’est-à-dire qu’elle n’agit pas à titre de mandataire.

[47] Dans son affidavit, M. Colin a déclaré que l’APVF n’avait pas désigné DPW pour la représenter.

[48] SRY n’a pas contre-interrogé les auteurs des affidavits qui ont été déposés au nom des deux défenderesses.

[49] Selon la décision Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CA), à la page 305, il existe une présomption selon laquelle le contenu d’un affidavit est vrai, à moins qu’il n’existe des raisons de douter de sa véracité.

[50] Les forces ou les faiblesses des témoignages par affidavit peuvent être vérifiées au moyen d’un contre-interrogatoire. L’article 83 des Règles est ainsi libellé :

Droit au contre-interrogatoire

83 Une partie peut contre-interroger l’auteur d’un affidavit qui a été signifié par une partie adverse dans le cadre d’une requête ou d’une demande.

Cross-examination on affidavits

83 A party to a motion or application may cross-examine the deponent of an affidavit served by an adverse party to the motion or application.

 

[51] SRY fait valoir qu’elle n’était pas tenue d’effectuer de contre-interrogatoires et s’appuie sur la décision SSE Holdings, LLC c Le Chic Shack Inc, 2020 CF 983 au paragraphe 58 :

[58] [...] Cependant, le défaut de procéder à un contre-interrogatoire ne veut pas dire que la Cour est tenue d’admettre la preuve d’un témoin sans réserve aucune, et cela ne confère pas par magie une valeur probante supplémentaire ou irréfutable à la preuve de ce témoin. Ce défaut n’a pas non plus pour effet d’améliorer ou d’amplifier le caractère suffisant de la preuve testimoniale fournie. La Cour doit quand même évaluer la preuve par affidavit afin d’en déterminer la valeur probante et la soupeser dans le contexte du reste des éléments de preuve versés au dossier. [Référence omise.]

[52] Je ne vois pas comment cette déclaration de principe à caractère général peut aider la demanderesse.

[53] Il n’en demeure pas moins que dans son avis de demande, au paragraphe 13, SRY énonce certaines allégations de fait en ces termes :

[traduction]

Pendant toute la période pertinente, DP World Logistics a établi et appliqué le tarif des services ferroviaires à titre de mandataire ou de représentante de l’APVF, conformément aux pouvoirs de fixation des droits que la Loi maritime du Canada confère à l’APVF. SRY ne connaît aucunement les conditions de toute entente entre l’APVF et DP World Logistics ayant pour objet de conférer à DP World Logistics le pouvoir de fixer le tarif des services ferroviaires et de l’imposer aux utilisateurs du port relativement à l’accès aux terres. SRY fournira d’autres détails sur les conditions d’ententes de cette nature au fur et à mesure qu’elle les découvrira.

[54] Les affidavits déposés par DPW et l’APVF répondent expressément à l’allégation selon laquelle DPW est [traduction] « mandataire » ou représentante de l’APVF. Cette allégation est réfutée.

[55] Compte tenu de cette réfutation, qui n’a pas été vérifiée au moyen d’un contre‐interrogatoire, j’estime que la juge adjointe a tiré des conclusions de fait sans égard à la preuve. Dans l’arrêt HL c Canada (Procureur général), [2005] 1 RCS 401 au paragraphe 55, la Cour suprême a formulé le commentaire suivant sur le pouvoir des cours d’appel à réviser les conclusions de fait :

[55] L’expression « erreur manifeste et dominante » décrit de manière à la fois élégante et colorée la norme bien établie et généralement applicable en appel à l’égard d’une conclusion de fait tirée lors du procès. Elle ne supplante cependant pas les autres formulations de la norme applicable. Par exemple, dans l’arrêt Housen, les juges majoritaires (au par. 22) et les juges minoritaires (au par. 103) ont convenu que les inférences de fait « manifestement erronée[s] » tirées au procès pouvaient être annulées en appel. Les deux expressions consacrent le même principe : une cour d’appel modifiera les conclusions de fait du juge de première instance seulement si elle peut relever clairement l’erreur alléguée et s’il est établi que cette erreur a joué dans la décision.

[56] Je suis convaincue qu’en ordonnant à DPW de produire certains documents, la juge adjointe a implicitement conclu qu’il s’agit d’un « conseil, bureau, commission ou autre organisme [de nature fédérale] » conformément à l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales, précitée.

[57] Cette conclusion est contraire aux éléments de preuve soumis par DPW et par l’APVF. Les motifs de la juge adjointe n’examinent pas les éléments de preuve présentés par les défenderesses au sujet d’un fait essentiel. Les défenderesses ont satisfait au critère à remplir pour démontrer que la juge adjointe a commis une « erreur manifeste et dominante ». Cette erreur constitue un autre motif d’accueillir l’appel interjeté par DPW.

[58] Par conséquent, l’appel sera accueilli, l’ordonnance rendue par la juge adjointe le 9 décembre 2022 sera annulée et des dépens seront adjugés aux défenderesses.

 


ORDONNANCE dans le dossier T-846-21

LA COUR ORDONNE QUE l’appel est accueilli, l’ordonnance rendue par la juge adjointe le 9 décembre 2022 est annulée et des dépens sont adjugés à DP World Logistics Canada Inc. et à l’Administration portuaire Vancouver Fraser.

Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur les dépens, de brèves observations peuvent être signifiées et déposées au plus tard le 29 septembre 2023.


« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-846-21

 

INTITULÉ :

SOUTHERN RAILWAY OF BRITISH COLUMBIA LIMITED c ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER FRASER ET DP WORLD LOGISTICS CANADA INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATES DE L’AUDIENCE :

LE 14 FÉVRIER 2023 ET LE 16 FÉVRIER 2023

MOTIFS ET ORDONNANCE

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS ET DE L’ORDONNANCE :

LE 14 AOÛT 2023

COMPARUTIONS :

Dionysios (Dino) Rossi et

Braeden Stang

 

POUR LA DEMANDERESSE

George J. Roper

POUR LA DÉFENDERESSE

ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER FRASER

 

Peter Swanson

 

POUR LA DÉFENDERESSE

DP WORLD LOGISTICS CANADA INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais, S.E.N.C.R.L, s.r.l.

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Owen Bird Law Corporation

POUR LA DÉFENDERESSE

ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER FRASER

 

Bernard LLP

 

POUR LA DÉFENDERESSE

DP WORLD LOGISTICS CANADA INC.

 

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