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Date : 20230811


Dossier : IMM-3511-22

Référence : 2023 CF 1097

Ottawa (Ontario), le 11 août 2023

En présence de monsieur le juge Régimbald

ENTRE :

SAMIRA MAMLOUK

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Samira Mamlouk, est une citoyenne du Liban de 65 ans qui a fait une demande d’asile alors qu’elle visitait ses filles au Canada. Celle-ci allègue craindre d’être persécutée sur la base de menaces reçues par son époux, un journaliste connu au Liban qui aurait écrit un projet d’article où il critiquait le Hezbollah, le Mouvement Amal et leurs actions au Liban.

[2] Le 24 mars 2022, la Section d’appel des réfugiés [SAR] a rejeté l’appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] ayant conclu que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugiée au sens de la Convention, ni de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. À l’instar de la SPR, la SAR a conclu au manque de crédibilité de la demanderesse.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Compte tenu des conclusions de la SAR, du droit applicable, de la preuve et des arguments qui lui ont été présentés, je ne vois aucune raison d’infirmer la décision de la SAR [Décision]. La demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve et n’a pas démontré que sa crainte de persécution en lien avec la situation de son mari était crédible.

[4] La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II. Faits

[5] La demanderesse est une citoyenne libanaise qui a quatre enfants, dont deux filles qui vivent au Canada et qui y ont obtenu le statut de réfugié. Son époux, Najib Jezzini, est un journaliste et écrivain connu au Liban.

[6] En septembre 2019, l’époux de la demanderesse écrivait un projet d’article à être publié dans un journal libanais dans lequel il critiquait le Hezbollah, le Mouvement Amal et leurs actions au Liban. Il a présenté son projet à un ami pour obtenir son opinion et en janvier 2020, il aurait été attaqué, battu et menacé près de son domicile.

[7] Suite à cette attaque, l’époux de la demanderesse communiqua avec celle-ci qui était alors au Canada pour visiter ses filles afin de l’aviser de ne pas revenir au Liban. Craignant d’être persécutée sur la base des menaces reçues par son époux, lesquelles visaient également les membres de sa famille, la demanderesse fit alors une demande d’asile au Canada le 4 mars 2020.

A. Décision de la SPR

[8] La demande d’asile a été rejetée le 29 octobre 2021 sur la base que la demanderesse n’était pas crédible puisqu’il existait plusieurs contradictions dans son récit. De plus, elle n’avait pas établi un risque prospectif.

[9] La SPR a conclu qu’il n’était pas clair à quel moment la demanderesse avait été informée de l’attaque subie par son mari. Bien que l’information fournie dans son Formulaire de Demande d’Asile [FDA] à l’effet que son mari aurait été attaqué dans la première semaine de janvier 2020 soit conforme à l’information contenue dans le rapport de police indiquant qu’il a été attaqué le 6 janvier 2020, son témoignage devant la SPR était tout autre.

[10] En effet, devant la SPR, elle a indiqué que l’incident s’était produit le 20 décembre 2019, et lorsque le Commissaire lui a demandé la date à laquelle son mari aurait contacté sa fille pour l’en informer, elle a précisé qu’il l’avait téléphonée le 17 novembre 2019. La SPR a donc tiré une inférence négative au niveau de la crédibilité de la demanderesse à cause de ces contradictions, ce qui leur était loisible dans les circonstances.

[11] La SPR a également conclu que le rapport de police produit en preuve était contradictoire puisque les agents de persécution de son mari n’y sont pas mentionnés, alors que la demanderesse a écrit dans son FDA que l’un des assaillants était un certain Murtada, qui était connu de son mari. La SPR a rejeté l’explication de la demanderesse selon laquelle son mari avait craint de révéler cette information aux policiers par crainte du Hezbollah et n’a ainsi accordé aucune valeur probante au rapport de police ni au rapport médical. La SPR a également reproché à la demanderesse de ne pas avoir produit un témoignage de son mari.

[12] Elle a également conclu qu’il n’existait pas de risque prospectif pour la demanderesse, car son mari ainsi que son fils et l’une de ses filles continuent de vivre au Liban et n’ont jamais été contactés par le Hezbollah, démontrant ainsi une absence d’intérêts de la part de cette organisation.

B. Décision de la SAR

[13] La SAR a confirmé la décision de la SPR à l’effet que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[14] À l’instar de la SPR, la SAR a conclu qu’il y avait une contradiction entre les affirmations de la demanderesse à l’effet que son mari lui a indiqué le nom de l’un de ses attaquants, mais ne l’a pas dit à la police, ce qui mine sa crédibilité.

[15] La SAR a également conclu qu’il y avait des contradictions quant à savoir comment la demanderesse avait appris que son mari avait été victime d’une attaque. En effet, elle avait écrit dans son FDA que son mari l’avait appelée et avait demandé à sa fille de s’assurer qu’elle ne retourne pas au Liban, alors que devant la SPR elle a témoigné que son mari avait appelé sa fille, minant ainsi sa crédibilité à nouveau.

[16] La SAR a également conclu que la preuve était incohérente quant à la date des évènements subis par son mari et le moment où il en a informé sa fille. La SAR a rejeté l’explication de la demanderesse à l’effet qu’elle n’était pas présente lors de ces évènements.

[17] La SAR a également indiqué que la conclusion de la SPR de ne pas accorder de valeur probante au rapport de police et au rapport médical était correcte, car ces documents ne révèlent pas l’identité des agents de persécution.

III. Question en litige et norme de contrôle

[18] Dans le cadre de sa demande, la demanderesse ne soulève qu’une seule question : La décision de la SAR quant à sa crédibilité est-elle déraisonnable?

[19] La norme de contrôle applicable aux conclusions de la SAR sur la crédibilité et l’évaluation de la preuve est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 16–17, 23–25; Adeniji-Adele c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 418 au para 11; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 807 aux para 16–17). Ainsi, selon cette norme, il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov au para 100).

IV. Analyse

A. La décision est raisonnable

[20] La demanderesse plaide que malgré le fait que les conclusions de la SAR portent sur sa crédibilité, lesquelles justifient normalement la déférence, la Cour ne devrait pas hésiter à intervenir dans les cas d’erreurs manifestes tel qu’en l’espèce (Martinez Giron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 7 [Martinez Giron] au para 15)

[21] Pour sa part, le défendeur soumet que les conclusions de la SAR sont raisonnables vu l’absence de crédibilité de la demanderesse sur plusieurs éléments centraux de sa demande. En effet, la SAR a constaté plusieurs omissions, contradictions et incohérences au sujet de l’identité de l’agent de persécution, de la connaissance des éléments fondamentaux reliés à sa crainte et des dates importantes reliées à l’incident allégué.

[22] Je suis d’accord avec le défendeur. Les contradictions et omissions dans la preuve de la demanderesse suffisaient pour douter de sa crédibilité. Je m’explique.

(1) Le fardeau de preuve, la crédibilité et l’invraisemblance

[23] Dans une demande d’asile, il incombe au demandeur de « convaincre » le décideur (normalement la SPR) que sa demande et ses allégations sont crédibles. Il appartient ensuite à la SPR de conclure si la demande est crédible ou non. En effet, la SPR est souvent « la mieux placée pour apprécier la qualité d’un témoignage puisque c’est elle qui l’entend » (Eloi c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 213 [Eloi] au para 21; voir aussi Cerra Gomez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1233 au para 37; Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 [Lawani] au para 22; Soorasingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 691 au para 23; Jin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 595 au para 10).

[24] Pour évaluer la crédibilité d’un demandeur, La SPR doit tenir compte de l’ensemble des éléments de preuve qu’elle possède. La juge en chef adjointe Gagné précisait dans la décision Li c Canada, 2018 CF 877 :

[29] Premièrement, je suis d’accord avec les conclusions de notre Cour selon lesquelles il est « permis à la SPR d’évaluer la sincérité d’un demandeur et, par conséquent, la demande d’asile sur place de celui-ci au regard des préoccupations relatives à la crédibilité se rapportant à l’authenticité initiale d’une demande d’asile » (Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 5, au paragraphe 23). À mon avis, ce serait une erreur d’exiger de la SPR et de la SAR d’analyser chaque question soulevée par un demandeur d’asile, sans égard à la crédibilité des éléments de preuve qu’il a déposés à l’appui d’une autre question. Une évaluation de la crédibilité exige généralement de tenir compte de l’ensemble des éléments de preuve, et une conclusion défavorable relative à la crédibilité est susceptible de vicier tous les aspects de la demande.

[25] Il existe toutefois une présomption selon laquelle les allégations d’un demandeur sont vraies, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter (Maldonado c Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 FC 302 (CAF); Sary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 178 aux para 17–23).

[26] Bien qu’un témoignage ne puisse habituellement pas être rejeté seulement sur la base d’un manque de preuves corroboratives, de telles preuves sont utiles pour établir la crédibilité d’un demandeur. Le juge Blanchard concluait ainsi dans la décision Nageswararajah v MCI, 2001 CFPI 473 :

[24] J’accepte l’argument selon lequel notre Cour a statué que la SSR peut commettre une erreur lorsqu’elle exige des preuves corroborantes pour étayer le témoignage non contredit d’un demandeur. Toutefois, dans les circonstances de l’espèce, vu les problèmes de crédibilité des demandeurs, je suis d’avis que ce principe ne s’applique pas. La SSR a souligné les nombreux éléments de preuve documentaires et corroborants que lui ont présentés les demandeurs pour les années antérieures. Étant donné les problèmes de crédibilité qu’elle a exposés, il était loisible à la SSR de tirer une conclusion défavorable du fait que les demandeurs n’avaient pas produit de tels éléments de preuve.

[27] D’ailleurs, le juge Leblanc le rappelle dans la décision Eloi au paragraphe 21:

[…] Il est bien établi également que l’accumulation d’omissions et de contradictions dans le récit étayant une demande d’asile peut légitimement servir de fondement à une conclusion négative quant à la crédibilité du demandeur d’asile, tout comme elle peut légitimement justifier, selon les circonstances de chaque cas, que peu de poids soit accordé à la preuve documentaire se voulant corroborative dudit récit (Quintero Cienfuegos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1262 au para 1; Lawal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 558 au para 25; Obinna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1152 au para 31).

[28] En l’espèce, la demanderesse plaide que la SPR et la SAR ont décidé que son récit est invraisemblable. Ce n’est pas le cas.

[29] Afin de tirer une conclusion d’invraisemblance, la SPR doit faire preuve d’une grande rigueur. En effet, celle-ci ne devrait conclure à l’invraisemblance d’un témoignage que dans « les cas les plus évidents » (Jele c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 24 aux para 29–34 citant Valtchev c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2001 CFPI 776 [Valtchev] au para 7).

[30] En effet, dans Valtchev (voir aussi Lawani au para 26), le juge Muldoon précisait :

[6] Le tribunal a fait allusion au principe posé dans l’arrêt Maldonado c. M.E.I., [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), à la page 305, suivant lequel lorsqu’un revendicateur du statut de réfugié affirme la véracité de certaines allégations, ces allégations sont présumées véridiques sauf s’il existe des raisons de douter de leur véracité. […]

[7] Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est‑à‑dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON, Butterworths, 1992) à la page 8.22].

[8] Dans le jugement Leung c. M.E.I., (1994), 81 F.T.R. 303 (C.F. 1re inst.), voici ce que le juge en chef adjoint Jerome déclare à la page 307 :

[14] [...] Néanmoins, la Commission est clairement tenue de justifier ses conclusions sur la crédibilité en faisant expressément et clairement état des éléments de preuve.

[15] Cette obligation devient particulièrement importante dans des cas tels que l’espèce où la Commission a fondé sa conclusion de non-crédibilité sur des « invraisemblances » présumées dans les histoires des demanderesses plutôt que sur des inconsistances [sic] et des contradictions internes dans leur récit ou dans leur comportement lors de leur témoignage. Les conclusions d’invraisemblance sont en soi des évaluations subjectives qui dépendent largement de l’idée que les membres individuels de la Commission se font de ce qui constitue un comportement sensé. En conséquence, on peut évaluer l’à-propos d’une décision particulière seulement si la décision de la Commission relève clairement tous les faits qui sous-tendent ses conclusions [...]. La Commission aura donc tort de ne pas faire état des éléments de preuve pertinents qui pourraient éventuellement réfuter ses conclusions d’invraisemblance.

[En gras dans la décision du juge Muldoon.]

[31] Ainsi, la Cour ne peut tirer de telles conclusions que dans les cas où il est clairement invraisemblable que les faits se soient produits comme le témoin le prétend, à la lumière du bon sens ou du dossier de la preuve (Aguilar Zacarias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1155 [Aguilar Zacarias] au para 10).

[32] Il est d’ailleurs important de rappeler que la cour de révision doit accorder une certaine déférence lorsqu’elle est appelée à juger de la raisonnabilité d’une conclusion de crédibilité faite par le tribunal administratif qui a entendu la preuve (Eloi au para 21; Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 57 au para 15; Zuniga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 634 au para 13; Quintero Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 491 au para 12; Profète c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1165 au para 11).

[33] De plus, en ce qui concerne les conclusions d’invraisemblances, le juge Mosley a précisé dans Santos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 937 :

[15] Il est évident que les conclusions sur la vraisemblance sont assujetties au même critère de retenue que les conclusions sur la crédibilité, soit la norme de la décision manifestement déraisonnable : voir Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.). Cependant, comme la Cour l’a souligné dans Valtchev, les conclusions sur la vraisemblance reposent sur un raisonnement distinct de celui des conclusions sur la crédibilité et peuvent être influencées par des présomptions culturelles ou des perceptions erronées. En conséquence, les conclusions d'invraisemblance doivent être fondées sur une preuve claire et un raisonnement clair à l’appui des déductions de la Commission et devraient faire état des éléments de preuve pertinents qui pourraient réfuter lesdites conclusions. Il convient de conserver à l’esprit les mises en garde exposées dans Valtchev et dans Leung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 81 F.T.R. 303, lors de la révision des conclusions sur la vraisemblance.

[34] Tel que précisé dans Aguilar Zacarias, « la Commission peut conclure qu’une affirmation est invraisemblable si cette affirmation est dénuée de sens à la lumière de la preuve déposée ou si (pour emprunter la formule utilisée par le juge Muldoon dans la décision Valtchev) “ les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ” » (au para 11).

[35] En l’espèce, ni la SAR ni la SPR n’ont tiré une conclusion d’invraisemblance. Elles ont uniquement conclu que la demanderesse n’était pas crédible, sans ajouter que le récit de la demanderesse était invraisemblable.

(2) Rapport de police et rapport médical

[36] La demanderesse reproche à la SAR de n’avoir accordé aucune crédibilité au rapport de police et au rapport médical et d’avoir seulement retenu les conclusions relatives à l’identité de l’agent de persécution, à la manière dont elle a appris la situation vécue par son mari et la date de l’incident.

[37] La SAR a conclu que ces deux documents n’aidaient pas à établir l’identité des agents de persécution, leur association avec le Hezbollah ou avec le Mouvement Amal.

[38] Je conclus que la décision de la SAR n’est pas déraisonnable à cet égard.

[39] Le rapport de police précise :

Objet:

Plainte depos[é]e contre des personnes ayant frapp[é] le journaliste Najib El Jezzini, lui ayant nui et l’ayant insult[é].

Le lundi, six janvier deux mille vingt, a H [sic] h, moi l’adjudant Marwan Zeaiter no 42602, officier judiciaire assistant M. le procureur g[é]n[é]ral d’appel de Beyrouth relevant du peloton et en uniforme militaire, certifie que pendant que j’[é]tais aux quartiers-g[é]n[é]raux du peloton, en tant que d[é]l[é]gu[é]e a l’enqu[ê]te, M. Najib El Jezzini n[é] en 1952, de nationalit[é] libanaise a comparu devant nous et d[é]pos[é] plainte contre trois personnes d’identit[é] inconnue qui l’ont pass[é] [à] tabac et menac[é]. Sur ce, nous avons inform[é] le commandant du peloton qui nous a ordonn[é] d’effectuer ce qui est exig[é] par la loi et mener l’enqu[ê]te.

[…]

Q.R : Je ne les connais pas auparavant. Je leur ai dit « Qui [ê]tes-vous ? Qui vous a envoy[é]s ? » et l’un d’eux m’a r[é]pondu : « Je sais au sujet de qui tu [é]cris. Pour que tu ne perdes pas ta fa[m]ille et les mains, ne prends pas [à] partie tes maitres ».

(Page 103 du dossier certifié du tribunal.)

[40] Le rapport médical est daté du 6 janvier 2020. Bien que la lecture ne soit pas claire, le rapport semble indiquer que le mari de la demanderesse a été examiné pour blessures subies aux voies oculaires et que le certificat médical a été remis aux autorités responsables.

[41] Ces rapports n’offrent aucune information additionnelle pertinente. Au contraire, le rapport de police contredit le témoignage de la demanderesse qui a précisé lors de l’audience que son mari avait été attaqué le 20 décembre 2019, alors que sur le rapport de police il est inscrit que l’attaque a eu lieu le 6 janvier 2020.

[42] La SAR n’a pas omis d’apprécier la preuve en l’espèce. La SAR pouvait raisonnablement ne pas accorder de valeur probante aux évaluations ou aux rapports fondés sur des éléments sous-jacents jugés non crédibles (Lawani au para 34). Cette conclusion est raisonnable à la lumière de ces deux éléments de preuve fournis.

[43] Le rapport de police et le rapport médical ne sont pas suffisants pour dissiper les doutes importants quant à la crédibilité du témoignage. Il est important de noter que les éléments de preuve présentés par la demanderesse ne sont pas appréciés indépendamment de la demande d’asile dans son ensemble. Dans la mesure où le témoignage de la demanderesse et les éléments de preuve personnels présentés ne sont pas crédibles, il est raisonnable pour la SAR de douter de la crédibilité de la preuve documentaire présentée à l’appui de la demande, surtout lorsque cette preuve documentaire n’est pas compatible avec les renseignements contenus dans le FDA (Ogaulu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 547 [Ogaulu] au para 26).

(3) Identité des persécuteurs

[44] Quant à l’identité des persécuteurs, la demanderesse soutient que la conclusion de la SAR à ce sujet est spéculative, ne tient pas en compte la réalité libanaise considérant le pouvoir exercé par le Hezbollah et le Mouvement Amal au sein du pays. Elle soutient qu’il était normal que son mari ait peur de révéler le nom d’un de ses assaillants par crainte de plus grandes représailles et que par conséquent la conclusion qu’il existait une contradiction entre son témoignage et le rapport de police n’est pas raisonnable.

[45] Elle ajoute également que selon la jurisprudence de la Cour, les conclusions d’invraisemblance ne doivent être tirées que dans les cas les plus évidents et ne pas reposer sur de simples conjectures. Selon elle, les conclusions relatives à l’invraisemblance tirées par la SAR sont donc déraisonnables parce qu’elles ne sont pas fondées sur la preuve, mais plutôt sur des conjectures et sur une mauvaise compréhension de la preuve, ce qui est contraire à la décision Martinez Giron.

[46] De plus, la demanderesse soutient qu’en vertu de la décision Mejia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 434, la SAR avait l’obligation de considérer les explications qu’elle a fournies pour expliquer cette contradiction puisque celles-ci n’étaient pas manifestement invraisemblables. La SAR devait formuler des motifs « en termes clairs et explicites » afin de rejeter ces explications au regard de la preuve dont elle dispose.

[47] D’abord, comme expliqué plus haut, ni la SPR ni la SAR n’ont tiré une conclusion d’invraisemblance. La jurisprudence citée par la demanderesse sur la question d’invraisemblance ne peut lui venir en aide. La SPR et la SAR ont plutôt tiré une inférence négative en raison de son manque de crédibilité, et elles étaient en droit de le faire.

[48] Ensuite, la SAR a précisé dans ses conclusions que l’explication que la demanderesse a fournie n’était pas raisonnable, car son mari a demandé l’aide de la police et leur a donné l’ordre « d’[é]tablir une d[é]p[ê]che au peloton des enqu[ê]tes centrales, de mettre sur pied une patrouille d’enqu[ê]te, de recueillir des informations concernant l’incident, de le notifier de tout nouveau concernant ce sujet et de garder le proc[è]s-verbal ouvert. Son ordre a [é]t[é] ex[é]cut[é]. » Le fait pour le mari de demander l’aide de la police afin de le protéger, tout en omettant de divulguer précisément qui l’a attaqué (sous prétexte que l’assaillant est lié au Hezbollah, et selon lui par ricochet à la police), n’est pas crédible. Au contraire, si le mari croyait que l’assaillant était lié au Hezbollah (et à la police), il n’aurait tout simplement pas divulgué l’attaque, de peur de représailles additionnelles de l’assaillant et de la police.

[49] Contrairement aux prétentions de la demanderesse, la SAR a donc fourni des explications claires et intelligibles. En effet, la SAR a précisé que cette explication ne supportait pas une conclusion que son mari était au courant de l’identité de l’agent principal de persécution, mais avait peur de le révéler.

[50] D’ailleurs, la SAR a conclu que l’identité de l’agent de persécution et son association avec le Mouvement Amal et/ou Hezbollah étaient centrales à la demande de la demanderesse, ce qui affectait donc sa crédibilité. Cette conclusion est raisonnable.

[51] Enfin, la SPR et la SAR pouvaient raisonnablement ne pas retenir l’explication proposée par la demanderesse à savoir pourquoi son mari n’aurait pas divulgué l’identité de son assaillant à la police (par crainte du Hezbollah). D’abord, faute de témoignage ou d’une preuve du mari, il s’agit de ouï-dire. Ensuite, la SPR et la SAR pouvaient raisonnablement conclure au manque de crédibilité de la demanderesse puisqu’il était déraisonnable pour son mari de demander l’aide et la protection de la police, tout en omettant de leur divulguer le nom de la personne dont il avait peur.

(4) Preuve de zèle

[52] La demanderesse soutient également que la SAR a fait preuve de zèle et s’est attardée à des divergences sans importance eu égard à la manière qu’elle a appris la situation de son mari. Selon la demanderesse, il ne s’agit que d’une erreur de bonne foi ne pouvant permettre de conclure au manque de crédibilité.

[53] Sur ce point, je suis d’accord avec la demanderesse. Le fait que son mari l’ait appelée elle directement ou qu’il ait appelé sa fille en premier pour la mettre au courant ne change pas l’histoire. Par contre, bien que la SAR ait commis une erreur sur ce point, l’erreur n’est pas suffisamment importante pour permettre l’intervention de la Cour.

[54] Il est important de comprendre que dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il faut regarder la décision dans son ensemble et s’assurer que le raisonnement sur lequel s’est fondé le décideur est à la fois rationnel et logique. Par contre, il faut se rappeler que « le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas “ une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur ” » (Vavilov au para 102 citant Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34 au para 54, citant Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 14).

[55] Ainsi, la Cour de révision doit « être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale; elle doit être convaincue qu’“ [un] mode d’analyse, dans les motifs avancés [. . .] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait ” » (Vavilov au para 102 citant Barreau du Nouveau-Brunswick c Ryan, 2003 CSC 20 au para 55; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Southam Inc, [1997] 1 RCS 748 au para 56).

[56] En l’espèce, l’erreur de la SAR sur cette question n’entraîne pas la déraisonnabilité de la Décision dans son ensemble. L’erreur en question ne soulève pas une lacune grave au point où la Décision dans son ensemble ne satisfait pas aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence, et qu’elle est déraisonnable.

[57] La lacune commise en question par la SAR est superficielle. Il s’agit d’une erreur mineure qui n’entache pas l’ensemble de la décision. En fait, l’erreur de la SAR n’est pas « suffisamment capitale ou importante pour rendre [la Décision] déraisonnable » (Vavilov au para 100).

(5) Date de l’évènement

[58] La demanderesse soutient que bien qu’elle ait commis une erreur sur la date de l’incident vécu par son mari pendant son témoignage, le tribunal devrait se fier à la date inscrite sur le rapport de police et sur le rapport médical. Elle soutient que ces éléments de preuve « dont l’authenticité n’a pas été attaquée » devraient être considérés à leur juste valeur par la SAR plutôt que d’être disqualifiés en raison de ce qu’ils ne disent pas, soit le nom des persécuteurs ou celui de leurs organisations.

[59] Dans son FDA, la demanderesse indique que son mari a été attaqué après une semaine au début de janvier 2020. Toutefois, lors de son témoignage, elle a indiqué que l’attaque est survenue vers le 20 décembre 2019. Elle a ensuite dit que son mari avait appelé sa fille pour l’informer de cette situation le 17 novembre 2019, soit une date précédant les deux autres dates.

[60] La SAR a précisé comprendre que la demanderesse n’avait pas elle-même vécu les évènements, mais que ce n’était pas une raison qui expliquait l’inconsistance dans les dates. La SAR a précisé que le rapport de police indiquant que l’évènement avait eu lieu le 6 janvier 2020 ou encore le rapport médical n’aidaient pas à expliquer ces inconsistances.

[61] D’ailleurs, et comme précisé par la SAR dans sa Décision, la date de l’attaque vécue par le mari de la demanderesse a donné lieu à la demande d’asile. Il ne s’agit donc pas d’un détail sans importance.

[62] En effet, la conclusion de la juge McDonald dans la décision Alhossiny c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 520 est pertinente en l’espèce :

[26] La présente affaire se distingue de l’affaire Cetinkaya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 8 [Cetinkaya], dans le cadre de laquelle la Cour a conclu que le fait de « [mettre] en doute la crédibilité du demandeur simplement parce que les renseignements qu’il a fournis lors de l’entrevue au point d’entrée ne sont pas détaillés » constituerait une erreur susceptible de contrôle (au para 51). La date de l’attaque, qui a donné lieu à la demande d’asile, n’est pas un détail sans importance, mais constitue le fondement de la demande d’asile des demandeurs.

[27] Comme la Cour l’a expliqué dans la décision Guven c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 38, les contradictions entre la déclaration au point d’entrée et un témoignage ultérieur peuvent fonder les conclusions en matière de crédibilité lorsque « ces contradictions concernent les “éléments centraux” de la demande d’un demandeur » (au para 39). Selon moi, l’incapacité de préciser la date de l’attaque constitue un élément central de la demande des demandeurs.

[Je souligne.]

[63] Une conclusion négative sur sa crédibilité était donc raisonnable, puisque cette omission touchait le cœur même de la demande d’asile (Ogaulu au para 20).

[64] En somme, toutes les conclusions de la SAR portent sur la crédibilité de la demanderesse, et comme indiqué dans la décision Mohamed c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 657 aux paragraphes 33 et 37, la Cour ne peut pondérer à nouveau la preuve et les arguments de la demanderesse pour intervenir :

[33] La SAR a examiné les explications fournies par les demandeurs pour justifier ces incohérences, mais elle les a jugées insatisfaisantes. Les demandeurs répètent essentiellement les mêmes explications devant cette Cour. Il était loisible à la SAR de conclure que ces incohérences mettaient en doute cet événement clé dans la chronologie des persécutions alléguées, il s’agit, pour Mme Ahmed, d’une erreur de plusieurs mois au sujet d’un évènement déterminant de son récit.

[…]

[37] Les demandeurs ont simplement réitéré l’explication fournie à la SAR et rejetée par celle-ci. Ils n’ont pas identifié d’erreur révisable dans les motifs invoqués par la SAR pour rejeter cette tentative de justifier leur départ tardif.

[Je souligne.]

[65] Comme précisé dans Lawani, la Cour de révision ne peut substituer son propre point de vue à une issue préférable. Il suffit que les motifs permettent à la Cour de comprendre le fondement de la décision, ce qui est le cas en l’espèce :

[16] Sur de telles questions de crédibilité et de vraisemblance, la cour de révision ne peut ni substituer son propre point de vue quant à une issue préférable ni procéder à une nouvelle pondération de la preuve (Khosa, au para 59; Diallo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1062, au para 30). La Cour ne doit pas intervenir dans la décision de la SPR tant que le tribunal est parvenu à une conclusion qui est transparente, justifiable, intelligible et qui fait partie « des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au para 47). Il suffit que les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables ». (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], au para 16).

V. Conclusion

[66] La décision de la SAR est raisonnable et justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci.

[67] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les motifs de la SAR sur la crédibilité de la demanderesse sont suffisamment détaillés et possèdent les qualités qui rendent son raisonnement logique et cohérent eu égard aux contraintes juridiques et factuelles pertinentes. Il n’existe donc aucun motif justifiant l’intervention de la Cour.

[68] Les parties n’ont pas soulevé de question à certifier. Je suis d’accord qu’aucune ne se pose en l’espèce.


JUGEMENT au dossier IMM-3511-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Guy Régimbald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3511-22

 

INTITULÉ :

SAMIRA MAMLOUK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL, QUÉBEC

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 JUIN 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE Régimbald

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 AOÛT 2023

 

COMPARUTIONS :

Jacques Beauchemin

POUR LA DEMANDERESSE

 

Meriem Barhoumi

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jacques Beauchemin

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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