Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230818


Dossier : T-1401-22

Référence : 2023 CF 1119

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 août 2023

En présence de monsieur le juge Régimbald

ENTRE :

EHSAN ZABIHISEASAN

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Ehsan Zabihiseasan, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le général Wayne Eyre, chef d’état-major de la Défense [le CEMD], à titre d’autorité de dernière instance [l’ADI] des Forces armées canadiennes [les FAC], a confirmé la libération des FAC du demandeur au titre de la catégorie de libération 5f) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes [les ORFC].

[2] La libération du demandeur découle d’une allégation d’agression sexuelle ayant mené à un examen administratif régi par la Directive et ordonnance administrative de la défense 5019‐2, Examen administratif [la DOAD 5019‐2], ainsi que d’une plainte subséquente de harcèlement sexuel ayant mené à une deuxième enquête [l’enquête sur le harcèlement], distincte de la première, au titre de la DOAD 5012‐0, Prévention et résolution du harcèlement [la DOAD 5012‐0]. À la suite de l’examen administratif et de l’enquête sur le harcèlement, le directeur – Administration (Carrières militaires) [le DACM], dont le rôle est de déterminer si un membre demeure apte au service dans les FAC, a conclu que le demandeur devait être libéré des FAC. Le demandeur a ensuite déposé un grief pour contester sa libération. Son grief s’est rendu jusqu’à l’ADI, qui a confirmé sa libération.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Contexte

[4] Le demandeur est un immigrant iranien de première génération. Il s’est enrôlé dans les FAC le 27 février 2017 afin d’apporter sa contribution à la société canadienne. Il a terminé son cours Qualification militaire de base le 26 mai 2017 et a été affecté au Centre d’instruction de la 3e Division du Canada à Wainwright, en Alberta.

[5] Le ou vers le 26 juin 2017, le demandeur aurait agressé sexuellement un autre membre des FAC [la plaignante]. La plaignante allègue qu’il l’a embrassée et retenue sans son consentement et malgré son refus persistant. Cet incident a mené à trois procédures distinctes : i) des accusations criminelles ont été déposées contre le demandeur, ii) un examen administratif a été entrepris au titre de la DOAD 5019‐2, iii) la plaignante a déposé une plainte officielle de harcèlement sexuel, ce qui a entraîné la tenue d’une enquête sur le harcèlement au titre de la DOAD 5012‐0.

[6] Le 5 juillet 2017, le demandeur a été arrêté puis accusé d’agression sexuelle en application de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N‐5 [la LDN], et de l’article 271 du Code criminel, LRC 1985, c C‐46. Il a été remis en liberté sous certaines conditions le lendemain. En mai 2018, les accusations criminelles ont été retirées puisqu’il n’existait aucune perspective raisonnable d’obtenir une déclaration de culpabilité.

[7] Les accusations criminelles et les allégations ont mené à la tenue d’un examen administratif au titre de la DOAD 5019‐2. L’examen administratif a été lancé par le commandant du demandeur en décembre 2017, avant que les accusations criminelles ne soient retirées, et a été mené par le DACM, dont le rôle est de déterminer si le membre demeure apte au service dans les FAC.

[8] En avril 2018, le demandeur a été affecté au 3e Bataillon, Princess Patricia’s Light Infantry, à Edmonton, en Alberta. Un nouveau commandant, le lieutenant-colonel Prohar, venait d’arriver en poste.

[9] Les accusations criminelles ont été retirées, je le répète, en mai 2018. Par conséquent, en juin 2018, le lieutenant-colonel Prohar a informé le demandeur que les conditions de sa mise en liberté imposées après son arrestation en juillet 2017 avaient été levées.

[10] Le demandeur affirme que le lieutenant-colonel Prohar l’a informé par écrit que toutes les enquêtes en lien avec l’incident étaient dorénavant closes et qu’aucune autre mesure disciplinaire ne lui serait imposée. Ce n’est pas tout à fait exact. Dans sa lettre, le lieutenant-colonel Prohar indique seulement que les conditions de mise en liberté en lien avec l’arrestation du demandeur (et les accusations criminelles qui s’en sont suivies) ont été levées :

[traduction]

Retrait des conditions de mise en liberté – Soldat Ehsan Zabihiseasan 00010‐01 INFMN

Références : A. ORFC 110.04(1)

...

1. L’affaire disciplinaire en lien avec la référence B a été entièrement réglée. Toutes les conditions de mise en liberté imposées au soldat E. Zabihiseasan doivent être immédiatement retirées.

2. Si vous avez des questions au sujet de cette affaire, veuillez communiquer avec mon capitaine-adjudant, [nom omis], au RCCC 528‐5103.

(signé par D. D. Prohar)

[11] En juin 2018, après le retrait des accusations criminelles, la plaignante a déposé une plainte officielle de harcèlement, ce qui a mené à l’enquête sur le harcèlement. Le commandant de la plaignante, le lieutenant-colonel Roy, a mené l’enquête au titre de la DOAD 5012‐0. Il s’agissait d’une enquête indépendante. Le lieutenant-colonel Roy a envoyé une lettre au demandeur pour l’informer de la plainte de harcèlement et pour lui donner la possibilité de répondre aux allégations.

[12] Par conséquent, à compter de juin 2018, deux procédures distinctes ont été menées simultanément en lien avec les actes allégués de harcèlement sexuel du demandeur à l’endroit de la plaignante : i) l’examen administratif du DACM mené au titre de la DOAD 5019‐2; ii) l’enquête sur le harcèlement qui a été déclenchée par le dépôt d’une plainte par la plaignante et menée par le lieutenant-colonel Roy au titre de la DOAD 5012‐0. Comme je l’ai déjà mentionné, les accusations criminelles avaient été retirées.

[13] En juillet 2018, le demandeur a répondu au lieutenant-colonel Roy et aux allégations de harcèlement sexuel en affirmant que celles-ci étaient fausses et fondées sur la race. Puisque j’y reviendrai plus loin dans mes motifs, il est pertinent de mentionner que, dans sa réponse, le demandeur n’a pas contesté le pouvoir du lieutenant-colonel Roy de mener l’enquête sur le harcèlement au titre de la DOAD 5012‐0 à titre d’« agent responsable ».

[14] En octobre 2018, le lieutenant-colonel Roy a embauché Mme Jennifer White, une enquêteuse en milieu de travail avec une grande expérience, pour poursuivre l’enquête sur le harcèlement, interroger les témoins et préparer un rapport.

[15] Mme White a interrogé la plaignante, qui a affirmé que le demandeur l’avait embrassée sans son consentement et l’avait retenue pendant qu’il tentait de la peloter, ce qui constituait une agression sexuelle. Mme White a aussi interrogé le demandeur, qui a nié les allégations. De plus, Mme White a interrogé quatre témoins qui avaient tous reçu des messages de la plaignante ou vu la plaignante et le demandeur dans la salle commune le soir de l’incident (mais qui n’étaient pas des témoins directs de l’agression alléguée).

[16] Le 7 décembre 2018, Mme White a présenté la version provisoire de son rapport d’enquête sur le harcèlement [le rapport d’enquête provisoire] et en a envoyé une copie au demandeur afin qu’il puisse présenter ses observations à l’égard du contenu. Le rapport d’enquête provisoire contenait un résumé de la plainte de harcèlement, une description des allégations, ainsi que des renseignements sur le contexte de l’affaire et la preuve fournie par la plaignante, le demandeur et les témoins. Le rapport contenait également la contre-preuve de la plaignante et du demandeur ainsi qu’une analyse de la preuve en lien avec la crédibilité des allégations.

[17] Le cadre de référence de l’enquête, la plainte de harcèlement de la plaignante, datée du 18 juin 2018, et la réponse du demandeur à la plainte, datée du 9 juillet 2018, étaient annexés au rapport d’enquête provisoire.

[18] Le 19 décembre 2018, le DACM a présenté un premier résumé de l’examen administratif mené au titre de la DOAD 5019‐2. Le résumé précisait que, à ce stade de l’examen, le DACM était d’avis que, selon la prépondérance des probabilités, il était plus probable qu’improbable que le demandeur ait agressé la victime et que trois issues étaient possibles : 1) la libération des FAC au titre de la catégorie de libération 2a) des ORFC; 2) la libération des FAC au titre de la catégorie 5f) des ORFC; 3) le maintien en service dans les FAC et l’imposition de mesures correctives.

[19] Il est important de préciser que l’examen administratif était distinct de l’enquête sur le harcèlement, bien que les deux procédures aient été menées simultanément. En outre, le rapport d’enquête provisoire, envoyé au demandeur le 7 décembre 2018 pour qu’il donne ses commentaires, n’a été envoyé au DACM qu’après la publication de son premier résumé de l’examen administratif, qui a été envoyé au demandeur le 19 décembre 2018 pour qu’il donne ses commentaires.

[20] Le demandeur a répondu au rapport d’enquête provisoire de Mme White et au premier résumé de l’examen administratif du DACM par l’entremise de son avocat (dossier certifié du tribunal, aux pp 424‐425). Le demandeur a soutenu que les allégations n’étaient pas fiables et que la libération des FAC constituait une mesure corrective disproportionnée dans le contexte de la plainte portant sur des allégations de harcèlement sexuel.

[21] Le 15 janvier 2019, après avoir examiné diverses déclarations de témoins, Mme White a présenté la version définitive de son rapport d’enquête sur le harcèlement [le rapport d’enquête définitif], dans lequel elle a conclu que l’incident s’était produit et constituait du harcèlement, en contravention de la DOAD 5012‐0.

[22] Le demandeur a répondu au rapport d’enquête définitif et a soutenu qu’il était innocent, que le rapport présentait des incohérences et que les allégations de la plaignante étaient fondées sur la race.

[23] Le ou vers le 1er février 2019, à la suite du dépôt du rapport d’enquête définitif de Mme White, le lieutenant-colonel Roy, qui avait ouvert l’enquête sur le harcèlement et retenu les services de Mme White pour qu’elle mène l’enquête et produise un rapport, a présenté sa lettre de clôture de la plainte de harcèlement sexuel. Le lieutenant-colonel Roy était convaincu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur avait harcelé la plaignante. Cependant, il n’a pas recommandé la libération du demandeur des FAC. Il a recommandé que le rapport d’enquête définitif soit transmis au DACM pour qu’il soit pris en compte dans le cadre de l’examen administratif en cours.

[24] Le 7 février 2019, le DACM a présenté un deuxième résumé de l’examen administratif dans lequel il a confirmé l’opinion qu’il avait initialement exprimée en décembre 2018 et conclu que le demandeur devrait être libéré des FAC au titre de la catégorie 5f) des ORFC. Au terme de l’examen administratif, le DACM a conclu que le demandeur avait agressé la plaignante et que l’agression était de nature sexuelle. Par conséquent, le demandeur avait contrevenu à la DOAD 5019‐5, Inconduite sexuelle et troubles sexuels (remplacée par la DOAD 9005‐1, Intervention sur l’inconduite sexuelle) [la DOAD 5019‐5].

[25] Le 22 mai 2019, le DACM a rendu sa décision au terme de l’examen administratif et a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la version des faits donnée par la plaignante était plus plausible que celle du demandeur. Après avoir soupesé les facteurs aggravants et atténuants, le DACM a ordonné que le demandeur soit libéré des FAC au titre de la catégorie de libération 5f) des ORFC.

A. Dépôt d’un grief auprès de l’autorité initiale et examen par l’autorité de dernière instance

[26] Aux termes du paragraphe 29(1) de la LDN, le demandeur, à titre de membre des FAC, a le droit de déposer un grief s’il s’estime lésé par une décision, un acte ou une omission dans les affaires des FAC et qu’aucun autre recours de réparation ne lui est ouvert sous le régime de la LDN.

[27] Le grief est d’abord soumis à l’autorité initiale [l’AI], qui effectue l’examen de premier niveau. L’ADI est le CEMD ou son délégué. Elle examine la décision de l’AI lorsqu’un plaignant n’en est pas satisfait.

[28] Dans certains cas et suivant l’article 29.16 de la LDN, l’ADI soumet le grief au Comité externe d’examen des griefs militaires [le CEEGM]. Le CEEGM est une entité juridique externe et indépendante chargée, en vertu de la LDN, d’enquêter sur les griefs soumis par le CEMD et de les examiner. Le CEMD n’est pas lié par les conclusions et les recommandations du CEEGM, mais il doit motiver sa décision s’il s’en écarte (art 29.13, 29.16(1), 29.2 de la LDN; Higgins c Canada (Procureur général), 2016 CF 32 [Higgins] aux para 19-20).

[29] Suivant l’article 29.15 de la LDN, les décisions de l’ADI sont définitives et exécutoires, sous réserve du contrôle judiciaire (Higgins, au para 20).

[30] Le ou vers le 19 juin 2019, le demandeur a présenté un grief pour contester la décision rendue par le DACM au terme de l’examen administratif, conformément à la LDN, au chapitre 7 (Griefs) des ORFC et à la DOAD 2017‐1, Processus de grief militaire [la DOAD 2017‐1].

[31] À l’appui de son grief, le demandeur a fait valoir que la preuve offerte par les témoins comportait des incohérences, que la plaignante n’était pas fiable et que la libération au titre de la catégorie 5f) des ORFC était une mesure disproportionnée. Il a aussi soutenu que la plaignante était motivée par le racisme ou avait des préjugés contre sa culture.

(1) Décision de l’autorité initiale

[32] Le 17 janvier 2020, la décision de libérer le demandeur a été confirmée. Le brigadier‐général Thomson, à titre d’AI, a conclu que la décision rendue par le DACM au terme de l’examen administratif était raisonnable.

[33] Le brigadier-général Thomson a indiqué qu’un militaire des FAC qui se livre à une inconduite sexuelle est passible de mesures administratives, y compris la libération, puisqu’un tel comportement détruit les valeurs sociales et militaires de base au sein des FAC. Il a ensuite conclu que la libération était raisonnable et proportionnelle à l’inconduite puisque les gestes posés par le demandeur le soir du 26 juin 2017 donnaient une piètre image des FAC et avaient laissé une empreinte durable sur la plaignante.

[34] Sur la question des motifs prétendument racistes de la plainte, le brigadier‐général Thomson a reconnu que la plaignante avait en effet tenu des propos désobligeants par message texte à la suite de l’incident. Toutefois, il a conclu que ceux-ci pouvaient s’expliquer par le fait qu’elle était sous le coup de l’émotion après l’inconduite. Il n’y avait donc aucune preuve pour appuyer l’allégation de racisme présentée par le demandeur.

[35] Dans son analyse, le brigadier-général Thomson a soupesé la preuve et a jugé que l’évocation systématique par la plaignante, durant son entretien, de détails de la nuit du 26 juin 2017 faisant appel aux sens était éloquente.

[36] Le brigadier-général Thomson a également indiqué dans sa décision que la catégorie de libération 5f) des ORFC était celle qui justifiait le mieux la libération du demandeur.

(2) Décision de l’autorité de dernière instance

[37] En février 2020, le demandeur a demandé que son grief soit transmis à l’Autorité des griefs des Forces canadiennes pour examen par l’ADI.

[38] Le 19 février 2020, l’ADI a renvoyé le grief devant le CEEGM. En mars 2021, le CEEGM a recommandé à l’ADI de ne pas accueillir le grief et a conclu que l’examen administratif était juste, puisque les éléments de preuve étayaient l’allégation selon laquelle le demandeur avait commis une inconduite sexuelle. En réponse à la recommandation du CEEGM de rejeter le grief, le demandeur a fait valoir qu’il n’avait fait l’objet d’aucune autre plainte depuis l’inconduite alléguée et a reconnu que l’inconduite sexuelle n’avait pas sa place au sein des FAC.

[39] Le 14 avril 2022, l’ADI a souscrit à l’analyse du CEEGM et a rendu sa décision, rejetant le grief du demandeur.

[40] Après avoir procédé à un examen de novo du dossier du demandeur, l’ADI a indiqué qu’elle avait [traduction] « examiné les conclusions et les recommandations du [CEEGM] » et que son analyse était [traduction] « approfondie et complète » et « t[enait] compte de toutes les questions soulevées dans [le grief] ». L’ADI a jugé que le demandeur avait été traité de manière équitable conformément aux règles, aux règlements et aux politiques applicables et qu’elle ne pouvait par conséquent pas lui accorder la réparation demandée.

[41] Pour arriver à cette conclusion, l’ADI a notamment tenu compte du récit troublant de la plaignante sur la façon dont le demandeur l’avait agressée, ainsi que du rapport d’enquête définitif. L’ADI a précisé qu’elle avait accordé une grande importance au rapport d’enquête définitif, en raison de la vaste expérience de l’enquêteuse. L’ADI a estimé que la preuve contenue dans ce rapport était suffisamment convaincante pour lui permettre de conclure que le demandeur avait, selon la prépondérance des probabilités, commis une inconduite sexuelle.

[42] L’ADI a tenu compte des articles 3.1 et 3.5 de la DOAD 5019‐5 pour conclure qu’un membre qui se livre à une inconduite sexuelle est passible d’une mesure administrative, y compris la libération. L’ADI a également pris en compte le fait que le demandeur n’était membre des FAC que depuis environ trois mois et qu’il avait signé une déclaration reconnaissant qu’il avait lu la politique de son unité en matière de harcèlement et d’inconduite sexuelle un mois seulement avant l’incident.

[43] L’ADI a estimé que la libération du demandeur des FAC était une mesure appropriée étant donné que le demandeur avait commis une inconduite sexuelle en violation des normes de conduite et d’éthique, notamment la DOAD 5019‐5 et le Code de valeurs et d’éthique. L’ADI a également fait remarquer qu’au lieu de porter la mention « destitué ignominieusement pour inconduite » ou « libéré pour inconduite », mentions qui ont toujours été attribuées aux personnes libérées pour cause d’inconduite sexuelle au sein de la CAF, l’état de service du demandeur au titre de la catégorie 5f) des ORFC ne portait que la mention « libéré honorablement ».

[44] La mention « libéré honorablement » s’applique à la libération des membres qui, en raison de facteurs en leur contrôle, manifestent des lacunes personnelles ou un comportement qui compromettent grandement leur utilité pour les FAC. En l’espèce, l’ADI a conclu que la conduite du demandeur compromettait grandement son utilité pour les FAC, car il avait violé les politiques des FAC et contrevenu au Code de valeurs et d’éthique.

[45] L’ADI a, en outre, conclu que le comportement prétendument raciste de la plaignante n’était pas un facteur atténuant, d’autant plus que l’allégation de racisme avait été formulée après l’inconduite. Néanmoins, l’ADI a fait mention, à la fin de sa décision, de ses réserves concernant les éléments de preuve témoignant d’un comportement raciste chez la plaignante et a indiqué qu’ils seraient traités séparément.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[46] Le demandeur soulève deux questions dans le cadre du contrôle judiciaire :

  1. L’ADI a-t-elle violé son droit à l’équité procédurale?
  2. La décision de l’ADI est-elle raisonnable?

[47] Le défendeur soulève la question préliminaire de l’admissibilité de l’affidavit du demandeur.

[48] Comme la Cour d’appel fédérale l’a affirmé récemment au paragraphe 5 de l’arrêt Caron c Canada (Procureur général), 2022 CAF 196, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique aux allégations de manquement à l’équité procédurale : « Lorsqu’elle entreprend une analyse relative à l’équité procédurale, [la] Cour doit établir quelles sont les procédures et les garanties requises et, si celles-ci n’ont pas été respectées, elle doit intervenir » (voir aussi Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [Canadien Pacifique] aux para 33‐34).

[49] Comme la Cour d’appel fédérale l’a réitéré au paragraphe 54 de l’arrêt Canadien Pacifique, le rôle de la cour de révision saisie de questions d’équité procédurale consiste simplement à se demander si la procédure suivie était équitable eu égard aux circonstances particulières de l’affaire : « la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre » (au para 56).

[50] Sur la question de la norme de contrôle applicable au fond de la décision de l’ADI, les deux parties conviennent qu’il s’agit de la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 23). Comme la Cour suprême du Canada l’a affirmé dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 :

[28] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour statue que « [l]e contrôle selon la norme de la décision raisonnable vise à donner effet à l’intention du législateur de confier certaines décisions à un organisme administratif, tout en exerçant la fonction constitutionnelle du contrôle judiciaire qui vise à s’assurer que l’exercice du pouvoir étatique est assujetti à la primauté du droit » (par. 82). La Cour affirme qu’« il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique » (par. 86 (en italiques dans l’original)).

[51] Dans l’arrêt Walsh c Canada (Procureur général), 2016 CAF 157 [Walsh], qui portait sur une décision du CEMD de libérer un membre des FAC, la Cour d’appel fédérale a souscrit aux remarques suivantes du juge de Montigny :

[14] [...]

L’autorité de dernière instance jouit d’une grande latitude lorsqu’elle se penche et se prononce sur des griefs, particulièrement lorsqu’elle établit les mesures de redressement appropriées dans les circonstances, en raison de sa connaissance approfondie du milieu et des activités militaires. Il faut faire preuve d’une grande retenue judiciaire à l’égard de ce genre de décisions et je ne suis pas convaincu que la mesure choisie (la libération au lieu de la mise en garde et surveillance) n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

[52] Le contexte de l’instance dans laquelle une décision a été rendue est également important pour comprendre les motifs du décideur et déterminer si la décision est raisonnable. Les observations des parties devant le décideur sont particulièrement importantes (Vavilov, aux para 94, 106, 127, 128). La partie adverse peut avoir fait une concession qui a mené le décideur à trancher une question, ou ne pas avoir présenté un argument, ce qui explique pourquoi le décideur est resté silencieux sur une question. En fait, « [c]ela peut expliquer un aspect du raisonnement du décideur qui ne ressort pas à l’évidence des motifs eux‐mêmes; cela peut aussi révéler que ce qui semble être une lacune des motifs ne constitue pas [...] un manque de justification, d’intelligibilité ou de transparence » (Vavilov, au para 94).

[53] En outre, il est important de mentionner que, en règle générale, de nouveaux arguments ne peuvent pas être présentés à la cour de révision. Dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 [Alberta Teachers], la Cour suprême du Canada a statué :

A. Contrôle judiciaire relatif à un point non soulevé devant le tribunal administratif

[22] L’ATA a demandé le contrôle judiciaire de la décision de la déléguée. Elle n’avait invoqué l’inobservation du délai ni devant le commissaire ni devant sa déléguée. Elle ne l’a même pas fait dans l’avis introductif d’instance en contrôle judiciaire, invoquant la question pour la première fois en plaidoirie. L’ATA pouvait certainement demander le contrôle judiciaire, mais elle ne pouvait contraindre la cour à examiner la question. Tout comme elle jouit du pouvoir discrétionnaire de refuser d’entreprendre un contrôle judiciaire lorsque, par exemple, il existe un autre recours approprié, une cour de justice peut également, à son gré, ne pas se saisir d’une question soulevée pour la première fois dans le cadre du contrôle judiciaire lorsqu’il lui paraît inopportun de le faire. Voir, p. ex., Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, le juge en chef Lamer, par. 30 : « [L]a réparation qu’une cour de justice peut accorder dans le cadre du contrôle judiciaire est essentiellement discrétionnaire. Ce principe [général de longue date] découle du fait que les brefs de prérogative sont des recours extraordinaires [et discrétionnaires]. »

[23] En règle générale, dans une instance en contrôle judiciaire, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas exercé au bénéfice du demandeur lorsque la question en litige aurait pu être soulevée devant le tribunal administratif mais qu’elle ne l’a pas été (Toussaint c. Conseil canadien des relations du travail (1993), 160 N.R. 396 (C.A.F.), par. 5, citant Poirier c. Canada (Ministre des Affaires des anciens combattants), [1989] 3 C.F. 233 (C.A.), p. 247; Bande indienne de Shubenacadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1998] 2 C.F. 198 (1re inst.), par. 40‐43; Legal Oil & Gas Ltd. c. Surface Rights Board, 2001 ABCA 160, 303 A.R. 8, par. 12; United Nurses of Alberta, Local 160 c. Chinook Regional Health Authority, 2002 ABCA 246, 317 A.R. 385, par. 4).

[24] Un certain nombre de considérations justifient cette règle générale, l’une des principales étant que le législateur a confié au tribunal administratif la tâche de trancher la question (Legal Oil & Gas Ltd., par. 12‐13). Comme l’explique notre Cour dans Dunsmuir, « les cours de justice doivent tenir compte de la nécessité [...] d’éviter toute immixtion injustifiée dans l’exercice de fonctions administratives en certaines matières déterminées par le législateur » (par. 27). La cour de justice doit donc respecter le choix du législateur de désigner le tribunal administratif comme décideur de première instance et laisser à ce tribunal administratif la possibilité de se pencher le premier sur la question et de faire connaître son avis.

[25] Le principe vaut particulièrement lorsque la question soulevée pour la première fois lors du contrôle judiciaire a trait au domaine d’expertise du tribunal administratif et à ses attributions spécialisées. La Cour doit alors être bien consciente que si elle accepte de se pencher sur la question, elle le fera sans pouvoir connaître l’opinion du tribunal administratif. (Voir Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, [2007] 1 R.C.S. 650, par. 89, la juge Abella.)

[26] Qui plus est, soumettre une question pour la première fois lors du contrôle judiciaire peut porter indûment préjudice à la partie adverse et priver la cour de justice des éléments de preuve nécessaires pour trancher (Waters c. British Columbia (Director of Employment Standards), 2004 BCSC 1570, 40 C.L.R. (3d) 84, par. 31 et 37, citant Alberta c. Nilsson, 2002 ABCA 283, 320 A.R. 88, par. 172, et J. Sopinka et M. A. Gelowitz, The Conduct of an Appeal (2e éd. 2000), p. 63‐68; A.C. Concrete Forming Ltd. c. Residential Low Rise Forming Contractors Assn. of Metropolitan Toronto and Vicinity, 2009 ONCA 292, 306 D.L.R. (4th) 251, par. 10 (la juge Gillese)).

[Non souligné dans l’original.]

[54] Dans l’arrêt Sigma Risk Management Inc c Canada (Procureur général), 2022 CAF 88, la Cour d’appel fédérale a récemment statué que la cour de révision ne devrait pas entendre de nouveaux arguments qui auraient dû être présentés et examinés en premier lieu par le décideur administratif :

[6] Sigma critique le fait que Travaux publics a attendu le 25 janvier 2021 pour l’informer de son droit de déposer une plainte auprès du Tribunal. Elle n’a toutefois pas invoqué cet argument devant le Tribunal. Cet élément suffit à lui seul pour statuer sur l’argument, car une cour de révision répugne, dans une instance en contrôle judiciaire, à entendre de nouveaux arguments qui auraient pu être présentés au décideur administratif, mais qui ne l’ont pas été : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, par. 23.

[55] Comme je le mentionne plus loin, le demandeur s’appuie sur de nouveaux éléments de preuve et de nouveaux arguments qui n’ont jamais été présentés à l’AI ou à l’ADI dans le cadre de la procédure de règlement du grief, pas plus qu’ils n’ont été présentés à titre d’observations dans le cadre des autres procédures qui visaient le demandeur. Pour les motifs qui suivent, le fait de soulever ces questions pour la première fois dans le cadre d’un contrôle judiciaire prive la Cour du dossier de preuve adéquat dont elle a besoin. En outre, dans certains cas, les arguments sont directement liés à la nature spécialisée de la procédure de règlement des griefs et des procédures disciplinaires des FAC. Le fait de soulever de nouveaux arguments sur ces questions spécialisées à ce stade empêche la Cour de bénéficier de l’avis de l’AI et de l’ADI sur ces questions, dont elle devrait pouvoir bénéficier dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

IV. Question préliminaire – l’admissibilité de l’affidavit du demandeur

A. Contenu de l’affidavit

[56] Le demandeur a déposé un affidavit qui contient divers nouveaux éléments de preuve, allégations et arguments. Le demandeur a l’intention de s’appuyer sur ces nouveaux éléments de preuve pour présenter, dans le cadre du contrôle judiciaire, de nouveaux arguments qui n’ont pas été présentés à l’AI ou à l’ADI dans le cadre de leur processus décisionnel.

[57] Le défendeur s’oppose à l’admissibilité de l’affidavit.

[58] Dans son affidavit, le demandeur énonce ce qui suit :

  1. Le demandeur n’a pas été en mesure de trouver le contrat entre Whiteworks Solutions Inc. [Whiteworks], l’entreprise engagée par le lieutenant-colonel Roy pour mener l’enquête sur le harcèlement, et le gouvernement du Canada, le ministère de la Défense nationale ou les FAC par l’entremise des sites Web du gouvernement du Canada. Il a présenté une demande d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels [AIPRP], mais n’a jamais pu obtenir le contrat (paragraphes 7‐8 de l’affidavit).
  2. D’après une recherche dans les répertoires d’entreprises, Whiteworks n’est pas une société qui mène des enquêtes ou qui effectue du travail juridique. Il s’agit d’une société qui appartient depuis 2009 à une certaine Jennifer White et qui fournit des services de camionnage (paragraphe 9 de l’affidavit).
  3. En septembre 2018, juste avant que Mme White ne soit engagée pour mener l’enquête sur le harcèlement, son curriculum vitæ a été modifié pour indiquer que la société Jennifer White Professional Corporation fait maintenant affaire sous le nom de Whiteworks Solutions Inc. (paragraphe 10 de l’affidavit).
  4. Le 24 juillet 2019, soit après que le demandeur eut officiellement déposé un grief et une demande d’injonction, qui a par la suite été retirée, Mme White aurait demandé la dissolution de Whiteworks (paragraphe 11 de l’affidavit).
  5. Un code inscrit dans le cadre de référence de l’enquête, annexé au rapport d’enquête provisoire, indique que le commandant du Régiment des transmissions interarmées des Forces armées canadiennes, à savoir le commandant de la plaignante, avait autorisé le paiement du service. Le demandeur déclare en outre que, conformément à la politique des FAC, la délégation financière du commandant est fixée à 5 000 $ pour l’achat de biens et de services et que des contrats semblables visant des enquêtes sur le harcèlement dans la fonction publique ont coûté plus de 20 000 $ (paragraphe 12 de l’affidavit).
  6. Les déclarations faites par la plaignante et par d’autres personnes dans le rapport d’enquête sur le harcèlement, ainsi que la description détaillée de l’incident allégué, sont incohérentes. Le demandeur affirme qu’il aurait été physiquement impossible d’agir de la manière alléguée par la plaignante (paragraphe 14 de l’affidavit).
  7. Le rapport d’enquête s’appuie sur des déclarations du major Brennan, qui a porté plainte contre le général Vance pour inconduite sexuelle (paragraphe 15 de l’affidavit).
  8. Les messages textes échangés entre la plaignante et les témoins avant et après l’incident allégué, qui auraient montré qu’il y avait peut-être eu collusion, n’ont pas été conservés (paragraphe 16 de l’affidavit).
  9. Dans une lettre datée du 11 juin 2018, le commandant du demandeur, le lieutenant-colonel Prohar, qui avait le pouvoir de mettre fin à l’enquête, a indiqué que l’affaire était entièrement réglée et close (paragraphe 18 de l’affidavit).
  10. Le ou vers le 1er février 2019, le demandeur a reçu une lettre du lieutenant-colonel Roy recommandant des mesures correctives, notamment la participation à un cours portant sur le respect au sein des FAC, le passage en revue de la DOAD 5019‐5 et la présentation d’excuses à la plaignante. Le demandeur s’attendait à de telles mesures, mais pas à faire l’objet d’une enquête plus approfondie en vue d’une éventuelle libération (paragraphe 19 de l’affidavit).
  11. Le lieutenant-colonel Roy n’avait pas le pouvoir d’annuler la décision du lieutenant-colonel Prohar (paragraphe 20 de l’affidavit).
  12. Bien qu’il nie avoir commis l’inconduite, le demandeur estime que les mesures correctives recommandées le lieutenant-colonel Roy auraient dû être mises en œuvre, car elles cadraient davantage avec l’inconduite alléguée (affidavit au para 21).

B. Arguments du défendeur portant sur l’admissibilité de l’affidavit

[59] Le défendeur s’oppose à l’admissibilité de l’affidavit du demandeur. Le défendeur fait valoir que, dans son affidavit, le demandeur soulève des arguments alambiqués et essentiellement conjecturaux selon lesquels l’examen administratif et l’enquête sur le harcèlement avaient été menés incorrectement et que les FAC avaient retenu à tort les services d’une enquêteuse qui devait forcément avoir fait preuve de partialité puisqu’elle dirigeait en fait une entreprise de camionnage.

[60] Le défendeur soutient que l’affidavit est inapproprié dans le cadre du contrôle judiciaire (Wojcik c Canada (Procureur général), 2020 CF 958 aux para 21-28; Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [Access Copyright]) et qu’il présente de nouveaux éléments de preuve qui n’ont pas été soumis au décideur, mais qui auraient pu l’être. En outre, le défendeur soutient que, dans la mesure où la preuve est nouvelle, elle ne respecte pas les quatre principes énoncés dans l’arrêt Palmer c La Reine, 1979 CanLII 8 (CSC), [1980] 1 RCS 759 [Palmer].

[61] Le défendeur fait également valoir que les éléments de preuve contenus dans l’affidavit ne sont pas fiables, car les allégations sont très peu détaillées (dates et noms des sites Web consultés, date de la demande d’AIPRP, etc.). Par exemple, le défendeur indique que la pièce F de l’affidavit du demandeur, soit les registres d’entreprise de Whiteworks Solutions, Inc., est trompeuse et peu fiable, car elle contient des documents trouvés en ligne, mais qui ne sont pas tirés des répertoires des entreprises.

[62] Le défendeur ajoute que la plupart des nouveaux éléments de preuve, comme ceux qui se rapportent à la procédure de passation des marchés, ne sont pas pertinents dans le contexte de l’inconduite sexuelle du demandeur et de la procédure administrative qui a suivi. Par exemple, il n’est pas allégué que l’enquêteuse est incompétente. De plus, si le demandeur avait des réserves quant à la manière dont l’enquêteuse a été engagée, il aurait pu les soulever lorsque le cadre de référence ainsi que les rapports d’enquête provisoire et définitif lui ont été fournis. Le demandeur aurait également pu présenter des arguments sur la question devant l’AI.

[63] Le défendeur soutient en outre que l’affidavit du demandeur met indûment de l’avant certains arguments, notamment en ce qui concerne : i) le pouvoir des FAC de retenir et de payer les services d’un enquêteur en matière de harcèlement; ii) la fiabilité du rapport d’enquête définitif; iii) les mesures correctives appropriées en réponse à la conclusion d’inconduite sexuelle; et iv) les allégations vagues et non étayées de préjudice à l’égard des perspectives de carrière du demandeur. Le défendeur soutient que l’affidavit du demandeur n’est pas conforme à l’article 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‐106 [les Règles], et ne respecte pas l’objectif général de la preuve par affidavit, qui est de présenter des faits pertinents quant au litige sans commentaires ou explications (voir Canada (Procureur général) c Quadrini, 2010 CAF 47 [Quadrini] au para 18).

C. Analyse

[64] En règle générale, le dossier de preuve dont dispose la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire se limite à celui dont était saisi le décideur. Au paragraphe 20 de l’arrêt Access Copyright, le juge Stratas a relevé trois exceptions qui permettent à la Cour d’admettre des éléments de preuve par affidavit dans le cadre d’un contrôle judiciaire :

a) Parfois, notre Cour admettra en preuve un affidavit qui contient des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire. On doit s’assurer que l’affidavit ne va pas plus loin en fournissant des éléments de preuve se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le tribunal administratif, au risque de s’immiscer dans le rôle que joue le tribunal administratif en tant que juge des faits et juge du fond. [...]

b) Parfois les affidavits sont nécessaires pour porter à l’attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif, permettant ainsi à la juridiction de révision de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale. Ainsi, si l’on découvrait qu’une des parties a versé un pot-de-vin au tribunal administratif, on pourrait soumettre à notre Cour des éléments de preuve relatifs à ce pot-de-vin pour appuyer un argument fondé sur l’existence d’un parti pris.

c) Parfois, un affidavit est admis en preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire pour faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée.

[Renvois omis.]

[65] De plus, les éléments de preuve fournis par affidavit dans le cadre d’un contrôle judiciaire sont soumis à des règles précises. Comme l’a déclaré le juge Gascon récemment au paragraphe 39 de la décision Choudhry c Procureur général du Canada, 2023 CF 1085 [Choudhry] :

[traduction]

[...] L’article 81 des Règles prévoit que les faits allégués contenus dans un affidavit se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle et doivent être présentés « sans commentaires ni explications » (Canada (Procureur général) c Quadrini, 2010 CAF 47 [Quadrini] au para 18). Par ailleurs, la Cour peut radier ou écarter des affidavits ou des parties de ceux-ci lorsqu’ils sont abusifs ou n’ont clairement aucune pertinence ou lorsqu’ils renferment une opinion, des arguments ou des conclusions de droit (Quadrini, au para 18; Cadostin c Canada (Procureur général), 2020 CF 183 [Cadostin] au para 36). La règle générale est la suivante : un témoin profane ne peut fournir un témoignage d’opinion; il ne peut témoigner que sur les faits relevant de ses connaissances, de ses observations et de son expérience (White Burgess Langille Inman c Abbott and Haliburton Co, 2015 CSC 23 [White Burgess] au para 14; Toronto Real Estate Board c Commissaire de la concurrence, 2017 CAF 236 au para 78). La principale raison pour exclure le témoignage d’opinion d’un témoin profane est qu’il n’est généralement pas utile au décideur et peut l’induire en erreur (White Burgess, au para 14). [...]

[66] En l’espèce, le demandeur semble vouloir inclure de nouveaux éléments de preuve pour faire valoir un manquement à l’équité procédurale ou une crainte raisonnable de partialité. Les nouveaux éléments de preuve pourraient être visés par une des exceptions dont il est question dans l’arrêt Access Copyright. Toutefois, au paragraphe 26 l’arrêt Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, la Cour d’appel fédérale a affirmé que si le demandeur a eu la possibilité de soulever la question de l’équité procédurale devant le décideur, il ne peut pas la soulever pour la première fois dans le cadre du contrôle judiciaire (voir aussi Choudhry, au para 41). Pour les raisons qui suivent, la Cour ne tiendra pas compte de certains des éléments de preuve par affidavit ou des nouveaux arguments soulevés par le demandeur (Alberta Teachers, aux para 25‐26).

[67] Par ailleurs, il ne fait aucun doute que certains paragraphes de l’affidavit du demandeur renferment des opinions, des arguments et des conclusions de droit inadmissibles sur des questions dont la Cour est saisie et dépassent le cadre des exceptions mentionnées précédemment en ce qui concerne l’admissibilité de la preuve. Les paragraphes en question n’ont pas été correctement inclus dans l’affidavit du demandeur et ne peuvent pas être pris en compte par la Cour dans le présent jugement.

[68] Aucune des exceptions prévues à la règle générale selon laquelle le contrôle judiciaire doit être tranché en fonction du dossier dont disposait le décideur ne s’applique à ces paragraphes. L’affidavit met de l’avant des arguments par rapport à des éléments de preuve qui figuraient déjà au dossier, mais pour lesquels le demandeur soulève des questions qu’il n’a pas soulevées avant le présent contrôle judiciaire.

[69] En effet, le demandeur était en possession de la plupart des éléments de preuve inclus dans l’affidavit avant que la décision contestée ne soit prise. La preuve n’est pas « nouvelle » en ce sens qu’elle faisait partie du dossier devant l’AI et l’ADI. Le demandeur n’a jamais soulevé devant l’AI et l’ADI les questions relatives à l’équité procédurale ou à la partialité qu’il soulève maintenant dans son affidavit, bien qu’il ait eu la possibilité de fournir des éléments de preuve additionnels et de présenter ses nouveaux arguments à l’époque.

[70] Plus important encore, les nouveaux arguments nécessitent des éléments de preuve qui n’ont pas été présentés avant la demande de contrôle judiciaire en l’espèce. La Cour aurait également pu bénéficier de l’expertise du décideur en ce qui concerne certains des éléments de preuve et arguments maintenant soulevés et des éléments de preuve que le défendeur aurait pu présenter pour y répondre.

[71] Bien que l’affidavit contienne quelques [traduction] « nouveaux éléments de preuve », ceux-ci auraient pu être obtenus et présentés avant la procédure de règlement des griefs. De plus, les éléments de preuve dans leur ensemble ne sont pas suffisamment pertinents, décisifs, fiables ou plausibles dans le contexte du présent contrôle judiciaire (Palmer, à la p 775).

[72] Dans une telle situation, la Cour a le pouvoir de radier les paragraphes contestés ou de ne leur accorder aucun poids ni aucune valeur probante (Choudhry, au para 41, citant CBS Canada Holdings Co c Canada, 2017 CAF 65 au para 17; Cadostin c Canada (Procureur général), 2020 CF 183 au para 36; Abi‐Mansour c Canada (Procureur général), 2015 CF 882 aux para 30‐31). Comme il est impossible, en l’espèce, d’exiger du demandeur qu’il dépose un nouvel affidavit, la Cour ne radiera pas l’affidavit puisqu’il contient des renseignements admissibles. J’exercerai donc mon pouvoir discrétionnaire de ne pas accorder de poids ou de valeur probante aux renseignements inadmissibles dans l’affidavit, sans radier l’affidavit (Choudhry, au para 44, citant Zurita Vallejos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 289 aux para 16‐17). Quoi qu’il en soit, la preuve produite ne suffit pas à démontrer un manquement à l’équité procédurale ou une crainte raisonnable de partialité.

[73] Par conséquent, en se basant sur les principes énoncés précédemment, la Cour statue que les paragraphes 1 à 6, 17, 19 et 22 à 24 de l’affidavit du demandeur contiennent des éléments de preuve admissibles. Tous les autres paragraphes ne sont pas admissibles parce qu’ils contiennent des éléments de preuve qui n’ont pas été présentés au décideur, soulèvent de nouveaux arguments qui auraient dû être présentés à l’AI ou à l’ADI, contiennent des opinions, des arguments ou des conclusions de droit, et ne sont pas fiables, décisifs ou importants dans le cadre du contrôle judiciaire.

V. Équité procédurale

A. Position des parties

(1) Position du demandeur

[74] Le demandeur avance que les facteurs bien connus énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, n’ont pas été respectés. Comme il fallait aussi déterminer en l’espèce si le demandeur serait en mesure de poursuivre une carrière au sein de la GRC ou d’autres organismes publics, le processus applicable aurait dû, selon lui, s’apparenter au processus judiciaire. En d’autres mots, puisque la décision aurait des répercussions importantes sur les perspectives de carrière du demandeur, le décideur aurait dû être plus prudent.

[75] Le demandeur soutient qu’il s’attendait légitimement à ce que la décision du lieutenant-colonel Prohar soit définitive. Comme sa décision aurait été annulée par le lieutenant-colonel Roy, un officier de même grade, le demandeur estime qu’il s’agit d’une action motivée par des considérations politiques.

[76] En effet, il fait valoir que l’enquête sur le harcèlement n’a pas été lancée par son commandant (le lieutenant-colonel Prohar), mais par le commandant de la plaignante (le lieutenant-colonel Roy), qui a agi en dehors du cadre de ses pouvoirs en retenant lui-même les services d’une enquêteuse, en lui donnant un mandat et en autorisant le paiement des services contractés. Le demandeur fait observer à cet égard que le lieutenant-colonel Prohar, dont il relevait à l’époque, avait décidé de ne pas poursuivre l’enquête. Par conséquent, à titre de commandant de même grade, le lieutenant-colonel Roy ne pouvait pas annuler la décision du lieutenant-colonel Prohar et lancer l’enquête sur le harcèlement.

[77] Le demandeur soulève également une crainte de partialité de la part de l’enquêteuse, ce qui en dit long sur la crédibilité à accorder aux opinions qu’elle a exprimées dans ses rapports d’enquête sur le harcèlement. À l’appui de son argument, le demandeur mentionne le cadre de référence de l’enquête sur le harcèlement et soulève plusieurs questions.

[78] Premièrement, le cadre de référence fait état d’un prétendu [traduction] « appel » entre le lieutenant-colonel Roy et Mme White, mais il n’existe aucun écrit ou transcription de cet échange. Le demandeur soutient que le fait que le lieutenant-colonel Roy a communiqué directement avec un fournisseur de service donne à penser qu’il y aurait eu abus d’influence dans le cadre de l’enquête, ce qui constitue une violation du cadre de référence.

[79] Deuxièmement, le cadre de référence indique que les dépenses liées au contrat seront prélevées sur un compte précis. Le demandeur allègue que ce compte appartient à l’unité du lieutenant-colonel Roy et que l’utilisation par celui-ci des fonds de son unité pour payer les dépenses associées à une enquête constitue une violation des ORFC. Au cours de l’audience, le demandeur a admis que les membres des FAC ne sont pas autorisés à avoir de tels rapports particuliers.

[80] Troisièmement, le demandeur fait remarquer que, selon le cadre de référence, Mme White a été engagée par l’intermédiaire de l’entreprise « QMR Staffing Solutions Incorporated ». Cependant, en décembre 2018, Mme White a fourni son rapport d’enquête provisoire au demandeur pour qu’il présente ses commentaires. Sur la première page de ce rapport, il est indiqué que Mme White travaillait pour « Whiteworks Solutions Inc. » et non pas « QMR Staffing Solutions Incorporated ».

[81] Quatrièmement, le demandeur a présenté de la preuve par affidavit selon laquelle « Whiteworks Solutions Inc. » est une entreprise œuvrant dans le domaine du camionnage qui n’offre pas de services juridiques ou d’enquête. Selon le demandeur, puisque les statuts constitutifs de Whiteworks indiquent qu’il s’agit d’une entreprise de camionnage, elle n’offre pas de services d’enquête sur les cas d’inconduite sexuelle. Qui plus est, l’entreprise a été dissoute au cours de l’été 2019, après que le demandeur eut retenu les services d’un avocat qui a remis en question la validité du rapport.

[82] Selon le demandeur, toutes ces divergences soulèvent des questions suffisantes pour donner lieu à une crainte raisonnable de partialité. Le demandeur soutient que ces faits démontrent que le lieutenant-colonel Roy a déployé tous les efforts possibles pour qu’il soit reconnu coupable d’agression sexuelle contre la plaignante et qu’il soit renvoyé des FAC. Le demandeur affirme qu’il y a eu, à tout le moins, [traduction] « une réflexion sur le résultat souhaité de l’enquête, le but étant de trouver une manière de faire libérer le demandeur des FAC dans les plus brefs délais selon une catégorie de libération qui nuirait à ses éventuelles possibilités d’emploi avec des organismes comme la GRC » (mémoire du demandeur, au para 39).

(2) Position du défendeur

[83] Le défendeur soutient que le processus de traitement du grief du demandeur a bénéficié du degré d’équité procédurale requis. Le défendeur fait valoir que l’obligation d’équité procédurale est prévue aux articles 8.13 à 8.24 de la DOAD 2017‐1. Selon ces articles, le plaignant a le droit : a) d’être avisé des enjeux importants et des conséquences potentielles de toute décision pouvant être prise par l’autorité de redressement; b) de se faire remettre tous les documents et renseignements pertinents qui seront pris en considération par l’autorité de redressement; c) d’avoir l’occasion de présenter des observations sur les documents et les renseignements; d) de recevoir en temps opportun une décision bien expliquée, raisonnable et impartiale à l’égard de son grief.

[84] Le défendeur affirme que tout le matériel pertinent qui a été utilisé dans le cadre du processus de décision a été fourni au demandeur pour qu’il donne ses commentaires, y compris les rapports d’enquête provisoire et définitif et le dernier résumé de l’examen administratif du DACM.

[85] En outre, le demandeur a pu participer pleinement aux processus décisionnels de l’AI et de l’ADI et présenter ses observations puisque les différentes étapes lui ont été communiquées avec préavis tout au long de la procédure de grief. Le demandeur a eu l’occasion d’examiner les documents et de présenter des observations à chaque étape de la procédure.

[86] Le défendeur soutient également que le demandeur formule des allégations conjecturales de partialité sans aucune justification réelle. S’appuyant sur le paragraphe 75 de la décision Fédération canado-arabe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1283 [Fédération canado-arabe], le défendeur soutient que le demandeur ne s’est pas acquitté du lourd fardeau de démontrer que ses observations ne servaient à rien et que l’enquêteuse, l’AI ou l’ADI avaient l’esprit fermé. Au contraire, le rapport de l’enquêteuse est approfondi et exhaustif et ne présente aucun signe de partialité ou de conclusions prédéterminées.

[87] Le défendeur fait valoir que les allégations d’irrégularité, le cas échéant, auraient dû être formulées à la première occasion. En l’espèce, le demandeur avait en sa possession le cadre de référence ainsi que tous les faits importants nécessaires pour présenter les arguments de fond qu’il avance à présent en matière d’équité et de partialité. Toutefois, puisqu’il n’a pas fait part de ses préoccupations à l’AI ou à l’ADI, ni à aucun autre moment du processus, il ne peut pas maintenant prétendre qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale.

B. Analyse

[88] La Cour conclut que le demandeur était en mesure de connaître la preuve à réfuter, qu’il a eu plusieurs occasions de présenter ses observations aux décideurs et qu’il s’en est prévalu. Il n’y a aucun manquement à l’équité procédurale.

[89] Comme je le mentionne plus haut, certains éléments de preuve présentés par le demandeur dans son affidavit ne sont pas admissibles. Néanmoins, à mon avis et pour les motifs qui suivent, même si ces éléments de preuve étaient admissibles, ils ne seraient pas suffisamment crédibles ou fiables pour démontrer une crainte raisonnable de partialité et ne permettraient pas non plus de démontrer que l’enquêteuse, l’AI ou l’ADI avaient un esprit fermé.

[90] Le demandeur allègue, sans s’appuyer expressément sur la jurisprudence applicable ou sur des éléments de preuve fiables, que les mesures prises individuellement ou collectivement par tous les participants aux procédures créent une crainte raisonnable de partialité ou témoignent d’un esprit fermé. Le critère applicable en matière de crainte raisonnable de partialité est bien connu et a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, citant Committee for Justice and Liberty c Office national de l’énergie (1976), [1978] 1 RCS 369 à la p 394, juge de Grandpré (dissident) :

[20] Le critère applicable pour déterminer s’il existe une crainte raisonnable de partialité n’est pas contesté et il a été formulé pour la première fois par notre Cour en ces termes :

... à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? [Référence omise.]

[91] La position du demandeur selon laquelle il existe une crainte raisonnable de partialité repose sur un ensemble d’allégations qui ne sont pas étayées ou qui sont manifestement erronées. Le demandeur n’a pas non plus été en mesure de s’acquitter du lourd fardeau de démontrer que tous les participants aux procédures avaient l’esprit fermé (Fédération canado-arabe, au para 75).

[92] Pour commencer, comme je le mentionne plus haut, il est important de mentionner que le demandeur a fait l’objet de trois procédures distinctes en rapport avec les mêmes faits. Premièrement, il y a eu l’enquête criminelle et les accusations subséquentes. L’enquête a suivi son cours et les accusations criminelles ont été retirées. Deuxièmement, il y a eu l’examen administratif du DACM mené sous le régime de la DAOD 5019‐2. Troisièmement, après le retrait des accusations criminelles, la plaignante a déposé une plainte pour harcèlement auprès des FAC, qui a été examinée conformément à la DOAD 5012‐0. Cette troisième procédure a mené au rapport d’enquête sur le harcèlement. Seules les deuxième et troisième procédures sont importantes aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire.

[93] Le demandeur confond les différentes enquêtes et procédures qui ont été menées. Tout d’abord, il affirme que le lieutenant-colonel Prohar, son commandant, a envoyé une lettre indiquant que toutes les enquêtes relatives à l’incident étaient désormais closes et qu’aucune autre mesure disciplinaire ne serait imposée. En s’appuyant sur ce fait, le demandeur soutient que le lieutenant-colonel Roy, un officier de même grade que le lieutenant-colonel Prohar, ne pouvait pas annuler la décision du lieutenant-colonel Prohar et lancer l’enquête sur le harcèlement.

[94] Or, cette allégation est tout simplement fausse. La lettre du lieutenant-colonel Prohar concernait le retrait des accusations criminelles, sans plus. Elle mentionnait simplement que les conditions de sa mise en liberté étaient levées et que les questions disciplinaires liées aux accusations criminelles étaient réglées. La lettre ne mettait pas le demandeur à l’abri d’autres enquêtes connexes et ne l’informait pas à ce sujet.

[95] Le lieutenant-colonel Roy a déclenché l’enquête sur le harcèlement à la suite de la plainte officielle de harcèlement sexuel déposée par la plaignante. Il s’agissait d’une procédure différente de celle déclenchée par les accusations criminelles pour laquelle le lieutenant-colonel Prohar avait envoyé une lettre au demandeur. En ouvrant l’enquête sur le harcèlement, le lieutenant-colonel Roy n’a pas annulé la décision d’un officier de même grade, comme le prétend le demandeur. Le lieutenant-colonel Roy était plutôt un « agent responsable » et pouvait amorcer l’enquête au titre de la DOAD 5012‐0 parce qu’il était le commandant de la plaignante (tout commandant peut amorcer une enquête au titre de la DOAD 5012‐0 en lien avec de telles questions). Par conséquent, comme le lieutenant-colonel Prohar n’a pas pris la décision de « clore » le dossier et que le lieutenant-colonel Roy n’a pas « annulé » la décision de qui que ce soit lorsqu’il a amorcé l’enquête sur le harcèlement, cette allégation n’est pas pertinente en l’espèce. Il convient toutefois de répéter que, lorsque le lieutenant-colonel Roy a envoyé sa lettre relative à la clôture de l’enquête sur le harcèlement, en février 2019, il n’a pas recommandé que le demandeur soit libéré des FAC.

[96] Le demandeur a également fait valoir que le lieutenant-colonel Roy n’avait pas le pouvoir d’amorcer l’enquête sur le harcèlement parce qu’il n’était pas une « autorité de mise en œuvre » au sens de la DOAD 5019‐4 – Mesures correctives. Selon la DOAD 5019‐4, l’« autorité de mise en œuvre » autorisée à mener des enquêtes doit être le commandant du militaire; le lieutenant-colonel Roy était le commandant de la plaignante, et non celui du demandeur. Cet argument ne tient pas la route.

[97] Dans une lettre de juin 2018, le lieutenant-colonel Roy a informé le demandeur de la plainte de harcèlement sexuel et lui a donné l’occasion d’y répondre. Le lieutenant-colonel Roy a mentionné clairement dans sa lettre qu’il menait l’enquête sur le harcèlement au titre de la DOAD 5012‐0 et qu’il était l’« agent responsable ». À aucun moment, le lieutenant-colonel Roy ne s’est appuyé sur un autre pouvoir pour mener l’enquête. Dans sa réponse du 9 juillet 2018 à la plainte de harcèlement sexuel, le demandeur n’a pas contesté le pouvoir du lieutenant-colonel Roy de mener une enquête au titre de la DOAD 5012‐0, bien qu’il ait eu la possibilité de le faire. Le demandeur n’a pas non plus soulevé cet argument dans sa réponse au rapport d’enquête provisoire. Enfin, le demandeur aurait pu faire valoir cet argument dans le cadre du processus de règlement des griefs, devant l’AI et, plus tard, devant l’ADI, mais il ne l’a pas fait. Bien que l’AI et l’ADI soient toutes deux expertes en la matière et auraient pu se prononcer sur la question, le demandeur n’a pas présenté d’observations à ce sujet.

[98] Quoi qu’il en soit, l’interprétation du lieutenant-colonel Roy de ses pouvoirs de mener une enquête au titre de la DOAD 5012‐0 est raisonnable à la lumière du texte de cette DOAD ainsi que des éléments de preuve et des arguments présentés. Les parties n’ont proposé aucune interprétation de la DAOD 5012‐0 qui donnerait à penser qu’un commandant ne peut pas agir à titre d’« agent responsable » au sens de la DAOD 5012‐0 et qu’il n’a pas le pouvoir de mener une enquête sur une allégation de harcèlement sexuel. Au contraire, dans les observations qu’il a présentées à l’origine de son grief soumis à l’AI, le 19 juin 2019, le demandeur semble concéder que le lieutenant-colonel Roy peut agir en tant qu’« agent responsable » au titre de la DOAD 5012‐0 et a demandé que la décision du DACM de le libérer au titre de la catégorie 5f) des ORFC soit remplacée par les mesures correctives recommandées par le lieutenant-colonel Roy dans sa lettre de clôture (dossier certifié du tribunal, aux pp 352, 358).

[99] L’examen administratif du DACM est la procédure qui a mené à la libération du demandeur des FAC au titre de la catégorie 5f) des ORFC. Ni le lieutenant-colonel Prohar ni le lieutenant-colonel Roy n’ont participé activement à cet examen. Il est intéressant de mentionner que, dans son premier résumé de l’examen administratif soumis au demandeur le ou vers le 17 décembre 2018 pour qu’il donne ses commentaires, le DACM a signalé que la libération au titre de la catégorie 5f) des ORFC était le scénario le plus probable. Le rapport d’enquête sur le harcèlement n’avait pas encore été achevé à ce moment-là et n’avait pas été remis au DACM. Aucune des questions relatives à la partialité potentielle de Mme White, à la manière dont le contrat avait été conclu par le lieutenant-colonel Roy ou au fait que le lieutenant-colonel Roy aurait pu annuler la décision du lieutenant-colonel Prohar, n’a de lien avec l’examen administratif.

[100] Encore une fois, pour les motifs qui suivent, même si la Cour admettait la preuve par affidavit dont il est question ci-dessus, celle-ci n’est pas suffisante et n’a pas la crédibilité nécessaire pour soulever une crainte raisonnable de partialité ou un manquement à l’équité procédurale.

[101] Dans l’affidavit, le demandeur soulève le fait que le cadre de référence indique qu’il y a eu un appel téléphonique entre l’enquêteuse et quelqu’un des FAC. Il présume que cette personne était le lieutenant-colonel Roy (voir le cadre de référence daté du 25 octobre 2018; dossier certifié du tribunal, à la p 158). Toutefois, il n’y a aucune preuve à l’effet que le lieutenant-colonel Roy a fait l’appel ou que celui-ci était inapproprié. De plus, l’appel en lui-même ne soulève pas de crainte raisonnable de partialité. Le nouvel argument du demandeur basé sur ce fait prive la Cour d’un dossier de preuve complet pour trancher la question (Alberta Teachers, au para 26).

[102] Le demandeur soulève également la question de la rémunération de l’enquêteuse. Le cadre de référence mentionne des codes à utiliser aux fins d’imputation des paiements (appelés [traduction] « codes financiers »), mais rien ne prouve que ces codes sont ceux de l’unité du lieutenant-colonel Roy ou, même si c’était le cas, qu’il serait inconvenant d’utiliser ces codes. En outre, comme l’AI et l’ADI sont des expertes en la matière, elles auraient été mieux placées que la Cour pour évaluer et soupeser les éléments de preuve et les arguments du demandeur sur cette question, si celle-ci avait été soulevée en temps opportun. Quoi qu’il en soit, même si le lieutenant-colonel Roy avait commis une erreur en payant les services de l’enquêteuse avec les fonds de son unité, l’enquête en soi ne s’en trouverait pas entachée de mauvaise foi, de partialité ou d’iniquité procédurale.

[103] Le demandeur fait ensuite valoir que Whiteworks est une entreprise constituée en société qui œuvre dans le domaine du camionnage, que Mme White a modifié son curriculum vitæ et que Whiteworks a ensuite été dissoute. Cette preuve n’est ni fiable, ni pertinente, ni susceptible d’avoir une incidence sur le résultat du présent contrôle judiciaire. En effet, le demandeur ne prétend pas que Mme White n’est pas compétente. Au contraire, il a déposé en preuve le curriculum vitæ de Mme White qui démontre qu’elle est une enquêteuse expérimentée et compétente, qu’elle est membre du Barreau de l’Ontario et qu’elle travaille dans le domaine du harcèlement depuis plus de 20 ans. En revanche, la preuve concernant la personnalité juridique réelle de Whiteworks est incomplète et peu fiable. Par conséquent, les éléments de preuve ne sont pas suffisants pour susciter une crainte raisonnable de partialité à l’égard du travail de Mme White.

[104] Par ailleurs, en ce qui concerne la personnalité juridique de Whiteworks, le demandeur était en mesure de constater à la réception du rapport d’enquête provisoire, le 7 décembre 2018, que Mme White avait été engagée pour effectuer l’enquête par l’intermédiaire d’une autre entité, QMR Staffing Solutions Incorporated. Ainsi, le demandeur aurait pu soutenir que ce changement soulevait une crainte raisonnable de partialité. Si le demandeur avait soulevé l’argument en temps opportun, l’enquêteuse aurait peut-être pu offrir une explication raisonnable. Quoi qu’il en soit, la preuve n’est pas concluante parce qu’elle n’a aucune incidence sur la compétence de Mme White pour mener l’enquête sur le harcèlement, fait qui n’est pas contesté.

[105] Je suis donc d’accord avec le défendeur pour dire que, si le demandeur avait des préoccupations concernant le processus, il aurait dû les soulever dans le cadre de son grief examiné par l’AI puis l’ADI. Le demandeur avait en sa possession les renseignements nécessaires et a eu amplement l’occasion de soulever ses préoccupations..

[106] Dans l’ensemble, aucun des éléments de preuve et arguments soulevés par le demandeur dans son affidavit n’est suffisant, individuellement ou collectivement, pour susciter une crainte raisonnable de partialité ou de collusion de la part de Mme White, du lieutenant-colonel Roy ou de tout autre décideur ou pour établir que ceux-ci avaient l’esprit fermé, dans le but de s’assurer que le demandeur serait libéré des FAC.

[107] Le demandeur a été libéré à la suite de l’examen administratif effectué par le DACM, pas à cause du lieutenant-colonel Roy. Aucune des allégations soulevées par le demandeur dans son affidavit, qu’elles soient admissibles ou non, n’a d’incidence sur l’équité de la décision à l’issue de l’examen administratif de libérer le demandeur.

[108] Par conséquent, les allégations de manquement à l’équité procédurale ou de crainte raisonnable de partialité sont rejetées.

VI. Caractère raisonnable de la décision de l’ADI

A. Position des parties

(1) Position du demandeur

[109] En ce qui concerne le caractère raisonnable de la décision sur le fond, le demandeur fait valoir que la décision n’était ni justifiée ni transparente, car elle a été prise dans un but illégitime et que le résultat était prédéterminé. Les lacunes dans les motifs de la décision sont, selon lui, « suffisamment capitale[s] ou importante[s] pour rendre [la décision] déraisonnable ».

[110] Le demandeur allègue que l’ADI a mal soupesé la preuve, puisqu’elle a accordé une grande importance aux conclusions de l’enquêteuse au lieu d’examiner les éléments de preuve contenus dans le rapport avec un regard neuf. Il souligne que les éléments de preuve sont incohérents et que, dans certains cas, il s’agissait d’une preuve par ouï-dire et de récits de seconde main fournis par des personnes qui n’étaient pas présentes au moment de l’incident allégué.

[111] Le demandeur soutient que l’ADI n’a pas tenu compte du fait qu’il avait accepté les mesures correctives imposées et n’a pas pris en considération les commentaires racistes qui ont été formulés à son endroit. Il ajoute que le fait qu’il n’y avait qu’une seule allégation contre lui est un facteur important qui aurait dû être pris en compte pour lui permettre de conserver son poste. Il ne présentait aucun risque pour la sécurité du lieu de travail et il n’y avait pas non plus de problèmes ou de mesures disciplinaires à son dossier.

(2) Position du défendeur

[112] Le défendeur soutient que l’ADI a raisonnablement conclu que le demandeur n’était plus apte au service et qu’il devait être libéré au titre de la catégorie 5f) des ORFC.

[113] Le défendeur soutient qu’un examen administratif est nécessaire dans tous les cas d’inconduite (et toujours nécessaire lorsqu’il y a une allégation d’inconduite sexuelle). L’objectif de l’examen administratif était donc de déterminer si le demandeur demeurait apte au service dans les FAC.

[114] Le défendeur allègue que le demandeur demande maintenant à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve et de substituer à cet égard son opinion à celle de l’ADI, dont le rôle était d’évaluer la preuve au dossier et d’établir le poids à lui accorder. Il ne suffit pas d’être en désaccord avec le décideur quant aux facteurs dont il a tenu compte et aux conclusions qu’il a tirées pour établir qu’une erreur susceptible de contrôle a été commise, et la Cour ne devrait pas accepter l’invitation du demandeur à apprécier à nouveau la preuve (Weldeab c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 161 au para 15; Cabrera c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2022 CF 958 au para 19).

[115] Le défendeur soutient que l’inconduite sexuelle est l’une des formes les plus graves d’inconduite sur le lieu de travail et que, par conséquent, la relation d’emploi entre le demandeur et les FAC pourrait tout simplement être irréparable. Il souligne également que, même s’il s’agissait peut-être d’un incident isolé, celui-ci ne favorise pas la confiance à l’égard d’un lieu de travail exempt d’incidents de ce type.

[116] Le défendeur fait valoir que le demandeur assimile la procédure criminelle à la procédure civile et confond le fardeau de la preuve applicable. Le fait que la procédure criminelle n’ait pas mené à une déclaration de culpabilité ne signifie pas que le demandeur était nécessairement à l’abri de toutes répercussions administratives liées à l’inconduite sexuelle alléguée, y compris la libération des FAC.

[117] Le défendeur soutient que, en rendant sa décision, l’ADI a pris en considération le fait que le demandeur avait sérieusement compromis son utilité pour les FAC en violant les politiques en matière d’inconduite sexuelle, en contrevenant au Code de valeurs et d’éthique, en ne respectant pas la dignité d’autrui et en causant un préjudice à un membre des FAC.

B. Analyse

[118] À mon avis, l’ADI a rendu une longue décision qui tenait compte de toutes les questions de fait et de droit, y compris les commentaires racistes formulés à l’égard du demandeur par la plaignante. L’ADI a examiné le grief du demandeur et a jugé qu’il avait été traité équitablement conformément aux règles, aux règlements et aux politiques applicables.

[119] Dans le cadre de son analyse de novo, l’ADI a examiné les conclusions et les recommandations du CEEGM ainsi que les renseignements contenus dans l’ensemble du dossier de grief (y compris les observations du demandeur à toutes les étapes des différentes procédures), et a souscrit à l’analyse du CEEGM.

[120] L’ADI a également reconnu que le rapport d’enquête définitif avait joué un rôle important dans sa décision. En effet, l’ADI a procédé à un examen approfondi du rapport et lui a accordé une grande importance parce qu’il avait été réalisé par une enquêteuse professionnelle possédant de nombreuses années d’expérience.

[121] L’ADI a également tenu compte du fait que le demandeur avait nié avec véhémence les allégations et avait soutenu que les commentaires désobligeants de la plaignante démontraient une motivation raciste. L’ADI a néanmoins estimé que les commentaires racistes à l’endroit du demandeur ne constituaient pas un facteur atténuant eu égard à son comportement allégué, car ils avaient été formulés après l’incident de harcèlement sexuel.

[122] Après avoir examiné la preuve, le dossier et les arguments, l’ADI a accepté la conclusion de l’enquêteuse selon laquelle, malgré certaines incohérences dans les éléments de preuve fournis par la plaignante, ceux-ci étaient suffisamment convaincants pour conclure que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur avait commis une inconduite sexuelle.

[123] Pour déterminer les conséquences appropriées, l’ADI a eu recours à la DOAD 5019‐2, à la DOAD 5019‐5 (art 3.1, 3.5 et 4.9), à l’article 15.01 des ORFC et au Code de valeurs et d’éthique, qui ont guidé sa décision et lui ont permis de conclure que la libération était la mesure à prendre en l’espèce. L’ADI a également tenu compte du fait que, au moment de l’inconduite sexuelle, le demandeur n’était membre des FAC que depuis environ trois mois et avait signé une déclaration reconnaissant qu’il avait lu la politique de son unité en matière de harcèlement et d’inconduite sexuelle le mois précédent.

[124] Les conclusions de l’ADI au terme de son évaluation des éléments de preuve sont justifiées, intelligibles et transparentes (Vavilov, aux para 15, 86, 95, 98). Par conséquent, elles sont raisonnables dans les circonstances. À mon avis, le demandeur demande à la Cour d’apprécier à nouveau les éléments de preuve et les arguments (voir par exemple les paragraphes 16 à 19, 43, 49 à 52 et 64 des observations écrites du demandeur), ce qui n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Vavilov, au para 125).

VII. Modification de l’intitulé

[125] Suivant le paragraphe 303(1) des Règles, le procureur général du Canada est le défendeur approprié dans la demande de contrôle judiciaire en l’espèce.

[126] L’intitulé sera modifié de manière à remplacer le Roi du chef du Canada par le procureur général du Canada à titre de défendeur.

VIII. Conclusion

[127] Compte tenu de la preuve et des arguments présentés par les parties tout au long des procédures, y compris l’enquête sur le harcèlement, l’examen administratif, la procédure de règlement des griefs et le présent contrôle judiciaire, la décision de l’ADI est raisonnable. La décision de libérer le demandeur des FAC au titre de la catégorie de libération 5f) des ORFC est l’une des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Vavilov, au para 86; Walsh, au para 14). Il n’y a pas non plus de manquement à l’équité procédurale ni de crainte raisonnable de partialité.

[128] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[129] Vu l’issue de la demande, les dépens seront adjugés au défendeur et taxés selon le milieu de la colonne III du tarif B.


JUGEMENT dans le dossier T-1401-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. L’intitulé est modifié de manière à remplacer le Roi du chef du Canada par le procureur général du Canada à titre de défendeur.

  2. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

  3. Les dépens sont adjugés au défendeur et taxés selon le milieu de la colonne III du tarif B.

« Guy Régimbald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1401-22

 

INTITULÉ :

EHSAN ZABIHISEASAN c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 février 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RÉGIMBALD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 AOÛT 2023

 

COMPARUTIONS :

Catherine Christensen

 

Pour le demandeur

 

Keelan Sinnott

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Valour Law

Avocats

St. Albert (Alberta)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.