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Date : 20060623

 

Dossiers : IMM-2889-06

IMM-3175-06

 

Référence : 2006 CF 799

Ottawa (Ontario) le 23 juin 2006

En présence de Monsieur le juge Blais

 

ENTRE :

BACHAN SINGH, SOGI

partie demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de la part de la partie demanderesse pour une ordonnance de sursis à l’encontre de l’exécution d’une mesure de renvoi émise contre la partie demanderesse initialement prévue pour le 16 juin 2006.

 

[2]               Le procureur du Ministre a informé la Cour qu’il suspendait l’exécution jusqu’à ce que le jugement sur la présente requête soit rendu.

 

 

FAITS PERTINENTS

[3]               M. Sogi a été l’objet de plusieurs décisions tant de la Commission de l’immigration que de la Cour fédérale depuis son arrivée au Canada le 8 mai 2001.

 

[4]               Je ne reviendrai pas en détail sur les décisions précédentes si ce n’est que pour rappeler que M. Sogi est l’objet d’une ordonnance d’expulsion depuis plusieurs années soit le 8 octobre 2002 et que les autorités canadiennes n’ont pas procédé à son expulsion parce que l’évaluation du risque avant renvoi n’avait pas été préparée de façon adéquate.

 

[5]               En fait, le 30 septembre 2004, sa demande d’examen de risque avant renvoi (ERAR) a été rejetée par le représentant du Ministre, lequel considérait qu’il n’y avait aucune autre alternative que la déportation. La Cour d’appel fédérale a accordé une demande du Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration afin de casser cette décision puisque le délégué du Ministre n’avait pas considéré la preuve à la base du rapport de sécurité (Security Intelligence Report) (SIR).

 

[6]               Le dossier a donc été retourné à un autre agent du Ministère qui a rendu une nouvelle décision en date du 11 mai 2006, qui se lit essentiellement de la façon suivante :

After fully considering all facets of this case, including the humanitarian aspects, and an assessment of the risk that Mr. Sogi might face if returned to India and the need to protect Canadian society, I am of the opinion that the Applicant, Mr. Sogi constitutes a danger to the security of Canada, and that he does not face a risk under s. 97 of IRPA should he be returned to India. Consequently, his request for protection is denied.

 

[7]               Il ajoute immédiatement après, juste avant sa signature, le matériel qu’il a pris en considération et je cite:

I have carefully reviewed and considered the entirety of the submissions from Mr. Sogi (through his lawyers), the PRRA Assessment prepared by Immigration officials, the Restriction Assessment prepared by Canadian Border Safety Agency officials, the background information at CSIS and all attendant documentation.

 

[8]               Le 6 juin 2006, l’Agence des services frontaliers du Canada avisait la procureure de M. Sogi que le renvoi serait exécuté dans les trois semaines subséquentes.

 

[9]               Le 11 juin 2006, le demandeur déposait une demande de sursis.

 

[10]           Pour réussir dans sa requête, le demandeur doit démontrer qu’il existe une question sérieuse à débattre, qu’il risque de subir un préjudice irréparable s’il est déporté, et que la balance des inconvénients penche en sa faveur.

 

QUESTION SÉRIEUSE

[11]           Pour déterminer si le demandeur a soulevé une question sérieuse à débattre dans sa demande de sursis, nous devons examiner deux demandes de contrôle judiciaire qui sont à la base de la présente demande de sursis. En fait, le 31 mai dernier, le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision lui refusant sa demande de protection suite à l’examen des risques avant renvoi (ERAR) émise par Citoyenneté et Immigration Canada, représenté par la déléguée du Ministre, L.J. Hill, datée du 15 mai 2006.

 

[12]           Par ailleurs, le demandeur a également demandé le contrôle judiciaire de l’exécution de la mesure de renvoi contre le demandeur et ce, en date du 11 juin 2006.

 

[13]           Le demandeur a déposé une seule demande de sursis laquelle est en rapport avec les deux demandes de contrôle judiciaire.

 

[14]           Le juge qui entend une demande de sursis n’a pas comme responsabilité de réexaminer les conclusions auxquelles en est arrivé l’agent responsable d’émettre un avis quant au risque appréhendé si la personne devait être déportée dans son pays d’origine.

 

[15]           Le contrôle judiciaire de la décision de l’agent ERAR sera décidé à une étape ultérieure; d’abord, un juge devra examiner si l’autorisation doit être accordée et, ensuite, advenant que l’autorisation soit accordée, un juge examinera au fond, le caractère raisonnable de la décision suivant les critères établis par la loi et la jurisprudence.

 

[16]           Il est de mon devoir à l’étape du sursis d’examiner si, à première vue, la décision a respecté les dispositions légales prévues et si le décideur a examiné la preuve au dossier incluant la preuve secrète et particulièrement le rapport de renseignements de sécurité (SIR) et les documents auxquels ledit rapport réfère. Jusqu’à nouvel ordre, la décision est légale, et je me dois d’en tenir compte à la lumière de la nouvelle preuve, s’il en est, déposée au dossier.

 

[17]           Il apparaît clair à la lecture de la décision ERAR, dont j’ai pris connaissance, que l’agent a fait une révision complète, détaillée, systématique, de la situation de M. Sogi. Entre autres, après avoir vu sa requête pour être reconnu réfugié au Royaume-Uni refusée, il est entré au Canada sous une fausse identité alors que les autorités britanniques s’apprêtaient à le déporter. À cet effet, les raisons mentionnées par les autorités britanniques étaient les mêmes que les autorités canadiennes soit que sa présence n’était plus autorisée sur le sol britannique parce qu’il représentait une menace à la sécurité nationale due à son implication dans des activités terroristes à l’échelle internationale.

 

[18]           Bien qu’il ait reconnu au cours de ses nombreuses auditions en matière d’immigration qu’il avait utilisé plusieurs fausses identités tant sur le sol britannique que sur le sol canadien, et dans ses voyages en Inde et au Pakistan, M. Sogi refuse toujours d’admettre qu’il est un terroriste membre du groupe terroriste international «Babbar Khalsa international organization» (BKI).

 

[19]           L’agent ERAR a examiné et pris en considération la volumineuse preuve documentaire soumise de part et d’autre dans le dossier.

 

[20]           À la page 16 de sa décision, l’agent ERAR discute d’un rapport préparé par a Danish fact-finding mission to Punjab, « Danish Immigration Services, May 2000 » :

It continued by saying « that several people who had previously been militants and who had served their sentences for terrorist activities now lived a normal life in Punjab. » For example, a politician who had been accused of involvement in the assassination of Indira Gandhi in 1984 was now a Member of Parliament. The fact-finding mission consulted NGOs and independent lawyers and most of them believed that currently there was no militant movement in Punjab. Most active members were now either inactive or living abroad.

 

[21]           Plus loin dans son analyse à la page 19, l’agent ERAR discute de la révocation de la Loi sur la prévention du terrorisme (Prevention of Terrorism Act) (POTA) :

Alternatively, because of the repeal of POTA, and the protections offered by the new legislation, in the event that he was so very well-known, I am still not convinced that he couldn’t return to any part of India without facing such risks.

 

There is evidence of BK militants having been arrested in the last year or so. They were arrested in relation to specific terrorist actions. I have seen nothing persuasive in the evidence that even those active militants who have been arrested have been subjected to harsh treatment.

 

There is nothing convincing in the evidence that would lead me to conclude that Mr. Sogi would be subjected to torture or a risk to his life or cruel and unusual treatment or punishment if he were to be arrested because of his membership in the BK(I). I note the letter of Amnesty International dated August 6, 2003 to Lorne Waldman indicating that a person believed to belong to an organization such as BKI could be charged under POTA, the provisions of which were believed by AI to violate international human rights standards.

 

The evidence establishes that the POTA, Prevention of Terrorism (second) ordinance 2001 has been abolished and the new act, Prevention of Terrorism Act, 2002 has been adopted. This act has been recognized as being a notable improvement over POTA and provides safe guards to an accused person. Section 33 of the Act provides that confessions cannot be compelled or induced and that any complaint of torture is to be investigated by a medical officer. Thus, the concerns raised by the August 6, 2003 letter are not persuasive. I note that Mr. Sogi could be subjected to prosecution for the role he might have played in the aborted bombing but that the new legislation protects against the abuses of the former legislation.

 

[22]           Il est intéressant de noter dans le rapport de l’agent ERAR, qu’il a examiné avec attention le risque rencontré par d’autres militants originaires du Punjab qui étaient retournés en Inde après plusieurs années à l’extérieur, et je cite à la page 18:

In order to better assess the risk that may face Mr. Sogi upon return to India I have looked at the militants who have returned to India. Mr. Wassan Singh Zaffarwal, chief of the Khalistan Commando Force, recently returned to India after 19 years abroad. He was treated to an overwhelming welcome by the people of his region. He has been exonerated on 7 of the 9 criminal charges against him. He was arrested shortly after his return to India for the other charges but was released on bail. In the ‘Press Trust of India’ dated March 27, 2003, he said “there is no scope for revival terrorism in Punjab.”

 

Another former militant, Jagjit Singh Chauhan, returned from England in 2001. During his early years in England, he propagated the cause of Khalistan on a radio station under his stewardship. In addition, Satnam Singh Paonta, an associate of Gajinder Singh, chairman of the Del Khalsa International, a pro-Khalistan movement, also returned to India. As reported in ‘The Economic Times’ “Chauhan put a price on then Indian prime minister Indira Gandhi’s head and yet he is being allowed to roam around freely”. There were no reports on file to indicate that either of them has faced torture upon their return.

 

[23]           L’agent ERAR a procédé à son analyse à partir des informations et de la preuve dont il disposait, il arrive à des conclusions à l’effet que des militants sikhs extrémistes qui sont retournés en Inde, ont été traités de façon normale pour des personnes qui sont l’objet d’accusations criminelles notamment la possibilité pour eux d’être libérés sous condition et de faire face ultimement à des accusations devant les tribunaux indiens comme n’importe quel autre citoyen.

 

[24]           C’est après une étude et une analyse en détail des conditions en Inde et de la situation personnelle de M. Sogi, que l’agent ERAR est arrivé à la conclusion que M. Sogi ne serait pas sujet

à un risque pour sa vie ou encore à la torture ou à un traitement cruel ou inusité suivant son retour en Inde, et ce, après avoir examiné l’ensemble de la preuve disponible tant celle se rapportant directement à M. Sogi que la preuve documentaire sur la situation en Inde et sur la situation des militants qui sont retournés en Inde après être demeurés à l’extérieur pendant plusieurs années.

 

[25]           L’agent a également examiné les alternatives proposées à sa déportation. Il les a toutes rejetées d’une part sur la base que M. Sogi, dans le passé, n’était pas crédible et d’autre part vu la preuve quant à son appartenance à un groupe terroriste. Il a aussi conclu que les conditions proposées pour que des amis ou que d’autres personnes puissent être responsables de ses conditions d’engagement advenant sa libération ne contrebalançaient en rien le danger pour le Canada que M. Sogi représente, lequel danger a été reconnu de façon non équivoque dans une décision antérieure.

 

[26]           Quant à l’appréciation de la preuve documentaire, c’est un fait que l’agent ERAR a accordé plus de poids à certains documents par rapport à d’autres, notamment à un rapport émis par la Commission du statut de réfugié (CSR) plutôt qu’un autre rapport émis par Amnistie Internationale. On peut ou non être d’accord avec les conclusions de l’un ou l’autre de ces documents, il ne me revient pas de refaire une évaluation de tous les documents mais plutôt de déterminer si l’analyse qui en a été faite était déraisonnable.

 

[27]           Il n’est pas impossible qu’à l’intérieur de volumineux rapports quant à la situation en Inde, il puisse se trouver des contradictions; la question pour la Cour fédérale n’est pas de décider à la place de l’agent d’immigration mais plutôt d’examiner si l’analyse de la preuve documentaire disponible a été faite de façon déraisonnable et si les conclusions auxquelles il en arrive, sont elles-mêmes déraisonnables. Il est de l’essence même de l’analyse que certains documents reçoivent plus de poids que d’autres; la suggestion de la part de l’avocate du demandeur à l’effet que les conclusions de l’agent devraient être rejetées parce qu’il a donné plus de poids à un document et en a rejeté un autre, est irrecevable.

 

[28]           Quant à la demande d’autorisation présentée à l’encontre de la décision d’exécuter la mesure de renvoi du demandeur, (dossier IMM-3175-06), il s’agit des mêmes arguments factuels que dans le dossier attaquant la décision de l’agent ERAR, ajoutant que le demandeur reconnaît que l’agent de renvoi a peu de marge de manœuvre comparé à l’agent ERAR et que les seuls motifs de droit invoqués sont en regard de la Charte et que cette dernière n’aurait pas été respectée dans l’exécution du renvoi. Évidemment, dans les circonstances actuelles, j’accorde peu de poids à cette argumentation puisque effectivement l’agent de renvoi exécute une décision, examine si les critères sont rencontrés et procède en fonction de la législation applicable. Les motifs d’ordre constitutionnel trouvent difficilement application dans les circonstances.

 

[29]           Sans vouloir revenir sur l’ensemble du dossier, je ne crois pas qu’il existe vraiment une question sérieuse soulevée à ce stade-ci quant au dossier IMM-3175-06. Dans les circonstances, ces arguments pourront être évalués par le juge qui aura à déterminer si l’autorisation peut être accordée quant au contrôle judiciaire; mais en ce qui me concerne, j’accorde peu de poids à ces arguments soulevés quant au non respect des dispositions de la Charte des droits et libertés et plus particulièrement, quant à la trame factuelle qui supporte l’argumentation qui est celle des conclusions auxquelles en est arrivé l’autre agent du Ministre soit l’agent ERAR, qui, lui, a fait une analyse des faits pour en conclure qu’il n’existait pas de risque sérieux de torture si M. Sogi devait être déporté dans son pays d’origine.

 

[30]           La jurisprudence nous enseigne que le seuil nécessaire pour arriver à la conclusion qu’il existe une question sérieuse à débattre n’est pas très élevé.

 

[31]           Prenant pour acquis pour fins d’analyse sans le décider qu’il existe une question sérieuse dans le dossier IMM-2889-06, je vais examiner maintenant s’il existe un préjudice irréparable.

 

 

PRÉJUDICE IRRÉPARABLE

[32]           Les arguments du demandeur sont à l’effet que dès qu’il mettra le pied en Inde, il sera arrêté et détenu.

 

[33]           Il est possible qu’en fait, dès son arrivée sur le sol indien, il puisse être arrêté et détenu considérant son appartenance au groupe terroriste BKI. L’arrestation et la détention du demandeur ne constituent pas elles-mêmes un traitement cruel ou inusité. Après s’être vu considéré comme étant un danger pour la sécurité nationale en Angleterre et au Canada, pour sa participation à un réseau international terroriste, et que les deux pays soient arrivés à la même conclusion qu’il n’y a pas d’autre solution que son expulsion de leur territoire, il est possible que la personne visée soit arrêtée et détenue.

 

[34]           Cependant, l’analyse et la conclusion auxquelles en arrive l’agent ERAR sont à l’effet que les autorités indiennes ont en place un mécanisme qui nous permet de croire qu’il pourra faire valoir ses droits normalement comme d’autres militants qui sont retournés en Inde après plusieurs années, et qui étaient l’objet de plusieurs accusations criminelles, certains ont pu même être relâchés sous condition.

 

[35]           Comme je l’ai dit précédemment, le fait que M. Sogi puisse être arrêté et détenu à son arrivée en Inde ne constitue pas un traitement cruel ou inusité. En fait, il apparaît plutôt normal que qui que ce soit qui fait face à des accusations ou à des soupçons de nature criminelle ou d’activités terroristes est susceptible de faire face à des accusations criminelles et devoir paraître en cour pour se défendre. Cette situation se retrouve à chaque fois que des personnes sont déportées du Canada pour cause de grande criminalité au Canada, ou encore recherchées pour répondre à des accusations de même nature dans leur pays d’origine et qui se voient perdre le privilège de demeurer au Canada.

 

[36]           Si les autorités canadiennes devaient retenir indéfiniment des personnes sur le sol canadien pour la seule raison qu’elles seront éventuellement arrêtées et détenues à leur arrivée dans leur pays d’origine, on pourrait croire que le Canada deviendrait une terre d’asile pour des criminels étrangers voir des terroristes.

 

[37]           La question de savoir si l’exécution de la mesure de renvoi portera atteinte à sa vie, à sa sécurité et à sa santé, ou qu’il sera exposé à la torture, à la persécution ou à des traitements ou peines cruels et inusités, a déjà été analysée par l’agent ERAR et ce dernier est arrivé à la conclusion que le demandeur ne fera pas face à un risque à sa vie, à sa sécurité et à sa santé, ni qu’il sera exposé à la torture, à la persécution ou à des traitements ou peines cruels et inusités. L’agent ERAR est arrivé à cette conclusion après une analyse détaillée et en profondeur de la situation personnelle du demandeur et de la situation à la grandeur de l’Inde, particulièrement au Punjab, à la lumière des risques auxquels le demandeur M. Sogi serait lui-même exposé s’il devait retourner en Inde.

 

[38]           En regard de la preuve documentaire déposée tant devant l’agent ERAR que devant moi, il est bien évident que le juge doit procéder à une révision de cette preuve et en ce qui me concerne, je considère que je n’ai pas à revenir ou à réexaminer dans le détail toute la preuve qui avait préalablement été soumise à l’agent ERAR. Cependant, j’ai senti le besoin dans les circonstances particulières de ce dossier, de revoir l’ensemble de la preuve documentaire qui avait été déposée ainsi que la nouvelle preuve documentaire déposée par la procureure du demandeur au soutien de sa requête en sursis.

 

[39]           Comme le rappelle avec exactitude le procureur du Ministre, l’État indien a adopté au début de la période d’insurrection au Punjab dans les années 80, plusieurs lois spéciales qui ont donné lieu à de nombreuses violations des droits de la personne. Lesdites violations ont entraîné de nombreux reproches aux autorités indiennes par les organismes internationaux. Cependant, force est d’admettre que plus récemment, la situation s’est beaucoup améliorée en Inde même s’il existe encore plusieurs foyers de violence notamment dans les régions du Jammu et du Cachemire et dans certaines autres régions plus au sud. Cependant, la situation qui a existée au Punjab qui est la région d’origine du demandeur a beaucoup évoluée et s’est grandement améliorée depuis le milieu des années 90. Les nouveaux éléments de preuve qui ont été déposés depuis la décision du 11 mai 2006, ne peuvent en aucun cas m’amener à conclure que les conclusions auxquelles en est arrivé l’agent ERAR puissent être considérées comme était déraisonnables.

 

[40]           En fait, sans vouloir me répéter, je dois rappeler que le rôle du juge sur une requête en sursis, n’est pas de recommencer le travail spécialisé de l’agent ERAR, mais bien d’examiner les conclusions auxquelles il en est arrivé et de déterminer si, à la lumière de nouvelles preuves, je pourrais en arriver à conclure que M. Sogi puisse être victime d’un traitement cruel ou inusité ou de torture, s’il était retourné en Inde.

 

[41]           Le demandeur est entré illégalement au Canada en utilisant non seulement une, mais plusieurs fausses identités au cours de ses déplacements. Les autorités canadiennes sont arrivées à la conclusion qu’il représentait un danger pour le Canada et après avoir épuisé ses recours, il fait l’objet d’une mesure de renvoi qu’il connaît depuis plusieurs années.

 

[42]           Le fait qu’il demande à nouveau le contrôle judiciaire à la fois de la mesure de renvoi et de la décision d’examen du risque avant renvoi n’emporte pas automatiquement un sursis.

 

[43]           La partie demanderesse a déposé une demande auprès du Comité des droits de l’homme des Nations Unies le 11 juin dernier et a déposé une lettre émanant du Comité qui aurait demandé aux autorités canadiennes de suspendre la déportation du demandeur jusqu’à ce que le dossier soit étudié par le Comité.

 

[44]           Le demandeur n’a pas, cependant, déposé une copie de la demande adressée directement au Canada, mais plutôt une lettre du Comité mentionnant que cette demande avait été logée de sorte que la Cour n’a pas devant elle la demande précise qui a été adressée au gouvernement canadien. Le procureur du Ministre a néanmoins affirmé que la demande avait été reçue et qu’elle serait examinée à son mérite.

 

[45]           Le procureur du Ministre considère que cette demande n’emporte aucunement l’obligation de surseoir à la déportation, laquelle doit être examinée à la lumière de la législation canadienne.

 

[46]           Je suis d’accord avec le procureur du Ministre; quoi qu’il en soit, cette demande est non seulement tardive puisqu’elle est déposée à peine cinq jours avant cette audition, mais le Comité n’a pas autorité devant notre Cour. Cette démarche s’apparente davantage à une tentative de dernière minute pour gagner du temps.

 

[47]           Récemment dans le dossier Dadar c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 FC 382, M. Dadar a déposé devant la Cour fédérale une communication à l’effet que le Comité des Nations Unies contre la torture (UNCAT) avait conclu qu’il existait des motifs importants de croire qu’il risquait la torture s’il était déporté en Iran. Le Comité avait donc demandé au Canada de donner suite et le gouvernement du Canada a répondu rapidement que bien que le Canada prenne au sérieux ses obligations internationales, il confirmait néanmoins son intention de déporter M. Dadar en Iran.

 

[48]           La juge Carolyn Layden-Stevenson, dans Dadar, ci-dessus, se référant à la décision Ahani v. Canada (Attorney General) (2002), 58 O.R. (3d) 107 (Ont. C.A.), autorisation d’interjeter appel rejetée, [2002] S.C.C.A. no 62, rendue par la Cour d’appel de l’Ontario, a expliqué que cette décision d’un Comité des Nations Unies n’avait aucun caractère exécutoire au Canada.

 

[49]           Plus loin dans sa décision, la juge explique le rôle de la Cour fédérale au paragraphe 23 :

I have already noted that, as a matter of law, the UNCAT decision is not binding on Canada. As in Ahani, this case demonstrates the proper role of the executive and the proper role of the judiciary. It is not for the judiciary to second guess Canada’s decision not to adopt the UNCAT decision. Rather, it is a matter for a “court of public or international opinion, not for a court of law”.

 

[50]           Je n’ai d’autre choix devant le dépôt de ce document de conclure qu’il n’a non seulement aucun effet de droit devant moi, mais qu’il a été déposé à peine quelques jours avant l’audition de sursis. Je peux mentionner que le demandeur aurait pu faire sa demande, il y a même plusieurs années, puisque son ordonnance de déportation date déjà de quatre ans. J’en conclus qu’il s’agit d’une manœuvre de dernière minute pour gagner du temps et je n’ai d’autre choix que de conclure que cet élément ne peut en aucun cas, en ce qui me concerne, m’amener à conclure que le demandeur puisse subir un tort irréparable s’il est déporté en Inde puisque, de toute façon, le Comité des droits de la personne n’a encore rien conclu puisqu’il va commencer à étudier le dossier dans les semaines qui viennent alors que la Cour a présentement une analyse sérieuse complète et détaillée préparée par un agent d’immigration canadien dont c’est la responsabilité d’examiner les risques avant renvoi d’un individu.

 

[51]           Le juge doit examiner si le demandeur risque de subir un préjudice irréparable si la mesure de renvoi devait être exécutée. Le demandeur a multiplié les recours au cours des dernières années et si la Cour devait accorder un sursis simplement sur le fait que la personne demande une nouvelle révision d’une décision, cette attitude irait à l’encontre des principes et des objectifs de la loi.

 

[52]           J’ai examiné personnellement les documents qui font partie de la volumineuse preuve documentaire déposée tant devant l’agent ERAR que devant moi et je n’ai d’autre choix que de conclure que le demandeur n’a pas réussi à me convaincre qu’il puisse être victime de torture ou de traitement cruel ou inusité s’il devait être déporté en Inde.

 

[53]           J’en conclu que le demandeur ne m’a pas convaincu qu’il subirait un préjudice irréparable s’il devait être retourné en Inde.

 

BALANCE DES INCONVÉNIENTS

[54]           Par ailleurs, je n’ai aucune hésitation à conclure que la balance des inconvénients favorise nettement la partie défenderesse puisque le Ministre a l’obligation d’exécuter la mesure de renvoi aussitôt que les circonstances le permettent.

 

[55]           Considérant que le demandeur n’a pas réussi à rencontrer deux des trois éléments du test établi par la jurisprudence, (Toth c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, 1988, 86 N.R. 302 (CAF), soit qu’il existe un préjudice irréparable et que la balance des inconvénients puisse être en sa faveur, il ne sera pas nécessaire de décider s’il existe une question sérieuse à débattre.

 

[56]           En conséquence, la demande de sursis sera rejetée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

 

LA COUR ORDONNE que

            La demande de sursis soit rejetée.

 

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                      IMM-2889-06 et IMM-3175-05

 

INTITULÉ :                                       BACHAN SINGH, SOGI

                                                           

                                                            c.

                                                           

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               16 juin 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE :              LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                      23 juin 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Johanne Doyon

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me François Joyal

Me Ian Demers

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Doyon & Associés

Montréal (Québec)

Télécopieur : (514)277-2019

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Télécopieur : (514)496-7876

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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