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Date : 20230824


Dossier : T-813-23

Référence : 2023 CF 1120

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 août 2023

En présence de l’honorable juge Zinn

ENTRE :

DAVID MILOVAC

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Milovac demande à la Cour d’annuler la décision de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale qui lui a refusé la permission d’interjeter appel de la décision de la division générale. La division générale conclut que les actes de M. Milovac, qui sont décrits plus bas, constituent de l’inconduite et qu’il était donc exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi par application de l’article 30 de la Loi sur l’assurance-emploi, LC 1996, c 23 [la Loi].

[2] Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu que la décision en cause soit déraisonnable. Par conséquent, la demande est rejetée.

[3] Tout d’abord, à titre préliminaire, le défendeur soutient que certains documents que M. Milovac a inclus dans le dossier de demande n’avaient pas été présentés à la division d’appel et qu’ils ne devraient pas être considérés dans la présente instance : Al-Quq c Canada (Procureur général), 2018 CF 574 [Al-Quq]. Plus précisément, le défendeur s’oppose à l’inclusion des documents suivants :

  1. Rapport de sortie de l’hôpital, 25 juin 2016;

  2. Documents d’évaluation du rendement, 30 mai 2021;

  3. Formulaire de grief du SCFP, 8 septembre 2021;

  4. Convention collective, valide du 1er avril 2018 au 31 mars 2021;

  5. Rapport hebdomadaire de mortalité, 6 août 2021.

[4] M. Milovac soutient que les quatre premiers documents n’ajoutent rien de nouveau à sa demande. Il les a inclus parce qu’il doutait que les décideurs en l’espèce aient cru qu’il avait subi une crise cardiaque qui avait affaibli son cœur, qu’un grief alléguant une violation de la convention collective avait été déposé et qu’il avait été considéré par l’employeur comme un bon employé. À mon avis, aucun de ces faits n’est contesté; l’inclusion de ces cinq documents au dossier n’ajoute rien à la demande. Leur exclusion ne nuit pas aux observations que souhaite faire M. Milovac.

[5] Aux paragraphes 24 à 26 de la décision Al-Quq, la juge Heneghan explique correctement comment la Cour traite les prétendus « nouveaux » éléments de preuve qui n’étaient pas au dossier du décideur :

Selon les décisions de cette Cour, la règle générale veut que le cas d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour n’examinera que les documents qui ont été présentés au décideur.

De « nouveaux » renseignements peuvent être produits dans le cas d’une demande de contrôle judiciaire lorsque la compétence d’un tribunal est contestée. Voir la décision rendue dans l’affaire Gitxsan Treaty Society c. Hospital Employees’ Union et al, [2000] 1 CF 135.

À mon avis, les « nouveaux » renseignements soumis par le demandeur ne respectent pas ce critère. Les pièces qui n’avaient pas été présentées au décideur ne seront pas prises en compte pour déterminer si la demande de contrôle judiciaire doit être acceptée.

[6] Dans la présente affaire, personne ne remet en cause la compétence de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale. Ainsi, les documents en question ne sont pas considérés dans l’examen de la demande.

[7] Au moment des faits, M. Milovac travaillait pour le Réseau local d’intégration des services de santé de Mississauga Halton, une agence de soins de santé communautaire [l’employeur]. Le médecin hygiéniste en chef de l’Ontario publie alors la Directive no 6 sur la COVID-19, qui s’applique à l’employeur de M. Milovac. Conformément à la Directive, l’employeur adopte une politique, dont la partie pertinente est ainsi rédigée :

[traduction]

Comme l’exige la Directive no 6, publiée le 17 août 2021, et la présente politique, les employés des SSDMC [Services de soutien à domicile et en milieu communautaire] doivent fournir une preuve de vaccination, sauf dans les cas suivants :

S’il existe une raison médicale légitime (c.-à-d. une raison médicale documentée qui empêche quelqu’un d’être complètement vacciné contre la COVID-19 ainsi que la période pendant laquelle la raison médicale est valable). Cette raison doit être fournie par un ou une médecin, ou un infirmier praticien ou une infirmière praticienne.

S’il existe un motif légitime fondé sur les droits de la personne (y compris la religion) avec preuve acceptée par le SSDMC et conforme au Code des droits de la personne de l’Ontario.

[8] En septembre 2021, l’employeur avise par courriel tous ses employés que, conformément à la Directive no 6 de la province, tous les employés doivent présenter leur preuve de vaccination contre la COVID-19 ou obtenir une exemption pour raison médicale ou motif fondé sur les droits de la personne. De plus, le courriel indique que le non-respect de cette directive entraînerait des mesures disciplinaires, une suspension ou le congédiement.

[9] M. Milovac présente une demande d’exemption fondée sur la liberté de conscience, qui est protégée à l’alinéa 2(a) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [la Charte], mais l’employeur la refuse et répète les conséquences du non-respect de la politique. M. Milovac ne déclare pas son statut vaccinal.

[10] Le 1er octobre 2021, l’employeur avise M. Milovac qu’il est placé en congé non payé pour ne pas avoir déclaré son statut vaccinal. Le 18 octobre 2021, l’employeur envoie une autre lettre à M. Milovac pour l’avertir qu’il sera congédié s’il ne se conforme pas à la politique en mettant à jour son statut vaccinal au plus tard le 31 octobre 2021.

[11] Puisque M. Milovac ne déclare pas son statut vaccinal avant la date prévue, l’employeur le congédie le lendemain pour non-respect de la politique.

[12] M. Milovac présente alors une demande de prestations d’assurance-emploi. La Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) rejette sa demande au motif qu’il a été congédié en raison de sa propre inconduite. Elle conclut qu’il est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi par application du paragraphe 30(1) de la Loi :

30 (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :

30 (1) A claimant is disqualified from receiving any benefits if the claimant lost any employment because of their misconduct or voluntarily left any employment without just cause, unless

a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;

(a) the claimant has, since losing or leaving the employment, been employed in insurable employment for the number of hours required by section 7 or 7.1 to qualify to receive benefits; or

b) qu’il ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.

(b) the claimant is disentitled under sections 31 to 33 in relation to the employment.

[13] Il ne fait aucun doute que les exceptions prévues dans la Loi ne s’appliquent pas dans la présente affaire. La seule question à trancher est celle de savoir si M. Milovac a perdu son emploi à cause de son inconduite.

[14] À la demande de M. Milovac, la Commission révise sa décision, mais elle finit par la confirmer. M. Milovac interjette appel de la décision à la division générale. Cette dernière rejette l’appel. La division générale conclut que M. Milovac a été congédié en raison de son inconduite et que l’article 30 de la Loi l’exclut du bénéfice des prestations d’assurance-emploi habituelles à la suite de son congédiement. M. Milovac allègue que la conduite de son employeur était fautive, car non conforme à la Charte. Au paragraphe 32 de sa décision, la division générale rejette cet argument :

Le prestataire a bel et bien mentionné la Charte dans sa demande d’exemption. Cependant, la politique de l’employeur prévoit des exemptions médicales et des exemptions valides en vertu du Code des droits de la personne de la province. L’employeur a jugé que la demande du prestataire ne répondait pas aux critères de sa politique.

[15] Au paragraphe 42, la division générale résume ses conclusions en ces termes :

Je conclus que le geste du prestataire, soit de ne pas respecter la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur, était délibéré. Il a fait le choix conscient, délibéré et intentionnel de ne pas déclarer son statut vaccinal. Il l’a fait en sachant que son employeur le congédierait probablement. Pour ces raisons, je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite.

[16] M. Milovac demande ensuite la permission d’interjeter appel à la division d’appel, qui rejette la demande pour absence d’argument ayant une chance raisonnable de succès. La division d’appel estime plus précisément qu’il n’y a pas d’argument raisonnable selon lequel la division générale aurait rendu une décision entachée d’une erreur de droit en limitant son analyse à la question étroite de savoir si M. Milovac avait été congédié pour inconduite au sens où il faut l’entendre pour l’application de la Loi. Elle conclut que l’analyse de la division générale était conforme aux décisions exécutoires de la Cour d’appel fédérale, tout particulièrement à la décision Canada (Procureur général) c Lemire, 2010 CAF 314 [Lemire], où la Cour note au paragraphe 15 :

Il ne s’agit pas, cependant, de décider si le congédiement est justifié ou non au sens du droit du travail, mais plutôt de déterminer selon une appréciation objective de la preuve s’il s’agit d’une inconduite telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible de provoquer son congédiement : Meunier c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration) (1996), 208 N.R. 377 au para. 2.

[17] La division d’appel conclut également à l’absence d’argument raisonnable permettant d’établir que la division générale a commis une erreur en rejetant l’allégation de M. Milovac qui affirmait que son contrat d’emploi et la convention collective le dispensaient de se faire vacciner contre la COVID-19, comme l’exige la politique de l’employeur. La division d’appel résume les conclusions de la division générale au paragraphe 14 de sa décision :

Dans la présente affaire, la division générale a tiré les conclusions suivantes :

La politique de vaccination contre la COVID-19 de l’employeur n’a pas enfreint la convention collective ni modifié unilatéralement les conditions d’emploi du prestataire.

La convention collective donnait aux employés le droit de refuser de se faire vacciner contre la grippe, mais elle ne leur permettait pas de refuser tous les vaccins.

Même si directive no 6 n’exigeait pas un congédiement en cas de non-conformité, l’employeur avait une grande latitude pour s’assurer que son personnel respectait sa politique de vaccination contre la COVID-19.

[18] La division d’appel conclut donc qu’elle ne doit pas infirmer la décision de la division générale puisqu’elle n’a trouvé aucune conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire.

[19] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la norme de contrôle de la décision raisonnable est celle qu’applique la Cour lorsqu’elle procède au contrôle judiciaire des décisions de la division d’appel à l’égard des permissions d’interjeter appel : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux paras 23, 25; et voir les exemples récents de l’application de cette norme de contrôle aux décisions sur les permissions d’interjeter appel des décisions de la division d’appel dans les affaires Cecchetto c Canada (Procureur général), 2023 CF 102 [Cecchetto] au para 20, Gauvreau c Canada (Procureur général), 2021 CF 92 aux paras 24-27.

[20] À l’appui de sa présente demande, M. Milovac présente plusieurs observations dans son mémoire et son affidavit. Je les résume ainsi :

  1. La division d’appel a ignoré le fait qu’il a décidé de protéger son cœur des effets secondaires du vaccin contre la COVID-19 et que sa décision était fondée sur de [traduction] « bons motifs, valides et légitimes; » à savoir sa crise cardiaque de 2016, ainsi que ses conséquences, et le fait selon lui que l’employeur a rejeté sa demande d’exemption fondée sur la liberté de conscience protégée par la Charte.

  2. La division d’appel a ignoré ses [traduction] « affirmations répétées » qu’il n’avait pas prévu qu’on mettrait fin à son emploi malgré le fait qu’il a admis avoir reçu des lettres qui l’informaient qu’il pourrait être congédié.

  3. La division d’appel a commis une erreur en convenant avec la division générale que la Directive no 6 permettait à l’employeur de manquer au contrat d’emploi.

  4. La division d’appel n’a su établir un manquement unilatéral et illégal au contrat d’emploi quand l’employeur a ajouté une nouvelle condition d’emploi essentielle, à savoir être vacciné.

[21] Ensuite, M. Milovac allègue que la division d’appel s’est limitée à reprendre la décision de la division générale au lieu d’effectuer sa propre analyse.

[22] La seule question que la division d’appel devait trancher était celle de savoir si M. Milovac avait soulevé un argument dans sa demande de permission d’interjeter appel qui avait une chance raisonnable d’établir une erreur dans la décision de la division générale, comme l’exige l’alinéa 58(1)(c) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34.

[23] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la division d’appel a examiné les arguments présentés par M. Milovac et qu’elle n’en a trouvé aucun qui avait une chance raisonnable de succès en appel.

[24] La division d’appel a conclu que les arguments concernant les conclusions de fait de la division générale ne pouvaient être retenus parce que ces dernières étaient étayées par les éléments de preuve au dossier. De plus, la division d’appel a noté qu’elles n’étaient pas directement liées à la question étroite sur laquelle devait se pencher la division générale : à savoir si M. Milovac avait commis une inconduite au sens où il faut entendre ce terme pour l’application de la Loi.

[25] Certes, la division d’appel a correctement remarqué que la décision de la division générale respectait les décisions contraignantes de la Cour fédérale et qu’il n’y avait pas d’erreur dans son analyse juridique.

[26] De plus, la division d’appel a correctement et raisonnablement déterminé que la division générale estimait que M. Milovac avait été congédié en raison de sa propre inconduite, de sorte qu’il était exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi. Pour que la permission lui soit accordée, M. Milovac devait présenter des arguments qui réfutent la décision de la division générale selon laquelle il avait commis une inconduite en ne respectant pas les exigences en matière de vaccination de son employeur bien qu’il ait été averti des conséquences. Il n’en a présenté aucun, sauf la simple affirmation qu’il n’avait pas prévu être congédié quoiqu’il accepte ces faits. Il a intentionnellement fait fi des circonstances de son cas. Un tel aveuglement n’équivaut pas à une chance raisonnable de succès en appel.

[27] La Cour comprend que M. Milovac croit fermement que la politique de son employeur est une réaction exagérée à la pandémie de COVID-19 et que la politique a été appliquée injustement à son égard compte tenu de sa crise cardiaque antérieure et de son rendement hors pair en tant qu’employé. La Cour comprend aussi qu’il est profondément convaincu qu’aucun des décideurs n’a tenu compte de ses préoccupations quant à la violation de ses droits garantis par la Charte et de son contrat d’emploi. Cependant, la supposée violation de la convention collective a été traitée par voie de grief syndical. Au paragraphe 19 de sa décision, la division d’appel note que la Cour avait déjà conclu que les préoccupations liées à la Charte ne relèvent pas de la compétence de ce tribunal.

[28] La décision Cecchetto concerne également un demandeur qui refuse de se conformer à la politique de vaccination contre la COVID-19 de son employeur. En rejetant la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la division d’appel, qui a refusé la permission d’interjeter appel, la Cour conclut au paragraphe 48 :

Malgré les arguments du demandeur, il n’y a pas de fondement pour annuler la décision de la division d’appel parce qu’elle n’aurait pas évalué le bien-fondé, la légitimité ou la légalité de la directive no 6 ni rendu de décision à ce sujet. Ce genre de conclusion ne relevait pas du mandat ou de la compétence de la division d’appel ni de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale [citations omises].

[29] Dans la présente, il n’a pas été démontré qu’il était déraisonnable de conclure que M. Milovac avait perdu son emploi en raison de son inconduite parce qu’il était au courant de la politique de vaccination de son employeur et des conséquences qui découleraient de son refus de s’y conformer.

[30] Les parties conviennent qu’aucuns dépens ne sont accordés.

 


JUGEMENT au dossier T-813-23

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : la demande est rejetée et aucuns dépens ne sont accordés.

« Russel W. Zinn »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-813-23

 

INTITULÉ :

DAVID MILOVAC c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

audience tenue par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

16 août 2023

 

JUGeMENT et motifs :

le juge ZINN

 

DATE :

le 24 août 2023

 

COMPARUTIONS

David Milovac

 

pour le demandeur

(POUR SON COMPTE)

 

Ian McRobbie

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Procureur général du Canada

Gatineau (Québec)

 

pour le défendeur

 

 

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