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Date : 20230829


Dossiers : T‐866‐22

T‐923‐22

T‐1804‐22

Référence : 2023 CF 1166

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 août 2023

En présence de madame la juge Walker

Dossier : T‐866‐22

ENTRE :

SHELBURNE ELVER LIMITED

demanderesse

et

SA MAJESTÉ LE ROI (MINISTRE DES PÊCHES, DES OCÉANS ET DE LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE)

défendeur

Dossier : T‐923‐22

ET ENTRE :

WINE HARBOUR FISHERIES LIMITED

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Dossier : T‐1804‐22

ET ENTRE :

SOUTH SHORE TRADING CO. LTD.

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La question en litige dans la présente instance réunie est la délivrance, par la ministre des Pêches et des Océans (la ministre), de permis de pêche commerciale de la civelle pour la saison de pêche printanière et estivale de 2022. La civelle est le nom donné à l’anguille d’Amérique juvénile.

[2] Les demanderesses, Shelburne Elver Limited (Shelburne Elver), Wine Harbour Fisheries Ltd. (Wine Harbour) et South Shore Trading Co. Ltd. (SST), ont toutes trois détenu pendant un certain nombre d’années un permis de pêche commerciale annuel leur donnant droit de pêcher un contingent (ou quota) individuel (CI) – ou limite de prises – de 1 200 kilogrammes (kg) de civelles. Chaque demanderesse a déposé un avis de demande en vue de soumettre à un contrôle judiciaire la décision de la ministre de réduire de 13,7 % le CI qui lui avait été attribué pour la saison de pêche de 2022 afin de soutenir l’accès accru des Premières Nations à ce secteur de pêche. La réduction du CI a été mise en œuvre sans verser d’indemnité pécuniaire au titulaire de permis. La même décision a été prise pour réduire le CI de huit des neuf titulaires de permis de pêche commerciale et, dans tout le présent jugement, je fais référence au singulier aux huit décisions en question, y compris celles concernant les demanderesses. La décision de la ministre a été communiquée à chacune des demanderesses par une lettre datée du 6 avril 2022 de Mme Jacinta Berthier, directrice régionale, Gestion des pêches, ministère des Pêches et des Océans (le MPO).

[3] Les demandes de contrôle judiciaire de Shelburne Elver (T‐866‐22) et de Wine Harbour (T‐923‐22) ont été réunies le 15 juin 2022. La demande de contrôle judiciaire de SST (T‐1804‐22) a été jointe à celles de Shelburne Elver et de Wine Harbour le 29 août 2022. J’ai instruit l’instance réunie les 28 février et 1er mars 2023.

[4] La décision de la ministre est l’aboutissement d’un processus auquel ont pris part la ministre, ses représentants, le MPO et des titulaires de permis et qui a débuté en février 2021. La manière dont ce processus s’est déroulé entre cette date et celle de la décision de la ministre est d’une importance cruciale pour les arguments que les demanderesses ont présentés et, par souci de commodité, une chronologie des faits pertinents est incluse dans les pages qui suivent.

[5] Il est important au départ d’établir ce qui, en l’espèce, n’est pas en litige. Aucune des demanderesses ne remet en question l’importance d’accorder aux Premières Nations un accès accru à la pêche de la civelle. Le litige concerne la ministre. Les demanderesses mettent l’accent sur le processus qui a abouti à la décision de la ministre ainsi que sur le fond de la décision elle‐même, plus précisément sur le fait que la ministre s’est écartée du modèle des « acheteur et vendeur consentants » (le MAVC) et sur la réduction, sans indemnisation pécuniaire, de leurs CI respectifs des années antérieures.

[6] Les demanderesses soutiennent que la décision de la ministre est une décision de nature administrative qui a été prise d’une manière inéquitable sur le plan procédural parce que la ministre a abandonné le MAVC à la dernière minute. Elles sont également d’avis que cette décision manque de transparence et est déraisonnable. Le défendeur n’est pas d’accord et il fait valoir que la décision de la ministre est une décision de principe qui ne peut être soumise à un contrôle que dans des circonstances très restreintes. Il est d’avis que le processus qui a abouti à la décision de la ministre était équitable et qu’il s’est soldé par une décision polycentrique raisonnable, que la Cour ne devrait pas modifier.

[7] Je ne suis pas d’accord avec le premier argument qu’invoque le défendeur et je conclus que la décision est de nature administrative. Je suis toutefois d’avis que : 1) le processus par lequel la ministre a rendu la décision était équitable, et 2) la décision est raisonnable en raison du vaste pouvoir discrétionnaire dont jouit la ministre pour gérer le secteur canadien de la pêche et des motifs exhaustifs sur lesquels s’appuie sa décision.

[8] En conséquence, je rejetterai les demandes de contrôle judiciaire des demanderesses.

II. Contexte

A. L’industrie de la pêche de la civelle

[9] L’anguille de l’Amérique est une population de poisson unique, originaire des Antilles, et qui, chaque année, migre jusqu’au Canada atlantique au printemps ou au début de l’été. La région des Maritimes compte la seule exploitation de pêche commerciale de la civelle au Canada.

[10] La pêche commerciale de la civelle est une pêche à accès limité pour des raisons de conservation qui sont fondées sur un principe d’« entrée‐sortie ». À moins que la ministre exerce son pouvoir discrétionnaire pour faire augmenter le nombre de permis, il n’est possible d’entrer dans ce secteur de pêche qu’en remplaçant un titulaire de permis existant. Aucun nouveau permis de pêche de la civelle n’a été délivré depuis 1998, et nul n’est autorisé à pêcher la civelle sans permis valide.

[11] Le total admissible des captures (TAC) qui a été fixé pour la pêche de la civelle est de 9 960 kg depuis 2005.

[12] La pêche de la civelle est gérée par le MPO (région des Maritimes) au moyen d’un modèle de répartition entre entreprises dans le cadre duquel chaque permis autorise un CI non transférable qui peut être récolté dans un ou plusieurs secteurs de pêche exclusifs et qui plafonne la quantité qui peut être recueillie dans n’importe quel cours d’eau. Les permis sont délivrés chaque année, et le MPO a pour pratique de redélivrer un permis au même titulaire année après année.

[13] Le MPO se soucie depuis de nombreuses années de la conservation de l’anguille. Le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (le COSEPAC) a désigné l’anguille de l’Amérique comme une espèce « menacée » dans un rapport de 2012 (le rapport du COSEPAC de 2012) et, en juillet 2022, le Canada envisageait d’inscrire l’espèce sous le régime de la Loi sur les espèces en péril, LC 2002, c 29.

[14] La pêche de la civelle est devenue de plus en plus lucrative ces 10 dernières années, et la valeur au débarquement a augmenté de 450 $/kg en 2009 à 3 800 $/kg en 2021, après avoir culminé à 5 100 $/kg en 2019.

[15] Au cours de la période visée par la présente instance (2021‐2022), il y avait neuf permis de pêche commerciale de la civelle. Huit de ces permis ont été délivrés sous le régime du Règlement de pêche des provinces maritimes (le RPPM), DORS/93‐55, et ils étaient détenus par des entreprises commerciales, dont les demanderesses. Sept des huit permis visés par le RPPM ont été délivrés avec des CI de 1 200 kg chacun, et un avec un CI de 360 kg. Les autres permis de pêche commerciale ont été délivrés sous le régime du Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones (le RPPCA), DORS/93‐332, à la Première Nation We’koqma’q, et le CI est de 1 200 kg.

[16] Ces dernières années, en raison de la facilité de récolte, de la valeur élevée de la pêche de la civelle et de l’accès restreint des Premières Nations à ce secteur, les agents du MPO ont constaté une nette augmentation de la pêche de la civelle sans permis, ce qui avait une incidence sur la conservation, la gestion ordonnée et la sécurité de ce secteur. De l’avis du MPO, le fait d’accorder aux Premières Nations un accès accru aiderait à atténuer le risque de pêche non autorisée en marge du secteur de pêche commerciale existant.

B. L’accès des Premières Nations à la pêche de la civelle

[17] Depuis 2016, plusieurs Premières Nations souhaitent avoir accès à la pêche de la civelle et font valoir que le droit de pêcher et de vendre leurs prises afin de s’assurer d’une subsistance convenable s’applique au secteur de la pêche de la civelle (voir, R c Marshall, [1999] 3 RCS 456, une affaire portant sur la récolte d’anguilles adultes). À partir de 2019 et jusqu’en 2022, le MPO a reçu des propositions de deux Premières Nations qui demandaient d’avoir accès à environ 3 200 kg de civelles dans le cadre de plans de pêche à des fins de subsistance convenable (PPSC).

C. Les demanderesses

[18] Shelburne Elver exploite une coopérative comptant 17 membres et elle est titulaire d’un permis de pêche de la civelle annuel depuis 1998. De 2005 à 2021, le ou la ministre de l’époque lui a attribué un CI annuel de 1 200 kg.

[19] Wine Harbour exploite une entreprise de pêche commerciale à Sherbrooke, en Nouvelle‐Écosse, et elle détient un permis de pêche de la civelle annuel depuis 1995. Dans les années antérieures à la saison de la civelle de 2022, le ou la ministre de l’époque lui a attribué un CI annuel de 1 200 kg.

[20] SST est active dans le secteur de la pêche de l’anguille de l’Amérique depuis 1984 et, pendant de nombreuses années, elle a détenu un permis de pêche de la civelle annuel. Entre la fin des années 2000 et 2021, le ou la ministre de l’époque lui a attribué un CI annuel de 1 200 kg.

[21] Chacune des demanderesses et le défendeur ont déposé des affidavits dans le cadre de la présente instance :

  • (1)Shelburne Elver : M. Brian Giroux, souscrit le 6 juin 2022.

  • (2)Wine Harbour : M. Blair Golden, souscrit le 6 juin 2022.

  • (3)SST : M. Mitchell Feigenbaum, souscrit le 27 juin 2022.

  • (4)Défendeur : Mme Jacinta Berthier, souscrit le 4 juillet 2022.

[22] Chacun des déposants a été contre‐interrogé sur son affidavit, et les transcriptions du contre‐interrogatoire ont été versées dans le dossier.

D. La chronologie

[23] La chronologie des réunions et des communications qui ont eu lieu entre le MPO, les représentants de la ministre et les titulaires de permis font partie intégrante des positions respectives des parties dans la présente demande. Le résumé qui suit indique les dates et les faits importants de cette chronologie. Il est question dans la section « Analyse » du présent jugement de la teneur de certaines réunions et de certaines notes de service destinées au ministre.

Date

Fait

17 février 2021

Réunion du Comité consultatif de la civelle (CCC) :

  • -Étaient présents des représentants du MPO, de Shelburne Elver, de Wine Harbour et de SST, notamment.

  • -Le MPO a fait un survol de la possibilité de renoncer volontairement à l’accès existant à la pêche de la civelle aux fins de négociations avec les collectivités autochtones.

3 mars 2021

Déclaration de la ministre :

  • -Le gouvernement fédéral travaillera avec les collectivités visées par l’arrêt Marshall à la mise au point de PPSC et il augmentera l’accès des Premières Nations au moyen des permis existants et d’une approche fondée sur le MAVC.

10 mars 2021

Conférence téléphonique – MPO et titulaires de permis :

  • -Le MPO a déclaré qu’il cherchait des moyens de donner accès au secteur de pêche aux Premières Nations sans augmenter le TAC. La méthode privilégiée serait une renonciation volontaire – le MAVC.

  • -Les titulaires de permis intéressés ont été invités à envoyer des projets de proposition au MPO.

6 avril 2021

Propositions soumises au MPO par chacune des demanderesses.

31 août 2021

 

Rapport de TriNav :

Le MPO a reçu de TriNav Fisheries Consultants Inc. (TriNav) une analyse d’évaluation indépendante, ainsi que le rapport sur la civelle.

20 janvier 2022

Réunion du CCC :

Le MPO a confirmé qu’il travaillait à la mise au point de PPSC, au maintien du TAC et à la recherche de renonciations volontaires – le MAVC.

Le MPO a déclaré qu’il avait l’intention de lancer un second appel de propositions.

22 février 2022

Réunion du MPO, du Comité canadien pour une pêche à l’anguille durable (y compris cinq des neuf titulaires de permis) et du Conseil canadien des pêches :

Le MPO a informé les personnes présentes que la renonciation volontaire – le MAVC était le modèle privilégié, mais pas le seul modèle possible.

24 février 2022

Note de service du MPO au ministre :

  • -Pour la saison de la civelle de 2022, le MPO devra peut‐être attribuer des CI provisoires aux titulaires de permis. Le MPO entreprendra des consultations et une analyse interne qui lui serviront à prendre une décision à plus long terme avant la saison de 2023.

  • -Un résumé de la réunion du 22 février 2022 a été fait et la ministre a été informée que 1) les propositions reçues des titulaires de permis ne contenaient pas d’offres de renonciation volontaire acceptables et 2) l’idée d’un processus non volontaire suscitait de vives inquiétudes chez les titulaires de permis.

24 février 2022

Lettre de Mme Berthier à tous les titulaires de permis, indiquant que :

  • -Les propositions des titulaires de permis excédaient nettement l’évaluation de TriNav et le MPO ne procéderait pas à une seconde série de propositions pour la saison de 2022.

  • -Le MPO songeait à une réduction provisoire du CI d’env. 14 %, sans aide pécuniaire.

  • -Les titulaires de permis ont été invités à répondre avant le 4 mars 2022.

3 mars 2022

 

Les demanderesses ont répondu chacune à la lettre de Mme Berthier, faisant part, clairement et sans équivoque, de leur opposition.

11 mars 2022

 

Note de service du MPO au ministre :

  • -La demande de renonciation volontaire n’a pas mené à des propositions financièrement réalisables, et un second processus ne donnerait presque certainement pas lieu à un résultat plus favorable.

  • -À titre d’approche provisoire pour la saison de 2022, le MPO a recommandé que les titulaires de permis actuels, sauf la Première Nation We’koqma’q, reçoivent un CI équivalant à 86,3 % du CI qui s’appliquait à la saison de 2021. Les 13,7 % restants serviraient à accroître la participation des Premières Nations au secteur de pêche.

15 mars 2022

 

Réunion du MPO avec les titulaires de permis :

  • -Une proposition concernant les titulaires de permis / l’industrie en vue d’une redistribution inégale de 14 % du TAC pour 2022 a été déposée, mais elle n’a pas obtenu l’appui de tous les titulaires de permis.

18 mars 2022

Note de service du MPO au ministre :

Le MPO a résumé la réunion tenue le 15 mars 2022 avec les titulaires de permis et a réitéré son intention de délivrer des CI provisoires représentant en tout 86,3 % du TAC de 2022.

23 mars 2022

 

Réunion du MPO avec les titulaires de permis :

  • -Le MPO, les représentants du cabinet de la ministre et du ministère de la Justice et les titulaires de permis se sont réunis en vue d’une dernière discussion.

  • -Le MPO a demandé de nouveau aux titulaires de permis d’envisager de soumettre une proposition consensuelle de réattribution de 14 % du TAC pour la saison de 2022, tout en réaffirmant son engagement à poursuivre une approche à long terme à l’égard du secteur de pêche dans le cadre de discussions avec les Premières Nations et les titulaires de permis.

24 mars 2022

Proposition relative à la saison de 2022 soumise au MPO pour le compte de sept titulaires de permis, dont Shelburne Elver et SST :

La proposition provisoire faisait état de deux options relatives à une réduction conditionnelle des CI attribués aux titulaires de permis existants pour la saison de 2022 :

  • -Proposition privilégiée par l’industrie : Si un titulaire de permis est sur le point d’atteindre 86 % de son contingent de 2021, il peut demander au MPO l’autorisation de pêcher un contingent supplémentaire, sous réserve de conditions précises. Le MPO n’autorisera pas de contingents supplémentaires s’il est vraisemblable que l’on excédera le TAC.

  • -Proposition secondaire : Deux titulaires de contingent ou plus peuvent présenter un plan exposant en détail à quelle part chaque partie renoncera en vue de satisfaire à la réduction de contingent de 14 % (p. ex., le titulaire de permis A pourrait réduire son CI de 7 % et le titulaire de permis B pourrait réduire le sien de 21 %).

25 mars 2022

 

Note de service du MPO à la ministre au sujet de la proposition provisoire du 24 mars 2022 :

Le MPO a recommandé d’intégrer à la planification relative à la saison de 2022 quelques éléments de la proposition des titulaires de permis du 24 mars 2022 :

  • -Un pourcentage du CI de chaque titulaire de permis serait attribué pour 2022. Le reste du CI, dans les limites du TAC de 9 960 kg, serait mis en réserve par le MPO pour utilisation dans le cadre de négociations avec les collectivités autochtones.

  • -S’il subsiste un élément de contingent dans le TAC qui n’a pas été attribué en vue d’un nouvel accès des Autochtones en 2022, le MPO pourrait réattribuer le reste du TAC aux titulaires de permis actuels qui ont atteint ou qui atteindront probablement le CI réduit qui leur a été attribué.

  • -Le MPO soutiendrait les titulaires de permis qui réduiraient volontairement toute part non pêchée de leur CI, qui pourrait être mise en réserve pour redistribution.

28 mars 2022

 

La ministre a signé la note de service du 25 mars 2022, souscrivant ainsi à la réduction recommandée du CI respectif de huit des neuf titulaires de permis de pêche commerciale (à l’exclusion de la Première Nation We’koqma’q) de 13,7 %, sans indemnisation pécuniaire.

III. Décision faisant l’objet du présent contrôle

[24] Les paragraphes importants des lettres que Mme Berthier a envoyées le 6 avril 2022 pour faire part aux demanderesses de la décision de la ministre sont les suivants :

[traduction]
La ministre a examiné avec soin vos observations concernant la proposition exposée dans la [lettre] du 24 février 2022. Comme vous le savez, la ministre est en faveur d’un accroissement de la participation des Premières Nations au secteur de la pêche commerciale de la civelle, et ce, sans augmenter l’effort général qui est fait dans ce secteur.

La ministre a ainsi décidé, pour la saison de 2022, d’attribuer aux titulaires de permis (à l’exclusion de la Première Nation We’koqma’q) 13,7 % moins de contingents cette année, comparativement aux attributions individuelles de l’année dernière, à titre de mesure provisoire à l’appui d’un accroissement de la participation des Premières Nations à la saison de pêche de 2022. Pour la saison de 2022, cette décision n’est pas assortie de l’octroi d’un arrangement pécuniaire quelconque aux titulaires de permis. Le contingent de cette année se reflète dans les conditions de permis de 2022 (les contingents attribués en 2022 sont de 1 035,60 kg) sans autre ajustement, comme des changements ou une réduction des lieux d’accès aux cours d’eau et des changements au type d’engin autorisé, pour la saison de 2022.

[25] La lettre confirme que le MPO surveillera avec soin le TAC au cours de la saison et que les titulaires de permis pourront peut‐être présenter une demande concernant la part disponible du contingent s’ils ont atteint ou atteindront vraisemblablement le CI qui leur a été attribué pour 2022. Avant la saison de 2023, le MPO entrera en contact avec les titulaires de permis pour étudier un moyen à plus long terme de soutenir un accroissement de la participation des Premières Nations au secteur de pêche, ce qui pourrait inclure un second appel de propositions.

IV. Questions en litige

[26] Les arguments des parties soulèvent les questions qui suivent :

  1. La décision de la ministre est‐elle une décision administrative ou de principe?

  2. Les demanderesses ont‐elles bénéficié de l’équité procédurale?

  3. La décision de la ministre est‐elle raisonnable?

V. Analyse

A. La décision de la ministre est‐elle une décision administrative ou de principe?

[27] La question de savoir si la décision de la ministre est une décision administrative ou de principe est un préalable important car elle a une incidence sur les circonstances dans lesquelles la Cour interviendra. De façon très générale, le décideur qui exerce un vaste pouvoir de principe est soumis à moins de contraintes procédurales et de fond que celui qui tire une conclusion hautement juridique (voir Entertainment Software Association c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100 aux para 24‐36 (Entertainment Software), Barry Seafoods NB Inc. c Canada (Pêches, Océans et Garde côtière), 2021 CF 725 au para 23 (Barry Seafoods)).

[28] Les demanderesses sont d’avis que la décision de la ministre est une décision administrative qui, toutefois, vise à mettre en œuvre l’engagement pris par le gouvernement fédéral de faciliter l’accès accru des Premières Nations au secteur de la pêche commerciale de la civelle. Elles font valoir que la décision n’impose pas une règle de conduite générale sans faire référence à un cas particulier. Il s’agit plutôt d’une décision concernant l’attribution de permis. Elles soulignent que la décision de la ministre ne s’applique pas à tous les titulaires de permis de pêche commerciale qui font partie du secteur. Notamment, elle exclut de toute réduction du CI le permis que détient la Première Nation We’koqma’q. Elles indiquent que le MPO et la ministre ont traité tous les neufs titulaires de permis de pêche commerciale, y compris la Première Nation We’koqma’q, comme faisant partie du même secteur de pêche dès le début des discussions entourant la saison de pêche de 2022.

[29] Le défendeur soutient que la décision de la ministre est une décision de principe que celle‐ci a prise dans le cadre de ses vastes pouvoirs discrétionnaires de gestion du secteur canadien de la pêche, et ce, sous le régime de la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, LRC 1985, c F‐15, de la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F‐14, et des règlements connexes. Il qualifie la décision de la ministre de décision concernant l’attribution de contingents qui s’applique à la catégorie tout entière des permis de pêche commerciaux, non communautaires, de pêche de la civelle, et non aux demanderesses à titre individuel. Il signale que les huit permis commerciaux qui sont visés par la réduction du CI ont été délivrés en vertu du RPPM, tandis que le permis que détient la Première Nation We’koqma’q a été délivré en vertu du RPPCA, qui est un régime réglementaire différent.

[30] La jurisprudence de notre Cour et de la Cour d’appel fédérale (la CAF) soutient depuis toujours que l’imposition d’une politique en matière de contingents ou l’attribution de contingents constitue une décision législative ou de principe, mais que l’octroi d’un permis particulier est une décision de nature administrative (Carpenter Fishing Corp. c Canada, [1998] 2 CF 548 (CA) au para 28 (Carpenter Fishing Corp.); Malcolm c Canada (Pêches et Océans), 2014 CAF 130 aux para 32, 34 (Malcolm); Barry Seafoods au para 33; Munroe c Canada (Procureur général), 2021 CF 727 aux para 29‐31 (Munroe); à comparer avec Mowi Canada West Inc. c Canada (Pêches, Océans et Garde côtière), 2022 CF 588 au para 153 (Mowi)).

[31] La question qui se pose dans chaque affaire soumise aux Cours consiste à savoir si la décision en litige impose une « règle de conduite générale, sans référence à des cas particuliers » (Munroe au para 37, citant R. v Corcoran, 181 Nfld & PEIR 341 aux para 12‐15, 20‐21; Gulf Trollers Assn. c Canada (ministre des Pêches et Océans) [1987] 2 CF 93 (CAF) aux p 743‐44).

[32] Je suis d’avis que, en l’espèce, la décision de la ministre n’impose pas une règle d’application générale. En substance, il s’agit d’une décision en matière d’attribution de permis qui s’applique uniquement à la saison de pêche de la civelle de 2022 et qui a été prise à la suite d’un processus et pour des raisons qui font systématiquement référence aux circonstances et aux intérêts particuliers des neuf titulaires de permis de pêche commerciale existants. J’arrive à cette conclusion en me fondant sur la décision de la ministre, sur le processus qui a abouti à cette dernière ainsi que sur le dossier documentaire.

[33] La décision de la ministre, communiquée par une lettre de Mme Berthier à chacun des huit titulaires de permis visés, réduit le CI du titulaire de permis nommé pour la saison de pêche de la civelle de 2022 de 13,7 % sans indemnisation, sous réserve d’une demande du titulaire de permis en question pour avoir accès à un CI supplémentaire dans certaines circonstances. La décision de la ministre n’établit pas de TAC et n’attribue pas de contingents à des secteurs de pêche (Barry Seafoods), ne redistribue pas le TAC entre des secteurs de pêche (Malcolm), ne prévoit pas de formule pour l’attribution de contingents au sein d’un secteur de pêche (Carpenter Fishing Corp.) ou ne change pas la méthode de calcul des contingents pour un groupe défini de titulaires de permis (Munroe).

[34] Le défendeur indique que la décision de la ministre impose la même réduction de CI à tous les titulaires de permis de pêche commerciale, à l’exception de la Première Nation We’koqma’q, mais il ne traite pas du second élément de la décision. Dans sa lettre, Mme Berthier informe le titulaire de permis destinataire qu’il pourrait peut‐être demander au MPO de lui attribuer un contingent non pêché supplémentaire à partir d’une réserve non attribuée du TAC s’il s’approche de son CI réduit pour 2022, à condition que [traduction] « les contingents individuels, dans le secteur de pêche, n’excèdent pas la quantité maximale qui a été attribuée à un titulaire de permis en 2021 ». La possibilité de récupérer un CI auquel il a été renoncé a été offerte à chacun des huit titulaires de permis à parts égales, mais cela renforce l’accent que met le MPO sur chaque titulaire de permis et les effets de la réduction du CI sur le titulaire particulier.

[35] Les consultations relatives à la saison de 2022 ont débuté en février 2021 par une demande transmise en mars à chaque titulaire de permis de pêche commerciale, y compris la Première Nation We’koqma’q, en vue de la présentation d’une proposition concernant sa disposition à renoncer au CI selon le MAVC. Le MPO a fait savoir qu’il souhaitait obtenir une réponse aux questions suivantes :

[traduction]

1. Quelle part du contingent individuel?

2. Quels lieux de pêche associés?

3. Que souhaitez‐vous voir indemniser et pourquoi?

[36] En janvier 2022, le MPO a envisagé d’obtenir une seconde série de propositions des titulaires de permis intéressés. Entre les mois de février et de mars 2022, le MPO et la ministre ont entrepris de consulter les titulaires de permis au sujet de la réduction du CI de chaque titulaire, sans indemnisation pécuniaire. La Première Nation We’koqma’q a participé aux discussions, a reçu la lettre de Mme Berthier du 22 février 2022 et a fourni sa propre réponse à la lettre, parallèlement aux autres titulaires de permis. La ministre a déclaré au milieu du mois de mars 2022 qu’elle étudierait une proposition consensuelle des titulaires de permis, mais sans préciser que la proposition devait traiter tous les titulaires de permis de manière égale.

[37] La décision de la ministre est fondée sur quatre notes de service établies à son intention et datées du 24 février 2022, du 11 mars 2022, du 18 mars 2022 et du 25 mars 2022 (la dernière comprend la signature d’accord de la ministre, le 28 mars 2022). Les notes de service du 24 février et du 11 mars 2022 donnent un aperçu de la conception qu’avait le MPO de la nature de la décision de la ministre et des modalités des réductions proposées aux CI des titulaires de permis existants. Dans la note de service du 24 février, la description que fait le MPO de l’appel de propositions de mars 2021 fait référence aux titulaires de permis qui souhaitaient réduire volontairement leur participation au secteur de pêche. Après avoir résumé l’historique des discussions tenues avec les titulaires de permis dans la note de service du 11 mars, le MPO poursuit ainsi : [traduction] « [p]our ce qui est de la manière de réduire le contingent individuel lié à chaque permis, deux autres questions ont été étudiées au sujet de la répartition » (non souligné dans l’original).

[38] Le défendeur fait valoir que le MPO, dans sa demande d’observations initiales des titulaires de permis en 2021, n’a pas indiqué que la décision ultime serait nécessairement prise sur une base individualisée. Il est vrai que le procès‐verbal de la conférence téléphonique du 10 mars 2021 n’inclut pas une déclaration du MPO que toute réduction des CI pour 2022 se ferait permis par permis. L’inverse est également vrai. L’invitation a été lancée aux titulaires de permis à titre individuel. Les titulaires de permis ont ensuite répondu de la même manière et leurs propositions concernaient spécifiquement leur entreprise. Il est révélateur qu’à aucun moment le MPO n’a répondu qu’il s’attendait à recevoir une proposition uniforme ou que toute décision définitive toucherait de manière égale les CI des titulaires de permis. Je conclus que la conduite du MPO donne fortement à penser que celui‐ci prévoyait rendre une décision individuelle en matière d’attribution de permis, relativement au CI de chaque titulaire de permis pour la saison de pêche de 2022.

[39] Le défendeur souligne que, dans Mainville c Canada (Procureur général), 2009 CF 720, la Cour a conclu qu’une décision qui attribuait des CI déterminés était de nature législative, même si elle visait un sous‐ensemble particulier de pêcheurs. La décision contestée attribuait à « chacun des pêcheurs de l’est du Nouveau‐Brunswick dépendants du poisson de fond » une part du TAC de crabes des neiges. L’attribution ne s’appliquait pas à des permis ou à des titulaires de permis particuliers; elle visait le groupe dans son ensemble, comme dans le cas de la décision ayant fait plus récemment l’objet d’un contrôle judiciaire dans l’affaire Munroe. En l’espèce, toutefois, la décision de la ministre découlait de faits précis associés à des cas individuels, ce qui est caractéristique d’une décision administrative. À une date aussi récente que le 23 mars 2022, le MPO était disposé à envisager une répartition disproportionnée, ou permis par permis, de la réduction proposée de 14 % de l’ensemble du TAC s’il obtenait l’appui unanime des titulaires de permis.

[40] Le défendeur fait valoir que la Première Nation We’koqma’q a été traitée différemment des autres titulaires de permis de pêche commerciale parce que son permis a été délivré sous le régime du RPPCA, mais rien dans le dossier n’étaye cet argument. Rien n’indique que la ministre a exempté la Première Nation We’koqma’q d’une réduction du CI du fait du statut de titulaire de permis de pêche commerciale communautaire que lui confère le RPPCA. Il n’est pas mentionné non plus dans le dossier que la décision de la ministre s’appliquerait à tous les permis délivrés sous le régime du RPPM.

[41] Je ne relève aucune preuve que, dans l’avis fourni par le MPO ou dans la décision de la ministre, le régime réglementaire a été pris en compte. Dans sa réponse à la lettre du 22 février de Mme Berthier, la Première Nation We’koqma’q souligne que son exclusion de toute réduction du CI serait compatible avec l’engagement pris par la ministre d’accroître l’accès des Premières Nations au secteur de pêche, mais elle précise les effets qu’aurait une réduction du CI sur les membres de la bande. Le document intitulé [traduction] « Avis à la ministre » qui figure dans le dossier certifié du tribunal (le DCT) étaye la position selon laquelle le CI attribué à la Première Nation We’koqma’q a été maintenu à 1 200 kg essentiellement pour des raisons d’ordre économique :

[traduction]
La lettre de réponse de la Première Nation [We’koqma’q] est aussi ce qui a amené le ministère à retirer celle‐ci de la liste des titulaires permis qui doivent renoncer à 13,7 % du contingent, parce qu’elle a indiqué quel est l’effet social des revenus tirés de la civelle pour sa collectivité.

[42] Mme Berthier a joint à son affidavit une note de service non datée, intitulée [traduction] « Considérations initiales relatives à l’éventuelle redistribution de l’accès ». Fixant les paramètres de la proposition et l’inclusion de la Première Nation We’koqma’q au nombre des neuf titulaires de permis de pêche commerciale, le MPO écrit :

[traduction]
Le total admissible des captures (le TAC) actuellement en vigueur est de 9 960 kg : huit (8) titulaires de permis ont droit à 1 200 kg et un (1) titulaire de permis à 360 kg. L’un des permis donnant droit à 1 200 kg est le permis de pêche commerciale communautaire de la Première Nation We’koqma’q qui sera visé par le mécanisme provisoire de redistribution, ainsi que par tout éventuel processus ultérieur de déclaration d’intérêt.

[43] En résumé, je suis d’avis que la décision de la ministre est une décision de nature administrative qui concerne la délivrance de permis pour la saison de pêche de la civelle de 2022 et qui ne traite pas de manière égale la catégorie des titulaires de permis de pêche commerciale. Elle a été prise à la suite d’un processus axé sur les titulaires de permis ainsi que sur leurs entreprises et leurs permis respectifs. À partir de l’appel de propositions du 10 mars 2021, le MPO a envisagé de réattribuer le TAC en se fondant sur la volonté de chaque titulaire de permis de renoncer volontairement, en tout ou en partie, à son CI respectif. Le résultat de ce processus est une décision qui applique une réduction du CI à l’égard de huit des neuf titulaires de permis de pêche commerciale, sous réserve d’une hausse du contingent en fonction de la situation de chaque titulaire de permis au cours de la saison de 2022. Le mécanisme uniforme a été adopté pour éviter de causer des effets disproportionnés aux titulaires de permis en attendant d’examiner plus avant la situation, et non pour des raisons de principe. Le neuvième titulaire de permis a été traité de manière différente principalement à cause de sa propre situation économique et de ses observations. Le fait que l’élément déclencheur de la décision de la ministre ait été le souhait du gouvernement d’accroître la participation des Premières Nations à ce secteur de pêche n’est pas concluant pour ce qui est de déterminer s’il s’agit d’une décision administrative ou d’une décision de principe.

B. Les demanderesses ont‐elles bénéficié de l’équité procédurale?

[44] Les demanderesses contestent à la fois l’équité du processus qui a abouti à la décision de la ministre et le fond de cette décision, mais leur désaccord fondamental avec le défendeur a surtout trait à leur insatisfaction quant au processus que le MPO a suivi. Les demanderesses concentrent leurs arguments sur la période qui s’est étendue du mois de janvier à la fin de mars 2022 et sur ce qui a été, selon elles, une volte‐face injuste du MPO et de la ministre par rapport à leur intention déclarée d’obtenir une renonciation volontaire aux CI au moyen du MACV. Le résultat, de l’avis des demanderesses, est une décision déraisonnable que la ministre a rendue juste avant la saison de pêche de 2022 pour la seule raison qu’elle manquait de temps.

[45] Ayant conclu plus tôt que la décision de la ministre est de nature administrative, cette décision commande les garanties procédurales habituelles. Mon examen des arguments invoqués par les demanderesses au sujet de l’équité procédurale porte sur la question de savoir « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances », y compris au regard des facteurs énoncés dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 (CSC) (Baker), « en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; Mowi, au para 156).

[46] L’obligation d’équité procédurale est variable et elle dépend d’une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés : « les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur » (Baker, au para 22; Carasco c Canada (Procureur général), 2022 CF 1665 au para 34).

[47] Les demanderesses se fondent principalement sur trois des cinq facteurs non exhaustifs qui sont énoncés dans l’arrêt Baker et qui sont ceux qui sont les plus pertinents pour ce qui est de la teneur de l’équité procédurale qu’ont envers elles le MPO et la ministre : 1) l’importance de la décision de la ministre pour les demanderesses, 2) leurs attentes légitimes quant au processus suivi, et 3) le choix de procédure qu’ont adopté le MPO et la ministre.

[48] SST soutient que la ministre n’a pas été informée comme il le fallait par le MPO de ses sérieux doutes à l’égard du rapport du COSEPAC sur l’anguille de l’Amérique et que cette omission suscite une crainte raisonnable de partialité au sein du processus décisionnel.

[49] Pour commencer, je conviens avec les demanderesses que la décision de la ministre revêt pour elles une importance considérable. Il ne fait aucun doute que la renonciation d’un pourcentage important de leur CI respectif, sans indemnisation pécuniaire, a eu une incidence sur leurs revenus.

[50] Les demanderesses se fondent dans une large mesure sur leurs attentes légitimes et le choix de procédure que le MPO et la ministre ont adopté. Elles déclarent avoir été prises par surprise par le fait que le MPO s’éloigne du MAVC à la fin de février 2022, ainsi que par son refus d’entendre une seconde série de propositions. À leur avis, la déclaration du MPO selon laquelle il suivrait le MAVC voulait dire qu’on leur devait des droits procéduraux accrus une fois que le MPO était revenu sur sa déclaration (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au para 94). Elles soutiennent qu’on ne leur a donné aucune possibilité adéquate de répondre à ce qui était un changement fondamental d’approche juste avant l’ouverture de la saison.

[51] La doctrine de l’attente légitime est un prolongement du principe de l’équité procédurale et elle ne crée pas de droits matériels (Baker, au para 26) :

Au Canada, la reconnaissance qu’une attente légitime existe aura une incidence sur la nature de l’obligation d’équité envers les personnes visées par la décision. Si le demandeur s’attend légitimement à ce qu’une certaine procédure soit suivie, l’obligation d’équité exigera cette procédure [...]. De même, si un demandeur s’attend légitimement à un certain résultat, l’équité peut exiger des droits procéduraux plus étendus que ceux qui seraient autrement accordés [...]. Néanmoins, la doctrine de l’attente légitime ne peut pas donner naissance à de droits matériels en dehors du domaine de la procédure.

[52] Une attente légitime ne prend naissance que lorsqu’un représentant de l’État fait à une personne, dans le cadre de son pouvoir, des affirmations de nature procédurale « claires, nettes et explicites » au sujet d’un processus administratif que l’État suivra (Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30 au para 68).

[53] Le 3 mars 2021, la ministre des Pêches et des Océans de l’époque a produit une déclaration confirmant l’accent mis par le gouvernement fédéral sur le fait de travailler avec les Premières Nations à la conclusion d’ententes mettant en œuvre leur droit de pêcher afin de s’assurer d’une subsistance convenable. En décrivant l’intention du gouvernement de respecter les droits des Autochtones et de mettre en balance la nécessité de conserver la ressource, la ministre a déclaré :

Deuxièmement, l’effort de pêche n’augmentera pas. Le gouvernement du Canada équilibrera l’accès additionnel des Premières Nations par l’entremise de permis déjà disponibles, et d’une approche de gré à gré entre le vendeur et l’acheteur, tout en protégeant nos stocks et en préservant le secteur pour les générations à venir.

[54] À des degrés divers, les demanderesses qualifient cette déclaration d’engagement de la ministre (et de ministres qui l’ont suivie) à l’égard du MAVC et du versement d’une indemnisation pour toute renonciation au CI. Je ne suis pas d’accord et j’estime que la déclaration de la ministre, produite sous la forme d’un communiqué de presse, n’était pas un engagement qui la liait. Il s’agissait d’une déclaration de principe ou d’intention, présentée sous forme de souhaits, et sans délais, détails ou références à un secteur de pêche particulier. Il est juste de dire que cette déclaration a pavé la voie aux discussions entourant la saison de pêche de la civelle de 2022, mais elle n’a pas restreint le pouvoir discrétionnaire de la ministre de gérer les pêches ou, en fin de compte, de poursuivre un modèle différent.

[55] Les discussions entre le MPO et les titulaires de permis à propos de la saison de pêche de 2022 ont commencé pour de bon le 10 mars 2021. En réponse à la question de savoir si la renonciation serait volontaire, il est indiqué dans le procès‐verbal de la conférence téléphonique que le MPO a déclaré ce qui suit : [traduction] « [l]a méthode privilégiée d’obtention de l’accès se fera par la voie d’une renonciation volontaire aux permis de pêche commerciale existants – d’un acheteur consentant à un vendeur consentant ». Le MPO a également déclaré qu’il lui faudrait démontrer qu’il serait raisonnable d’utiliser des fonds publics pour verser une indemnisation quelconque.

[56] Les demanderesses ont présenté chacune une proposition de renonciation volontaire à leur CI pour la saison de 2022 au début d’avril 2021.

[57] Il n’y a eu aucune réponse ou communication de la part du MPO pendant le reste de l’année 2022, même si ce dernier a reçu le rapport d’évaluation de TriNav le 31 août 2022.

[58] Les discussions ont repris en janvier 2022 :

20 janvier 2022 : Réunion du CCC avec le MPO. Selon le procès‐verbal, le MPO souhaitait reproduire la situation dans l’industrie du homard et [TRADUCTION] « notre intention est de procéder à un second appel (nouvelles informations aujourd’hui) ». Le MPO a déclaré qu’il souhaitait tenir une réunion sur la question de l’évaluation. Quand on a demandé ce qui se passerait si l’objectif de la renonciation volontaire n’était pas atteint, un fonctionnaire du MPO a répondu :

[traduction]
La méthode privilégiée est celle du vendeur‐acheteur consentants. Si cette méthode ne fonctionne pas, nous n’avons pas pour le moment de solution de rechange.

22 février 2022 : De hauts fonctionnaires du MPO ont rencontré les titulaires de permis. Le procès‐verbal de la réunion ne se trouve pas dans le dossier. Selon Mme Berthier, le MPO a indiqué que l’option du MAVC et la renonciation volontaire sont la méthode privilégiée, mais pas la seule possible. M. Giroux dit dans son affidavit qu’un haut fonctionnaire du MPO a exprimé l’avis que le ministère n’était pas tenu de payer les titulaires de permis à cause d’une réduction du CI et que le MPO n’était pas limité dans ce qu’il pouvait faire au sujet des contingents.

24 février 2022 : Mme Berthier a envoyé aux titulaires de permis une lettre les informant que le MPO ne donnerait pas suite à la renonciation volontaire et qu’il ne lancerait pas un second appel de propositions. La lettre faisait état d’une réduction proposée de 14 % du CI pour la saison de pêche de la civelle de 2022, sans indemnisation, et elle invitait les titulaires de permis à faire part de leurs réponses avant le 4 mars 2022.

3 mars 2022 : Chacune des demanderesses a répondu à la lettre du 24 février 2022, faisant état de sa vive opposition à la proposition, alléguant un abus de procédure et exigeant que l’on interrompe toute mesure relative à la proposition, de même que du défaut du MPO de s’acquitter de son obligation de consultation, entre autres objections.

15 mars 2022 : Le MPO a rencontré les titulaires de permis en réponse à une demande de l’industrie pour discuter d’une éventuelle proposition de redistribution du CI. La nouvelle proposition a obtenu l’appui majoritaire, mais non unanime, des titulaires de permis. Le MPO a déclaré qu’il ne pouvait pas parler du contingent parce qu’on attendait la décision de la ministre, mais une discussion sur la nouvelle proposition a eu lieu. Celle‐ci a été décrite pour la ministre dans la note de service du 18 mars.

23 mars 2022 : Des représentants du MPO, du ministère de la Justice et du cabinet de la ministre ont rencontré les titulaires de permis en vue d’une dernière discussion, en partie pour donner à ces derniers la possibilité de présenter une proposition unifiée concernant la redistribution de 14 % du TAC pour 2022. Le MPO a confirmé qu’il examinerait une proposition unanime de distribution disproportionnée de la réduction requise de 14 %, et il s’est engagé à suivre de près les débarquements de 2022 en vue d’une distribution possible de la part non attribuée du TAC à un titulaire de permis touché avant la fin du mois de mai.

24 mars 2022 : Sept des neuf titulaires de permis, dont Shelburne Elver et SST, ont envoyé au MPO une proposition présentant deux solutions, et celle que privilégiait l’industrie consistait à permettre aux titulaires de permis qui s’approcheraient de leur CI réduit de demander accès à un contingent supplémentaire, sous réserve de certaines conditions. L’avocat représentant Wine Harbour n’a pas pu lire la proposition en raison d’un conflit d’horaire; la Première Nation We’koqma’q n’a pas pu répondre parce qu’il était nécessaire de consulter le chef et le conseil. Cette proposition a été communiquée à la ministre dans la note de service du 25 mars 2022, avec la recommandation du MPO qu’elle intègre des éléments de la solution privilégiée à sa décision concernant la saison de pêche de 2022.

[59] Je ne suis pas convaincue que le MPO ou la ministre ont fait des déclarations de nature procédurale « claires, nettes et explicites » aux demanderesses, à savoir que le MAVC prévu pour une renonciation de la part des titulaires de permis existants serait appliqué dans tous les cas. Les fonctionnaires du MPO ont systématiquement dit du MAVC qu’il s’agissait de la solution privilégiée. Ils n’ont donné aucune garantie qu’un paiement serait inévitablement fait à titre d’indemnisation pour toute renonciation au CI. Je prends acte de ce que le MPO a déclaré en janvier 2022, à savoir que le MAVC était à ce moment‐là la seule approche envisagée, mais il ne s’agit pas d’un engagement ou d’une promesse. Les demanderesses n’avaient pas droit à un certain CI (Anglehart c Canada, 2018 CAF 115 au para 44) ou à une indemnisation due uniquement à une perte de CI, pas plus que la ministre n’était tenue irrévocablement d’utiliser le MAVC (Canada (Procureur général) c Arsenault, 2009 CAF 300 au para 57). Les titulaires de permis ne peuvent pas faire valoir un droit substantiel ou matériel à une indemnisation dans le cadre du MAVC en se fondant sur la doctrine des attentes légitimes.

[60] Pour ce qui est de la déclaration qu’a faite le MPO le 20 janvier 2022, à savoir qu’il avait l’intention de demander une seconde série de propositions, les demanderesses soutiennent qu’il était inéquitable de la part du MPO de revenir sur cette intention. Elles indiquent que la ministre était tenue de leur fournir des garanties procédurales importantes face à ce changement soudain de processus et que ni la ministre ni le MPO ne l’ont fait.

[61] Le 24 février 2022, Mme Berthier a communiqué la décision du MPO, à savoir que celui‐ci ne procéderait pas à une seconde série de propositions et qu’il demandait aux titulaires de permis de faire part de leurs réponses à la réduction proposée de 14 % de leur CI respectif, sans indemnisation. Je conviens avec les demanderesses que cette lettre a été le signe d’un point crucial dans le choix de procédure fait par la ministre, et j’ai examiné avec soin les droits de participation des demanderesses à compter de cette date.

[62] Les demanderesses ont fourni chacune une réponse à la lettre du 24 février 2022 de Mme Berthier et leurs réponses ont été résumées à l’intention de la ministre dans la note de service du 11 mars 2022. Le MPO a écrit qu’il y avait un appui général en faveur d’un accroissement de la participation des Premières Nations au secteur de pêche, mais une nette opposition à l’approche envisagée pour la saison de 2022. Un résumé des réponses a été joint sous forme d’annexe à la note de service, de pair avec les réponses elles‐mêmes. Le MPO a signalé que l’opposition portait principalement sur l’exécution du processus de déclaration d’intérêt,[TRADUCTION] « que les communications avaient été inadéquates pendant toute la durée du processus et que le MPO n’avait entamé aucune négociation ».

[63] Le MPO a rencontré les titulaires de permis le 15 mars 2022 pour examiner une proposition de ces derniers au sujet de la redistribution des contingents, et il a résumé la réunion et la proposition dans la note de service du 18 mars 2022 destinée à la ministre. À la demande de celle‐ci, le MPO et des représentants du cabinet de la ministre se sont réunis de nouveau avec les titulaires de permis le 23 mars 2022 afin de tenter d’obtenir une proposition consensuelle sur une réattribution inégale. Un jour plus tard, le MPO a reçu une proposition qu’appuyaient sept des neuf titulaires de permis. Ce pas en avant a été communiqué à la ministre dans la note de service du 25 mars 2022. Cette note de service intégrait la recommandation du MPO, à savoir que la ministre adopte la solution privilégiée que les sept titulaires de permis avaient proposée.

[64] Je suis d’avis que le processus que le MPO et la ministre ont suivi pour arriver à la décision définitive était équitable. Les demanderesses ont eu la possibilité d’exprimer leurs objections procédurales et de fond à l’égard de la proposition du 24 février 2022 et de soumettre à un examen leurs points de vue et leurs éléments de preuve. Ils ont pris part à deux séries de consultations. Le dossier reflète les tentatives de bonne foi qu’ont faites le MPO et la ministre pour arriver à une décision de compromis pour la saison de pêche de 2022. Je ne souscris pas à l’argument selon lequel les réunions et les discussions postérieures au 22 février 2022 ont été des consultations artificielles. Il demeurait loisible à la ministre, à ce stade, d’examiner toutes les solutions possibles, y compris un retour à une certaine forme de MAVC. Le MPO et le cabinet de la ministre ont clairement déclaré à la réunion du 23 mars 2022 que la ministre n’avait pas encore pris de décision. Cette déclaration est confirmée par l’inclusion dans la décision de la ministre de la proposition du 24 mars que privilégiait l’industrie en vue d’une éventuelle réattribution des CI.

[65] Il est survenu sans nul doute un délai pendant tout l’automne de 2021, où le MPO n’est pas entré en contact avec les titulaires de permis après avoir reçu le rapport de TriNav. Il est juste de dire qu’il aurait mieux valu que le MPO poursuive les consultations avec les titulaires de permis pendant cette période, mais le délai n’est pas déterminant pour la question de l’équité. Le MPO a été incapable de poursuivre les consultations avec les titulaires de permis de pêche de la civelle avant janvier 2022 parce qu’il était absorbé par les problèmes que posait la pêche du homard. Toutefois, comme la saison de pêche de 2022 approchait, la ministre était tenue, dans l’intérêt du public, d’agir rapidement pour prendre une décision et délivrer des permis. Le contexte législatif, institutionnel et social dans lequel s’inscrit la décision de la ministre sous‐tend la nécessité de prendre une décision. Comme la saison de pêche de la civelle approchait, le MPO [TRADUCTION] « a conclu qu’il n’était pas raisonnable de retarder davantage l’appui en faveur d’une participation accrue des Premières Nations ».

[66] SST soutient que le MPO n’a pas avisé comme il le fallait la ministre des allégations sérieuses de partialité qu’elle avait soulevées au sujet du rapport du COSEPAC de 2012, lequel qualifiait l’anguille de l’Amérique d’espèce menacée. SST fait valoir de manière assez détaillée que le MPO a fait abstraction des doutes de l’industrie à l’égard de ce rapport et qu’il aurait dû veiller à ce que la ministre reçoive une évaluation objective du stock d’anguilles. De l’avis de SST, le MPO et la ministre ont agi de manière arbitraire en se fondant sur le rapport du COSEPAC de 2012 et en insistant pour que l’on réponde à l’objectif d’une participation accrue des Premières Nations au secteur de pêche de la civelle sans augmenter le TAC.

[67] Je ne suis pas convaincue par les arguments de SST. Sa réponse du 3 mars 2022 à la proposition du 24 février 2022 fait part en détail de ses craintes et de ses allégations de partialité. La réponse a été incluse sous forme de pièce jointe à la note de service du 11 mars à la ministre, tout comme un résumé fait par le MPO de toutes les réponses des titulaires de permis. La ministre était donc au courant des craintes de SST en matière de partialité et de son argument selon lequel il était possible d’augmenter le TAC de manière viable pour la saison de pêche de 2022.

C. La décision de la ministre est‐elle raisonnable?

[68] Le cadre qui permet de procéder au contrôle d’une décision administrative sous l’angle du caractère raisonnable est énoncé dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov). Le rôle de la Cour consiste à examiner les motifs fournis par le décideur et à déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et si elle est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Il incombe à la partie qui conteste la décision de montrer que celle‐ci est déraisonnable, de sorte que la Cour est convaincue que toute lacune invoquée par cette partie est « suffisamment capitale ou importante pour rendre cette [décision] déraisonnable » (Vavilov, au para 100).

[69] Les demanderesses sont d’avis que la décision de la ministre est déraisonnable, et ce, pour un certain nombre de raisons, dont certaines reposent sur l’inaction du MPO après avoir reçu le rapport de TriNav le 31 août 2021 et jusqu’à la réunion du 20 janvier 2022, à l’occasion de laquelle ont été reprises les discussions relatives à la saison de pêche de 2022. Elles font valoir que le délai qui en a résulté a mené à la décision déraisonnable d’abandonner le MAVC parce que la saison de 2022 approchait rapidement, écartant ainsi de manière effective toute possibilité d’obtenir des titulaires de licence de secondes propositions révisées ou de tenir des consultations sérieuses. De l’avis des demanderesses, le MPO et la ministre ont tout simplement manqué de temps pour prendre une décision raisonnée et intelligible.

[70] Les demanderesses soutiennent également que la décision de la ministre est déraisonnable parce que : 1) le refus du MPO de fournir le rapport de TriNav aux titulaires de permis mine la transparence et l’intelligibilité de la décision, 2) le MPO n’a pas sollicité une seconde série de propositions et sa conclusion péremptoire selon laquelle une telle mesure serait inévitablement futile est déraisonnable, et 3) de façon plus générale, la décision de la ministre n’est pas le fruit d’une analyse rationnelle et cohérente.

[71] La décision faisant l’objet du présent contrôle est celle qui consiste à réduire le CI dont bénéficiait chaque demanderesse les années précédentes de 13,7 % sans indemnisation pécuniaire, sous réserve de la possibilité de demander un contingent supplémentaire, prélevé sur toute réserve disponible du TAC non attribué. Le fait que la ministre se soit écartée du MAVC pour la saison de pêche de 2022 et la décision de renoncer à la production d’une seconde série de propositions ne sont pas les décisions que vise le présent contrôle. Ces questions, ainsi que le défaut du MPO de communiquer avec les titulaires de permis entre le 31 août 2021 et le 22 janvier 2022, sont des aspects qui ont principalement trait à l’équité du processus qui a été suivi avant que la ministre prenne sa décision. Ces questions ne minent pas en soi les motifs de la ministre ou son analyse. Les arguments qu’invoquent les demanderesses à cet égard sont en fait une affirmation selon laquelle, même si le processus qui a mené à la décision de la ministre était équitable, cette décision est néanmoins déraisonnable parce qu’elle s’écarte du MAVC. Je ne suis pas d’accord. Comme j’ai conclu que le processus était équitable, j’analyserai la décision que la ministre a effectivement prise et les motifs qui la justifient.

[72] Le régime législatif applicable dans le cadre duquel une décision est prise est un aspect important du contexte juridique de la décision (Vavilov, au para 108). Pour ce qui est de mon analyse de la décision de la ministre, le point de départ est le vaste pouvoir législatif dont celle‐ci dispose pour gérer le secteur des pêches, ainsi qu’il est prévu dans les dispositions introductives de la Loi sur les pêches. L’objet de cette dernière est d’encadrer la gestion et la surveillance des pêches, ainsi que la conservation et la protection du poisson et de son habitat (art. 2.1). L’article 2.3 reconnaît l’existence des droits des Autochtones du Canada et l’article 2.4 exige que le ministre (la ministre en l’espèce) tienne compte des effets préjudiciables d’une décision prise sous le régime de la Loi sur les pêches sur les peuples autochtones.

[73] Le ministre (la ministre en l’espèce) a le vaste pouvoir discrétionnaire de délivrer des permis de pêche en vertu du paragraphe 7(1) de la Loi sur les pêches :

7 (1) En l’absence d’exclusivité du droit de pêche conférée par la loi, le ministre peut, à discrétion, délivrer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d’exploitation de pêches — ou en permettre la délivrance —, indépendamment du lieu de l’exploitation ou de l’activité de pêche.

7 (1) Subject to subsection (2), the Minister may, in his absolute discretion, wherever the exclusive right of fishing does not already exist by law, issue or authorize to be issued leases and licences for fisheries or fishing, wherever situated or carried on.

[74] Ce cadre législatif sert de fondement au contrôle qu’effectue la Cour sous l’angle du caractère raisonnable, car « [l]e contexte particulier d’une décision circonscrit plutôt la latitude du décideur administratif en matière de décision raisonnable dans un cas donné » (Vavilov, au para 89).

[75] En l’espèce, la ministre a pris en considération un large éventail de facteurs polycentriques et économiques pour rendre sa décision. Elle a tenu compte des aspects suivants : la nature du secteur de pêche de la civelle et la nécessité de maintenir les efforts de conservation, l’engagement du gouvernement à accroître l’accès des Premières Nations et l’importance de mettre en œuvre sans autre délai cet accès, l’historique des discussions que le MPO a eues avec les titulaires de permis, y compris les propositions initiales fondées sur le MVC, les avis du MPO concernant le rapport de TriNav, de même que les objections des titulaires de permis quant au fait de s’écarter du MAVC. La ministre a également pris en compte les discussions entre intéressés qui ont eu lieu en 2022, de même que deux propositions émanant d’un sous‐groupe de titulaires de permis en mars 2022.

[76] L’étendue des facteurs ayant trait à l’exercice, par la ministre, de son pouvoir discrétionnaire de délivrer des permis pour la saison de pêche de la civelle de 2022 souligne la nature exempte de contrainte de sa décision. Il s’agit bel et bien d’une décision fondée sur des facteurs de principe et d’intérêt public qui concordent avec le régime législatif de la Loi sur les pêches, quoiqu’avec un effet privé immédiat sur les titulaires de permis (Entertainment Software, aux para 28‐29). Cet effet sur les demanderesses signifie qu’il convient d’examiner avec soin de quelle façon la ministre a justifié et motivé sa décision (Vavilov, au para 84).

[77] Mme Berthier a fait part de la décision de la ministre aux demanderesses dans une lettre datée du 6 avril 2022. La lettre, de nature factuelle, fait état de l’examen qu’a fait la ministre des réunions tenues en mars 2022 et des observations formulées par les titulaires de permis après la lettre du 24 février 2022. La lettre réitère l’appui de la ministre en faveur d’un accroissement de la participation des Premières Nations au secteur de la pêche commerciale de la civelle sans augmentation du TAC. La lettre décrit ensuite les conditions relatives à la décision et se termine par une déclaration du MPO selon laquelle il communiquera avec les titulaires de permis en vue d’étudier une solution à plus long terme pour accroître la participation des Autochtones à la pêche.

  • [78]Les motifs à l’appui de la décision de la ministre comprennent les quatre notes de service qui ont été soumises à cette dernière en février et en mars 2022 (Barry Seafoods, aux para 52‐53). Les notes de service décrivent à la ministre le contexte entourant la pêche commerciale de la civelle, y compris les préoccupations du MPO à l’égard des activités de pêche considérables qui avaient lieu en marge des permis de pêche autorisée et la nécessité d’agir en 2022 pour permettre aux Premières Nations d’avoir accès à ce secteur de pêche. Les notes de service décrivent en détail pour la ministre chaque étape des discussions menées avec les titulaires de permis, présentent les changements proposés par les titulaires de permis à la proposition du 24 février du MPO et énoncent la voie que le MPO recommande de suivre.

  • [79]La note de service du 11 mars fait référence à la déclaration ministérielle du 3 mars 2021 et à la demande, par le MPO, de déclarations d’intérêt des titulaires de permis au début de 2021, qui a donné lieu à des propositions [traduction] « excédant nettement » ce qui était recommandé dans le rapport de TriNav :

[traduction]
En fin de compte, les propositions soumises excédaient nettement le [rapport de TriNav], à un point tel que, même si des négociations étaient envisagées, la différence serait restée presque certainement insurmontable du point de vue de la disponibilité des fonds et du bon usage des fonds publics. De plus, le MPO a reconnu qu’en dépit du manque d’options viables obtenues dans le cadre du processus de déclarations d’intérêt, il était encore nécessaire de poursuivre les efforts visant à accroître la participation des Premières Nations au secteur de la pêche commerciale de la civelle et, dans le cas de ce secteur, la seule option restante était d’envisager la création de nouveaux permis et la redistribution des contingents.

  • [80]Le MPO a informé la ministre que, à son avis, il était presque certain qu’un second appel de propositions ne comblerait pas le vaste écart qui existait entre les évaluations des titulaires de permis et celles de TriNav.

  • [81]La note de service du 11 mars décrit aussi la réunion qui a eu lieu le 22 février 2022 entre de hauts fonctionnaires du MPO et les titulaires de permis, ainsi que la déclaration du MPO selon laquelle le MAVC était l’option privilégiée, mais pas le seul moyen de procéder. Le MPO a souligné à l’intention de la ministre la vive opposition des titulaires de permis à un processus non volontaire, de même que leur volonté d’entamer d’autres discussions.

  • [82]Le MPO a énoncé les motifs pour lesquels il fixait à 13,7 % la réserve appropriée du TAC qui permettrait aux Premières Nations d’avoir accès au secteur de pêche en 2022 et il a recommandé que la réduction des CI soit répartie de manière égale entre huit des neuf titulaires de permis. Il a reconnu dans cette recommandation qu’il était nécessaire de prendre une décision rapide et qu’il fallait que la réduction soit équitable et pratique sur le plan opérationnel :

[TRADUCTION]
Il a été envisagé de commencer par une mesure de redistribution réduite, et même si cela aurait pu réduire l’effet potentiel sur les titulaires de permis existants, il a été jugé que le fait de commencer par un degré plus restreint de contingents disponibles pourrait faire échouer le processus de négociation, porter atteinte aux relations avec les Premières Nations et accroître potentiellement le risque de récolte non autorisée
.

[...]

Pour ce qui est des titulaires de permis restants, l’option provisoire recommandée propose que la réduction soit répartie de manière égale entre les huit permis pour la saison de 2022. Cette mesure tient compte du fait qu’il est nécessaire de prendre des décisions rapides avant la saison de 2022 et qu’il serait bon d’atténuer le risque d’effets disproportionnés imprévus. Compte tenu de la rétroaction des titulaires de permis à ce stade, laquelle donne à penser que les titulaires de permis qui ne récoltent habituellement pas la totalité de leur contingent chaque année devraient être les seuls visés par les réductions, il serait nécessaire de faire plus d’analyses pour connaître les résultats d’une telle option, ce qui ne pourra se faire avant la saison de 2022. C’est donc dire que les réductions égales provisoires constituent la mesure la plus équitable, la plus simple et la plus pratique sur le plan opérationnel avant la saison de 2022, [...].

  • [83]La note du service du 18 mars 2022 a mis à jour la ministre sur la rencontre ultérieure avec les titulaires de permis et sur la proposition de l’industrie du 15 mars 2022, y compris l’absence d’appui consensuel envers la proposition. Le MPO a déclaré que la proposition du 15 mars était essentiellement une nouvelle version de la rétroaction de certains titulaires de permis, qui recommandaient que l’accès accordé aux pêcheurs autochtones soit prélevé à même la part des contingents que des titulaires de permis de pêche commerciale particuliers n’avaient jamais récoltés (un point soulevé dans la note de service du 11 mars). La note de service du 25 mars 2022 a traité de la réunion tenue le 23 mars 2022 avec les titulaires de permis, à la suite de la demande de la ministre pour que l’on tienne une dernière discussion. Le MPO a signalé qu’il avait déclaré au cours de cette réunion qu’il surveillerait de près les captures au cours de la saison et qu’il envisagerait peut‐être de hausser les CI au milieu de saison. La note de service a décrit la proposition faite par l’industrie le 24 mars 2022, soit deux options de réattribution, dont l’une a été intégrée à la décision de la ministre.

  • [84]SST est d’avis que la ministre aurait pu procéder différemment et évaluer une partie de son contingent, ou se servir de sa propre évaluation, pour l’indemniser des effets pécuniaires de la décision. Il était peut‐être loisible à la ministre de choisir ces options. Il y en avait peut‐être d’autres qu’il lui était tout aussi loisible de choisir, vu la nature discrétionnaire de son pouvoir de délivrance de permis. Cependant, la Cour met l’accent sur la décision effectivement rendue (Vavilov, au para 83). Elle ne peut pas substituer sa propre décision ou déterminer l’éventail des décisions qu’il aurait été possible de prendre.

  • [85]Shelburne Elver soutient que, sans la communication du rapport de TriNav, la décision de la ministre ne peut pas être transparente, intelligible ou justifiée. Elle ajoute que ce rapport a servi de fondement à la décision prise par la ministre de renoncer au MAVC et à celle du MPO de ne pas lancer un second appel de propositions. Shelburne Elver fait valoir que le refus du MPO de communiquer le rapport de TriNav empêche les demanderesses et la Cour d’évaluer ce document, les titres de compétence des auteurs et les méthodes employées. De l’avis de Shelburne Elver, ces renseignements sont importants pour déterminer [traduction] « le caractère raisonnable de la décision ultime de la ministre de renoncer à l’approche [le MAVC] et de procéder à la réduction unilatérale des contingents, sans indemnisation ». SST ajoute qu’il aurait fallu communiquer à la ministre les propositions faites en 2021 par les titulaires de permis en vue d’une réduction volontaire des CI.

  • [86]Cet argument soulève deux préoccupations. Premièrement, je ne suis pas persuadée que la décision de la ministre est déraisonnable parce que ni le rapport de TriNav ni les propositions de 2021 ne lui ont été communiqués. Dans Turp c Canada (Affaires étrangères), 2018 CAF 133 (Turp), le demandeur soutenait que le ministre des Affaires étrangères aurait dû ne tenir pas compte uniquement du Mémorandum pour rendre la décision contestée. La CAF a rejeté cet argument au paragraphe 65 :

À mon avis, à savoir si le ministre aurait dû considérer autre chose que le Mémorandum est une question à laquelle nous n’avons pas besoin de répondre. La responsabilité du ministre en fonction du régime législatif était de considérer tous les facteurs pertinents à l’octroi des licences et, à mon avis, le ministre a considéré tous ces facteurs. L’appelant prétend qu’une décision plus éclairée nécessitait la considération de documents autres que le Mémorandum. Peut‐être faut‐il répondre à cette question par l’affirmative, mais considérant la législation en vigueur, c’est au ministre que revenait la décision de considérer soit uniquement le Mémorandum, ou tout autre document qu’il jugeait nécessaire de considérer dans les circonstances.

  • [87]La ministre était en droit de se fonder sur les notes de service figurant dans le DCT pour rendre sa décision, à condition de le faire d’une manière conforme au régime législatif. Rien dans la Loi sur les pêches ne donne à penser que la ministre était tenue de solliciter des renseignements particuliers pour rendre une décision en matière de délivrance de permis, et j’ai décrit l’étendue des facteurs que la ministre a pris en compte. À l’instar du ministre des Affaires étrangères dans l’affaire Turp, la ministre en l’espèce était au courant de l’existence du rapport de TriNav ou des propositions faites en 2021 par les titulaires de permis et elle aurait pu en demander une copie. Je suis d’avis que la ministre n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en décidant de se fier à l’analyse faite par le MPO de ce rapport et de ces propositions.

  • [88]Deuxièmement, je ne suis pas persuadée que le refus du MPO de produire le rapport de TriNav mine l’analyse sur laquelle repose la décision de la ministre et empêche les demanderesses et la Cour de soumettre cette décision à un contrôle. Je conviens avec le défendeur que ni les titres de compétence des auteurs ni les méthodes qu’ils ont employées pour formuler leur évaluation ne sont nécessaires au contrôle qu’exerce la Cour. De plus, l’évaluation faite par TriNav des permis de pêche de la civelle établirait le delta numérique de la différence entre l’évaluation faite par une tierce partie et la proposition de chaque titulaire de permis, mais je suis d’avis que, pour procéder au contrôle de la décision, la Cour n’a pas besoin de certitude numérique. Il était loisible à la ministre de se fier à la conclusion du MPO selon laquelle la différence marquée entre les évaluations de titulaires de permis et celle de TriNav ne pourrait pas être réglée sans retarder la prise d’une décision pour la saison de pêche de 2022.

  • [89]Je conclus que la décision que la ministre a prise est raisonnable. L’analyse et les renseignements qui figurent dans les notes de service à la ministre sont exactes, transparentes et intelligibles. Les notes de service montrent que la ministre a tenu compte des problèmes et des intérêts en jeu, des objections des titulaires de permis à une réduction forcée des CI sans indemnisation, ainsi que des raisons militant en faveur de l’adoption de la décision. Les notes de service exposent un raisonnement clair auquel la ministre a souscrit et qu’elle a adopté. Ni la ministre ni le MPO n’ont pris en compte des facteurs extrinsèques ou fait abstraction de questions et d’arguments que les titulaires de permis ont soulevés contre le projet de réduire les CI sans indemnisation. La ministre était au courant des raisons pour lesquelles le MPO ne voulait pas que l’on procède à une seconde série de propositions. La nécessité de prendre une décision en vue de sauvegarder la saison de pêche de 2022, tout en donnant suite à l’engagement pris par le gouvernement d’accroître l’accès des Premières Nations à une pêche autorisée, est un thème qui revient constamment dans les motifs que donne le MPO à l’appui de sa recommandation. L’effet sur les Autochtones de la décision de la ministre pour la saison 2022 était l’une des quelques contraintes législatives auxquelles était soumise sa gestion des pêches. Le fait qu’il était impératif de prendre une décision parce que la saison était sur le point d’ouvrir ne veut pas dire que celle que la ministre a prise était forcément déraisonnable.

  1. Conclusion

  • [90]Les demanderesses mettent l’accent dans la présente affaire sur leur conviction que l’inaction du MPO pendant tout l’automne de 2021 et au début de l’hiver de 2021‐2022 a irréparablement compromis leur droit à un processus équitable et miné le résultat de la décision de la ministre, ainsi que les motifs sur laquelle repose cette décision. J’ai examiné avec soin les observations écrites et orales de chaque demanderesse, mais je conclus que le processus qui a mené à la décision de la ministre était équitable. De plus, pour tous les motifs énoncés à la section précédente, je conclus que la décision de la ministre est raisonnable.

  • [91]La demande de contrôle judiciaire de chacune des demanderesses est rejetée.

  1. Dépens

  • [92]Je ne vois aucune raison de m’écarter de la règle générale voulant que les dépens suivent l’issue de la cause et j’adjugerai les dépens au défendeur, la partie qui a obtenu gain de cause.

  • [93]À la conclusion de l’audience, les parties ont demandé si elles pouvaient se consulter en vue de s’entendre sur les dépens. Par une lettre datée du 25 août 2023 les parties ont informé la Cour qu’elles étaient arrivées à une entente. La lettre fait état des sommes forfaitaires qui ont été convenues, suivant la décision rendue.

  • [94]Les parties ont convenu que les demanderesses paieront au défendeur, à titre de partie ayant obtenu gain de cause, des dépens d’un montant forfaitaire de 18 390 $. Le paiement de cette somme sera réparti en parts égales entre les trois demanderesses, et chacune paiera donc au défendeur la somme de 6 130 $.

  • [95]Le montant dont les parties ont convenu est raisonnable vu la complexité des trois demandes, et j’adjugerai au défendeur les dépens que les parties ont fixés.


JUGEMENT dans les dossiers T‐866‐22, T‐923‐22 et T‐1804‐22

LA COUR STATUE :

  1. Les demandes de contrôle judiciaire de Shelburne Elver Limited (T‐866‐22), de Wine Harbour Fisheries Limited (T‐923‐22) et de South Shore Trading Co. Ltd. (T‐1804‐22) sont rejetées.

  2. Les dépens, d’un montant forfaitaire de 18 390 $, sont adjugés au défendeur et les trois demanderesses, Shelburne Elver Limited, Wine Harbour Fisheries Limited et South Shore Trading Co. Ltd., lui paieront chacune la somme de 6 130 $.

  3. Une copie des présents motifs sera versée dans chacun des dossiers de la Cour portant les numéros suivants : T‐866‐22, T‐923‐22 et T‐1804‐22.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T‐866‐22, T‐923‐22 et T‐1804‐22

 

DOSSIER :

T‐866‐22

 

INTITULÉ :

SHELBURNE ELVER LIMITED c SA MAJESTÉ LE ROI (MINISTRE DES PÊCHES, DES OCÉANS ET DE LA GARDE CÔTIÈRE)

 

ET DOSSIER :

T‐923‐22

 

INTITULÉ :

WINE HARBOUR FISHERIES LIMITED c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

ET DOSSIER :

T‐1804‐22

 

INTITULÉ :

SOUTH SHORE TRADING CO. LTD. c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

HALIFAX (NOUVELLE‐ÉCOSSE)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

LES 28 FÉVRIER 2023 ET 1er MARS 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 AOÛT 2023

 

COMPARUTIONS :

Roderick (Rory) H. Rogers c.r.

Manon Landry

 

POUR LA DEMANDERESSE

SHELBURNE ELVER LIMITED

 

Richard W. Norman

 

POUR LA DEMANDERESSE

WINE HARBOUR FISHERIES LIMITED

 

Jeffrey P. Flinn

 

POUR LA DEMANDERESSE

SOUTH SHORE TRADING CO. LTD.

 

Sarah Drodge

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart McKelvey

Avocat

Halifax (Nouvelle‐Écosse)

 

POUR LA DEMANDERESSE

SHELBURNE ELVER LIMITED

Cox & Palmer

Avocat

Halifax (Nouvelle‐Écosse)

 

POUR LA DEMANDERESSE

WINE HARBOUR FISHERIES LIMITED

 

Cox & Palmer

Avocat

Halifax (Nouvelle‐Écosse)

 

POUR LA DEMANDERESSE

SOUTH SHORE TRADING CO. LTD.

 

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle‐Écosse)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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