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Date : 20230901


Dossier : T-2081-22

Référence : 2023 CF 1193

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er septembre 2023

En présence de madame la juge Tsimberis

ENTRE:

LES INDUSTRIES CERTICO INC.

demanderesse

et

MASTRANDREA COMMERCIAL BAKERIES LIMITED ET

CTM HOUSEHOLD APPLIANCES INC.

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie de l’appel d’une décision rendue le 15 août 2022 par la Commission des oppositions des marques de commerce [la COMC], que la demanderesse, Les Industries Certico Inc. [Certico], a interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 [la Loi]. La COMC a rejeté sa demande d’enregistrement no 1856458 [la demande d’enregistrement] pour la marque de commerce FORNO MAGNIFICO & DESSIN, concernant son emploi en liaison avec les produits suivants : 1) fours à pizza et 2) pâtes à pizza. Les défenderesses, Mastrandrea Commercial Bakeries Limited [Mastrandrea] et CTM Household Appliances Inc. [CTM], n’ont pas comparu lors de l’audition du présent appel.

[2] La COMC a rejeté la demande parce que la marque FORNO MAGNIFICO & DESSIN, qui en était l’objet, créait de la confusion avec la marque de commerce déposée FORNO & DESSIN (LMC991845) en ce qui concerne les « fours à pizza », et avec la marque de commerce antérieurement employée FORNO CULTURA CARRÉ & DESSIN en ce qui concerne les « pâtes à pizza ». Voici une reproduction de ces trois marques :

FORNO MAGNIFICO & DESSIN (demande d’enregistrement no 1856458)

FORNO & DESSIN (enregistrement no LMC991845)

FORNO CULTURA CARRÉ & DESSIN (enregistrement no LMC889214)

http://www.ic.gc.ca/app/api/ic/ctr/trademarks/media/image/1607044/10

[3] La COMC a conclu que la marque FORNO MAGNIFICO & DESSIN de Certico n’était pas enregistrable en raison de la probabilité de confusion avec la marque déposée FORNO & DESSIN (art 12(1)d) de la Loi), et que Certico n’avait pas droit à l’enregistrement de sa marque en raison de la probabilité de confusion avec la marque antérieurement employée FORNO CULTURA CARRÉ & DESSIN (art 16(1)a) de la Loi).

II. Contexte

A. Les faits

[4] La défenderesse Mastrandrea est propriétaire de l’enregistrement no LMC889214 pour la marque de commerce FORNO CULTURA CARRÉ & DESSIN (reproduite plus haut) enregistrée le 3 novembre 2014 sur le fondement de son emploi au Canada depuis le 27 octobre 2011 en liaison avec les marchandises et services énumérés ci-dessous. Selon la précision donnée par Mastrandrea dans sa demande pour l’enregistrement de sa marque, la traduction anglaise des mots étrangers FORNO CULTURA est « oven culture » [« la culture des fours » en français].

Marchandises : Produits artisanaux italiens de boulangerie-pâtisserie, nommément biscottis, gâteaux, gâteaux à l’huile d’olive, crèmes dessert de spécialité, panettones, torrones, pain et tarallis.

Services : (1) Production et vente de produits artisanaux italiens de boulangerie-pâtisserie, nommément biscottis, gâteaux, de gâteaux à l’huile d’olive, de crèmes dessert de spécialité, de panettones, de torrones, de pain et de tarallis. (2) Services de préparation et de vente de produits alimentaires italiens préparés et emballés, nommément confitures, chocolat, sauce tomate, soupe, tapenades ainsi que légumes et fruits marinés. (3) Services de traiteur. (4) Cours et démonstrations de cuisine. (5) Exploitation d’un site Web d’information dans le domaine de la production de produits artisanaux italiens de boulangerie-pâtisserie.

[5] La défenderesse CTM est propriétaire de l’enregistrement no LMC991845 pour la marque de commerce FORNO & DESSIN (reproduite plus haut) dont la demande a été produite le 12 mars 2015 sur le fondement de l’emploi projeté au Canada en liaison avec les produits suivants : « (1) Appareils électr[oménagers] nommément : four encastré, plaque de cuisson, hotte de cuisine. » La demande a été enregistrée le 5 mars 2018, date à laquelle CTM a déposé sa déclaration d’emploi. Le droit à l’emploi exclusif du mot FORNO en dehors de la marque de commerce FORNO & DESSIN ne lui a pas été accordé.

[6] La demanderesse, Certico, est l’auteure de la demande d’enregistrement no 1856458 pour la marque de commerce FORNO MAGNIFICO & DESSIN (reproduite plus haut) qui a été produite le 8 septembre 2017 sur le fondement de son emploi au Canada depuis le 31 décembre 2013 en liaison avec 1) des fours à pizza et 2) des pâtes à pizza. Selon Certico, la traduction anglaise des mots étrangers FORNO MAGNIFICO est « magnificent oven » [« four magnifique » en français].

[7] Le 19 décembre 2018, Mastrandrea a produit une déclaration d’opposition qu’elle a ensuite modifiée le 20 juin 2019 et dans laquelle elle a soulevé divers motifs d’opposition à l’encontre de la demande d’enregistrement présentée par Certico. CTM n’a pas produit de déclaration d’opposition, mais son enregistrement no LMC991845 pour la marque de commerce FORNO & DESSIN a servi de fondement à l’un des motifs d’opposition soulevés par Mastrandrea.

B. Le dossier dont disposait la COMC

[8] À l’appui de son opposition, Mastrandrea a déposé en preuve les deux affidavits suivants :

  1. L’affidavit souscrit le 21 juin 2019 par Andrea Mastrandrea, président de Mastrandrea [l’affidavit de M. Mastrandrea], dans lequel M. Mastrandrea a détaillé l’historique, les ventes et les activités publicitaires de Mastrandrea en liaison avec la marque FORNO CULTURA CARRÉ & DESSIN;

  2. L’affidavit souscrit le 19 juin 2019 par Shelley Cherry, une employée de l’agent de marques de commerce de Mastrandrea [l’affidavit de Mme Cherry], dans lequel Mme Cherry a résumé les résultats de la recherche des mots « FORNO MAGNIFICO » et « pizza crusts » [pâtes à pizza] effectuée en avril 2019 sur le moteur de recherche Google et ceux de la recherche effectuée dans la version archivée de mai 2019 du site Web de Certico, fornomagnifico.com, à l’aide de l’outil Wayback Machine d’Internet Archive. Elle a également joint à son affidavit une copie certifiée conforme de l’enregistrement no LMC991845 pour la marque de commerce FORNO & DESSIN de CTM.

[9] Certico a soumis en preuve les deux affidavits suivants à la COMC :

  1. L’affidavit souscrit le 8 octobre 2019 par Quintino Rico, président de Certico [l’affidavit de M. Rico], dans lequel M. Rico a détaillé l’historique, les ventes et les activités publicitaires de Certico en liaison avec la marque de commerce FORNO MAGNIFICO & DESSIN;

  2. L’affidavit souscrit le 7 octobre 2019 par Richard Levy, agent de marques de commerce [l’affidavit de Me Levy], dans lequel Me Levy a résumé les résultats de la recherche du mot « FORNO » (et de ses traductions anglaise et française) dans la base de données sur les marques de commerce canadiennes en liaison avec des produits de la classe 30 (notamment du pain italien, de la pâte à tarte, de la pâte à pizza et divers types de pâtes alimentaires) et de la classe 11 (notamment des fours à pizza et d’autres fours de cuisson) de la classification de Nice.

[10] Seul M. Rico a été contre‑interrogé sur son affidavit.

C. La décision de la COMC

[11] La COMC a rejeté deux des quatre motifs d’opposition soulevés par Mastrandrea à l’encontre de la demande d’enregistrement, à savoir le motif de non-conformité fondé sur l’alinéa 30b) et le motif d’absence de caractère distinctif fondé sur l’article 2 de la Loi (Mastrandrea Commercial Bakeries Limited c Les Industries Certico Inc, 2022 COMC 156 [la décision]).

[12] Comme il a été mentionné plus haut, la COMC a retenu deux des motifs d’opposition soulevés par Mastrandrea, à savoir le motif de non-enregistrabilité fondé sur l’alinéa 12(1)d) et le motif d’absence de droit à l’enregistrement fondé sur l’alinéa 16(1)a) de la Loi. Le présent appel porte sur les conclusions tirées par la COMC relativement à ces motifs d’opposition, lesquelles sont sensiblement les suivantes :

  1. La marque FORNO MAGNIFICO & DESSIN de Certico n’est pas enregistrable, car elle est susceptible de créer de la confusion avec la marque déposée FORNO & DESSIN de CTM;

  2. Certico n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la marque FORNO MAGNIFICO & DESSIN de Certico étant donné qu’à la date de production de la demande d’enregistrement, la marque était susceptible de créer de la confusion avec la marque FORNO CULTURA CARRÉ & DESSIN de Mastrandrea, qui avait été antérieurement employée au Canada.

D. Le motif de non-enregistrabilité fondé sur l’alinéa 12(1)d) de la Loi

[13] S’agissant du motif de non-enregistrabilité, la COMC a formulé dans le contexte de son analyse relative à la confusion et de son examen de chacun des facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi des observations et conclusions pertinentes, lesquelles sont sensiblement les suivantes :

  1. Le critère en matière de confusion est celui de la première impression et du vague souvenir que laisse la marque dans l’esprit du consommateur ordinaire « plutôt pressé » (Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23 au para 20). La COMC a indiqué que les facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi ne sont pas exhaustifs et qu’un poids différent leur est accordé selon le contexte de l’affaire, mais elle a ajouté qu’il arrive souvent que le degré de ressemblance entre les marques se voie accorder le plus de poids dans l’analyse relative à la confusion (Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27 au para 49).

  2. Le degré de ressemblance : La marque FORNO MAGNIFICO & DESSIN de Certico et la marque FORNO & DESSIN de CTM présentent un degré élevé de ressemblance dans la présentation, le son et les idées qu’elles suggèrent, puisqu’elles ont en commun non seulement le mot FORNO mais aussi des dessins d’arches et de flammes, d’autant plus que ces dessins sont similaires. La COMC a conclu que ce facteur favorisait CTM.

  3. Le caractère distinctif inhérent et acquis : La marque FORNO & DESSIN de CTM possède un caractère distinctif inhérent plus fort étant donné qu’elle comprend également le dessin d’une arche et de flammes. Cependant, comme CTM n’a fourni aucune preuve de la mesure dans laquelle la marque FORNO & DESSIN était devenue connue au Canada, la COMC a conclu que ce facteur jouait quelque peu en faveur de Certico.

  4. La période pendant laquelle les marques ont été en usage : Certico a démontré qu’elle employait la marque FORNO MAGNIFICO & DESSIN en liaison avec des fours à pizza depuis 2011, alors que CTM n’a fourni aucune preuve de l’emploi de la marque FORNO & DESSIN. La COMC a conclu que ce facteur favorisait Certico.

  5. Le genre de produits ou entreprises et la nature du commerce : À tout le moins, il existe une possibilité que le genre de produits ou entreprises, ou les voies de commercialisation des parties se chevauchent étant donné qu’elles offrent toutes deux des appareils de cuisson et qu’il n’existe aucune limite quant à leurs voies de commercialisation. La COMC a conclu que ce facteur favorisait CTM.

  6. Les autres circonstances de l’espèce – La preuve de l’état du registre : Certico a fourni des éléments de preuve établissant que le mot FORNO apparaissait dans certains des enregistrements pertinents relevés par Me Levy, mais elle n’a pas démontré que le dessin distinctif d’une arche et de flammes, employé seul ou en combinaison avec le mot FORNO, était d’usage courant. La COMC a conclu que ce facteur ne jouait pas en faveur de Certico.

  7. Les autres circonstances de l’espèce – L’absence de preuve d’une confusion réelle : Bien que la marque FORNO & DESSIN de CTM ait été enregistrée en 2018, aucune preuve de confusion réelle entre la marque de CTM et la marque FORNO MAGNIFICO & DESSIN de Certico n’a été présentée. La COMC a conclu que ce facteur favorisait Certico, quoique pas d’une manière importante.

[14] Après avoir examiné l’ensemble des facteurs, la COMC a conclu que les probabilités penchaient tout autant du côté de la confusion que de l’absence de confusion entre la marque FORNO MAGNIFICO & DESSIN de Certico et la marque FORNO & DESSIN de CTM en ce qui concerne les « fours à pizza ». Comme il incombait à Certico de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existait aucune probabilité raisonnable de confusion entre sa marque et celle de CTM, la COMC a débouté Certico après avoir retenu le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d) relativement aux « fours à pizza ».

[15] S’agissant des « pâtes à pizza », la COMC a toutefois jugé que le genre de produits offerts par CTM était suffisamment différent de celui des produits de Certico pour faire pencher la prépondérance des probabilités en faveur de Certico, et conclu qu’il n’existait pas de probabilité raisonnable de confusion.

[16] De même, la COMC a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existait aucun risque de confusion entre la marque FORNO MAGNIFICO & DESSIN de Certico et la marque FORNO CULTURA CARRÉ & DESSIN de Mastrandrea en ce qui concerne les « fours à pizza » et les « pâtes à pizza » en raison du genre différent de produits offerts par Mastrandrea. En outre, la COMC a fait remarquer que la marque FORNO CULTURA CARRÉ & DESSIN de Mastrandrea était enregistrée en liaison avec des produits de boulangerie-pâtisserie, mais non avec des « pizzas » ni de la « pâte à pizza ». La COMC a jugé que la différence dans le genre de produits lui permettait de tirer une conclusion favorable à Certico à l’issue de son analyse relative à la confusion.

E. Le motif d’absence de droit à l’enregistrement fondé sur l’alinéa 16(1)a) de la Loi

[17] S’agissant du motif d’absence de droit à l’enregistrement, la COMC a formulé, dans le contexte de son analyse relative à la confusion et de son examen de chacun des facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi, des observations et conclusions pertinentes, lesquelles sont sensiblement les suivantes :

  1. Le degré de ressemblance : La marque FORNO MAGNIFICO & DESSIN de Certico et la marque FORNO CULTURA CARRÉ & DESSIN de Mastrandrea présentent un degré élevé de ressemblance dans la présentation, le son et les idées qu’elles suggèrent, puisqu’elles sont toutes deux composées du mot FORNO et de dessins d’arches similaires. La COMC a conclu que ce facteur favorisait Mastrandrea.

  2. Le caractère distinctif inhérent et acquis : La COMC a conclu que la marque FORNO CULTURA CARRÉ & DESSIN de Mastrandrea possédait un caractère distinctif inhérent plus fort étant donné qu’elle comprenait elle aussi un dessin d’arche, et que le mot FORNO possédait un caractère distinctif inhérent plus fort en liaison avec des produits de pizza qu’avec des fours à pizza. Les deux parties ont présenté des éléments de preuve comparables sur la mesure dans laquelle leur marque respective était devenue connue. Dans l’ensemble, la COMC a conclu que ce facteur favorisait Mastrandrea.

  3. La période pendant laquelle les marques ont été en usage : Certico a démontré qu’elle employait la marque FORNO MAGNIFICO & DESSIN en liaison avec des pâtes à pizza depuis 2013, et Mastrandrea a démontré qu’elle employait la marque FORNO CULTURA CARRÉ & DESSIN en liaison avec des pizzas et de la pâte à pizza depuis 2011. La COMC a conclu que ce facteur favorisait Mastrandrea.

  4. Le genre de produits ou entreprises et la nature du commerce : Il y a un chevauchement dans le genre de produits offerts par les parties et un chevauchement possible dans leurs activités et leurs voies de commercialisation étant donné qu’elles vendent des produits de pizza au grand public. La COMC a conclu que ce facteur favorisait Mastrandrea.

  5. Les autres circonstances de l’espèce – La preuve de l’état du registre : Certes, Certico a fourni des éléments de preuve établissant que le mot FORNO apparaissait dans certains des enregistrements pertinents, mais le mot FORNO n’est pas le seul élément en litige, et elle n’a pas démontré que le dessin d’arche – considéré comme une caractéristique frappante –, employé seul ou en combinaison avec le mot FORNO, était d’usage courant. La COMC a conclu que ce facteur ne jouait pas en faveur de Certico.

  6. Les autres circonstances de l’espèce – L’absence de preuve d’une confusion réelle : Bien que les produits de pizza offerts par les parties aient coexisté sur le marché depuis 2013, aucune preuve de confusion réelle n’a été présentée. La COMC a conclu que ce facteur tendait à favoriser Certico.

[18] À l’issue de son analyse de la probabilité de confusion entre la marque FORNO MAGNIFICO & DESSIN de Certico et la marque FORNO CULTURA CARRÉ & DESSIN de Mastrandrea, la COMC a jugé que, « dans le meilleur des cas pour [Certico] », les probabilités penchaient tout autant du côté de la confusion que de l’absence de confusion en ce qui concerne les « pâtes à pizza ». Comme il incombait à Certico de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existait aucune probabilité raisonnable de confusion entre sa marque et la marque FORNO CULTURA CARRÉ & DESSIN de Mastrandrea, la COMC a retenu le motif d’opposition fondé sur l’article 16 soulevé par Mastrandrea relativement aux « pâtes à pizza ».

[19] S’agissant des « fours à pizza », la COMC a toutefois jugé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existait pas de probabilité de confusion en raison du genre différent de produits offerts par Mastrandrea.

[20] Finalement, la COMC a rejeté la demande d’enregistrement produite par Certico en liaison avec des « fours à pizza » sur le fondement de l’alinéa 12(1)d) de la Loi, et en liaison avec des « pâtes à pizza » sur le fondement de l’alinéa 16(3)a) de la Loi.

III. Questions en litige

[21] La présente affaire soulève les deux questions suivantes :

A. Quelle est la norme de contrôle applicable?

B. La COMC a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la marque FORNO MAGNIFICO & DESSIN de Certico n’était pas enregistrable en raison de la probabilité de confusion avec la marque déposée FORNO & DESSIN (LMC991845), et que Certico n’avait pas droit à l’enregistrement de sa marque en raison de la probabilité de confusion avec la marque FORNO CULTURA CARRÉ & DESSIN antérieurement employée au Canada?

IV. Analyse

A. Quelle est la norme de contrôle applicable?

[22] En règle générale, dans le cas où le législateur a prévu un appel, comme celui dont il est question au paragraphe 56 de la Loi, le décideur doit recourir à la norme applicable en appel, eu égard à la nature des questions (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 37, citant Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 [Housen]). Pour les questions de droit et les questions mixtes de fait et de droit où la question de droit est isolable, la norme applicable est celle de la décision correcte (Housen, aux para 8, 27). Pour les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit où la question de droit n’est pas isolable, la norme consiste à savoir si le décideur a commis une erreur manifeste et déterminante (Housen, aux para 10, 28).

[23] Cependant, suivant le paragraphe 56(5) de la Loi, si la nouvelle preuve apportée en appel aurait pu avoir un effet sur la décision rendue par la COMC – selon la jurisprudence, pour avoir cet effet, la preuve doit être « suffisamment importante » (Vivat Holdings Ltd c Levi Strauss & Co, 2005 CF 707 au para 27) et de « valeur probante » (Tradition Fine Foods Ltd c Groupe Tradition'L Inc, 2006 CF 858 au para 58) –, la Cour « peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi ». La Cour peut se substituer au registraire, apprécier à nouveau la preuve, et se prononcer sur les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit selon la norme de la décision correcte (Clorox Company of Canada, Ltd c Chloretec SEC, 2020 CAF 76 aux para 21‑23).

[24] Pour décider si la nouvelle preuve est suffisante pour justifier un nouvel examen de la décision de la COMC, la Cour doit en examiner la nature, l’importance, la valeur probante et la fiabilité dans le contexte du dossier, et se demander si elle ajoute des éléments importants qui auraient eu une incidence sur la décision de la COMC (Caterpillar Inc c Puma SE, 2021 CF 974 au para 36, citant Seara Alimentos Ltda c Amira Enterprises Inc, 2019 CAF 63 aux para 23‑26).

[25] La question est donc celle de savoir si, dans le contexte de l’analyse relative à la confusion visée en l’espèce, la nouvelle preuve serait susceptible de donner lieu à une conclusion différente à l’égard d’un ou de plusieurs des facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi et de modifier la pondération servant d’assise à la conclusion relative à la probabilité de confusion.

[26] Dans le présent appel, la nouvelle preuve déposée par Certico consiste en l’affidavit souscrit le 4 octobre 2022 par Kelly J. Ramsay, directrice des opérations de Certico [l’affidavit de Mme Ramsay]. Madame Ramsay a joint les deux pièces suivantes à son affidavit : 1) la pièce KA‑1 (portant, par erreur, la cote KA‑2) : la facture d’un graphiste datée du 3 octobre 2011 pour la conception graphique du logo de la gamme de produits Forno Magnifico; 2) la pièce KA‑2 (portant, par erreur, la cote KA‑1) : 38 reçus produits en liasse sur lesquels figure la marque FORNO MAGNIFICO & DESSIN, pour des ventes de pâtes à pizza réalisées par Certico de 2013 à 2017.

[27] Premièrement, Certico soutient que l’affidavit de Mme Ramsay est pertinent parce qu’elle y indique que Mastrandrea n’a jamais vendu de pâtes à pizza prêtes à cuire dans ses boulangeries de détail. Plus précisément, elle y mentionne ce qui suit :

[traduction]
Le ou vers le 23 septembre 2022, j’ai contacté les établissements Forno Cultura suivants, lesquels sont détenus et exploités par la défenderesse Mastrandrea Commercial Bakeries Inc. :

a. Forno Cultura King, situé au 609 rue King Ouest à Toronto. — J’ai parlé à Paul, qui m’a confirmé qu’il était un représentant de Forno Cultura et que l’entreprise ne vendait pas, et n’avait jamais vendu, de pâtes à pizza prêtes à cuire dans l’un ou l’autre de ses établissements, dont celui-ci;

b. Forno Cultura Queen, situé au 1056 rue Queen Ouest à Toronto. — J’ai parlé à Sophie, qui m’a confirmé qu’elle était une représentante de Forno Cultura et que l’entreprise ne vendait pas, et n’avait jamais vendu, de pâtes à pizza prêtes à cuire dans l’un ou l’autre de ses établissements, dont celui-ci;

c. Forno Cultura Biscotteria, situé au 65 rue Front Ouest à Toronto. — J’ai parlé à Andrew, qui m’a confirmé qu’il était un représentant de Forno Cultura et que l’entreprise ne vendait pas, et n’avait jamais vendu, de pâtes à pizza prêtes à cuire dans l’un ou l’autre de ses établissements, dont celui-ci [.]

[28] Le témoignage par affidavit de Mme Ramsey ne constitue pas un élément de preuve important étant donné qu’il porte sur l’absence de vente de pâtes à pizza prêtes à cuire, soit un produit que Mastrandrea n’a jamais prétendu vendre, plutôt que sur les produits pertinents effectivement vendus par Mastrandrea, à savoir des pizzas et de la pâte à pizza. Il ne contribue donc pas à réduire le chevauchement présent dans le genre de produits offerts respectivement par Certico et Mastrandrea que vise l’alinéa 6(5)c) de la Loi, comme l’a fait observer le registraire au paragraphe 81 de la décision : « Malgré tout, [le genre de] produits des deux parties [correspond à des] produits de pizza vendus au grand public. Un consommateur cherchant à faire sa propre pizza pourrait être attiré par les pâtes à pizza de la Requérante une journée et par la pâte à pizza de l’Opposante une autre. J’estime que, compte tenu des éléments communs, un consommateur avec un souvenir imparfait de la Marque de commerce de l’Opposante pourrait comprendre que les pâtes à pizza vendues en liaison avec la Marque sont la variété « ma[g]nifico » au sein de la gamme de produits de pizza de l’Opposante. » [Italique ajouté.] Quoi qu’il en soit, ce nouvel élément de preuve n’aurait sans doute pas eu une incidence sur les conclusions tirées par la COMC quant à la probabilité de confusion étant donné que le chevauchement présent dans le genre de produits n’était que l’un des nombreux facteurs jouant en défaveur de Certico, dont le plus important était le degré élevé de ressemblance entre les marques. Enfin, le témoignage par affidavit de Mme Ramsay n’est pas fiable, car rien ne permet de confirmer qu’elle a parlé à des représentants compétents et bien informés de Mastrandrea. À titre d’exemple, Mme Ramsay n’y fait mention ni du titre du poste des représentants ni de la durée de leur emploi au sein de Mastrandrea, ce qui aurait donné plus de force à leurs réponses selon lesquelles l’entreprise [traduction] « ne vendait pas, et n’avait jamais vendu » le produit visé [traduction] « dans l’un ou l’autre de ses établissements, dont celui-ci ».

[29] Deuxièmement, Certico soutient que l’affidavit de Mme Ramsay est pertinent parce que la pièce KA‑1 montre qu’en 2011, Certico a de bonne foi eu recours aux services d’un graphiste pour la conception du logo de sa marque de commerce et qu’elle n’a jamais été visée par une allégation de contrefaçon ou de confusion depuis. La pièce KA‑1 ne constitue pas un élément de preuve important ou de valeur probante étant donné que la date à laquelle le logo de la marque a été conçu n’a aucune incidence sur la date de premier emploi de la marque FORNO MAGNIFICO & DESSIN par Certico. Le fait pertinent à considérer étant la date de premier emploi, la COMC a correctement analysé ce facteur au paragraphe 78 de sa décision dans la partie intitulée « Période d’emploi » et conclu qu’il favorisait Mastrandrea. Quoi qu’il en soit, la COMC a déjà reconnu aux paragraphes 59 et 86 de sa décision que l’absence de confusion réelle était un facteur qui jouait en faveur de Certico. Par conséquent, ce nouvel élément de preuve n’aurait pas suffi à faire jouer ce facteur – ou tout autre facteur qui doit être pris en compte dans l’analyse de la confusion – en faveur de Certico.

[30] Troisièmement, Certico soutient que l’affidavit de Mme Ramsay est pertinent parce que les reçus produits sous la cote KA‑2 montrent que depuis 2013, elle a vendu de bonne foi des pâtes à pizza et qu’elle n’a jamais été visée par une allégation de contrefaçon ou de confusion depuis. Cet élément de preuve n’est pas pertinent en raison de son caractère répétitif. Pour être « pertinente » et avoir une incidence sur la norme de contrôle appliquée par la Cour lors de l’appel, la preuve additionnelle ne doit pas être répétitive et elle doit accroître la valeur probante de l’ensemble de la preuve (Cortefiel, SA c Doris Inc, 2013 CF 1107 au para 33, conf par 2014 CAF 255; voir aussi Servicemaster Company c 385229 Ontario Ltd (Masterclean Service Company), 2015 CAF 114 aux para 23‑24). La COMC a déjà expressément reconnu, au paragraphe 78 de sa décision, que Certico « a[vait] démontré l’emploi de sa Marque depuis 2013 en liaison avec des pâtes à pizza », puis elle a ajouté « alors que l’Opposante a[vait] démontré l’emploi de [s]a Marque de commerce […]depuis 2011 en liaison avec des pizzas et l[a] pât[e] à pizza » [italique ajouté]. Pour cette raison, bien que les reçus présentés par Certico à titre de preuve additionnelle remontent au 15 octobre 2013, soit avant la date de premier emploi revendiquée dans la demande d’enregistrement (le 31 décembre 2013), ils ne sont pas antérieurs à 2011, date à laquelle Mastrandrea a établi qu’elle employait sa marque FORNO CULTURA CARRÉ & DESSIN en liaison avec des pizzas et de la pâte à pizza. Qui plus est, comme la COMC a déjà reconnu que l’absence de preuve d’une confusion réelle favorisait Certico (aux para 59 et 86), ces éléments de preuve ne permettraient pas de faire jouer les autres facteurs en faveur de Certico.

[31] Comme il a été mentionné lors de l’audience, si Certico avait présenté à l’appui de sa demande des éléments de preuve qui auraient permis de combler les lacunes dans la preuve dont disposait la COMC, par exemple la preuve de l’état du registre ou de l’état du marché montrant un emploi répandu ou des enregistrements de dessins d’arches, de flammes ou d’une combinaison des deux, avec ou sans le mot FORNO, la Cour aurait pu les considérer comme pertinents. Certico n’a produit en appel aucun élément de preuve de cette nature démontrant l’emploi courant d’une telle composante nominale ou figurative, alors que cet aspect était déterminant pour les conclusions que la COMC a tirées à l’issue de son analyse des facteurs examinés dans les parties intitulées « Degré de ressemblance » et « Autres circonstances de l’espèce » (voir les para 43 et 57 de la décision pour la conclusion tirée quant au motif fondé sur l’alinéa 12(1)d) de la Loi, et les para 71 et 84 pour celle tirée quant au motif fondé sur l’article 16).

[32] En somme, l’affidavit de Mme Ramsay n’aurait pas eu d’incidence sur les conclusions tirées par la COMC. Par conséquent, il ne s’agit pas d’une nouvelle preuve qui entraîne l’application d’une norme de contrôle autre que celles qui s’appliquent par défaut en appel. Comme Certico conteste les conclusions de la COMC sur la probabilité de confusion entre les marques de Certico, de Mastrandrea et de CTM, la norme de contrôle applicable est celle de l’erreur manifeste et déterminante.

[33] La norme de l’erreur manifeste et déterminante appelle un degré élevé de retenue. Comme la Cour d’appel fédérale l’a expliqué au paragraphe 42 de l’arrêt Venngo Inc c Concierge Connection Inc, 2017 CAF 96 [Venngo] (citant Canada c South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165 au para 46) :

[42] […] Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « [déterminante] », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et [déterminante], on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier. [Italique ajouté.]

B. La COMC a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la marque FORNO MAGNIFICO & DESSIN de Certico n’était pas enregistrable en raison de la probabilité de confusion avec la marque déposée FORNO & DESSIN (LMC991845), et que Certico n’avait pas droit à l’enregistrement de sa marque en raison de la probabilité de confusion avec la marque FORNO CULTURA CARRÉ & DESSIN antérieurement employée au Canada?

[34] La Cour est d’avis que Certico a principalement repris en appel les arguments qu’elle avait fait valoir devant la COMC. À maints égards, comme il ressort de l’analyse qui suit, Certico demande à la Cour d’intervenir afin de procéder à une nouvelle analyse relative à la confusion et de substituer son appréciation de la preuve à celle de la COMC, ce que la Cour ne peut toutefois faire en appel.

[35] La Cour fédérale ne peut modifier les questions de fait ou les questions mixtes de fait et de droit dont on ne peut isoler une question de droit que si la COMC a commis une erreur manifeste et déterminante, et ne peut modifier les questions de droit que si la COMC a appliqué un mauvais principe juridique. Je ne puis qualifier de manifestes et déterminantes les erreurs que Certico reproche à la COMC relativement à son analyse du critère en matière de confusion énoncé au paragraphe 6(5) de la Loi. J’examinerai néanmoins, une par une, les erreurs que Certico soulève en lien avec chacun des deux motifs d’opposition visés par le présent appel.

C. La COMC a-t-elle commis une erreur manifeste et déterminante lorsqu’elle a conclu que la marque FORNO MAGNIFICO & DESSIN de Certico n’était pas enregistrable en raison de la probabilité de confusion avec la marque déposée FORNO & DESSIN (LMC991845)?

[36] Certico n’a pas convaincu la Cour que la COMC avait commis une erreur manifeste et déterminante dans son évaluation du degré de ressemblance – qui, en l’espèce, constituait le facteur le plus important – entre les marques. Aucun nouvel élément de preuve pertinent n’a été présenté sur ce point, et les conclusions de la COMC appellent un degré élevé de retenue. Selon Certico, [traduction] « il y a au paragraphe 43 de la décision une erreur manifeste et déterminante parce que la COMC a jugé que le fait que les marques avaient en commun le mot FORNO et présentaient donc une similarité dans leur son constituait un facteur important, et cela même si FORNO est un mot courant et si le droit à son emploi exclusif en dehors de la marque de commerce n’avait pas été accordé à CTM » [italique ajouté]. Avec égards, je suis d’avis que Certico a mal saisi la conclusion tirée par la COMC au paragraphe 43 de la décision. La COMC indique clairement que « les marques de commerce en question possèdent un degré de ressemblance élevé dans la présentation et dans les idées suggérées, non seulement en raison du mot commun FORNO, mais également et particulièrement en raison de l’arche semblable avec les dessins de flammes » [non souligné dans l’original, italique ajouté]. Cette conclusion est raisonnable dans les circonstances.

[37] Certico n’a pas non plus convaincu la Cour que la COMC avait commis une erreur manifeste et déterminante dans son évaluation du genre de produits ou entreprises et des voies de commercialisation des parties dans le contexte de l’analyse relative à la confusion. Aucun nouvel élément de preuve n’a été présenté sur ce point, et les conclusions de la COMC appellent un degré élevé de retenue. Selon Certico, [traduction] « il y a aux paragraphes 54 et 62 de la décision une erreur manifeste et déterminante parce que la COMC a conclu à l’existence “[…] d’un risque de chevauchement, dans une certaine mesure, dans le genre de produits et d’entreprises, et les voies de commercialisation des parties” et dans le genre des produits pertinents et des entreprises et la nature des commerces, et nonobstant l’absence de preuve de confusion réelle”, même si rien dans la preuve ne permet d’étayer cette conclusion » [italique ajouté]. Les produits visés par la demande d’enregistrement produite par Certico sont des « fours à pizza », et les produits visés par l’enregistrement de CTM sont des « appareils électr[oménagers] nommément : four encastré, plaque de cuisson ». Les produits offerts par les deux parties sont des fours (comme l’indique la portion nominale de leurs marques), ce qui entre dans la catégorie des appareils électroménagers. Certes, Certico fabrique et distribue des fours à pizza électriques portables alors que CTM importe et distribue de gros appareils électroménagers, mais la COMC n’a commis aucune erreur manifeste et déterminante lorsqu’elle a conclu, au paragraphe 54, que « compte tenu des éléments communs, un consommateur avec un souvenir imparfait de la Marque de commerce [de] CTM pourrait comprendre que les fours à pizza vendus en liaison avec la Marque sont la variété “ma[g]nifico” de la gamme d’appareils de cuisine de l’Opposante » [italique ajouté].

[38] Certico a également indiqué que [traduction] « la COMC n’a[vait] pas tenu compte du fait incontestable que les marques de commerce des défenderesses, FORNO CULTURA et FORNO, et celle de Certico, FORNO MAGNIFICO, coexist[ai]ent depuis au moins 2013 et que Certico n’a[vait] reçu aucun avis de la part de l’une ou l’autre des défenderesses au sujet d’une quelconque contrefaçon ou confusion […] » [non souligné dans l’original, italique ajouté]. Or, la COMC en a exactement tenu compte au paragraphe 59 de sa décision, dans son analyse du facteur examiné dans la partie intitulée « Autres circonstances de l’espèce – aucune preuve de confusion réelle », et a conclu que ce facteur tendait à favoriser Certico, quoique pas dans une mesure importante.

[39] Enfin, Certico soutient que [traduction] « la COMC n’a pas pris en considération le fait que CTM Household s’[était] initialement opposée à la demande d’enregistrement pour la marque de commerce de Certico, mais a[vait] retiré son opposition et que Mastrandrea a[vait] ensuite repris le flambeau et fait sienne l’opposition de CTM […] alors qu’en fait, cela ne lui était d’aucune utilité étant donné qu’elle ne vendait, et ne vend toujours, aucun appareil » [italique ajouté]. Encore une fois, cet argument est erroné, puisque la COMC a expressément tenu compte de cette situation au paragraphe 34 de sa décision, où elle a fait avec justesse les remarques suivantes : « Bien que l’Opposante ne soit pas la propriétaire de cet enregistrement, un opposant peut invoquer l’enregistrement d’une autre partie aux fins d’un motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)d) de la Loi [USV Pharmaceuticals of Canada Ltd c Sherman and Ulster Ltd (1974), 15 CPR (2d) 79 (COMC)]. » [Italique ajouté.]

D. La COMC a-t-elle commis une erreur manifeste et déterminante lorsqu’elle a conclu que Certico n’avait pas droit à l’enregistrement de la marque FORNO MAGNIFICO & DESSIN en raison de la probabilité de confusion avec la marque FORNO CULTURA CARRÉ & DESSIN antérieurement employée au Canada?

[40] Certico ne souscrit pas à la conclusion de la COMC selon laquelle elle n’avait pas droit à l’enregistrement étant donné que les probabilités penchaient tout autant du côté de la confusion que de l’absence de confusion entre la marque FORNO MAGNIFICO & DESSIN de Certico et la marque FORNO CULTURA CARRÉ & DESSIN de Mastrandrea. La COMC est arrivée à cette conclusion « en raison de la ressemblance entre les marques de commerce et du chevauchement dans le genre de produits et nonobstant l’absence de preuve de confusion réelle » [italique ajouté].

[41] Certico soutient qu’il n’existe aucune probabilité de confusion entre ces marques. S’agissant du degré de ressemblance entre les deux marques et de leur caractère distinctif, Certico fait valoir les points suivants :

  1. le dessin du foyer de briques est couramment utilisé à des fins de commercialisation de divers produits et services généralement liés à la cuisine et à la boulangerie-pâtisserie;

  2. son dessin est le seul qui montre une flamme à l’intérieur du foyer; dans l’autre marque, c’est un dessin d’épis de blé qui est bien en vue dans le foyer;

  3. dans l’ensemble, les dessins sont suffisamment différents pour se distinguer facilement l’un de l’autre;

  4. le mot FORNO est couramment utilisé [traduction] « en liaison avec divers types de fours et de produits alimentaires » et donc peu distinctif;

  5. le mot FORNO est le mot dominant dans la marque de commerce de Mastrandrea, alors que MAGNIFICO est le mot dominant dans celle de Certico;

  6. les deux marques ont des styles visuels sensiblement différents.

[42] Certico n’a produit, que ce soit devant la COMC ou en appel devant la Cour, aucun élément de preuve permettant de démontrer que le dessin de foyer de briques était couramment utilisé à des fins de commercialisation de divers produits et services généralement liés à la cuisine et à la boulangerie-pâtisserie. La preuve de l’état du registre portait uniquement sur le mot FORNO et ne visait pas les dessins de foyer ou de feu. Cette preuve limitée constituait l’élément déterminant, aux paragraphes 71, 76 et 84 de la décision, qui a mené la COMC à conclure que « la Requérante n’a[vait] démontré aucun emploi répandu du dessin d’arche frappant ou de sa combinaison avec le mot FORNO » [italique ajouté]. Comme il a été mentionné plus haut, si Certico avait trouvé et présenté des éléments de preuve à cet égard, ceux-ci auraient pu constituer de nouveaux éléments de preuve pertinents et, selon leur importance, permettre de faire jouer les facteurs de l’analyse relative à la confusion en faveur de Certico. Or, elle ne l’a pas fait.

[43] Certico soutient également que le genre de produits et entreprises qu’elle possède est totalement différent de celui de Mastrandrea, car elle – Certico –fabrique et distribue à Montréal des fours à pizza électriques portables et de pâtes à pizza prêtes à cuire, tandis que Mastrandrea exploite une boulangerie-pâtisserie artisanale italienne et offre un service de traiteur dans cinq établissements situés dans la région du Grand Toronto. Elle ajoute que l’enregistrement de la marque de commerce de Mastrandrea ne fait mention ni de pizzas ni de produits de pizza. À son avis, Mastrandrea affirme vendre des boules de pâte à pizza et des tranches de pizza, mais [traduction] « ces produits ne représentaient qu’un maigre 2 % des ventes annuelles totales réalisées relativement à la période comprise entre octobre 2011 et le 31 décembre 2018 ».

[44] La Cour ne peut conclure que la COMC a commis une quelconque erreur manifeste et déterminante dans l’analyse et les conclusions qu’elle a exposées au sujet du genre de produits ou entreprises, ou de la nature du commerce (aux para 80 à 85).

[45] Selon Certico, [traduction] « la COMC a manifestement commis une erreur lorsqu’elle a conclu, au paragraphe 81, que le genre de produits offerts par les deux parties correspondait à des produits de pizza, assimilant ainsi à tort les produits de pâte à pizza de Mastrandrea aux produits alimentaires de pâtes à pizza prêtes à cuire de Certico » [italique ajouté].

[46] La Cour ne voit aucune erreur manifeste et déterminante ni dans l’analyse réalisée par la COMC ni dans la conclusion qu’elle a tirée au paragraphe 81, reproduit ci-dessous, étant donné qu’elles sont logiques compte tenu des produits de pizza respectifs des parties, à savoir de la pâte à pizza et des pâtes à pizza prêtes à cuire.

[47] « Malgré tout, [le genre de] produits des deux parties [correspond à des] produits de pizza vendus au grand public. Un consommateur cherchant à faire sa propre pizza pourrait être attiré par les pâtes à pizza de la Requérante une journée et par la pâte à pizza de l’Opposante une autre. J’estime que, compte tenu des éléments communs, un consommateur avec un souvenir imparfait de la Marque de commerce de l’Opposante pourrait comprendre que les pâtes à pizza vendues en liaison avec la Marque sont la variété « ma[g]nifico » au sein de la gamme de produits de pizza de l’Opposante. »

V. Conclusion

[48] Puisque Certico n’a pas démontré que la COMC avait commis une erreur manifeste et déterminante dans ses conclusions de fait ou ses conclusions mixtes de fait et de droit, l’appel doit être rejeté. Les faits de l’espèce, en particulier le fait que l’appel n’était pas contesté, justifient l’exercice par la Cour de son pouvoir discrétionnaire de n’adjuger aucuns dépens.

[49] L’appel est rejeté sans dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-2081-22

LA COUR STATUE :

  1. L’appel est rejeté.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Ekaterina Tsimberis »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Brisebois


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2081-22

 

INTITULÉ :

LES INDUSTRIES CERTICO INC c MASTRANDREA COMMERCIAL BAKERIES LIMITED ET CTM HOUSEHOLD APPLIANCES INC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 AVRIL 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE TSIMBERIS

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 1ER SEPTEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Howard L. Tatner

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Howard L. Tatner

Westmount (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

LES INDUSTRIES CERTICO INC.

 

 

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