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Date : 20230907


Dossier : IMM-7395-22

Référence : 2023 CF 1208

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 septembre 2023

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

HOMAN AHMADI

MARZIEH RASHVANDBOKANY

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs sont citoyens de l’Iran. Homan Ahmadi, le demandeur principal [le DP], est un élève du primaire âgé de 11 ans qui a demandé un permis d’études pour pouvoir étudier en 4e année dans une école de North Vancouver. La codemanderesse, Marzieh Rashvandbokany, est sa mère. Elle a demandé un visa de résident temporaire [VRT] pour accompagner son fils, car c’était l’une des conditions d’admission du DP à l’école.

[2] Dans des décisions du 17 juillet 2022, un agent des visas [l’agent] a refusé les demandes de visa, car il n’était pas convaincu que les demandeurs quitteraient le Canada. L’agent a conclu que [traduction] « le but de leur visite au Canada ne concorde pas avec un séjour temporaire compte tenu des détails fournis dans leur demande ». Les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] pour appuyer la décision de l’agent concernant le DP sont brèves :

[traduction]

J’ai examiné la demande. Mineur iranien qui demande un permis d’études pour étudier dans le district scolaire de North Vancouver, en 4e année. L’objectif de la visite elle‑même ne semble pas raisonnable, puisque des programmes semblables sont offerts plus près du lieu de résidence du demandeur. La motivation de celui‑ci à étudier au Canada ne semble pas raisonnable, étant donné qu’un programme comparable est offert dans son pays d’origine à une fraction du coût. Le but de la visite ne paraît pas raisonnable compte tenu de la situation socio‑économique du demandeur. Après avoir soupesé les facteurs applicables à l’examen de la présente demande, je ne suis pas convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. La demande est rejetée.

[3] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire des décisions de l’agent au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Ils font valoir que l’agent a commis une erreur en refusant un permis d’études au DP et soulèvent à cet égard les deux points suivants :

  1. la décision de l’agent de refuser le permis d’études était déraisonnable parce que l’agent a accordé trop d’importance aux possibilités d’éducation locale et qu’il n’a pas expliqué pourquoi il s’est appuyé sur la situation socio‑économique du demandeur;

  2. la procédure était inéquitable sur le plan procédural, car l’agent n’a pas donné aux demandeurs la possibilité de dissiper les doutes qu’il avait quant à leur crédibilité.

[4] Les demandeurs soutiennent que, si le refus d’accorder un permis d’études au DP est déraisonnable, la décision de refuser la demande de la codemanderesse ne repose sur aucune raison particulière.

[5] Les demandeurs soulignent que l’agent s’est appuyé uniquement sur le permis d’études du DP pour refuser le VRT de la codemanderesse. Par conséquent, comme aucun motif distinct ne justifie la décision de rejeter la demande de VRT de la codemanderesse, cette décision doit également être annulée si la Cour conclut que la décision de refuser la demande de permis d’études était déraisonnable.

[6] Les agents des visas ont droit à un haut degré de déférence, ce qui ne signifie pas pour autant que leurs décisions échappent à tout contrôle judiciaire. Le raisonnement qui a conduit le décideur à tirer les conclusions sur lesquelles repose essentiellement sa décision doit être exposé dans les motifs ou se dégager du dossier. En l’espèce, la décision ne satisfait pas à cette norme et, pour cette raison, la demande est accueillie. Je ne suis pas convaincu que le processus était inéquitable.

II. Norme de contrôle

[7] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable à l’examen du premier point est celle de la décision raisonnable. Les demandeurs soulignent l’importance d’une décision fondée sur une analyse rationnelle qui tient compte du régime législatif établi et de la preuve présentée (Iyiola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 324 [Iyiola] aux para 11 et 12, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 23, 85, 106, 110, 111, 126).

[8] Le défendeur soutient que, dans le contexte des visas, les agents ont droit à un niveau élevé de déférence et qu’une décision en matière de visa n’est déraisonnable que si elle présente de graves lacunes ou que l’agent s’est fondamentalement mépris sur la preuve ou n’en a pas tenu compte (Vavilov, aux para 10, 85; Musasiwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 617 [Musasiwa] au para 22; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 266 aux para 16‑18; Charara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1176 aux para 36, 38; Ocran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 175 aux para 16, 34).

[9] Les parties font valoir que la norme de la décision correcte s’applique à l’examen des questions relatives à l’équité. Je conviens que la norme de la décision correcte est celle qui reflète le mieux la nature du processus d’examen lorsque des droits substantiels sont en cause. Toutefois, le contrôle des questions d’équité s’attache plus précisément à la question de savoir si la procédure suivie a été équitable compte tenu de l’ensemble des circonstances. Pour répondre à cette question, il convient de mettre l’accent sur les droits substantiels concernés et sur les conséquences de la décision en cause pour les personnes touchées (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54).

III. Analyse

A. La décision de l’agent est‑elle déraisonnable?

[10] Le défendeur soutient que le refus de l’agent était justifié, compte tenu de l’évaluation qu’il a faite des éléments de preuve et des facteurs révélés par la demande de permis d’étude. Il ajoute que les motifs de l’agent répondent aux observations et aux éléments de preuve qui ont été présentés, et que les demandeurs contestent tout simplement l’appréciation des éléments de preuve faite par l’agent. Je ne suis pas de cet avis.

[11] Le défendeur soutient que, dans la mesure où tous les éléments de preuve ont été dûment examinés, la cour de révision s’en remettra au poids que leur aura attribué le décideur, s’agissant d’une question qui relève de l’expertise de ce dernier (Monteza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 530 au para 8; Abbas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 378, au para 29; Musasiwa, au para 22. Je ne conteste pas la déclaration du défendeur. Néanmoins, pour qu’une décision soit raisonnable, la justification des éléments essentiels de cette décision doit ressortir facilement des motifs ou pouvoir être déduite d’un examen du dossier (Vavilov, au para 98).

[12] En l’espèce, le DP faisait état dans sa demande d’une série de raisons justifiant qu’il poursuive ses études de 4e année au Canada. Les motifs avancés dans la demande présentent les explications suivantes : 1) les études à l’extérieur de l’Iran sont considérées comme bénéfiques pour le DP; 2) les efforts déployés pour permettre au DP d’étudier en Turquie n’ont pas porté fruit; 3) l’objectif des études à l’étranger est d’aider le DP à améliorer ses compétences en anglais; 4) le Canada constitue une option plus abordable que le Royaume-Uni; 5) la famille a les moyens financiers de payer les études à l’étranger du DP; 6) la présence d’amis de la famille et d’une communauté persanophone à North Vancouver favoriserait l’intégration du DP.

[13] Il est question dans les notes consignées dans le SMGC de la raison de la demande de permis d’étude : [TRADUCTION] « des programmes semblables sont offerts plus près du lieu de résidence du demandeur. La motivation à étudier au Canada ne semble pas raisonnable, étant donné qu’un programme comparable est offert dans son pays d’origine à une fraction du coût ». Cette explication pourrait bien être suffisante dans un cas où le demandeur de permis d’études s’appuierait sur des circonstances auxquelles pourraient manifestement répondre des programmes de 4e année semblables offerts plus près de chez lui, comme dans l’affaire Jafari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1761 [Jafari] sur laquelle se fonde le défendeur. Dans cette affaire, la demanderesse voulait faire sa 2e année au Canada dans le but principal d’améliorer ses compétences en anglais. La preuve démontrait que sa mère était professeur d’anglais. La Cour a conclu qu’il était raisonnable pour l’agent de s’appuyer uniquement sur l’offre de programmes semblables pour prendre sa décision.

[14] Il y a lieu d’établir une distinction entre l’espèce et l’affaire Jafari. Comme mentionné précédemment, le DP a fait état d’une série de facteurs pour expliquer sa volonté d’étudier en 4e année au Canada. L’agent s’est appuyé sur l’existence de programmes comparables plus près de chez lui, mais il n’a pas tenu compte de ces facteurs. Contrairement à la situation dans l’affaire Jafari, la justification de la décision ne ressort pas ici du dossier non plus qu’elle ne peut facilement en être déduite. L’absence de justification à l’appui de la conclusion à laquelle l’agent est parvenu rend la décision déraisonnable.

[15] Compte tenu de la preuve produite à l’appui de la demande, il était également erroné pour l’agent de s’appuyer de façon générale sur des facteurs socio‑économiques.

B. Aucun manquement à l’équité procédurale

[16] L’agent ne soulève pas la question de la crédibilité des demandeurs ou de l’authenticité des documents fournis. Comme aucune question de crédibilité n’a été soulevée, rien ne permet de conclure que les demandeurs avaient le droit d’être informés des préoccupations de l’agent ou d’obtenir une entrevue (Hamid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 886 au para 16).

IV. Conclusion

[17] La demande est accueillie. Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-7395-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1. La demande est accueillie.

2. L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

3. Aucune question n’est certifiée.

Vide

« Patrick Gleeson »

Vide

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


DOSSIER :

IMM‑7395‑22

INTITULÉ :

HOMAN AHMADI, MARZIEH RASHVANDBOKANY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 AVRIL 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

DATE DES MOTIFS :

LE 7 septembre 2023

COMPARUTIONS :

Zeynab Ziaie Moayyed

POUR LES DEMANDEURS

Zahida Shawkat

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Visa Law Group PC

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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