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Date : 20230531


Dossier : T-1062-21

Référence : 2023 CF 764

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 31 mai 2023

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE :

MILLENNIUM FUNDING, INC., OUTPOST PRODUCTIONS, INC., BODYGUARD PRODUCTIONS, INC., HUNTER KILLER PRODUCTIONS, INC. ET RAMBO V PRODUCTIONS, INC.

demanderesses/défenderesses reconventionnelles

et

BELL CANADA ET BELL ALIANT

défenderesses/demanderesses reconventionnelles

et

AIRD & BERLIS LLP

défenderesse reconventionnelle

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Les demanderesses sont un groupe de studios cinématographiques [les producteurs Millennium] qui font valoir leur droit d’auteur sur cinq films. Dans des actions distinctes intentées devant la Cour, elles allèguent que des clients des services Internet de Bell ont violé le droit d’auteur à l’égard de leurs films en les distribuant illégalement par l’intermédiaire du réseau de pairs BitTorrent. L’action sous-jacente en l’espèce, la première en son genre, oppose les producteurs Millennium à Bell Canada et Bell Aliant [collectivement, Bell] en tant que fournisseurs de service Internet [FSI]. Les demanderesses allèguent que les défenderesses ont omis de transmettre des avis de prétendue violation conformément au régime d’avis et avis énoncé dans la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C-42 [la Loi].

[2] La Cour est saisie d’une requête présentée en vertu du paragraphe 51(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‐106 [les Règles], par laquelle Bell porte en appel l’ordonnance rendue le 23 juin 2022 par le juge chargé de la gestion de l’instance, le protonotaire Kevin Aalto [l’ordonnance contestée]. Dans cette ordonnance, le juge chargé de la gestion de l’instance a radié certaines parties [les paragraphes contestés] de la défense et demande reconventionnelle modifiée de Bell, sans autorisation de les modifier. Les paragraphes contestés comprennent des allégations selon lesquelles les producteurs Millennium, le cabinet d’avocats qui les représente, Aird & Berlis LLP (AB), et d’autres clients de ce cabinet ont abusé du régime d’avis et avis, du droit d’auteur et de la procédure, se sont adonnés à la champartie et au soutien abusif (parfois appelé soutien délictuel) et ont participé à un complot prévoyant le recours à des moyens illicites en recourant à un programme d’application du droit d’auteur [le PADA] pour appliquer le régime d’avis et avis. Le juge chargé de la gestion de l’instance a radié l’ensemble de la demande reconventionnelle, par laquelle Bell sollicitait un jugement déclaratoire contre AB et les demanderesses et alléguait la violation des articles 41.25 et 41.26 de la Loi.

[3] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le juge chargé de la gestion de l’instance a commis une erreur en adoptant une approche trop étroite au regard de la défense fondée sur l’abus du droit d’auteur, mais que la requête doit néanmoins être rejetée, parce que Bell n’a pas établi que le juge chargé de la gestion de l’instance a commis d’autres erreurs, notamment lorsqu’il a conclu que les faits substantiels présentés ne permettaient pas d’étayer les allégations formulées.

I. Le contexte

[4] Comme il est indiqué dans l’ordonnance contestée, le régime d’avis et avis a été résumé récemment dans la décision Voltage Holdings, LLC c M Untel No 1, 2022 CF 827, avec renvoi à l’arrêt Rogers Communications Inc c Voltage Pictures, LLC, 2018 CSC 38 [Rogers] :

[40] La Cour suprême du Canada a examiné le régime d’avis et d’avis dans l’arrêt Rogers Communications Inc c Voltage Pictures, LLC, 2018 CSC 38 [Rogers]. Elle a dit aux paragraphes 22 et 23 que ce régime visait deux objectifs complémentaires : dissuader la violation en ligne du droit d’auteur et établir un équilibre entre les droits des parties intéressées. S’agissant du premier objectif, elle a fait les remarques suivantes : « [...] [E]n exigeant qu’un avis de prétendue violation soit envoyé à la personne associée à l’adresse IP à partir de laquelle le droit d’auteur aurait été violé, le régime vise à dissuader cette personne, ou d’autres utilisant l’adresse IP, de continuer à violer le droit d’auteur [...] » Elle a ajouté ce qui suit, au paragraphe 24 :

[24] Toutefois, le régime d’avis et avis n’avait pas pour but d’établir un cadre exhaustif au moyen duquel les cas de violation en ligne du droit d’auteur pourraient être totalement éliminés. Comme l’a expliqué une représentante de Rogers devant le comité de la Chambre des communes qui examinait ce qui allait devenir la Loi sur la modernisation du droit d’auteur, « le processus d’avis et avis n’est pas une solution miracle; ce n’est que la première étape d’un processus permettant aux titulaires de droit de poursuivre ceux qui violeraient ces droits. [...] [Le titulaire du droit] peut ensuite s’en servir quand il décide de poursuivre le contrevenant allégué » (Chambre des communes, Comité législatif chargé du projet de loi C‐32, Témoignages, no 19, 3e sess., 40e lég., 22 mars 2011, p. 10). C’est pourquoi, comme je l’ai expliqué, le titulaire du droit d’auteur qui souhaite poursuivre une personne qui aurait violé son droit en ligne doit obtenir une ordonnance de type Norwich pour obliger le FSI à lui communiquer l’identité de cette personne. Le régime législatif d’avis et avis n’a pas écarté cette exigence; il fonctionne de concert avec elle. Cela est confirmé par l’al. 41.26(1)b), qui prévoit que le titulaire du droit d’auteur peut poursuivre une personne qui reçoit un avis dans le cadre du régime, et établit l’obligation du FSI de conserver le registre permettant d’identifier cette personne pendant une certaine période suivant la réception de cet avis.

[41] S’agissant de l’équilibre entre les droits des parties intéressées, la Cour suprême a fait les observations suivantes aux paragraphes 26 et 27 de l’arrêt Rogers :

[26] Par exemple, le Parlement a cherché à établir un équilibre entre les intérêts des titulaires de droits d’auteur et ceux des abonnés à Internet, respectivement, en choisissant un régime d’avis et avis plutôt qu’un régime « d’avis et de retrait » (voir Débats de la Chambre des communes, p. 2109, l’hon. James Moore). [...] [L]e régime d’avis et avis permet que les avis de prétendue violation soient transmis (assurant ainsi le respect des droits des titulaires de droits d’auteur), tout en tenant compte des intérêts des abonnés à Internet grâce au maintien de la présomption d’innocence et en leur permettant de surveiller leur propre comportement (et, plus précisément, d’éviter la violation continue du droit d’auteur).

[27] Le Parlement a également cherché à établir un équilibre entre les intérêts des titulaires de droits d’auteur et ceux des intermédiaires Internet tels que les FSI. [...] [L]es modifications à la Loi visaient également à « clarifier la responsabilité des fournisseurs de services Internet » envers les titulaires de droits d’auteur (Loi sur la modernisation du droit d’auteur, sommaire; voir aussi Comité législatif chargé du projet de loi C‐32, Témoignages, p. 1, Craig McTaggart). À cette fin, le Parlement a exonéré les FSI de toute responsabilité pour la violation du droit d’auteur commise par leurs abonnés à Internet (art. 31.1 de la Loi). Désormais, pour que la responsabilité du FSI soit engagée selon la Loi, il doit manquer à ses obligations légales dans le cadre du régime d’avis et avis, ou fournir un service « principalement en vue de faciliter l’accomplissement d’actes qui constituent une violation du droit d’auteur » (par. 27(2.3) et 41.26(3) et art. 31.1).

[42] À mon avis, la Cour suprême soulignait au moyen de ces observations – lesquelles renvoient aux objectifs du Parlement dans la mise en œuvre du régime d’avis et avis – que des poursuites par les titulaires du droit d’auteur contre les abonnés à Internet étaient envisagées lorsque le régime d’avis et avis n’avait pas d’effet dissuasif. Toutefois, aucun cadre de responsabilité absolue ne se dégage de ces observations. Comme la Cour suprême l’a fait remarquer, les abonnés à Internet jouissent de la présomption d’innocence. J’estime que la violation du droit d’auteur par les abonnés à Internet (soit directe, soit commise par voie d’autorisation) doit tout de même être prouvée pour que l’action puisse être accueillie.

[5] L’article 41.25 de la Loi établit dans quels cas un avis peut être envoyé au titre du régime d’avis et avis et à qui (paragraphe 41.25(1)), énonce la forme et le contenu de l’avis (paragraphe 41.25(2)) et décrit les éléments que l’avis ne peut pas contenir (paragraphe 41.25(3)).

[6] Lorsqu’un avis est conforme aux paragraphes 41.25(2) et (3), le FSI doit le transmettre par voie électronique, conformément à l’alinéa 41.26(1)a) :

41.26 (1) La personne visée aux alinéas 41.25(1)a) ou b) qui reçoit un avis conforme aux paragraphes 41.25(2) et (3) a l’obligation d’accomplir les actes ci-après, moyennant paiement des droits qu’elle peut exiger :

41.26 (1) A person described in paragraph 41.25(1)(a) or (b) who receives a notice of claimed infringement that complies with subsections 41.25(2) and (3) shall, on being paid any fee that the person has lawfully charged for doing so,

a) transmettre dès que possible par voie électronique une copie de l’avis à la personne à qui appartient l’emplacement électronique identifié par les données de localisation qui sont précisées dans l’avis et informer dès que possible le demandeur de cette transmission ou, le cas échéant, des raisons pour lesquelles elle n’a pas pu l’effectuer;

(a) as soon as feasible forward the notice electronically to the person to whom the electronic location identified by the location data specified in the notice belongs and inform the claimant of its forwarding or, if applicable, of the reason why it was not possible to forward it

[. . .]

[. . .]

[7] Aux termes du paragraphe 41.26(3) de la Loi, le seul recours possible contre le FSI qui n’exécute pas les obligations que lui impose le régime d’avis et avis est le recouvrement des dommages-intérêts préétablis :

Dommages-intérêts

 

Damages related to notices

(3) Le seul recours dont dispose le demandeur contre la personne qui n’exécute pas les obligations que lui impose le paragraphe (1) est le recouvrement des dommages-intérêts préétablis dont le montant est, selon ce que le tribunal estime équitable en l’occurrence, d’au moins 5 000 $ et d’au plus 10 000 $.

(3) A claimant’s only remedy against a person who fails to perform his or her obligations under subsection (1) is statutory damages in an amount that the court considers just, but not less than $5,000 and not more than $10,000.

[8] En l’espèce, les producteurs Millennium allèguent qu’ils ont envoyé plus de 81 000 avis à Bell entre le 9 février 2019 et le 15 juin 2021 et que Bell n’a pas exécuté l’obligation que lui impose l’alinéa 41.26(1)a) de la Loi à l’égard de près de 40 000 avis.

[9] Les producteurs Millennium demandent des dommages-intérêts de 10 000 $ pour chaque avis qui n’aurait pas été transmis, soit environ 400 millions de dollars en tout.

[10] Dans sa défense et demande reconventionnelle modifiée, Bell a affirmé qu’elle s’était conformée au régime d’avis et avis et qu’elle n’avait pas transmis les avis des demanderesses pour des motifs légitimes : les avis ne lui avaient pas été envoyés ou elle ne les avait pas reçus; les avis contenaient des renseignements erronés; les avis étaient des doubles; les avis n’étaient pas conformes à l’article 41.25; l’adresse de courriel des clients à qui elle devait transmettre les avis n’était pas valide; elle n’était par ailleurs pas en mesure de transmettre les avis, malgré ses efforts diligents. Ces allégations n’étaient pas visées par la requête en radiation.

[11] Cependant, Bell a également soutenu dans sa défense que les demanderesses et le cabinet d’avocats les représentant, AB, avaient abusé du régime d’avis et avis en recourant au PADA institué par AB. Bell a allégué que le PADA était un [traduction] « outil de harcèlement et d’intimidation » qui générait automatiquement et envoyait un grand nombre d’avis non fiables afin d’intimider les personnes qui auraient violé le droit d’auteur et de les pousser à accepter des ententes de règlement injustifiées et disproportionnées, et de faire payer aux FSI des montants exorbitants au titre des dommages‐intérêts préétablis.

[12] Bell a allégué que ces abus du régime d’avis et avis par l’intermédiaire du PADA constituaient également : un abus du droit d’auteur par AB et ses clients, y compris les demanderesses; un abus de procédure allant à l’encontre de la politique publique, de l’intérêt public et de l’objet de la Loi; de la champartie ou un soutien abusif; et un complot prévoyant le recours à des moyens illicites.

[13] Elle a allégué que les producteurs Millennium avaient cédé un intérêt bénéficiaire dans leur droit d’auteur à AB en vertu du PADA et qu’ils n’avaient donc pas qualité pour agir dans l’instance. Selon elle, AB et/ou les autres clients d’AB soutenaient de façon irrégulière le litige et contrôlaient la conduite des demanderesses dans un contexte de champartie et/ou de soutien abusif.

[14] Bell a aussi soutenu que si les dommages‐intérêts préétablis pouvaient être calculés en fonction du nombre d’avis non transmis, les dispositions en question contreviendraient aux articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte] et ne devraient pas être appliquées.

[15] Bell a déposé une demande reconventionnelle contre les demanderesses et AB en vue d’obtenir un jugement déclaratoire en lien avec ces allégations, notamment une déclaration portant que les producteurs Millennium et AB ont enfreint les articles 41.25 et 41.26 de la Loi. Bell a aussi demandé une injonction.

[16] Les producteurs Millennium ont déposé une requête en radiation de la demande reconventionnelle, de l’ensemble des allégations contre AB, des allégations relatives à l’abus du droit d’auteur, à l’abus de procédure, à la champartie et au soutien abusif, ainsi que de l’allégation subsidiaire selon laquelle le comportement des parties visées allait à l’encontre des articles 7 et 12 de la Charte (les paragraphes contestés).

[17] Dans sa décision, le juge chargé de la gestion de l’instance a radié les paragraphes contestés, sans autorisation de les modifier. Les paragraphes contestés sont reproduits à l’annexe A de la présente ordonnance.

II. Les questions en litige et la norme de contrôle

[18] La présente requête en appel soulève les questions suivantes :

  1. Le juge chargé de la gestion de l’instance a-t-il commis une erreur lorsqu’il a radié les allégations relatives à l’abus du droit d’auteur?

  2. Le juge chargé de la gestion de l’instance a-t-il commis une erreur lorsqu’il a radié les allégations contre AB?

  3. Le juge chargé de la gestion de l’instance a-t-il commis une erreur lorsqu’il a radié les allégations relatives à la champartie et au soutien abusif?

  4. Le juge chargé de la gestion de l’instance a-t-il commis une erreur lorsqu’il a radié les allégations relatives à l’abus de procédure et au complot prévoyant le recours à des moyens illicites?

  5. Le juge chargé de la gestion de l’instance a-t-il commis une erreur lorsqu’il a radié l’allégation relative à la Charte?

  6. Le juge chargé de la gestion de l’instance aurait-il dû donner à Bell l’autorisation de modifier son acte de procédure?

[19] Les parties affirment, et je suis d’accord avec elles, que la norme de contrôle applicable aux appels des ordonnances discrétionnaires du juge chargé de la gestion de l’instance (qui est un juge adjoint, anciennement appelé un protonotaire) est établie aux paragraphes 66 et 79 de l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215. Ces ordonnances sont susceptibles de contrôle selon la norme civile d’appel établie dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, ce qui signifie que la norme de la décision correcte s’applique aux questions de droit et aux questions mixtes de fait et de droit lorsqu’il y a un principe juridique isolable, alors que la norme de l’erreur manifeste et dominante s’applique aux conclusions de fait et à toutes les autres questions mixtes de fait et de droit. Une erreur manifeste et dominante est « une erreur qui est évidente et apparente, dont l’effet est de vicier l’intégrité des motifs » : Maximova c Canada (Procureur général), 2017 CAF 230 au para 5.

III. Analyse

A. Les règles de droit applicables aux requêtes en radiation

[20] Il est bien établi que la Cour ne doit radier un acte de procédure que s’il est « évident et manifeste » que les allégations qu’il contient n’ont aucune possibilité raisonnable d’être retenues : Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959 à la p 980; R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42 [Imperial Tobacco] au para 17. Dans le cadre de son examen, la Cour tient pour avérés les faits allégués dans l’acte de procédure, sauf s’ils ne peuvent manifestement pas être prouvés ou qu’ils relèvent de simples conjectures : Imperial Tobacco, au para 22.

[21] La Cour doit faire preuve d’une grande prudence quand elle radie des allégations dans une défense. Elle a formulé une mise en garde à cet égard quand le résultat priverait le défendeur de l’occasion de constituer une défense de fond valable : Bayer Healthcare AG c Sandoz Canada, 2007 CF 1068 au para 7.

[22] Lorsqu’elle est saisie de demandes inédites, la Cour doit décider si elle devrait interdire à la partie qui présente la requête d’invoquer ses arguments devant le juge du procès. La Cour doit être généreuse et permettre dans la mesure du possible l’instruction de toute demande inédite mais soutenable, car c’est la seule façon de s’assurer que la common law continue à évoluer pour répondre aux contestations judiciaires de la société moderne (Salna c Voltage Pictures, LLC, 2021 CAF 176 au para 83; Imperial Tobacco, au para 21). Cependant, une demande ne pourra survivre à une requête en radiation simplement parce qu’elle est inédite (Société des loteries de l’Atlantique c Babstock, 2020 CSC 19 [Société des loteries de l’Atlantique] au para 19). Si un tribunal ne reconnaît pas une demande inédite dans le cas où les faits allégués sont tenus pour avérés, la demande est manifestement vouée à l’échec et doit être radiée : Société des loteries de l’Atlantique, au para 19.

[23] Dans l’ordonnance contestée, le juge chargé de la gestion de l’instance a reconnu ces principes juridiques et a invoqué à cet égard les paragraphes 14 à 17 de la décision Fitzpatrick c District 12 du Service régional de la GRC de Codiac, 2019 CF 1040, rendue récemment par la Cour. Le juge chargé de la gestion de l’instance n’a pas soulevé de préoccupations particulières au regard de la radiation d’une défense, mais de toute évidence il a compris que la Cour ne devait y procéder que dans les cas les plus manifestes.

[24] Le juge chargé de la gestion de l’instance a également mis l’accent sur l’exigence impérative selon laquelle les allégations présentées dans un acte de procédure doivent être étayées par des faits substantiels suffisamment précis, de sorte que la Cour et les parties adverses n’aient pas à émettre des hypothèses sur la façon dont les faits pourraient être organisés différemment pour appuyer les allégations : Mancuso c Canada (Santé Nationale et Bien-être Social), 2015 CAF 227.

[25] Je suis convaincue que le juge chargé de la gestion de l’instance a bien cerné les principes juridiques applicables, et aucun argument contraire n’a été avancé.

B. Le juge chargé de la gestion de l’instance a-t-il commis une erreur lorsqu’il a radié les allégations relatives à l’abus du droit d’auteur?

[26] L’appel interjeté par Bell repose principalement sur son allégation d’abus du droit d’auteur. Dans sa défense et demande reconventionnelle modifiée, Bell a allégué que les producteurs Millennium, AB et d’autres clients du cabinet abusent du régime d’avis et avis en recourant au PADA. Bell a fait valoir qu’il s’agissait d’un abus du droit d’auteur, entre autres délits. Comme il est indiqué au paragraphe 30 de la défense et demande reconventionnelle modifiée (dans sa version originale) :

[traduction]

30. Le recours au programme d’application du droit d’auteur constitue un abus du régime d’avis et avis. 1) Il constitue un abus du droit d’auteur par Aird & Berlis et ses clients, 2) est aussi illégal, il constitue un abus de procédure (ou abus de droit) par Aird & Berlis et ses clients et va à l’encontre de la politique publique, de l’intérêt public et de l’objet de la Loi, 3) et il constitue de la champartie ou un soutien abusif, et 4) il constitue un complot prévoyant le recours à des moyens illicites.

[27] Dans l’ordonnance contestée, le juge chargé de la gestion de l’instance a radié les allégations relatives à l’abus du droit d’auteur au motif qu’elles n’étaient pas étayées par des faits substantiels, qu’elles ne révélaient aucune cause d’action et qu’elles se rapportaient à une défense que Bell ne pouvait pas invoquer. Comme l’a expliqué le juge chargé de la gestion de l’instance :

[traduction]

En ce qui concerne les allégations relatives à l’abus du droit d’auteur, Bell fait valoir que la théorie de l’abus du droit d’auteur « empêche le titulaire du droit d’auteur d’agir en contravention de la politique générale qui sous-tend la législation sur le droit d’auteur » [paragraphe 31 des arguments écrits de Bell]. Je ne suis pas d’accord. Selon moi, il y a trois réponses à cette allégation. Premièrement, l’allégation d’abus du droit d’auteur n’est pas étayée par des faits substantiels. Deuxièmement, l’objectif de politique générale de la législation sur le droit d’auteur est de permettre à une partie d’assurer la protection de ses droits à l’égard de ses œuvres protégées par le droit d’auteur. L’abus du droit d’auteur n’est pas une cause d’action. Il peut s’agir d’un moyen de défense dans certains cas où le titulaire du droit d’auteur cherche à étendre indûment son monopole à des œuvres sur lesquelles il n’a pas de droit d’auteur, ou à limiter la concurrence [voir les diverses décisions américaines citées par Bell dans ses arguments écrits, par exemple : A & M records, Inc. v Napster, Inc., 239 F (3e) 1004 (2001)]. Troisièmement, aucune allégation de violation du droit d’auteur n’a été formulée contre Bell. La Loi sur le droit d’auteur prévoit des recours en vertu du régime d’avis et avis. Millennium se prévaut de ces recours. Comme je l’ai mentionné, Bell est un FSI qui agit tout simplement comme intermédiaire entre les titulaires du droit d’auteur et les personnes qui auraient violé le droit d’auteur, qui sont des clients de Bell. Il appartient à ces dernières de soulever la question de savoir si la théorie de l’abus du droit d’auteur s’applique. Bell n’agit pas pour elles.

[28] Bell affirme que le juge chargé de la gestion de l’instance a commis quatre erreurs : 1) il a commis une erreur en préjugeant de la défense fondée sur l’abus du droit d’auteur et en la caractérisant de façon erronée; 2) il a commis une erreur en concluant que Bell n’avait pas présenté de faits substantiels suffisamment précis à l’appui de l’allégation; 3) il a commis une erreur en concluant qu’il était évident et manifeste que seules les personnes qui auraient violé le droit d’auteur pouvaient invoquer la théorie de l’abus du droit d’auteur; et 4) il a commis une erreur en ne reconnaissant pas que les considérations de politique générale sont pertinentes quant à l’examen des droits et obligations prévus à l’article 41.26 de la Loi.

[29] Je suis d’avis que le juge chargé de la gestion de l’instance a commis une erreur en adoptant une approche trop étroite au regard de la défense fondée sur l’abus du droit d’auteur, mais qu’il n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a conclu que les faits substantiels ne permettaient pas d’étayer l’allégation.

(1) La défense fondée sur l’abus du droit d’auteur

[30] La défense fondée sur l’abus du droit d’auteur est mentionnée dans la jurisprudence canadienne, mais n’a pas encore été jugée en vertu du droit canadien. Dans la décision Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd v Worldwide Tobacco Distribution Inc, [2008] FCJ No 1828 [Havana House], la Cour a refusé de radier certaines parties d’un affidavit déposé en réponse dans lesquelles les défenderesses invoquaient l’abus du droit d’auteur, ouvrant la voie à son éventuelle application en tant que moyen de défense opposable à la violation du droit d’auteur.

[31] Dans l’arrêt Euro-Excellence Inc c Kraft Canada Inc, 2007 CSC 37 [Euro Excellence], la Cour suprême du Canada a reconnu, au paragraphe 98, que la théorie de l’abus du droit d’auteur était une « théorie en évolution » aux États-Unis qui tient lieu en quelque sorte de moyen de défense en equity lorsque le titulaire d’un droit d’auteur tente d’étendre la portée de ce droit au‐delà de celle des droits d’exclusivité, et ce, d’une manière contraire à la législation antitrust ou à la politique publique qui sous-tend la législation sur le droit d’auteur. Elle a toutefois choisi d’attendre une autre occasion pour faire des commentaires sur la possibilité d’appliquer la théorie au Canada.

[32] Bell fait valoir que le juge chargé de la gestion de l’instance a adopté une approche trop étroite au regard de la théorie de l’abus du droit d’auteur lorsqu’il a indiqué que l’objectif de politique générale de la législation sur le droit d’auteur était simplement de permettre à une partie d’assurer la protection de ses droits à l’égard de ses œuvres protégées, que la théorie de l’abus du droit d’auteur ne pouvait constituer à elle seule une cause d’action et qu’elle constituait uniquement un moyen de défense dans le cas où le titulaire d’un droit d’auteur cherche à élargir indûment son monopole.

[33] Bell met l’accent sur les mots utilisés par la cour du quatrième circuit pour décrire la théorie de l’abus du droit d’auteur dans la décision Lasercomb America, Inc v Reynolds, 911 F (2e) 970 (4e Cir 1990) [Lasercomb]. La cour a indiqué, à la page 978, que [traduction] « la question n’est pas de savoir si le droit d’auteur est utilisé d’une manière contraire à la législation antitrust [...], mais plutôt de savoir s’il est utilisé d’une manière qui porte atteinte à la politique publique qui sous-tend l’octroi d’un droit d’auteur ».

[34] Au point 10A:1 de son ouvrage intitulé Patry on Copyright (Thomson West) (feuilles mobiles), publié en 2021 [Patry on Copyright], l’auteur William F. Patry a indiqué ce qui suit en faisant référence aux commentaires formulés par la juge Wardlaw de la cour du neuvième circuit : [TRADUCTION] « [l]a théorie de l’abus du droit d’auteur “interdit le recours au droit d’auteur pour conférer à son titulaire un droit exclusif ou un monopole limité qui n’a pas été conféré par le Copyright Office” : Lasercomb, 911 F (2e) 970 à la p 977 (modifications omises). Le moyen de défense est souvent appliqué lorsque le défendeur peut prouver, selon le cas, 1) qu’il y a eu une violation de la législation antitrust; 2) que le titulaire du droit d’auteur a par ailleurs élargi son monopole; 3) que le titulaire du droit d’auteur a porté atteinte à la politique publique qui sous-tend la législation sur le droit d’auteur : Soc’y of Holy Transfiguration Monastry, Inc v Gregory, 689 F (3e) 29 à la p 65 (1r Cir 2012). »

[35] Pour qu’il y ait abus du droit d’auteur, il n’est pas nécessaire que le défendeur ait subi un préjudice. Il suffit qu’il y ait une atteinte à la politique publique qui sous-tend l’octroi du droit d’auteur : Havana House, au para 12, citant Patry on Copyright; Lasercomb, à la p 979.

[36] Or, la défense relative à l’abus du droit d’auteur fait complètement obstacle à une action en violation du droit d’auteur : Havana House, au para 12, citant Patry on Copyright. Lorsque la défense relative à l’abus du droit d’auteur s’applique, il est interdit de faire appliquer le droit d’auteur pendant la période au cours de laquelle l’abus s’est produit. Étant donné que la réparation en cas d’abus du droit d’auteur est une réparation en equity, les tribunaux américains ont indiqué qu’il serait illogique de permettre à une partie de présenter une allégation distincte relativement à l’abus du droit d’auteur lorsqu’aucune allégation de violation du droit d’auteur n’a été formulée : Altera Corp v Clear Logic Inc, 424 F (3e) 1079 (9e Cir 2005).

[37] Dans l’action sous-jacente en l’espèce, les producteurs Millennium n’ont formulé aucune allégation de violation du droit d’auteur contre Bell. L’action se limite plutôt au recours prévu au paragraphe 41.26(3) de la Loi et au manquement allégué de Bell d’exécuter les obligations que lui impose le régime d’avis et avis.

[38] En fait, Bell ne conteste pas que le droit d’auteur existe ou qu’il peut être appliqué. Cependant, elle fait valoir que les demanderesses et AB ne se sont pas acquittés de leurs obligations aux termes de la Loi. Bell affirme que, au lieu de recourir au régime d’avis et avis comme mécanisme légitime pour faire appliquer le droit d’auteur, les demanderesses et AB ont recours au PADA pour envoyer des avis à des membres du public qui n’ont commis aucune violation du droit d’auteur et conclure des règlements disproportionnés avec des parties innocentes, pour intimider les personnes qui auraient violé le droit d’auteur et obtenir des montants plus élevés, pour inonder les FSI d’avis non fiables et générés automatiquement et pour réclamer des dommages-intérêts. Bell affirme que c’est cette conduite allant à l’encontre des objectifs de politique publique de la Loi qui empêche les demanderesses de réclamer des dommages-intérêts en vertu de l’article 41.26 de la Loi. Bell allègue que ces activités constituent un abus du droit d’auteur qui tombe dans la troisième catégorie décrite dans Patry on Copyright.

[39] Les intimées soutiennent que cet argument est incompatible avec les mesures que Bell a déjà prises en réponse au PADA, à savoir le fait qu’elle a donné suite à des ordonnances de type Norwich et transmis des avis au nom des producteurs Millennium. Elles affirment que Bell a indiqué dans sa correspondance qu’elle avait l’intention de transmettre d’autres avis envoyés par les producteurs Millennium. Elles font valoir que l’argument que Bell présente maintenant est incompatible avec sa conduite antérieure.

[40] Bien qu’il puisse s’agir d’un facteur contextuel susceptible d’être pertinent à l’égard du moyen de défense proposé, je suis d’accord avec Bell pour dire que rien ne permet d’affirmer que Bell devrait être empêchée par préclusion de présenter un argument qui va à l’encontre de sa correspondance antérieure (c.-à-d. que l’alinéa 221e) des Règles des Cours fédérales ne vise que la divergence d’un acte de procédure antérieur). Toutefois, même dans le cas d’un acte de procédure divergent, il en faut plus pour conclure à une injustice. Les faits en l’espèce diffèrent de ceux dont il est question au paragraphe 32 de l’arrêt Glover v Leakey, 2018 BCCA 56, ou dans la décision Mystar Holdings Ltd v 247037 Alberta, 2009 ABQB 480.

[41] Les intimées affirment que, parce que la procédure fait l’objet d’une gestion de l’instance, elle ne peut être abusive ou aller à l’encontre de la politique sur le droit d’auteur. Selon moi, cet argument n’est pas convaincant. Ce n’est pas parce que des ordonnances de type Norwich sont obtenues dans le cadre de la gestion de l’instance que le juge chargé de la gestion de l’instance surveille l’ensemble des interactions entre les demanderesses et les personnes qui auraient violé le droit d’auteur.

[42] Le juge chargé de la gestion de l’instance a affirmé que l’action sous-jacente concerne simplement le recouvrement de dommages‐intérêts préétablis aux termes de l’article 41.26 de la Loi et que l’allégation d’abus du droit d’auteur est une question de politique générale invoquée à tort en l’espèce. Cependant, Bell soutient qu’elle devrait être libre de se défendre comme elle l’entend. Selon elle, tant qu’elle ne soulève pas une allégation frivole ou vexatoire, elle devrait être autorisée à invoquer la nouvelle défense fondée sur l’abus du droit d’auteur et le juge du procès devrait se prononcer à cet égard.

[43] Les questions de politique générale jouent un rôle central au regard de l’atteinte de l’équilibre entre les droits des créateurs et ceux des utilisateurs prévus dans la Loi : Théberge c Galerie D’Art du Petit Champlain inc, [2002] 2 RCS 336 au para 31; CCH Canadienne Ltée c Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 RCS 339 au para 24; Keatley Surveying Ltd c Teranet Inc, [2019] 3 RCS 418 [Keatley]. Comme il est mentionné dans l’arrêt Keatley, au paragraphe 46, « [t]outes les dispositions de la Loi sur le droit d’auteur [...] doivent être interprétées à la lumière de cet équilibre, de sorte que la Loi sur le droit d’auteur continue de promouvoir l’intérêt public ». En ce qui concerne les articles 41.25 et 41.26 de la Loi, il s’agit d’établir un équilibre entre les intérêts de toutes les parties intéressées par le régime de droits d’auteur, y compris les intermédiaires Internet comme les FSI : Rogers, au para 25. Les allégations formulées par Bell à l’appui de sa défense fondée sur l’abus du droit d’auteur soulèvent des préoccupations en matière de politique générale en ce qui concerne l’application des articles 41.25 et 41.26 et son incidence sur les FSI.

[44] Selon moi, c’était une erreur de laisser entendre que les arguments ne pouvaient pas être invoqués à l’appui de la défense fondée sur l’abus du droit d’auteur parce qu’ils soulevaient des questions de politique générale.

[45] À mon avis, c’était aussi une erreur de conclure, dans les faits, que la théorie de l’abus du droit d’auteur ne pourrait jamais s’appliquer dans le cadre d’une action fondée sur l’article 41.26. À cet égard, le raisonnement exposé par le juge Rennie (alors juge à la Cour fédérale) dans la décision Merck & Co c Apotex Inc, 2012 CF 454, s’applique. L’allégation d’abus du droit d’auteur se fonde sur une théorie reconnue aux États-Unis, qui s’applique dans les cas où le titulaire d’un droit d’auteur enfreint les politiques publiques qui sous-tendent la législation sur le droit d’auteur. Le bien-fondé et les subtilités de cette théorie dépassent la portée d’une requête en radiation comme celle qui nous occupe. Même si l’action sous-jacente n’est pas une action en violation du droit d’auteur, Bell est néanmoins touchée par l’application du droit d’auteur sous le régime du PADA et peut être assujettie à des dommages-intérêts par application de l’article 41.26 de la Loi. À mon avis, la question de savoir si la théorie de l’abus du droit d’auteur peut s’appliquer dans le cadre d’une action fondée sur l’article 41.26 de la Loi n’est pas évidente et manifeste.

[46] Cela étant dit, Bell doit toutefois avancer des faits substantiels suffisants à l’appui de son allégation. Les producteurs Millennium affirment qu’il faut alléguer un motif inavoué ou inapproprié, comme un motif anticoncurrentiel, pour étayer la défense fondée sur l’abus du droit d’auteur. Je conviens avec Bell que cette exigence n’est pas mentionnée explicitement dans la jurisprudence, mais, par définition, le concept de l’abus du droit d’auteur comprend une évaluation des motifs de la personne visée (Patry on Copyright, à la p 5). En outre et fait plus important encore, l’acte de procédure doit décrire l’abus et expliquer comment la conduite reprochée va à l’encontre de la politique publique qui sous-tend la Loi.

[47] En l’espèce, les faits allégués ne décrivent pas de façon suffisamment détaillée comment le PADA est conçu de manière à intimider et à harceler les personnes qui auraient violé le droit d’auteur et à réclamer des montants exorbitants auprès des FSI. Dans l’acte de procédure en question, Bell allègue simplement que le PADA [traduction] « génère automatiquement et envoie un très grand nombre d’avis non fiables ». L’acte de procédure n’explique pas comment le PADA est utilisé pour générer des avis aux membres du public qui n’ont commis aucune violation du droit d’auteur. Il ne précise pas non plus sur quoi repose l’affirmation selon laquelle les avis ne sont pas fiables et sont illégitimes, ni quelle proportion des avis sont visés par l’allégation. L’acte de procédure n’établit pas de faits substantiels suffisants pour fonder l’allégation de conduite inappropriée.

[48] Par conséquent, je suis d’avis que, même si Bell a avancé de valeureux arguments, elle n’a pas établi que le juge chargé de la gestion de l’instance a commis une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante en concluant que les faits substantiels présentés ne suffisaient pas à étayer une défense fondée sur l’abus du droit d’auteur.

(2) La demande reconventionnelle en vue d’obtenir un jugement déclaratoire et une injonction

[49] En plus de la défense fondée sur l’abus du droit d’auteur, Bell a présenté une demande reconventionnelle en vue d’obtenir des déclarations relatives aux moyens de défense présentés et une injonction.

[50] Le juge chargé de la gestion de l’instance a conclu que, sauf dans le cas de l’injonction, Bell ne cherchait pas à obtenir des déclarations de droit, mais plutôt des déclarations sur les faits allégués. S’appuyant sur les observations du juge Stratas aux paragraphes 104 à 106 de la décision Entertainment Software Association c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100, le juge chargé de la gestion de l’instance a conclu que ces déclarations devaient être radiées, car elles n’avaient aucune utilité pratique. Étant donné que l’injonction reposait sur les déclarations, elle a également été radiée.

[51] Bell fait remarquer que les tribunaux américains ont accueilli des demandes reconventionnelles visant l’obtention de déclarations d’abus du droit d’auteur au motif que l’intérêt du défendeur à cet égard ne se limitait peut-être pas à sa défense aux allégations : Apple Inc v Psystar Corp, 2009 WL 303046 à la p 3. Elle soutient que la déclaration d’abus du droit d’auteur en l’espèce pourrait servir à établir que Bell n’a pas à transmettre d’autres avis jusqu’à ce que les questions relatives à l’abus du droit d’auteur aient été tranchées, et que la question de savoir si une déclaration devrait être prononcée devrait relever du pouvoir discrétionnaire du juge du procès.

[52] Au vu de mes conclusions sur le caractère insuffisant de la défense fondée sur l’abus du droit d’auteur, j’estime que le juge chargé de la gestion de l’instance n’a pas commis d’erreur en radiant la demande visant l’obtention d’une déclaration portant que les demanderesses ont abusé de leur droit d’auteur et la demande d’injonction (alinéas 49b)(i) et g)).

[53] En ce qui concerne les autres déclarations demandées, je suis d’accord avec le juge chargé de la gestion de l’instance pour dire qu’elles ne sont rien de plus que des déclarations de fait. Bell n’a pas indiqué quelle valeur ajoutée elles apporteraient.

[54] En ce qui concerne la demande distincte en vue d’obtenir une déclaration portant que les demanderesses ont enfreint les articles 41.25 et 41.26, je conviens avec le juge chargé de la gestion de l’instance qu’une violation de la loi ne donne pas naissance à une cause d’action indépendante et ne permet pas aux parties de demander des mesures de réparation autres que celles prévues par la loi : La Reine c Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 RCS 205. Bien que Bell soutienne qu’elle se fonde sur ces allégations uniquement pour étayer sa défense fondée sur l’abus du droit d’auteur, ce n’est pas ce qui ressort du libellé de la défense et demande reconventionnelle, dans laquelle une déclaration distincte relative à la violation des articles 41.25 et 41.26 est demandée. Le juge chargé de la gestion de l’instance n’avait pas à réécrire l’acte de procédure de Bell et n’a pas commis d’erreur en concluant que la déclaration demandée était contraire à la loi.

C. Le juge chargé de la gestion de l’instance a-t-il commis une erreur lorsqu’il a radié les allégations contre AB?

[55] Dans sa défense et demande reconventionnelle modifiée, Bell a soutenu qu’AB, les demanderesses et d’autres clients d’AB, ont abusé du régime d’avis et avis et du droit d’auteur. Elle a affirmé :

  • que le PADA était [traduction] « un arrangement conçu et mis en œuvre » par AB et que les demanderesses devaient y souscrire;

  • qu’AB est l’entité qui gère l’administration du PADA en utilisant un logiciel d’analyse judiciaire et des services offerts par des tiers pour envoyer des avis de prétendue violation aux FSI afin qu’ils les transmettent à leurs clients; qui présente des requêtes en vue d’obtenir des ordonnances de type Norwich; qui gère toutes les communications relatives aux règlements avec les personnes qui auraient violé le droit d’auteur; et qui intente des poursuites pour violation du droit d’auteur et négocie des règlements avec les personnes visées;

  • que le produit de tout règlement conclu ou tout paiement effectué en vertu d’une ordonnance du tribunal sera versé à AB, qui conservera une part considérable du montant et divisera le reste entre les demanderesses et/ou les autres clients qui ont accepté de partager les risques, les coûts et le produit de la présente action.

[56] Bell affirme qu’AB touchera une part déraisonnable, injuste et/ou disproportionnée des profits découlant du PADA et du produit du litige y afférent et qu’AB a favorisé un litige frivole et inapproprié. Dans sa demande reconventionnelle, Bell a demandé que des déclarations soient prononcées contre AB en plus des demanderesses et a demandé une déclaration portant qu’AB avait [traduction] « sciemment incité, persuadé et amené » les demanderesses à agir comme elles l’ont fait.

[57] Dans sa défense, Bell a aussi allégué que les demanderesses et d’autres clients d’AB avaient cédé un intérêt bénéficiaire dans leur droit d’auteur à AB aux fins de son application et que les demanderesses n’avaient donc pas qualité pour intenter l’action ou n’avaient pas droit aux dommages‐intérêts préétablis.

[58] Dans l’ordonnance contestée, le juge chargé de la gestion de l’instance a radié toutes les allégations contre AB, y compris celles formulées dans la demande reconventionnelle. Le juge chargé de la gestion de l’instance a conclu que les allégations formulées contre AB étaient vagues et spéculatives. Il a pris acte de l’argument de Bell selon lequel AB avait essentiellement acheté un intérêt à l’égard de l’action et qu’AB avait incité et amené les demanderesses à intenter un litige qui n’aurait autrement pas été intenté. Cependant, il a conclu que Bell n’avait pas présenté de faits substantiels suffisants pour étayer ses allégations graves.

[59] Bell soutient que le juge chargé de la gestion de l’instance a commis une erreur en concluant que la demande reconventionnelle contre AB n’était pas étayée par des faits substantiels et en radiant les faits substantiels liés à AB qui ont été présentés à l’appui des moyens de défense de Bell. Elle fait aussi valoir que le juge chargé de la gestion de l’instance a commis une erreur de droit en radiant la demande reconventionnelle pour des motifs de politique générale. Selon elle, il s’agit d’une [traduction] « pente glissante [qui] pourrait exposer tous les cabinets d’avocats représentant des demandeurs à des poursuites parce qu’ils cherchent à faire appliquer les droits de leurs clients, notamment leur droit d’auteur ».

[60] Comme l’a judicieusement fait remarquer le juge chargé de la gestion de l’instance, aucune action ne peut être intentée contre l’avocat de la partie adverse parce qu’il a agi dans l’exercice de ses fonctions d’avocat. La Cour d’appel de l’Ontario s’est exprimée ainsi au paragraphe 28 de l’arrêt Davy Estate v Egan, 2009 ONCA 763 :

[traduction]

Le fait de permettre à une partie d’intenter une poursuite contre l’avocat de la partie adverse donne manifestement lieu à un préjudice. Ce genre d’action passe outre à l’inviolabilité de la relation avocat-client et mine la loyauté de l’avocat envers son client. La défense de l’avocat soulèvera nécessairement des questions difficiles liées au secret professionnel de l’avocat.

[61] Il existe quelques exceptions bien établies à la règle générale selon laquelle un avocat n’a aucune obligation envers les tierces parties adverses, l’une d’elles étant lorsque l’avocat se rend coupable d’un délit intentionnel, comme un abus de procédure ou un complot civil. En outre, il n’existe pas d’interdiction absolue d’intenter une action lorsqu’un avocat a causé un préjudice à la partie adverse alors qu’il agissait en dehors du cadre de ses fonctions d’avocat : Laiken v Carey, 2011 ONSC 5892 aux para 55-56. Toutefois, pour qu’une action portant sur des allégations liées à l’une ou l’autre de ces exceptions soit intentée, des faits substantiels suffisants doivent être présentés.

[62] Selon la description de Bell, les mesures qu’AB prend dans le contexte de la gestion du PADA correspondent aux mesures que l’avocat doit prendre dans le contexte d’une relation client-avocat. Sans autre précision, ces mesures ne permettent pas d’étayer l’affirmation selon laquelle AB a touché une part déraisonnable, injuste et/ou disproportionnée des profits découlant du PADA, qu’AB a favorisé un litige frivole et inapproprié ou qu’AB a incité les demanderesses à agir comme elles l’ont fait. Sans autre précision, rien n’explique comment les mesures prises par AB dans la gestion du PADA ont mené à la conduite déraisonnable et injuste reprochée ou comment AB, par l’intermédiaire du PADA, a favorisé un litige frivole et inapproprié. Le fait qu’il y a un très grand nombre d’avis n’explique pas en quoi ceux-ci sont inappropriés.

[63] Bien que Bell soutienne que ses allégations s’inscrivent dans le cadre d’une nouvelle cause d’action, cela ne lui permet pas d’invoquer des moyens de défense, particulièrement des moyens de défense graves comme ceux qu’elle a allégués, sans fondement. Je le répète, s’il est évident et manifeste qu’une cause d’action, même nouvelle, est vouée à l’échec, elle peut être radiée à bon droit : Société des loteries de l’Atlantique, au para 19.

[64] En outre, comme l’a fait remarquer le juge chargé de la gestion de l’instance, Bell ne peut pas alléguer qu’il y a eu transfert de droits, puisqu’elle a admis dans son acte de procédure qu’elle ignorait qui était le propriétaire du film Millenium. Bell soutient qu’elle parlait, dans un cas, de l’intérêt bénéficiaire et, dans l’autre cas, de la propriété officielle. Selon moi, cependant, cette distinction n’est pas utile. Une personne ne peut transférer un intérêt bénéficiaire que si elle est titulaire du droit d’auteur. L’admission de Bell selon laquelle elle ignore qui est le titulaire du droit d’auteur témoigne de la nature spéculative des allégations concernant le transfert d’un intérêt bénéficiaire.

[65] Bell n’a pas établi que le juge chargé de la gestion de l’instance a commis une erreur en ce qui concerne les allégations relatives à AB.

D. Le juge chargé de la gestion de l’instance a-t-il commis une erreur lorsqu’il a radié les allégations relatives à la champartie et au soutien abusif?

[66] Au paragraphe 36 de la défense et demande reconventionnelle modifiée, Bell a affirmé ce qui suit à titre subsidiaire :

[traduction]

36. [...] si les demanderesses ont qualité pour intenter la présente action, Aird & Berlis et les autres clients d’Aird & Berlis soutiennent de façon irrégulière le présent litige et contrôlent la conduite des demanderesses dans un contexte de champartie et/ou de soutien abusif ou dans un contexte s’y apparentant.

[67] Le juge chargé de la gestion de l’instance a radié cette allégation, faisant remarquer que le seul recours en cas de champartie et de soutien abusif est une déclaration portant que l’entente visée par la champartie est inexécutable. Il a conclu que l’acte de procédure de Bell ne présentait aucun fait substantiel étayant la vente ou la cession d’un simple droit d’action ou visant à faire annuler quelque entente que ce soit. En outre, aucun fait substantiel n’a été présenté pour étayer l’allégation selon laquelle AB avait agi en dehors du cadre de ses fonctions d’avocat des producteurs Millennium ou d’autres clients de l’industrie de la production cinématographique. Selon lui, le simple fait que le cabinet AB a été rémunéré pour ses services ou qu’il recevra une partie des sommes perçues des personnes qui auraient violé le droit d’auteur ne déborde pas le cadre des usages de la profession juridique.

[68] Le concept de la champartie et du soutien abusif est expliqué dans l’arrêt McIntyre Estate v Ontario (Attorney General), 2002 CanLII 45046 (CA Ont), au paragraphe 26 :

[traduction]

[26] Bien que le type de conduite qui puisse constituer de la champartie et du soutien abusif ait évolué au fil du temps, l’orientation essentielle des deux concepts est la même depuis au moins deux siècles. Le soutien abusif est dirigé contre ceux qui, pour un motif inapproprié, souvent décrit comme une ingérence injustifiée ou non officielle, sont mêlés à des différends (litiges) d’autres parties dans lesquels le défenseur abusif n’a aucun intérêt et dans lesquels l’aide qu’il apporte à l’une ou l’autre des parties est sans justification ni excuse. La champartie est une forme flagrante de soutien abusif à laquelle s’ajoute l’élément de la réception d’une partie des profits du litige par le défenseur abusif. Fait important, il ne peut y avoir champartie en l’absence de soutien abusif [...]

[69] Bell soutient que le juge chargé de la gestion de l’instance a commis une erreur en affirmant que le seul recours possible était une déclaration portant que l’entente visée par la champartie était inexécutable. Elle affirme que la champartie et le soutien abusif constituent des motifs indépendants pouvant justifier l’arrêt des procédures : Operation 1 Inc v Phillips, 2004 CanLII 48689 (CS Ont).

[70] Bell affirme que les allégations de champartie sont pertinentes dans le contexte de son allégation selon laquelle les producteurs Millennium ont cédé un intérêt bénéficiaire à AB et que les demanderesses ont participé à un complot prévoyant le recours à des moyens illicites. Bell fait remarquer qu’elle a soutenu qu’AB avait créé le PADA afin de favoriser des [traduction] « milliers de litiges » pour son propre profit. Elle affirme que la conduite d’AB contrevient au régime d’avis et avis, cause un préjudice grave au public et vise à toucher une part disproportionnée du produit du litige. Bell soutient qu’il n’existe en l’espèce aucun motif de politique générale justifiant une exception à la règle interdisant la champartie.

[71] À mon avis, aucun de ces arguments n’est convaincant.

[72] L’argument soulevé par Bell selon lequel l’existence d’une entente de champartie pourrait étayer son allégation relative à l’absence de qualité des demanderesses (ainsi qu’une éventuelle requête en arrêt des procédures) si elle prouve que les demanderesses ont cédé un intérêt bénéficiaire dans leur droit d’auteur à AB est, à ce stade-ci, purement hypothétique en l’absence de faits substantiels permettant d’étayer la cession d’un intérêt bénéficiaire.

[73] En outre, comme il ressort des paragraphes 18, 22 et 23 de la décision Seedling Life Science Ventures LLC c Pfizer Canada Inc, 2017 CF 826 [Seedling], la doctrine de la champartie et du soutien abusif rend inexécutable toute entente viciée par un acte de champartie et de soutien abusif :

[18] Bien que la doctrine de la champartie et du soutien délictuel reste pertinente dans les ressorts canadiens de common law, ne serait-ce que comme moyen de protéger les tribunaux et les plaideurs vulnérables contre les abus, il n’a jamais été question, ni avant ni maintenant, de réaliser son objectif en accordant aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire de rendre l’introduction ou la poursuite d’une action conditionnelle à l’examen, à l’approbation ou au refus d’un accord de financement conclu par un plaignant. Cette doctrine est appliquée et son objectif est rempli dès lors qu’un accord vicié par un acte de champartie et de soutien délictueux est déclaré inexécutable.

[...]

[22] En l’espèce, l’action a été intentée et sa poursuite a été proposée par Seedlings elle-même, soit la titulaire d’origine des droits invoqués. [...] le simple fait pour un demandeur de conclure une entente de champartie pour faire reconnaître un titre, [...] la simple existence d’une entente de champartie ou de soutien délictueux ne constituent pas des moyens de défense opposables à une action et n’empêchent pas le demandeur d’intenter une action légitime.

[23] En l’espèce, la défenderesse n’a aucun intérêt légitime à l’égard d’un examen du caractère raisonnable, de la légalité ou de la validité des accords de financement conclus par Seedlings, des barèmes des honoraires de ses avocats ou de la répartition envisagée des risques et des produits potentiels de l’action, car aucun de ces éléments n’a d’incidence sur la validité des droits revendiqués par Seedlings dans la présente action (McIntyre Estate, 2001, précitée).

[Non souligné dans l’original.]

[74] Bell n’a pas indiqué qu’elle cherchait à faire annuler quelque entente que ce soit. En outre, elle n’a pas expliqué, dans son acte de procédure, en quoi l’entente qui serait intervenue entre AB et les demanderesses est fondamentalement différente d’une entente sur les honoraires conditionnels, qui n’est visée par la champartie : McEwing c Canada (Procureur général), 2013 CF 525 au para 111.

[75] Bell n’a pas établi que le juge chargé de la gestion de l’instance a commis une erreur en concluant que les faits substantiels ne permettaient pas d’étayer l’allégation formulée, ou en radiant l’allégation formulée.

E. Le juge chargé de la gestion de l’instance a-t-il commis une erreur lorsqu’il a radié les allégations relatives à l’abus de procédure et au complot prévoyant le recours à des moyens illicites?

[76] Il y a délit d’abus de procédure lorsque le recours est exercé dans un but indirect, étranger, secret, irrégulier ou illicite, c’est-à-dire autre que celui pour lequel il était conçu : Levi Strauss & Co c Roadrunner Apparel Inc, [1997] ACF no 1432 (CAF) aux para 10-12.

[77] Par ailleurs, le complot visant principalement à causer un préjudice est établi lorsque le comportement en question vise principalement à causer un préjudice, tandis que pour le complot prévoyant le recours à des moyens illicites point n’est besoin d’objet principal. Il faut seulement que le comportement illicite soit dirigé contre la partie en sachant que celle-ci en subira vraisemblablement un préjudice et qu’elle subisse effectivement un préjudice : Pro-Sys Consultants Ltd c Microsoft Corporation, 2013 CSC 57 aux para 74, 80. Lorsqu’on l’applique aux actes posés par des avocats, le comportement illicite allégué doit aller au-delà de l’exercice des fonctions de l’avocat. Comme la Cour supérieure de l’Ontario l’a conclu au paragraphe 44 de la décision Edgeworth v Shapira, 2019 ONSC 5792 (citée par le juge chargé de la gestion de l’instance), citant les paragraphes 59 et 60 de la décision Heydary Hamilton PC v Dil Muhammad, 2013 ONSC 4938, la prestation de conseils juridiques et la défense des intérêts d’un client ne peuvent en soi constituer un comportement illicite lorsque l’avocat croit avoir le droit de prendre les mesures qui sont par la suite contestées.

[78] En l’espèce, le juge chargé de la gestion de l’instance a conclu qu’aucun fait substantiel n’avait été avancé pour établir qu’AB et les producteurs Millennium entretenaient une relation autre qu’une relation avocat-client ou que leur comportement équivalait à un abus de procédure ou à un complot prévoyant le recours à des moyens illicites.

[79] Bell fait valoir que le juge chargé de la gestion de l’instance a commis une erreur dans son application des règles de droit régissant l’abus de procédure et le complot prévoyant le recours à des moyens illicites en ne reconnaissant pas les faits substantiels avancés qui, selon ce qu’elle prétend, étayent chacune de ces causes d’action. Bell soutient qu’au lieu de tenir les faits allégués pour avérés, le juge chargé de la gestion de l’instance a cherché à déterminer le bien-fondé des allégations.

[80] Bell prétend que les demanderesses ont intenté l’action afin de contraindre les FSI à transmettre tous les avis reçus, même ceux qui ont été envoyés en double, ceux qui ne sont pas fiables et ceux qui sont irréguliers. Elle soutient qu’elle a invoqué un motif inapproprié, en faisant référence aux mêmes paragraphes qui, selon elle, contiennent les faits substantiels qui étayent les allégations relatives à la défense fondée sur l’abus de droit d’auteur (les paragraphes sont présentés ci-dessous dans leur forme originale) :


 

[traduction]

26. Cependant, le programme d’application du droit d’auteur décrit dans la demande et utilisé par les demanderesses, Aird & Berlis et d’autres clients d’Aird & Berlis (nommés ci-dessous) ne constitue pas une utilisation appropriée du régime d’avis et avis. Le programme d’application du droit d’auteur est un outil collectif utilisé pour générer automatiquement et envoyer aux FSI un très grand nombre d’avis non fiables. Plutôt que viser à protéger le droit d’auteur par des moyens légitimes, le programme d’application du droit d’auteur a deux fins et conséquences principales :

a) intimider les personnes qui auraient violé le droit d’auteur et qui reçoivent des avis dans le but de négocier des règlements pour des montants beaucoup plus élevés que la valeur du préjudice réellement subi par les titulaires du droit d’auteur;

b) réclamer des montants exorbitants auprès des FSI qui ne transmettraient pas les avis, montants qui sont beaucoup plus élevés que la valeur du préjudice réellement causé par la violation du régime d’avis et avis.

27. Le régime d’avis et avis impose des obligations expresses et implicites aux titulaires du droit d’auteur afin de garantir que les outils collectifs et les autres moyens utilisés pour générer des avis ne sont pas utilisés d’une manière qui risque indûment :

a) soit d’identifier de façon erronée une personne, un compte ou un emplacement en ligne comme étant associé à une violation alléguée du droit d’auteur;

b) soit de transmettre des avis à des membres du public qui n’ont pas violé le droit d’auteur, de les accuser à tort d’avoir violé le droit d’auteur ou encore de les menacer de poursuite.

28. Malgré les obligations que la Loi leur confère, les demanderesses et Aird & Berlis, par l’intermédiaire du programme d’application du droit d’auteur, envoient des dizaines de milliers d’avis, obtiennent des ordonnances de type Norwich contre des milliers de personnes qui auraient violé le droit d’auteur, présentent des demandes de règlement pour des montants exorbitants et entament des actions en violation du droit d’auteur aux fins indiquées au paragraphe 26 et en violation des obligations visées au paragraphe 27 ci-dessus. En fait, dans le cadre du programme d’application du droit d’auteur décrit par les demanderesses aux paragraphes 28 à 33 de la déclaration et mis en œuvre par Aird & Berlis, des dizaines de milliers d’avis ont été envoyés à Bell et à d’autres FSI relativement aux clients d’Aird & Berlis, à savoir les demanderesses, Voltage Pictures, LLC (Voltage) et ses affiliés; Cell Film Holdings LLC; Clear Skies Nevada, LLC; Cobbler Nevada, LLC; Criminal Productions, LLC; Dallas Buyers Club, LLC; Eve Nevada LLC; Fathers & Daughters Nevada, LLC; Fallen Productions, Inc.; Glacier Entertainment S.A.R.L of Luxembourg; Glacier Films 1, LLC; HB Productions, Inc.; Headhunter, LLC; I.T. Productions, LLC; LHF Productions, LLC; ME2 Productions, Inc.; Morgan Creek Productions, Inc.; POW Nevada, LLC; PTG Nevada, LLC; TVB Productions, LLC; Wind River Productions LLC; et WWE Studios, LLC (collectivement, les clients d’Aird & Berlis). Le programme d’application du droit d’auteur est un outil de harcèlement et d’intimidation. Il est utilisé afin de soutirer des règlements disproportionnés et injustifiés à des parties innocentes ou à des parties qui ne devraient avoir qu’une faible part de responsabilité. L’abus du régime d’avis et avis par Aird & Berlis et ses clients par l’intermédiaire du programme d’application du droit d’auteur cause un préjudice injustifié aux utilisateurs d’Internet qui n’ont pas la capacité de se défendre ou de restreindre l’abus. Certains clients d’Aird & Berlis abusent également du système judiciaire des États-Unis.

[...]

44. Si l’interprétation du paragraphe 41.26(3) proposée par les demanderesses était juste, les FSI, les hôtes et les moteurs de recherche seraient exposés à des dommages-intérêts exorbitants en raison du très grand nombre d’avis envoyés par le logiciel automatisé utilisé dans le cadre du programme d’application du droit d’auteur. Ce n’était pas le but des dommages-intérêts préétablis dans le cadre du régime d’avis et avis. Les dommages‐intérêts préétablis sont censés correspondre à la valeur du préjudice réellement subi par les titulaires du droit d’auteur qui envoient des avis, et les montants prévus sont exagérément disproportionnés lorsqu’ils sont appliqués aux intermédiaires qui fournissent simplement une connexion Internet aux utilisateurs.

45. En outre, si l’interprétation du paragraphe 41.26(3) proposée par les demanderesses était juste, les FSI auraient fortement intérêt à transmettre à leurs clients tous les avis reçus – même s’ils sont incomplets ou ont été envoyés en double – pour éviter d’être condamnés à des dommages-intérêts exorbitants. Ce n’est pas de cette façon que le régime d’avis et avis est censé s’appliquer.

[81] Or, Bell ne fait pas valoir, dans ces paragraphes, qu’en invoquant l’obligation prévue au paragraphe 41.26(3) de la Loi au nom des producteurs Millennium, AB avait un motif inapproprié. L’abus allégué est lié aux avis générés à l’intention de tiers (les personnes qui auraient violé le droit d’auteur), pas contre Bell. En outre, Bell n’affirme nulle part dans son acte de procédure que l’action lui a causé un préjudice. En fait, les paragraphes 44 et 45 contestent l’interprétation que font les producteurs Millennium du paragraphe 41.26(3) de la Loi et leur calcul des dommages‐intérêts préétablis qui leur sont dus.

[82] Même si le bien-fondé d’une cause d’action n’est pas tranché dans le cadre d’une requête en radiation, une certaine analyse juridique peut être nécessaire pour déterminer si une demande a une chance raisonnable d’aboutir : Mohr c Ligue nationale de hockey, 2022 CAF 145 au para 53; McCain Foods Limited c JR Simplot Company, 2021 CAF 4 au para 21.

[83] Bell n’a pas établi que le juge chargé de la gestion de l’instance a commis une erreur en concluant qu’aucun fait substantiel n’avait été allégué pour établir l’existence du délai d’abus de procédure et du délit de complot prévoyant le recours à des moyens illicites.

F. Le juge chargé de la gestion de l’instance a-t-il commis une erreur lorsqu’il a radié l’allégation relative à la Charte?

[84] Au paragraphe 47 de sa défense et demande reconventionnelle modifiée, Bell a affirmé ce qui suit :


 

[traduction]

47. Subsidiairement encore, si les dommages‐intérêts préétablis peuvent être calculés en fonction du nombre d’avis non transmis, comme les demanderesses le prétendent, les dispositions en question contreviennent aux articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés et ne devraient pas être appliquées. Bell invoque l’article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[85] Citant l’arrêt Canada c BCS Group Business Services Inc, 2020 CAF 205 [BCS Group], le juge chargé de la gestion de l’instance a radié le paragraphe 47 au motif que les personnes morales ne peuvent pas se prévaloir des protections prévues par la Charte. La Cour d’appel fédérale s’est exprimée ainsi au paragraphe 31 de l’arrêt BCS Group :

[31] Très récemment, la Cour suprême du Canada a fourni un autre exemple dans l’arrêt Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32 (Québec (Procureure générale)) de la façon dont la nature d’un droit aura une incidence sur le sens d’une expression générale comme « chacun » (qui est aussi générale que l’expression « [l]es parties »). Cette décision concernait l’application de l’article 12 de la Charte à une société. La Cour a conclu que, même si le libellé de l’article 12 de la Charte engloberait normalement une société en tant que personne morale (« [c]hacun a droit à »), le sens ordinaire d’autres mots employés dans la disposition, comme « cruels », suggère fortement que le législateur ne pouvait avoir l’intention de l’appliquer à des objets inanimés ou à des entités juridiques telles que les sociétés. À ce sujet, les juges dissidents ont souscrit à la conclusion de la majorité selon laquelle le mot « [c]hacun » figurant à l’article 12, ne saurait, de par son sens littéral, accorder la protection aux personnes morales (voir les paragraphes 82 à 87).

[86] Bell affirme que la conclusion tirée par le juge chargé de la gestion de l’instance constituait une erreur de droit. Elle fait valoir que, si une personne morale est poursuivie en justice conformément à un régime de réglementation établi en vertu d’une loi contestée, elle a qualité pour agir dans un intérêt privé et peut contester la loi au motif qu’elle est inconstitutionnelle : Prairies Tubulars (2015) Inc c Canada (Agence des services frontaliers), 2021 CF 36 [Prairies Tubulars] aux para 61-70.

[87] Bell soutient que le juge chargé de la gestion de l’instance a affirmé à tort que [traduction] « Bell sembl[ait] faire valoir [...] non pas que la protection prévue par les articles 7 et 12 de la Charte s’appliqu[ait], mais seulement que le paragraphe 41.26(3) de la Loi sur le droit d’auteur ne devrait pas être appliqué », alors que Bell fait expressément valoir que l’interprétation de l’article 41.26 de la Loi proposée par les demanderesses est inconstitutionnelle. Bell affirme que, puisqu’elle a été amenée devant la cour pour se défendre dans la présente action, il ne devrait pas lui être interdit, à l’étape des actes de procédure, d’avancer cet argument lié à la Charte. Même si l’article 41.26 n’a jamais été examiné expressément dans la jurisprudence, Bell soutient que le raisonnement adopté dans la décision Prairies Tubulars s’applique tout aussi bien en l’espèce.

[88] Les producteurs Millennium contestent la pertinence de la décision Prairies Tubulars en l’espèce. Ils affirment que cette décision permet seulement d’affirmer que les personnes morales peuvent avoir qualité pour invalider une disposition législative en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Ils font remarquer que, après avoir examiné la question de la qualité, la Cour s’est exprimée en ces termes au paragraphe 76 de la décision Prairies Tubulars :

[...] l’arrêt Québec Inc. fournit une réponse complète à cette conclusion, à savoir que l’article 12 ne confère pas de droits aux personnes morales. Pour qu’une amende soit inconstitutionnelle, elle doit être « excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine » en plus d’être « odieuse ou intolérable » pour la société — une norme « inextricablement ancrée dans la dignité humaine » et ne s’applique donc pas aux personnes morales [...]

[89] Bell soutient que l’interprétation de l’article 41.26 de la Loi proposée par les demanderesses est inconstitutionnelle et qu’elle n’a pas simplement fait valoir que l’article 41.26 ne devrait pas être appliqué. Bell affirme qu’elle devrait avoir l’autorisation de modifier son acte de procédure, au besoin, pour préciser qu’elle conteste le caractère constitutionnel de la disposition.

[90] J’estime que le juge chargé de la gestion de l’instance n’a pas commis d’erreur en radiant le paragraphe 47. La véritable nature de la contestation constitutionnelle que Bell pourrait choisir d’alléguer et le fondement de cette allégation n’ont pas été établis.

G. Le juge chargé de la gestion de l’instance aurait-il dû donner à Bell l’autorisation de modifier son acte de procédure?

[91] Bell affirme que le juge chargé de la gestion de l’instance a commis une erreur en ne l’autorisant pas à modifier son acte de procédure. Dans l’ordonnance contestée, le juge chargé de la gestion de l’instance a seulement dit qu’il n’était pas convaincu que les [traduction] « allégations vagues et non détaillées » formulées dans les paragraphes contestés pouvaient être corrigées par une modification.

[92] Bell prétend que le juge chargé de la gestion de l’instance ne s’est pas demandé si les lacunes pouvaient être corrigées par l’ajout de nouveaux faits substantiels ou par la restriction de la portée de la demande. Compte tenu du caractère nouveau des allégations formulées et des enjeux potentiellement importants de l’action, elle soutient qu’elle aurait dû avoir la possibilité de modifier son acte de procédure.

[93] Comme il est indiqué au paragraphe 8 de l’arrêt Simon c Canada, 2011 CAF 6, pour qu’un acte de procédure soit radié sans autorisation d’être modifié, il doit comporter un vice « qui ne peut être corrigé par une modification ».

[94] Le fait que les allégations ne sont pas détaillées ne constitue pas en soi un motif pour refuser l’autorisation. L’autorisation de modifier doit être refusée seulement lorsqu’il est évident que la partie ne peut avancer d’autres faits substantiels qu’elle sait être vrais pour étayer ses allégations : Miguna v Ontario, 2005 CanLII 46385 (CA Ont) au para 22.

[95] En l’espèce, Bell n’a pas expliqué comment elle corrigerait les lacunes dans son acte de procédure. Elle semble plutôt faire valoir que, puisque ses allégations sont inédites, la Cour devrait lui accorder une certaine latitude. Cet argument ne l’emporte pas sur la nécessité pour la partie qui doit répondre à l’acte de procédure de comprendre le fondement des allégations présentées, notamment les raisons pour lesquelles Bell affirme que le recours au PADA est illicite et celles pour lesquelles elle affirme que bon nombre des avis envoyés ne sont pas fiables et visent des personnes qui n’ont commis aucune violation du droit d’auteur.

[96] En l’espèce, la correspondance dont disposait le juge chargé de la gestion de l’instance indiquait que Bell était au fait de nombre des préoccupations des demanderesses lorsqu’elle a modifié son acte de procédure, et pourtant elle n’a pas corrigé les problèmes. Comme il en a été question au paragraphe 147 de la décision Committee for Monetary and Economic Reform c Canada, 2016 CF 147, il s’agit d’un contexte pertinent. Par conséquent, je souscris à l’opinion des producteurs Millennium. Rien ne porte à croire qu’une nouvelle modification permettrait de corriger les lacunes relevées. La décision de refuser l’autorisation de modifier l’acte de procédure était donc justifiée.

[97] Le juge chargé de la gestion de l’instance n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a refusé d’accorder l’autorisation de modifier l’acte de procédure.

IV. Conclusion

[98] Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté.

V. Les dépens

[99] Chacune des parties a présenté des observations sur les dépens. Bell a soutenu que les dépens devraient suivre l’issue de la cause. Les intimées ont pour leur part fait valoir qu’elles devraient se voir adjuger les dépens sur la base avocat-client étant donné les allégations formulées contre AB.

[100] Compte tenu de la nature inédite de la présente action, je suis d’avis qu’il convient d’adjuger les dépens aux producteurs Millennium suivant l’issue de la cause.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-1062-21

LA COUR REND L’ORDONNANCE qui suit :

  1. L’appel est rejeté.

  2. Les dépens sont adjugés aux demanderesses suivant l’issue de la cause.

« Angela Furlanetto »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


Annexe A

[traduction]

B. BELL N’A AUCUNE OBLIGATION DE TRANSMETTRE LES AVIS EN DOUBLE

[...]

24. Subsidiairement, les demanderesses ne peuvent pas, notamment par application des principes de la renonciation et de la préclusion, alléguer que Bell avait l’obligation de transmettre les avis en double. Les demanderesses et le cabinet d’avocats qui les représente, Aird & Berlis, ont fait valoir devant la Cour qu’en vertu du programme d’application du droit d’auteur, les titulaires du droit d’auteur n’envoient pas le même avis deux fois dans la même semaine aux personnes qui auraient violé le droit d’auteur. Les demanderesses ne peuvent donc pas alléguer le contraire maintenant.

Les demanderesses abusent du régime d’avis et avis

[...]

26. Cependant, le programme d’application du droit d’auteur décrit dans la demande et utilisé par les demanderesses, Aird & Berlis et d’autres clients d’Aird & Berlis (nommés ci-dessous) ne constitue pas une utilisation appropriée du régime d’avis et avis. Le programme d’application du droit d’auteur est un outil collectif utilisé pour générer automatiquement et envoyer aux FSI un très grand nombre d’avis non fiables.Plutôt que viser à protéger le droit d’auteur par des moyens légitimes, le programme d’application du droit d’auteur a deux fins et conséquences principales :

  • a)intimider les personnes qui auraient violé le droit d’auteur et qui reçoivent des avis dans le but de négocier des règlements pour des montants beaucoup plus élevés que la valeur du préjudice réellement subi par les titulaires du droit d’auteur;

  • b)réclamer des montants exorbitants auprès des FSI qui ne transmettraient pas les avis, montants qui sont beaucoup plus élevés que la valeur du préjudice réellement causé par la violation du régime d’avis et avis.

27. Le régime d’avis et avis impose des obligations expresses et implicites aux titulaires du droit d’auteur afin de garantir que les outils collectifs et les autres moyens utilisés pour générer des avis ne sont pas utilisés d’une manière qui risque indûment :

  • a)soit d’identifier de façon erronée une personne, un compte ou un emplacement en ligne comme étant associé à une violation alléguée du droit d’auteur;

  • b)soit de transmettre des avis à des membres du public qui n’ont pas violé le droit d’auteur, de les accuser à tort d’avoir violé le droit d’auteur ou encore de les menacer de poursuite.

28. Malgré les obligations que la Loi leur confère, les demanderesses et Aird & Berlis, par l’intermédiaire du programme d’application du droit d’auteur, envoient des dizaines de milliers d’avis, obtiennent des ordonnances de type Norwich contre des milliers de personnes qui auraient violé le droit d’auteur, présentent des demandes de règlement pour des montants exorbitants et entament des actions en violation du droit d’auteur aux fins indiquées au paragraphe 26 et en violation des obligations visées au paragraphe 27 ci-dessus. En fait, dans le cadre du programme d’application du droit d’auteur décrit par les demanderesses aux paragraphes 28 à 33 de la déclaration et mis en œuvre par Aird & Berlis, des dizaines de milliers d’avis ont été envoyés à Bell et à d’autres FSI relativement aux clients d’Aird & Berlis, à savoir les demanderesses, Voltage Pictures, LLC (Voltage) et ses affiliés; Cell Film Holdings LLC; Clear Skies Nevada, LLC; Cobbler Nevada, LLC; Criminal Productions, LLC; Dallas Buyers Club, LLC; Eve Nevada LLC; Fathers & Daughters Nevada, LLC; Fallen Productions, Inc.; Glacier Entertainment S.A.R.L of Luxembourg; Glacier Films 1, LLC; HB Productions, Inc.; Headhunter, LLC; I.T. Productions, LLC; LHF Productions, LLC; ME2 Productions, Inc.; Morgan Creek Productions, Inc.; POW Nevada, LLC; PTG Nevada, LLC; TVB Productions, LLC; Wind River Productions LLC; et WWE Studios, LLC (collectivement, les clients d’Aird & Berlis). Le programme d’application du droit d’auteur est un outil de harcèlement et d’intimidation. Il est utilisé afin de soutirer des règlements disproportionnés et injustifiés à des parties innocentes ou à des parties qui ne devraient avoir qu’une faible part de responsabilité. L’abus du régime d’avis et avis par Aird & Berlis et ses clients par l’intermédiaire du programme d’application du droit d’auteur cause un préjudice injustifié aux utilisateurs d’Internet qui n’ont pas la capacité de se défendre ou de restreindre l’abus. Certains clients d’Aird & Berlis abusent également du système judiciaire des États-Unis.

  1. Cette application inappropriée du régime d’avis et avis entraîne les deux conséquences suivantes : A) le programme d’application du droit d’auteur est illégal; et B) les demanderesses n’ont pas qualité pour intenter la présente action.

A. LE PROGRAMME D’APPLICATION DU DROIT D’AUTEUR EST ILLÉGAL

  1. Le recours au programme d’application du droit d’auteur constitue un abus du régime d’avis et avis. 1) Il constitue un abus du droit d’auteur par Aird & Berlis et ses clients, 2) est aussi illégal, il constitue un abus de procédure (ou abus de droit) par Aird & Berlis et ses clients et va à l’encontre de la politique publique, de l’intérêt public et de l’objet de la Loi, 3) et il constitue de la champartie ou un soutien abusif, et 4) il constitue un complot prévoyant le recours à des moyens illicites.

  2. Le programme d’application du droit d’auteur est un arrangement conçu et mis en œuvre par Aird & Berlis. Tous les clients d’Aird & Berlis, y compris les demanderesses, doivent y souscrire. Les participants au programme conviennent qu’Aird & Berlis :

  • a)gérera l’administration du programme d’application du droit d’auteur en utilisant un logiciel d’analyse judiciaire et des services offerts par des tiers pour envoyer des avis de prétendue violation aux FSI afin qu’ils les transmettent à leurs clients;

  • b)présentera des requêtes en vue d’obtenir des ordonnances de type Norwich;

  • c)gérera toutes les communications relatives aux règlements avec les personnes qui auraient violé le droit d’auteur;

  • d)intentera des poursuites pour violation du droit d’auteur et négociera des règlements avec les personnes visées.

  1. Le produit de tout règlement conclu ou tout paiement effectué en vertu d’une ordonnance du tribunal est versé à Aird & Berlis, qui conserve une part considérable du montant et divise le reste entre les demanderesses et/ou les autres clients qui ont accepté de partager les risques, les coûts et les produits liés au programme d’application du droit d’auteur, y compris les demanderesses et les clients d’Aird & Berlis.

  1. En ce qui concerne les dommages-intérêts préétablis réclamés à Bell en l’espèce, Aird & Berlis a conçu et mis en œuvre un arrangement semblable avec les demanderesses et/ou les autres clients d’Aird & Berlis. Le produit de tout règlement conclu ou tout paiement effectué en vertu d’une ordonnance du tribunal sera versé à Aird & Berlis, qui conservera une part considérable du montant et divisera le reste entre les demanderesses et/ou les autres clients qui ont accepté de partager les risques, les coûts et le produit de la présente action.

  2. En raison de ces arrangements, Aird & Berlis touchera une part déraisonnable, injuste et/ou disproportionnée des profits découlant du programme d’application du droit d’auteur et du produit du présent litige. En outre, par l’intermédiaire de la présente action et du programme d’application du droit d’auteur en général, Aird & Berlis a favorisé un litige frivole et inapproprié.

B. LES DEMANDERESSES N’ONT PAS QUALITÉ POUR INTENTER LA PRÉSENTE ACTION

  1. Par l’intermédiaire du programme d’application du droit d’auteur, les demanderesses et les autres clients d’Aird & Berlis ont cédé un intérêt bénéficiaire dans leur droit d’auteur à Aird & Berlis aux fins de son application.

  2. Par conséquent, les demanderesses n’ont pas qualité pour intenter la présente action et n’ont pas droit aux dommages-intérêts préétablis. En outre, ou subsidiairement, si les demanderesses ont qualité pour intenter la présente action, Aird & Berlis et les autres clients d’Aird & Berlis soutiennent de façon irrégulière le présent litige et contrôlent la conduite des demanderesses dans un contexte de champartie et/ou de soutien abusif ou dans un contexte s’y apparentant.

[...]

B. LA COUR DOIT ACCORDER DES DOMMAGES-INTÉRÊTS PRÉÉTABLIS PROPORTIONNELS AU PRÉJUDICE SUBI

46. Subsidiairement encore, si les dommages‐intérêts préétablis peuvent être calculés en fonction du nombre d’avis non transmis, comme les demanderesses le prétendent, la Cour a le pouvoir de réduire le montant des dommages-intérêts pour adjuger le montant qu’elle estime être dans l’intérêt de la justice. À cet égard, la Cour peut tenir compte des éléments suivants, entre autres :

  • a)le comportement des demanderesses et de Bell avant et pendant l’instance;

  • b)le caractère proportionnel des dommages-intérêts, le cas échéant, par rapport aux violations alléguées;

  • c)la corrélation entre les dommages-intérêts et le préjudice réellement subi et/ou ou la perte de profits par les demanderesses et la question de savoir si les dommages-intérêts donneraient lieu à un résultat juste compte tenu de l’ensemble des circonstances;

  • d)l’incidence des violations alléguées sur le modèle d’affaires des demanderesses;

  • e)le défaut des demanderesses d’atténuer leur préjudice;

  • f)la mesure dans laquelle d’autres violations en ligne, notamment par des clients d’autres FSI à l’échelle mondiale, le cas échéant, ont contribué aux pertes alléguées des demanderesses;

  • g)l’abus du régime d’avis et avis par les demanderesses;

  • h)la bonne foi de Bell et les efforts considérables qu’elle a déployés pour respecter le régime d’avis et avis, surtout à la lumière du torrent d’avis envoyés par les demanderesses par l’intermédiaire du programme d’application du droit d’auteur.

47. Subsidiairement encore, si les dommages-intérêts préétablis peuvent être calculés en fonction du nombre d’avis non transmis, comme les demanderesses le prétendent, les dispositions en question contreviennent aux articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés et ne devraient pas être appliquées. Bell invoque l’article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[...]

DEMANDE RECONVENTIONNELLE MODIFIÉE

49. La défenderesse/demanderesse reconventionnelle, Bell, cherche à obtenir ce qui suit :

  • a)une déclaration portant que les demanderesses/défenderesses reconventionnelles et Aird & Berlis ont enfreint les articles 41.25 et 41.26 de la Loi sur le droit d’auteur;

  • b)une déclaration portant que les demanderesses/défenderesses reconventionnelles et Aird & Berlis :

  • (i)ont abusé du droit d’auteur;

  • (ii)ont abusé de la procédure de la cour;

  • (iii)se sont adonnées à la champartie et au soutien abusif;

  • (iv)ont participé à un complot prévoyant le recours à des moyens illicites;

b)c) une déclaration portant que les demanderesses/défenderesses reconventionnelles et Aird & Berlis ont agi de concert aux termes d’une entente et dans un dessein commun afin d’envoyer des avis irréguliers, non conformes, illégaux, doubles ou disproportionnés, et qu’ils ont adopté la conduite décrite dans la défense, en contravention du régime d’avis et avis, censément en vertu des articles 41.25 et 41.26 de la Loi sur le droit d’auteur, pour :

  • (i)intimider les personnes qui auraient violé le droit d’auteur et qui reçoivent des avis dans le but de négocier des règlements alors que les personnes visées ne sont responsables d’aucune violation du droit d’auteur ou pour des montants beaucoup plus élevés que la valeur du préjudice réellement subi par les titulaires du droit d’auteur;

  • (ii)réclamer des montants exorbitants auprès des FSI, y compris Bell, qui ne transmettraient pas les avis, montants qui sont beaucoup plus élevés que la valeur du préjudice causé par la violation du régime d’avis et avis;

d) une déclaration portant que Bell n’est pas tenue de transmettre les avis (définis dans la demande) reçus des demanderesses/défenderesses reconventionnelles étant donné la violation, par les demanderesses/défenderesses reconventionnelles, des articles 41.25 et 41.26 de la Loi sur le droit d’auteur et de la conduite décrite dans la défense;

e) une déclaration portant que Bell n’est pas tenue, en vertu du régime d’avis et avis, de transmettre les avis envoyés par les demanderesses/défenderesses reconventionnelles étant donné la violation, par les demanderesses/défenderesses reconventionnelles, des articles 41.25 et 41.26 de la Loi sur le droit d’auteur et de la conduite décrite dans la défense;

f) une déclaration portant que Aird & Berlis a sciemment incité, persuadé et amené les demanderesses/défenderesses reconventionnelles à agir comme elles l’ont fait;

g) une injonction provisoire, interlocutoire et permanente interdisant aux demanderesses/défenderesses reconventionnelles et à Aird & Berlis, leurs dirigeants, administrateurs, employés, mandataires, fonctionnaires, successeurs, licenciés, sociétés affiliées, filiales, sociétés connexes, ainsi qu’à toutes les personnes sur lesquelles ils exercent un contrôle, d’envoyer à Bell, directement ou indirectement, par l’intermédiaire du programme d’application du droit d’auteur, d’autres avis de prétendue violation en vertu du régime d’avis et avis jusqu’à ce qu’ils aient pris les mesures correctives nécessaires relativement à la violation des articles 41.25 et 41.26 de la Loi sur le droit d’auteur et à la conduite décrite dans la défense;

h) les dépens de la présente action, payables sans délai;

i) toute autre réparation que la Cour pourrait estimer juste.

  1. La défenderesse/demanderesse reconventionnelle répète et invoque chacune des allégations énoncées dans la défense.

  2. Par leur conduite, décrite dans la défense, les demanderesses et Aird & Berlis ont enfreint les articles 41.25 et 41.26 de la Loi ou en ont abusé et ont agi illégalement et à l’encontre des politiques publiques relatives à l’application du droit d’auteur en ligne. Les demanderesses ont également abusé de leur droit d’auteur. Le programme d’application du droit d’auteur et les arrangements conclus entre les demanderesses et les autres clients Aird & Berlis, d’une part, et Aird & Berlis, d’autre part, constituent aussi de la champartie ou un soutien abusif, ou un comportement semblable, un abus de procédure et un complot prévoyant le recours à des moyens illicites.

  3. Aird & Berlis a sciemment incité, persuadé et amené les demanderesses/défenderesses reconventionnelles à adopter la conduite décrite dans la défense. En outre, les demanderesses/défenderesses reconventionnelles et Aird & Berlis ont agi de concert dans un dessein commun afin d’adopter cette conduite, notamment pour enfreindre les articles 41.25 et 41.26 de la Loi ou en abuser.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1062-21

 

INTITULÉ :

MILLENNIUM FUNDING, INC., OUTPOST PRODUCTIONS, INC., BODYGUARD PRODUCTIONS, INC., HUNTER KILLER PRODUCTIONS, INC. ET RAMBO V PRODUCTIONS, INC. c BELL CANADA ET BELL ALIANT ET AIRD & BERLIS LLP

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 janvier 2023

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE FURLANETTO

 

DATE DES MOTIFS :

Le 31 mai 2023

 

COMPARUTIONS :

Steven G. Mason

Barry Sookman

Kendra Levasseur

 

Pour lES défenderesseS/

DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES

 

 

Dale E. Schlosser

 

pour les Demanderesses/défenderesses reconventionnelles

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tetreault s.r.l

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDERESSES/

DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES

 

Sprigings Intellectual Property Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour les Demanderesses/défenderesses reconventionnelles

 

Aird & Berlis LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

pour les Demanderesses/défenderesses reconventionnelles

 

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