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Date : 20230921


Dossier : IMM-4207-22

Référence : 2023 CF 1271

Ottawa (Ontario), le 21 septembre 2023

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

DRITAN HOXHAJ, GLEDIANA HOXHAJ ET DIONELA HOXHAJ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs, Dritan Hoxhaj, son épouse Glediana Hoxhaj et leur fille mineure sont citoyens de l’Albanie. Entre 1998 et 2018, M. Hoxhaj a vécu en Italie où il était résident permanent. Mme Hoxhaj était également résidente permanente de ce pays, ayant épousé M. Hoxhaj en 2005 et déménagé en Italie en 2007. Leur fille est née en Italie, en 2011.

[2] Ils sont arrivés au Canada munis de visas de touristes en novembre 2018 et ont demandé l’asile en avril 2019. Ils allèguent que M. Hoxhaj est bisexuel et que son frère, lorsqu’il l’a découvert, a menacé de le tuer. Le frère de M. Hoxhaj vit en Italie, tout comme d’autres membres de sa famille. Les demandeurs affirment qu’ils ont peur de leurs familles en Albanie et en Italie et qu’ils craignent d’être persécutés dans ces pays étant donné que M. Hoxhaj est bisexuel.

[3] Le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté est intervenu dans la demande d’asile des demandeurs en application de la section E de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies, 189 RTNU 151 [Convention]; il a affirmé que les demandeurs étaient exclus du droit à l’asile puisqu’ils ont le statut de résident permanent en Italie.

[4] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision datée du 7 avril 2022, dans laquelle la Section d’appel des réfugiés [SAR] a rejeté leur appel et a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de rejeter leur demande d’asile. La question déterminante pour la SPR et la SAR était l’exclusion conformément à la section E de l’article premier. La SAR a conclu que les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[5] Les demandeurs prétendent que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve qui lui étaient soumis, notamment le fait que bien qu’ils aient déjà eu en Italie un statut semblable à celui des ressortissants italiens, les demandeurs avaient perdu ce statut en raison de leur absence de ce pays depuis 2018. Les demandeurs font valoir qu’ils ont seulement la [traduction] « possibilité » de retourner en Italie, ce qui les expose au risque d’être renvoyés en Albanie. Ils ajoutent que la SAR a fait preuve d’un manque de sensibilité dans la façon dont elle a évalué la persécution de la communauté LGBTQ en Italie.

[6] La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs qui suivent.

II. Discussion

[7] Il est acquis de part et d’autre que la norme de contrôle applicable en l’espèce est la norme de la décision raisonnable, comme il a été établi dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[8] Il est bien établi qu’un demandeur qui cherche à obtenir l’asile au Canada, mais qui a, dans un pays tiers sûr, un statut semblable à celui des ressortissants de ce pays, doit être exclu en application de la section E de l’article premier de la Convention. Concrètement, la section E de l’article premier de la Convention est une clause d’exclusion dont le but est d’empêcher la « recherche du meilleur pays d’asile » par une personne qui bénéficie déjà d’une protection dans un pays tiers (Zeng c Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 118 au para 1 [Zeng]). Un demandeur d’asile est donc exclu lorsqu’il jouit déjà d’une protection semblable dans un pays où il a essentiellement les mêmes droits et les mêmes obligations que les ressortissants de ce pays (Zeng au para 1). Les deux parties s’appuient sur le critère à plusieurs volets énoncé dans l’arrêt Zeng au paragraphe 28 :

[28] Compte tenu de tous les facteurs pertinents existant à la date de l’audience, le demandeur a‑t‑il, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays? Si la réponse est affirmative, le demandeur est exclu. Si la réponse est négative, il faut se demander si le demandeur avait précédemment ce statut et s’il l’a perdu, ou s’il pouvait obtenir ce statut et qu’il ne l’a pas fait. Si la réponse est négative, le demandeur n’est pas exclu en vertu de la section 1E. Si elle est affirmative, la SPR doit soupeser différents facteurs, notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité, pour le demandeur, de retourner dans le tiers pays, le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d’origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents.

[9] Une fois que l’exclusion a été établie à première vue par le ministre, il incombe aux demandeurs de montrer qu’ils ne jouissent pas d’un statut dans un pays tiers (Tesfay c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 497 au para 16; Obumuneme c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 59 au para 41; Wasel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1409 aux para 15-16).

[10] Les demandeurs prétendent que les éléments de preuve documentaire objectifs montrent qu’il n’est pas sûr qu’ils puissent obtenir un statut en Italie et que la SAR a commis une erreur en concluant à leur exclusion à cause de la « possibilité » qu’ils retournent dans ce pays. S’ils ne peuvent plus retourner en Italie à l’avenir, ils seront renvoyés en Albanie où ils risquent d’être persécutés. Les demandeurs allèguent que cela contreviendrait au principe du non-refoulement prévu au paragraphe 115(1) de la LIPR.

[11] Le défendeur prétend, comme l’a noté la SAR, que les demandeurs n’ont fait aucune démarche pour demander des visas italiens, rétablir leur statut de résident permanent en Italie, ou même communiquer avec les autorités italiennes pour confirmer leur statut. En bref, le défendeur soutient que les demandeurs, bien que tout à fait conscients des risques courus, n’ont rien fait et ne peuvent pas se fonder sur cette inaction pour obtenir le statut de réfugié. Il ajoute que l’argument des demandeurs reposant sur le principe du non-refoulement est prématuré et que le paragraphe 115(1) ne s’applique pas en l’espèce.

[12] Après avoir examiné le dossier soumis à la SAR, je ne peux conclure que cette dernière a commis une erreur lorsqu’elle est arrivée à la conclusion que les demandeurs sont exclus en application de la section E de l’article premier. Je conviens avec le défendeur que, à la lumière des éléments de preuve dont elle disposait, la SAR a raisonnablement jugé que les demandeurs n’avaient pas fourni d’éléments de preuve suffisants selon lesquels ils avaient perdu le droit de retourner en Italie.

[13] Il était loisible à la SAR de privilégier les éléments de preuve documentaire démontrant que les demandeurs avaient le droit de demander un visa italien pour retourner en Italie et qu’ils pouvaient rétablir leur statut de résident permanent dans ce pays. Le défendeur souligne que les demandeurs n’ont fourni aucun élément de preuve démontrant qu’ils avaient entrepris des démarches en ce sens. Je partage l’avis du défendeur puisqu’aucun élément de preuve n’établit que les demandeurs ont tenté de communiquer avec des agents consulaires, de se renseigner ou de demander des documents permettant leur retour en Italie, au besoin.

[14] Je conviens également avec le défendeur que la question du non-refoulement est prématurée. Notre Cour a systématiquement conclu qu’un tel argument est prématuré à cette étape étant donné que le rejet d’une demande d’asile ne constitue pas une mesure de renvoi (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 FC 1692 au para 12; Ogiemwonyi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 346 aux para 38-39).

[15] Je ne souscris pas à l’argument des demandeurs selon lequel la SAR a, de façon déraisonnable, fait preuve d’un manque de sensibilité dans la façon dont elle a évalué la persécution de la communauté LGBTQ en Italie. Les demandeurs soulignent que la SAR a conclu qu’ils n’avaient pas établi que M. Hoxhaj serait persécuté en Italie et a noté que M. Hoxhaj ne vivait pas ouvertement en tant que membre de la communauté LGBTQ. Ils prétendent que la SAR a laissé entendre que seuls les membres de la communauté qui vivent ouvertement risquent d’être persécutés. Comme il est indiqué dans l’arrêt Vavilov, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur », la cour de révision doit simplement être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » (Vavilov aux para 102, 104). À mon avis, les arguments des demandeurs sur ce point constituent une chasse au trésor à la recherche d’une erreur. Je conclus que la SAR ne faisait qu’énoncer un fait puisqu’il était vrai que M. Hoxhaj n’avait pas vécu ouvertement en tant que membre de la communauté LGBTQ.

[16] Après avoir examiné les articles invoqués par les demandeurs au sujet de la communauté LGBTQ en Italie, je ne suis pas convaincue que la SAR a commis une erreur susceptible de révision. La SAR a pris acte des incidents exposés dans les éléments de preuve documentaire, mais a conclu qu’il s’agissait d’incidents isolés qui ne permettaient pas d’établir que M. Hoxhaj serait persécuté en raison de son appartenance à la communauté LGBTQ. Je garde à l’esprit les directives de la Cour suprême du Canada portant qu’une cour de révision ne doit pas modifier des conclusions de fait, à moins de circonstances exceptionnelles, et qu’il n’appartient pas à notre Cour, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Vavilov au para 125). Je refuse donc d’intervenir.

[17] Enfin, au début de l’audience, les parties ont formulé des observations sur la question de savoir si la Cour devait accepter l’affidavit d’une stagiaire en droit employée par l’avocat des demandeurs, affidavit auquel était jointe sa transcription de l’audience devant la SPR. En fin de compte, cette question a perdu sa pertinence puisque ni l’une ni l’autre des parties ne s’y est référée ni appuyée dans leur mémoire ou leur plaidoirie.

III. Conclusion

[18] Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis que les demandeurs n’ont pas démontré le caractère déraisonnable de la décision de la SAR (Vavilov au para 100). Je rejette donc la présente demande de contrôle judiciaire.

[19] Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4207-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Vanessa Rochester »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4207-22

INTITULÉ :

DRITAN HOXHAJ, GLEDIANA HOXHAJ ET DIONELA HOXHAJ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 août 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

Le 21 septembre 2023

COMPARUTIONS :

Dan Bohbot

Pour les demandeurs

Marc Gauthier

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Dan Bohbot

Montréal (Québec)

Pour les demandeurs

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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