Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230925


Dossier : T‐1452‐23

Référence : 2023 CF 1286

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 25 septembre 2023

En présence de monsieur le juge Southcott

ACTION SIMPLIFIÉE

ENTRE :

CARYMA SA’D

demanderesse

et

MORGAN YEW, RÉSEAU CANADIEN ANTI‐HAINE, ET M. UNTEL OU MME UNETELLE

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les présents ordonnance et motifs font suite à une requête datée du 28 août 2023, déposée par les défendeurs, le Réseau canadien anti‐haine et Morgan Yew, demandant à la Cour de rendre, en vertu des alinéas 221(1)a), 221(1)c) et 221(1)f) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‐106 [les Règles], une ordonnance en radiation de la déclaration dans la présente affaire, sans autorisation de la modifier, ainsi que des réparations accessoires.

[2] Comme il est expliqué plus en détail ci‐après, la requête des défendeurs en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles est accueillie et la déclaration sera radiée, sans autorisation de la modifier, parce qu’il est évident et manifeste que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable et qu’elle n’a donc aucune chance raisonnable d’être accueillie, et que la demanderesse n’a pas cerné de modification susceptible de combler cette lacune. Les requêtes présentées par les défendeurs en vertu des alinéas 221(1)c) et 221(1)f) des Règles sont rejetées, car le paragraphe 298(1) de celles-ci exige qu’une telle requête ne soit présentée qu’à la conférence préparatoire à l’instruction.

II. Contexte

[3] La demanderesse, Caryma Sa’d, réside à Toronto (Ontario). Elle se décrit comme étant d’origine musulmane et indo‐palestinienne. Sa déclaration soutient qu’elle est une avocate en exercice et une journaliste indépendante qui documente régulièrement les manifestations publiques et les mouvements sociaux marginaux, notamment en publiant sur les médias sociaux ses photos et ses vidéos, accompagnés de ses commentaires.

[4] La déclaration, déposée par la demanderesse le 12 juillet 2023, soutient que le défendeur, le Réseau canadien anti‐haine [le RCAH], prétend être un groupe de défense antifasciste et antiraciste établi à Toronto (Ontario) et organisé en tant que société sans but lucratif conformément aux lois du Canada. Le RCAH affirme que sa mission consiste à surveiller, à étudier et à contrer les groupes haineux en fournissant au public, aux médias, aux chercheurs, aux tribunaux, aux organismes d’application de la loi et aux groupes communautaires de l’éducation et de l’information sur les groupes haineux.

[5] La déclaration fait valoir que le défendeur, Morgan Yew, réside à Toronto (Ontario) et qu’il est un journaliste indépendant qui a publié des textes en collaboration avec le RCAH. La déclaration désigne également à titre de défendeurs M. Untel ou Mme Unetelle, décrits comme une ou plusieurs personnes faisant partie du réseau du RCAH, agissant au nom du RCAH, agissant sous la direction du RCAH ou autrement sous le contrôle ou l’influence du RCAH.

[6] Dans sa déclaration, Mme Sa’d soutient qu’elle-même, M. Yew et le RCAH sont tous des entités journalistiques qui documentent la politique et l’extrémisme de droite.

[7] Les principales allégations dans la déclaration concernent un événement que Mme Sa’d avait l’intention d’organiser le 10 juillet 2021, dans le quartier chinois de Toronto, décrit comme une soirée de comédie au cours de laquelle Mme Sa’d ferait une entrevue et un bien cuit d’une personne qu’elle décrit comme une personnalité de droite. Dans les jours qui ont précédé l’événement, le RCAH a exprimé des préoccupations au sujet de l’événement. Même si les deux parties s’opposaient au point de vue de cette personne, elles ne s’entendaient pas sur la question de savoir si l’événement serait efficace pour contrer ses idées ou s’il servirait plutôt à les promouvoir.

[8] Le soir du 10 juillet 2021, des militants, qui, selon Mme Sa’d, se décrivent comme étant des défenseurs communautaires ou des protecteurs communautaires, ont bloqué l’accès à l’endroit où l’événement devait avoir lieu, et une altercation physique s’en est suivie. Mme Sa’d prétend que M. Yew faisait partie de ces militants. L’événement a donc été annulé.

[9] Le 13 juillet 2021, Mme Sa’d a publié une déclaration expliquant ce qui s’était produit et s’en excusant. De plus, le 13 juillet 2021, le RCAH et M. Yew ont publié un article au sujet de Mme Sa’d et de l’événement annulé sur le site Web du RCAH, qui s’appelle <antihate.ca>. Dans les jours qui ont suivi, le RCAH a également publié un résumé de son article sur Twitter. La déclaration soutient que cet article était faux et trompeur et elle fait référence, à l’appui de cette allégation, à des déclarations précises dans l’article et à ce que Mme Sa’d décrit comme une omission de décrire le contexte entourant les événements. Selon la déclaration, l’article dans son ensemble induit le public en erreur afin de le mener à conclure ce qui suit :

  1. que Mme Sa’d appuie le fascisme;

  2. que Mme Sa’d est raciste;

  3. que Mme Sa’d a menti au sujet de la violence du blocus;

  4. que Mme Sa’d a mis en péril la sécurité de la communauté du quartier chinois.

[10] Mme Sa’d soutient que, à la suite de correspondance entre eux, le RCAH a accepté d’apporter des modifications mineures à quelques passages de son article. Cependant, elle prétend que, bien que l’article révisé soit plus fidèle à certains des faits, les modifications n’en ont pas changé sensiblement le caractère trompeur. Elle affirme que, en publiant l’article mis à jour, le RCAH a refusé de préciser expressément quelles modifications avaient été apportées.

[11] La déclaration soutient en outre que, de temps à autre, le RCAH publie des documents encourageant des contre‐manifestants à assister à des événements et à faire obstruction à ce qu’il décrit comme de [traduction] « faux journalistes ». Mme Sa’d affirme avoir subi : a) du harcèlement en personne lors de rassemblements organisés par des contre‐manifestants utilisant de telles tactiques; b) du sexisme et du racisme en ligne, notamment par des personnalités en ligne qu’elle nomme M. Untel et Mme Unetelle.

[12] À la lumière de ces allégations, Mme Sa’d invoque les alinéas 7a) et 7d) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‐13 [la LMC] et les articles 36 et 52 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C‐34 [la LC] et demande qu’un jugement déclaratoire, une injonction, des dommages‐intérêts généraux de 50 000 $ et des dommages‐intérêts majorés et exemplaires de 50 000 $ soient imposés aux défendeurs, le tout avec dépens. Les détails de ces dispositions législatives seront examinés plus loin dans les présents motifs. Mme Sa’d a déposé son action à titre d’action simplifiée au titre des articles 292 à 299 des Règles.

[13] Dans la présente requête, les défendeurs, le RCAH et M. Yew, proposent, en vertu des alinéas 221(1)a), 221(1)c) et 221(1)f) des Règles, de radier la déclaration sans autorisation de la modifier et demandent une réparation accessoire, y compris les dépens. Les défendeurs ont déposé leur requête par écrit en vertu de l’article 369 des Règles, y compris leurs observations écrites. Mme Sa’d ne s’oppose pas à ce qu’une décision soit rendue relativement à la présente requête en vertu de l’article 369 des Règles. Elle a déposé des observations écrites en réponse, et les défendeurs ont déposé des observations écrites en réplique.

III. Questions en litige

[14] Les parties conviennent que la présente requête soulève les questions suivantes que la Cour doit trancher :

  1. La question de savoir si, conformément à l’alinéa 221(1)a) des Règles, il est évident et manifeste que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable;

  2. La question de savoir si, conformément à l’alinéa 221(1)c) des Règles, la déclaration est scandaleuse, frivole ou vexatoire;

  3. La question de savoir si, conformément à l’alinéa 221(1)f) des Règles, la déclaration constitue autrement un abus de procédure;

  4. La question de savoir si l’autorisation de modifier la déclaration devrait être accordée;

  5. La question de savoir si la demanderesse devrait se voir interdire de déposer une nouvelle déclaration contre les défendeurs.

IV. Analyse

A. La question de savoir s’il est évident et manifeste que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable au sens de l’alinéa 221(1)a) des Règles

(1) Principes généraux et arguments

[15] Les observations écrites des défendeurs décrivent avec exactitude l’effet de l’alinéa 221(1)a) des Règles, à savoir qu’un acte de procédure sera radié s’il est évident et manifeste que la demande ne révèle aucune cause d’action valable et qu’il n’y a donc aucune chance raisonnable qu’elle soit accueillie (voir Knight c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2001 CSC 42 [Knight] au para 17). Lors de l’évaluation de la présence d’une cause d’action valable, la Cour suppose que les faits avancés sont véridiques (voir Inuit Tapirisiat c Canada (Procureur général), [1980] 2 RCS 735 au para 4).

[16] Les défendeurs affirment en outre que, pour qu’une déclaration révèle une cause d’action valable, elle doit : a) avancer des faits susceptibles de donner lieu à une cause d’action; b) indiquer la nature de l’action dont ces faits constituent le fondement; c) préciser le redressement sollicité, qui doit pouvoir découler de l’action et que la Cour doit avoir la compétence d’accorder. L’acte de procédure doit présenter des faits substantiels qui satisfont à tous les éléments de la cause d’action alléguée (voir Fox Restaurants Concepts LLC v 43 North Restaurant Group Inc, 2022 CF 1149 aux para 8‐9).

[17] Je ne crois pas que la demanderesse conteste ces principes généraux.

[18] En faisant valoir que la déclaration ne révèle aucune cause d’action raisonnable, les défendeurs soutiennent que l’acte de procédure ne contient pas les faits substantiels nécessaires pour révéler une cause d’action conformément à l’une ou l’autre des dispositions législatives qui y sont invoquées. Les défendeurs soutiennent que la déclaration fait de simples allégations, vagues et sans fondement, qui représentent des hypothèses fondées sur des conjectures et des conclusions générales qui constituent plutôt des opinions que des faits, et qu’elle n’établit pas de lien entre ces allégations et une faute donnant ouverture à un droit d’action en vertu des dispositions législatives sur lesquelles la demanderesse se fonde.

[19] En réponse, la demanderesse souligne les distinctions entre les articles 174 et 175 des Règles. L’article 174 des Règles exige que tous les actes de procédure contiennent une déclaration précise des faits substantiels sur lesquels se fonde la partie, et non les éléments de preuve qui permettent de prouver ces faits. L’article 175 des Règles prévoit qu’une partie peut, dans un acte de procédure, soulever des points de droit. La demanderesse reconnaît que les faits substantiels doivent être conformément à l’article 174 des Règles, mais fait remarquer qu’il n’est pas obligatoire de soulever des points de droit en vertu de l’article 175 des Règles. Elle soutient qu’elle n’est donc pas tenue, dans sa déclaration, de lier chaque fait substantiel à un élément de droit.

[20] Dans leurs observations en réplique, les défendeurs prétendent que la demanderesse a mal interprété leur position dans sa réponse. Les défendeurs soutiennent qu’ils ne laissent pas entendre que la déclaration devrait être radiée parce qu’elle ne comprend pas de conclusions de droit. Ils font plutôt valoir que l’acte de procédure est insuffisant parce qu’il ne comprend pas de faits substantiels à l’appui de chaque élément des causes d’action invoquées.

[21] Dans ce contexte, je vais revenir aux causes d’action prévues par la loi invoquées dans la déclaration.

(2) Alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce

[22] Selon la déclaration, l’article publié par les défendeurs et leurs gazouillis subséquents représentent des déclarations fausses ou trompeuses pouvant donner lieu à des poursuites au titre de l’alinéa 7a) de la LMC.

[23] L’alinéa 7a) de la LMC prévoit que nul ne peut faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l’entreprise, les produits ou les services d’un concurrent. Comme il a été expliqué récemment dans la décision Energizer Brands, LLC c Gillette Company, 2023 CF 804 au para 169, les éléments essentiels de la cause d’action créée par l’alinéa 7a) (en combinaison avec le paragraphe 53.2(1) de la LMC) sont les suivants : a) il y a une déclaration fausse ou trompeuse; b) qui tend à discréditer l’entreprise, les produits ou les services d’un concurrent; c) et il en résulte un préjudice, à savoir qu’il doit y avoir un lien de cause à effet entre le préjudice et l’acte répréhensible allégué, c.‐à‐d. les déclarations fausses ou trompeuses.

[24] Fait important, pour les fins de l’argument des défendeurs, l’application de l’alinéa 7a) de la LMC se limite à la création d’une cause d’action relative à des déclarations fausses et trompeuses faites au sujet d’une marque de commerce ou d’une autre propriété intellectuelle du demandeur. Bien que la cause d’action créée par l’alinéa 7a) soit semblable à d’autres délits, sa portée a été interprétée d’une manière plus étroite pour qu’il soit constitutionnellement valide, car l’alinéa 7a) ne peut être un texte constitutionnellement valide du législateur fédéral que s’il se limite à compléter le cadre réglementaire de la LMC (voir Canadian Copyright Licensing Agency c Bureau en gros ltée, 2008 CF 737 au para 27, citant Vapour Canada Ltd c MacDonald, [1977] 2 RCS 134 [Vapour] aux p 172‐173).

[25] Les défendeurs soutiennent que la déclaration ne présente aucun fait substantiel démontrant l’existence d’un lien entre les déclarations fausses ou trompeuses que les défendeurs auraient faites et une quelconque propriété intellectuelle de la demanderesse. Les défendeurs soutiennent qu’aucune modification de la déclaration ne pourrait combler cette lacune. Comme les défendeurs le soutiennent également dans leurs observations en réplique, les observations écrites de la demanderesse n’abordent pas la lacune évidente quant à la propriété intellectuelle invoquée à l’appui de sa demande fondée sur l’alinéa 7a) de la LMC.

[26] Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que cette lacune porte un coup fatal à l’idée que la demanderesse ait une cause d’action valable au titre de l’alinéa 7a) de la LMC et que cette dernière ne mentionne, dans ses observations, aucune modification qui pourrait permettre de corriger cette lacune.

[27] Les défendeurs soulèvent plusieurs autres arguments à l’appui de leur position selon laquelle l’allégation de la demanderesse fondée sur l’alinéa 7a) de la LMC est dénuée de faits substantiels. Toutefois, après avoir cerné la lacune fatale susmentionnée, il n’est pas nécessaire que la Cour examine les autres arguments des défendeurs.

(3) Alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce

[28] La déclaration fait valoir que, comme les activités du RCAH faisaient en fait la promotion d’une conduite haineuse à l’égard de Mme Sa’d, qui appartient à un groupe minoritaire en quête d’équité, l’utilisation par le RCAH de toute désignation qui inclue la mention ANTI‐HAINE comme marque de commerce est une description fausse et susceptible de tromper le public quant aux services fournis par le RCAH, en contravention de l’alinéa 7d) de la LMC.

[29] L’alinéa 7d) de la LMC précise que nul ne peut employer, en liaison avec des produits ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde (i) soit leurs caractéristiques, leur qualité, quantité ou composition (ii) soit leur origine géographique (iii) soit leur mode de fabrication, de production ou d’exécution.

[30] Tout comme l’alinéa 7a) de la LMC, l’alinéa 7d) de cette loi exige une atteinte à la propriété intellectuelle (voir Living Sky Waters Solutions Corp c ICF Pty Ltd, 2018 CF 876 [Living Sky] au para 21, citant Vapour, au para 64). Toutefois, l’alinéa 7d) de la LMC vise à interdire l’emploi abusif, par une personne, d’une désignation associée aux marchandises ou aux services que cette personne offre au public (voir Living Sky, aux para 26‐27, citant Vapour, au para 22).

[31] Comme elle l’a souligné dans ses observations écrites, la demanderesse prétend que le nom et l’adresse Web du RCAH utilisent ou comprennent le terme ANTI‐HAINE comme mot servant de marque non déposée et que cette utilisation représente une fausse désignation du caractère des services du RCAH parce que, selon le mémoire de la demanderesse, les services du RCAH encouragent, en fait, la haine.

[32] Je suis conscient de l’argument des défendeurs selon lequel l’allégation de la demanderesse, à savoir que le RCAH encourage la haine, représente l’opinion de la demanderesse ou une conclusion argumentative, et qu’il ne s’agit pas d’une allégation factuelle de la nature requise pour étayer une demande fondée sur l’article 7 de la LMC. En effet, cette allégation constituerait un territoire inexploré pour le droit des marques de commerce. Cependant, je suis également conscient de l’argument de la demanderesse selon lequel, dans le cas d’une requête en radiation, la Cour doit permettre, dans la mesure du possible, l’instruction de toute demande inédite, mais soutenable (voir l’arrêt Knight, au para 21).

[33] En l’espèce, il n’est pas nécessaire que la Cour se prononce sur cet ensemble particulier d’arguments, car j’estime que la demande présentée par la demanderesse au titre de l’alinéa 7d) de la LMC doit être rejetée pour des raisons plus techniques. Comme le soutiennent les défendeurs, l’alinéa 7d) de la LMC exige que la demanderesse établisse un lien de causalité entre l’utilisation d’une déclaration fausse et trompeuse et les préjudices que la demanderesse aurait subis (voir Vidéotron Ltée c Technologies Konek Inc, 2023 CF 741 au para 22; EAB Tool Company Inc c Norske Tools Ltd, 2017 CF 898 au para 76). Les défendeurs soutiennent que la déclaration ne comprend aucun fait substantiel à l’appui d’une allégation selon laquelle la prétendue fausse description ANTI‐HAINE aurait causé à la demanderesse un préjudice qui aurait un lien de causalité avec une telle description.

[34] En réponse, la demanderesse soutient que la question du lien de cause à effet ne contient aucun élément factuel. La causalité est plutôt une question de droit. Elle s’appuie sur la décision 599960 Ontario Inc v Taylor Steel Inc, 2000 CarswellOnt 432 [Taylor Steel], au para 20 (Cour supérieure de justice de l’Ontario) (conf 2001 CarswellOnt 4102 (Cour d’appel de l’Ontario)), qui citait l’extrait suivant du professeur Fleming (The Law of Torts, 7e éd. (Sydney : The Law Book Company Ltd., 1987) à 675‐676) :

[traduction]
Il n’est pas nécessaire d’établir l’existence d’une supercherie ni les préjudices qui en découlent. Il suffit que la pratique du défendeur était susceptible de tromper le public et comportait un risque appréciable de préjudice pour le demandeur, qu’il s’agisse de détournement de ventes ou de dépréciation de son crédit ou de sa réputation commerciale. [...]

[35] Comme les défendeurs le soutiennent en réplique, l’affaire Taylor Steel traitait d’une action fondée sur le délit de commercialisation trompeuse et non d’une action fondée sur l’alinéa 7d) de la LMC. La demanderesse ne soutient nullement dans sa déclaration ou dans les observations écrites qu’elle a déposées relativement à la présente requête qu’il existe un lien de cause à effet entre l’utilisation, par le RCAH, de la description prétendument fausse ANTI‐HAINE et les préjudices qu’elle aurait subis. Je conclus que cette lacune empêche la demanderesse d’établir l’existence d’une cause d’action raisonnable fondée sur l’alinéa 7d) de la LMC et que la demanderesse n’a indiqué aucune modification qui pourrait permettre de corriger cette lacune.

(4) Articles 36 et 52 de la Loi sur la concurrence

[36] Enfin, la demanderesse invoque, dans sa déclaration, les articles 36 et 52 de la LC en lien avec l’article publié par les défendeurs et leurs gazouillis subséquents, qu’elle qualifie de déclarations fausses ou trompeuses.

[37] L’alinéa 36(1)a) de la LC créé une cause d’action en faveur de toute personne qui a subi une perte ou des dommages par suite d’un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI de cette loi. La partie VI comprend le paragraphe 52(1) de la LC, qui prévoit que nul ne peut, de quelque manière que ce soit, aux fins de promouvoir directement ou indirectement soit la fourniture ou l’utilisation d’un produit, soit des intérêts commerciaux quelconques, donner au public, sciemment ou sans se soucier des conséquences, des indications fausses ou trompeuses sur un point important.

[38] Comme les défendeurs le soutiennent, le critère prévu au paragraphe 52(1) de la LC est le même que celui prévu à l’alinéa 7a) de la LMC (c.‐à‐d. qu’il y a une déclaration fausse et trompeuse qui tend à discréditer l’entreprise, les biens ou les services d’un concurrent et il en résulte un préjudice, à savoir qu’il doit y avoir un lien de cause à effet entre le préjudice et les déclarations fausses ou trompeuses). Cependant, le paragraphe 52(1) de la LC exige également que la déclaration ait été faite « en ayant connaissance de sa fausseté ou en faisant preuve d’insouciance à cet égard » (voir Alliance Laundry Systems LLC c Whirlpool Canada LP, 2019 CF 724 au para 79).

[39] Compte tenu des arguments des défendeurs concernant les éléments communs de ces deux critères, encore une fois, les observations des défendeurs soulèvent plusieurs arguments à l’appui de leur position selon laquelle les prétentions de la demanderesse sont insuffisantes pour étayer une cause d’action valable au titre de la LC. Ces arguments comprennent l’observation selon laquelle la déclaration ne contient aucun fait substantiel établissant que les défendeurs ont fait les déclarations contestées en sachant qu’elles étaient fausses ou trompeuses, ou en faisant preuve d’insouciance à cet égard.

[40] En réponse aux arguments des défendeurs concernant les allégations au sujet de leur connaissance ou de leur insouciance, la demanderesse fait référence à son argument selon lequel le RCAH a accepté d’apporter des modifications mineures à quelques passages de l’article, qui a été publié initialement le 13 juillet 2021, mais n’a pas publié d’explication quant à la portée des modifications. Elle soutient que cette conduite témoigne d’une connaissance ou d’une insouciance relativement à une déclaration fausse ou trompeuse.

[41] Je ne suis pas convaincu que cette réponse aide la demanderesse. Je comprends son argument selon lequel la publication, par les défendeurs, d’une version mise à jour de l’article contesté démontre que ceux-ci savaient que des parties de l’article original étaient fausses ou trompeuses. Cependant, en toute logique, l’observation de la demanderesse ne porte que sur ce que les défendeurs savaient au moment où ils ont publié la version révisée. La demanderesse n’a pas expliqué en quoi le fait que les défendeurs auraient refusé de publier une explication quant à la portée des modifications témoignerait d’une connaissance ou d’une insouciance à l’égard d’un contenu faux ou trompeur.

[42] Encore une fois, j’estime que l’acte de procédure de la demanderesse est entaché d’un vice fatal pour ce qui est d’établir l’existence d’une cause d’action valable et que la demanderesse n’a mentionné aucune modification susceptible de combler cette lacune.

[43] En conclusion, en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles, je conclus qu’il est évident et manifeste que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable et qu’il n’y a donc aucune chance raisonnable que la demande soit accueillie. Mon ordonnance radiera donc la déclaration en entier, sans autorisation de la modifier.

B. La question de savoir si la déclaration est scandaleuse, frivole ou vexatoire au sens de l’alinéa 221(1)c) des Règles

[44] En plus de leurs arguments fondés sur l’alinéa 221(1)a) des Règles, les défendeurs soutiennent que la déclaration devrait être radiée en vertu de l’alinéa 221(1)c) des Règles au motif qu’elle est scandaleuse, frivole ou vexatoire. Les défendeurs font remarquer que la déclaration est principalement axée sur des extraits de l’article du 13 juillet 2021 du RCAH et soutiennent que la LMC et la LC ne sont pas les moyens appropriés pour chercher à obtenir une réparation découlant de l’article. Les défendeurs soutiennent qu’après avoir dépassé le délai de prescription de deux ans pour intenter une action en diffamation – à l’égard de laquelle la Cour fédérale n’a pas compétence – , la demanderesse a tenté de raviver une poursuite en diffamation périmée sous le couvert des principes de la LMC et de la LC.

[45] En guise de réponse de fond, la demanderesse soutient que le fait que ses allégations auraient pu faire l’objet d’une poursuite en diffamation ne l’empêche pas d’avoir des demandes viables au titre de la LMC ou de la LC. Cependant, la demanderesse soulève également un argument technique préliminaire en faisant remarquer que l’instance a été introduite par voie d’action simplifiée et que, conformément à l’article 298 des Règles, une requête en vertu de l’alinéa 221(1)c) des Règles ne peut être présentée qu’à la conférence préparatoire à l’instruction.

[46] Je souscris aux observations techniques de la demanderesse. Le paragraphe 298(1) des Règles prévoit que, dans une action simplifiée, les requêtes ne peuvent être présentées qu’à la conférence préparatoire à l’instruction. Le paragraphe 298(2) des Règles prévoit une exception limitée à ce principe pour les requêtes visant à contester la compétence de la Cour ou à faire radier une déclaration au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable. Par conséquent, bien que la Cour ait été saisie à bon droit de la requête des défendeurs en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles, ce n’est pas le cas pour ce qui est de la requête de ces derniers fondée sur l’alinéa 221(1)c) des Règles.

[47] Dans leurs observations en réplique, les défendeurs soutiennent que la Cour a compétence pour soustraire la présente action à l’application du paragraphe 298(1) des Règles. Les défendeurs font remarquer que leur avis de requête comportait plusieurs catégories de mesures de réparation, notamment toute autre mesure que la Cour estime juste. Dans ces observations, les défendeurs demandent à la Cour d’ordonner que les dispositions des Règles en matière d’action simplifiée ne s’appliquent pas à la présente action, de sorte que la Cour puisse statuer sur leurs arguments en vertu de l’alinéa 221(1)c) des Règles.

[48] Je ne suis pas prêt à accéder à cette demande. Si les défendeurs avaient l’intention de demander que les dispositions en matière d’action simplifiée ne s’appliquent pas, ils auraient dû expressément le demander dans leur avis de requête en exposant des motifs pertinents et en présentant des éléments de preuve ou des arguments à l’appui de cette mesure. La demanderesse aurait alors eu l’occasion de répondre à leur demande.

[49] Par conséquent, mon ordonnance rejettera la requête des défendeurs en vertu de l’alinéa 221(1)c) des Règles.

C. La question de savoir si la déclaration constitue autrement un abus de procédure au sens de l’alinéa 221(1)f) des Règles,

[50] Les défendeurs font également valoir que la Cour devrait radier la déclaration en vertu de l’alinéa 221(1)f) des Règles au motif qu’il s’agit d’un abus de procédure, vu qu’elle est dénuée de tout fondement probant. Les défendeurs s’appuient également sur les éléments de preuve qu’ils ont déposés dans le cadre de la présente requête en mentionnant que, depuis juin 2023, la demanderesse a intenté deux autres actions devant la Cour fédérale contre d’autres organisations.

[51] Encore une fois, la demanderesse répond qu’une requête en vertu de l’alinéa 221(1)f) des Règles ne peut être présentée qu’à la conférence préparatoire à l’instruction. Pour les mêmes motifs que ceux exposés ci‐dessus relativement à la requête des défendeurs fondée sur l’alinéa 221(1)c) des Règles, mon ordonnance rejettera la requête des défendeurs en vertu de l’alinéa 221(1)f) des Règles.

D. La question de savoir si la demanderesse devrait se voir interdire de déposer une nouvelle déclaration contre les défendeurs

[52] Bien que la liste des questions en litige entre les parties comprenne la question de savoir si la Cour devrait accorder à la demanderesse l’autorisation de modifier sa déclaration, j’ai traité de cette question plus tôt dans les présents motifs. Par conséquent, la question en litige qu’il reste à trancher est la demande, dans l’avis de requête des défendeurs, visant à obtenir une ordonnance interdisant à la demanderesse de présenter une nouvelle déclaration contre les défendeurs ou à titre subsidiaire, exigeant que la demanderesse se conforme à toute ordonnance de dépens rendue à l’égard de la présente action avant de présenter une nouvelle déclaration contre les défendeurs.

[53] Les défendeurs n’ont cité aucune jurisprudence à l’appui de ces catégories de mesures de réparation. Dans leurs observations écrites, les défendeurs font valoir que, compte tenu de la nature frivole des allégations contenues dans la déclaration, il devrait être interdit à la demanderesse de la présenter de nouveau. Puisque la position des défendeurs semble liée à leurs arguments, au titre de l’alinéa 221(1)c) des Règles, selon lesquels la déclaration est frivole et puisque j’ai rejeté la requête en vertu de cet alinéa, je refuse également d’accorder ces catégories de mesures de réparation.

V. Dépens

[54] L’avis de requête des défendeurs vise à obtenir les dépens afférents à la présente requête [traduction] « adjugés au tarif admissible le plus élevé ». Toutefois, à part répéter cette demande, les défendeurs ont déposé des observations écrites qui n’établissent aucun fondement pour étayer leur demande de dépens ou quantifier ces derniers.

[55] Dans les observations écrites dans lesquelles elle sollicite le rejet de la requête, la demanderesse soutient que les dépens afférents à cette dernière devraient être adjugés en sa faveur.

[56] Les défendeurs n’ont pas obtenu gain de cause à l’égard de tous les motifs invoqués dans le cadre de la présente requête. Toutefois, comme mon ordonnance radiera la déclaration sans autorisation de la modifier, les défendeurs ont réussi à obtenir la réparation principale qu’ils demandaient et l’octroi des dépens en leur faveur est donc approprié. Je ne vois aucun motif d’accorder des dépens à un niveau si élevé. Mon ordonnance accordera plutôt une somme forfaitaire de 850 $.


ORDONNANCE dans le dossier T‐1452‐23

LA COUR ORDONNE que :

  1. La requête des défendeurs en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles est accueillie et la déclaration de la demanderesse est radiée, sans autorisation de la modifier.

  2. La requête des défendeurs en vertu des alinéas 221(1)c) et 221(1)f) des Règles est rejetée.

  3. La demanderesse doit payer aux défendeurs, le Réseau canadien anti‐haine et Morgan Yew, les dépens de la présente requête, d’un montant forfaitaire de 850 $.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.