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Date : 20230927


Dossier : IMM-3093-22

Référence : 2023 CF 1303

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 27 septembre 2023

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

JOHNSON ADEGBAYI ADEBANJO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS ET JUGEMENT


  • [1]M. Johnson Adebanjo (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut du Canada (la CISR) a accueilli la demande du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur), déposée au titre du paragraphe 108(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). Le défendeur demandait à la SPR de constater la perte d’asile du demandeur.

  • [2]Le demandeur, un citoyen du Nigéria, a obtenu l’asile au Canada le 11 février 2009. Il a obtenu le statut de résident permanent le 7 décembre 2009.

  • [3]Le 18 décembre 2015, le demandeur a été reconnu coupable de possession de marques contrefaites. Cette déclaration de culpabilité a donné lieu à une audience devant la Section de l’immigration de la CISR, qui a pris une mesure de renvoi contre le demandeur. Dans le cadre de l’appel devant la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la CISR, la SAI a conclu que la mesure de renvoi était valide en droit et a rejeté la demande de prises de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire. La SAI a rendu sa décision le 19 mars 2019.

  • [4]Par ailleurs, le demandeur d’asile a obtenu des passeports nigérians à trois reprises. Le 1er mars 2011, le bureau des passeports à Osogbo, au Nigéria, a délivré un passeport nigérian au demandeur. Le 15 mars 2016, le haut-commissariat du Nigéria à Ottawa a également délivré un passeport nigérian au demandeur. Enfin, le demandeur a déclaré avoir reçu un nouveau passeport de l’ambassade du Nigéria à Ottawa en août 2021.

  • [5]Le 22 avril 2013 et le 7 décembre 2016, le demandeur s’est rendu au Bénin en utilisant un passeport délivré par le gouvernement du Nigéria.

  • [6]Le défendeur a présenté sa demande de « constat de perte de l’asile » le 13 octobre 2020. Une audience « virtuelle » a eu lieu devant la SPR le 3 février 2022. La SPR a rendu sa décision le 9 mars 2022.

  • [7]Dans sa décision, la SPR a examiné l’alinéa 108(1)a) de la Loi, qui est ainsi libellé :

Rejet

108(1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;

Rejection

108(1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

(a) the person has voluntarily reavailed themself of the protection of their country of nationality;

  • [8]La SPR a tenu compte des passages pertinents du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies (le Guide du HCR). Au paragraphe 9 de sa décision, la SPR a renvoyé aux dispositions suivantes du critère visant à déterminer si un demandeur s’est réclamé de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité :

118. […] Le réfugié qui s’est volontairement réclamé à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité n’a plus besoin de la protection internationale. Il a montré qu’il n’était plus dans la situation de celui qui ne peut ou ne veut se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité.

119. L’application de cette clause de cessation suppose la réalisation de trois conditions :

  • a)la volonté : le réfugié doit avoir agi volontairement;

  • b)l’intention : le réfugié doit avoir accompli intentionnellement l’acte par lequel il s’est réclamé à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité;

  • c)le succès de l’action : le réfugié doit avoir effectivement obtenu cette protection.

  • [9]La SPR a reconnu que l’utilisation d’un passeport, délivré par le pays duquel l’étranger cherchait à se protéger pour obtenir le statut de réfugié, donne lieu à une présomption réfutable selon laquelle l’utilisateur de ce passeport s’est réclamé de nouveau et volontairement de la protection de ce pays. Elle a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté cette présomption.

  • [10]Le demandeur soutient maintenant que la décision de la SPR est déraisonnable. Il fait notamment valoir que la SPR n’a pas examiné les facteurs énoncés au paragraphe 84 de l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Galindo Camayo, 2022 CAF 50, rendu par la Cour d’appel fédérale.

  • [11]Le défendeur fait valoir qu’il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle il s’était réclamé de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité.

  • [12]La décision de la SPR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, suivant l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, [2019] 4 RCS 653 (CSC).

  • [13]Dans son examen du caractère raisonnable, la Cour doit se demander si la décision faisant l’objet du contrôle « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci »; voir Vavilov, précité, au paragraphe 99.

  • [14]Je suis convaincue qu’il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que le demandeur a agi volontairement lorsqu’il a demandé et utilisé un passeport nigérian pour se rendre au Bénin.

  • [15]Le demandeur affirme qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de [traduction] « confondre » les éléments de volonté et d’intention et qu’elle a fait fi des enseignements de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Camayo, précité, qui commande d’examiner la connaissance subjective d’une personne quant au risque de perte d’asile. Il fait remarquer que son ignorance du droit canadien de l’immigration ainsi que le fait qu’il a voyagé à l’aide d’un passeport délivré par le pays dont il a la nationalité minent toute appréciation raisonnable de ses intentions.

  • [16]Pour sa part, le défendeur fait valoir que les antécédents de voyage du demandeur et le fait qu’il avait en sa possession des marques contrefaites au nom de l’Agence des services frontaliers du Canada témoignent d’un degré de connaissance élevé des processus d’immigration au Canada.

  • [17]L’argument selon lequel la SPR n’a pas évalué les éléments de preuve du demandeur, y compris ceux concernant son intention subjective, ne me convainc pas. Il semble que la SPR ait déduit l’intention du demandeur à partir de ses actes, c’est-à-dire le fait qu’il ait obtenu des passeports nigérians et qu’il les a utilisés pour voyager à l’étranger.

  • [18]La SPR était au courant des lignes directrices énoncées dans le Guide du HCR pour déterminer si une personne se réclame de nouveau de la protection du pays ainsi que des éléments du critère applicable à cet égard. À mon avis, bien que l’arrêt Camayo, précité, rendu récemment par la Cour d’appel fédérale, donne des précisions sur ces éléments, il ne crée pas de nouveau critère juridique.

  • [19]Je renvoie à la décision Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 383 rendue récemment par le juge Brown, aux paragraphes 45 à 50, qui traite de la question de [traduction] « l’intention ». Je souligne en particulier le paragraphe 47, qui est rédigé en partie ainsi :

[47] […] L’intention est essentiellement une question de fait et elle relève de la compétence du juge des faits. En l’espèce, les juges des faits sont la SPR et la SAR; dans les affaires criminelles, ce rôle revient au jury ou au juge du procès s’il n’y a pas de jury. Les règles de preuve qui s’appliquent pour déterminer l’intention sont généralement les mêmes dans tous les domaines du droit, en l’absence d’intervention législative ou judiciaire. À cet égard, il est bien établi que l’intention d’une partie peut être déterminée d’après la conclusion qu’un juge des faits peut tirer en s’appuyant sur la thèse selon laquelle les personnes « veulent les conséquences naturelles et probables de leurs actes ». Il s’agit d’une règle de preuve et d’une question de bon sens, comme l’a déclaré le juge Cory de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Seymour, [1996] 2 RCS 252 au paragraphe 19 :

[19] Lorsque l’on donne au jury des directives sur une infraction exigeant la preuve de l’existence d’une intention spécifique, il sera toujours nécessaire d’expliquer que, pour déterminer l’état d’esprit de l’accusé au moment de l’infraction, les jurés peuvent déduire que les personnes saines et sobres veulent les conséquences naturelles et probables de leurs actes. Le bon sens veut que les personnes soient habituellement capables de prévoir les conséquences de leurs actes. Par conséquent, si une personne agit d’une façon qui est susceptible de produire un certain résultat, il sera généralement raisonnable de déduire que celle-ci a prévu les conséquences probables de son acte. En d’autres termes, si une personne a agi de manière à produire certaines conséquences, on peut en déduire que cette personne a voulu ces conséquences.

[Non souligné dans l’original.]

  • [20]Les arguments du demandeur selon lesquels la SPR aurait [traduction] « confondu » la question du caractère volontaire et l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays ne sont pas clairs. Selon moi, la SPR a examiné de manière raisonnable le caractère volontaire des actes du demandeur lorsqu’il a obtenu un passeport nigérian et l’a utilisé pour voyager à l’étranger.

  • [21]Le demandeur conteste la conclusion de la SPR selon laquelle il s’est rendu à au moins une occasion au Nigéria. Cette conclusion repose sur le fait qu’un passeport a été délivré au demandeur au Nigéria le 11 mars 2011.

  • [22]La SPR a conclu que le demandeur était allé plusieurs fois à l’étranger en utilisant un passeport nigérian. Cela signifie qu’en utilisant ce passeport, il a bénéficié de la protection diplomatique. Compte tenu des éléments de preuve présentés, je suis convaincue que la SPR a tiré des conclusions raisonnables quant à l’utilisation du passeport nigérian par le demandeur.

  • [23]Par conséquent, le demandeur n’a pas établi que la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle. Rien ne justifie une intervention judiciaire, et la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-3093-22

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Heneghan »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3093-22

 

INTITULÉ :

JOHNSON ADEGBAYI ADEBANJO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 AVRIL 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :

LE 27 SEPTEMBRE 2023

COMPARUTIONS :

Gavin MacLean

POUR LE DEMANDEUR

Gregory George

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gavin MacLean Immigration

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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