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Date : 20230823


Dossier : T-186-23

Référence : 2023 CF 1134

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 août 2023

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

WIESLAW KUK

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (la division d’appel) a refusé de lui accorder l’autorisation d’interjeter appel d’une décision de la division générale de ce dernier (la division générale). Dans la décision en question, la division générale a conclu que le demandeur avait été congédié pour inconduite dans l’exercice de ses fonctions au University Health Network de l’Hôpital général de Toronto (UNH). Pour ce motif, la division générale a confirmé la décision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (la Commission) de refuser d’accorder des prestations d’assurance-emploi au demandeur. L’inconduite en cause concernait le choix volontaire et intentionnel du demandeur de ne pas se conformer à la politique de l’UHN en matière de vaccination contre la COVID-19.

II. Contexte

[2] Le demandeur s’est représenté lui-même à l’audience. Il a travaillé à l’UHN à titre d’analyste en technologie de l’information de 2006 à novembre 2021. Il a indiqué qu’au cours des 16 années précédant la pandémie, il travaillait la moitié du temps à la maison et l’autre moitié du temps, au bureau. Il a dit qu’il avait rarement des interactions avec le personnel ou les patients. Après le début de la pandémie de COVID-19, il s’est mis à travailler à temps plein à la maison.

[3] En août 2021, l’UHN a mis en œuvre une politique de vaccination contre la COVID-19 conformément à la Directive no 6, qui exigeait que tous les employés de la santé publique fournissent leur dossier de vaccination complet contre la COVID-19 ou reçoivent une exemption pour des raisons médicales ou au titre du Code des droits de la personne de l’Ontario (la politique). Cette directive a été mise en œuvre en application de l’article 77.7 de la Loi sur la protection et la promotion de la santé, LRO 1990, c H7, qui exigeait que les organismes de santé publique de l’Ontario établissent et mettent en œuvre une politique de vaccination contre la COVID-19 et en assurent le respect.

[4] Tout au long des mois d’août et de septembre 2021, l’UHN a envoyé plusieurs courriels à ses employés pour leur rappeler l’obligation de se faire vacciner contre la COVID-19. Bien que l’une de ces communications ait donné l’impression que les employés travaillant à distance n’avaient pas besoin de se faire vacciner, des communications ultérieures ont précisé que tous les employés devaient se faire vacciner, à moins qu’ils n’aient reçu une exemption. Ces communications comprenaient les suivantes :

  • Le 19 août 2021, l’UHN a informé ses employés par courriel qu’il mettait à jour sa politique sur les vaccins contre la COVID-19 afin de se conformer à la Directive no 6. Tous les membres du personnel devaient prouver leur statut vaccinal [traduction] « à l’exception de ceux qui ont une exception médicale ».

  • Le 25 août 2021, l’UHN a envoyé un courriel de suivi pour répondre aux préoccupations et aux questions fréquemment posées. Selon les réponses à ces questions, l’exigence de vaccination n’était pas obligatoire pour les quelques employés qui ne sont jamais tenus de travailler sur place. Ces réponses indiquaient également ce qui suit : [traduction] « [t]outefois, si votre situation change et que vous occupez un poste qui exige que vous vous rendiez sur place, même si c’est très rare, vous devez vous faire vacciner ».

  • Le 31 août 2021, l’UHN a dit au personnel que [traduction] « tous les employés » devaient prouver leur statut vaccinal. Ce courriel ne mentionnait aucune exception pour les employés travaillant à distance.

  • Le 13 septembre 2021, l’UHN a de nouveau rappelé au personnel, par l’entremise d’un courriel, que [traduction] « tous les employés doivent télécharger leurs attestations de vaccination ». Les seules exceptions énumérées étaient les motifs médicaux et ceux prévus au Code des droits de la personne (le Code). Ce message clarifiait de la façon suivante les commentaires sur le travail à distance contenus dans les réponses aux questions fréquemment posées :

[Traduction]

R : L’objectif de la politique sur le travail à distance est de permettre aux membres de notre personnel d’avoir une certaine souplesse dans la façon dont ils effectuent leur travail. La grande majorité des employés de l’UHN sont considérés comme essentiels et, par conséquent, ils peuvent être rappelés à leur lieu de travail à tout moment. Conformément à la politique sur la continuité des activités, les personnes rappelées au travail devront se conformer à la politique sur la vaccination contre la COVID-19. Il y a très peu d’employés de l’UHN qui travaillent à distance à temps plein et qui peuvent donc être exemptés. Chaque situation sera examinée au cas par cas.

[5] Le 21 septembre 2021, le demandeur a demandé une exemption en invoquant le Code. Cette demande a été rejetée par l’UHN le 4 octobre 2021. La demande du demandeur était fondée sur le fait qu’il ne souscrivait pas à la politique, mais elle ne précisait aucun motif de discrimination prévu dans le Code. Comme sa demande d’exemption a été refusée, l’UHN a rappelé au demandeur qu’il serait congédié le 22 octobre 2021 s’il ne fournissait pas de preuve de vaccination contre la COVID-19. L’UHN lui a également dit qu’il pourrait éviter le congédiement en réservant une première dose de vaccin contre la COVID-19.

[6] Le demandeur n’a pas pris de mesures pour obtenir un vaccin contre la COVID-19 et, par conséquent, l’UHN a mis fin à son emploi le 2 novembre 2021.

[7] Le 18 décembre 2021, le demandeur a présenté une demande de prestations ordinaires d’assurance-emploi. Ces prestations sont régies par la Loi sur l’assurance-emploi, LC 1996, c 23 (LAE), qui établit un régime d’assurance public pour préserver la sécurité économique et assurer la réintégration des travailleurs canadiens sur le marché du travail. Elle atteint cet objectif en versant des prestations d’assurance-emploi aux personnes dont les revenus sont interrompus. Les articles 29 à 33 de la LAE stipulent que la perte d’emploi d’une personne n’est assurable que si elle est involontaire. Par conséquent, la personne qui quitte volontairement son emploi sans « motif valable » ou perd son emploi en raison de sa propre inconduite ne peut recevoir de prestations d’assurance-emploi. Voir les dispositions pertinentes de la LAE reproduites à l’annexe A.

[8] Le 5 mai 2022, la Commission a refusé de verser des prestations d’assurance-emploi au demandeur parce qu’elle a conclu qu’il avait perdu son emploi en raison de sa propre inconduite. Le 22 juillet 2022, la Commission a confirmé sa décision dans le cadre d’un réexamen. Le demandeur a interjeté appel de cette décision auprès de la division générale le 14 août 2022.

[9] La division générale a confirmé la décision de la Commission et a conclu que le demandeur avait été congédié parce qu’il avait refusé de suivre la politique de vaccination de l’UHN qui avait été mise en œuvre pour protéger le personnel et les clients pendant la pandémie. Ce refus constituait une inconduite au sens de la LAE parce qu’il s’agissait d’un manquement intentionnel aux obligations liées à l’emploi du demandeur, et celui-ci savait (ou aurait dû savoir) que ce manquement entraînerait probablement son congédiement.

[10] La division d’appel n’a relevé aucune erreur susceptible de contrôle de part de la division générale lorsqu’elle a tranché la question de l’inconduite. Elle a conclu que la division générale avait évalué cette question en examinant les paramètres établis dans la jurisprudence : décision de la division d’appel, au paragraphe 34, citant Paradis c Canada (Procureur général), 2016 CF 1282; voir aussi l’arrêt Canada (Procureur général) c McNamara, 2007 CAF 107. Selon la décision de la division générale [TRADUCTION] « il est bien établi qu’une violation délibérée de la politique de l’employeur est considérée comme une inconduite au sens de la Loi sur l’assurance-emploi » : décision de la division d’appel, au paragraphe 25, citant Canada (Procureur général) c Bellavance, 2005 CAF 87 [Bellavance]; Canada (Procureur général) c Gagnon, 2002 CAF 460.

[11] La division d’appel a confirmé la conclusion de la division générale selon laquelle le demandeur avait fait un choix personnel et délibéré de ne pas suivre la politique de l’employeur, ce qui a entraîné son congédiement pour inconduite.

III. Question en litige

[12] La seule question à trancher dans la présente demande est celle de savoir si la division d’appel a agi raisonnablement en refusant au demandeur l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la division générale.

IV. Norme de contrôle

[13] La norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à la décision par laquelle la division d’appel refuse une autorisation d’interjeter appel est celle du caractère raisonnable : Bhamra c Canada (Procureur général), 2023 CAF 121 [Bhamra] au para 3, citant Cameron c Canada (Procureur général), 2018 CAF 100.

[14] La division générale n’accorde une telle autorisation que dans un nombre limité desituations, et elle ne le fait que si l’appelant peut démontrer que l’appel a une chance raisonnable de succès (Bhamra, au para 15, citant le para 58(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34 (LMEDS). Pour déterminer si la décision de la division générale est raisonnable, la cour de révision doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 86 et 99.

V. Analyse

A. Question préliminaire

[15] Plusieurs des pièces jointes à l’affidavit du demandeur sont inadmissibles. Les pièces 15 à 18 et 22 concernent l’employeur du demandeur et ses politiques, certaines antérieures, d’autres actuelles. Le demandeur a soutenu qu’il s’agissait de renseignements généraux et qu’ils devraient être autorisés. Je ne suis pas d’accord.

[16] En règle générale, seul le dossier de preuve dont disposait le décideur administratif est admissible dans le cadre d’un contrôle judiciaire : voir l’arrêt Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 [Bernard] aux para 13 à 18.

[17] Il y a trois exceptions à la règle générale selon laquelle les nouveaux éléments de preuve ne sont pas admissibles aux fins du contrôle judiciaire :

  • 1)les éléments de preuve qui fournissent des renseignements contextuels généraux dans des circonstances où ces renseignements pourraient aider à comprendre les questions que soulève le contrôle judiciaire;

  • 2)les éléments de preuve nécessaires pour signaler au tribunal les manquements à l’équité procédurale qui ne figurent pas dans le dossier de preuve du décideur administratif;

  • 3)les éléments de preuve pour faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le décideur administratif.

Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2018 CAF 153 aux para 97 et 98.

[18] Or, ces pièces ne correspondent à aucune des exceptions à la règle selon laquelle les nouveaux éléments de preuve ne sont pas admissibles. Ces éléments de preuve ne sont pas non plus pertinents et ils n’ont aucune importance parce qu’ils sont axés sur l’efficacité de la politique et du comportement de l’UHN (plutôt que sur le critère de l’inconduite aux fins de l’assurance-emploi). Les pièces 15 à 18 et 22 jointes à l’affidavit du demandeur ne seront donc pas prises en considération.

B. Le droit

[19] Conformément au paragraphe 58(2) de la LMEDS, l’autorisation ne peut être accordée que si le prestataire convainc la division d’appel que l’appel proposé a une chance raisonnable de succès pour l’un des trois motifs énumérés dans le paragraphe.

[20] Selon l’article 58 de la LMEDS, la division d’appel est habilitée à rejeter la décision de la division générale seulement si elle juge que cette dernière n’a pas respecté un principe de justice naturelle, a commis une erreur de droit ou a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance : voir la décision Cecchetto c Canada (Procureur général), 2023 CF 102 [Cecchetto] au para 22, citant Cameron c Canada (Procureur général), 2018 CAF 100 [Cameron] au para 2.

[21] Pour ce faire, la division d’appel doit d’abord décider d’accorder ou non au demandeur l’autorisation d’interjeter appel. Selon le paragraphe 58(2) de la LMEDS, l’autorisation ne peut être accordée que si le prestataire convainc la division d’appel que l’appel proposé a une chance raisonnable de succès pour l’un des trois motifs susmentionnés : voir l’arrêt O’Rourke c Canada (Procureur général), 2019 CAF 60 au para 9; Mishibinijima c Canada (Procureur général), 2007 CAF 36 au para 14. Comme la Cour l’a déclaré dans la décision Osaj c Canada (Procureur général), 2016 CF 115, « le fait d’avoir une “chance raisonnable de succès” consiste à disposer de certains motifs défendables grâce auxquels l’appel proposé pourrait avoir gain de cause » (voir le paragraphe 12).

C. Conclusions du Tribunal de la sécurité sociale quant à l’inconduite

[22] La présente affaire porte sur le concept d’inconduite dans le cadre de la LAE, qui prévoit que le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il a perdu son emploi en raison de son inconduite : voir l’article 30 de la LAE. Bien que le terme « inconduite » ne soit pas défini dans la loi, sa définition a été clairement énoncée dans la jurisprudence.

[23] Pour déterminer si l’inconduite pourrait mener au congédiement, il doit exister un lien de causalité entre l’inconduite reprochée au prestataire et son emploi. Autrement dit, l’inconduite doit constituer un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail : Canada (Procureur général) c Lemire, 2010 CAF 314 [Lemire] au para 14. De plus, comme la Cour d’appel fédérale l’a conclu, au paragraphe 15 de l’arrêt Lemire, « [i]l ne s’agit pas […] de décider si le congédiement est justifié ou non au sens du droit du travail, mais plutôt de déterminer selon une appréciation objective de la preuve s’il s’agit d’une inconduite telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible de provoquer son congédiement ».

[24] Le demandeur soutient que la division d’appel a mal interprété le terme « inconduite » et que, par conséquent, elle a commis une erreur en concluant que son refus de se faire vacciner équivalait à une inconduite au sens de la LAE. Le demandeur soutient que sa décision de ne pas se faire vacciner contre la COVID-19 n’est pas une inconduite volontaire, mais plutôt une [traduction] « conséquence inévitable des tactiques d’intimidation de l’employeur ». Je ne suis pas d’accord.

[25] Dans l’arrêt Nelson c Canada (Procureur général), 2019 CAF 222 [Nelson], la Cour d’appel fédérale est claire : « il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié » : voir au para 21; voir aussi l’arrêt Bellavance, au para 9). En l’espèce, comme dans l’affaire Nelson, le demandeur était au courant de la politique et a choisi volontairement de ne pas la suivre, même après avoir été avisé que son exemption avait été refusée et que, sans le vaccin contre la COVID, il serait congédié.

[26] Compte tenu de ce qui précède, il était raisonnable que la division d’appel confirme la conclusion de la division générale selon laquelle la décision volontaire et délibérée du demandeur de ne pas se faire vacciner constituait un manquement à une obligation expresse énoncée dans la politique. Bien que cette politique ne figure pas explicitement dans le contrat de travail du demandeur, il s’agit d’une politique de sécurité au travail que l’employeur a imposée pour protéger la santé et la sécurité de tous ses employés. La politique impose donc des obligations à tous ses employés. La division générale a également conclu que le demandeur avait été informé de la politique de l’employeur et qu’il avait eu le temps de s’y conformer. La politique prévoyait des exemptions pour des raisons religieuses ou médicales. Le demandeur a présenté une demande d’exemption, qui ne lui a pas été accordée.

[27] Même s’il est clair que le demandeur n’est pas d’accord avec l’UHN pour dire que cette politique protégeait sa santé et sa sécurité, la seule question pertinente que la division générale devait trancher était celle de savoir si le demandeur savait que sa décision volontaire de ne pas se faire vacciner pourrait entraîner son congédiement. Compte tenu de cela, il était raisonnable que la division d’appel confirme la conclusion de la division générale selon laquelle le demandeur connaissait la politique, ainsi que les conséquences de ne pas la suivre.

[28] La division d’appel a conclu que la division générale n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a tranché la question de l’inconduite. Au paragraphe 36 de sa décision, la division d’appel a conclu que le demandeur n’avait pas relevé d’erreurs de droit ou de conclusions de fait erronées et qu’il n’avait relevé aucun problème d’équité procédurale. Étant donné que le demandeur n’a pas relevé d’erreur susceptible de contrôle, la division d’appel a refusé l’autorisation d’interjeter appel parce que l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès.

[29] Bien que le demandeur ait soutenu que la division générale avait commis une erreur en concluant que la politique faisait partie de son contrat de travail et qu’il avait manqué à son contrat en ne se faisant pas vacciner, la division d’appel a conclu : i) qu’un employeur a l’obligation de prendre toutes les précautions raisonnables pour protéger la santé et la sécurité de ses employés dans son milieu de travail; et ii) que ces précautions comprennent des politiques de vaccination obligatoire imposées par la province.

[30] Le demandeur a soutenu que comme sa lettre d’emploi n’était pas un contrat de travail et qu’elle ne prévoyait pas qu’il devait recevoir un vaccin contre la COVID-19, il ne pouvait pas être congédié au motif qu’il avait omis de se faire vacciner. Or, un examen plus approfondi de sa lettre d’emploi permet de constater que cette dernière énumérait en fait un certain nombre d’attestations de vaccination qu’il devait fournir pour être employé. La COVID-19 était inconnue au moment où le demandeur a reçu cette lettre et elle fait maintenant partie des nombreux vaccins que toute personne qui souhaite occuper un emploi dans l’établissement de soins de santé en question doit attester avoir reçus. Le demandeur devait s’attendre à ce que la lettre d’emploi soit assujettie à des politiques mises en œuvre au fil du temps et qu’il soit informé de ces changements de politique qui s’ajouteraient éventuellement à ses conditions d’emploi.

[31] Le juge Pentney a récemment rendu une décision très semblable, dans laquelle il a conclu qu’un employé congédié pour inconduite parce qu’il avait refusé de se faire vacciner contre la COVID-19, contrairement à la politique de vaccination d’un employeur, n’a pas droit aux prestations d’assurance-emploi : voir la décision Cecchetto.

[32] Comme dans l’affaire Cecchetto, le demandeur dans la présente affaire était au courant des conséquences du non-respect de la politique compte tenu des nombreuses communications de l’UHN en expliquant les conséquences. Le demandeur a également eu l’occasion de remédier à la situation à plusieurs reprises. Le demandeur savait que sa demande d’exemption avait été refusée. Sa décision volontaire de ne pas se conformer à la politique constituait une inconduite volontaire dans ce contexte.

[33] J’estime qu’il était raisonnable de la part de la division d’appel de conclure que le demandeur n’avait aucune chance raisonnable de réussir à faire valoir que ses actions ne constituaient pas une inconduite au sens de la LAE.

D. Autres arguments

[34] Le demandeur a soutenu que la division d’appel a commis une erreur de droit en concluant qu’il avait manqué à ses obligations contractuelles en omettant de se faire vacciner. Comme je l’ai mentionné ci-dessus, la division d’appel a agi raisonnablement en concluant que les arguments du demandeur au sujet de son contrat de travail ne justifiaient pas une intervention de sa part. Comme la Cour d’appel fédérale l’a conclu dans l’arrêt Nelson, il n’est pas nécessaire que la politique écrite d’un employeur figure dans le contrat d’emploi original pour justifier l’inconduite : voir aux para 22-26. Une politique écrite communiquée à un employé peut constituer en soi une preuve suffisante de sa connaissance objective que le non-respect de cette politique « étai[t] de nature à entraîner son congédiement ». Le contrat et la lettre d’offre du demandeur ne comprennent pas toutes les modalités, expresses ou implicites, de son emploi à l’UHN. Il est bien accepté en droit du travail que les employés ont l’obligation de respecter les politiques de santé et de sécurité mises en œuvre par leur employeur au fil du temps.

[35] Le demandeur a indiqué qu’après son congédiement, il a appris qu’il n’avait pas été payé pour trois jours pendant lesquels il avait travaillé. Le demandeur soutient que s’il avait su qu’il ne serait pas payé pour ces trois jours, il aurait pu invoquer un congédiement déguisé dans sa demande d’assurance-emploi. Or, s’il avait souhaité invoquer un congédiement déguisé, il aurait fallu qu’il le fasse devant une autre instance, un tel argument ne s’appliquant pas au présent refus de l’assurance-emploi.

[36] Compte tenu de ce qui précède, il était raisonnable de la part de la division d’appel de conclure que ces arguments n’avaient aucune chance raisonnable de succès en appel. La division d’appel a cité deux décisions pour étayer cette conclusion. Premièrement, elle a souligné les paragraphes 30 à 34 de la décision Paradis, dans lesquels la Cour a conclu qu’il « reviendra à une autre instance de régler » la question du congédiement injustifié et des autres arguments visant à sanctionner la conduite de l’employeur. Le Tribunal de la sécurité sociale a également invoqué l’arrêt Mishibinijima, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a conclu que l’obligation d’un employeur de prendre des mesures d’adaptation n’est pas pertinente pour trancher la question de l’inconduite dans le cadre de l’assurance-emploi.

[37] De plus, contrairement à ce que le demandeur laisse entendre, le Tribunal de la sécurité sociale n’est pas tenu d’axer son analyse sur le libellé du contrat ou de déterminer si le demandeur a été congédié à juste titre selon les principes du droit du travail lorsqu’il examine la question de l’inconduite dans le cadre de la LAE. Au lieu de cela, comme il est indiqué ci-dessus, le critère de l’inconduite est axé sur la question de savoir si le prestataire a intentionnellement commis un acte (ou omis de commettre un acte), contrairement à ses obligations professionnelles.

[38] Pour tous les motifs qui précèdent, il était raisonnable de la part de la division d’appel de conclure que les arguments du demandeur concernant son contrat de travail et son congédiement déguisé n’avaient aucune chance raisonnable de succès.

[39] Un autre argument du demandeur était le fait que la politique avait pour objectif de le forcer à subir un traitement médical contre son gré. Il a dit que c’était complètement unilatéral, que, selon l’employeur [TRADUCTION] « c’est comme ça et pas autrement », et qu’il s’agissait-là d’une erreur. Il a déclaré qu’il n’avait pas donné son consentement et qu’il avait légalement le droit d’accepter ou non de recevoir des soins médicaux. Le demandeur a déclaré qu’il était alarmant que la politique soit devenue obligatoire, sans solution de rechange, et que l’objectif de cette dernière était de le forcer à recevoir un traitement médical. Encore une fois, cet argument porte sur la question de savoir si le demandeur souscrivait ou non à la politique, et non s’il avait droit à l’assurance-emploi.

[40] De plus, la demande d’exemption du demandeur était problématique parce qu’elle était vague et qu’il s’agissait d’une réponse générale qui ne mentionnait pas pourquoi il était admissible à l’exemption. Lors de son entrevue de départ, lorsqu’il a voulu savoir pourquoi il n’était pas exempté de la politique, la seule réponse qu’il a obtenue était qu’il se pouvait qu’il soit appelé à l’hôpital et qu’il devait donc être vacciné. Il a dit que personne n’avait vraiment cherché à savoir pourquoi il ne pourrait pas avoir recours à des tests s’il était appelé à se présenter sur place. Il a soutenu que tout cela faisait en sorte que le refus de lui verser des prestations d’assurance-emploi était une erreur.

[41] Encore une fois, bien que ces deux derniers arguments puissent être des arguments en droit du travail que le demandeur pourrait faire valoir devant une autre instance, ils n’ont aucune incidence sur la conclusion quant à son inconduite.

E. Équité procédurale

[42] Le demandeur a soutenu que la division d’appel avait manqué à l’équité procédurale en [traduction] « tronquant son analyse sans appliquer pleinement les principes juridiques essentiels établis dans la jurisprudence pour en arriver à sa conclusion quant à l’inconduite ».

[43] Après avoir examiné la décision de la division d’appel, je ne relève aucun problème d’équité procédurale. Je suis d’accord avec la division d’appel pour dire que le demandeur n’a relevé aucune erreur susceptible de contrôle, par exemple sur le plan de la compétence de la division générale ou quant au non-respect par celle-ci d’un principe de justice naturelle : voir la décision de la division d’appel, au para 36.

F. Pertinence

[44] La division d’appel et la division générale ont pris le temps, dans la présente affaire, de répondre à bon nombre des arguments du demandeur, dont plusieurs n’étaient pas pertinents pour trancher la demande dont elles étaient saisies. Il n’est pas déraisonnable de la part d’un décideur de ne pas aborder les arguments juridiques lorsqu’ils dépassent la portée de son mandat prévu par la loi. Comme le juge Pentney l’a conclu dans l’affaire Cecchetto :

[Traduction]

[46] [I]l est probable que le demandeur trouvera ce résultat frustrant, parce que mes motifs ne traitent pas des questions juridiques, éthiques et factuelles fondamentales qu’il soulève. C’est parce que bon nombre de ces questions dépassent la portée de la présente affaire. Il n’est pas déraisonnable de la part d’un décideur de ne pas tenir compte d’arguments juridiques qui dépassent la portée de son mandat prévu par la loi.

[Non souligné dans l’original.]

[47] La division générale et la division d’appel ont un rôle important à jouer dans le système juridique, mais ce rôle est étroit et précis. En l’espèce, ce rôle consistait à déterminer pourquoi le demandeur avait été congédié et si le motif de son congédiement était une « inconduite ». C’est exactement ce qu’elles ont fait, et le demandeur n’a présenté aucun argument juridique ou factuel qui me convainc que la décision de la division d’appel est déraisonnable.

[45] Je n’aborderai pas non plus certaines des observations du demandeur, ce qui, comme l’a conclu le juge Pentney, pourrait être frustrant pour le demandeur. Je n’aborderai pas les arguments du demandeur concernant un certain nombre de lois fédérales et provinciales sur la santé et les hôpitaux qui se rapportent à ses arguments contre la politique de vaccination obligatoire. Je n’aborderai pas non plus ses arguments selon lesquels l’immunité naturelle acquise n’avait pas non plus été prise en compte. Ces arguments ne sont pas pertinents en ce qui concerne la présente décision, pas plus qu’ils n’étaient des arguments que la division générale ou la division d’appel devaient prendre en considération au moment de décider de la raison pour laquelle le demandeur avait été congédié. Je ne me prononcerai pas non plus sur sa participation alléguée à un recours collectif, car ces arguments dépassent aussi la portée de la décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire.

[46] Aucune partie n’a demandé de dépens et aucuns dépens ne sont accordés.

VI. Conclusion

[47] Je ne suis pas convaincue que la division d’appel ait commis de quelconques erreurs qui justifieraient d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. En refusant l’autorisation d’interjeter appel, la division d’appel a raisonnablement examiné si le demandeur avait soulevé l’une ou l’autre des erreurs susceptibles de contrôle énumérées au paragraphe 58(1) de la LMEDS et si l’appel avait, en définitive, une chance raisonnable de succès, comme elle était tenue de le faire en application du paragraphe 58(2) de la LMEDS.

[48] Pour les motifs qui précèdent, la demande sera rejetée, sans dépens.

 


JUGEMENT dans le dossier T-186-23

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont accordés.

« Glennys L. McVeigh »

Vide

Juge

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-186-23

 

INTITULÉ :

WIESLAW KUK c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 JUILLET 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 AOÛT 2023

 

COMPARUTIONS :

Weislaw Kuk

 

pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Jordan Fine

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Gatineau (Québec)

 

pour le DÉFENDEUR

 

 

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