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Date : 20230920

Dossier : IMM-6267-22

Référence : 2023 CF 1263

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 20 septembre 2023

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

LEUL EYASU TSEGAY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Par décision datée du 25 mai 2022, un agent de migration a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur au Canada, en raison d’une interdiction de territoire au titre de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la « LIPR »).

[2] L’agent a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était membre du Front populaire de libération de l’Érythrée (le FPLE), au début des années 1990. et que cette organisation était instigatrice ou auteure d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force.

[3] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur soutient que la décision de l’agent est déraisonnable et doit être annulée, au vu des principes énoncés dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demande doit être rejetée.

I. Les faits à l’origine de la présente demande

[5] Le demandeur est citoyen de l’Érythrée. En 1990, à l’âge de 18 ans, il s’est joint, avec ses amis, à la « lutte armée » menée par le FPLE sur le territoire de l’actuel État d’Érythrée, contre le gouvernement de l’Éthiopie.

[6] Le demandeur a suivi une formation militaire de cinq mois et a été affecté à une brigade du FPLE. Il a travaillé comme conducteur avant de devenir instructeur pour la conduite de gros véhicules et de chars d’assaut.

[7] En mai 1993, l’Érythrée a obtenu son indépendance à l’égard de l’Éthiopie.

[8] Le demandeur a continué à exercer ses fonctions de conducteur, et parfois d’instructeur, jusqu’en avril 1994, époque à laquelle il a été démobilisé.

[9] En décembre 2018, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada, au titre d’un programme de parrainage des réfugiés.

[10] Au début du mois de mars 2022, un agent (qui n’est pas le dernier décideur) a interrogé le demandeur et a consigné les notes de cette entrevue dans le Système mondial de gestion des cas (« le SMGC »).

[11] Le 22 mars 2022, le même agent a envoyé une lettre d’« équité procédurale » (la « LEP ») au demandeur. Cette lettre soulevait des questions sur son éventuelle interdiction de territoire au Canada, en raison de sa qualité potentielle de membre du FPLE, en tant qu’organisation instigatrice ou auteure d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force, et se livrant à des actes de terrorisme.

[12] Le demandeur a répondu à la LEP par deux lettres, l’une non datée et l’autre datée du 12 avril 2022. Je désignerai ces lettres comme étant respectivement la première et la deuxième réponse du demandeur à la LEP.

[13] Par lettre de décision datée du 25 mai 2022, un agent de migration a rejeté sa demande. Le même jour, l’agent de migration a consigné des notes dans le SMGC.

II. Analyse

A. La norme de contrôle

[14] Comme l’ont fait valoir les deux parties, la norme de contrôle du fond de la décision de l’agent de migration est la décision raisonnable. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable consiste en une appréciation, à la fois empreinte de déférence et rigoureuse, de la question de savoir si la décision administrative est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, aux para 12, 13, 15. Le contrôle doit d’abord porter sur les motifs du décideur, lesquels doivent être interprétés de façon globale et contextuelle et lus en corrélation avec le dossier dont il était saisi. Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, particulièrement aux para 85, 91-97, 103, 105, 106, 194; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 RCS 900 aux para 2, 28-33, 61.

[15] Les erreurs que comporte une décision, ou les préoccupations qu’elle soulève, ne justifient pas toutes l’intervention de la Cour. Pour intervenir, la cour de révision doit être convaincue que la décision « souffre de lacunes graves » à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Pour rendre la décision déraisonnable, les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires, mais doivent au contraire être suffisamment capitales ou importantes : Vavilov, au para 100; Société canadienne des postes, au para 33; Alexion Pharmaceuticals Inc c Canada (Procureur général), 2021 CAF 157, [2022] 1 RCF 153 au para 13.

[16] À moins de circonstances exceptionnelles, le rôle de la Cour, dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, n’est pas d’approuver ou de désapprouver la décision faisant l’objet du contrôle, ni d’apprécier à nouveau la preuve ou le bien-fondé de la décision : Vavilov, aux para 125-126.

[17] Il incombe au demandeur de démontrer que la décision est déraisonnable : Vavilov, aux para 75, 100.

B. Les principes juridiques de l’article 33 et de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR

[18] Aux termes de l’article 33 de la LIPR, la norme de preuve applicable aux faits énoncés à l’article 34 correspond aux « motifs raisonnables de croire ». Cette norme exige « davantage qu’un simple soupçon, mais rest[e] moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile [...] La croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi » : Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 RCS 100 au para 114; Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 RCF 344 au para 89; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Gaytan, 2021 CAF 163 au para 40.

[19] Les deux parties ont à juste titre reconnu l’interprétation large et libérale qui doit être faite du mot « membre » utilisé à l’alinéa 34(1)f) : Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, [2005] 3 RCF 487 aux para 27-29, 31, 32. Une telle interprétation de la qualité de membre est conforme aux objectifs de sécurité publique et de sécurité nationale de l’alinéa 34(1)(f) : Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86, [2016] 1 RCF 428 au para 27; Poshteh, au para 27; Canada (Public Safety and Emergency Preparedness) v Ukhueduan, 2023 FC 189 au para 21.

[20] Pour les fins de l’alinéa 34(1)f), il n’est pas nécessaire de prouver la qualité [traduction] « officielle » de membre d’une organisation; la question est seulement celle du statut de membre de la personne : Mahjoub, aux para 92, 94. La qualité de membre peut faire l’objet d’une admission : voir Ukhueduan, au para 23; Al Ayoubi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 385 au para 25; Intisar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1128 au para 23. Si la qualité de membre n’est pas admise, « la participation ou un soutien à l’organisation peut suffire selon la nature de cette participation ou de ce soutien » : Aboubakar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 181 au para 16.

[21] Pour déterminer si une personne est membre d’une organisation, le décideur évalue sa participation au sein de l’organisation en question : Kanagendren, aux para 33-38; B074 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1146 au para 29; Helal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 37 au para 27. Certains facteurs peuvent donner à penser que la personne était effectivement un membre de l’organisation et d’autres facteurs peuvent donner à penser le contraire. Tous ces facteurs doivent être examinés et soupesés avant d’aboutir à une conclusion : Kanagendren, au para 36; B074, au para 29; Anteneh v Canada (Public Safety and Emergency Preparedness), 2023 FC 513 au para 29. Dans la décision B074, la Cour a identifié trois facteurs à prendre en compte : la nature des activités de la personne au sein de l’organisation, la durée de cette participation, et le degré de l’engagement de la personne à l’égard des buts et objectifs de l’organisation : B074, au para 29.

[22] Toutefois, la qualité de membre n’exige pas que la personne ait été impliquée dans de quelconques activités violentes ou en ait été complice : Mahjoub, aux para 96, 97; Kanagendren, au para 22. Il n’est pas nécessaire que le membre d’une organisation, au sens de l’alinéa 34(1)f), soit un « véritable » membre ayant contribué de façon significative aux actes répréhensibles du groupe : Kanagendren, aux para 13, 22. Le critère juridique de la qualité de membre ne requiert pas non plus d’apprécier le niveau d’intégration de la personne dans l’organisation : Poshteh, aux para 30-32.

[23] En plus de prévoir la norme de preuve des « motifs raisonnables de croire », à l’article 33, et la large gamme de comportements qui donnent lieu à une interdiction de territoire en tant que « membre » d’une organisation, à l’alinéa 34(1)f), la LIPR confère au ministre le pouvoir d’accorder une dispense relativement à l’interdiction de territoire : LIPR, art 42.1; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3 au para 110; Kanagendren, au para 26; Gaytan, au para 76; Ugbazghi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 694, [2009] 1 RCF 454 au para 47; Il a été suggéré qu’une demande de dispense ministérielle pouvait être fondée sur des considérations telles que le caractère limité ou bref de la participation dans l’organisation, sur le fait de ne pas avoir connaissance de ses activités terroristes, ou encore sur l’argument du caractère justifié des activités de l’organisation en ce qu’elles constituent une lutte contre un régime brutal ou en faveur de l’autodétermination : Gaytan, aux para 80-82; Hagos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1214 aux para 32, 62-65.

C. La décision de l’agent est-elle déraisonnable?

[24] Le demandeur a contesté la décision de l’agent de migration en alléguant l’insuffisance de la preuve relative à sa qualité de « membre » du FPLE. Le demandeur n’a pas admis, mais n’a pas non plus contesté, la conclusion de l’agent de migration selon laquelle le FPLE était une organisation instigatrice ou auteure d’actes visant au renversement par la force du gouvernement de l’Éthiopie, et se livrait au terrorisme.

[25] Le demandeur a fait valoir sa [traduction] « participation limitée et forcée » au sein du FPLE. Plus précisément, il a plaidé ne pas avoir eu le choix de s’engager au sein de cette organisation; Cet engagement était plutôt obligatoire et nécessaire pour [traduction] « sauver [sa] vie ». Le demandeur a également soutenu que sa participation était simplement à titre de conducteur dans le domaine « civil » du transport. Il a ajouté qu’il ne faisait pas partie de l’armée, n’avait eu connaissance d’aucune atrocité, et n’avait pas participé aux combats. Selon le demandeur, même si le terme « membre » fait l’objet d’une interprétation large et libérale, la nature limitée de sa participation aurait dû conduire à la conclusion qu’il n’était pas un « membre » du FPLE.

[26] La position du défendeur est que la décision de l’agent de migration est raisonnable, compte tenu de l’interprétation large de la notion de« membre » d’une organisation, au sens de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Le défendeur a fait valoir que, compte tenu de la jurisprudence relative à la qualité de membre, le dossier factuel (y compris les deux réponses écrites du demandeur à la LEP) étayait les conclusions de l’agent de migration.

[27] La preuve a révélé que le demandeur s’était joint au FPLE en 1990 avec ses amis, alors qu’il avait 18 ans, et qu’il y a été engagé jusqu’en 1994. Le demandeur a indiqué qu’il n’avait pas eu d’autre choix que d’y adhérer. Il a ajouté qu’il avait suivi une formation de base d’une durée de cinq mois. Il a ensuite été affecté à la conduite de camions, parce qu’il avait de l’expérience comme conducteur. Plus tard, il a agi comme instructeur pour la conduite de gros camions et de chars d’assaut. Durant son entrevue, il s’est lui-même décrit comme un soldat. Dans ses réponses à la LEP, il a déclaré être un [traduction] « [e]x-combattant ».

[28] L’analyse de l’agent de migration, contenue dans les notes du SMGC, a pris en compte cinq points relatifs à la position du demandeur selon laquelle il [traduction] « a[vait] adhéré par nécessité ou coercition » :

  • a)le demandeur a déclaré par écrit qu’il avait 18 ans quand il s’était [traduction] « joint à la lutte armée érythréenne » avec ses amis;

  • b)lors de l’entrevue, il lui a été demandé s’il était [traduction] « conscrit ou soldat ». Il a répondu : [traduction] « J’étais soldat en 1990. J’avais 16 ans [le demandeur avait en fait 18 ans]. À cette époque, tout le monde est devenu soldat » [commentaire inséré par l’agent de migration];

  • c)rien n’indique, ni dans la demande écrite du demandeur ni dans le cadre de son entrevue, qu’il aurait été contraint d’adhérer au FPLE. De plus, le demandeur n’a soulevé ce point qu’après que des préoccupations ont été exprimées à cet égard;

  • d)le demandeur a fait partie du FPLE pendant une [traduction] « période importante (1990-94) »;

  • e)le demandeur avait [traduction] « accès à des ressources (véhicules) qui pouvaient lui permettre de s’enfuir, s’il le souhaitait ».

[29] Lors de l’audience devant la Cour, dans ses observations, le demandeur a souligné qu’il était adolescent lorsqu’il s’était engagé en 1990 et qu’il n’avait eu [traduction] « aucun choix » à cet égard. Le demandeur a fait valoir que, d’après les éléments de preuve sur la situation en Érythrée, les personnes qui, à l’époque, tentaient de refuser de se joindre au FPLE, étaient emprisonnées. Malheureusement, le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve sur la situation du pays devant l’agent de migration (ni devant la Cour). pour étayer cet argument. Ce dernier est donc voué à l’échec.

[30] Le demandeur avait bel et bien affirmé, en réponse à la LEP, qu’il avait été contraint de se joindre au FPLE. Toutefois, l’agent de migration pouvait conclure autrement en se fondant sur le dossier factuel. Les cinq points énumérés ci-dessus étaient fondés sur les notes du SMGC, relatives à l’entrevue du demandeur, et sur ses réponses écrites à la LEP. En faisant application du principe de déférence énoncé dans l’arrêt Vavilov, rien ne permet à la Cour d’intervenir sur la question de savoir si c’est par nécessité ou coercition que le demandeur s’est joint au FPLE, en 1990.

[31] Le demandeur a également fait valoir que sa participation au sein du FPLE était limitée et ne pouvait suffire pour conclure à sa qualité de membre de cette organisation. L’agent de migration a conclu que le demandeur faisait partie de [traduction] « l’aile militaire du FPLE » et ne travaillait pas simplement dans le domaine [traduction] « civil » du transport, comme le soutenait le demandeur.

[32] La conclusion de l’agent de migration, selon laquelle le demandeur faisait partie de l’aile militaire du FPLE, était expressément fondée sur les éléments de preuve fournis par le demandeur lui-même, soit les faits suivants :

  • le demandeur avait suivi une formation militaire d’une durée de 5 mois, avait été affecté à une brigade spécifique, et avait servi sous l’autorité du ministère de la Défense jusqu’en avril 1994;

  • lors de son entrevue, le demandeur s’était lui-même décrit comme un [traduction] « soldat »;

  • en 1998, le demandeur était retourné dans l’armée pour travailler comme conducteur de chars, et avait agi comme instructeur pour la conduite de ces véhicules;

  • dans sa réponse à la LEP, le demandeur indiquait qu’il était un [traduction] « [e]x-combattant » du FPLE, et avait agi comme conducteur de poids lourds et instructeur pour la conduite de poids lourds et de chars d’assaut.

[33] Le demandeur n’a pas contesté le fondement probatoire de l’une ou l’autre de ces conclusions. Comme l’a fait valoir le défendeur, la conclusion de l’agent de migration et les constatations qui la soutiennent sont appuyées sur la preuve contenue dans le dossier.

[34] L’agent de migration a également analysé la preuve sur trois autres points, afin d’apprécier les arguments supplémentaires du demandeur, selon lesquels :

  • a)il n’a personnellement commis aucun crime contre l’humanité ni aucune atrocité, et n’était qu’un subalterne;

  • b)il n’a fait partie du FPLE que pendant 16 mois, avant l’accès de l’Érythrée à l’indépendance;

  • c)il était encore un adolescent quand il s’est joint au FPLE;

[35] Dans ses notes, consignées au SMGC, l’agent de migration a pris acte du fait que le demandeur n’avait pas été impliqué dans la commission d’atrocités et il a semblé accepter le fait qu’il occupait un rang subalterne. L’agent de migration a conclu que la durée du service du demandeur (2 ans et demi avant l’indépendance, en 1993, et sa défection, en 1994) témoignait d’un [traduction] « engagement fort » à l’égard du FPLE. L’agent a constaté que le demandeur avait 18 ans quand il s’est joint au FPLE, et qu’il était donc un adulte.

[36] Les observations du demandeur devant la Cour n’ont pas démontré que l’une ou l’autre des conclusions factuelles de l’agent de migration était expressément contredite par un élément de preuve, ni que l’agent se serait fondamentalement mépris sur un élément de preuve du dossier, ni que ses conclusions, sur les différents points, seraient incompatibles avec le dossier de preuve : Vavilov, au para 126.

[37] Il est vrai que l’agent de migration n’a pas expressément fait référence à certaines déclarations du demandeur, contenues dans ses réponses à la LEP, dont certaines ont été soulignées par le demandeur lors de l’audience. Par exemple, le demandeur a déclaré qu’il conduisait pour permettre l’installation des personnes déplacées dans des zones libérées, et qu’il conduisait des poids lourds et des véhicules utilitaires légers aux fins de livrer de l’eau et de la nourriture dans les camps abritant les personnes ayant fui la brutalité du gouvernement de l’Éthiopie. L’agent n’a pas expressément fait référence à l’explication du demandeur relative à la raison pour laquelle il s’était lui-même qualifié de [traduction] « combattant » au cours de son entrevue (dans ses réponses à la LEP, il indiquait que tous ceux qui servaient dans les zones libérées travaillaient dur et sans être rémunérés, et qu’à ce titre ils étaient des [traduction] « combattants »). Le demandeur a fait valoir que ces considérations étaient incompatibles avec la conclusion de l’agent de migration, selon laquelle le demandeur était un « membre » du FPLE, et démontraient qu’il n’en était pas un.

[38] Toutefois, les notes consignées dans le SMGC démontrent clairement que l’agent de migration avait lu les deux réponses du demandeur à la LEP. Ces notes mentionnaient expressément que l’agent avait lu les réponses du demandeur. De plus, elles démontraient que l’agent avait résumé la position générale du demandeur, et avait cité ses réponses à trois reprises. Dans ses réponses à la LEP, le demandeur avait continué à se présenter comme un [traduction] « [e]x-combattant » et comme un [traduction] « soldat pendant une longue période ». Comme l’a constaté l’agent de migration, le demandeur a également répété qu’il avait suivi une formation militaire de cinq mois, qu’il avait été affecté à une brigade spécifique, et qu’il avait agi comme conducteur de poids lourds et comme instructeur pour la conduite de poids lourds et de chars d’assaut. De plus, l’agent de migration n’était pas tenu de renvoyer à chaque élément de preuve et il est présumé avoir examiné l’ensemble de la preuve : voir, par exemple, Kot c Canada (Procureur général), 2022 FCA 133 au para 14; Caron c Canada (Procureur général), 2022 CAF 196 au para 45; Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 CF F-66, [1998] ACF no 1425 au para 16. Dans ces circonstances, je conclus que l’agent de migration n’était pas tenu d’expliciter ses conclusions factuelles à la lumière des faits supplémentaires contenus dans les deux réponses du demandeur à la LEP. En faisant application de la norme de la décision raisonnable à la présente demande de contrôle judiciaire, la Cour ne peut apprécier à nouveau la preuve qui a été présentée à l’agent de migration, ni se forger sa propre opinion sur le fond de la décision et prétendre l’imposer : Vavilov, aux para 83, 125, 126.

[39] Dans l’ensemble, le demandeur n’a pas démontré que la décision de l’agent de migration serait déraisonnable au motif qu’elle serait inintelligible, manquerait de transparence, ou ne serait pas convenablement justifiée au regard des faits qui ont une incidence sur elle; Le demandeur n’a pas allégué que l’agent de migration aurait commis une erreur de droit en dérogeant à un précédent contraignant ou en faisant une interprétation erronée du terme « membre » ou de tout autre élément de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR : voir Vavilov, aux para 112, 116-124. Compte tenu des principes juridiques applicables et de la portée du terme « membre » contenu à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, je ne décèle aucune erreur de droit notable dans la décision.

[40] Au vu des principes énoncés dans l’arrêt Vavilov, je ne suis pas convaincu qu’il existe des motifs suffisants pour qualifier la décision de l’agent de migration de déraisonnable, et justifier son annulation par la Cour.

III. Conclusion

[41] Pour les motifs qui précèdent, la demande sera rejetée.

[42] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier aux fins d’un appel, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6267-22

LA COUR STATUE :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel au titre de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

« Andrew D. Little »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


DOSSIER :

IMM-6267-22

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

LEUL EYASU TSEGAY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 juillet 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

 

LE JUGE A.D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

 

LE 20 septembre 2023

COMPARUTIONS :

Linda Kassim

Pour le demandeur

 

Leanne Briscoe

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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