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Date : 20231003


Dossier : T-1178-23

Référence : 2023 CF 1325

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 3 octobre 2023

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE:

BAYER INC. ET REGENERON PHARMACEUTICALS, INC.

demanderesses

et

BGP PHARMA ULC, faisant affaire sous le nom de VIATRIS CANADA,

ET BIOSIMILAR COLLABORATIONS

IRELAND LIMITED

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision datée du 26 mai 2023 [la décision contestée] que le ministre de la Santé [le ministre] a rendue par l’intermédiaire du Bureau des présentations et de la propriété intellectuelle [le BPPI]. Dans la décision contestée, le ministre a conclu qu’en raison d’un transfert de propriété, la défenderesse Biosimilar Collaborations Ireland Limited [BCIL] pouvait, en tant que seconde personne successeure nommée dans la présentation de drogue nouvelle [PDN], s’approprier l’avis d’allégation [AA] de la seconde personne prédécesseure, BGP Pharma ULC, faisant affaire sous le nom de Viatris Canada [Viatris]. Le ministre a conclu qu’en raison du transfert, BCIL pouvait se prévaloir des formalités déjà accomplies au titre de l’article 5 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 [le Règlement], dont la signification de l’AA visée au paragraphe 5(3) qui avait été faite préalablement.

[2] Bien que les demanderesses soutiennent que la décision contestée va à l’encontre du Règlement et que BCIL doit signifier un nouvel AA pour respecter le paragraphe 5(3) du Règlement, je juge, pour les motifs qui suivent, qu’aucune erreur susceptible de contrôle n’a été commise et que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

II. Contexte

[3] L’AA en cause dans la décision contestée précédait une action intentée en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement concernant deux brevets canadiens inscrits au registre des brevets en lien avec un médicament, l’aflibercept, commercialisé sous le nom EYLEA®. Regeneron Pharmaceuticals, Inc. [Regeneron] est la titulaire des brevets inscrits, et Bayer Inc. [Bayer] est la titulaire d’une autorisation de mise sur le marché d’EYLEA® et la première personne aux fins de l’instance introduite en vertu du Règlement.

[4] Le 16 mars 2022, Viatris a déposé une PDN afin d’obtenir un avis de conformité [AC] pour un biosimilaire d’EYLEA® appelé YESAFILI.

[5] Dans son AA signifié à Bayer le 3 mai 2022, Viatris allègue l’absence de contrefaçon et l’invalidité des deux brevets inscrits concernant EYLEA®. Le 15 juin 2022, Bayer a intenté une action en vertu du paragraphe 6(1) (dossier de la Cour no T-1241-22) et désigné Viatris comme défenderesse.

[6] Au début de 2023, la PDN relative à YESAFILI a été transférée à BCIL. Après ce transfert, le ministre a écrit aux défenderesses pour les informer que BCIL était désormais la seconde personne et leur demander, au titre du paragraphe 7(7) du Règlement, de confirmer que BCIL avait été ajoutée comme défenderesse à l’instance dans le dossier T-1241-22.

[7] Le 20 mars 2023, les avocats des défenderesses ont fourni par écrit au ministre des renseignements établissant qu’ils avaient signifié le transfert aux demanderesses. Dans leur lettre, ils autorisaient le ministre à communiquer aux demanderesses leur position selon laquelle BCIL devait être désignée comme défenderesse dans le dossier T-1241-22 et dans d’autres actions intentées en vertu de l’article 8.2 concernant la PDN relative à YESAFILI.

[8] Le 23 mars 2023, le ministre a envoyé une lettre aux avocats des demanderesses et aux avocats des défenderesses au sujet du changement de fabricant de YESAFILI. Dans cette lettre, il a affirmé que BCIL était maintenant la seconde personne visée à l’article 5 du Règlement et que [traduction] « [p]our que le BPPI puisse appliquer le paragraphe 7(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) », BCIL devait être désignée comme défenderesse dans le dossier T-1241-22. Dans une réponse envoyée le même jour, les avocats des demanderesses ont indiqué qu’ils étaient en désaccord avec le ministre et qu’ils avaient plutôt intenté une action distincte en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement contre BCIL (dans le dossier T-581-23).

[9] Le 11 avril 2023, suivant la réception de lettres subséquentes des avocats des deux parties, le ministre a rendu une décision préliminaire dans laquelle il a répondu à une demande des avocats des demanderesses, à savoir que [traduction] « le BPPI confirme par écrit qu’il n’a[vait] pas tranché définitivement la question de savoir si BCIL [pouvait] s’approprier les mesures que BGP Pharma ULC avait prises auparavant pour se conformer aux exigences de l’article 5 du [Règlement] [...], dont la signification de l’[AA] ». Dans sa lettre, il a confirmé sa position selon laquelle BCIL devait être ajoutée comme défenderesse dans le dossier T-1241-22 afin qu’il puisse appliquer le paragraphe 7(1) du Règlement. Il a ajouté que, pour parvenir à cette position, il avait conclu à titre préliminaire que BCIL pouvait s’approprier les mesures que Viatris avait prises auparavant pour se conformer à l’article 5 du Règlement, dont la signification de l’AA concernant les brevets inscrits. Il a également invité les parties à présenter d’autres observations en réponse à sa décision préliminaire.

[10] Le 26 mai 2023, suivant la réception des observations supplémentaires des demanderesses et des défenderesses, le ministre a rendu la décision contestée dans laquelle il a réaffirmé sa position préliminaire, à savoir que BCIL pouvait s’approprier les mesures que Viatris avait prises auparavant pour se conformer à l’article 5 du Règlement, dont la signification de l’AA, et devait être ajoutée comme défenderesse dans le dossier T-1241-22 afin qu’il puisse appliquer l’article 7 du Règlement. Le ministre s’est également dit d’avis que le sursis prévu à l’alinéa 7(1)d) du Règlement continuait de s’appliquer et que BCIL était liée par l’issue de l’instance dans le dossier T‐1241-22.

[11] Le 6 juin 2023, les demanderesses ont déposé la présente demande, dans laquelle elles demandent à la Cour d’ordonner l’annulation de la décision contestée et de déclarer que BCIL ne peut s’approprier les mesures que Viatris avait prises auparavant pour se conformer à l’article 5 du Règlement et qu’avant le 23 mai 2023, jour où elle a signifié un autre AA identique à celui de Viatris (ce qui a amené Bayer à intenter une troisième action, qui fait l’objet du dossier T-1228-23), BCIL ne s’était pas conformée aux exigences de l’article 5 du Règlement.

III. Questions en litige

[12] La présente demande soulève trois questions :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. La décision du ministre selon laquelle une seconde personne successeure peut s’approprier une AA signifiée au titre du paragraphe 5(3) du Règlement par sa prédécesseure est-elle déraisonnable ou incorrecte?

  3. Si elle est déraisonnable ou incorrecte, quelle est la réparation appropriée?

IV. Analyse

A. Quelle est la norme de contrôle applicable?

[13] Le cadre d’analyse de la norme de contrôle repose sur la présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique à toutes les décisions administratives, dont celles où le décideur administratif interprète sa ou ses lois constitutives étroitement liées à sa fonction : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16 et 25 [Vavilov]. La présomption peut être réfutée dans deux situations : premièrement, lorsque le législateur a indiqué qu’il souhaitait l’application d’une norme différente; deuxièmement, lorsque la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte : Vavilov, au para 17; récemment conf par Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 au para 39. Les parties conviennent que ces deux situations ainsi que les cinq catégories reconnues de questions appelant la norme de la décision correcte recensées dans l’arrêt Vavilov ne s’appliquent pas en l’espèce.

[14] Au paragraphe 28 de l’arrêt Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c Entertainment Software Association, 2022 CSC 30, la Cour suprême a confirmé, en renvoyant à l’arrêt Rogers Communications Inc c Société des compositeurs, auteurs et éditeurs de musique du Canada, 2012 CSC 35 [Rogers], l’existence d’une sixième catégorie de questions appelant la norme de la décision correcte, soit les questions à l’égard desquelles les cours de justice et les organismes administratifs ont compétence concurrente en première instance sur une question de droit dans une loi. D’après les demanderesses, cette nouvelle catégorie est celle qui s’applique en l’espèce.

[15] Les demanderesses affirment que l’affaire soulève des questions de compétence concurrente et que la norme de la décision correcte doit s’appliquer. Les défenderesses soutiennent quant à elles que les questions sous-jacentes relèvent clairement de la compétence du ministre et que, par conséquent, la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable s’applique prévaut.

[16] Dans la décision contestée, le ministre affirme ce qui suit :

[traduction]
2. Après avoir attentivement examiné les observations de Bayer et de Regeneron ainsi que celles de BCIL et de BGP Pharma, le BPPI est d’avis que BCIL peut s’approprier les mesures prises auparavant par BGP Pharma pour se conformer aux exigences de l’article 5 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement sur les MB(AC)) concernant la présentation de drogue nouvelle (la PDN) 259183 relative à YESAFILI (l’aflibercept), dont la signification de l’avis d’allégation daté du 2 mai 2022 en lien avec les brevets mentionnés ci-dessus. En conséquence, le BPPI estime également que BCIL doit être désignée comme défenderesse dans l’action intentée en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les MB(AC) dans le dossier de la Cour fédérale no T-1241-22 pour qu’il puisse appliquer l’article 7 du Règlement sur les MB(AC).

3. Il est actuellement sursis, conformément à l’alinéa 7(1)d) du Règlement sur les MB(AC), à la délivrance d’un avis de conformité (l’AC) concernant la PDN 259183. Le BPPI est d’avis que le sursis continue de s’appliquer à l’égard de la PDN 259183. BCIL a assumé le rôle de seconde personne concernant la PDN 259183 au titre du Règlement sur les MB(AC) et elle est liée par l’issue de l’instance dans le dossier de la Cour fédérale no T-1241-22, bien qu’elle ne soit pas encore désignée comme défenderesse.

[17] Le débat fondamental entre les parties porte sur l’interprétation des conclusions formulées dans la décision contestée et les questions examinées. Les demanderesses soutiennent que la division de la décision contestée en questions distinctes portant l’une sur l’article 5 et l’autre sur l’article 6 est artificielle, car le ministre est intervenu pour un seul motif, à savoir apporter un changement à la partie défenderesse dans l’action intentée en vertu du paragraphe 6(1). Les défenderesses soutiennent quant à elles que les demanderesses confondent les conclusions du ministre et la nature de la décision contestée.

[18] À mon avis, la décision contestée porte essentiellement sur les obligations que l’article 5 du Règlement impose à la seconde personne après le transfert d’une PDN. Le ministre s’est dit d’avis que BCIL devait être désignée comme défenderesse à l’instance dans le dossier T-1241-22, mais dans la perspective de son application de l’article 7 du Règlement. Le ministre ne rend pas de décision de justice à l’égard des parties dans le dossier T-1241-22. Son analyse porte exclusivement sur l’article 5 du Règlement.

[19] Comme l’a affirmé le ministre dans le corps de la décision contestée : [traduction] « [l]a question précise en litige dans la décision est celle de savoir si une seconde personne successeure peut s’approprier un avis d’allégation signifié à la première personne au titre du paragraphe 5(3) du Règlement sur les MB(AC) (et en bénéficier) ». Cette question concerne l’effet du transfert de la PDN sur les obligations que le paragraphe 5(3) du Règlement impose à la seconde personne.

[20] Dans l’arrêt Teva Canada Limitée c Pfizer Canada Inc, 2016 CAF 248 [Teva], portant sur une question liée au paragraphe 5(1) du Règlement, la Cour d’appel fédérale [la CAF] a conclu que l’arrêt Rogers ne s’appliquait pas et que le ministre avait la compétence exclusive de décider si une présentation de drogue déposée par une seconde personne établit une comparaison avec un produit de référence canadien, de sorte que la seconde personne doive traiter d’un brevet inscrit au registre des brevets. La CAF a conclu que la Cour n’a le rôle de décideur de première instance qu’en vertu de l’article 6, après l’introduction d’une instance au titre du Règlement :

[56] Sauf pour le rôle éventuel de la Cour lors d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision ministérielle prise en vertu de l’article 5, le Règlement AC prévoit que la Cour ne joue le rôle de décideur de première instance qu’en vertu de l’article 6, c’est-à-dire que lorsqu’une première personne a déposé une demande d’interdiction, c’est à la Cour de décider si les allégations figurant dans l’avis d’allégation de la seconde personne sont fondées. La Cour saisie d’une demande d’interdiction n’examine pas si l’application de l’article 5 aurait dû, au départ, être déclenchée. Il s’ensuit que dans une demande d’interdiction, il est impossible que la question de savoir si l’application de l’article 5 a été déclenchée donne lieu à des interprétations divergentes entre le ministre et la Cour.

[21] Ce principe énoncé dans l’arrêt Teva a récemment été appliqué dans l’affaire AbbVie Corporation c Canada (Santé), 2022 CF 1209 [AbbVie], et, à mon avis, il s’applique aussi bien à l’alinéa 5(3)a) qu’au paragraphe 5(1).

[22] Comme il est indiqué dans la décision AbbVie, et l’analyse détaillée du ministre en témoigne, le Règlement est étroitement lié aux fonctions du ministre. Le ministre possède une grande expertise dans son application et son interprétation : AbbVie, au para 73; Elanco c Canada (Procureur général), 2019 CF 5 au para 43. Le ministre est chargé d’examiner les présentations de drogues et de décider si les fabricants ont satisfait à tous les critères à respecter pour qu’un avis de conformité soit délivré (Règlement sur les aliments et drogues, CRC, c 870, art C.08.002(1), C.08.004, C.08.004.01 [le RAD]; Règlement, art 7(1). Il s’agit notamment de décider si les présentations de drogues donnent lieu à l’application du paragraphe 5(1) du Règlement (Teva) et, en conséquence, si la deuxième personne a rempli les obligations que lui impose le paragraphe 5(3). Suivant l’alinéa 5(3)e) du Règlement, la seconde personne doit fournir au ministre la preuve de la signification des documents visés aux alinéas 5(3)a) et b) ainsi qu’une copie de l’AA pour que les obligations du paragraphe 5(3) soient remplies. Comme il est indiqué au paragraphe 5(3) :

(3) La seconde personne qui inclut une allégation visée à l’alinéa (2.1)c) est tenue de prendre les mesures suivantes :

(3) A second person who makes an allegation referred to in paragraph (2.1)(c) shall

a) signifier à la première personne un avis de l’allégation à l’égard de la présentation ou du supplément déposé en vertu des paragraphes (1) ou (2), à la date de son dépôt ou à toute date postérieure;

(a) serve on the first person a notice of allegation relating to the submission or supplement filed under subsection (1) or (2) on or after its date of filing;

b) insérer dans l’avis de l’allégation :

(b) include in the notice of allegation

(i) une description de l’ingrédient médicinal, de la forme posologique, de la concentration, de la voie d’administration et de l’utilisation de la drogue visée par la présentation ou le supplément,

(i) a description of the medicinal ingredient, dosage form, strength, route of administration and use of the drug in respect of which the submission or supplement has been filed, and

(ii) un énoncé du fondement juridique et factuel de l’allégation, lequel énoncé est détaillé dans le cas d’une allégation portant que le brevet ou le certificat de protection supplémentaire est invalide ou nul.

(ii) a statement of the legal and factual basis for the allegation, which statement must be detailed in the case of an allegation that the patent or certificate of supplementary protection is invalid or void;

[...]

[...]

e) transmettre au ministre la preuve de la signification des documents visés aux alinéas a) et b), ainsi qu’une copie de l’avis d’allégation.

(e) provide to the Minister proof of service of the documents referred to in paragraphs (a) and (b), along with a copy of the notice of allegation

[23] Bien que, comme les demanderesses le font remarquer, le paragraphe 6(1) du Règlement précise qu’une action peut être intentée uniquement contre la seconde personne qui a signifié l’AA visé à l’alinéa 5(3)a), la Cour n’a pas pour autant compétence en première instance pour décider des obligations que l’alinéa 5(3)a) impose à la seconde personne successeure après le transfert d’une PDN.

[24] Je suis d’accord avec les défenderesses pour dire que le ministre a la responsabilité de rendre une décision administrative concernant les obligations imposées par l’article 5 aux secondes personnes prédécesseures et successeures dans le contexte d’un transfert de PDN. La Cour demeure entièrement responsable de la conduite de l’instance relative à l’action intentée en vertu du paragraphe 6(1) et doit notamment statuer sur les parties appropriées et le fondement sur lequel elles sont désignées, en tenant compte des décisions administratives sous-jacentes rendues par le ministre en ce qui concerne l’article 5.

[25] À mon avis, la décision Genentech, Inc c Celltrion Healthcare Co, Ltd, 2019 CF 293 [Genentech], n’est pas incompatible avec ces principes. La Cour devait statuer sur une requête portant sur un acte de procédure à propos de la question de savoir si des parties supplémentaires pouvaient être ajoutées comme défenderesses dans une action intentée en vertu du paragraphe 6(1). Dans cette affaire, la Cour a affirmé qu’aux fins du paragraphe 6(1), elle pouvait examiner si une seconde personne pouvait inclure une personne autre que celle qui a déposé la PDN, mais les questions soumises à la Cour n’exigeaient pas de statuer sur les droits et les obligations d’une seconde personne successeure, et je ne suis pas d’avis que la décision Genentech appuie la proposition selon laquelle la Cour a compétence en première instance pour statuer sur de telles questions.

[26] La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, et l’analyse doit principalement s’intéresser à la décision effectivement rendue et à la question de savoir si le raisonnement sous-jacent est transparent, intelligible et justifié au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur était assujetti : Vavilov, aux para 83-86, 91-95, 99, 100.

[27] Comme la Cour l’a bien résumé au paragraphe 46 de la décision AbbVie, lorsqu’elle procède à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable :

[46] La Cour doit accorder une attention respectueuse aux motifs du décideur et reconnaître l’expertise spécialisée de ce dernier. Elle doit en outre se garder de substituer sa propre opinion à celle du décideur quant au résultat approprié (Vavilov, aux para 75, 83). Lorsqu’elle examine l’interprétation qu’un décideur administratif a donnée à une loi ou à un règlement, selon la norme de la décision raisonnable, la Cour ne procède pas à une analyse de novo. Elle doit plutôt tenir pour acquis que les instances chargées d’interpréter la loi, qu’il s’agisse des cours de justice ou des décideurs administratifs, effectueront cet exercice conformément aux principes modernes d’interprétation des lois (Vavilov, aux para 116‐118).

B. La décision du ministre selon laquelle une seconde personne successeure peut s’approprier un AA signifié par sa prédécesseure au titre du paragraphe 5(3) du Règlement est-elle déraisonnable?

[28] Les demanderesses soutiennent que la décision contestée est déraisonnable pour les motifs suivants : 1) elle s’écarte du Règlement et n’est pas étayée par les principes d’interprétation législative; 2) elle envisage la délivrance prématurée d’un AC à la seconde personne successeure; 3) elle bafoue le droit exprès des demanderesses de renoncer au sursis de 24 mois. Les demanderesses ajoutent que la crainte de prolongement du sursis de 24 mois exprimée par les défenderesses n’est pas justifiée et n’appuie pas la décision contestée. À mon avis, aucun de ces arguments n’est convaincant, et ce, pour les motifs qui suivent.

(1) Le régime établi par le Règlement et les objectifs de celui‐ci

[29] Comme l’a reconnu le ministre, la méthode moderne d’interprétation législative exige que les mots des dispositions du Règlement soient considérés dans leur contexte global et de manière à ce que leur sens ordinaire concorde avec le régime établi par le Règlement ainsi que les objectifs et l’objet de celui‐ci.

[30] Le Règlement crée un régime liant l’approbation réglementaire des médicaments génériques à la protection des droits de brevet : « Résumé de l’étude d’impact de la réglementation », Gazette du Canada, Partie II, vol. 151, édition spéciale, p 32-52 [le REIR 2017]. Le Règlement vise à « équilibrer, d’une part, une protection efficace des brevets visant des drogues innovantes et, d’autre part, l’entrée sur le marché en temps opportun des médicaments génériques moins coûteux qui leur font concurrence » : REIR 2017, p 33; AbbVie, au para 6; Fresenius Kabi Canada Ltd c Canada (Santé), 2020 CF 1013 au para 13 [Fresenius].

[31] Ce double objectif a été souligné au paragraphe 47 de l’arrêt Bristol-Myers Squibb Co c Canada (Procureur général), 2005 CSC 26 [Biolyse]. La Cour suprême du Canada l’a considéré comme un compromis équitable entre les importants intérêts sociaux en matière de santé (que représentent des produits génériques plus abordables) et les intérêts des brevetés, notamment celui de protéger leurs droits de brevet et leur monopole. Elle l’a également jugé compatible avec la portée restreinte du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4, qui prévoit le pouvoir réglementaire, sous-jacent au Règlement, de prévenir le recours abusif à l’exception relative aux « travaux préalables », lesquels n’entraînent pas de contrefaçon de brevet. Aux termes du paragraphe 55.2(1) de la Loi sur les brevets, l’utilisation d’une invention brevetée pour la préparation et la production du dossier d’information réglementaire ne constitue pas une contrefaçon : Loi sur les brevets, art 55.2(1), 55.2(4); Biolyse, au para 53; Fresenius, au para 29.

[32] Le régime établi par le Règlement reflète son double objectif et l’équilibre qu’il vise à atteindre. Tel qu’il est résumé dans la décision contestée, ce régime prévoit ce qui suit :

[traduction]
16. Suivant le paragraphe 3(2) du Règlement sur les MB(AC), le ministre tient un registre des brevets dans lequel sont consignés les brevets et les certificats de protection supplémentaire liés aux médicaments approuvés. La première personne (généralement le fabricant) qui dépose une PDN ou un [supplément à une présentation de drogue nouvelle ou SPDN] peut présenter au BPPI, pour adjonction au registre, un brevet qui se rattache aux médicaments pour lesquels une approbation est demandée dans la PDN ou le SPDN, conformément aux conditions d’admissibilité et aux délais précisés à l’article 4 du Règlement sur les MB(AC). La première personne présente un brevet pour adjonction au registre des brevets en déposant un formulaire IV : Liste de brevets (formulaire IV).

17. [Suivant le paragraphe 5(1)], [s]i la seconde personne dépose une présentation pour un AC à l’égard d’une drogue, laquelle présentation, directement ou indirectement, compare celle-ci à une drogue commercialisée au Canada conformément à un AC et à l’égard de laquelle un brevet et/ou un certificat de protection supplémentaire est inscrit au registre des brevets, ou y fait renvoi, la seconde personne doit traiter de chaque brevet et/ou certificat de protection supplémentaire inscrit. Elle ne doit traiter que des brevets ou des certificats de protection supplémentaire qui ont été inscrits au registre des brevets avant la date à laquelle elle a déposé la présentation de drogue.

18. [Suivant le paragraphe 5(2.1),] [d]ans sa présentation de drogue, la seconde personne doit indiquer de quelle façon elle a l’intention de traiter de chaque brevet et/ou certificat de protection supplémentaire : en déclarant qu’elle accepte que l’AC ne soit pas délivré avant l’expiration du brevet ou du certificat de protection supplémentaire, selon le cas; en indiquant qu’elle a obtenu le consentement du propriétaire du brevet pour fabriquer, construire, exploiter ou vendre sa drogue au Canada; ou en alléguant que le brevet ou le certificat de protection supplémentaire n’est pas valide ou ne serait pas contrefait par son médicament. Pour ce faire, la deuxième personne dépose un formulaire V : Déclaration concernant la liste de brevets (formulaire V). Le BPPI examine chaque présentation de drogue reçue par le ministre afin de décider si l’application des exigences de la section 5 du Règlement sur les MB(AC) est déclenchée et, le cas échéant, si ces exigences sont respectées.

19. La seconde personne qui fait une allégation doit alors signifier un avis de cette allégation à la première personne [conformément au paragraphe 5(3)]. Dans les 45 jours suivant la signification, la première personne ou le propriétaire d’un brevet qui reçoit l’avis d’allégation peut intenter une action [en vertu du paragraphe 6(1)] contre la seconde personne devant la Cour fédérale afin d’obtenir une déclaration portant que la fabrication, la construction, l’exploitation ou la vente de la drogue, conformément à la présentation de drogue de la seconde personne, contreferait tout brevet ou tout certificat de protection supplémentaire visé par une allégation dans cet avis.

20. Lorsqu’une action est intentée, l’alinéa 7(1)d) prévoit que le ministre ne peut délivrer d’AC à une seconde personne pendant une période de 24 mois (aussi appelée le « sursis de 24 mois »). Globalement, le Règlement sur les MB(AC) empêche le ministre de délivrer un AC à une seconde personne avant la plus tardive des occurrences énoncées au paragraphe 7(1).

[Notes de bas de page omises.]

[33] Comme le font observer les défenderesses, la présentation d’un AA n’est pas un acte de contrefaçon, car les actes réglementaires que pose la seconde personne préalablement à l’approbation ne peuvent entraîner une contrefaçon de brevet. Le droit d’intenter une action prévu au paragraphe 6(1), seule disposition donnant accès à ce droit, est censé assurer la protection provisoire des droits de brevet au moyen d’un sursis à l’approbation de la présentation de drogue de la seconde personne jusqu’à ce qu’il soit statué sur les allégations relatives aux brevets. L’approbation de la présentation est ainsi directement liée à l’action, et la première personne informe le ministre de l’introduction de l’action et des événements indiquant qu’elle est réglée ou qu’il y aura appel.

[34] Les demanderesses soulignent qu’aucune disposition du Règlement ne permet expressément le transfert de l’AA et l’appropriation de la signification de l’AA au titre du paragraphe 5(3) du Règlement dans l’éventualité d’un transfert de PDN. Elles font valoir qu’en l’absence d’une disposition expresse, le ministre ne peut interpréter le Règlement comme s’il conférait un tel pouvoir. Celui-ci ne peut être conféré que par déduction nécessaire : Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 7e éd., § 12.02[5].

[35] Cependant, je suis d’accord avec les défenderesses pour dire que le transfert de l’AA est implicite dans le régime établi par le Règlement et les politiques sous-jacentes, y compris celles relatives à l’examen connexe et au traitement des présentations de drogues au titre du RAD.

[36] Aucune disposition du RAD ne porte précisément sur un changement dans le nom du fabricant au cours de l’examen d’une présentation, mais un tel changement est traité comme une question de politique. L’article 14.4 du document d’orientation de Santé Canada intitulé Gestion des présentations et des demandes de drogues indique quels documents doivent être présentés au ministre si le nom d’un fabricant change durant l’examen d’une présentation de drogue relative à un nouveau produit pour lequel aucune identification numérique de médicament (DIN) n’a encore été attribuée.

[37] Comme l’a fait remarquer le ministre dans la décision contestée, pour des raisons de politique générale et compte tenu de la nature administrative d’un transfert de propriété, dans l’éventualité d’un changement dans le nom du fabricant durant l’examen d’une PDN, la date de dépôt de la présentation demeure la même, et le fabricant successeur n’est pas tenu de déposer à nouveau la présentation ou de tenir compte des brevets ajoutés au registre des brevets entre la date de dépôt de la PDN et la date à laquelle la seconde personne successeure s’est approprié la PDN. Le processus de présentation de drogue au nom du fabricant successeur se poursuit sans interruption, que le changement dans le nom résulte d’une fusion, d’un rachat ou d’un transfert des droits sur la drogue. Il en est ainsi en raison de l’absence de changement important concernant la drogue, y compris le site et le processus de fabrication indiqués lorsque la présentation a été déposée. Après le changement, le fabricant successeur devient l’interlocuteur dans le cadre de l’examen, et c’est lui qui reçoit l’AC, et non son prédécesseur.

[38] Ainsi, comme l’a fait observer le ministre et comme l’ont admis les demanderesses, après le transfert de la PDN, le fabricant successeur devient la seconde personne au regard du Règlement et son prédécesseur cesse d’être une seconde personne. De cette façon, [traduction] « le fabricant successeur à la fois bénéficie du travail déjà effectué et assume les responsabilités réglementaires qui se rattachent à la présentation de la drogue ». Il peut ainsi notamment se prévaloir du formulaire V que le prédécesseur a déposé avec la PDN pour satisfaire aux exigences des paragraphes 5(1) et 5(2.1). Conformément à l’interprétation du ministre, que je juge raisonnable, je suis d’avis que sont également visées les mesures déjà prises par la seconde personne pour satisfaire aux obligations que lui impose l’alinéa 5(3)a).

[39] L’alinéa 5(3)a) du Règlement exige que la seconde personne signifie à la première personne un AA relativement aux allégations contenues dans la présentation et exposées dans le formulaire V. L’AA sert à communiquer le fondement des allégations exposées dans le formulaire V concernant les brevets inscrits. Comme l’ont fait observer les défenderesses, si le formulaire V ne contient aucune allégation, l’AA est sans objet.

[40] La seconde personne successeure étant responsable de la présentation, y compris du formulaire V, il s’ensuit qu’elle est également responsable de l’AA préparé à partir des allégations exposées dans ce formulaire V, d’autant plus que le transfert de la PDN ne change rien aux allégations exposées à propos des brevets en cause. Dès lors, il n’y a pas lieu d’exiger un nouvel avis à propos des allégations.

[41] Comme l’explique le ministre, le fait de permettre à la seconde personne successeure de s’approprier l’AA signifié par sa prédécesseure suit la même logique que le traitement d’un transfert après l’examen d’une PDN. Dans ce dernier cas, une présentation administrative de drogue doit être déposée concernant le transfert. Toutefois, une telle présentation administrative ne déclenche pas à elle seule l’application de l’article 5 du Règlement. Comme l’a fait remarquer le ministre, [traduction] « seule la présentation initiale qui compare directement ou indirectement la drogue avec une autre drogue commercialisée au Canada aux termes d’un AC délivré à une première personne, ou y fait renvoi, déclenchera l’application de l’article 5 du [Règlement] ». Une présentation administrative de nouvelle drogue relative à un changement dans le nom du fabricant sera soumise à la même mise en suspens pour cause de brevet que la présentation initiale et un AC ne sera délivré à l’égard de cette présentation administrative qu’après la délivrance de l’AC relatif à la présentation de drogue initiale.

[42] Comme l’a fait observer le ministre, la CAF a expliqué le fondement de cette façon de faire au paragraphe 89 de l’arrêt Teva : « l’accent devrait être mis sur le médicament lui-même lors de la caractérisation d’une présentation de drogue. La question devrait être celle de savoir si les changements indiqués dans la présentation de drogue donnent lieu à un argument nouveau ou différent permettant de prétendre qu’un produit particulier est une contrefaçon. » Dans cette affaire, un avis de conformité avait été délivré à la seconde personne, et un contrat de concession croisée de licences conclu par la suite avait accordé à Teva le droit de vendre le produit. Pour cette raison, Teva avait dû obtenir son propre AC. Dans sa présentation subséquente, elle n’avait inclus aucune nouvelle donnée. Elle avait plutôt attesté que le médicament était identique au précédent, sauf en ce qui avait trait au nom de son fabricant. Cette affaire relevait de l’ancien régime, sous lequel il était encore possible d’intenter une action subséquente, mais la CAF a jugé que, comme le médicament serait fabriqué au même endroit et selon les mêmes spécifications et les mêmes méthodes, il n’y avait pas lieu d’exiger la signification d’un nouvel AA : Teva, aux para 90, 91.

[43] En l’espèce, le transfert des droits à BCIL résulte d’un changement administratif de propriété du médicament. Comme dans l’affaire Teva, le médicament lui-même n’a pas changé. BCIL, en tant que cessionnaire, n’a pas effectué de travaux préalables qui pourraient justifier de nouvelles allégations de contrefaçon et, par suite, un nouvel AA.

[44] Les demanderesses affirment que, même si les allégations restent inchangées, il est toujours requis de signifier à nouveau l’AA, puisque l’AA de Viatris est frappé de nullité en raison du transfert. Toutefois, rien dans ce dont je dispose n’appuie cette affirmation.

[45] Lorsque la seconde personne successeure devient responsable de la présentation, elle acquiert les droits sur le formulaire V et les bénéfices des allégations formulées. Comme je l’indique plus haut, les mesures prises concernant ces allégations au titre du paragraphe 5(3)a) en font partie.

[46] Ce point de vue est également étayé par le libellé de l’alinéa 5(3)d), qui prévoit que la seconde personne doit transmettre à la première personne, dans les plus brefs délais, toute partie de la présentation produite avec l’AA au titre du sous-alinéa 5(3)c)(iii) (c’est-à-dire les documents qui se rapportent à la contrefaçon) qui est modifiée « au plus tard le quarante-cinquième jour suivant la date de signification de l’[AA] ou, si elle est postérieure à ce jour, à la date à laquelle toute action intentée en vertu du paragraphe 6(1) est réglée ». Il s’ensuit que l’AA n’est pas frappé de nullité et que la seconde personne n’est pas tenue de signifier à nouveau l’AA chaque fois qu’une modification est apportée à la présentation de la seconde personne. Celle-ci doit simplement donner avis des modifications apportées.

[47] Comme l’a fait remarquer le ministre, à la lumière de l’alinéa 5(3)d), il serait incongru d’interpréter différemment l’alinéa 5(3)a) lorsque le changement a trait au nom du fabricant. Conformément à l’alinéa 5(3)d) du Règlement, l’article 5.7 de la ligne directrice de Santé Canada sur le Règlement sur les MB(AC) [la ligne directrice sur les MB(AC)] prévoit que, si un AA a été signifié à la première personne, la nouvelle seconde personne doit seulement avertir la première personne de son nouveau nom pour assurer la transparence.

[48] Bien que la seconde personne successeure puisse retirer l’AA signifié, rien ne permet d’affirmer qu’elle doit le faire ou que l’AA n’a plus d’effet. Le paragraphe 5(6) du Règlement indique dans quelles situations la seconde personne doit retirer l’AA, et un changement de fabricant n’en est pas une :

(6) La seconde personne qui a signifié l’avis d’allégation à la première personne en vertu de l’alinéa (3)a) doit retirer celui-ci et signifier un avis du retrait à la première personne dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent :

(6) A second person who has served a notice of allegation on a first person under paragraph (3)(a) shall retract the notice of allegation and serve notice of the retraction on the first person within 90 days after either of the following dates:

a) soit la date à laquelle le ministre a informé la seconde personne, aux termes de l’alinéa C.08.004(3)b) ou C.08.004.01(3)b), selon le cas, du Règlement sur les aliments et drogues, de sa non-conformité aux articles C.08.002, C.08.002.01, C.08.002.1 ou C.08.003, selon le cas, ou à l’article C.08.005.1 du même règlement;

a)the date on which the Minister notifies the second person under paragraph C.08.004(3)(b) or C.08.004.01(3)(b), as the case may be, of the Food and Drug Regulations of their non‐compliance with the requirements of section C.08.002, C.08.002.01, C.08.002.1 or C.08.003, as the case may be, or section C.08.005.1 of those Regulations; or

b) soit la date de l’annulation par la seconde personne de sa présentation ou de son supplément faisant l’objet de l’allégation.

b) the date of the cancellation by the second person of the submission or supplement to which the allegation relates.

[49] En outre, je suis d’accord avec les défenderesses pour dire qu’une interprétation du Règlement selon laquelle la seconde personne successeure doit signifier à nouveau le même AA à la première personne irait à l’encontre des objectifs du Règlement et de l’équilibre décrit dans l’arrêt Biolyse.

[50] En effet, l’interprétation des demanderesses conduit à la nécessité d’intenter de multiples actions relativement aux mêmes allégations, conséquence que les modifications apportées au Règlement en 2017 visaient précisément à éliminer : REIR 2017, p 34.

[51] Les demanderesses soutiennent que le Règlement fait obstacle à toute tentative de remettre les compteurs à zéro de la part de la première personne par l’intermédiaire de la gestion de l’instance et du libellé de l’article 6.09, où il est précisé que « [l]es premières personnes, secondes personnes et propriétaires de brevets sont tenus d’agir avec diligence en remplissant les obligations qui leur incombent au titre du [Règlement] et, s’ils sont parties à une action intentée en vertu du paragraphe 6(1) [...], de collaborer de façon raisonnable au règlement expéditif de celle-ci ». Elles font valoir que, dans de telles circonstances, il leur serait difficile de contester un nouveau calendrier de deux ans pour l’instance subséquente dans le dossier T-1228-23.

[52] Toutefois, là n’est pas la question. Même si les calendriers subséquents concordent, le fait demeure qu’à chaque nouvelle action, le sursis prévu au paragraphe 7(1)d) est calculé à partir de la date de la nouvelle instance. La Cour a le pouvoir d’abréger le sursis, mais son pouvoir n’est pas illimité. Suivant le paragraphe 7(8) du Règlement, elle peut abréger ou prolonger la période de vingt-quatre mois visée à l’alinéa 7(1)d) uniquement « si elle conclut qu’une partie n’a pas agi avec diligence en remplissant les obligations qui lui incombent au titre du [Règlement] ou qu’elle n’a pas collaboré de façon raisonnable au règlement expéditif de l’action ».

[53] En outre, il ne suffit pas de s’appuyer sur l’article 8 du Règlement, tel que le proposent les demanderesses. Comme l’ont fait remarquer les défenderesses, rien dans la décision contestée ou dans l’article 8 ne confirme qu’une seconde personne peut obtenir des dommages-intérêts à l’égard d’une période où elle n’était pas une seconde personne.

[54] Par ailleurs, l’interprétation des demanderesses ne tient pas compte de l’équilibre que le régime établi par le Règlement est expressément censé préserver, car tout délai supplémentaire pendant lequel la deuxième version serait tenue à l’écart du marché en raison de la reprise du sursis de 24 mois ne résulterait pas de travaux préalables, mais plutôt, comme l’a fait observer le ministre, uniquement d’un changement administratif.

[55] À mon avis, le ministre n’a pas commis d’erreur en concluant que le régime établi par le Règlement et le mécanisme de traitement des présentations au titre du RAD appuient le point de vue selon lequel l’AA et sa signification seraient transférés à BCIL.

(2) Aucune délivrance prématurée d’un AC

[56] L’autre argument des demanderesses, à savoir que la décision contestée crée une échappatoire, ne me convainc pas non plus. À mon avis, il était raisonnable que le ministre conclue qu’une seconde personne successeure ne se verrait pas délivrer un AC avant que ne soit changée la partie défenderesse désignée à une action pendante intentée en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement concernant l’AA de sa prédécesseure.

[57] Aux termes de l’alinéa 7(1)d) du Règlement, une fois qu’une action est intentée en vertu du paragraphe 6(1), le ministre ne peut délivrer un AC « à la seconde personne » avant le lendemain du dernier jour de la période de vingt-quatre mois qui commence à la date à laquelle l’action a été intentée.

[58] Comme il est indiqué dans la décision contestée, il ne peut y avoir qu’une seule seconde personne à la fois. Lorsqu’une action intentée est pendante, le ministre ne peut pas délivrer un AC à une seconde personne. Le sursis continue de s’appliquer à l’égard de la PDN et de la seconde personne successeure, même si celle-ci n’est pas encore désignée comme défenderesse à l’action.

[59] Je suis d’accord avec les défenderesses pour dire que les articles 104 et 117 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, permettent l’ajout de la seconde personne successeure comme défenderesse à l’action. On ne saurait valablement soutenir que la seconde personne successeure ne peut pas être ajoutée à l’action et qu’elle pourrait se voir délivrer un AC, notamment à la lumière du fait que, suivant la ligne directrice sur les MB(AC), la première personne serait avertie du changement de propriété.

(3) Le droit des demanderesses de renoncer au sursis

[60] Les demanderesses soutiennent que le fait d’autoriser l’appropriation de l’AA en conformité avec l’alinéa 5(3)(a) du Règlement porterait atteinte à leur droit, expressément conféré par l’alinéa 7(5)(b), de renoncer au sursis de 24 mois pour éviter le risque que des dommages-intérêts soient accordés au titre de l’article 8. Elles affirment qu’il était déraisonnable de la part du ministre de ne pas examiner cet argument sur le fond.

[61] Les demanderesses proposent certaines hypothèses au sujet du moment où une première personne pourrait choisir de renoncer, ou de ne pas renoncer, au sursis. Toutefois, ces hypothèses ne semblent obéir à aucune logique. Qui plus est, les demanderesses affirment que l’identité de la seconde personne est un élément essentiel dans une décision au titre de l’alinéa 7(5)b) du Règlement, mais elles ne fournissent aucune preuve à l’appui de cette affirmation, et aucune preuve sur ce point n’a été fournie au ministre non plus.

[62] Tel que le font observer les défenderesses, comme la renonciation doit être décidée au début de l’action intentée en vertu du paragraphe 6(1), le choix de s’en prévaloir est nécessairement empreint d’incertitude. Les renseignements sur la constitution du marché et les canaux de distribution du produit de la seconde personne ne sont alors pas entièrement connus et pourraient changer indépendamment de l’identité de la seconde personne.

[63] De plus, même en sachant que BCIL est la seconde personne, les demanderesses n’ont pas renoncé au sursis dans l’instance subséquente introduite en réponse à un nouvel AA que BCIL a signifié pour préserver ses droits (dans le dossier T-1228-23). Par conséquent, les propres actions des demanderesses n’indiquent pas que l’identité de la seconde personne ait eu la moindre incidence sur le choix qu’elles ont fait au titre de l’alinéa 7(5)(b).

[64] Je suis d’accord pour dire que, dans la décision contestée, le ministre ne s’est pas étendu sur la question de la renonciation, mais il ne s’ensuit pas qu’il ne l’a pas examinée. Il a pris acte de l’argument des demanderesses, mais il n’était pas convaincu que leurs droits seraient bafoués. Pour les motifs que j’expose plus haut, je ne juge pas cette position déraisonnable. Le ministre n’était pas tenu de fournir des motifs plus étoffés : AbbVie, au para 63.

[65] Cet argument n’a pas permis aux demanderesses d’établir qu’une erreur susceptible de contrôle avait été commise.

[66] À mon avis, la décision contestée était transparente, intelligible, justifiée et conforme au régime établi par le Règlement, aux objectifs et à l’objet de ce règlement ainsi qu’au traitement des présentations au titre du RAD. Le ministre a examiné les arguments soulevés par les demanderesses et en a tenu compte. Les demanderesses n’ont pas démontré que la décision contestée était déraisonnable.

[67] Pour tous ces motifs, la demande sera rejetée, et il n’est pas nécessaire que je poursuive avec l’examen de la troisième question, qui concerne la réparation applicable.

V. Dépens

[68] Les parties ont convenu que la partie ayant gain de cause devrait se voir adjuger les dépens calculés selon la valeur supérieure de la colonne IV du tarif. Les défenderesses ayant gain de cause en l’espèce, les dépens leur seront ainsi adjugés.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1178-23

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les dépens afférents à la demande, calculés selon la valeur supérieure de la colonne IV du tarif des Règles des Cours fédérales, sont adjugés aux défenderesses.

« Angela Furlanetto »

Juge

Traduction certifiée conforme

Normand Belhumeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1178-23

 

INTITULÉ :

BAYER INC. et REGENERON PHARMACEUTICALS, INC. c BGP PHARMA ULC faisant affaire sous le nom de VIATRIS CANADA et BIOSIMILAR COLLABORATIONS IRELAND LIMITED

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 SEPTEMBRE 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FURLANETTO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 OCTOBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

David Tait

Sanjay Mendis

Jamie Holtom

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Nathaniel Lipkus

J. Bradley White

Daniel Hnatchuk

POUR LES DÉFENDERESSES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

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