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Date : 20231013


Dossier : IMM-5939-22

Référence : 2023 CF 1367

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 octobre 2023

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

MANPREET DADRAL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Manpreet Dadral, est un citoyen de l’Inde. Chanteur et musicien de métier, il est arrivé au Canada muni d’un visa de résident temporaire pour faire partie d’une troupe culturelle qui devait donner des spectacles en Colombie-Britannique. Le demandeur est arrivé au Canada en septembre 2019 et a demandé l’asile environ trois mois plus tard. Il affirme craindre d’être persécuté par la police du Pendjab, les hommes de main du parti du Congrès, les partisans du parti Bharatiya Janata et les membres d’autres castes, en raison de son militantisme en faveur des membres de la caste des dalits et de son engagement dans le parti Bajujan Samaj.

[2] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 30 mai 2022 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté son appel et confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], qui avait rejeté sa demande d’asile après avoir conclu qu’il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi le bien-fondé de son allégation de partialité à l’encontre du commissaire de la SPR et que la SPR avait eu raison de conclure que le demandeur n’était pas crédible quant à des éléments essentiels de sa demande d’asile.

[3] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur (i) en rejetant les éléments de preuve au dossier; (ii) en n’acceptant pas les nouveaux éléments de preuve et en n’en tenant pas compte; (iii) en ne prenant pas en compte les éléments de preuve relatifs à la situation en matière de droits de la personne en Inde, notamment la preuve sur la persécution et la montée du nationalisme hindou; (iv) en n’examinant pas le risque de torture à son retour en Inde; (v) en ne reconnaissant pas l’attitude partiale du commissaire de la SPR; (vi) en menant une analyse erronée de la crédibilité du demandeur.

[4] Après avoir pris en considération le dossier soumis à la Cour, y compris les observations écrites et orales des parties ainsi que le droit applicable, je ne suis pas convaincue que la décision de la SAR est déraisonnable. Pour les motifs exposés ci‑après, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Analyse

[5] Je me penche tout d’abord sur l’argument du demandeur selon lequel la SAR a rejeté tous les éléments de preuve, à savoir à la fois les éléments de preuve présentés à la SPR et les nouveaux éléments de preuve que le demandeur a tenté de faire admettre devant la SAR. À titre préliminaire, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les observations écrites du demandeur contiennent des allégations qui n’ont en fait aucun rapport avec la décision faisant l’objet du contrôle. Dans les observations orales du demandeur, l’avocat s’est concentré sur les allégations selon lesquelles la SAR a écarté des éléments de preuve ou s’est concentrée de manière déraisonnable sur des détails microscopiques.

[6] Le demandeur n’a pas réussi à me convaincre que la SAR avait écarté des éléments de preuve ou qu’elle les avait traités de manière trop minutieuse, au point de rendre la décision déraisonnable. D’abord, la SAR est réputée avoir pris en compte tous les éléments de preuve dont elle disposait, à moins que le contraire ne soit établi (Galamb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 85 au para 58). Ensuite, il n’appartient pas à la Cour, lorsqu’elle examine une demande de contrôle judiciaire, d’apprécier ou d’évaluer à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 125 [Vavilov]). Après avoir examiné le dossier présenté à la SAR, y compris les observations du demandeur à la SAR, et l’analyse détaillée contenue dans la décision de la SAR, je considère que les arguments du demandeur constituent une façon de demander à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, ce qu’elle ne peut pas faire.

[7] En ce qui concerne les nouveaux éléments de preuve que le demandeur a tenté de faire admettre, le demandeur déclare qu’ils étaient [traduction] « manifestement admissibles », mais ne précise pas en quoi la SAR aurait commis une erreur en les rejetant. La SAR a conclu que les documents étaient antérieurs à la décision de la SPR et a rejeté l’argument du demandeur selon lequel il ne les aurait pas normalement présentés parce que son dossier était très solide. La SAR a également mentionné que le demandeur n’avait pas fait référence aux nouveaux éléments de preuve dans ses observations en appel, si ce n’est dans la section relative à l’admissibilité des éléments de preuve. J’estime que la SAR n’a pas commis d’erreur dans son traitement des nouveaux éléments de preuve.

[8] Passons aux observations du demandeur selon lesquelles la SAR ne s’est pas penchée sur l’interdiction de refoulement d’une personne vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque sérieusement d’être soumise à la torture, en contravention à l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants des Nations Unies [la Convention contre la torture]. Le renvoi ou l’expulsion vers un pays où il existe un risque de torture constituerait normalement un manquement à l’article 3 de la Convention contre la torture, mais la question ne se pose pas en l’espèce. La Cour a, à plusieurs reprises et de manière constante, jugé qu’un tel argument était prématuré à ce stade, au motif que le rejet d’une demande d’asile n’est pas un renvoi (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1692 au para 12; Kumar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1700 au para 13; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 164 au para 11; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 341 aux para 15-18; Ogiemwonyi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 346 aux para 38-39; Davila Valdez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 596 aux para 21-22). La SAR n’était donc pas tenue d’examiner la Convention contre la torture.

[9] Le demandeur affirme que la SAR ne s’est pas penchée sur la crise des droits de la personne en Inde et que la situation objective sur le terrain est largement attestée. La SAR n’a toutefois pas pour mission de formuler des commentaires généraux sur la situation des droits de la personne en Inde. Le problème, comme l’a soulevé la SAR, c’est que le demandeur n’a pas démontré de manière crédible qu’il remplissait personnellement les critères justifiant l’octroi du statut de réfugié – notamment, il n’a pas démontré de manière crédible que les événements qui lui seraient arrivés avaient bel et bien eu lieu. Je ne peux pas conclure que la SAR a commis une erreur, comme l’affirme le demandeur.

[10] Le demandeur soutient que les problèmes de crédibilité qui ont été soulevés ne cadrent pas avec la jurisprudence de la Cour. Il fait valoir que les incohérences mineures et les questions accessoires ne devraient pas miner la crédibilité générale d’un demandeur.

[11] Les conclusions quant à la crédibilité font partie du processus de recherche des faits et appellent une grande retenue lors du contrôle (Fageir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 966 au para 29 [Fageir]; Tran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 721 au para 35 [Tran]; Azenabor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1160 au para 6). Les conclusions que tirent la SPR et la SAR quant à la crédibilité « requièrent un degré élevé de retenue judiciaire, et il n’y a lieu de les infirmer que dans les cas les plus évidents » (Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 720 au para 12). Les décisions quant à la crédibilité ont été décrites comme constituant « l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits, [...] et elles ne sauraient être infirmées à moins qu’elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve » (Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1207 au para 26; Fageir, au para 29; Tran, au para 35; Gong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 165 au para 9).

[12] La SAR a conclu que l’accumulation de contradictions, d’omissions et d’incohérences dans la preuve concernant des éléments essentiels de la demande d’asile du demandeur justifiait qu’une conclusion défavorable quant à la crédibilité soit tirée. Après avoir tenu compte des problèmes de crédibilité examinés par la SAR et noté que nombre des conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité n’ont pas été contestées en appel, je n’ai pas été convaincue que l’intervention de la Cour soit justifiée.

[13] Enfin, le demandeur soutient que le commissaire de la SPR a montré de la partialité. Il affirme qu’il est clair qu’il n’a pas eu droit à une audience équitable et que le commissaire de la SPR [traduction] « est d’avis qu’aucun élément de preuve provenant de l’Asie du Sud n’est digne de foi ». Le demandeur prétend que le commissaire de la SPR [traduction] « a fait de nombreuses déclarations en ce sens dans des décisions », mais ne fait pas référence à celles-ci.

[14] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la SAR a raisonnablement conclu que la SPR n’avait pas montré de partialité dans sa décision. D’après le dossier dont elle disposait, qui ne contenait aucun élément de preuve solide de partialité, la SAR était en droit d’arriver à la conclusion qu’elle a tirée.

[15] Le critère permettant de déterminer s’il existe une partialité réelle ou une crainte raisonnable de partialité de la part d’un décideur est bien établi. Dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty et al c L’Office national de l’énergie et al, 1976 CanLII 2 (CSC), [1978] 1 RCS 369, aux pages 394 et 395, la Cour suprême du Canada explique ce qui suit :

[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. [...] »

[…] Toutefois, les motifs de crainte doivent être sérieux et […] le critère [ne doit pas] être celui d’« une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne ».

[16] Plus récemment, dans l’arrêt Firsov c Canada (Procureur général), 2022 CAF 191, la Cour d’appel fédérale a confirmé que le critère est le suivant :

[56] […] Il s’agit de savoir « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » : Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, aux paras. 20, 21 et 26.

[17] C’est au demandeur, celui qui prétend qu’il y a partialité, qu’il incombe de démontrer qu’une personne raisonnable, informée de toutes les circonstances pertinentes, conclurait que le commissaire de la SPR ne rendra pas une décision juste.

[18] Si le demandeur souhaitait faire valoir que le comportement répétitif du commissaire de la SPR témoignait de sa partialité, il lui incombait de fournir en preuve des décisions antérieures où le même commissaire de la SPR aurait commis des erreurs semblables à celles qui lui sont reprochées en l’espèce. Il ne l’a pas fait. En outre, je ne suis pas d’accord avec le demandeur pour dire que le fait que le commissaire de la SPR ait employé des termes semblables à plusieurs reprises lorsqu’il a analysé sa crédibilité permet de conclure à la partialité.

III. Conclusion

[19] Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que la décision de la SAR est déraisonnable. Je rejetterai donc la présente demande de contrôle judiciaire.

[20] Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5939‑22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Vanessa Rochester »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5939-22

INTITULÉ :

MANPREET DADRAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 JUIN 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 13 OCTOBRE 2023

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy

POUR LE DEMANDEUR

Éloïse Eysseric

Mary-Jane Roy (étudiante)

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude Légale Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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