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Date : 20231013


Dossier : IMM-934-21

Référence : 2023 CF 1363

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 octobre 2023

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

GRIFFITHS GYAMFI ADU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Griffiths Gyamfi Adu, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 25 janvier 2021 par laquelle un agent principal d’immigration (API) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a rejeté sa demande de résidence permanente au Canada fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et présentée conformément au paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[2] Pour les motifs exposés ci-dessous, j’accueillerai la présente demande.

II. Contexte

[3] Le demandeur est un citoyen du Ghana. En août 2014, à l’âge de 17 ans, il est arrivé au Canada avec sa mère. Il a fréquenté les écoles de la Niagara Christian Community à Fort Erie, en Ontario, et a reçu son diplôme d’études secondaires en juin 2015.

[4] En janvier 2015, le demandeur a été admis au collège Seneca pour commencer, en septembre 2015, des études qui lui permettraient de devenir technicien de laboratoire de chimie. La preuve présentée par le demandeur indique qu’il s’est retiré du programme le 22 décembre 2016.

[5] Depuis juin 2018, le demandeur travaille comme technicien aux opérations à Vaughan, en Ontario.

[6] Le 11 avril 2019, IRCC a reçu la demande de résidence permanente au Canada du demandeur, qui reposait sur des motifs d’ordre humanitaire.

[7] Dans une décision datée du 25 janvier 2021, la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par le demandeur a été rejetée.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[8] L’API a examiné les documents dont il disposait, notamment une déclaration écrite où le demandeur a fait part de ses liens étroits avec sa sœur de 22 ans, Lily, atteinte de troubles du développement. L’API a pris connaissance également d’une lettre d’appui rédigée par la personne qui fournit des soins primaires à Lily et qui précise que c’est le demandeur qui accompagne Lily à ses rendez-vous médicaux et qui l’aide dans ses besoins quotidiens.

[9] Pour ce qui est du bien-être de Lily, l’API a reconnu que le demandeur semble très proche de sa sœur, mais il a souligné que l’ampleur des problèmes de santé de Lily n’était pas claire et qu’il y avait peu d’éléments indiquant que personne d’autre que le demandeur ne pouvait contribuer aux soins dont Lily a besoin. L’API a mentionné aussi plusieurs moments où le demandeur et sa sœur ont vécu à une distance considérable l’un de l’autre, entre autres lorsque le demandeur s’est éloigné afin d’étudier. Selon l’API, à une époque comme la nôtre, où la technologie est omniprésente, il existe de nombreuses façons de garder le contact partout sur la planète, et il ne serait pas déraisonnable pour le frère et la sœur d’utiliser des moyens technologiques pour continuer de communiquer aussi bien dans l’avenir.

[10] Le demandeur a une autre sœur au Canada, Patricia, qui est mère monoparentale de trois enfants. L’API a lu la lettre dans laquelle Patricia a mentionné qu’elle est reconnaissante de l’aide que lui apporte le demandeur, particulièrement avec ses enfants. Cependant, l’API a relevé que le demandeur, hormis cette lettre et ses propres déclarations écrites, n’a fourni aucune preuve corroborant ses liens avec les enfants de Patricia.

[11] Pour ce qui est des conditions défavorables dans le pays, le demandeur s’est inquiété de ne pas pouvoir mener une carrière dans l’industrie de la mode au Ghana ni fréquenter un établissement dans ce secteur. L’API a souligné l’absence d’éléments de preuve corroborants autres que les déclarations écrites du demandeur.

[12] Le demandeur a aussi transmis trois documents décrivant les conditions générales dans le pays qui révèlent des taux de chômage élevés chez les jeunes au Ghana. Selon l’API, peu d’éléments de preuve démontraient que le demandeur subirait des effets négatifs personnels attribuables au chômage élevé chez les jeunes Ghanéens ou à d’autres grands enjeux auxquels le pays est confronté, comme les conditions dangereuses de détention ou la violence contre les femmes et les journalistes. L’API a mentionné par ailleurs que le demandeur a encore des membres de sa famille proche, dont des membres de sa fratrie, qui résident au Ghana et qu’aucun élément de preuve ne porte à croire qu’ils ont vécu des difficultés liées au taux de chômage.

[13] L’API n’était pas convaincu que le demandeur avait présenté des éléments de preuve suffisants quant aux soins qu’il fournit à sa sœur Lily, atteinte de troubles du développement, aux liens qu’il entretient avec sa famille au Canada, particulièrement sa relation avec les enfants de sa sœur aînée, et à la situation défavorable au Ghana. Par conséquent, l’API a rejeté la demande de résidence permanente au Canada fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par le demandeur en vertu de l’article 25 de la LIPR.

IV. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[14] Le demandeur conteste le caractère raisonnable de la décision. Il soutient notamment que l’API a procédé à une évaluation déraisonnable de la preuve, qu’il a mis de côté des éléments de preuve pertinents et imposé un fardeau excessif et déraisonnable au demandeur tout en entravant son propre pouvoir discrétionnaire.

[15] Selon le demandeur, les remarques de l’API au sujet de l’affidavit de sa sœur portent à croire que l’API mettait en doute les propos contenus dans le document, ce qui équivalait à une conclusion défavorable en matière de crédibilité. Par conséquent, il estime que son droit à l’équité procédurale a été brimé puisqu’il n’a pas eu la possibilité de dissiper les préoccupations de l’API.

[16] Les parties conviennent, pour ce qui est de la première question, que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, et je suis d’accord. La Cour suprême du Canada a établi que, lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond, c’est-à-dire qu’elle procède à un contrôle judiciaire qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale, la norme de contrôle applicable présumée est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23 [Vavilov]. Bien que cette présomption soit réfutable, aucune des exceptions à cette présomption n’est présente en l’espèce.

[17] Une décision raisonnable est justifiée, transparente et intelligible, et le contrôle est centré sur la décision même qui a été rendue, notamment sur sa justification : Vavilov, au para 15. Dans l’ensemble, une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85.

[18] La deuxième question soulevée par le demandeur a trait à l’équité procédurale. La norme de contrôle applicable dans ce contexte consiste à déterminer si la décision est équitable au regard de toutes les circonstances, ce qui s’apparenterait à un examen fondé sur la norme de la décision correcte : voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35. Voir aussi Ganeswaran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1797, aux para 20-28.

V. Analyse

[19] Pour les motifs exposés ci-après, je suis d’avis qu’il était déraisonnable pour l’API de conclure que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par le demandeur devait être refusée.

[20] Le défendeur a souligné, avec raison, qu’il incombe au demandeur d’établir l’existence de motifs d’ordre humanitaire justifiant la levée des exigences habituelles du droit de l’immigration et de présenter des éléments de preuve probants et fiables qui appuient ses prétentions : Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1356 au para 32. Toutefois, je souscris au point de vue du demandeur sur cette question.

[21] Même s’il en a reconnu l’existence, l’API semble avoir écarté, dans son évaluation, le degré d’implication du demandeur dans la vie de Lily de même que sa contribution quotidienne au bien-être de sa sœur. L’API a plutôt mis l’accent sur le fait que le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve montrant qu’il est la seule personne apte à aider Lily.

[22] Il est bien établi en droit qu’un décideur n’est pas tenu de faire référence à chaque élément de preuve qui lui a été présenté, car il est présumé avoir tenu compte de la totalité de la preuve au dossier : Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 943 au para 34. Cependant, si un élément de preuve directement pertinent touche un aspect fondamental des préoccupations du décideur et qu’il n’est pas analysé ou pris en considération par l’API, il est possible d’en inférer que ce dernier a tiré une conclusion de fait erronée sans égard à la preuve ou que des éléments de preuve contraires ont été mis de côté : Cepeda-Gutierrez c Canada (Citoyenneté et Immigration) (1998), 1998 CanLII 8667 (CF), [1998] ACF no 1425 (QL) au para 17; Cezair c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 886 au para 27.

[23] En l’espèce, la préoccupation de l’API quant aux raisons pour lesquelles personne d’autre que le demandeur n’est en mesure d’aider Lily peut facilement être dissipée par les lettres d’appui, qui décrivent la nature et la fréquence de l’aide dont Lily a besoin – ce qui expliquerait pourquoi le demandeur est la personne la mieux placée pour répondre aux besoins de sa sœur. L’API a mentionné, de façon générale, qu’il avait pris en considération les lettres d’appui présentées, mais ses conclusions ne sont pas fondées sur ces lettres, qui n’ont pas été explicitement analysées non plus. Par conséquent, on ne peut savoir avec certitude si l’API a véritablement apprécié la totalité de la preuve.

[24] L’API ne semble pas avoir analysé la situation personnelle des membres de la famille. Le demandeur a fourni une lettre d’appui de la part de sa sœur aînée, Patricia, qui y précise qu’elle a grandement besoin de l’aide du demandeur puisqu’il l’aide à prendre soin de ses enfants et à s’occuper des corvées de manière à ce qu’elle puisse se concentrer sur son travail et offrir une vie équilibrée à ses enfants. Il est donc raisonnable de penser que Patricia n’a pas le temps d’aider sa sœur Lily comme le fait le demandeur. C’est ce qui ressort aussi clairement des autres lettres d’appui, car elles décrivent l’étendue de la contribution du demandeur à la vie de Lily – il l’aide constamment, chaque jour, et c’est lui que l’on appelle dès que Lily a besoin d’aide supplémentaire.

[25] Les lettres montrent que l’API ne peut pas présumer que Patricia, étant donné sa situation personnelle, sera en mesure d’aider sa sœur au quotidien, ni s’attendre à ce qu’elle le fasse. En conséquence, il semble que l’API n’ait pas fondé sa décision sur les éléments de preuve qui ont été présentés, étant donné qu’il est impossible de savoir exactement qui d’autre pourrait aider Lily de la même façon que le fait le demandeur.

[26] Si le demandeur avait d’autres membres de sa famille au Canada qui pourraient aider Lily, la décision de l’API aurait été raisonnable. Lorsque l’on évalue la nature de l’aide nécessaire, il est clair que la personne la mieux placée pour subvenir aux besoins de Lily est un membre de la famille. Par exemple, la lettre de l’infirmière souligne que Lily doit recevoir de l’aide quand sa sœur Patricia est au travail – il est raisonnable de s’attendre à ce qu’un membre de la famille s’en occupe.

[27] L’API a déclaré qu’il est arrivé à maintes reprises que le demandeur et sa sœur Lily soient séparés, entre autres lorsque le demandeur est venu au Canada pour la première fois. Il semble cependant qu’il n’ait pas tenu compte du fait que Lily possède de la famille au Ghana, de sorte qu’elle a pu habiter avec des membres de sa fratrie pendant le séjour du demandeur au Canada. L’aide du demandeur n’était donc pas nécessaire.

[28] Le défendeur souligne avec raison que le demandeur avait gardé le contact par le passé avec Lily pendant que lui se trouvait au Canada et elle, au Ghana. Toutefois, le litige ne porte pas sur la question de savoir si le frère et la sœur peuvent ou non rester en contact, mais bien sur le fait qu’il est important que le demandeur soit présent auprès de Lily, au Canada, afin de pouvoir l’aider physiquement au quotidien. Le demandeur prend soin de Lily depuis qu’elle est arrivée au Canada en 2016.

[29] Par ailleurs, l’API a mentionné que le demandeur pouvait rester en contact avec Lily grâce à la technologie. À cet égard, il est clair que l’API n’a pas tenu compte de la preuve présentée ni de la nature de l’aide que le demandeur a apportée et apporte à Lily. L’infirmière, la directrice adjointe de l’école secondaire et le pasteur principal ont décrit l’aide offerte par le demandeur à sa sœur, soit :

  1. accompagner Lily à ses rendez-vous;

  2. prodiguer des soins à Lily à la maison quand Patricia est au travail;

  3. amener Lily à l’école;

  4. se présenter à l’école quand son aide est nécessaire;

  5. accompagner Lily dans les sorties ou excursions de jeunes;

  6. amener Lily à l’église tous les dimanches.

[30] Cette forme d’aide ne peut être assurée à partir de l’étranger.

[31] La conclusion tirée par l’API, suivant laquelle il serait possible au demandeur d’offrir ces services très personnels à Lily en utilisant la technologie quand il se trouve en dehors du Canada, nous amène à douter que l’API ait véritablement évalué et pris en compte la preuve et les handicaps sévères de Lily.

[32] L’API a mentionné de façon générale qu’il avait pris en considération les lettres d’appui. À mon avis, les lettres expliquent pourquoi personne d’autre que le demandeur ne peut apporter la même aide à Lily, surtout pas à partir de l’étranger. Même s’il en a reconnu l’existence, l’API semble ne pas avoir tenu compte, dans son évaluation, du degré de participation du demandeur à la vie de Lily et de sa contribution au bien-être de sa sœur quotidiennement.

[33] L’API a plutôt mis l’accent sur le fait que le demandeur n’a présenté aucune preuve montrant qu’il est la seule personne apte à aider Lily. À cet égard, l’API semble avoir écarté ou sous-évalué les lettres de Patricia, de l’infirmière et de la directrice adjointe de l’école secondaire qui faisaient état des nombreux aspects physiques de l’aide apportée par le demandeur à Lily, qui sont décrits plus haut, et de l’impossibilité pour Patricia d’aider Lily quand elle travaille.

[34] Il est bien établi en droit qu’un décideur n’est pas tenu de faire référence à chaque élément de preuve qui lui a été présenté, car il est présumé avoir tenu compte de la totalité de la preuve versée au dossier : Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 943 au para 34; Jama c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1459 au para 17. Toutefois, si un élément de preuve touche un aspect fondamental des préoccupations de l’API, il devient important d’en traiter expressément : Cepeda-Gutierrez c Canada (Citoyenneté et Immigration) (1998), 1998 CanLII 8667 (CF) au para 17; Cezair c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 886 au para 27.

[35] Globalement, même s’il est loisible à l’API de tirer une conclusion donnée, celle-ci doit reposer sur la preuve qui a été présentée. En outre, les éléments de preuve qui touchent à un aspect fondamental des préoccupations de l’API doivent être évalués expressément, ce qui n’a pas été fait en l’espèce.

[36] À mon avis, l’API n’a pas porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale. Comme le défendeur l’a souligné, l’API n’a pas tiré de conclusions défavorables quant à la crédibilité de la lettre d’appui de Patricia, de sorte qu’il n’était pas tenu de donner au demandeur l’occasion de répondre. De fait, la décision ne porte pas à penser que l’API a douté des propos de Patricia. L’API a plutôt conclu que les éléments de preuve présentés étaient insuffisants; hormis les déclarations écrites du demandeur, la lettre d’appui de Patricia contient peu de détails.

[37] Je conviens qu’il incombe au demandeur de fournir suffisamment d’éléments de preuve pour convaincre le décideur et faire valoir ses arguments : Abolupe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 90 au para 57. En l’espèce, le demandeur a présenté une lettre d’appui où sa sœur Patricia explique le rôle qu’il joue dans la vie de sa famille.

[38] L’API a l’obligation d’évaluer adéquatement la preuve qui lui est présentée. Il a fait abstraction de l’importance de la présence du demandeur dans la vie de Patricia et de ses enfants, pour qui il tient lieu de père. Dans sa lettre, Patricia a indiqué être convaincue que le demandeur, [traduction] « en tant que figure paternelle, joue un rôle essentiel au développement de mes enfants afin qu’ils deviennent des personnes matures et équilibrées. Je suis convaincue que le départ [de leur oncle] leur causerait une peine émotionnelle profonde et serait préjudiciable à leur bien-être général ». Même si aucune des parties ne l’exprime en ces termes dans son mémoire, l’« intérêt supérieur des enfants » a été invoqué devant l’API.

[39] L’API a écarté cette information ou n’en a pas tenu compte. Or il a l’obligation d’évaluer adéquatement la preuve qui lui est présentée. Il a fait abstraction du rôle important que joue le demandeur dans la vie de sa sœur Patricia et du fait que le demandeur tient lieu de père aux enfants. Il est bien établi dans la jurisprudence qu’un agent doit toujours « être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants » : Baker c Canada (Citoyenneté et Immigration), 1999 CSC 2 RCS 817 [Baker] au para 75; Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy] au para 38; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Hawthorne, 2002 CAF 475 au para 10. Il est vrai également que cet intérêt doit se voir accorder un poids substantiel, sans être nécessairement déterminant au regard de la demande : Rainholz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 121 au para 88.

[40] Cette importance a aussi été clairement énoncée, au paragraphe 39 de l’arrêt Kanthasamy :

Par conséquent, la décision rendue en application du par. 25(1) sera jugée déraisonnable lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant qu’elle touche n’est pas suffisamment pris en compte (Baker, par. 75). L’agent ne peut donc pas se contenter de mentionner qu’il prend cet intérêt en compte (Hawthorne, par. 32). L’intérêt supérieur de l’enfant doit être « bien identifié et défini », puis être examiné « avec beaucoup d’attention » eu égard à l’ensemble de la preuve. (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.), par. 12 et 31; Kolosovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 165, par. 9-12 (CanLII)).

[41] Dans la décision Kanguatjivi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 327, au paragraphe 56, le juge en chef a réitéré ce qui suit :

À cet égard, les éléments de preuve concernant l’intérêt supérieur de l’enfant doivent être examinés avec prudence et attention au vu de l’ensemble de la preuve, et dans le contexte des circonstances personnelles de l’enfant : Garraway c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 286, au paragraphe 33 [Garraway]. Toutefois, une fois que cela a été fait, il revient à l’agent de déterminer le poids à accorder à l’intérêt supérieur de l’enfant selon les circonstances particulières : Legault, précité, au paragraphe 12. Il n’y a pas de « formule magique à laquelle devraient recourir les agents d’immigration dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Hawthorne, 2002 CAF 475, au paragraphe 7 [Hawthorne]; voir également Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 32 [Kisana] et Garraway, précitée, aux par. 32 et 33.

[42] Il est bien connu en droit que le demandeur doit présenter des éléments de preuve suffisants pour montrer qu’il sera personnellement touché par les conditions défavorables dans le pays, le Ghana en l’espèce. Ce point a été établi dans l’arrêt Kanthasamy et réitéré dans de nombreuses décisions : les demandeurs qui invoquent des motifs d’ordre humanitaire doivent être en mesure « d’établir un lien entre la preuve des difficultés qu’ils font valoir et leur situation particulière. Il ne suffit pas de faire état de difficultés sans établir un tel lien ».

[43] Même si je conviens qu’il n’est pas déraisonnable pour l’API de demander des preuves corroborantes supplémentaires, sa décision devient déraisonnable, à mes yeux, quand il omet de tenir compte de l’intérêt supérieur de Lily. S’il s’était attardé à cette question puis avait conclu, en raison d’un manque de preuve, qu’il n’avait pas été convaincu que Lily vivrait des difficultés injustifiables, la décision aurait été raisonnable.

[44] Dans la décision Lalane c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 6, le juge Shore s’exprime comme suit au paragraphe 1 :

L’allégation des risques au sein d’une demande de résidence permanente en vertu de considérations humanitaires (CH) doit être un risque particulier et personnel au demandeur. Le demandeur a le fardeau de démontrer un lien entre cette preuve et sa situation personnelle. Autrement, chaque ressortissant d’un pays en difficulté devrait recevoir une évaluation positive de sa demande CH, peu importe sa situation personnelle en cause, ce qui n’est pas le but et l’objectif d’une demande CH. En conclure ainsi constituerait une erreur à l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 25 de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) et délégué notamment à l’agent d’Examen des risques avant renvoi (ERAR) par le Ministre (Mathewa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 914, [2005] A.C.F. no 1153 (QL) au par. 10; également, le chapitre IP 5 du Guide de Citoyenneté et Immigration Canada sur le traitement des demandes au Canada intitulé « Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire » qui prévoit expressément que le risque identifié dans une demande CH doit être un risque personnalisé (section 13, p. 34) [...]

VI. Conclusion

[45] Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et la décision contestée sera annulée.

[46] L’affaire sera renvoyée à un autre API pour nouvel examen.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-934-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande est accueillie et la décision est annulée.

  2. L’affaire est renvoyée à un autre API pour nouvel examen.

  3. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée pour certification.

« E. Susan Elliott »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-934-21

 

INTITULÉ :

GRIFFITHS GYAMFI ADU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 MARS 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 13 OCTOBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Kingsley Jesuorobo

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Amy King

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kingsley I. Jesuorobo

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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