Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230926


Dossiers : IMM-11284-23

IMM-11737-23

Référence : 2023 CF 1302

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 26 septembre 2023

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

BLESSING CHINEDU NWAORGU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Blessing Chinedu Nwaorgu, présente une requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du Canada prise contre lui. Le renvoi doit avoir lieu le 28 septembre 2023.

[2] Le demandeur prie la Cour de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre lui jusqu’à ce que soient tranchées deux demandes sous‑jacentes d’autorisation et de contrôle judiciaire qu’il a présentées, l’une contre le refus de reporter l’exécution de la mesure de renvoi, et l’autre contre le rejet de sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente requête sera rejetée. Je conclus que le demandeur ne satisfait pas au critère à trois volets qui doit être respecté pour qu’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi soit accordé.

II. Les faits et les décisions sous-jacentes

[4] Le demandeur est un citoyen du Nigeria âgé de 47 ans. Il a trois enfants, qui résident tous au Canada.

[5] En mars 2018, le demandeur, son épouse d’alors et leurs trois enfants sont entrés au Canada et ont présenté des demandes d’asile. Dans une décision datée du 30 août 2019, la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté leurs demandes. Dans une décision datée du 2 février 2020, la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a rejeté l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre de la décision de la SPR. Le 17 mai 2021, la Cour a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire présentée par le demandeur à l’encontre de la décision de la SAR.

[6] Le 5 août 2021, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Cette demande a été rejetée le 20 décembre 2021.

[7] Le 3 février 2022, le demandeur et son épouse d’alors ont obtenu le divorce.

[8] Le 2 avril 2022, le demandeur a présenté une autre demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[9] Le 4 août 2022, le demandeur a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (l’ERAR).

[10] Le demandeur s’est remarié et, le 20 février 2023, il a présenté une demande de parrainage de son épouse afin que celle-ci obtienne la résidence permanente. Cette demande lui a été retournée deux fois parce qu’elle était incomplète avant que, le 3 juin 2023, elle soit acceptée aux fins de traitement.

[11] Le 9 août 2023, le demandeur a été informé que sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et sa demande d’ERAR étaient rejetées. Le 23 août 2023, il a reçu un avis de convocation à son renvoi, dont la date était fixée au 28 septembre 2023.

[12] Le 30 août 2023, le demandeur a présenté une demande de report du renvoi. Dans une lettre datée du 6 septembre 2023, cette demande a été refusée.

[13] Le 7 septembre 2023, le demandeur a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire contre le rejet de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Le 18 septembre 2023, le demandeur a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire contre le refus de reporter l’exécution de la mesure de renvoi.

III. Analyse

[14] Le critère à trois volets régissant l’octroi d’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi est bien établi : Toth c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1988 CanLII 1420 (CAF) (Toth); Manitoba (PG) c Metropolitan Stores Ltd, 1987 CanLII 79 (CSC), [1987] 1 RCS 110 (Metropolitan Stores Ltd); RJR-MacDonald Inc c Canada (Procureur général), 1994 CanLII 117 (CSC), [1994] 1 RCS 311 (RJR-MacDonald); R c Société Radio-Canada, 2018 CSC 5 (CanLII), [2018] 1 RCS 196.

[15] Le critère de l’arrêt Toth est conjonctif, c’est-à-dire que, pour qu’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi lui soit accordé, le demandeur doit établir à la fois : i) que la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente soulève une question sérieuse à trancher; ii) que le renvoi causerait un préjudice irréparable; et iii) que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi du sursis.

A. L’existence d’une question sérieuse

[16] Dans l’arrêt RJR-MacDonald, la Cour suprême du Canada a conclu que, pour décider si le premier volet du critère est respecté, il faut procéder à « un examen extrêmement restreint du fond de l’affaire » (RJR-MacDonald, à la p 314). La Cour doit également garder à l’esprit que le pouvoir discrétionnaire de reporter l’exécution d’une mesure de renvoi prise contre une personne est limité. La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’exécution est celle de la décision raisonnable (Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81 (CanLII), [2010] 2 RCF 311 au para 67) (Baron).

[17] Selon l’arrêt Baron, un demandeur qui conteste le refus de reporter l’exécution d’une mesure de renvoi doit satisfaire à une norme élevée en ce qui concerne le premier volet du critère de l’arrêt Toth, qui est d’établir l’existence d’une question sérieuse à trancher.

[18] Concernant le premier des trois volets du critère, le demandeur soutient que la demande de contrôle judiciaire sous-jacente présentée contre le refus de reporter l’exécution de la mesure de renvoi soulève des questions, notamment celle de savoir si l’agent a déraisonnablement mal apprécié les conséquences de son renvoi sur sa demande de parrainage en instance. Pour ce qui est de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente présentée contre le rejet de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, il soutient qu’elle soulève la question de savoir s’il a obtenu la reconnaissance due pour son travail en première ligne au plus fort de la pandémie de COVID-19, et ce, bien que les motifs de la décision n’aient pas encore été fournis.

[19] Les défendeurs soutiennent qu’aucune question sérieuse n’est soulevée, en faisant valoir que l’agent a raisonnablement refusé de reporter l’exécution de la mesure de renvoi du demandeur compte tenu de la latitude limitée dont il disposait pour le reporter, que le demandeur n’a pas satisfait à la norme élevée en ce qui concerne l’existence d’une question sérieuse dans le cas d’un refus de reporter l’exécution d’une mesure de renvoi, et que la demande de parrainage de l’épouse en instance ne constitue pas un motif justifiant le report d’un renvoi. Ils font également valoir que les arguments du demandeur à propos du rejet de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire n’établissent pas qu’il existe une question sérieuse à trancher, car ils sont sans fondement et hypothétiques.

[20] Après avoir examiné les documents des parties à la requête, je suis d’accord pour dire qu’aucune des demandes sous-jacentes du demandeur ne soulève une question sérieuse à trancher.

[21] En ce qui concerne la demande de report de l’exécution du renvoi, le demandeur n’a pas fourni une preuve suffisante pour démontrer que l’agent avait déraisonnablement mal apprécié les conséquences du renvoi sur sa demande de parrainage de l’épouse. Il n’a pas fourni une preuve suffisante pour démontrer qu’il lui serait impossible de présenter une nouvelle demande depuis l’étranger ou de revenir au Canada lorsque le traitement de la demande de parrainage actuelle serait terminé. Il convient de rappeler que les migrants n’ont pas un droit absolu d’entrer ou de demeurer au Canada (Medovarski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51 au para 46), et le demandeur ne peut pas présenter une requête en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi afin de pouvoir attendre l’issue d’une demande de parrainage dont le traitement pourrait durer des mois et qui ne serait pas nécessairement rendue théorique par son départ. Je conclus qu’il n’a pas établi l’existence d’une question sérieuse à trancher, compte tenu de la norme élevée relative au premier volet du critère de l’arrêt Toth.

[22] Quant à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve à l’appui de son affirmation selon laquelle la décision de rejeter cette demande ne témoignait pas suffisamment de reconnaissance à l’égard de son travail en première ligne pendant la pandémie de COVID-19. Je conviens que la dette morale envers les immigrants qui ont travaillé en première ligne pendant cette période ne peut être surestimée (Mohammed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1, au para 43), mais je ne dispose d’aucun élément de preuve relativement à la question de savoir si, ou de quelle façon, l’agent a reconnu cette dette dans la décision de rejeter la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. En l’absence d’élément de preuve, je ne puis conclure qu’il existe une question sérieuse à trancher.

B. Le préjudice irréparable

[23] Pour satisfaire au deuxième volet du critère, les demandeurs doivent démontrer que le refus de leur accorder la mesure demandée leur causerait un préjudice irréparable. Le terme « irréparable » n’a pas trait à l’étendue du préjudice; il indique plutôt qu’il s’agit d’un préjudice auquel il ne peut être remédié ou qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire (RJR‑MacDonald, à la p 341). La Cour doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le préjudice n’est pas hypothétique, mais elle n’a pas à être convaincue que le préjudice sera causé (Xu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 746, (CF 1re inst); Horii c Canada (CA), [1991] ACF no 984, [1992] 1 CF 142 (CAF)).

[24] Le demandeur soutient qu’il subirait un préjudice irréparable s’il était renvoyé au Nigeria, car il n’aurait alors aucun moyen de savoir si, ou quand, il reverrait ses enfants ou pourrait communiquer avec eux. Il fait également valoir que le renvoi d’une personne qui a travaillé en première ligne pendant la pandémie de COVID-19 causerait un préjudice irréparable à la réputation du Canada sur la scène internationale.

[25] Les défendeurs soutiennent que la séparation du demandeur d’avec sa famille ne constitue pas un préjudice irréparable et que l’affirmation du demandeur selon laquelle il ne pourrait pas retourner au Canada est hypothétique.

[26] Le fait que l’existence d’une question sérieuse à trancher ne soit pas établie est déterminant quant à la présente requête. Néanmoins, il n’est pas établi qu’un préjudice irréparable serait causé. Je souligne d’abord que le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve pour établir que son renvoi porterait préjudice à la réputation internationale du Canada et que, quoi qu’il en soit, le demandeur qui cherche en l’espèce à établir l’existence d’un préjudice irréparable n’est pas le Canada.

[27] Je comprends le demandeur, notamment parce que ses enfants n’auraient aucun moyen de se rendre au Nigeria et de revenir au Canada, mais la preuve dont je dispose ne suffit pas à établir qu’il est, ou qu’il serait, interdit de territoire au Canada ni qu’il ne pourrait pas maintenir sa relation avec ses enfants. J’ai pris acte de la lettre indiquant que son ex-femme s’est montrée peu coopérative au cours de la procédure de divorce, mais, à mon avis, cette lettre n’établit pas qu’elle refuserait de l’aider à communiquer avec ses enfants par appel vidéo ou que sa relation avec ses enfants serait rompue. Par ailleurs, une distinction doit être établie entre l’espèce et l’affaire Setireki c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2023 CanLII 42225 (CF), invoquée par le demandeur à l’appui de ses affirmations. Dans cette affaire, le demandeur a été accusé de harcèlement criminel envers son épouse et déclaré coupable de conduite avec facultés affaiblies en vertu du Code criminel, LRC 1985, c C-46, et la Cour prévoyait qu’il serait interdit de territoire au Canada et qu’il ne pourrait pas revenir voir sa famille. En l’espèce, la question d’une interdiction de territoire ne se pose pas. Je conviens avec les défendeurs que les inquiétudes du demandeur à propos de l’impossibilité pour lui de revenir au Canada relèvent de l’hypothèse. En l’absence d’élément de preuve démontrant que le renvoi du demandeur causerait une grave et longue interruption de la relation entre lui et ses enfants, il n’est pas établi qu’il en résulterait un préjudice irréparable.

C. La prépondérance des inconvénients

[28] Le troisième volet du critère nécessite l’appréciation de la prépondérance des inconvénients, qui consiste à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond (RJR‑MacDonald, à la p 342; Metropolitan Stores Ltd, à la p 129). Il a parfois été dit que, « [l]orsque la Cour est convaincue que l’existence d’une question sérieuse et d’un préjudice irréparable a été établie, la prépondérance des inconvénients militera en faveur du demandeur » (Mauricette c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 420 au para 48). Toutefois, la Cour doit également tenir compte de l’intérêt public pour assurer la bonne administration du système d’immigration.

[29] Le demandeur soutient que, s’il est renvoyé, la gravité du préjudice irréparable auquel il serait exposé l’emporte de beaucoup sur les bénéfices que pourraient tirer les ministres de son renvoi, et ce, bien que sa conduite n’ait pas été irréprochable, car ce préjudice serait lié à l’intérêt supérieur de ses enfants.

[30] Les défendeurs soutiennent que la prépondérance des inconvénients favorise le ministre, car le demandeur cherche simplement à maintenir le statu quo jusqu’à ce qu’il puisse entamer d’autres procédures administratives ou que sa demande de contrôle judiciaire sous-jacente puisse être tranchée, soit des motifs qui ne permettent pas de conclure que la prépondérance des inconvénients favorise le demandeur. Ils font également valoir que le demandeur n’a pas démontré qu’il était dans l’intérêt public de ne pas le renvoyer.

[31] Le fait que les deux premiers volets du critère ne soient pas respectés est déterminant quant à la présente requête. Néanmoins, la prépondérance des inconvénients favorise les défendeurs. Aux termes du paragraphe 48(2) de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, les mesures de renvoi doivent être exécutées dès que possible. La prépondérance des inconvénients favorise les ministres, car, en exécutant promptement la mesure de renvoi, ceux-ci protégeraient l’intégrité du système d’immigration canadien, étant donné que le demandeur a présenté et s’est vu refuser plusieurs demandes d’immigration, et qu’il n’a pas établi qu’il subirait un préjudice irréparable s’il était renvoyé au Nigeria.

[32] En définitive, le demandeur ne satisfait pas au critère à trois volets qui doit être respecté pour qu’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi soit accordé. La présente requête sera donc rejetée.


ORDONNANCE dans les dossiers IMM-11284-23 et 11737-23

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

La requête du demandeur visant à obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi est rejetée.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Normand Belhumeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

IMM-11284-23

IMM-11737-23

 

INTITULÉ :

BLESSING CHINEDU NWAORGU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 SEPTEMBRE 2023

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 SEPTEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kevin Spykerman

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

Thornhill (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.