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Date : 20231025


Dossier : IMM-2726-22

Référence : 2023 CF 1422

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 octobre 2023

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

HAMIDA OMAR HASSAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Hamida Omar Hassan, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 3 mars 2022 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a accueilli la demande présentée par le ministre au titre de l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), en vue de l’annulation de la décision ayant accordé le statut de réfugié au sens de la Convention de la demanderesse. Pour arriver à cette conclusion, la SPR a conclu que la demanderesse avait fait de fausses déclarations quant à sa véritable identité et qu’elle ne pouvait bénéficier de la protection accordée aux réfugiés, conformément à la section E de l’article premier de la Convention et à l’article 98 de la LIPR

[2] Pour les motifs qui suivent, j’accueille la présente demande.

II. Contexte

[3] La demanderesse est citoyenne de la Somalie. Le 19 août 2005, la SPR a conclu que la demanderesse et sa fille n’étaient pas des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Lorsqu’elle a demandé l’asile, la demanderesse a affirmé qu’elle n’était pas connue sous un autre nom, que son point d’embarquement était inconnu, et qu’elle devait être protégée en raison d’une récente attaque l’ayant visée ainsi que sa famille dans la campagne somalienne. Son mari a obtenu l’asile le 19 février 2007.

[4] Le 6 juillet 2008, le mari de la demanderesse a été arrêté à l’aéroport international Pearson, où il a avoué les faits suivants à un agent : 1) il avait fait de fausses déclarations quant à son identité au Canada et détenait la citoyenneté néerlandaise; 2) sa femme avait affirmé à tort que leur fille était née aux Pays‑Bas et qu’elle était citoyenne de ce pays et non de la Somalie; 3) sa femme avait vécu aux Pays‑Bas sous le nom de Bashir Ali Nadifo et avait obtenu le statut de résident dans ce pays puisqu’ils étaient mariés.

[5] Le 9 mai 2019 (près de 11 ans plus tard), le ministre a présenté une demande en vue d’annuler le statut de réfugié au sens de la Convention de la demanderesse, de son mari et de leur fille. À cette date, les dossiers de la demanderesse et de sa fille avaient été détruits conformément aux pratiques de conservation des documents.

[6] La demande d’annulation du ministre a été entendue le 31 mai 2021, le 4 novembre 2021, le 6 décembre 2021 et le 13 janvier 2022. Comme le mari et la fille de la demanderesse avaient la citoyenneté néerlandaise, ils se sont pliés aux demandes d’annulation.

[7] La demanderesse a admis qu’elle avait dissimulé des renseignements au sujet de son séjour aux Pays‑Bas et du fait qu’elle avait vécu sous le pseudonyme de Bashir Ali Nadifo. Cependant, elle a affirmé dans son témoignage que son vrai nom est Hamida Omar Hassan, c’est-à-dire le nom qu’elle a utilisé dans sa demande d’asile, et que Bashir Ali Nadifo était un faux nom qui figurait sur un passeport frauduleux qu’elle avait utilisé pour se rendre aux Pays‑Bas puisqu’elle‑même ne possédait pas de passeport.

[8] Au début de l’audience relative à la demande d’annulation, l’avocat de la demanderesse a demandé oralement la suspension de l’audience pour abus de procédure en raison du retard causé par le ministre et ayant entraîné la destruction du dossier de la demanderesse. Le tribunal a rendu de vive voix une décision interlocutoire par laquelle il a conclu à l’absence d’abus de procédure. Cette question, qui a été rejetée dans la décision écrite, a été soulevée une deuxième fois, dans des observations écrites après l’audience.

[9] Lors de l’audience, l’avocat de la demanderesse a tenté de faire admettre le certificat de mariage de cette dernière en tant que nouvel élément de preuve afin de réfuter l’allégation du ministre selon laquelle elle avait fait de fausses déclarations quant à son identité. Le tribunal saisi de la demande d’annulation a décidé, de vive voix, de ne pas admettre ce document en preuve.

[10] Le 8 mars 2022, la SPR a accueilli la demande, rejetant ainsi la demande d’asile de la demanderesse et annulant la décision par laquelle cette dernière avait obtenu l’asile.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[11] La SPR a commencé par examiner la preuve du ministre et le témoignage de la demanderesse. Elle a conclu que la fille de la demanderesse ne s’était pas réclamée de la protection des Pays‑Bas puisqu’elle n’avait pas inscrit ce pays à titre de pays de citoyenneté dans sa demande d’asile. Par conséquent, aucune preuve suffisante et non viciée, examinée à l’époque de la première décision, n’aurait pu justifier que la fille de la demanderesse se soit réclamée de la protection des Pays‑Bas. En outre, la SPR a conclu que, si le tribunal de première instance avait été au fait de leur statut aux Pays‑Bas, la demanderesse, son mari et leur fille n’auraient pas pu, conformément à la section E de l’article premier de la Convention, bénéficier de la protection accordée aux réfugiés.

[12] La SPR a conclu que le ministre avait présenté une preuve convaincante et non contredite selon laquelle la demanderesse avait fait de fausses déclarations sur des faits essentiels devant le tribunal de première instance, notamment qu’elle avait falsifié sa véritable identité et celle de sa fille mineure. Ainsi, à l’audience initiale comme à l’audience relative à la demande d’annulation, l’identité de la demanderesse contredisait considérablement la situation personnelle décrite dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) et dans son témoignage.

[13] La SPR a conclu que l’avocate du ministre avait respecté les trois conditions prévues au paragraphe 109(1) de la LIPR, telles que la Cour fédérale les a énoncées au paragraphe 7 de la décision Canada (Sécurité publique et de la Protection civile) c Gunasingam, 2008 CF 181, à savoir :

  • 1)il doit y avoir eu des présentations erronées sur un fait important ou une réticence sur ce fait – en l’espèce, les détails de l’entrée initiale de la demanderesse au Canada en utilisant une autre identité, ainsi que sa citoyenneté néerlandaise;

  • 2)ce fait doit se rapporter à un objet pertinent – l’omission de demander l’asile à l’égard de tous ses pays de nationalité ainsi que la question de l’identité sont fondamentales dans une demande d’asile;

  • 3)il doit exister un lien de causalité entre, d’une part, les présentations erronées ou la réticence, et, d’autre part, le résultat favorable obtenu – l’omission de demander l’asile à l’égard de tous ses pays de nationalité portera un coup fatal à la demande d’asile.

[14] En ce qui concerne la destruction du dossier initial de la demanderesse qui aurait découlé d’un abus de procédure de la part du ministre, la SPR a conclu qu’il n’y avait pas eu abus de procédure. Elle a conclu que la demanderesse avait eu l’occasion de fournir, dans son FRP ou dans son témoignage, tout autre renseignement véridique ou non. La demanderesse a répondu qu’il n’y avait pas d’autre renseignement à fournir. La SPR a souligné que, s’il existait des éléments de preuve susceptibles d’invalider la conclusion relative aux fausses déclarations, la demanderesse aurait pu les présenter à ce moment-là. Sa réponse à la plupart des questions de l’avocate du ministre a été [traduction] « [j]e ne me souviens pas ». Au vu des réponses de la demanderesse, la SPR a conclu que la destruction des documents originaux ne changeait rien au fait que la demanderesse avait fait de fausses déclarations quant à son identité.

[15] La SPR a conclu que, si le tribunal de première instance avait su que la demanderesse avait un statut de résident valide aux Pays-Bas lorsqu’elle a présenté sa demande et que celle‑ci a été accueillie, il aurait conclu qu’elle était visée par la clause d’exclusion prévue à la section E de l’article premier de la Convention. Puisque la demanderesse n’avait pas divulgué sa véritable identité, il est logique qu’elle n’ait présenté aucun document ni aucune explication raisonnable quant à l’absence de documents relatifs à une identité qu’elle n’avait jamais reconnue. En outre, au moment où la demanderesse a demandé l’asile au Canada, son statut aux Pays‑Bas était valide jusqu’en 2008. La SPR a mentionné que le premier tribunal de la SPR aurait exclu la demanderesse s’il avait eu connaissance de cette information.

[16] La SPR a souscrit à l’observation du ministre selon laquelle la demanderesse, en tant que résidente néerlandaise et épouse d’un citoyen néerlandais, avait des obligations et des droits semblables à ceux d’un ressortissant néerlandais conformément à la Convention, à la LIPR ainsi qu’à la jurisprudence canadienne. Elle a aussi fait remarquer que, même si la demanderesse a laissé expirer son statut de résident aux Pays-Bas, le critère relatif à l’exclusion prévue à la section E de l’article premier, qui est énoncé au paragraphe 19 de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zeng, 2010 CAF 118 [Zeng], fait manifestement en sorte qu’elle devrait tout de même être visée par la clause d’exclusion. La SPR a conclu que la demanderesse avait perdu son statut de résident permanent aux Pays-Bas de façon volontaire et qu’elle aurait pu le maintenir si elle avait fait preuve de diligence raisonnable. Elle a aussi conclu que la demanderesse n’avait pas présenté de motifs valables et suffisants pour avoir omis de maintenir ou de renouveler son statut aux Pays-Bas, et qu’elle ne pouvait donc pas bénéficier de la protection accordée aux réfugiés au Canada.

[17] La SPR a conclu que la demanderesse ne pouvait pas, conformément à la section E de l’article premier de la Convention et à l’article 98 de la LIPR, bénéficier de la protection accordée aux réfugiés.

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[18] La demanderesse soutient que les motifs présentés à l’appui de la décision selon laquelle elle a fait de fausses déclarations quant à sa véritable identité sont déraisonnables.

[19] Elle fait aussi valoir que la SPR a commis une erreur en concluant qu’elle ne pouvait bénéficier de la protection accordée aux réfugiés, conformément à la section E de l’article premier de la Convention.

[20] La demanderesse soutient que la décision par laquelle la SPR a refusé de suspendre l’instance pour cause d’abus de procédure en raison du retard dans la présentation, par le ministre, de la demande d’annulation constituait un manquement à l’équité procédurale ainsi qu’un abus de procédure.

[21] En ce qui concerne les deux premières questions, les parties conviennent, et c’est aussi mon avis, que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. La Cour suprême du Canada a conclu que, lors du contrôle judiciaire d’une décision administrative sur le fond (le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne porte pas sur un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23 [Vavilov]. Bien que cette présomption soit réfutable, aucune des exceptions à cette présomption n’est présente en l’espèce.

[22] Une décision raisonnable est justifiée, transparente et intelligible, et elle est axée sur la décision rendue, y compris sur sa justification : Vavilov, au para 15. Dans l’ensemble, une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85.

[23] La troisième question en est une d’équité procédurale. La norme de contrôle applicable, qui a été décrite comme s’apparentant au contrôle selon la norme de la décision correcte, est celle de savoir si la décision était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances. (Voir : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35. Voir aussi Ganeswaran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1797 aux para 20-28 [Ganeswaran].)

[24] La demanderesse soutient que la décision est déraisonnable et incorrecte.

[25] Le défendeur n’énonce pas expressément une norme de contrôle.

V. Analyse

[26] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la SPR a déraisonnablement conclu que la demanderesse avait fait de fausses déclarations concernant sa véritable identité et qu’elle ne pouvait bénéficier de la protection accordée aux réfugiés, conformément à la section E de l’article premier de la Convention et à l’article 98 de la LIPR.

[27] Au paragraphe 17 de l’arrêt Coomaraswamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2002 CAF 153 [Coomaraswamy], la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’un défendeur peut présenter une nouvelle preuve à l’audience relative à une demande d’annulation dans le but de réfuter les allégations de fausses déclarations présentées par le ministre. En ce qui concerne la Loi sur l’immigration, qui a été remplacée par la LIPR, le juge Evans a affirmé ce qui suit :

Bien entendu, lorsqu’il tente d’établir au sens du paragraphe 69.2(2) qu’un revendicateur a donné de fausses indications lors de l’audience sur la reconnaissance du statut de réfugié, le ministre peut présenter à l’audience d’annulation une preuve qui n’a pas été déposée devant la Commission lorsque celle-ci s’est prononcée sur la revendication du statut de réfugié. De même, un revendicateur peut présenter une nouvelle preuve à l’audience d’annulation pour tenter de convaincre la Commission qu’il n’a pas donné les fausses indications que lui reproche le ministre.

[28] Au paragraphe 27 de la décision Wahab c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1554, la juge Gauthier, alors juge à notre Cour, a conclu que les paragraphes 69.2(2) et 62.3(5) de la Loi sur l’immigration « sont essentiellement les mêmes que les paragraphes 109(1) et (2) de la LIPR, ce qui fait que la Cour est liée par ces décisions ».

[29] Afin de réfuter l’allégation du ministre selon laquelle elle avait fait de fausses déclarations quant à son identité, la demanderesse a présenté son certificat de mariage, qui comprenait une photo d’elle et mentionnait son vrai nom, Hamida Omar Hassan. La SPR n’a pas accepté cette preuve et a indûment concentré son analyse sur les exigences énoncées au paragraphe 109(2), qui prévoit ce qui suit : « [La SPR] peut rejeter la demande si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile. » Comme la demanderesse a présenté son certificat de mariage afin de réfuter l’allégation du ministre relative aux fausses déclarations conformément au paragraphe 109(1), il n’était pas loisible à la SPR de rejeter la demande en vertu du paragraphe 109(2).

[30] Au paragraphe 122 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a conclu qu’une décision « peut être déraisonnable en raison de l’omission [par le décideur] d’expliquer ou de justifier une dérogation à un précédent contraignant dans lequel a été interprétée la même disposition ». En outre, au paragraphe 128, elle a conclu que « le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise ». La SPR s’est écartée du précédent établi dans l’arrêt Coomaraswamy, et cette erreur entache la décision dans son ensemble puisque la SPR est parvenue à sa conclusion sans tenir compte de la preuve susceptible de réfuter la thèse du ministre.

[31] Je suis d’accord avec l’avocat de la demanderesse pour dire que l’une des principales allégations du ministre était que la demanderesse avait fait de fausses déclarations quant à son identité et que la nouvelle preuve touchait au cœur de cette question. Rien ne justifiait que cette preuve soit rejetée.

[32] Le fait que la conclusion selon laquelle la demanderesse a fait de fausses déclarations quant à son identité imprègne l’ensemble de la décision montre que la SPR ne s’est pas attaquée à la question principale, et remet en cause la question de savoir si le décideur était effectivement attentif et sensible à l’affaire dont il était saisi. Pour cette raison, la décision est déraisonnable.

[33] De plus, la SPR a déraisonnablement conclu que, si la demanderesse n’avait pas dissimulé l’information concernant son séjour aux Pays‑Bas lors de l’audience initiale, il aurait été établi qu’elle ne pouvait pas bénéficier, conformément à la section E de l’article premier de la Convention, de la protection accordée aux réfugiés. Je suis d’accord avec la demanderesse qu’il n’était pas loisible à la SPR de conclure que le ministre s’était acquitté de son fardeau d’établir que, à première vue, la demanderesse ne pouvait pas bénéficier de la protection accordée aux réfugiés. En effet, le ministre s’est fondé sur deux éléments de preuve pour arriver à cette conclusion, le premier étant la demande de visa [traduction] « STATUT TEMPORAIRE AUX PB (VERBLIJFSDOCUMENT) » présentée par la demanderesse en 2004 (visa valide jusqu’au 25 avril 2008). L’autre élément de preuve était tiré du site Web du service néerlandais d’immigration et de naturalisation (le SNIN), et portait sur les droits et obligations des époux étrangers de citoyens néerlandais.

[34] Au paragraphe 35 de la décision Mai c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2010 CF 192 [Mai], la Cour a conclu qu’il incombe d’abord au ministre de montrer que la personne visée a un statut permanent. Cependant, je suis d’accord avec la demanderesse qu’il était déraisonnable pour la SPR de conclure que le ministre s’était acquitté de son fardeau d’établir l’existence d’une preuve, suffisante à première vue, pour exclure la demanderesse en se fondant sur un document dont la nature était temporaire selon un agent canadien des visas. Ce document était insuffisant pour établir l’existence d’une preuve, suffisante à première vue, pour exclure la demanderesse.

[35] En ce qui concerne le deuxième élément de preuve tiré du SNIN, le contexte temporel applicable à l’évaluation de l’exclusion est la date à laquelle la demanderesse a présenté sa demande d’asile : Parvanta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1146 [Parvanta] au para 13. La SPR a commis une erreur en n’examinant pas quels auraient été les droits de la demanderesse en 2005, ce qui aurait nécessité une évaluation de la législation néerlandaise en matière d’immigration en vigueur à cette époque. Elle a plutôt accepté le fait que la preuve non datée du ministre décrivait les droits des époux étrangers en 2005 malgré l’absence de renseignements à savoir si l’information datait de 2021 ou de 2005. L’omission, par la SPR, d’examiner cette observation nous amène à la question de savoir si elle s’est montrée réceptive, attentive et sensible aux questions dont elle était saisie.

[36] Au paragraphe 13 de la décision Romero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 506 [Romero], la Cour fédérale a conclu que le ministre n’avait pas établi une preuve, suffisante à première vue, pour exclure la demanderesse puisqu’elle n’avait plus le soutien de son mari et ne pouvait donc pas renouveler son statut de résident. En l’espèce, la demanderesse a affirmé qu’elle perdrait son statut si sa relation avec son mari prenait fin. Cette affirmation a été confirmée dans le document du SNIN, qui indiquait ce qui suit : [traduction] « Vous et votre partenaire devez vivre ensemble. » Dans son témoignage, la demanderesse a affirmé qu’elle souhaitait rester au Canada sans son mari, qu’ils étaient en conflit, et qu’elle refusait même que celui-ci voie leur bébé. Son mari a confirmé ce témoignage en 2008 lorsqu’il a affirmé à l’ASFC qu’ils étaient [traduction] « divorcés », a décrit la demanderesse comme étant son « ex‑femme », et a affirmé que le couple « avait des problèmes ».

[37] L’omission, par la SPR, de mentionner les conditions rattachées au statut de la demanderesse aux Pays‑Bas constitue une preuve supplémentaire qu’elle n’était pas attentive et sensible à l’affaire dont elle était saisie,

[38] Le critère à trois volets pour déterminer si un retard qui ne porte pas atteinte à l’équité de l’audience constitue néanmoins un abus de procédure est énoncé au paragraphe 102 de l’arrêt Blencoe c Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 :

  1. Le retard doit être excessif à la lumière du contexte, notamment les facteurs non exhaustifs suivants :

    1. la nature et l’objet des procédures;

    2. la longueur et les causes du retard;

    3. la complexité des faits et des questions en litige de l’affaire.

  2. Le retard doit avoir directement causé un préjudice important, ce qui constitue une question de fait.

  3. Lorsque ces deux conditions sont remplies, les tribunaux procèdent à une dernière évaluation afin de déterminer si le retard constitue un abus de procédure. Un retard constituera un abus de procédure s’il est manifestement injuste envers une partie ou qu’il a de quelque autre façon pour effet de discréditer l’administration de la justice.

[39] Récemment, au paragraphe 102 de l’arrêt Law Society of Saskatchewan c Abrametz, 2022 CSC 29, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur les réparations possibles lorsqu’un abus de procédure a été établi :

[102] Lorsqu’un abus de procédure a été établi, diverses réparations peuvent être accordées. Dans de rares cas où continuer les procédures serait plus préjudiciable à l’intérêt public que les arrêter de façon permanente, l’arrêt des procédures sera justifié. Lorsque ce seuil n’est pas atteint, il existe d’autres réparations possibles, notamment la réduction de la sanction et la modification de quelque ordonnance relative aux dépens.

[40] En l’espèce, je suis d’accord avec le défendeur que, malgré l’existence d’un certain retard, l’argument relatif à l’abus de procédure est voué à l’échec puisque la demanderesse ne remplit pas le volet du critère relatif au préjudice important, car tout retard excessif n’est pas manifestement injuste à son égard et n’a pas pour effet de discréditer l’administration de la justice.

[41] En outre, même si la demanderesse avait établi l’existence d’un abus de procédure, la suspension de l’audience, qui constitue un recours parmi d’autres, n’aurait pas été justifiée en l’espèce. Pour consentir à une suspension, « la cour doit être convaincue que [TRADUCTION] “le préjudice qui serait causé à l’intérêt du public dans l’équité du processus administratif, si les procédures suivaient leur cours, excéderait celui qui serait causé à l’intérêt du public dans l’application de la loi, s’il était mis fin à ces procédures” […] “Les cas de cette nature seront toutefois extrêmement rares” » : Blencoe, au para 120.

[42] La situation de la demanderesse ne correspond pas à la catégorie des cas extrêmement rares.

VI. Conclusion

[43] Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[44] La réponse de la SPR à l’argument d’abus de procédure de la demanderesse était juste à la lumière de ses conclusions de fond. Les considérations relatives à l’abus de procédure pourraient changer si la SPR modifiait sa décision sur le fond lors du nouvel examen de la présente affaire.

[45] La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour nouvel examen.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2726-22

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour nouvel examen.

  2. Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2726-22

 

INTITULÉ :

HAMIDA OMAR HASSAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 MARS 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 octobre 2023

 

COMPARUTIONS :

Adam Bercovitch Sadinsky

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Lorne McClenaghan

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Silcoff, Shacter

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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