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Date : 20231027


Dossier : IMM-10210-22

Référence : 2023 CF 1434

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2023

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

NAVJOT KAUR MAAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Navjot Kaur Maan, est une citoyenne de l’Inde. Elle sollicite le contrôle judiciaire d’une décision du 26 septembre 2022 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté son appel et confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de rejeter sa demande d’asile. La question déterminante, tant pour la SPR que pour la SAR, portait sur la crédibilité.

[2] La demanderesse fait valoir que la conclusion défavorable de la SAR quant à la crédibilité était déraisonnable en ce sens que (i) les conclusions défavorables quant à la crédibilité étaient insuffisantes pour lui permettre de conclure intelligemment que les événements allégués ne se sont pas produits; (ii) la SAR n’a présenté aucun raisonnement logique et cohérent, ni même une explication quant aux raisons pour lesquelles elle était d’accord avec la SPR au sujet des erreurs alléguées de l’interprète; et (iii) la conclusion était fondée sur des détails pointus qui concernaient des questions accessoires.

[3] Le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement conclu que la demanderesse n’était pas crédible compte tenu de l’accumulation de contradictions, d’omissions et d’incohérences. Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas fourni de justifications raisonnables pour les incohérences et qu’elle a plutôt blâmé l’interprète.

[4] Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

II. Analyse

[5] Les parties conviennent que, pour être raisonnable, une décision doit être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 85).

[6] En l’espèce, la question déterminante est celle de la crédibilité. Les conclusions quant à la crédibilité font partie du processus de recherche des faits et appellent une déférence considérable lors d’un contrôle (Fageir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 966 au para 29; Tran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 721 au para 35; Azenabor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1160 au para 6). De telles conclusions que tirent la SPR et la SAR requièrent un degré élevé de retenue judiciaire, et il n’y a lieu de les infirmer que « dans les cas les plus évidents » (Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 720 au para 12).

[7] Bien que j’estime que la SAR a traité un certain nombre de questions de manière raisonnable et que le fait de jeter le blâme sur l’interprète n’est certainement pas une panacée, je conclus que la décision est déraisonnable pour les motifs suivants. La demanderesse a dit dans son témoignage devant la SPR qu’elle avait été libérée de prison à la suite du versement d’un [traduction] « pot-de-vin ». Dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile, elle a déclaré que ses parents avaient réussi à amasser [traduction] « 50 000 roupies pour [s]a caution » (non souligné dans l’original). Dans son affidavit, le père de la demanderesse a déclaré qu’il [traduction] « a payé un pot-de-vin de 50 000 roupies à la police pour obtenir la libération de [s]a fille » (non souligné dans l’original). La SPR a demandé à la demanderesse les raisons pour lesquelles, dans son exposé circonstancié, elle avait [TRADUCTION] « écrit que [ses] parents avaient payé une caution plutôt qu’un pot-de-vin ». La demanderesse a déclaré ce qui suit : [traduction] « C’est ce que j’ai dit à l’interprète, mais je ne sais pas pourquoi. »

[8] La demanderesse soutient que l’exposé circonstancié a été rempli par un interprète bénévole et que le mot [traduction] « caution » a été utilisé au lieu du mot [traduction] « pot-de-vin ». Elle soutient qu’il s’agit d’une incohérence mineure et que le mot [traduction] « pot-de-vin » est utilisé partout ailleurs dans le dossier. Cette affirmation concorde avec l’exposé circonstancié de la demanderesse selon lequel la détention était illégale, et avec la pratique de payer des pots-de-vin à la police corrompue pour obtenir une libération, comme il est décrit dans le Cartable national de documentation.

[9] Dans sa décision, la SAR a souligné que la demanderesse avait eu le temps de modifier son exposé circonstancié pour corriger le mot [traduction] « caution » et qu’il ne s’agit pas d’un détail accessoire, car il concerne les interactions directes de la demanderesse avec son agent de persécution. À ce sujet, la SAR a conclu que, [traduction] « par conséquent, elle ne bénéficie plus de la présomption de véracité ».

[10] La demanderesse soutient qu’il était déraisonnable qu’elle perde la présomption de véracité uniquement pour ce motif parce qu’il s’agissait d’une banale incohérence qui ne figure nulle part ailleurs dans le dossier.

[11] Selon le défendeur, la SAR a jugé la demanderesse non crédible en raison de l’accumulation de contradictions, d’omissions et d’incohérences.

[12] Je conviens avec le défendeur qu’un demandeur d’asile peut être jugé non crédible pour plusieurs motifs cumulés – c’est-à-dire une accumulation d’incohérences et de contradictions –, mais ce n’est pas ce qui est écrit dans la décision de la SAR. La première incohérence dont la SAR a traité dans la décision était la question de l’argent payé pour la mise en liberté de la demanderesse (pot-de-vin par rapport à caution). Avant d’examiner les autres questions, la SAR a conclu, relativement à cette question, que la demanderesse [traduction] « ne bénéfici[ait] plus de la présomption de véracité ».

[13] Les conclusions relatives à la crédibilité commandent une grande retenue. Toutefois, j’estime que, dans les circonstances particulières de l’espèce et compte tenu du dossier dont la SAR était saisie, la conclusion défavorable que cette dernière a tirée quant à la crédibilité en se fondant uniquement sur l’utilisation du mot [traduction] « caution » dans l’exposé circonstancié de la demanderesse ne satisfait pas à la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov.

[14] Ayant conclu que la décision est déraisonnable, je n’ai pas à me pencher sur les autres questions soulevées par la demanderesse.

III. Conclusion

[15] Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision sera annulée et l’affaire sera renvoyée à la SAR pour nouvel examen par un tribunal constitué différemment. Aucune question de portée générale à certifier n’a été proposée, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-10210-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est accueillie.

  2. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à la SAR pour nouvel examen par un tribunal constitué différemment.

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Vanessa Rochester »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-10210-22

INTITULÉ DE LA CAUSE :

NAVJOT KAUR MAAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 OCTOBRE 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 27 OCTOBRE 2023

COMPARUTIONS :

François Ouimet

POUR LA DEMANDERESSE

Camille Châteauneuf

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

François Ouimet

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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