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Date : 20231030

Dossiers : T-569-20

T-577-20

T-581-20

T-677-20

T-735-20

T-905-20

Référence : 2023 CF 1419

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 octobre 2023

En présence de madame la juge Kane

Dossier : T-569-20

ENTRE :

CASSANDRA PARKER ET

K.K.S. TACTICAL SUPPLIES LTD.

demanderesses

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA



intervenant


Dossier : T-577-20


ET ENTRE :

COALITION CANADIENNE POUR LES DROITS AUX ARMES À FEU, RODNEY GILTACA, LAURENCE KNOWLES, RYAN STEACY,

MACCABEE DEFENSE INC.,

ET WOLVERINE SUPPLIES LTD.

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA

intervenant

Dossier : T-581-20

ET ENTRE :

JOHN PETER HIPWELL

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA

intervenant

Dossier : T-677-20

ET ENTRE :

MICHAEL JOHN DOHERTY, NILS ROBERT EK,

RICHARD WILLIAM ROBERT DELVE,

CHRISTIAN RYDICK BRUHN,

PHILIP ALEXANDER MCBRIDE,

LINDSAY DAVID JAMIESON,

DAVID CAMERON MAYHEW

MARK ROY NICHOL ET PETER CRAIG MINUK

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA

intervenant

Dossier : T-735-20

ET ENTRE :

CHRISTINE GENEROUX, JOHN PEROCCHIO ET VINCENT PEROCCHIO

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA

intervenant

Dossier : T-905-20

ET ENTRE :

JENNIFER EICHENBERG, DAVID BOT,

LEONARD WALKER,

BURLINGTON RIFLE AND REVOLVER CLUB,

MONTREAL FIREARMS RECREATION CENTRE, INC.,

O’DELL ENGINEERING LTD

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA

intervenant

JUGEMENT ET MOTIFS

Table des matières

I. Introduction 8

II. L’historique et le contexte 13

A. Les dispositions législatives applicables 13

B. Qui est le gouverneur en conseil et comment prend-il des règlements? 16

C. Le décret et le Règlement 18

D. L’historique législatif 20

E. Le Tableau de référence des armes à feu 25

F. Le résumé de l’étude d’impact de la réglementation 27

III. Aperçu : les demandeurs, l’intervenant et leurs positions 32

A. Parker et al c PGC (T-569-20) [les demanderesses dans l’affaire Parker] 32

B. La Coalition canadienne pour les droits aux armes à feu et al c PGC (T-577-20) [les demandeurs dans l’affaire CCDAF] 36

C. Hipwell c PGC (T-581-20) 38

D. Doherty et al c PGC (T-677-20) [les demandeurs dans l’affaire Doherty] 41

E. Generoux et al c PGC (T-735-20) [les demandeurs dans l’affaire Generoux] 43

F. Eichenberg et al c PGC (T-905-20) [les demandeurs dans l’affaire Eichenberg] 45

G. Le procureur général de l’Alberta (l’intervenant) 48

H. Les mesures de réparation demandées par les demandeurs 51

IV. Aperçu : la position du PGC 51

V. Les questions en litige 54

VI. Les éléments de preuve 55

VII. La norme de contrôle 59

A. Les observations des demandeurs 59

B. Les observations du PGC 60

C. La jurisprudence 61

VIII. La Cour devrait-elle tirer une inférence défavorable du fait que le PGC a attesté que les renseignements constituaient des renseignements confidentiels du Cabinet et qu’il a omis de produire le dossier dont disposait le gouverneur en conseil? 68

A. Les observations des demandeurs 68

B. Les observations du PGC 70

C. Aucune inférence défavorable ne devrait être tirée 70

IX. Le décret et le Règlement outrepassent-ils les pouvoirs conférés au paragraphe 117.15(2) du Code criminel? L’avis et la décision du gouverneur en conseil sont-ils raisonnables? 75

A. Les observations de l’intervenant, le procureur général de l’Alberta 75

B. Les observations des demandeurs 76

(1) Le Règlement est invalide et l’avis et la décision du gouverneur en conseil ne sont pas raisonnables 76

(2) Les armes à feu maintenant prohibées peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport 85

C. Les observations du PGC 88

(1) Le Règlement n’est pas invalide et la décision du gouverneur en conseil est raisonnable. 88

(2) Les armes à feu maintenant prohibées ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse 93

D. Le Règlement n’est pas invalide et l’avis et la décision du gouverneur en conseil sont raisonnables 94

(1) Contrôle judiciaire du Règlement 94

(2) Le contexte factuel et juridique pertinent n’inclut pas la manière dont le gouvernement a procédé 98

(3) Le Parlement n’a pas abdiqué son rôle législatif 99

(4) La compatibilité avec l’objectif général de la loi et des dispositions législatives pertinentes 102

(5) Le gouverneur en conseil a formulé un avis 104

(6) L’avis du gouverneur en conseil est raisonnable 105

X. Le gouverneur en conseil a‐t‐il illégalement sous‐délégué aux SSSAF son pouvoir de classer certaines armes à feu dans la catégorie des armes à feu prohibées? 124

A. Les observations des demandeurs 124

(1) Seul le gouverneur en conseil a le pouvoir de désigner des armes à feu comme prohibées 124

(2) Le TRAF est un régime réglementaire de fait 125

(3) Les contraintes du paragraphe 117.15(2) devraient s’appliquer aux SSSAF 126

(4) Il n’existe aucun critère pour désigner une « variante » 127

(5) Toutes les variantes devraient être nommées dans le Règlement; aucune variante non nommée 127

(6) Les futures variantes ne peuvent être désignées comme armes à feu prohibées 128

B. Les observations du PGC 129

(1) Aucun pouvoir n’a été sous‐délégué aux SSSAF; le Règlement interdit les variantes 129

(2) Tant les variantes nommées que les variantes non nommées sont prohibées 130

(3) Les mises à jour du TRAF depuis mai 2020 131

(4) Les critères pour le classement des armes à feu 132

(5) Le classement n’est pas à l’abri d’un examen 132

C. Le pouvoir du gouverneur en conseil conféré par le paragraphe 117.15(2) n’as pas été sous‐délégué 133

(1) Les dispositions législatives 133

(2) Le TRAF n’est pas un régime réglementaire de fait 135

(3) Le TRAF est une base de données et une ressource administrative 136

(4) Les tribunaux déterminent en dernier ressort si une variante est une arme prohibée 140

(5) Les critères relatifs au classement 142

(6) L’assurance de la qualité pour le classement et l’inscription dans le TRAF 144

(7) Il existe un processus d’examen 145

(8) La prohibition de variantes « futures » 146

XI. Y a-t-il eu manquement à l’obligation d’équité procédurale dans la décision du gouverneur en conseil ou dans les évaluations d’armes à feu réalisées par les SSSAF? 149

A. Les observations des demandeurs 149

B. Les observations du PGC 150

C. Il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale 151

XII. Le Règlement contrevient-il à l’article 7 de la Charte en raison de son imprécision, de sa portée trop large ou de son caractère arbitraire et, le cas échéant, l’atteinte est-elle justifiée au titre de l’article premier? 153

A. Les observations des demandeurs 153

(1) Le terme « variante » est imprécis 154

(2) Les interdictions en fonction du diamètre de l’âme et de l’énergie initiale sont imprécises 157

(3) Le Règlement contient une liste exhaustive de variantes 158

(4) Le Règlement est arbitraire et sa portée est excessive 159

(5) L’atteinte aux droits n’est pas justifiée au titre de l’article premier 159

B. Les observations du PGC 160

(1) Il n’y a pas d’atteinte au droit à la sécurité de la personne 160

(2) Le droit à la liberté est mis en jeu, mais en conformité avec les principes de justice fondamentale. 160

(3) Le Règlement n’est pas d’une imprécision inacceptable 161

(4) Le Règlement ne contient pas une liste exhaustive des variantes 162

(5) Les interdictions en fonction du diamètre de l’âme et de l’énergie initiale ne sont pas imprécises 163

(6) Le Règlement n’est pas arbitraire et sa portée n’est pas excessive 164

(7) Toute atteinte aux droits garantis par la Charte est justifiée au titre de l’article premier 165

C. Le Règlement ne porte pas atteinte au droit à la sécurité de la personne garanti à l’article 7. Même s’il contrevient au droit à la liberté garanti à l’article 7, il n’est pas imprécis, de portée excessive ou arbitraire 167

(1) Le droit à la sécurité de la personne garanti à l’article 7 n’est pas mis en jeu 167

(2) Le droit à la liberté garanti à l’article 7 est mis en jeu 168

(3) Le Règlement n’est pas d’une imprécision inacceptable, n’a pas une portée excessive et n’est pas arbitraire 168

(4) Toute contravention à l’article 7 constitue une limite raisonnable justifiée au titre de l’article premier 186

XIII. Le Règlement contrevient-il aux articles 8, 11, 15 ou 26 de la Charte et, dans l’affirmative, l’atteinte est-elle justifiée au titre de l’article premier? 202

A. Les observations des demandeurs 202

(1) L’article 8 203

(2) L’article 11 203

(3) L’article 15 204

(4) L’article 26 208

B. Les observations du PGC 208

C. Le Règlement ne porte pas atteinte aux articles 8, 11, 15 ou 26 210

(1) L’article 8 ne s’applique pas. 210

(2) L’article 11 ne s’applique pas. 211

(3) L’article 15 ne s’applique pas. 212

(4) L’article 26 ne s’applique pas. 214

XIV. Le Règlement contrevient-il à la Déclaration canadienne des droits? 215

A. Les observations des demandeurs 215

B. Les observations du PGC 215

C. Le Règlement ne contrevient pas à la Déclaration canadienne des droits 216

XV. Conclusion 218

 


I. Introduction

[1] Six demandes de contrôle judiciaire, dont la plupart intéressaient plusieurs demandeurs et soulevaient plusieurs questions communes, ont fait l’objet d’une gestion de l’instance et ont été instruites ensemble. Le présent jugement et ses motifs s’appliquent à toutes ces demandes.

[2] Les demandes portent sur le règlement promulgué par le gouverneur en conseil le 1er mai 2020, à savoir le Règlement modifiant le Règlement désignant des armes à feu, armes, éléments ou pièces d’armes, accessoires, chargeurs, munitions et projectiles comme étant prohibés, à autorisation restreinte ou sans restriction, DORS/2020-96 [le Règlement]. Le Règlement a été pris en vertu du pouvoir conféré par le Code criminel, LRC 1985, c C-46, et a pour effet d’interdire la possession et l’utilisation des armes à feu désignées, des armes à feu des mêmes modèles qui comportent des variantes ou qui ont subi des modifications, ainsi que des armes à feu qui présentent certaines caractéristiques physiques.

[3] Les demandeurs soulèvent plusieurs questions, dont certaines sont communes tandis que d’autres sont uniques. Les questions communes consistent à savoir si le Règlement outrepasse le pouvoir délégué énoncé au paragraphe 117.15(2) du Code criminel; s’il porte atteinte à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11 [la Charte], en raison de son caractère imprécis et arbitraire ou de sa portée excessive; s’il porte atteinte à d’autres droits protégés par la Charte; et s’il contrevient à la Déclaration canadienne des droits, LC 1960, c 44. Toutes les questions sont présentées en détail ci-après.

[4] Le procureur général de l’Alberta a été autorisé à intervenir sur la question de savoir si le Règlement est invalide et il est intervenu de plein droit en ce qui concerne les questions constitutionnelles soulevées par les demandeurs.

[5] L’un des demandeurs a soulevé la question de savoir si les demandes en l’espèce concernaient véritablement la nécessité de réglementer davantage les armes à feu au Canada. Le présent jugement ne constitue pas une opinion sur la question de savoir si les armes à feu devraient être réglementées davantage au Canada ni sur la façon d’y parvenir. Le débat sur la nécessité de diminuer le risque posé par les armes à feu et sur la façon de diminuer ce risque a cours depuis des décennies et se poursuivra sans aucun doute. La question dont la Cour est saisie est une question de droit, à savoir si le gouverneur en conseil a agi dans les limites de son pouvoir en prenant le Règlement et a rendu ainsi une décision raisonnable lorsqu’il a désigné comme étant prohibées les armes à feu qui, à son avis, ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse et le sport.

[6] De façon générale, les demandeurs soutiennent que ce ne sont pas les armes à feu qui constituent une menace réelle pour la sécurité publique, mais plutôt les personnes qui obtiennent ou utilisent des armes à feu illégalement. Les demandeurs soulignent que l’utilisation qu’ils font des armes à feu est déjà hautement réglementée et qu’ils prennent la sécurité très au sérieux et respectent la législation en vigueur, ainsi que les exigences en matière de permis et d’enregistrement. Les demandeurs s’entendent pour dire qu’aucun autre règlement n’est nécessaire et, plus particulièrement que le Règlement ne contribuera pas davantage à la protection de la sécurité publique.

[7] Les demandeurs font valoir que l’objectif du Règlement visant à cibler la sécurité publique n’est pas à propos, car la question consiste uniquement à savoir si les armes à feu maintenant prohibées peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse et le sport.

[8] Selon les demandeurs, les armes à feu désignées dans le Règlement comme étant prohibées peuvent bel et bien être utilisées pour la chasse et le sport; le gouverneur en conseil n’a pas respecté les limites de son pouvoir délégué; et son avis n’est pas raisonnable. Les demandeurs renvoient à de nouveaux éléments de preuve sur l’historique de l’utilisation de ces armes à ces fins et soutiennent qu’il ne s’agit pas d’armes à feu de « style arme d’assaut » ou de « style militaire » comme le fait valoir le défendeur.

[9] Le défendeur, le procureur général du Canada [le PGC], soutient que le gouverneur en conseil a agi dans les limites de son pouvoir lorsqu’il a formulé l’avis selon lequel les armes à feu ne conviennent pas à une utilisation civile pour la chasse et le sport en raison de leur caractère mortel inhérent, de la possibilité de causer des préjudices graves et, de façon plus générale, de leur incidence sur la sécurité publique.

[10] Les demandeurs et le PGC ont tous présenté une [traduction] « montagne d’éléments de preuve » (pour reprendre les mots des demandeurs) à l’appui de leur position respective. Une liste des déposants est jointe aux présentes à titre d’ANNEXE A. De nombreux déposants ont présenté plusieurs pièces. Un résumé des éléments de preuve de certains déposants est joint aux présentes à titre d’ANNEXE B.

[11] Les demandeurs ont présenté des arguments détaillés et exhaustifs. Même sur les questions communes, certains arguments sont divergents ou nuancés. Le PGC a répondu à tous les arguments. La Cour s’est efforcée de tenir compte de toutes les questions et de tous les arguments et de se concentrer sur les questions déterminantes, la jurisprudence pertinente et autant d’éléments de preuve pertinents qu’il est raisonnablement possible de le faire, en particulier les éléments de preuve mis en évidence dans les observations des parties. Comme c’est souvent le cas, les demandeurs et le PGC remettent en question les éléments de preuve de l’autre et soutiennent que la Cour devrait accorder peu de poids, voire aucun, à ces éléments de preuve.

[12] L’abondance des arguments et des éléments de preuve donne lieu à un long jugement. Les dispositions législatives pertinentes, un historique des réformes législatives concernant les armes à feu, le décret (le Règlement) et d’autres renseignements généraux sont présentés d’abord pour situer le contexte. Suit un aperçu des six demandes et des questions soulevées dans chacune d’entre elles. Les observations plus détaillées présentées par les demandeurs et le PGC sont exposées pour chacune des questions, suivies de l’analyse de la Cour.

[13] La Cour conclut, pour les motifs qui suivent, que les demandes sont rejetées.

[14] Le décret et le Règlement ne sont pas invalides. Le gouverneur en conseil n’a pas outrepassé les pouvoirs qui lui ont été délégués par le législateur, au titre du paragraphe 117.15(2) du Code criminel. La décision du gouverneur en conseil de promulguer le Règlement est raisonnable. Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation [le REIR], reconnu par la jurisprudence comme fondement des décisions du gouverneur en conseil de promulguer des règlements, explique pourquoi le gouverneur en conseil a déterminé que les armes à feu prohibées ne conviennent pas à une utilisation civile et qu’elles ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse et le sport en raison de leur caractère mortel inhérent et de la menace grave qu’elles représentent pour la sécurité publique compte tenu du degré auquel de telles armes peuvent accroître la gravité des fusillades de masse.

[15] Le gouverneur en conseil n’a pas sous-délégué son pouvoir de désigner des armes à feu comme étant prohibées. Les armes à feu désignées et leurs variantes sont prohibées au titre du Code criminel et du Règlement. Le rôle des Services spécialisés de soutien en matière d’armes à feu [les SSSAF] de la Gendarmerie royale du Canada [la GRC], lorsqu’ils évaluent et classent des armes à feu dans les catégories sans restriction, à autorisation restreinte ou prohibées, et affichent ce classement dans le Tableau de référence des armes à feu, ne consiste pas à exercer un pouvoir conféré par la loi, mais plutôt à donner une opinion et à fournir des conseils aux propriétaires d’arme à feu et à d’autres personnes. Lorsqu’une personne est accusée de possession d’une arme à feu prohibée ou d’une variante de celle-ci, la Couronne doit prouver que l’arme à feu est prohibée et il appartiendra à la Cour de se prononcer en dernière analyse sur cette question.

[16] Le gouverneur en conseil n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale en prenant la décision de promulguer le Règlement. La jurisprudence établit clairement que l’obligation d’équité procédurale ne s’applique pas au processus législatif.

[17] Le Règlement ne porte pas atteinte à l’article 7 de la Charte; le Règlement n’est pas imprécis, de portée excessive ou arbitraire. Par ailleurs, si la Cour estimait que le Règlement portait atteinte à l’article 7 d’une manière qui n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale, elle conclurait que toute atteinte est justifiée au regard de l’article premier de la Charte et s’inscrit dans les limites raisonnables. L’objectif primordial de la sécurité publique l’emporte sur toute atteinte possible aux droits des propriétaires d’arme à feu, qui sont désormais plus limités dans leur choix d’armes à feu qu’ils peuvent utiliser pour la chasse et le sport.

[18] Le Règlement ne porte pas atteinte aux articles 8, 11, 15 ou 26 de la Charte.

[19] Le Règlement ne porte pas atteinte à la Déclaration canadienne des droits.

II. L’historique et le contexte

A. Les dispositions législatives applicables

[20] En règle générale, les armes à feu sont classées dans les catégories des armes à feu « sans restriction », « à autorisation restreinte » ou « prohibées ».

[21] Le paragraphe 84(1) du Code criminel Code contient des définitions qui s’appliquent à la partie III (Armes à feu et autres armes), dont les suivantes :

arme à feu sans restriction Arme à feu qui, selon le cas :

non-restricted firearm means

a) n’est ni une arme à feu prohibée ni une arme à feu à autorisation restreinte;

(a) a firearm that is neither a prohibited firearm nor a restricted firearm, or

b) est désignée comme telle par règlement. (non-restricted firearm)

(b) a firearm that is prescribed to be a non-restricted firearm;

Blanc

prescribed means prescribed by the regulations;

[...]

...

arme à feu prohibée

prohibited firearm means

a) Arme de poing pourvue d’un canon dont la longueur ne dépasse pas 105 mm ou conçue ou adaptée pour tirer des cartouches de calibre 25 ou 32, sauf celle désignée par règlement pour utilisation dans les compétitions sportives internationales régies par les règles de l’Union internationale de tir;

(a) a handgun that

Blanc

(i) has a barrel equal to or less than 105 mm in length, or

Blanc

(ii) is designed or adapted to discharge a 25 or 32 calibre cartridge,

Blanc

but does not include any such handgun that is prescribed, where the handgun is for use in international sporting competitions governed by the rules of the International Shooting Union,

b) arme à feu sciée, coupée ou modifiée de façon que la longueur du canon soit inférieure à 457 mm ou de façon que la longueur totale de l’arme soit inférieure à 660 mm;

(b) a firearm that is adapted from a rifle or shotgun, whether by sawing, cutting or any other alteration, and that, as so adapted,

Blanc

(i) is less than 660 mm in length, or

anc

(ii) is 660 mm or greater in length and has a barrel less than 457 mm in length,

c) arme automatique, qu’elle ait été ou non modifiée pour ne tirer qu’un seul projectile à chaque pression de la détente;

(c) an automatic firearm, whether or not it has been altered to discharge only one projectile with one pressure of the trigger, or

d) arme à feu désignée comme telle par règlement. (prohibited firearm)

[Je souligne]

(d) any firearm that is prescribed to be a prohibited firearm;

[Je souligne]

arme à feu à autorisation restreinte

restricted firearm means

a) Toute arme de poing qui n’est pas une arme à feu prohibée;

(a) a handgun that is not a prohibited firearm,

b) toute arme à feu — qui n’est pas une arme à feu prohibée — pourvue d’un canon de moins de 470 mm de longueur qui peut tirer des munitions à percussion centrale d’une manière semi-automatique;

(b) a firearm that

Blanc

(i) is not a prohibited firearm,

Blanc

(ii) has a barrel less than 470 mm in length, and

Blanc

(iii) is capable of discharging centre-fire ammunition in a semi-automatic manner,

c) toute arme à feu conçue ou adaptée pour tirer lorsqu’elle est réduite à une longueur de moins de 660 mm par repliement, emboîtement ou autrement;

(c) a firearm that is designed or adapted to be fired when reduced to a length of less than 660 mm by folding, telescoping or otherwise, or

d) toute arme à feu désignée comme telle par règlement. (restricted firearm)

[Je souligne.]

(d) a firearm of any other kind that is prescribed to be a restricted firearm.

[Je souligne.]

[22] L’article 117.15 du Code criminel dispose :

117.15 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le gouverneur en conseil peut, par règlement, prendre toute mesure d’ordre réglementaire prévue ou pouvant être prévue par la présente partie.

117.15 (1) Subject to subsection (2), the Governor in Council may make regulations prescribing anything that by this Part is to be or may be prescribed.

(2) Le gouverneur en conseil ne peut désigner par règlement comme arme à feu prohibée, arme à feu à autorisation restreinte, arme prohibée, arme à autorisation restreinte, dispositif prohibé ou munitions prohibées toute chose qui, à son avis, peut raisonnablement être utilisée au Canada pour la chasse ou le sport.

(2) In making regulations, the Governor in Council may not prescribe any thing to be a prohibited firearm, a restricted firearm, a prohibited weapon, a restricted weapon, a prohibited device or prohibited ammunition if, in the opinion of the Governor in Council, the thing to be prescribed is reasonable for use in Canada for hunting or sporting purposes.

(3) Malgré les définitions de arme à feu prohibée et de arme à feu à autorisation restreinte au paragraphe 84(1), une arme à feu désignée par règlement comme étant une arme à feu sans restriction est réputée ne pas être une arme à feu prohibée ni une arme à feu à autorisation restreinte.

(3) Despite the definitions prohibited firearm and restricted firearm in subsection 84(1), a firearm that is prescribed to be a non-restricted firearm is deemed not to be a prohibited firearm or a restricted firearm.

(4) Malgré la définition de arme à feu prohibée au paragraphe 84(1), une arme à feu désignée par règlement comme étant une arme à feu à autorisation restreinte est réputée ne pas être une arme à feu prohibée.

(4) Despite the definition prohibited firearm in subsection 84(1), a firearm that is prescribed to be a restricted firearm is deemed not to be a prohibited firearm.

B. Qui est le gouverneur en conseil et comment prend-il des règlements?

[23] Le déposant du PGC, M. Randall Koops, a joint à son affidavit la Directive du Cabinet sur la réglementation. Cette directive décrit le processus réglementaire et définit le gouverneur en conseil ainsi :

Le titre gouverneur général en conseil ou gouverneur en conseil désigne le gouverneur général du Canada agissant sur l’avis ou sur l’avis et avec le consentement du Conseil privé de la Reine pour le Canada ou conjointement avec celui-ci.

Depuis décembre 2003, le Conseil du Trésor assure la prestation de conseils au gouverneur général au nom du Conseil privé de la Reine.

Les ministres qui siègent au Conseil du Trésor étudient un projet de règlement et décident de recommander ou non que le gouverneur général adopte le règlement, présenté sous sa forme définitive.

[24] Dans ce contexte, le Conseil du Trésor renvoie au comité du Cabinet. Les membres du Conseil du Trésor sont des ministres du Cabinet.

[25] Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Conseil canadien pour les réfugiés, 2021 CAF 72 [Conseil canadien pour les réfugiés], le gouverneur en conseil est défini de la même façon, au paragraphe 37 :

[37] Le gouverneur en conseil s’entend du « gouverneur général du Canada agissant sur l’avis ou sur l’avis et avec le consentement du Conseil privé de la Reine pour le Canada ou conjointement avec celui-ci » : (Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, par. 35(1), voir également la Loi constitutionnelle de 1867, (R.‐U.), 30 & 31 Vict., ch. 3, art. 91, reproduite dans les L.R.C. (1985), app. II, no 5, art. 11 et 13). Tous les ministres de la Couronne, et non seulement le ministre, sont des membres actifs du Conseil privé de la Reine pour le Canada. Ils constituent le Cabinet. Situé à la cime du pouvoir exécutif au sein du gouvernement canadien, le Cabinet est [traduction] « à un degré incomparable le grand ordonnateur des intérêts divergents provinciaux, transversaux, religieux, raciaux et autres dans le pays ». Les conventions veulent qu’il tente de représenter divers groupes géographiques, linguistiques, religieux et ethniques : Norman Ward, Dawson’s the Government of Canada, 6e éd., Toronto, University of Toronto Press, 1987, p. 203 à 204; Richard French, « The Privy Council Office: Support for Cabinet Decision Making » dans Richard Schultz, Orest M. Kruhlak et John C. Terry, éd., The Canadian Political Process, 3e éd., Toronto, Holt Rinehart and Winston of Canada, 1979, p. 363 à 394. Tous les leviers du gouvernement sont représentés à la table du Cabinet.

[26] Contrairement à la prétention de l’un des demandeurs, le gouverneur en conseil ne correspond pas à un groupe de [traduction] « personnes nommées » influencées par les lobbyistes du contrôle des armes à feu; le gouverneur en conseil s’entend de députés élus, membres du gouvernement, qui ont été nommés ministres de la Courrone par le premier ministre.

C. Le décret et le Règlement

[27] Le 1er mai 2020, le premier ministre a annoncé des modifications au règlement existant (pris en 1998) afin de désigner d’autres types d’armes à feu et dispositifs connexes comme étant prohibés. Ces modifications sont le fruit du décret CP 2020-298, qui établit le Règlement modifiant le Règlement désignant des armes à feu, armes, éléments ou pièces d’armes, accessoires, chargeurs, munitions et projectiles comme étant prohibés, à autorisation restreinte ou sans restriction, DORS/2020-96 [le décret ou le Règlement].

[28] Le Règlement a été pris en vertu du pouvoir conféré au gouverneur en conseil au paragraphe 117.15(2) du Code criminel. La portée du pouvoir conféré au gouverneur en conseil et l’interprétation du paragraphe 117.15(2) sont les questions clés dans les demandes en l’espèce.

[29] Le décret énonce :

Attendu que la gouverneure en conseil n’est pas d’avis que toute chose désignée comme arme à feu prohibée ou dispositif prohibé dans le règlement ci-après peut raisonnablement être utilisée au Canada pour la chasse ou le sport,

À ces causes, sur recommandation du ministre de la Justice et en vertu des définitions de « arme à feu à autorisation restreinte », « arme à feu prohibée », « arme à feu sans restriction » et « dispositif prohibé » au paragraphe 84(1) du Code criminel et du paragraphe 117.15(1) de cette loi, Son Excellence la Gouverneure générale en conseil prend le Règlement modifiant le Règlement désignant des armes à feu, armes, éléments ou pièces d’armes, accessoires, chargeurs, munitions et projectiles comme étant prohibés, à autorisation restreinte ou sans restriction, ci-après.

[30] Le Règlement est long et peut être consulté à l’adresse suivante : https://canadagazette.gc.ca/rp-pr/p2/2020/2020-05-01-x3/pdf/g2-154x3.pdf.

[31] En bref, le Règlement désigne les armes à feu par « famille » générale, par marque et modèle et par variante ou modification, ainsi que par deux caractéristiques physiques.

[32] Les « familles » des neuf armes à feu (voir les articles 83 et 87 à 94 du Règlement) sont les suivantes :

  • 1.fusil SG-550 et carabine SG-551 (aussi appelés séries Swiss Arms Classic Green et Four Seasons);

  • 2.fusils M16, AR-10, AR-15 et carabine M4;

  • 3.fusil Ruger Mini-14;

  • 4.fusil américain M14;

  • 5.fusil Vz58;

  • 6.fusil Robinson Armament XCR;

  • 7.carabines et pistolets CZ Scorpion EVO 3;

  • 8.carabine Beretta Cx4 Storm;

  • 9.carabines et pistolets SIG Sauer SIG MCX et SIG Sauer SIG MPX.

[33] En vertu des articles 95 et 96 du Règlement, sont prohibées les armes à feu présentant les deux caractéristiques suivantes : les armes à feu ayant une âme dont le calibre est de 20 mm ou plus et les armes à feu pouvant tirer un projectile avec une énergie initiale de plus de 10 000 joules.

[34] Le Règlement énumère environ 1 500 armes à feu qui sont des variantes des neuf familles ou qui présentent les deux caractéristiques mentionnées précédemment. Cette méthode est généralement cohérente avec celle du règlement de 1998 et des règlements qui l’ont précédé, qui désignent les armes à feu des marques et modèles visés, ainsi que les « armes à feu des mêmes modèles qui comportent des variantes ou qui ont subi des modifications ».

[35] Le décret n’a pas été publié au préalable dans la Gazette du Canada. Il est entré en vigueur dès sa promulgation le 1er mai 2020 et a été publié dans sa version définitive avec le REIR. Ce dernier énonce le contexte et l’objectif, décrit le Règlement, explique le processus d’élaboration de la réglementation et présente plusieurs facteurs pris en compte à l’égard de l’impact de la réglementation.

[36] Un décret connexe, soit le Décret fixant une période d’amnistie (2020), DORS/2020-97 [le décret d’amnistie] a été promulgué le même jour.

D. L’historique législatif

[37] Les demandeurs ont souligné l’importante réforme du droit au cours des dernières décennies, qui a limité progressivement leur accès à de nombreux types d’arme à feu. Ils affirment que le régime actuel est suffisant et que le Règlement en cause ne traduit pas un équilibre entre la protection de la sécurité du public et l’autorisation relative à l’utilisation légitime des armes à feu pour la chasse et le sport. Le PGC renvoie également au long historique de la législation sur le contrôle des armes à feu visant à améliorer la sécurité publique. Vu ces observations, un aperçu de l’historique législatif est présenté ci-après.

[38] L’affidavit du déposant du PGC, le professeur R. Blake Brown, un historien du droit, présente une chronologie de la législation en matière de contrôle des armes à feu au Canada. Le professeur Brown fait remarquer que l’approche actuelle de la réglementation relative aux fusils d’épaule remonte à la fin des années 1960. Il décrit, entre autres, les principales réformes législatives dont il sera question dans les paragraphes suivants.

[39] En 1969, le Code criminel a été modifié de manière à établir trois catégories d’armes à feu : les armes à feu sans restriction, les armes à feu à autorisation restreinte et les armes à feu prohibées. Outre l’élaboration des définitions des armes à feu à autorisation restreinte et des armes prohibées, la législation a conféré au gouverneur en conseil le pouvoir de déclarer une arme comme étant une arme à autorisation restreinte. De même, le gouverneur en conseil pouvait déclarer comme étant prohibée « n’importe quelle arme qui [n’était] ni une arme à autorisation restreinte, ni un fusil ni une carabine d’un genre utilisé habituellement au Canada pour la chasse ou le sport ».

[40] Le professeur Brown souligne que les gouvernements successifs se sont appuyés sur ce libellé pour restreindre de nombreuses armes à feu.

[41] En 1977, le Code criminel a été modifié de manière à élargir la définition des armes à autorisation restreinte et des armes prohibées, ce qui a entraîné des restrictions concernant les armes à feu semi-automatiques à tube court. Le ministre de l’époque, Ron Basford, avait souligné que l’utilisation de ces armes à feu ne convenait pas pour la chasse.

[42] Les modifications de 1977 ont apporté des changements à la définition d’une arme à autorisation restreinte pour qu’elle englobe « n’importe quelle arme qui n’est ni une arme prohibée, ni un fusil, ni une carabine d’un genre qui, de l’avis du gouverneur en conseil, peut raisonnablement être utilisé au Canada pour la chasse ou le sport et qui est, par décret du gouverneur en conseil, déclarée arme à autorisation restreinte ».

[43] La définition d’une arme prohibée a également été élargie en vue d’inclure les armes automatiques qui n’étaient pas touchées par la clause relative aux droits acquis, et de modifier le pouvoir du gouverneur en conseil de déclarer des armes à feu comme des armes prohibées; englobant ainsi « n’importe quelle arme qui n’est ni une arme à feu historique, ni une arme à feu d’un genre utilisé habituellement au Canada pour la chasse ou le sport et qui est, par décret du gouverneur en conseil, déclarée arme prohibée ».

[44] En 1991, le projet de loi C-17 a légèrement modifié la définition d’une arme prohibée et a également interdit les chargeurs à grande capacité pour les armes à feu semi-automatiques, les armes à feu automatiques qui avaient été converties pour éviter les interdictions précédentes et les fusils fabriqués comme semi-automatiques qui utilisaient des conceptions basées sur des conceptions entièrement automatiques modifiées. La ministre de la Justice, Kim Campbell, expliquait alors l’intention du gouvernement de limiter l’accès à des [traduction] « armes d’assaut militaires semi-automatiques modernes ». La ministre avait fait remarquer que le recours par le gouvernement à la réglementation continuerait de permettre une certaine souplesse en matière de protection du public tout en respectant, dans la mesure du possible, les intérêts des propriétaires et des utilisateurs légitimes d’armes à feu.

[45] Le professeur Brown mentionne plusieurs décrets interdisant ou désignant de nombreuses armes à feu. Les décrets pris en vertu des dispositions du Code criminel datant de 1969 et 1977 énumèrent plusieurs marques et modèles à la liste des armes à feu prohibées « ainsi que l[es] arme[s] à feu d[es] même[s] modèle[s] qui comporte[nt] des variantes ou qui [ont] subi des modifications ». De même, les décrets énumèrent les armes à feu à autorisation restreinte ainsi que « les armes à feu du même modèle qui comportent des variantes ou qui ont subi des modifications ».

[46] Le décret de 1994 a désigné d’autres armes à feu prohibées. Le ministre de la Justice, Allan Rock, a déclaré que ces armes à feu étaient des « armes à feu de type militaire » et qu’elles n’étaient pas conçues pour la chasse ou le sport. De nombreux fusils semi-automatiques ont été désignés comme des armes à feu prohibées plutôt que des armes à feu à autorisation restreinte.

[47] En décembre 1995, le projet de loi C-68 a reçu la sanction royale. Ce projet a créé la Loi sur les armes à feu, LC 1995, c 39, et y a transféré les aspects réglementaires du contrôle des armes à feu (délivrance de permis, enregistrement, possession, transfert, entreposage et transport) prévus dans le Code criminel. Le projet de loi C-68 a modifié le Code criminel et a ajouté, notamment, de nouvelles infractions et des peines plus sévères. La plupart des dispositions du Code criminel sont entrées en vigueur trois ans plus tard, en 1998. Parmi les modifications figure la révision des définitions des armes à feu prohibées et des armes à feu à autorisation restreinte ainsi que du pouvoir du gouverneur en conseil de désigner des armes à feu comme étant prohibées. Le projet de loi C-68 a permis d’adopter la disposition qui figure maintenant à l’article 117.15 et qui énonce que le gouverneur en conseil ne peut désigner par règlement comme arme à feu prohibée « toute chose qui, à son avis, peut raisonnablement être utilisée au Canada pour la chasse ou le sport ».

[48] Le décret de 1998 pris en vertu de l’article 117.15 a désigné certaines armes à feu comme étant prohibées ou à autorisation restreinte. Ce décret englobait plusieurs anciens décrets sur les armes prohibées qui définissaient les types d’armes à feu, notamment de longues listes d’armes à feu précises « ainsi que l[es] arme[s] à feu d[es] même[s] modèle[s] qui comporte[nt] des variantes ou qui [ont] subi des modifications ».

[49] En 2012, est entré en vigueur le projet de loi C-19 (Loi sur l’abolition du registre des armes d’épaule) qui supprimait l’obligation d’enregistrer les armes à feu sans restriction.

[50] En 2019, le projet de loi C-71 (Loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu) a abrogé les modifications apportées en 2015 qui permettaient au gouverneur en conseil de classer les armes à feu dans une catégorie moins restrictive.

[51] En 2016, a été présenté le projet de loi C-230 d’initiative parlementaire. Ce projet de loi visait à définir le terme « variante » comme une arme à feu « qui est dotée de la carcasse ou de la boîte de culasse non modifiées d’une autre arme à feu ». Le projet de loi n’a pas été appuyé par le gouvernement et n’a pas été adopté. Le gouvernement a souligné que le terme « variante » était utilisé depuis longtemps et que la définition proposée étant trop étroite entraînerait le classement de nombreux fusils d’assaut dans la catégorie des fusils sans restriction.

[52] En 2018 et 2019, le gouvernement a mené des consultations nationales concernant la possession et l’utilisation d’armes de poing et d’« armes d’assaut » par les civils.

[53] Le 1er mai 2020, le gouverneur en conseil a pris le décret et le Règlement désignant environ 1 500 armes à feu comme étant prohibées. Le professeur Brown fait remarquer que ces armes à feu ont une capacité semblable à celles des armes à feu prohibées dans les années 1990. Il fait aussi remarquer que les types d’armes à feu désignés ont été utilisés par la police ou l’armée, même si l’armée utilise généralement des versions qui peuvent tirer comme des armes à feu automatiques.

E. Le Tableau de référence des armes à feu

[54] Le but et l’influence du Tableau de référence des armes à feu [le TRAF], une base de données mise à jour par la Gendarmerie royale du Canada [la GRC], font l’objet d’un litige dans les demandes en l’espèce.

[55] La GRC, en tant que service national de police, est responsable du Programme canadien des armes à feu [le PCAF]. Le PCAF supervise la délivrance des permis et l’enregistrement des armes à feu, maintient les normes nationales de formation de sécurité en matière d’armes à feu, vient en aide aux organismes d’application de la loi et améliore la sécurité publique en sensibilisant le public à l’entreposage, au transport et à l’utilisation des armes à feu.

[56] Les SSSAF font partie du PCAF. Les SSSAF sont composés de techniciens en armes à feu qui recueillent et évaluent des renseignements techniques en vue de classer les armes à feu aux fins d’enregistrement, de contrôle des importations et des exportations, et aident les organismes nationaux et internationaux chargés de l’application de la loi à identifier les armes à feu et à mener des enquêtes à cet égard. Selon M. Murray Smith, le déposant du PGC, les SSSAF effectuent des évaluations techniques des armes à feu et déterminent s’il s’agit d’une arme à feu prohibée, à autorisation restreinte ou sans restriction. M. Smith a expliqué que les SSSAF effectuent des évaluations de façon continue en se fondant sur les définitions du Code criminel et les types d’armes à feu désignés dans le Règlement de 1998 et le Règlement de 2020.

[57] Le TRAF est une base de données en ligne mise à jour par les SSSAF. Il fournit la liste d’une vaste gamme d’armes à feu et leur description et indique s’il s’agit d’une arme à feu sans restriction, à autorisation restreinte ou prohibée en fonction des évaluations faites par les SSSAF. La base de données du TRAF contient actuellement 200 000 entrées.

[58] Le TRAF comprend les armes à feu énoncées dans le Règlement (appelées variantes nommées) et d’autres armes à feu qui ont été évaluées après la promulgation du Règlement (variantes non nommées) ou qui font toujours l’objet d’une évaluation.

[59] Le PGC explique que depuis la promulgation du Règlement, le TRAF a été mis à jour dans le seul but de traiter les nouvelles armes à feu se trouvant sur le marché ainsi que d’actualiser les entrées concernant deux armes à feu, soit le fusil de chasse Parker de calibre 8 à âme de plus de 20 mm et le fusil Blaser R8 à énergie initiale supérieure à 10 000 joules). Le PGC déclare qu’il y avait 180 variantes non nommées au 15 juin 2020.

[60] Les demandeurs soutiennent que, depuis le 1er mai 2020, les SSSAF ont actualisé le TRAF pour inscrire jusqu’à 340 armes à feu comme étant des variantes d’armes à feu énoncées dans le Règlement.

[61] À l’origine, l’accès au TRAF était réservé aux forces de l’ordre. Les déposants du PGC expliquent que le TRAF est maintenant accessible au public au moyen d’un logiciel mis à la disposition des entreprises qui fournit des renseignements à jour. Il est également mis à la disposition en format PDF dans une version téléchargeable à jour. De plus, le PCAF assure la gestion d’un centre d’appels pour répondre à des questions précises posées par des entreprises, des propriétaires d’arme à feu et le public.

F. Le résumé de l’étude d’impact de la réglementation

[62] Tout règlement est assorti d’un résumé de l’étude d’impact de la réglementation [le REIR] qui ne fait pas partie du règlement ni du décret. Il s’agit d’un résumé à l’intention du public qui est publié au moment de la publication préalable du règlement dans la Gazette du Canada (au besoin) et au moment de la publication finale. En règle générale, le REIR décrit le règlement, les facteurs à l’origine de l’élaboration du règlement et les diverses répercussions.

[63] Il semble que le REIR soit rédigé selon une approche normalisée, car il comporte des sections semblables à celles qui figurent dans d’autres règlements. (Des renvois plus précis au REIR sont soulignés dans l’analyse du caractère raisonnable du règlement.)

[64] Le REIR en l’espèce précise que le Règlement modifie le règlement précédent afin de prévoir que certaines armes à feu sont des armes prohibées. Il souligne que le Règlement interdit environ 1 500 modèles d’armes à feu de style d’assaut, y compris des variantes actuelles et futures.

[65] La section du REIR intitulée « Contexte » indique que le Canada a connu des fusillades de masse et que les fusillades de masse les plus meurtrières, au Canada et ailleurs, sont souvent perpétrées avec des armes à feu de style d’assaut. Le REIR énonce ce qui suit :

Compte tenu de ces événements, la préoccupation grandissante à l’égard de la sécurité publique et du fait que le public réclame de plus en plus de mesures visant à lutter contre la violence commise avec des armes à feu et les fusillades de masse, et tout particulièrement de la préoccupation liée au caractère mortel inhérent de ces armes à feu de style arme d’assaut qui ne conviennent pas à une utilisation civile, ces armes à feu doivent être classifiées comme des armes à feu prohibées au Canada.

[Non souligné dans l’original.]

[66] La section intitulée « Contexte » décrit les armes à feu maintenant prohibées comme étant :

[...] principalement conçues à des fins militaires ou paramilitaires et ont la capacité de causer des blessures, d’immobiliser ou de tuer des humains en grand nombre dans un court laps de temps compte tenu des caractéristiques de base qu’elles possèdent, comme une conception tactique ou militaire et la capacité de contenir un chargeur grande capacité rapidement rechargeable.

[67] Le REIR précise que ces armes à feu ont été utilisées dans le passé, mais que le risque important qu’elles posent pour la sécurité du public « l’emporte sur toute justification relative à leur utilisation et à leur disponibilité continue au Canada étant donné qu’il continue d’être possible d’avoir la possession légale de nombreux types d’armes à feu à des fins de chasse ou de tir sportif ».

[68] La section intitulée « Objectif » rappelle la préoccupation croissante du public relative au risque pour la sécurité que posent les armes à feu de style arme d’assaut et énonce que l’interdiction vise à limiter l’accès à ces armes à feu et à réduire la disponibilité des armes à feu qui ne conviennent pas à une utilisation civile.

[69] Le REIR explique que le Règlement prévoit « neuf modèles principaux [...] ainsi que les variantes connues des principaux modèles ». Le REIR indique que les neuf principaux modèles (ou familles) d’armes à feu ont été prohibés parce qu’ils « (1) ont une action semi-automatique avec une capacité de tir rapide soutenu (conception tactique/militaire avec un chargeur grande capacité), (2) sont de conception moderne, et (3) se retrouvent en grand nombre sur le marché canadien ».

[70] Le REIR précise que le « [l]e Règlement s’applique à toutes les variantes du modèle principal, actuelles ou futures, qu’elles soient expressément énumérées ou non ».

[71] Le REIR souligne que deux nouvelles catégories d’armes à feu qui ne conviennent pas à une utilisation civile sont prohibées, à savoir, des armes ayant une âme dont le calibre est de 20 mm ou plus et des armes à feu ayant la capacité de décharger un projectile avec une énergie initiale de plus de 10 000 joules (p. ex., un BMG de calibre 0,50). Le REIR précise que ces deux catégories d’armes à feu sont principalement conçues pour causer des pertes humaines massives ou des dommages matériels importants à grande distance et que la puissance potentielle de ces armes excède celle d’une utilisation civile sécuritaire ou légitime.

[72] Le REIR souligne en outre que le Règlement prévoit aussi que les carcasses supérieures de certaines armes à feu sont des dispositifs prohibés.

[73] Il décrit le processus d’élaboration de la réglementation, notamment la consultation menée par le gouvernement (en ligne et en personne) auprès d’un vaste éventail d’intervenants, tant ceux qui appuyaient la prohibition des armes de poing et des armes à feu de style assaut que ceux qui s’opposaient à des restrictions supplémentaires. Le REIR précise que « de nombreux participants » ont demandé d’interdire les armes à feu de style d’assaut pour protéger la sécurité publique.

[74] Le REIR explique que le décret d’amnistie a été mis en œuvre au même moment que le Règlement en raison de la possibilité qu’il y ait une responsabilité associée à la possession d’une arme à feu prohibée. Il définit le décret d’amnistie comme étant une autorisation limitée d’utiliser toute arme à feu nouvellement prohibée (qui était auparavant une arme à feu sans restriction), pour chasser à des fins de subsistance ou pour reconnaître un droit prévu à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (les droits ancestraux et issus de traités existants). Le REIR fait également état d’un programme de rachat et indique que les propriétaires d’armes à feu peuvent neutraliser une arme à feu prohibée et prendre des dispositions pour la remettre à un agent de police avant que le programme de rachat soit mis en œuvre.

[75] Les coûts, les avantages et autres répercussions du Règlement sont décrits dans la section intitulée « Analyse de la réglementation ».

[76] Le REIR précise que 1,4 million de Canadiens font du tir sportif et que ce sport a contribué à hauteur de 1,8 milliard de dollars au produit intérieur brut [le PIB] en 2018, de 868 millions de dollars en revenu du travail, et soutient environ 14 555 emplois équivalents temps plein (renvoyant au Conference Board of Canada).

[77] Le REIR précise également que 1,3 million de Canadiens participent à la chasse légale. La chasse contribue à hauteur de 4,1 milliards de dollars au PIB, de 2 milliards de dollars en revenu du travail, et soutient environ 33 313 emplois équivalents temps plein. Le REIR souligne que les chasseurs qui utilisent des armes à feu classées dans la catégorie des armes à feu sans restriction et qui sont maintenant prohibées pourraient être touchés.

[78] Le REIR décrit les répercussions sur les entreprises d’armes à feu, faisant remarquer que le programme de rachat pourrait atténuer certaines répercussions négatives.

[79] Le REIR précise que le gouvernement n’a pas donné la notification préalable du Règlement à l’Organisation mondiale du commerce [l’OMC]; il s’est plutôt appuyé sur une exception pour des raisons de sécurité publique. De plus, le Canada n’a pas donné de préavis afin d’éviter « une fuite potentielle sur le marché avant qu’elle ne soit gelée par la prohibition ».

[80] La section intitulée « Justification » reprend les facteurs énoncés précédemment et souligne qu’« [e]n raison des problèmes de sécurité publique que posent ces armes à feu, il ne convient pas de les utiliser au Canada à des fins de chasse ou de tir sportif ».

[81] Le REIR donne également la justification du décret d’amnistie et souligne de nouveau l’intention de mettre en œuvre le programme de rachat et un régime de maintien des droits acquis pour les propriétaires d’armes à feu nouvellement prohibées.

[82] Le REIR traite de la mise en œuvre, de la conformité et de l’application, et souligne, entre autres, l’avis aux propriétaires touchés les informant de leurs obligations et du fait que la conformité dépendra de plusieurs facteurs, dont l’indemnisation qui sera offerte.

[83] Le REIR souligne que ceux qui restent en possession des armes à feu prohibées à la fin de la période d’amnistie pourraient être passibles de poursuites pénales.

III. Aperçu : les demandeurs, l’intervenant et leurs positions

A. Parker et al c PGC (T-569-20) [les demanderesses dans l’affaire Parker]

[84] Mme Cassandra Parker est propriétaire d’armes à feu et titulaire de permis de possession. Elle détient avec son époux une petite entreprise d’armes à feu, à savoir KKS Tactical Supplies. Mme Parker affirme que le Règlement l’empêche désormais d’utiliser plusieurs de ses armes à feu à des fins sportives et de chasse, dont son fusil de chasse semi-automatique Typhoon F-12 de calibre 12, sa carabine CZ Scorpion EVO 3 S1 et son fusil automatique Maccabee (fusil automatique Coyote de Black Creek Labs).

[85] Les demanderesses dans l’affaire Parker soutiennent que du fait du Règlement, KKS dispose d’un inventaire d’armes à feu maintenant prohibées de plus de 80 000 $ qui ne valent plus rien.

[86] Les demanderesses dans l’affaire Parker font valoir que le Règlement outrepasse le pouvoir conféré au paragraphe 117.15(2) du Code criminel.

[87] Les demanderesses dans l’affaire Parker traitent du contexte législatif, décrivent les dispositions et les définitions du Code criminel et mentionnent les limites du pouvoir du gouverneur en conseil de désigner des armes à feu et d’autres dispositifs comme étant prohibés en vertu du paragraphe 117.15(2). Elles soutiennent que ces dispositions de grande portée qui exposent les propriétaires d’armes à feu à des sanctions pénales devraient découler d’une loi et non d’un règlement.

[88] Les demanderesses dans l’affaire Parker soutiennent que le projet de loi C-68 a été adopté en 1995 de manière ouverte et transparente et qu’il a fait l’objet d’un examen et d’un débat parlementaires complets. Elles soutiennent en outre que les modifications au Code criminel qui en ont découlé, dont le paragraphe 117.15(2), faisaient suite au processus parlementaire qui a traité de la nécessité de mettre en équilibre le pouvoir d’interdire d’autres armes à feu par voie de règlement et le besoin de respecter l’utilisation d’armes à feu qui conviennent pour la chasse et le sport.

[89] Les demanderesses dans l’affaire Parker considèrent que le Règlement ne respecte pas le [traduction] « marché » conclu avec les propriétaires d’armes à feu. Elles soutiennent qu’à l’époque du projet de loi C-68, le gouvernement avait reconnu qu’il était convenable d’utiliser les armes à feu pour la chasse et le sport et que le pouvoir de prohiber des armes était limité.

[90] Les demanderesses dans l’affaire Parker soutiennent que la possibilité de modifier, par règlement, la possession simple d’armes à feu couramment utilisées, exposant ainsi les propriétaires à des accusations criminelles, sans apporter de modification législative est incompatible avec le « marché » reflété au paragraphe 117.15(2).

[91] Les demanderesses dans l’affaire Parker font valoir que l’importance que le PGC accorde à la nécessité de prévenir les fusillades de masse et la complexité du contrôle des armes à feu ne font pas l’objet du présent contrôle judiciaire, qui porte sur la question de savoir si le gouverneur en conseil a conçu l’opinion requise et si l’opinion selon laquelle les armes à feu prohibées ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport au Canada, est raisonnable.

[92] Les demanderesses dans l’affaire Parker soutiennent que, si le législateur avait l’intention d’accorder au gouverneur en conseil le pouvoir de prohiber certaines armes à feu pour améliorer la sécurité publique, le libellé du paragraphe 117.15(2) l’aurait indiqué, mais ce n’est pas le cas. Elles font valoir que la limitation du pouvoir du gouverneur en conseil de désigner des armes à feu comme étant prohibées au paragraphe 117.15(2) doit se voir donner un sens.

[93] Les demanderesses Parker font remarquer que les demandeurs ont produit une grande quantité d’éléments de preuve pour démontrer que les armes à feu prohibées peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse et le sport.

[94] Les demanderesses dans l’affaire Parker soutiennent que l’octroi de l’amnistie, qui ne permet aux propriétaires d’armes à feu que de posséder des armes ou de les entreposer, et non d’utiliser des armes à feu prohibées, et qui autorise pourtant les chasseurs autochtones et les chasseurs de subsistance à utiliser les armes prohibées, est incompatible avec l’opinion du gouverneur en conseil selon laquelle ces armes à feu ne peuvent raisonnablement être utilisées en raison de préoccupations en matière de sécurité publique. Si ces armes à feu demeurent nécessaires pour certains chasseurs, celles-ci peuvent aussi raisonnablement être utilisées par d’autres chasseurs.

[95] Les demanderesses dans l’affaire Parker font valoir également que les affidavits et les études concernant les répercussions des mesures de contrôle des armes à feu sur les fusillades de masse sur lesquels s’appuie le PGC devraient se voir accorder peu de poids, voire aucun.

B. La Coalition canadienne pour les droits aux armes à feu et al c PGC (T-577-20) [les demandeurs dans l’affaire CCDAF]

[96] La Coalition canadienne pour les droits aux armes à feu [la CCDAF] est un organisme à but non lucratif qui offre des services en matière de défense des droits et de relations publiques à la communauté canadienne des armes à feu. En octobre 2021, la CCDAF comptait environ 31 000 membres.

[97] M. Rodney Giltaca est le président et directeur exécutif de la CCDAF. Il affirme que plusieurs de ces armes à feu sont maintenat prohibées.

[98] M. Ryan Steacy est un caporal à la retraite des Forces armées canadiennes qui travaille maintenant comme directeur technique à International Barrels Inc, une entreprise spécialisée dans la fabrication de barils de précision pour armes à feu. M. Steacy déclare qu’il ne peut plus utiliser son fusil Armalite (arme à feu de type AR-15) ni ses fusils North Eastern Arms et Aero Precision, lesquels consistent en des variantes nommées de l’AR-15.

[99] Maccabee Defense Inc. est une entreprise albertaine spécialisée dans la conception, la fabrication et la vente au détail du fusil SLR Multi, lequel s’avère maintenant prohibé. Maccabee a été créée par M. Wyatt Singer et son épouse, Shaina Singer. M. Singer déclare que Maccabee a perdu des centaines de milliers de dollars en revenu brut en raison de pertes de ventes et qu’il a dû mettre fin à la production.

[100] Wolverine Supplies Ltd est une entreprise manitobaine spécialisée dans la vente au détail d’armes à feu, fondée par M. John Hipwell (le demandeur dans le dossier T-581-20) et maintenant détenue par son fils, M. Matthew Hipwell. M. Matthew Hipwell déclare qu’au moins six des gammes de produits de Wolverine, y compris deux de leurs cinq gammes de produits, ont été prohibées par le Règlement.

[101] Les demandeurs dans l’affaire CCDAF font valoir que le Règlement outrepasse le pouvoir conféré par le paragraphe 117.15(2) du Code criminel. Ils soutiennent que le rôle de la Cour consiste à examiner la décision du gouverneur en conseil de prendre le Règlement de la même manière que les autres décisions administratives, en appliquant les principes de l’arrêt Vavilov, ce qui mènera à la conclusion que le Règlement est invalide et qu’il n’est pas raisonnable.

[102] Les demandeurs dans l’affaire CCDAF font valoir que la Cour devrait tirer une inférence défavorable du refus par le PGC de fournir les documents que le gouverneur en conseil a examinés pour arriver à la conclusion selon laquelle les armes à feu désignées ne pouvaient raisonnablement être utilisées pour la chasse et le tir sportif.

[103] Les demandeurs dans l’affaire CCDAF soutiennent que le gouverneur en conseil ne peut pas sous-déléguer à la GRC (c.-à-d. aux SSSAF) son pouvoir d’interdire des armes à feu. Ils font valoir que le TRAF dans lequel sont répertoriées les variantes d’armes à feu prohibées, telles qu’elles sont déterminées par les SSSAF et sur lequel se fondent les forces de l’ordre, reflète une sous-délégation illégale du pouvoir du gouverneur en conseil. La CCDAF ajoute que l’inscription des variantes dans le TRAF ne permet pas aux propriétaires d’armes à feu de contester cette conclusion, ce qui constitue un manquement à l’obligation d’équité procédurale.

[104] Les demandeurs dans l’affaire CCDAF font valoir également que le Règlement porte atteinte aux droits des propriétaires d’armes à feu à la sécurité et à la liberté en contravention de l’article 7 de la Charte.

[105] De plus, ils affirment que le Règlement contrevient à la Déclaration canadienne des droits parce que les interdictions privent M. Giltaca et M. Steacy de leurs biens.

C. Hipwell c PGC (T-581-20)

[106] M. John Peter Hipwell est le fondateur de l’entreprise Wolverine Supplies (demanderesse dans le dossier T-577-20), qui appartient maintenant à son fils. Il souligne les décennies d’expérience qu’il possède dans l’utilisation d’armes à feu.

[107] M. Hipwell affirme qu’il possède notamment un fusil prisé de tir à la cible de modèle Springfield M1 A1 National Match depuis plus de 40 ans, et qu’il entretient et emploie celui-ci de manière sûre aux fins de tir à la cible. En outre, son fusil historique de gros calibre Manton, dont il s’est servi pour chasser du gros gibier (en Afrique, entre autres) est maintenant prohibé. Il soutient que ces armes à feu et d’autres armes à feu, maintenant prohibées, n’ont pas été conçues pour être utilisées pour la guerre ou contre les humains et qu’elles conviennent pour la chasse et le tir sportif.

[108] M. Hipwell donne un aperçu des lois et des règlements existants, en soulignant l’accent mis sur la sécurité publique.

[109] M. Hipwell renvoie aux dispositions de la Loi sur les armes à feu et du Code criminel, qui, à son avis, réglementent de façon globale et suffisante tous les aspects des armes à feu, notamment le classement, la possession, la délivrance de permis, la sécurité, l’achat et la vente, la conservation des dossiers par les entreprises d’armes à feu, le transport, l’utilisation et l’utilisation abusive et les infractions pour ceux qui ne respectent pas les règlements et ceux qui utilisent illégalement des armes à feu. Entre autres, il souligne l’obligation de suivre des cours sur la sécurité pour obtenir un permis (le Cours canadien de sécurité dans le maniement des armes à feu ou le Cours sur la sécurité des armes à feu à autorisation restreinte), des cours supplémentaires sur la sécurité pour utiliser un champ de tir ou devenir membre d’un club d’armes à feu, et les modifications récentes visant à s’assurer que les vérifications des antécédents tiennent compte de divers facteurs sur une période beaucoup plus longue.

[110] Il soutient que les propriétaires d’armes à feu sont disposés à se conformer aux lois et aux règlements, reconnaissant que la possession d’une arme à feu est un privilège. Il ajoute que les propriétaires d’armes à feu savent qu’ils sont déjà soumis à une surveillance soutenue et qu’ils s’exposent à des sanctions pénales en cas d’inobservation de leur part.

[111] M. Hipwell fait valoir que le Règlement est invalide. Il soutient que le Règlement interdit de façon déraisonnable des armes à feu qui conviennent bel et bien pour la chasse et le tir sportif. Il souligne les centaines de courriels qu’il a reçus de propriétaires d’armes à feu qui décrivent la façon dont ils ont utilisé leurs armes à feu en toute sécurité, armes qui sont maintenant interdites pour la chasse et le tir sportif. Il soutient que le Règlement n’aura pas d’incidence sur la sécurité publique.

[112] M. Hipwell soutient que la Cour devrait tirer une inférence défavorable du refus par le PGC de produire les documents examinés par le gouverneur en conseil, en attestant qu’il s’agit de renseignements confidentiels du Cabinet.

[113] Il soutient en outre que le Règlement porte atteinte à l’article 7 de la Charte parce que l’absence de définition du terme « variante » rend le Règlement vague dans la mesure où il n’y a pas d’avis de ce qui constitue une variante, et qu’ainsi, il expose le propriétaire d’une arme à feu à des sanctions pénales.

[114] M. Hipwell fait également valoir que le Règlement porte atteinte à l’article 11 de la Charte, lequel énonce les droits d’une personne inculpée, notamment le droit d’être informée de l’infraction précise qu’on lui reproche et d’être présumée innocente tant qu’elle n’est pas déclarée coupable. Il soutient que les nombreuses variantes d’armes à feu prohibées identifiées par les SSSAF et inscrites dans le TRAF, qui changent constamment, empêchent une personne de savoir si son arme à feu a été prohibée. Il ajoute qu’il s’agit ainsi d’une atteinte à la présomption d’innocence.

D. Doherty et al c PGC (T-677-20) [les demandeurs dans l’affaire Doherty]

[115] M. Michael Doherty chasse et participe à des compétitions de tir à la cible. M. Doherty et les huit autres demandeurs sont tous d’avis que plusieurs des armes à feu qu’ils possèdent et utilisent, dont des fusils AR-15, ainsi que des fusils Modern Sporter et Modern Hunter d’Alberta Tactical Rifle (variantes nom nommées), sont maintenant prohibées.

[116] Les demandeurs dans l’affaire Doherty reconnaissent que le contrôle des armes à feu est une question controversée. Ils soutiennent que la question de savoir si des interdictions supplémentaires et précises amélioreront la sécurité publique devrait faire l’objet d’un débat parlementaire. Ils ne contestent pas que certaines armes à feu qui ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le tir sportif pourraient être interdites, mais affirment que ces interdictions devraient être déterminées par le Parlement, non par le gouverneur en conseil ni par les SSSAF.

[117] Les demandeurs dans l’affaire Doherty font valoir que le Règlement est invalide, que le recours au TRAF reflète une sous-délégation illégale aux SSSAF du pouvoir d’interdire des variantes, et que le Règlement contrevient à la Charte.

[118] Les demandeurs dans l’affaire Doherty soutiennent que la question dans le présent contrôle judiciaire est précise; il s’agit de savoir s’il était raisonnable pour le gouverneur en conseil d’arriver à la conclusion selon laquelle les armes à feu prohibées par le Règlement ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport au Canada. Ils soutiennent que ce n’est pas le cas. Ils donnent plusieurs exemples d’armes à feu qui ont été utilisées pendant des décennies pour la chasse et le sport et qui peuvent toujours raisonnablement être utilisées à ces fins, mais qui sont maintenant prohibées, sans aucune justification.

[119] Les demandeurs dans l’affaire Doherty font valoir que le Règlement de grande portée qui interdit environ 1 500 armes à feu, plus un nombre inconnu de variantes non nommées, est sans précédent et n’est justifié par aucun élément de preuve du PGC.

[120] Les demandeurs dans l’affaire Doherty soutiennent que le défaut du PGC de produire les renseignements sur lesquels le gouverneur en conseil s’est appuyé en attestant qu’il s’agit de renseignements confidentiels du Cabinet, devrait amener la Cour à conclure que le gouverneur en conseil ne disposait pas de renseignements pour appuyer sa décision.

[121] De plus, les demandeurs dans l’affaire Doherty soutiennent que le recours du défendeur au REIR et aux affidavits préparés après le fait et uniquement pour les besoins du présent litige, qui mettent l’accent sur la violence par les armes à feu, les diverses mesures de contrôle des armes à feu et les préoccupations relatives à la sécurité publique, ne permet pas de déterminer si le gouverneur en conseil a agi dans les limites de son pouvoir ou s’il a pris une décision raisonnable.

[122] Les demandeurs dans l’affaire Doherty se fondent sur les éléments de preuve de leurs experts en armes à feu et de tireurs sportifs qui proposent des critères pour déterminer si une arme à feu peut raisonnablement être utilisée pour la chasse ou le tir sportif et concluent que les armes à feu maintenant prohibées demeurent des armes à feu qui peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse et le sport.

[123] Ils ajoutent qu’il n’y a pas de critères pour guider la façon dont les SSSAF déterminent qu’une arme à feu est une variante et soutiennent qu’il s’agit d’une « loterie ».

[124] Les demandeurs dans l’affaire Doherty adoptent les arguments des demandeurs dans l’affaire CCDAF pour appuyer leurs arguments selon lesquels le recours au TRAF pour identifier des variantes est une sous-délégation illégale de pouvoir et que le Règlement porte atteinte à l’article 7 de la Charte.

E. Generoux et al c PGC (T-735-20) [les demandeurs dans l’affaire Generoux]

[125] Mme Christine Generoux chasse et participe à des compétitions de tir. Elle affirme qu’elle ne peut plus utiliser les armes à feu de son choix, notamment son AR-15.

[126] M. John L. Perocchio possédait auparavant une entreprise d’armes à feu. Il affirme qu’il a dû fermer son entreprise en raison du projet de loi C-68. (Le projet de loi C-68 a reçu la sanction royale en 1995, mais la plupart des dispositions sont entrées en vigueur en décembre 1998.)

[127] M. Vincent Perocchio est le fils de M. John L. Perocchio. Il affirme avoir perdu son héritage parce que son père a fermé l’entreprise et que la collection d’armes de sa famille est désormais sans valeur. Il ajoute qu’il ne peut plus utiliser son arme à feu semi-automatique de type AR-15 personnalisée.

[128] Les demandeurs dans l’affaire Generoux font valoir que le Règlement est invalide et que la décision du gouverneur en conseil de désigner des armes à feu comme étant prohibées est déraisonnable. Ils soutiennent que la Cour devrait tirer une inférence défavorable selon laquelle la décision du gouverneur en conseil n’était pas éclairée par des éléments de preuve à l’appui.

[129] Les demandeurs dans l’affaire Generoux ajoutent qu’il existe une « culture des armes à feu » et qu’elle devrait être protégée au titre de l’article 15 de la Charte.

[130] Les demandeurs dans l’affaire Generoux affirment que le Règlement a mis fin à la culture des armes à feu. Ils soutiennent que [traduction] « 99% des armes à feu semi-automatiques sont interdites » et prévoient que d’autres armes à feu semi-automatiques seront probablement interdites, ce qui ne laisse aucune arme à feu disponible pour la chasse ou le sport. Ils invoquent les répercussions sur le champ de tir qui a perdu 75 % de ses membres en raison du Règlement et le témoignage du professeur Mauser qui démontre que le nombre de propriétaires d’armes à feu au Canada a diminué.

[131] Les demandeurs dans l’affaire Generoux font remarquer que la GRC et les Forces armées canadiennes [les FAC] tirent un avantage à s’exercer au tir de précision en utilisant leurs armes à feu personnelles et en fréquentant, pendant leur temps libre, des champs de tir privés. Les demandeurs dans l’affaire Generoux font valoir que la possibilité offerte aux membres de la GRC, d’autres services policiers et des FAC de s’exercer au tir de précision est compromise en raison de l’interdiction de certaines armes à feu et de la fermeture des champs de tir. Les demandeurs dans l’affaire Generoux soutiennent que les champs de tir privés sont nécessaires afin que les policiers et les membres des FAC puissent respecter les exigences en matière de formation professionnelle.

[132] Les demandeurs dans l’affaire Generoux font valoir que le Règlement contrevient à l’article 7 de la Charte, en raison de son caractère imprécis, à l’article 8, en raison de la saisie déraisonnable de biens, à l’article 15, en raison de la discrimination fondée sur la culture des armes à feu et à l’article 26.

F. Eichenberg et al c PGC (T-905-20) [les demandeurs dans l’affaire Eichenberg]

[133] Parmi les demandeurs dans l’affaire Eichenberg, on compte Mme Jennifer Eichenberg, M. David Bot, le Burlington Rifle and Revolver Club (BRRC), the Montreal Firearms Recreational Centre Inc., (Centre récréatif d’armes à feu de Montréal inc ou CRAFM) et O’Dell Engineering.

[134] Mme Jennifer Eichenberg est propriétaire d’armes à feu et tireuse sportive à l’échelle nationale et internationale. Selon elle, le Règlement l’empêche de participer à deux types de compétitions de tir, car la seule arme qui s’y prête, soit un fusil Stag-15 de StagArms (fusil fondé sur l’AR-15), est maintenant prohibée.

[135] Le BRRC est un club de tir agréé conformément à la Loi sur les armes à feu qui permet aux membres de faire du tir à la cible et d’effectuer des préparatifs liés à la chasse.

[136] Le CRAFM exploite le Montreal Shooting Club, un club de tir agréé par le gouvernement fédéral conformément à la Loi sur les armes à feu.

[137] L’entreprise O’Dell Engineering appartient à M. Philip O’Dell. Cette entreprise est spécialisée dans l’importation et la distribution d’armes à feu, de munitions et de l’équipement connexe.

[138] Les demandeurs dans l’affaire Eichenberg font remarquer que les tireurs sportifs, les clubs d’armes à feu et les champs de tir sont hautement réglementés et ont été durement touchés par le Règlement. Par exemple, la capacité du BRRC d’organiser des compétitions internationales et de former ses membres pour ces compétitions est limitée par les nouvelles interdictions et par l’incertitude liée aux éléments qui seront interdits comme variantes. De même, pour le CRAFM, un tiers des fusils appartenant à des membres sont maintenant prohibés, mais ces armes à feu sont encore utilisées dans des compétitions internationales de tir.

[139] Les demandeurs dans l’affaire Eichenberg affirment que le Règlement est invalide. Ils font valoir qu’il ne tient pas compte de l’objectif du paragraphe 117.15(2) et des limites du pouvoir du gouverneur en conseil. Ils soutiennent que le paragraphe 117.15(2) du Code criminel vise à autoriser plutôt qu’à restreindre l’utilisation d’armes à feu qui ne conviennent pas pour la chasse et le tir sportif.

[140] Les demandeurs dans l’affaire Eichenberg soulèvent des questions connexes, notamment l’interprétation du paragraphe 117.15(2); le pouvoir du gouverneur en conseil de prendre une décision au sujet d’armes à feu qui n’existent pas encore; la sous-délégation aux SSSAF du pouvoir d’interdire des armes à feu; et le caractère imprécis des termes utilisés dans le Règlement.

[141] Tout comme les demandeurs dans l’affaire Doherty, ils soutiennent que le législateur aurait dû apporter des modifications au Code criminel et lancer un débat parlementaire plutôt que de s’appuyer sur son pouvoir délégué et outrepasser ce pouvoir, et éviter la publication préalable du Règlement dans la Gazette du Canada. Ils font remarquer que même si le PGC affirme que le Règlement permet une certaine souplesse pour désigner des armes à feu comme étant restreintes ou prohibées, aucun règlement de ce type n’a été pris entre la fin des années 1990 et 2020.

[142] Les demandeurs dans l’affaire Eichenberg soutiennent que le défaut du PGC de communiquer le dossier dont disposait le gouverneur en conseil et la décision d’invoquer plutôt l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C-5 [la LPC] pour attester qu’il s’agissait de renseignements confidentiels du Cabinet, devrait amener la Cour à tirer une inférence défavorable portant que le gouverneur en conseil ne disposait pas de renseignements pour éclairer sa décision ou qu’il disposait de renseignements qui n’appuyaient pas sa décision.

[143] Les demandeurs dans l’affaire Eichenberg font valoir que le gouverneur en conseil a sous-délégué l’évaluation des variantes aux SSSAF, qui n’ont pas le pouvoir de prendre des décisions à cet égard. Ils adoptent les arguments des demandeurs dans l’affaire CCDAF. Par ailleurs, ils soutiennent que si la GRC a ce pouvoir, elle doit être liée par la même restriction prévue au paragraphe 117.15(2) (c.-à-d. que seule une arme à feu qui ne peut raisonnablement être utilisée pour la chasse et le tir sportif peut être une variante).

G. Le procureur général de l’Alberta (l’intervenant)

[144] Le procureur général de l’Alberta soutient qu’un contrôle judiciaire rigoureux conformément aux principes énoncés dans l’arrêt Vavilov s’impose et démontrera que le Règlement est invalide et déraisonnable.

[145] Le procureur général de l’Alberta soutient que, si le législateur peut adopter des loi pour assurer la sécurité publique, le gouverneur en conseil doit respecter les limites du pouvoir qui lui a été délégué.

[146] Le procureur général de l’Alberta prétend que le gouverneur en conseil a outrepassé son pouvoir en omettant d’appliquer la [traduction] « condition préalable » qui figure au paragraphe 117.15(2) (c.‐à-d. d’arriver à la conclusion selon laquelle les armes à feu ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse et le tir sportif). Le procureur général de l’Alberta soutient que le paragraphe 117.15(2) doit se voir donner un sens et qu’il doit être interprété de façon restrictive, conformément aux principes d’interprétation des lois.

[147] Le procureur général de l’Alberta soutient que le Parlement est responsable de l’adoption de lois en matière pénale et de la création de nouvelles infractions pénales. Le procureur général de l’Alberta fait valoir que le Parlement a abdiqué son rôle législatif en permettant que le gouverneur en conseil désigne par règlement toute chose comme étant prohibée (invoquant les Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 SCC 11 au para 85 [les Renvois relatifs à la LTPGES]).

[148] Le procureur général de l’Alberta fait valoir que si le paragraphe 117.15(2) est interprété de manière à accorder un pouvoir discrétionnaire absolu au gouverneur en conseil, ce qui lui permettrait de prescrire toute chose comme une arme à feu prohibée sans l’avis du Parlement, la disposition est une délégation inconstitutionnelle d’autorité et outrepasse les limites du pouvoir conféré par la Loi constitutionnelle de 1867 (R‐U), 30 & 31 Vict, c 3, reproduite dans LRC 1985, annexe II, no 5 [Loi constitutionnelle de 1867].

[149] Le procureur général de l’Alberta ajoute qu’aucun document n’appuie la décision du gouverneur en conseil compte tenu de l’attestation quant à la nature confidentielle des renseignements du Cabinet; que le REIR renvoie à des facteurs non pertinents; et que le Règlement n’a pas été publié au préalable, ce qui a permis d’éviter l’examen requis du Règlement.

[150] Le procureur général de l’Alberta reconnaît que le REIR renvoie à des facteurs qui peuvent avoir éclairé la décision du gouverneur en conseil, mais soutient que ces facteurs ne sont pas pertinents. Il affirme que la présence des armes à feu nouvellement désignées sur le marché canadien n’appuie pas la conclusion portant que les armes à feu ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse et le tir sportif, mais plutôt la conclusion qu’elles peuvent raisonnablement être utilisées à ces fins. La possibilité d’une utilisation abusive des armes à feu et l’accent mis sur la sécurité publique ne sont pas des facteurs à prendre en considération quant à l’utilisation raisonnable pour la chasse ou le tir sportif. Le procureur général de l’Alberta souligne qu’afin d’agir dans les limites de son pouvoir délégué, le gouverneur en conseil ne doit se prononcer que sur la question de savoir si les armes à feu peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse et le tir sportif. Le procureur général de l’Alberta fait valoir que le REIR ne fournit pas d’analyse relative à la question de savoir si les armes à feu nouvellement prohibées peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse et le tir sportif.

[151] Le procureur général de l’Alberta fait valoir que le gouverneur en conseil n’a pas le pouvoir de prendre une décision sur une variante non nommée et d’interdire cette arme à feu pour l’avenir. Le procureur général de l’Alberta soutient également que le pouvoir d’interdire des variantes ne peut pas être sous-délégué.

[152] De plus, le procureur général de l’Alberta soutient que le gouverneur en conseil était tenu d’effectuer une analyse distincte de chaque arme à feu qu’il a désignée comme étant prohibée afin de déterminer son caractère raisonnable pour la chasse et le tir sportif, mais il ne l’a pas fait. Le procureur général de l’Alberta soutient que le gouverneur en conseil a confondu le terme [traduction] « raisonnable » avec le terme « nécessaire », ce qui constitue une mauvaise interprétation.

[153] Le procureur général de l’Alberta ajoute que le Règlement entre en contraction avec la Wildlife Act, RSA 2000, c W-10, qui permet l’utilisation d’armes à feu maintenant prohibées à des fins de chasse particulières. Le procureur général de l’Alberta soutient que cette contradiction est incompatible avec l’esprit du fédéralisme coopératif.

H. Les mesures de réparation demandées par les demandeurs

[154] Les demandeurs dans l’affaire Doherty résument de la façon suivante les mesures de réparation que tous les demandeurs recherchent :

  • un jugement déclarant que le Règlement outrepasse le pouvoir conféré par le Code criminel et qu’il devrait être annulé;
  • un jugement déclarant que le Règlement contrevient à la Charte, qu’il ne peut être sauvegardé par l’application de l’article premier et qu’il est inopérant;
  • un jugement déclarant que la GRC n’a pas le pouvoir légal de classer les armes à feu et de les interdire;
  • un jugement déclarant que le TRAF n’est pas un instrument juridique et que le classement des armes à feu dans le TRAF n’a pas force de loi;
  • un jugement déclarant que les armes à feu désignées dans le Règlement peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse et le sport;
  • un jugement déclarant que le Règlement est inopérant parce qu’il est incompatible avec la Déclaration canadienne des droits.

IV. Aperçu : la position du PGC

[155] Le PGC soutient que le gouverneur en conseil a bien agi dans les limites de son pouvoir, qui lui a été conféré au paragraphe 117.15(2) du Code criminel, de prendre le décret désignant des armes à feu précises et leurs variantes ainsi que des armes à feu ayant des caractéristiques physiques particulières (le diamètre de l’âme et l’énergie initiale) comme étant des armes à feu prohibées.

[156] Le PGC soutient que le décret énonce expressément que le gouverneur en conseil n’est pas d’avis que les armes à feu désignées peuvent raisonnablement être utilisées au Canada pour la chasse ou le sport, conformément au paragraphe 117.15(2). Il se reporte au REIR dans lequel il est expliqué que ces armes à feu présentent une menace grave pour la sécurité publique parce qu’elles peuvent accroître la gravité des fusillades de masse et qu’en conséquence, ces armes à feu ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse et le sport.

[157] Le PGC reconnaît qu’un grand nombre de ces armes à feu étaient utilisées auparavant pour la chasse et le sport, mais soutient que l’utilisation passée de ces armes ne signifie pas que le gouverneur en conseil ne saurait être à présent d’avis que ces armes à feu ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse et le sport. Le PGC fait remarquer que de nombreuses armes à feu demeurent disponibles et peuvent être utilisées pour la chasse et le sport.

[158] Le PGC souligne que ce ne sont pas les points de vue des propriétaires d’armes à feu sur les armes à feu qui peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse et le sport qui sont déterminants, mais plutôt l’avis du gouverneur en conseil.

[159] Le PGC soutient que le Parlement a accordé au gouverneur en conseil un large pouvoir discrétionnaire d’interdire des armes à feu dans l’intérêt de la sécurité publique. Le PGC fait remarquer que le Règlement de 2020 a ajouté des éléments à la liste existante d’armes à feu prohibées qui n’avait pas été mise à jour de façon globale depuis la fin des années 1990, bien que certaines modifications aient été apportées au Règlement de 1998 (le Règlement désignant des armes à feu, armes, éléments ou pièces d’armes, accessoires, chargeurs, munitions et projectiles comme étant prohibés ou à autorisation restreinte, DORS/98-462).

[160] Le PGC souligne également que l’industrie des armes à feu s’est développée depuis et que les règlements précédents n’incluent pas plusieurs des marques et modèles plus récents d’armes à feu de « style arme d’assaut ».

[161] Le PGC soutient que rien ne justifie une conclusion défavorable du fait que le gouvernement a eu recours à l’article 39 de la LPC, car le gouvernement avait le droit de se prévaloir de son privilège, ce qui n’a pas été contesté par les demandeurs, et que la compétence de la Cour de procéder au contrôle judiciaire n’est pas mise à mal.

[162] Le PGC conteste l’argument des demandeurs selon lequel le gouverneur en conseil a sous-délégué aux SSSAF son pouvoir d’interdire des armes à feu (et de publier les armes à feu prohibées dans le TRAF). Le PGC explique que seul le gouverneur en conseil désigne les armes à feu prohibées par voie de règlement ainsi que les armes à feu des mêmes modèles qui comportent des variantes ou qui ont subi des modifications. Le TRAF n’est qu’un guide de référence qui n’a aucune force de loi. Le PGC souligne qu’en l’absence du TRAF, les modèles d’armes à feu qui comportent des variantes ou qui ont subi des modifications seraient toujours prohibés.

[163] Le PGC soutient que le Règlement ne porte pas atteinte aux droits protégés par la Charte ni à la Déclaration canadienne des droits.

V. Les questions en litige

[164] Comme je l’ai déjà mentionné, les six demandeurs soulèvent plusieurs questions, dont certaines sont communes tandis que d’autres sont uniques. La Cour examinera les points suivants, à savoir :

  • quelle norme s’applique au contrôle judiciaire du Règlement;
  • s’il y a lieu de tirer une inférence défavorable du défaut du PCG de divulguer les renseignements examinés par le gouverneur en conseil pour donner son avis et prendre le Règlement et du fait qu’il ait eu recours à l’article 39 de la LPC;
  • si le décret et le Règlement outrepassent le pouvoir conféré au paragraphe 117.15(2) du Code criminel; si le gouverneur en conseil a émis l’avis requis et si cet avis était raisonnable;
  • si le gouverneur en conseil a illégalement sous‐délégué aux SSSAF de la GRC son pouvoir de désigner des armes à feu comme étant prohibées en évaluant et en classant les armes à feu qui comportent des variantes et en inscrivant ces variantes dans le TRAF;
  • s’il y a eu manquement à l’obligation d’équité procédurale dans la décision du gouverneur en conseil ou dans l’évaluation et la classification des armes à feu par les SSSAF et l’inscription de ces armes dans le TRAF, sans en aviser les propriétaires d’armes à feu et sans mécanisme d’examen;
  • si le Règlement porte atteinte aux droits des demandeurs à la liberté et à la sécurité de la personne garantis par l’article 7 de la Charte en raison de son caractère imprécis, de sa portée trop large ou de son caractère arbitraire et, le cas échéant, si l’atteinte est justifiée au regard de l’article premier;
  • si le Règlement porte atteinte aux articles 8, 11, 15 ou 26 de la Charte et, le cas échéant, si l’atteinte est justifiée au regard de l’article premier;
  • si le Règlement porte atteinte à l’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits.

VI. Les éléments de preuve

[165] Les demandeurs et le défendeur ont déposé de nombreux documents, notamment des affidavits de propriétaires d’armes à feu, de propriétaires d’entreprises d’armes à feu, d’armuriers, d’experts en armes à feu reconnus par l’industrie, de champions de tir sportif, d’universitaires, de médecins, de criminologues et d’historiens. Comme je l’ai fait remarquer, la liste des déposants est jointe à titre d’ANNEXE A. Un aperçu des éléments de preuve d’un large échantillon représentatif de déposants sur lesquels se sont appuyés les demandeurs et le défendeur est joint à titre d’ANNEXE B.

[166] Les demandeurs contestent les témoignages de plusieurs des déposants du PGC, dont le professeur Chapman, le professeur Klarevas et la Dre Najma Ahmed, estimant qu’ils n’ont pas de lien avec la question de savoir si le Règlement aura des répercussions sur la sécurité publique et remettent en question leur impartialité et la crédibilité de leurs recherches.

[167] Les demandeurs critiquent également le témoignage de M. Murray Smith. Ils affirment qu’il n’est pas impartial dans la mesure où il défend le [traduction] « travail de toute une vie ». Ils soutiennent également que M. Smith a été incohérent dans ses réponses concernant les critères de classement des armes à feu, tant en ce qui concerne le classement des armes à feu par les SSSAF que l’évaluation technique ou juridique et la façon dont le diamètre de l’âme est mesuré.

[168] Le PGC souligne que, contrairement aux observations des demandeurs, les témoignages des déposants des demandeurs ne sont pas contestés. Le PGC explique que certains des déposants ont été contre-interrogés sur des questions pertinentes, mais qu’il n’a pas contre‐interrogé d’autres déposants sur leurs opinions, lesquelles demeurent des opinions.

[169] Le PGC soutient que le témoignage de M. Smith répondait à plusieurs commentaires et opinions de plusieurs déposants des demandeurs, notamment le Dr Caillin Langmann, le professeur Gary Mauser, M. Travis Bader, M. Mathew DeMille, M. Rodney Giltaca, M Philip O’Dell et M. Richard Delve. M. Smith a également été longuement contre-interrogé par les demandeurs.

[170] Le PGC critique également le témoignage des experts des demandeurs, estimant qu’il n’est pas pertinent pour les questions déterminantes et qu’il est influencé par un intérêt direct.

[171] Par exemple, le PGC souligne que M. DeMille est employé par la Fédération des chasseurs et pêcheurs de l’Ontario, une organisation qui défend les intérêts des chasseurs, des tireurs sportifs et des collectionneurs d’armes à feu. Le PGC soutient que l’opinion de M. DeMille sur ce qui est raisonnable pour la chasse et le sport n’est pas pertinente pour les questions dont la Cour est saisie.

[172] Le PGC soutient que le témoignage de M. Bader devrait se voir accorder peu de poids étant donné que celui-ci a un intérêt économique dans l’issue de l’affaire en tant qu’armurier qui possède une entreprise de formation aux armes à feu et un site Web d’achats et de ventes d’armes à feu, ce qui laisse planer un doute sur son impartialité.

[173] Le PGC soutient que M. O’Dell n’était pas dûment qualifié pour témoigner à titre d’expert et qu’il manque d’impartialité et d’objectivité. De plus, il fait partie des demandeurs.

[174] Le PGC avait déjà tenté d’exclure M. Bruce Gold, le témoin expert proposé par les demandeurs dans l’affaire Generoux, au motif qu’il n’avait pas les qualifications, l’impartialité, l’indépendance et l’objectivité nécessaires. Les demandeurs dans l’affaire Generoux ont contesté l’objection, soulignant qu’elle avait été soulevée à la veille de la clôture des plaidoiries et que l’exclusion du témoignage de M. Gold nuirait à leur capacité d’étayer leurs arguments. L’examen de cette question a été reporté jusqu’à l’instruction de la demande de contrôle judiciaire conformément à la directive donnée par la juge en chef adjointe Gagné.

[175] M. Gold est décrit comme un chercheur et un historien des armes à feu. Selon ses qualifications professionnelles, il est titulaire d’une maîtrise en histoire intellectuelle et d’une maîtrise en administration publique. Son expertise présumée ne transparaît pas dans son expérience professionnelle. M. Gold a donné des renseignements sur l’histoire de l’utilisation des armes à feu au Canada. Toutefois, le témoignage de M. Gold n’éclaire pas les questions déterminantes dont la Cour est saisie. Il n’est pas nécessaire que la Cour se prononce sur son expertise déclarée.

[176] La Cour a examiné les éléments de preuve en ce qui concerne les questions particulières. Les éléments de preuve ont fourni des renseignements utiles à des degrés divers, même s’ils n’étaient pas toujours très pertinents ou convaincants.

[177] De nombreux déposants des demandeurs ont des intérêts personnels ou économiques dans l’issue du présent contrôle judiciaire, étant propriétaires d’armes à feu ou propriétaires d’entreprises ou partisans d’un assouplissement de la réglementation. De nombreux déposants ont décrit leurs propres préférences quant à l’utilisation de leurs armes à feu maintenant prohibées et leurs opinions sur ce qui peut raisonnablement être utilisé, mais ces éléments de preuve n’abordent pas la question de savoir si l’avis du gouverneur en conseil est raisonnable. Les éléments de preuve indiquent que les opinions divergent et qu’elles divergent pour des raisons différentes.

[178] De manière générale, la Cour estime que, contrairement aux affirmations des demandeurs, le témoignage de M. Smith est utile et elle s’est appuyée sur ce témoignage relativement à certaines questions, comme il en sera fait mention plus loin. M. Smith ne démontre pas de partialité, ne défend pas le « travail de toute une vie » et n’a aucun intérêt direct. M. Smith a été franc et a donné des réponses détaillées, accompagnées d’explications, fondées sur son expérience et ses connaissances.

[179] L’appréciation des éléments de preuve est décrite plus en détail ci-après, en fonction des questions sur lesquelles portent ces éléments de preuve.

VII. La norme de contrôle

A. Les observations des demandeurs

[180] Les demandeurs soutiennent que les principes énoncés dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], régissent le contrôle judiciaire du Règlement.

[181] Les demanderesses dans l’affaire Parker font valoir que l’arrêt Katz Group Canada Inc. c Ontario (Santé et Soins de longue durée), 2013 CSC 64 [Katz], de la Cour suprême du Canada, qui porte sur le contrôle judiciaire des règlements, devrait être interprété en fonction de l’arrêt Vavilov. Elles invoquent l’arrêt Portnov c Canada (Procureur général), [Portnov], où la Cour d’appel fédérale a conclu que l’arrêt Katz, dans lequel la Cour suprême avait jugé que la présomption selon laquelle un règlement est valide ne peut être réfutée que si le règlement repose sur des considérations sans importance, est non pertinent ou est complètement étranger à l’objet de la loi, est incompatible avec les principes énoncés dans l’arrêt Vavilov et que l’arrêt Vavilov s’applique au contrôle judiciaire de toutes les décisions administratives.

[182] Les demandeurs dans l’affaire CCDAF soutiennent également que les arrêts Portnov et Médicaments novateurs Canada c Canada (Procureur général), 2022 CAF 210 [Médicaments novateurs] confirment que l’arrêt Vavilov régit la façon dont les cours de révisions doivent procéder au contrôle judiciaire des décisions administratives, notamment celles du gouverneur en conseil. Ils indiquent à titre de mise en garde que les décideurs administratifs ne peuvent pas interpréter leur loi habilitante de manière à élargir la portée de leurs pouvoirs au‐delà de ce que souhaitait le législateur (Vavilov, au para 68). Selon eux, le degré de déférence due ne change pas selon le décideur, le résultat et le processus doivent tous les deux être examinés et le décideur ne peut pas échafauder une interprétation à partir du résultat souhaité.

[183] Les demandeurs dans l’affaire CCDAF soutiennent que, pour conclure que la décision du gouverneur en conseil est déraisonnable, la Cour doit juger que ce dernier a formulé l’avis requis (une condition préalable) et qu’il est parvenu à cet avis de manière raisonnable. Il s’agit d’un critère juridique; aucune considération de politique n’est en jeu. Les demandeurs font valoir qu’il ne suffit pas de se fonder sur le passage du décret qui énonce l’avis du gouverneur en conseil.

B. Les observations du PGC

[184] Le PGC convient que les principes énoncés dans l’arrêt Vavilov régissent le contrôle judiciaire des décisions administratives, mais laisse entendre qu’en ce qui concerne la question de savoir lequel des arrêts Katz ou Portnov guide le contrôle judiciaire du Règlement, quelques vestiges de l’arrêt Katz demeurent. Il soutient qu’au paragraphe 87 des Renvois relatifs à la LTPGES, la Cour suprême du Canada a « confirmé » que l’arrêt Katz était toujours utile pour le contrôle des règlements et l’application des principes de l’arrêt Vavilov.

[185] Le PGC soutient que le principe de la déférence s’applique toujours. En ce qui a trait à la « condition préalable », le PGC fait valoir que la Cour devrait se demander si l’avis du gouverneur en conseil selon lequel les armes à feu désignées ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport repose sur un fondement factuel.

C. La jurisprudence

[186] Voici ce que la Cour suprême du Canada a déclaré au paragraphe 87 des Renvois relatifs à la LTPGES :

Tout règlement établi de cette façon doit être conforme à la fois aux dispositions pertinentes de la loi habilitante et à l’objet dominant de celle-ci (Waddell c. Governor in Council (1983), 8 Admin. L.R. 266 (C.S. C. B.), p. 292, cité dans Katz Group, par. 24), et il doit [traduction] « être visé par les conditions prescrites [par cette loi] et assujetti à celles-ci » (Re Gray, p. 168).

[187] Cette exigence n’est pas contestée. Toutefois, je suis en désaccord avec l’observation du PGC selon laquelle le fait que les Renvois relatifs à la LTPGES font référence à Waddell c Governor in Council (1983), 1983 CanLII 189 (CS C.-B.), 8 Admin LR 266 (BCSC) p. 292, cité dans l’arrêt Katz, laisse entendre que ce dernier arrêt guide toujours le contrôle des règlements pris par le gouverneur en conseil. Cette référence ne modifie pas la conclusion tirée dans l’arrêt Portnov (c.-à-d. que le troisième critère énoncé dans l’arrêt Katz n’est pas compatible avec l’arrêt Vavilov).

[188] Dans l’arrêt Portnov, la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur la question de savoir si les principes régissant la contestation des règlements, qui sont établis dans l’arrêt Katz de la Cour suprême, devraient être interprétés en fonction de l’arrêt Vavilov. La Cour d’appel fédérale a énoncé les trois volets de la règle établie dans Katz et a conclu que le troisième n’était pas compatible avec l’arrêt Vavilov, soulignant ceci au paragraphe 19 :

[19] La règle énoncée dans l’arrêt Katz comporte trois volets : (1) le fardeau de la preuve incombe à la partie qui conteste la validité du règlement; (2) dans la mesure du possible, le règlement doit être interprété de manière à ce qu’il respecte les dispositions de sa loi habilitante; (3) la partie doit réfuter la présomption de validité du règlement. En ce qui a trait au troisième volet, il est indiqué dans l’arrêt Katz (par. 24 et 28) que cette présomption ne peut être réfutée que si le règlement est « sans importance », « non pertinent » ou « complètement étranger » aux objectifs de la loi habilitante. Un éminent théoricien du droit administratif canadien a appelé cette norme celle de [traduction] « l’hyperretenue » : Paul Daly, « Regulations and Reasonableness Review » dans Administrative Law Matters (29 janvier 2021), <www.administrativelawmatters.com/blog/2021/01/29/regulations-and-reasonableness-review/>. Je suis d’accord.

[189] Aux paragraphes 20 à 22 de cet arrêt, la Cour d’appel a conclu que la jurisprudence ultérieure, particulièrement l’arrêt Vavilov, a supplanté l’arrêt Katz et que « le troisième volet de la règle de l’arrêt Katz est devenu un artéfact d’une époque depuis longtemps révolue ».

[190] La Cour d’appel fédérale a expliqué, aux paragraphes 23 à 27, que les règlements sont des instruments juridiques ayant force exécutoire que des fonctionnaires décident de prendre, tout comme les autres décisions administratives, et que le cadre applicable au contrôle de toutes les décisions administratives est celui qui est établi dans l’arrêt Vavilov.

[191] En ce qui concerne le contrôle judiciaire des décisions du gouverneur en conseil, qui ne sont pas toujours accompagnées de motifs, la Cour d’appel a souligné, au paragraphe 34, que « des explications motivées se trouvent souvent dans le texte même des instruments juridiques » ainsi que dans des instruments juridiques antérieurs connexes et dans des résumés de l’étude d’impact de la réglementation.

[192] Au paragraphe 44 de l’arrêt Portnov, la Cour d’appel a réitéré que l’examen du caractère raisonnable repose sur le contexte et que le contexte inclut « l’accès qu’a le gouverneur en conseil à des communications de nature délicate entre États, [... ] son expertise dans le domaine des relations internationales, ainsi que [...] le rôle qu’il joue, se trouvant au somment [sic] du pouvoir exécutif canadien, dans l’élaboration des politiques gouvernementales dans de nombreux domaines distincts, dont la démocratie internationale, la lutte contre la corruption et la responsabilité. Il s’agit de questions qui ne relèvent habituellement pas du savoir spécialisé des tribunaux et par conséquent que les tribunaux sont réticents à mettre en doute [renvois omis]. » La Cour a ajouté que les conséquences pour M. Portnov faisaient aussi partie du contexte.

[193] Dans l’arrêt Médicaments novateurs, la Cour d’appel fédérale a réitéré que les principes énoncés dans l’arrêt Vavilov guidaient le contrôle de la validité des règlements, y compris des règlements pris par le gouverneur en conseil. Aux paragraphes 28 et 29, elle a souligné que d’autres tribunaux ont déjà appliqué l’arrêt Portnov, bien que la Cour d’appel de l’Alberta ait refusé de suivre cet arrêt et qu’elle ait plutôt conclu que l’arrêt Katz s’appliquait au contrôle des règlements pris par le gouverneur en conseil, faisant une distinction entre ces règlements et les autres parce qu’ils constituent des « actes de légiférer ».

[194] La Cour d’appel a souligné, au paragraphe 38, la différence entre les deux approches et a expliqué pourquoi l’arrêt Katz ne devrait pas s’appliquer, même si le règlement constitue un « acte de légiférer » :

[38] Ce point de vue néglige également le fait que les décrets promulgués par le gouverneur en conseil, les règlements municipaux, les règles administratives et certaines décisions administratives sur le fond sont tous des exemples d’« actes de légiférer ». Et, comme nous l’avons mentionné au paragraphe 33 ci-dessus, la Cour suprême a déclaré que chacun de ces exemples d’« actes de légiférer » doivent être examinés à l’aune de l’arrêt Vavilov (ou de son prédécesseur, l’arrêt Dunsmuir), et non de l’arrêt Katz.

[195] La Cour d’appel fédérale a pris acte du raisonnement de la Cour d’appel de l’Alberta; mais a expliqué, au paragraphe 39, que l’arrêt Vavilov était tout aussi sensible au contexte, lequel inclut le fait que le décideur est le gouverneur en conseil.

[196] Au paragraphe 40 de l’arrêt Médicaments novateurs, la Cour d’appel a de nouveau mentionné, en ce qui a trait aux règlements pris par le gouverneur en conseil, que ce dernier se situait « à la cime du pouvoir exécutif », que son pouvoir est « souvent relativement libre de toute contrainte » et que le libellé de la loi habilitante est la clé. Elle a ajouté : « L’arrêt Vavilov vise directement cet élément, en se concentrant sur les significations que le libellé du pouvoir de réglementation peut raisonnablement revêtir. Ce qui n’est pas le cas de l’arrêt Katz. »

[197] Pour ce qui est de la question de savoir si une décision du gouverneur en conseil est raisonnable, la Cour d’appel a mentionné, au paragraphe 48, qu’une cour de révision doit pouvoir « discerner une explication raisonnée de la décision ». La Cour d’appel a trouvé une explication dans le REIR et a souligné que « [l]es déclarations de ce genre sont une source communément acceptée des motifs des décisions prises par le gouverneur en conseil ».

[198] Les arrêts Portnov et Médicaments novateurs établissent clairement que l’arrêt Vavilov s’applique au contrôle judiciaire du Règlement. L’orientation de la Cour d’appel fédérale est particulièrement applicable en l’espèce. Il convient de noter ce qui suit :

  • ·Le cadre applicable au contrôle du Règlement promulgué par le gouverneur en conseil est établi dans l’arrêt Vavilov.

  • ·Les motifs de la décision du gouverneur en conseil se trouvent dans le Règlement lui‐même, dans les instruments juridiques antérieurs et dans le REIR connexe. Le REIR est une source communément acceptée des motifs des décisions prises par le gouverneur en conseil.

  • ·L’examen du caractère raisonnable repose sur le contexte. Le contexte inclut le rôle que joue le gouverneur en conseil, qui se trouve « au [sommet] du pouvoir exécutif canadien, dans l’élaboration des politiques gouvernementales dans de nombreux domaines distincts » (Portnov, au para 44).

  • ·Les tribunaux ne devraient pas s’immiscer à la légère dans la prise de décision du gouverneur en conseil, surtout lorsque son contenu politique est élevé.

  • ·Le pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil « est souvent relativement libre de toute contrainte », mais le libellé des dispositions législatives fournit une orientation. L’arrêt Vavilov se concentre « sur les significations que le libellé du pouvoir de réglementation peut raisonnablement revêtir » (Médicaments novateurs, au para 40).

[199] Les principes énoncés dans l’arrêt Vavilov ne sont pas contestés. Il existe plusieurs principes directeurs et les plus pertinents pour le contrôle de la décision du gouverneur en conseil incluent les suivants :

  • ·Les cours de justice devraient intervenir dans les affaires administratives « uniquement lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif ». Le principe de la retenue judiciaire et du respect envers le rôle des décideurs administratifs s’applique, mais le contrôle judiciaire demeure rigoureux (au para 13).

  • ·Les décideurs administratifs ne peuvent pas interpréter leur loi habilitante « à leur gré » ou élargir la portée de leurs pouvoirs au‐delà de ce que souhaitait le législateur. Le régime législatif applicable sert à circonscrire les actes ainsi que les pouvoirs des décideurs administratifs (au para 68). Les limites législatives imposées au pouvoir du décideur doivent être appliquées rigoureusement. Ce qui est raisonnable dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision faisant l’objet du contrôle (au para 90).

  • ·Pour déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable, la cour de révision doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (au para 99).

  • ·Le régime législatif qui confère aux décideurs administratifs leur pouvoir est probablement « l’aspect le plus important du contexte juridique » de la décision (au para 108). Les décideurs administratifs ne peuvent pas ignorer ou réécrire leurs lois habilitantes. L’exercice de leur pouvoir discrétionnaire doit être « conforme aux fins pour lesquelles il a été accordé » (au para 108).

  • ·« En règle générale, il y a lieu de faire preuve de déférence » envers l’interprétation que donne le décideur du pouvoir que lui confère la loi, mais ce dernier doit justifier convenablement son interprétation. En outre, « un organisme administratif ne saurait exercer un pouvoir qui ne lui a pas été délégué » (au para 109).

  • ·Le décideur ne peut interpréter son pouvoir afin « d’échafauder une interprétation à partir du résultat souhaité » (au para 121).

  • ·Lorsqu’une décision n’est assortie d’aucun motif, la cour de révision doit examiner le dossier dans son ensemble (au para 137) et « doit tout de même examiner la décision à la lumière des contraintes imposées au décideur ». L’examen du caractère raisonnable n’en demeure pas moins rigoureux; « il prend seulement une forme différente » (au para 138).

VIII. La Cour devrait-elle tirer une inférence défavorable du fait que le PGC a attesté que les renseignements constituaient des renseignements confidentiels du Cabinet et qu’il a omis de produire le dossier dont disposait le gouverneur en conseil?

A. Les observations des demandeurs

[200] Les demandeurs soutiennent que le contrôle judiciaire ne devrait pas être contrecarré par le refus du PGC de produire les renseignements sur lesquels le gouverneur en conseil s’est fondé et par le fait qu’il a eu recours à l’article 39 de la la LPC pour attester que ces renseignements constituent des renseignements confidentiels du Cabinet.

[201] Les demandeurs font valoir que la Cour devrait tirer une inférence défavorable du refus du PGC de fournir les renseignements ou les documents que le gouverneur en conseil a examinés pour rendre l’avis selon lequel les armes à feu désignées ne pouvaient raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport. Autrement dit, la Cour devrait inférer que le gouverneur en conseil ne disposait d’aucun élément de preuve à l’appui de son avis ou que les renseignements dont il disposait n’appuyaient pas son avis.

[202] Les demandeurs invoquent le paragraphe 169 de l’arrêt RJR-MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1995] 3 RCS 199 [RJR MacDonald], pour faire valoir que la Cour peut tirer une inférence défavorable du fait que le gouvernement a eu recours à l’article 39 de la LPC. Ils avancent également que, dans l’arrêt Babcock c Canada (Procureur général), 2022 CSC 57 [Babcock], la Cour suprême du Canada a jugé que l’article 39 de la LPC était constitutionnel en raison du fait qu’il était possible de tirer une inférence défavorable.

[203] Les demandeurs dans l’affaire Doherty soutiennent qu’étant donné les restrictions imposées au pouvoir du gouverneur en conseil énoncées au paragraphe 117.15(2) du Code criminel et les répercussions que le Règlement a sur les propriétaires d’arme à feu, si le PGC avait des éléments de preuve crédibles à l’appui de la décision du gouverneur en conseil selon laquelle les armes à feu prohibées ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport, il aurait produit ces éléments de preuve ou aurait dû le faire.

[204] Les demandeurs dans l’affaire Generoux soulignent les efforts déployés par tous les demandeurs pour obtenir les renseignements sur lesquels le gouverneur en conseil s’est fondé, l’ordonnance de la Cour obligeant le PGC à produire des documents, et le recours ultérieur à l’article 39 de la LPC par le PGC. Ils font remarquer que le PGC a même refusé de fournir les documents publics qui auraient été examinés, par exemple, les résultats des consultations publiques menées par le gouvernement. Ils soutiennent que la Cour devrait donc inférer que les résultats de ces consultations n’ont pas été pris en compte.

[205] Les demandeurs dans l’affaire Eichenberg avancent que le résumé [traduction] « embryonnaire » produit en même temps que l’attestation prévue à l’article 39 ne contient aucun renseignement permettant de procéder à un contrôle judiciaire valable et ne mentionne pas si le gouverneur en conseil a formulé l’avis requis. Ils soutiennent que ce genre de résumé est conçu pour établir l’équilibre entre la nécessité d’assurer la confidentialité et celle de procéder à un contrôle judiciaire valable, mais que celui-ci échoue à cette tâche.

[206] Les demandeurs dans l’affaire Eichenberg font valoir que, tout comme dans l’arrêt RJR MacDonald, le résumé « embryonnaire » constitue une divulgation sélective. Ils affirment que ce résumé ainsi que le dossier dont la Cour dispose, y compris le REIR et les affidavits déposés par le PGC, ne fournissent aucun éclaircissement sur l’avis du gouverneur en conseil.

B. Les observations du PGC

[207] Le PGC soutient que l’attestation prévue à l’article 39 – une déclaration selon laquelle les documents dont dispose le gouverneur en conseil sont des renseignements confidentiels du Cabinet – n’est pas un facteur à prendre en considération lors du contrôle judiciaire. Il avance que le greffier du Conseil privé a exercé ses pouvoirs adéquatement et que les documents en cause relèvent nettement de la catégorie des renseignements confidentiels du Cabinet au titre de l’article 39. En outre, les demandeurs n’ont pas contesté l’attestation prévue à l’article 39.

[208] Le PGC soutient que les arrêts RJR MacDonald et Babcock, sur lesquels les demandeurs se fondent, se distinguent de la situation actuelle. Il affirme que le gouverneur en conseil n’a pas fait de divulgation sélective puisque l’attestation prévue à l’article 39 s’appliquait à tous les renseignements examinés ainsi qu’aux discussions du gouverneur en conseil.

C. Aucune inférence défavorable ne devrait être tirée

[209] Les demandeurs ne contestent pas l’attestation visée à l’article 39 (c.-à-d. qu’ils n’ont pas demandé le contrôle judiciaire de la décision de délivrer l’attestation visée à l’article 39).

[210] Quoiqu’il en soi, comme le PGC le souligne, rien ne donne à penser que le greffier du Conseil privé a outrepassé son pouvoir en délivrant l’attestation ou que les renseignements visés par l’attestation ne relèvent pas de la portée de l’article 39.

[211] L’attestation prévue à l’article 39 a été délivrée le 3 décembre 2020, accompagnée d’un résumé intitulé [traduction] « Description des documents constituant des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine ». Ce résumé indique que le ministre de la Justice a présenté une observation au gouverneur en conseil en avril 2020, que cette observation incluait des propositions au Conseil et était liée à la prise des décisions du gouvernement ou à la formulation de sa politique ou à un avant-projet de loi ou un projet de règlement et donc qu’elle relevait de la portée du paragraphe 39(2) de la LPC. Il indique également que les renseignements constituent un dossier des délibérations du gouverneur en conseil, ce qui relève aussi du paragraphe 39(2).

[212] Aux paragraphes 21 à 26 de l’arrêt Babcock, la Cour suprême du Canada a expliqué les exigences à remplir pour pouvoir délivrer l’attestation, et a conclu ce qui suit au paragraphe 27 :

[27] Ces principes m’amènent à conclure que, règle générale, l’attestation est valide si : (1) elle émane du greffier ou d’un ministre; (2) elle vise des renseignements décrits au par. 39(2); (3) elle est délivrée dans l’exercice de bonne foi d’un pouvoir délégué; (4) elle vise à empêcher la divulgation de renseignements demeurés jusque-là confidentiels.

[213] La Cour suprême a expliqué que même si le paragraphe 39(1) limitait beaucoup la portée du contrôle judiciaire d’une attestation de confidentialité, un tel contrôle n’était toutefois pas impossible (aux para 38-41, 57-61).

[214] La Cour a souligné, au paragraphe 60, que l’article 39 n’excluait pas tout contrôle judiciaire de la décision du greffier, ajoutant qu’« [u]n tribunal peut examiner l’attestation pour déterminer si elle vise un renseignement confidentiel au sens du par. 39(2) ou appartenant à une catégorie analogue et pour déterminer si elle a été délivrée de mauvaise foi. L’article 39 n’empêche pas en soi un tribunal d’exercer son pouvoir de remédier aux abus de procédure. »

[215] Contrairement à ce que les demandeurs font valoir, dans l’arrêt Babcock, la Cour suprême du Canada n’a pas conclu que l’article 39 était constitutionnel seulement parce qu’une inférence défavorable pouvait être tirée. Elle a conclu qu’il était constitutionnel pour les raisons nommées au paragraphe 60 (et dans l’analyse qui précède), et plus particulièrement parce que les tribunaux pouvaient procéder au contrôle judiciaire de l’attestation.

[216] Au paragraphe 166 de l’arrêt RJR MacDonald, la juge McLachlin a souligné, parmi les nombreuses autres questions examinées dans ses motifs, que l’intimé n’avait pas produit tous les résultats de l’étude et avait plutôt revendiqué le privilège prévu à l’article 39, ce qui pouvait la mener à tirer une inférence défavorable :

[166] Cette omission est d’autant plus flagrante que le gouvernement avait effectué au moins une étude des solutions de rechange avant d’opter pour l’interdiction totale. Le gouvernement a privé les tribunaux des résultats de cette étude. Le procureur général du Canada a refusé de divulguer ce document, de même qu’environ 500 autres dont la production avait été demandée en première instance; il a, à cette fin, invoqué l’art. 39 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, faisant ainsi échec à une demande de divulgation présentée par les compagnies de tabac puisque les tribunaux n’ont pas compétence pour examiner les documents selon lesquels un privilège est réclamé en vertu de cette disposition. Les mentions de cette étude ont été biffées des documents produits : motifs de la première instance, à la p. 2311. Face à cette attitude, il est difficile de ne pas inférer que les résultats de ces études font échec à la prétention du gouvernement qu’une interdiction moins attentatoire n’aurait pas donné lieu à un résultat tout aussi valable.

[217] Dans l’arrêt Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 [Tsleil‐Waututh], la Cour d’appel fédérale a examiné une requête sollicitant la production de documents et contestant le recours à l’article 39 de la LPC par les intimés. Elle a conclu que l’« on [pouvait] soutenir » que le passage au paragraphe 166 de l’arrêt RJR MacDonald, cité plus haut, appuyait l’opinion voulant qu’une inférence défavorable puisse être tirée de la délivrance d’une attestation visée à l’article 39. Elle n’a cependant pas tiré une telle inférence et a souligné que des renseignements au dossier dont elle disposait lui permettaient de procéder à un contrôle judiciaire. La Cour a ensuite souligné l’importance du dossier de preuve dans le contexte d’un contrôle judiciaire.

[218] Dans l’arrêt Conseil canadien pour les réfugiés, la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur la vaste question de la possibilité d’invoquer des privilèges dans le contexte de la production de documents. Elle a souligné que les tribunaux pouvaient rendre des ordonnances de production qui permettent de protéger les intérêts liés à la confidentialité et tout en permettant la communication de suffisamment de renseignements pour faciliter le contrôle judiciaire (au para 109).

[219] La Cour a expliqué, au paragraphe 114, qu’un résumé était une option qui pouvait être utilisée et qui n’emportait pas renonciation au privilège. Elle a renvoyé à l’affaire Première Nation Coldwater c Canada (Procureur général), 2020 CAF 34 [Coldwater], où une attestation avait été délivrée en application de l’article 39, mais où le gouverneur en conseil avait fourni « un résumé de sa démarche décisionnelle » dans le préambule du décret. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale avait conclu que le préambule était suffisant pour permettre un contrôle judiciaire efficace et utile.

[220] En critiquant le fait que le résumé fourni avec l’attestation prévue à l’article 39 est « embryonnaire », les demandeurs dans l’affaire Eichenberg semblent confondre l’obligation du greffier de décrire la nature des renseignements visés par l’attestation et le type de résumé dont il est question dans l’arrêt Conseil canadien pour les réfugiés, ou le résumé qui se trouve dans le préambule du décret dans l’arrêt Coldwater.

[221] Le résumé « embryonnaire » fourni avec l’attestation visée à l’article 39 a rempli son objectif. Il ne visait pas à donner un aperçu des renseignements examinés par le gouverneur en conseil, car cela serait allé à l’encontre de la nature confidentielle des renseignements; il visait plutôt à décrire le type de renseignements examinés par le gouverneur en conseil afin d’expliquer pourquoi ils relevaient de l’article 39.

[222] Dans les circonstances de l’espèce, la Cour ne croit pas qu’il y a lieu de tirer une inférence défavorable, soit que le gouverneur en conseil ne disposait pas de renseignements qui auraient appuyé son avis selon lequel les armes à feu désignées ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport, ou qu’il disposait de renseignements qui contredisaient son avis. Comme il a été expliqué précédemment, la jurisprudence établit que les règlements pris par le gouverneur en conseil sont assujettis au même contrôle judiciaire rigoureux que les autres décisions administratives et que les motifs de ces décisions se trouvent dans le Règlement, dans les instruments juridiques antérieurs et dans le REIR (Vavilov, aux para 68, 106, 108, 109, 137, 138; Portnov, aux para 23-27, 34).

[223] Contrairement à ce que les demandeurs craignent, la décision du gouverneur en conseil n’est pas à l’abri d’un contrôle judiciaire et le défaut du PGC de produire les renseignements examinés par le gouverneur en conseil ainsi que l’attestation selon laquelle ces renseignements constituent des renseignements confidentiels du Cabinet n’empêchent pas la Cour de procéder au contrôle judiciaire conformément aux principes de l’arrêt Vavilov.

IX. Le décret et le Règlement outrepassent-ils les pouvoirs conférés au paragraphe 117.15(2) du Code criminel? L’avis et la décision du gouverneur en conseil sont-ils raisonnables?

A. Les observations de l’intervenant, le procureur général de l’Alberta

[224] Le procureur général de l’Alberta soutient que le gouverneur en conseil a outrepassé son pouvoir en ne respectant pas la « condition préalable » énoncée au paragraphe 117.15(2) du Code criminel, c’est-à-dire formuler un avis selon lequel les armes à feu ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport.

[225] Le procureur général de l’Alberta fait valoir que le Règlement doit être conforme aux dispositions pertinentes de la loi habilitante et à l’objet dominant de celle-ci (invoquant le paragraphe 87 des Renvois relatifs à la LTPGES). Selon lui, la loi habilitante est le projet de loi C-68, qui visait à établir l’équilibre entre la sécurité publique et l’utilisation légitime des armes à feu (pour la chasse ou le sport). Il affirme également que la disposition législative pertinente (le paragraphe 117.15(2)) a pour objectif d’autoriser les armes à feu qui peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport et non de protéger la sécurité publique ou d’atteindre les autres objectifs énoncés dans le REIR.

[226] Le procureur général de l’Alberta avance que le Règlement n’est pas conforme à l’objet dominant du projet de loi C-68 ou aux dispositions législatives pertinentes. Il souligne les déclarations faites par le ministre de la Justice, Allan Rock, à l’appui du projet de loi C-68, où il a reconnu que les armes à feu étaient utilisées pour la chasse ou le sport et a mentionné que les usages légitimes devaient être respectés, mais que « nous devons tenir compte des considérations de sécurité publique ».

[227] Le procureur général de l’Alberta soutient que même si la sécurité publique est l’objet dominant du Code criminel dans son ensemble, cela ne l’emporte pas sur la disposition législative pertinente. Le Parlement peut adopter des lois pour assurer la sécurité publique, mais le gouverneur en conseil doit respecter les limites imposées au pouvoir qui lui a été délégué.

[228] Selon le procureur général de l’Alberta, si le paragraphe 117.15(2) est interprété de manière à accorder un pouvoir discrétionnaire absolu au gouverneur en conseil, ce qui lui permettrait de désigner toute arme comme étant une arme à feu prohibée sans orientation du Parlement, alors cette disposition constitue une délégation de pouvoir inconstitutionnelle et outrepasse les pouvoirs conférés par la Loi constitutionnelle de 1867.

B. Les observations des demandeurs

(1) Le Règlement est invalide et l’avis et la décision du gouverneur en conseil ne sont pas raisonnables

[229] Les demandeurs soutiennent que le Règlement outrepasse le pouvoir du gouverneur en conseil et que la décision de ce dernier de désigner des armes à feu précises comme étant prohibées n’est pas raisonnable. Leurs arguments se chevauchent dans une certaine mesure, mais ils sont tous d’avis que le Règlement devrait être annulé.

[230] Les demanderesses dans l’affaire Parker font valoir que l’avis du gouverneur en conseil n’est pas justifié au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti, qu’il n’est pas transparent et qu’il n’est pas intelligible. La décision n’est assortie d’aucun motif, et le dossier dans son ensemble ne révèle aucune analyse rationnelle. Les demanderesses dans l’affaire Parker ajoutent que le Règlement ne respecte pas le « marché » conclu lors de l’adoption du paragraphe 117.15(2) dans le projet de loi C-68.

[231] Les demandeurs dans l’affaire CCDAF soutiennent que le Règlement devrait être déclaré invalide ou, subsidiairement, que l’utilisation d’un sous-ensemble d’armes à feu prohibées devrait être déclarée raisonnable pour la chasse ou le sport.

[232] Les demandeurs dans l’affaire CCDAF font valoir que le paragraphe 117.15(2) prévoit que ce ne sont pas toutes les armes à feu qui peuvent être désignées, mais seulement celles qui, de l’avis du gouverneur en conseil, ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport. Ces restrictions imposées au pouvoir du gouverneur en conseil au paragraphe 117.15(2) ne peuvent être réécrites. Le gouverneur en conseil doit formuler un avis et cet avis doit être raisonnable. Les demandeurs affirment que l’importance que le PGC accorde à la sécurité publique n’est pas une considération pertinente; si le gouverneur en conseil était autorisé à désigner des armes à feu comme étant prohibées pour des raisons de sécurité publique, le paragraphe 117.15(2) aurait été rédigé en conséquence. En outre, si le gouverneur en conseil pouvait fonder son avis sur des considérations de sécurité publique, il pourrait interdire toutes les armes à feu, ce qui est contraire aux restrictions énoncées dans le Code criminel.

[233] Les demandeurs dans l’affaire CCDAF mentionnent que la Cour peut bien examiner l’ensemble du dossier, mais qu’en l’absence de motif, ce dossier se compose principalement du REIR, lequel n’indique pas sur quels renseignements le gouverneur en conseil s’est fondé pour prendre sa décision. Ils soutiennent que le REIR n’explique pas l’avis du gouverneur en conseil concernant le caractère raisonnable des armes à feu maintenant prohibées pour la chasse ou le sport. Le REIR indique seulement que les armes à feu de style arme d’assaut ne conviennent plus pour la chasse ou le sport en raison de leur danger inhérent. Cependant, toutes les armes à feu représentent le même danger si elles tombent entre de mauvaises mains. Le fait que certaines armes à feu aient été ou puissent être utilisées à mauvais escient ne suffit pas à interdire leur possession et leur utilisation.

[234] Les demandeurs dans l’affaire CCDAF ajoutent que le PGC n’a fourni aucun élément de preuve pour étayer l’avis du gouverneur en conseil ou le caractère raisonnable du Règlement. Il a plutôt mis l’accent, à tort, sur la question de savoir si les armes à feu maintenant prohibées sont nécessaires pour la chasse ou le sport, ce qui n’est pas le critère à appliquer.

[235] Les demandeurs dans l’affaire CCDAF soutiennent que la nécessité et la disponibilité des autres armes à feu ne sont pas des considérations pertinentes, qu’elles ne justifient pas le Règlement et qu’elles n’ont aucune incidence sur la détermination du caractère raisonnable des armes à feu prohibées pour la chasse ou le sport.

[236] Les demandeurs dans l’affaire CCDAF ajoutent qu’en incluant une période d’amnistie, le gouverneur en conseil a affaibli son propre avis selon lequel les armes à feu prohibées ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport.

[237] Les demandeurs dans l’affaire CCDAF font valoir que les demandeurs ont collectivement établi que le gouverneur en conseil n’a pas formulé l’avis selon lequel les armes à feu maintenant prohibées ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport ou, subsidiairement, que l’avis du gouverneur en conseil n’est pas raisonnable.

[238] Les demandeurs dans l’affaire Doherty font aussi valoir que le PGC n’a fourni aucun élément de preuve démontrant que les armes à feu prohibées ne peuvent raisonnablement être utilisées selon des critères objectifs. Ils soutiennent toutefois que les demandeurs ont présenté de nombreux éléments de preuve démontrant que les armes à feu prohibées peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport.

[239] Tout comme les demandeurs dans l’affaire CCDAF, les demandeurs dans l’affaire Doherty affirment que les déposants du PGC ont mis l’accent sur des considérations non pertinentes, notamment sur la question de savoir si certaines armes à feu sont nécessaires pour la chasse ou le sport.

[240] Les demandeurs dans l’affaire Doherty soulignent que plusieurs des armes à feu énumérées dans le Règlement étaient déjà prohibées en raison de leurs caractéristiques. Ils affirment que le Règlement constitue une tentative d’établir un lien entre les armes à feu en cause et celles qui sont déjà prohibées, même si elles sont différentes. Ils mentionnent que l’apparence n’est pas un indicateur de l’existence d’un lien. De plus, ils avancent que les armes à feu prohibées ne sont pas des armes à feu de style arme d’assaut ou de style militaire comme l’indique le REIR; il ne s’agit pas d’armes automatiques, elles n’ont pas de chargeur de grande capacité et elles ne seraient pas utilisées pour le combat.

[241] M. Hipwell allègue que le gouvernement s’est appuyé sur le Règlement pour éviter un examen du Parlement; il soutient que ces interdictions n’auraient pas été approuvées par celui-ci. Il fait notamment mention d’un échange de courriels entre un député et un citoyen pour laisser entendre que le gouvernement n’a pas réussi à obtenir un consentement unanime pour déposer un tel projet de loi.

[242] Les demandeurs dans l’affaire Generoux soutiennent également que le Règlement est invalide. Ils avancent que le gouverneur en conseil a fondé son avis sur des facteurs non pertinents et des affirmations sensationnelles. Selon eux, le gouverneur en conseil est composé de personnes nommées qui sont sollicitées par des lobbyistes et influencées par des partisans du contrôle des armes à feu.

[243] Les demandeurs dans l’affaire Generoux soulignent qu’à plusieurs reprises, le PGC parle de solutions de rechange aux armes prohibées au lieu de se demander si les armes maintenant prohibées peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport. Ils font remarquer que le REIR décrit les caractéristiques des armes à feu prohibées qui, en fait, sont avantageuses pour la chasse et le sport. Ils affirment que le fait de pouvoir tirer rapidement améliore leur rendement et leur sécurité, que les parties interchangeables sont ergonomiques, que la présence d’armes en feu en grande quantité signifie qu’elles sont populaires et qu’une énergie initiale supérieure à 10 000 joules permet d’utiliser l’arme pour chasser le gros gibier.

[244] Les demandeurs dans l’affaire Generoux soutiennent que le REIR met l’accent uniquement sur les dangers inhérents des armes à feu, alors que toutes les armes à feu peuvent être dangereuses si elles tombent entre de mauvaises mains, et sur les coûts du Règlement plutôt que sur les avantages d’une diminution des restrictions. Ils ajoutent que le REIR ne mentionnait que les résultats du processus de consultation qui appuyaient les interdictions et taisait les autres.

[245] Les demandeurs dans l’affaire Generoux font valoir que le Règlement ne renforcera pas la sécurité publique. Ils renvoient aux statistiques fournies par leur déposant, M. Allan Harding, qui révèlent que 90 % des armes à feu utilisées dans les crimes violents proviennent de l’étranger et qu’il existe un marché gris sur lequel on trouve des armes à feu qui datent d’avant les exigences en matière d’enregistrement et de permis.

[246] Les demandeurs dans l’affaire Generoux avancent également la théorie selon laquelle le Règlement repose sur des motifs frauduleux, comme le montre le REIR, ce qui a entraîné une dévaluation des armes à feu maintenant prohibées. Ils laissent entendre que cela va à l’encontre des dispositions du Code criminel relatives à la fraude.

[247] Comme les autres demandeurs, les demandeurs dans l’affaire Eichenberg soutiennent que le Règlement est invalide. Selon eux, le gouverneur en conseil a commis une erreur en formulant l’avis selon lequel les armes à feu ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport, et ils ajoutent que la majorité de ces armes à feu sont utilisées à ces fins depuis des décennies.

[248] Allant dans le même sens que les demanderesses dans l’affaire Parker, les demandeurs dans l’affaire Eichenberg font valoir que le paragraphe 117.15(2) du Code criminel a été créé dans le but d’établir un équilibre entre la prévention d’une utilisation criminelle des armes à feu et leur utilisation légitime.

[249] En ce qui concerne l’historique du paragraphe 117.15(2), les demandeurs dans l’affaire Eichenberg mentionnent que le libellé de la disposition a été modifié par le projet de loi C-68. Auparavant, selon la définition, une arme prohibée s’entendait, entre autres, d’une arme « qui [n’était pas] d’un genre utilisé habituellement au Canada pour la chasse ou le sport ». Les demandeurs dans l’affaire Eichenberg soutiennent qu’à la suite du changement de libellé, le paragraphe 117.15(2) était axé sur les armes à feu de type militaire. Ils font valoir que le Règlement en cause interdit les armes à feu qui ne sont pas de type militaire et qui ne relèvent pas des « échappatoires » décrites par le ministre Rock comme étant la raison du changement du libellé. En outre, ils affirment que bon nombre des armes à feu maintenant prohibées existent depuis plus de 50 ans et pourtant, n’ont pas été interdites par le décret de 1994 qui visait à interdire les armes d’assaut de type militaire.

[250] Les demandeurs dans l’affaire Eichenberg soutiennent également que lors de l’évaluation du caractère raisonnable de l’avis du gouverneur en conseil, la Cour devrait se pencher sur le processus utilisé par le gouvernement. Ils soulignent qu’au lieu de modifier le Code criminel afin de désigner des armes prohibées, le gouvernement a décidé de prendre le Règlement, qu’il n’a pas publié au préalable, a contourné l’obligation de donner un préavis à l’OMC en ayant recours à une exception pour des raisons de sécurité publique et a attesté que les renseignements sur lesquels le gouverneur en conseil s’est fondé pour formuler son avis constituaient des renseignements confidentiels du Cabinet afin de les soustraire à un examen.

[251] Les demandeurs font valoir que la justification fournie par le PGC pour expliquer le fait qu’il a pris le Règlement en douce n’est pas crédible. Ils laissent entendre que le gouverneur en conseil n’avait pas besoin de faire fi du préavis à l’OMC pour éviter une [traduction] « ruée sur le marché » étant donné que le gouvernement avait déjà annoncé qu’il interdirait d’autres armes à feu et que cela n’avait pas causé de telle ruée.

[252] Les demandeurs dans l’affaire Eichenberg ajoutent que la justification fournie par le ministre de la Justice en 1994 pour expliquer pourquoi il avait eu recours au processus réglementaire afin d’interdire des armes à feu – soit afin d’accorder une certaine souplesse et de répondre aux besoins – n’est que théorique. Ils soulignent qu’aucun règlement n’a été promulgué à titre de réponse rapide au cours des 25 dernières années.

[253] Les demandeurs dans l’affaire Eichenberg soutiennent que si le REIR est assimilable aux motifs du gouverneur en conseil, il n’étaye pas l’avis de ce dernier. Le REIR contient des énoncés de politique généraux et des renseignements inexacts et il ne s’agit pas du dossier de preuve dont disposait le gouverneur en conseil. Il ne démontre pas comment le gouverneur en conseil est parvenu à son avis. Les demandeurs affirment qu’à l’inverse, leurs éléments de preuve démontrent que les armes à feu maintenant prohibées pouvaient raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport et que c’est toujours le cas.

[254] Plusieurs des demandeurs soutiennent que le décret d’amnistie est incompatible avec l’avis du gouverneur en conseil et qu’il mine cet avis. Les demandeurs font valoir que si l’on peut permettre aux peuples autochtones d’utiliser les mêmes armes à feu pour respecter leurs droits garantis par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, le gouverneur en conseil ne peut pas être d’avis que ces armes à feu ne peuvent pas raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport par d’autres personnes en raison de leurs risques inhérents.

[255] Les demandeurs dans l’affaire Generoux ajoutent que selon eux, le gouverneur en conseil n’a pas suivi le conseil que les rédacteurs législatifs ont donné aux avocats du gouvernement en 1996 et selon lequel il n’existe aucun pouvoir de créer une période d’amnistie lorsque des armes à feu sont interdites parce qu’il est jugé qu’elles ne peuvent pas raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport. Ils allèguent qu’une note de service obtenue en réponse à une demande d’accès à l’information révèle que le gouvernement a [traduction] « frauduleusement » agi à l’encontre de ce conseil en prenant le décret d’amnistie tout en affirmant que les armes à feu ne peuvent raisonnablement pas être utilisées pour la chasse ou le sport.

(2) Les armes à feu maintenant prohibées peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport

[256] Les demandeurs soutiennent que leur preuve démontre que les armes à feu maintenant prohibées peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport et que par conséquent, le gouverneur en conseil ne pouvait pas raisonnablement conclure le contraire.

[257] Les demandeurs dans l’affaire CCDAF mentionnent la preuve exhaustive des propriétaires d’arme à feu et des experts concernant leur utilisation des armes à feu maintenant prohibées (tant les variantes nommées et celles non nommées) et leurs explications concernant les raisons pour lesquelles ces armes à feu peuvent encore raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport.

[258] Les demandeurs dans l’affaire Eichenberg et les demandeurs dans l’affaire Doherty se fondent tous sur le témoignage de M. DeMille, directeur de la Fédération des chasseurs et pêcheurs de l’Ontario (l’OFAH), qui a fait état des résultats du sondage mené par l’OFAH auprès de personnes possédant une ou plusieurs des 64 armes à feu auparavant sans restriction. Il a été révélé que 82,8 % des armes étaient utilisées pour la chasse avant l’entrée en vigueur du Règlement, et 92 % étaient utilisées pour le sport. De plus, M. DeMille a cerné plusieurs critères objectifs permettant d’évaluer si les armes à feu peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport, notamment le calibre, le diamètre de l’âme, les restrictions touchant le nombre de coups, la précision, le recul, le type de mécanisme, la capacité de cartouches, le type de canon, l’étranglement et l’ergonomie. M. DeMille a conclu que bon nombre des armes à feu maintenant prohibées sont utilisées depuis longtemps pour la chasse et que beaucoup d’entre elles, voire toutes, peuvent encore raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport.

[259] Les demandeurs dans l’affaire CCDAF contestent le fait que les armes à feu maintenant prohibées sont des armes de type arme d’assaut ou de type militaire, soulignant que M. DeMille explique, entre autres, que certaines armes à feu maintenant désignées comme des variantes et les armes à feu de type militaire ont des traits en commun, mais que leurs fonctionnalités diffèrent.

[260] Les demandeurs dans l’affaire CCDAF invoquent aussi le témoignage de M. Matthew Hipwell, de M. Singer et de M. O’Dell, qui expliquent que certaines des armes à feu maintenant prohibées n’ont pas été créées à des fins militaires, par exemple, le BCL Coyote, le SLR Multi et le Derya MK-12.

[261] Les demandeurs dans l’affaire Doherty se fondent sur le témoignage de M. Bader concernant les considérations qui devraient déterminer ce qui constitue une utilisation raisonnable pour la chasse. Selon M. Bader, la sécurité (des utilisateurs), l’éthique, le rendement, la fiabilité, la durabilité et les considérations personnelles, y compris l’ergonomie, sont des facteurs à prendre en compte. Appliquant ces considérations, M. Bader conclut que toutes les armes à feu prohibées peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport.

[262] Les demandeurs dans l’affaire Doherty se fondent également sur le témoignage de M. Bader, selon lequel plusieurs armes à feu, d’après son évaluation, ne sont pas des variantes; par exemple, le Derya MK-12 et le SLR-Multi de Maccabee Defence. M. Bader affirme que ces armes ainsi que d’autres ne se rattachent pas au fusil AR-15.

[263] En ce qui concerne le caractère raisonnable de l’utilisation des armes pour le sport, les demandeurs dans les affaires CCDAF, Doherty et Eichenberg se fondent sur le témoignage de M. Ryan Steacy, de M. Keith Cunningham et de Mme Linda Miller, des tireurs sportifs, qui expliquent que les armes à feu traditionnellement utilisées dans les compétitions internationales sont maintenant interdites. Par conséquent, ils devront s’entraîner et compétitionner à l’étranger avec des armes à feu qu’ils ne sont plus autorisés à posséder ou à utiliser au Canada.

[264] Les demandeurs mentionnent que M. Cunningham, un tireur sportif bien connu, membre et ancien directeur des épreuves de l’Association de tir Dominion du Canada (l’ATDC) et formateur auprès des policiers, des tireurs de compétition et des chasseurs, confirme que le fusil AR-15 est utilisé dans les formations en vue des compétitions de l’ATDC et qu’il a précédemment été exclu des armes interdites en raison de cette utilisation.

[265] M. Hipwell conteste également les interdictions relatives au fusil AR-15. Il soutient que le AR-15 convient au tir à la cible, une discipline qui est très réglementée, et souligne qu’il est doté des mêmes capacités de tir que de nombreuses autres carabines semi-automatiques. Il affirme que le AR-15 n’a pas été interdit en 1998 parce que le Parlement a reconnu son utilisation pour la pratique et les compétitions de tir à la cible, et qu’il ne devrait pas être interdit maintenant.

C. Les observations du PGC

(1) Le Règlement n’est pas invalide et la décision du gouverneur en conseil est raisonnable.

[266] Le PGC fait valoir que le gouverneur en conseil a rempli la condition énoncée au paragraphe 117.15(2) en formulant l’avis selon lequel les armes à feu désignées ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport, et que l’avis du gouverneur en conseil est raisonnable.

[267] Le PGC soutient que les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau de démontrer que la décision du gouverneur en conseil est invalide ou déraisonnable (c.-à-d. qu’elle ne repose sur aucun fondement factuel). Il affirme également que, s’il existe une interprétation qui concilie le Règlement avec sa loi habilitante, cette interprétation devrait l’emporter (invoquant l’arrêt Katz, au para 25; l’arrêt West Fraser Mills Ltd. c Colombie‐Britannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal), 2018 CSC 22 au para 12, et l’arrêt Portnov, aux para 19 et 20).

[268] Le PGC soutient que les définitions qui se trouvent au paragraphe 84(1) et à l’article 117.15 du Code criminel confèrent au gouverneur en conseil un vaste pouvoir discrétionnaire d’adopter des règlements afin de désigner des armes à feu comme étant prohibées ou à utilisation restreinte, sous réserve du paragraphe 117.15(2). Il ajoute que le législateur a envisagé peu de contraintes sur ce qui constitue une décision raisonnable au titre du paragraphe 117.15(2).

[269] Le PGC conteste l’observation des demanderesses dans l’affaire Parker selon laquelle un certain « marché » a été conclu en 1998 entre le Parlement et les propriétaires d’arme à feu. De plus, un parlement ne peut pas lier les parlements futurs.

[270] Le PGC soutient qu’à l’inverse de ce qu’allèguent les demandeurs dans l’affaire Eichenberg, il n’existe aucune obligation de publier le Règlement au préalable et que cette absence de publication préalable n’a aucune incidence sur le caractère raisonnable de la décision. En outre, il n’existe aucune obligation de soumettre les règlements pris en vertu du paragraphe 117.15 à un examen plus minutieux. Contrairement à la Loi sur les armes à feu, le Code criminel n’exige pas le dépôt des règlements devant le Parlement.

[271] Le PGC avance qu’il était loisible au gouverneur en conseil de recourir à l’exception prévue à l’entente conclue avec l’OMC concernant l’obligation de l’aviser parce qu’il avait des préoccupations valides en matière de sécurité publique. Il craignait notamment une ruée sur le marché par des gens qui voudraient acheter des armes à feu avant qu’elles ne deviennent prohibées.

[272] Le PGC soutient que le caractère raisonnable de la décision du gouverneur en conseil de promulguer le Règlement est étayé par le contexte législatif; le libellé de l’article 117.15; le rôle stratégique de haut niveau du gouverneur en conseil; les justifications énoncées dans le REIR; le dossier dont dispose la Cour; l’objectif de sécurité publique du Code criminel; le Règlement et le décret. Il ajoute que l’évaluation du caractère raisonnable ne nécessite pas d’examen de la politique afin de déterminer si le Règlement parviendra à atteindre les objectifs.

[273] Le PGC fait valoir que le Règlement est compatible avec l’objet du Code criminel, en particulier avec la législation relative au contrôle des armes à feu dont l’objet est la sécurité publique (Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31 aux para 21 et 22 [Renvoi relatif à la LAF]).

[274] Le PGC soutient également que le Règlement est compatible avec l’objet législatif de l’article 117.15; le gouverneur en conseil peut utiliser le pouvoir qui lui est conféré pour interdire des armes à feu dans l’intérêt de la sécurité publique après avoir évalué si les armes peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport, même si elles ont déjà été utilisées à ces fins par le passé.

[275] Le PGC invoque les déclarations de la ministre de la Justice, Kim Campbell, qui a expliqué en 1991 que le Règlement accorde une souplesse que la Loi à elle seule ne permet pas.

[276] Le PGC souligne l’expansion du pouvoir du gouverneur en conseil en 1995, par l’adoption du paragraphe 117.15(2), pouvoir qui lui permet d’interdire des armes à feu en fonction de son avis concernant le caractère raisonnable de leur utilisation pour la chasse ou le sport. Il mentionne que le libellé a changé et qu’il n’est plus question « d’utilisation habituelle » (« utilisé habituellement »), de sorte que les armes à feu qui étaient habituellement utilisées pour la chasse ou le sport avant 1995 puissent être prohibées si le gouverneur en conseil est d’avis qu’elles ne peuvent « raisonnablement » être utilisées à ces fins.

[277] Le PGC renvoie également aux commentaires du ministre de la Justice, Allan Rock, qui a expliqué en 1995 que l’expression « utilisé habituellement » avait été modifiée afin de mettre fin à une échappatoire ou à une tactique selon laquelle des compétitions seraient organisées afin que les propriétaires d’arme à feu puissent invoquer ensuite une « utilisation habituelle ».

[278] Le PGC soutient que le REIR est un document clé pour déterminer si la décision est raisonnable. Il contient une explication de l’avis ainsi que des éléments de preuve qui démontrent que la décision repose sur un fondement raisonnable. La preuve au dossier étaye le fait que les armes à feu désignées représentent un risque pour la sécurité publique.

[279] Le PGC se fonde sur le REIR et le témoignage de M. Koops et du professeur Brown concernant les incidents de fusillades de masse, les armes à feu utilisées dans les fusillades de masse, y compris les armes à feu de style arme d’assaut, le besoin subséquent de la police d’accroître sa puissance de feu, l’augmentation générale de la violence par arme à feu et le fait que les restrictions précédentes relatives à la capacité du chargeur n’ont pas éliminé le danger que représentaient les armes à feu semi-automatiques, soulignant qu’elles sont utilisées dans les fusillades de masse et qu’il est possible de contourner les restrictions.

[280] Le PGC soutient que le gouverneur en conseil a tenu compte des risques pour la sécurité publique et est parvenu à l’avis selon lequel les armes prohibées ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport étant donné ces risques, et selon lequel il est toujours possible d’utiliser d’autres armes. Il affirme que cette conclusion est raisonnable et étayée par le dossier.

[281] Le PGC fait valoir que, dans la mesure où les demandeurs soutiennent que le gouverneur en conseil ne peut interdire les armes à feu qu’ils utilisent actuellement pour la chasse ou le sport, cette proposition va à l’encontre du libellé du paragraphe 117.15(2). Il avance que les demandeurs mettent l’accent sur les armes qu’ils croient être raisonnables ou qu’ils préfèrent utiliser – ce qui n’est pas le critère applicable – et qu’ils ne tiennent pas compte de l’objet dominant qu’est la sécurité publique.

[282] Le PGC reconnaît que les propriétaires d’arme à feu prudents ne sont pas responsables des fusillades de masse mentionnées précédemment, mais est d’avis que les propriétaires qui détiennent un permis et des armes à feu enregistrées sont responsables de certains incidents ayant causé des blessures. Quoiqu’il en soit, c’est l’arme à feu qui représente un danger et non le propriétaire.

[283] Le PGC souligne que le déposant des demandeurs, le professeur Mauser, concède que 9 % des homicides commis entre 1998 et 2012 mettaient en cause des armes à feu légales. M. Giltaca reconnaît également que des propriétaires d’arme à feu légale ont commis des homicides.

[284] En ce qui concerne les compétitions de tir, le PGC fait remarquer que les armes à feu maintenant prohibées seraient principalement utilisées dans les compétitions tactiques et, comme l’a expliqué M. Smith, ces compétitions simulent des temps de guerre.

[285] Le PGC répond que le décret d’amnistie n’est pas incompatible avec la décision du gouverneur en conseil. Il s’agit d’une mesure temporaire qui vise à accorder aux propriétaires d’arme à feu le temps nécessaire pour se conformer au Règlement. Le décret d’amnistie permet de faire une utilisation limitée des armes durant la période de transition et répond aux préoccupations immédiates concernant la survie (pour les chasseurs à des fins de subsistance). Bien qu’il autorise une certaine utilisation pour la chasse à des fins de subsistance, cela n’est pas incompatible avec l’objectif de sécurité publique du Règlement.

(2) Les armes à feu maintenant prohibées ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse

[286] Le PGC souligne qu’il ne s’agit pas du contrôle judiciaire de la classification de certaines armes à feu. Il répond toutefois aux allégations des demandeurs selon lesquelles diverses armes à feu sont déraisonnablement classées comme des variantes des armes à feu prohibées.

[287] Par exemple, en ce qui concerne la critique selon laquelle le fusil Modern Hunter d’Alberta Tactical Rifle ne devrait pas être une variante, le PGC mentionne que M. Smith a expliqué que, même si ce fusil n’a pas été rattaché à une arme à feu prohibée en 2017, il s’agit d’une variante du AR-10, qui est maintenant une arme prohibée.

[288] En ce qui a trait au fusil Mossberg 715T, le PGC indique qu’en contre-interrogatoire, M. Smith a expliqué que cette arme à feu a été commercialisée comme un AR-15, qu’elle en présente des caractéristiques et qu’elle peut en comporter des accessoires.

[289] Le PGC fait également remarquer que, bien que les demandeurs affirment que le SLR‐Multi de Maccabbee est fabriqué à partir de zéro et que rien ne le rattache à une arme à feu prohibée, M. Smith a expliqué que sa conception vise à reproduire une arme qui est maintenant prohibée.

[290] Quant aux Derya MK-10 et MK-12, le PGC souligne que contrairement à ce que font observer les demandeurs, soit que M. Smith ne pouvait expliquer leur classification, M. Smith a en fait affirmé ne pas pouvoir fournir de l’information détaillée sur ces armes et devoir analyser les notes d’inspection.

D. Le Règlement n’est pas invalide et l’avis et la décision du gouverneur en conseil sont raisonnables

[291] La Cour conclut que le gouverneur en conseil n’a pas outrepassé le pouvoir que lui confère le législateur.

[292] Le gouverneur en conseil a formulé l’avis selon lequel les armes à feu désignées ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport, et cet avis est raisonnable. Le REIR et d’autres affidavits militent en faveur du caractère raisonnable de l’avis. L’importance que le gouverneur en conseil a accordée à la sécurité publique et à l’interdiction des armes à feu qui ont la capacité d’infliger des blessures graves et de faire de nombreuses victimes n’est pas incompatible avec l’objet dominant du Code criminel ou avec la disposition législative pertinente (le paragraphe 117.15(2)), qui limite le pouvoir délégué au gouverneur en conseil.

(1) Contrôle judiciaire du Règlement

[293] Comme il a été mentionné, les principes de l’arrêt Vavilov s’appliquent au contrôle judiciaire du Règlement. Dans les arrêts Portnov et Médicaments novateurs, la Cour d’appel fédérale a expliqué comment appliquer les nombreux principes de l’arrêt Vavilov au contrôle des règlements pris par le gouverneur en conseil. La Cour a appliqué les principes pertinents, tout en soulignant que la jurisprudence contient quelques messages contradictoires.

[294] Par exemple, dans l’arrêt Médicaments novateurs, la Cour d’appel fédérale mentionne que les tribunaux ne devraient pas s’immiscer à la légère dans la prise de décision du gouverneur en conseil, surtout lorsque son contenu politique est élevé. Par contre, dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada rappelle aux tribunaux que le contrôle judiciaire doit être rigoureux.

[295] L’arrêt Vavilov énonce que la norme de la décision raisonnable « s’adapte au contexte » (au para 89). L’arrêt Portnov indique quant à lui que le contexte dans lequel le gouverneur en conseil prend un règlement repose sur le fait qu’il se trouve « au [sommet] du pouvoir exécutif canadien, dans l’élaboration des politiques gouvernementales » (au para 44).

[296] Dans l’arrêt Médicaments novateurs, la Cour d’appel fédérale explique, au paragraphe 39, qu’il existe « de bonnes raisons » fondées sur la séparation des pouvoirs entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif, pour que les tribunaux ne s’immiscent pas à la légère dans la prise de décision du gouverneur en conseil. Elle ajoute ceci au paragraphe 39 :

L’arrêt Vavilov nous enseigne que, plus le pouvoir de réglementation en vertu d’une loi est large, particulièrement en ce qui concerne les questions de politique qui sont essentiellement du ressort du pouvoir exécutif, moins l’autorité réglementaire sera contrainte d’adopter le règlement : Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100, [2021] 1 R.C.F. 374 au para. 28 (application de l’arrêt Vavilov et des décisions antérieures conformes à celui-ci), conf. par 2022 CSC 30.

[297] Bien que le pouvoir de réglementation soit « souvent relativement libre de toute contrainte », « l’élément clé » est le libellé limitatif des dispositions législatives et la cour doit se concentrer sur « les significations que le libellé du pouvoir de réglementation peut raisonnablement revêtir » (Médicaments novateurs, au para 40). Toutefois, dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême nous enseigne que les limites législatives imposées au pouvoir du décideur doivent être appliquées rigoureusement.

[298] L’arrêt Vavilov met aussi en garde que les décideurs administratifs ne peuvent pas interpréter leur loi habilitante de manière à élargir la portée de leurs pouvoirs. Par contre, il faut faire preuve de retenue envers l’interprétation du décideur, mais celui-ci doit justifier son interprétation.

[299] Comme le dit l’arrêt Vavilov au paragraphe 110 :

La question de savoir si une interprétation est justifiée dépendra du contexte, notamment des mots choisis par le législateur pour décrire les limites et les contours du pouvoir du décideur. Si le législateur souhaite circonscrire avec précision le pouvoir d’un décideur administratif de façon ciblée, il peut se servir de termes précis et restrictifs et définir en détail les pouvoirs conférés, limitant ainsi strictement les interprétations que le décideur peut donner de la disposition habilitante. À l’inverse, dans les cas où le législateur choisit d’utiliser des termes généraux, non limitatifs ou nettement qualitatifs — par exemple, l’expression « dans l’intérêt public » — il envisage manifestement que le décideur jouisse d’une souplesse accrue dans l’interprétation d’un tel libellé. D’autres formulations se retrouveront entre ces deux extrêmes. Bref, selon le libellé des dispositions législatives habilitantes, certaines questions touchant à la portée du pouvoir d’un décideur peuvent se prêter à plusieurs interprétations, alors que d’autres questions ne sauraient commander qu’une seule interprétation. Ce qui importe, c’est de déterminer si, aux yeux de la cour de révision, le décideur a justifié convenablement son interprétation de la loi à la lumière du contexte. Évidemment, il sera impossible au décideur administratif de justifier une décision qui excède les limites fixées par les dispositions législatives qu’il interprète.

[Non souligné dans l’original.]

[300] Puisque la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur la façon dont les nombreux principes de l’arrêt Vavilov peuvent s’appliquer au contrôle judiciaire des règlements pris par le gouverneur en conseil, j’ai suivi son orientation ainsi que le principe fondamental établi dans l’arrêt Vavilov, soit que la cour de révision doit se demander si la décision possède « les caractéristiques d’une décision raisonnable », soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si elle est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques. En l’espèce, le contexte est important, tout comme le libellé des dispositions législatives.

[301] La Cour conclut que le libellé choisi par le législateur pour décrire le pouvoir du gouverneur en conseil au paragraphe 117.15(2) du Code criminel comporte des termes généraux et nettement qualitatifs, ce qui démontre que le gouverneur en conseil bénéficie d’une grande souplesse pour en interpréter la signification. Le libellé prévoit que, pour désigner une arme à feu comme étant prohibée au sens du paragraphe 84(1), le gouverneur en conseil doit être d’avis que cette arme à feu ne peut raisonnablement être utilisée au Canada pour la chasse ou le sport. Aux termes de cette disposition, le gouverneur en conseil « ne peut désigner par règlement comme arme à feu prohibée [...] toute chose qui, à son avis, peut raisonnablement être utilisée au Canada pour la chasse ou le sport » (non souligné dans l’original).

[302] Si les termes de ce libellé ne sont pas « nettement qualitatifs », ils sont certainement « qualitatifs ». En l’espèce, bien que les demandeurs avancent qu’il convient d’appliquer une interprétation très restrictive, le pouvoir conféré n’est pas rédigé en des termes restrictifs. La question est de savoir si le gouverneur en conseil a justifié son interprétation du pouvoir qui lui a été conféré. La Cour juge que c’est le cas.

[303] Le paragraphe 117.15(2) qui comporte des termes qualitatifs accorde au gouverneur en conseil un pouvoir discrétionnaire d’interpréter plus largement les restrictions imposées à son pouvoir. La question de l’utilisation raisonnable de certaines armes à feu pour la chasse ou le sport peut être examinée sous différents angles, mais c’est l’avis du gouverneur en conseil qui compte.

[304] La Cour ne peut pas conclure que la décision ou le processus utilisé pour y parvenir comporte un vice fondamental, dans la mesure où on peut déceler le processus dans le décret, dans le résumé fourni pour justifier le recours à l’article 39 de la LPC et dans les considérations énoncées dans le REIR (et que la Cour suppose que le gouverneur en conseil a examinées).

(2) Le contexte factuel et juridique pertinent n’inclut pas la manière dont le gouvernement a procédé

[305] La manière dont le gouvernement a promulgué le Règlement n’est pas une considération pertinente pour déterminer si le Règlement est valide ou si la décision du gouverneur en conseil est raisonnable. Le Code criminel ne contient aucune exigence selon laquelle les règlements doivent être déposés à l’avance au Comité mixte permanent d’examen de la réglementation. Le gouverneur en conseil s’est fondé sur une exception à la publication préalable dans la Gazette du Canada pour des raisons de sécurité publique. Bien que les demandeurs laissent entendre que la publication préalable aurait permis aux intervenants de faire part de leurs préoccupations et aurait évité des révisions ultérieures afin de corriger quelques erreurs, l’absence d’une telle publication préalable n’a aucune incidence sur le caractère raisonnable de la décision du gouverneur en conseil de prendre le Règlement. Le fait que le gouvernement décide d’imposer d’autres restrictions relatives aux armes à feu ne devrait pas être une surprise pour les propriétaires d’arme à feu ou le grand public vu les programmes électoraux, les mentions dans le discours du Trône et le processus de consultation publique. Il n’y avait aucune obligation législative ou autre de fournir un préavis et des détails.

[306] En ce qui concerne les observations des demandeurs selon lesquelles ces interdictions [traduction] « de grande envergure » auraient dû être établies par une modification au Code criminel à la suite d’un débat au Parlement, le gouverneur en conseil a agi dans les limites du pouvoir qui lui est conféré aux articles 84 et 117.15. Comme il est mentionné plus loin, le Parlement a délibérément adopté le paragraphe 117.15(2) pour déléguer au gouverneur en conseil le pouvoir de désigner d’autres armes à feu comme étant prohibées (c.-à-d., d’autres armes que celles décrites aux alinéas 84(1)a) à c) et en vertu de l’alinéa 84(1)d)).

(3) Le Parlement n’a pas abdiqué son rôle législatif

[307] Dans les Renvois relatifs à la LTPGES, au paragraphe 85, la Cour suprême du Canada a examiné la jurisprudence remontant jusqu’en 1883 et a déclaré que « [la] Cour a invariablement conclu à la constitutionnalité de pareille délégation. Même des pouvoirs vastes ou importants peuvent être délégués à l’exécutif, en autant que la branche législative n’abdique pas son rôle. »

[308] La Cour a ajouté au paragraphe 86 :

De fait, il est fréquent que la loi « énon[ce] les grands objectifs et mécanismes arrêtés par le législateur », et que « le gros de la gouvernance se fa[sse] [...] par voie réglementaire, conformément à des décrets de l’exécutif » : B. McLachlin, C.P., Tribunaux administratifs et tribunaux judiciaires : une relation en évolution, 27 mai 2013 (en ligne).

[309] Contrairement à ce que le procureur de l’Alberta a fait valoir, le Parlement n’a pas abdiqué son rôle d’adopter des lois en matière criminelle. Le paragraphe 117.15(2) du Code criminel confère au gouverneur en conseil le pouvoir de désigner des armes à feu comme étant prohibées. Ce pouvoir a été accordé par le législateur en 1995, mais le libellé remonte jusqu’en 1977. L’historique législatif démontre que le gouverneur en conseil possède depuis des décennies le pouvoir de désigner des armes à feu comme étant prohibées ou à utilisation restreinte.

[310] Comme le décrit le professeur Brown, qui renvoie à des déclarations de la ministre Kim Campbell, le législateur a clairement réfléchi à l’idée de déléguer le pouvoir de désigner des armes à feu comme étant prohibées au gouverneur en conseil, soulignant que le Règlement permettrait une plus grande souplesse et répondrait mieux aux besoins. Le fait que le pouvoir de prendre des règlements n’a pas été beaucoup utilisé entre 1998 et 2020 n’atténue en rien l’intention claire du législateur d’accorder ce pouvoir au gouverneur en conseil et de le charger d’accomplir cette « tâche ardue ».

[311] Le changement de libellé concernant les armes à feu prohibées en 1995, avec l’adoption du paragraphe 117.15(2), était intentionnel. Le législateur a clairement voulu accorder au gouverneur en conseil le pouvoir de désigner des armes à feu comme étant prohibées en fonction du caractère raisonnable de leur utilisation pour la chasse ou le sport.

[312] Comme l’a indiqué le professeur Brown dans la description de l’historique législatif, les dispositions qui accordent au gouverneur en conseil le pouvoir de désigner des armes comme étant à utilisation restreinte étaient initialement différentes de celles qui accordent un pouvoir de désigner des armes comme étant prohibées. En 1977, le pouvoir de désigner une arme comme étant prohibée visait « n’importe quelle arme qui n’est ni une arme à feu historique, ni une arme à feu d’un genre utilisé habituellement au Canada pour la chasse ou le sport et qui est, par décret du gouverneur en conseil, déclarée arme prohibée ». Cette formulation est restée jusqu’à ce que le projet de loi C-68 apporte des modifications et mène à l’adoption du paragraphe 117.15(2), où l’expression « utilisé habituellement » a été abandonnée et où le pouvoir du gouverneur en conseil est rédigé de manière négative, c’est-à-dire que le gouverneur en conseil ne peut désigner par règlement comme arme à feu prohibée [...] toute chose qui, à son avis, peut raisonnablement être utilisée au Canada pour la chasse ou le sport.

[313] Le ministre de la Justice de l’époque, Allan Rock, a expliqué que le changement de libellé (remplacement de « utilisé habituellement » par « peut raisonnablement être utilisée ») avait pour but de déjouer la tactique selon laquelle une personne pourrait amener une arme à feu au Canada et créer un événement dans le cadre duquel elle pourrait être utilisée afin que son utilisation soit considérée comme étant « habituelle ».

[314] Contrairement à ce que soutient le procureur de l’Alberta, le gouverneur en conseil n’a pas de pouvoir discrétionnaire absolu. Le pouvoir discrétionnaire du gouverneur en conseil est régi par le libellé du paragraphe 117.15(2) et par les significations raisonnables que ce libellé comportant des termes qualitatifs peut revêtir.

(4) La compatibilité avec l’objectif général de la loi et des dispositions législatives pertinentes

[315] Comme il a été mentionné, les demandeurs soutiennent que les limites imposées au pouvoir du gouverneur en conseil doivent [traduction] « se voir donner du sens » et que le Règlement doit être compatible avec l’objet dominant de la loi et les dispositions législatives pertinentes. Les demandeurs ne s’entendent pas avec le PGC sur l’objet dominant.

[316] Voici ce que la Cour suprême du Canada a déclaré au paragraphe 87 des Renvois relatifs à la LTPGES :

Tout règlement établi de cette façon doit être conforme à la fois aux dispositions pertinentes de la loi habilitante et à l’objet dominant de celle-ci (Waddell c. Governor in Council (1983), 8 Admin. L.R. 266 (C.S. C. B.), p. 292, cité dans Katz Group, par. 24), et il doit [traduction] « être visé par les conditions prescrites [par cette loi] et assujetti à celles-ci » (Re Gray, p. 168).

[317] La loi habilitante est le Code criminel et non le projet de loi C-68 (Loi concernant les armes à feu et certaines autres armes, dont le titre abrégé est Loi sur les armes à feu). Comme le professeur Brown le mentionne, la législation visant le contrôle de la possession et de l’utilisation des armes à feu n’a pas commencé et n’a pas pris fin avec le projet de loi C-68, qui a promulgué la Loi sur les armes à feu et modifié les dispositions du Code criminel relatives aux armes à feu.

[318] La jurisprudence établit que la législation sur le contrôle des armes à feu a pour objectif la sécurité publique, qui est compatible avec l’objectif général du Code criminel. L’objectif précis du paragraphe 117.15(2) est une question en litige, mais la jurisprudence appuie la proposition selon laquelle la sécurité publique est l’objectif de toutes les lois sur le contrôle des armes à feu.

[319] Dans le Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31, aux paragraphes 21 et 22, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur l’objectif de la Loi sur les armes à feu ou sur les « maux » qu’elle vise à régler, soulignant ce qui suit :

21 [...] Que l’on accepte ou non les conclusions de Gabor, son étude indique que le problème que le Parlement cherchait à régler en adoptant la loi était le problème de l’usage abusif des armes à feu et de la menace qu’il constitue pour la sécurité publique.

22 Enfin, il y a l’argument solide que l’objet de la loi correspond à l’accent mis traditionnellement sur la sécurité publique dans les lois relatives au contrôle des armes à feu. [...]

[320] Les demanderesses dans l’affaire Parker allèguent que le « marché » qui aurait été conclu au moment de l’adoption du projet de loi C-68 et, plus particulièrement, de l’adoption du paragraphe 117.15(2), n’a pas été respecté. Ce « marché » semble être une théorie élaborée après coup pour étayer les arguments des demandeurs selon lesquels il n’est pas raisonnable d’imposer d’autres interdictions relatives aux armes à feu utilisées pour la chasse ou le sport parce que cela ne reflète pas les concessions faites entre les législateurs et les propriétaires d’arme à feu qui s’opposaient au contrôle des armes. Même s’il y avait eu des délibérations et si des concessions avaient été faites à l’égard des propriétaires d’armes à feu il y a plus de 25 ans au moment de rédiger le projet de loi C-68 (et il n’existe aucune preuve de cela), le contexte a évolué, le Parlement actuel n’est pas lié par les parlements précédents et il s’attaque uniquement aux enjeux actuels.

[321] Les demandeurs dans l’affaire Eichenberg font eux aussi valoir que le paragraphe 117.15(2) du Code criminel a été créé dans le but d’établir un équilibre entre la prévention d’une utilisation criminelle des armes à feu et leur utilisation légitime.

[322] Cependant, les demandeurs conviennent que toutes les armes à feu peuvent être utilisées à des fins criminelles. De plus, le libellé du paragraphe 117.15(2) n’est pas nouveau, car il est utilisé relativement aux armes à feu depuis au moins 1969. Le changement de libellé concernant les armes à feu prohibées a reflété l’adoption d’une approche différente.

[323] De surcroît, le Règlement actuel cherche à établir un équilibre. Les armes à feu qui ne sont pas prohibées demeurent toujours accessibles pour la chasse ou le sport. Celles ayant certaines caractéristiques les rendant intrinsèquement dangereuses sont interdites afin de réduire les répercussions des fusillades de masse et de renforcer la sécurité du public. Les deux côtés de la balance ont changé. Il y a maintenant beaucoup plus de types d’armes à feu sur le marché qui possèdent les caractéristiques décrites dans le REIR, et l’utilisation de ces armes a eu des conséquences tragiques sur la sécurité publique.

(5) Le gouverneur en conseil a formulé un avis

[324] Il n’y a aucune raison de douter que le gouverneur en conseil a formulé un avis selon lequel les armes à feu énumérées dans le Règlement (par caractéristique, par famille ou par variante) ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport. Le décret prévoit ce qui suit : « [a]ttendu que la gouverneure en conseil n’est pas d’avis que toute chose désignée comme arme à feu prohibée [...] dans le règlement ci-après peut raisonnablement être utilisée au Canada pour la chasse ou le sport; À ces causes [...] ». Il renvoie précisément aux paragraphes 84(1) et 117.15(2) du Code criminel comme étant les dispositions sous‐jacentes conférant le pouvoir de prendre le Règlement.

(6) L’avis du gouverneur en conseil est raisonnable

[325] Dans la jurisprudence précitée, il est reconnu que le contrôle judiciaire peut s’avérer complexe lorsque la décision n’est pas appuyée par des motifs écrits. Comme les demandeurs le font remarquer, il n’y a aucune façon de savoir exactement sur quels renseignements le gouverneur en conseil s’est fondé pour rendre son avis. Comme en l’espèce, les délibérations et les documents examinés par le gouverneur en conseil seront généralement considérés comme des documents confidentiels du Cabinet. Toutefois, il est bien établi que le REIR est une source acceptée de motifs pour les décisions du gouverneur en conseil qui donnent lieu à des règlements (Portnov, au para 34; Médicaments novateurs, au para 48).

[326] Contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, à savoir que même le REIR ne justifie pas la décision du gouverneur en conseil, le REIR explique pourquoi le gouverneur en conseil a exercé son pouvoir délégué de prendre le Règlement et de désigner les armes à feu décrites « ainsi que les armes à feu des mêmes modèles qui comportent des variantes ou qui ont subi des modifications, y compris » celles expressément énumérées. Le REIR donne une explication justifiée, intelligible et transparente de l’avis et de la décision du gouverneur en conseil.

a) Le REIR expose les motifs

[327] Le REIR souligne à plusieurs reprises l’importance d’interdire l’utilisation de certaines armes à feu, dites « de style arme d’assaut », pour la chasse et le sport compte tenu du danger inhérent et de la menace que ces armes à feu représentent pour la sécurité publique.

[328] Le REIR prévoit ce qui suit :

Le Règlement vise à lutter contre la violence commise avec des armes à feu et la menace à la sécurité publique que représentent les armes à feu de style arme d’assaut. Le gouvernement du Canada reconnaît que leur caractère mortel inhérent fait que de telles armes ne conviennent pas à une utilisation civile et présentent une grave menace pour la sécurité publique compte tenu du degré auquel de telles armes peuvent accroître la gravité des fusillades de masse.

[Non souligné dans l’original.]

[329] Le REIR indique que les fusillades de masse au Canada et à l’étranger ont souvent été perpétrées au moyen d’armes à feu de style arme d’assaut.

[330] Là encore, le REIR dispose :

Compte tenu de ces événements, la préoccupation grandissante à l’égard de la sécurité publique et du fait que le public réclame de plus en plus de mesures visant à lutter contre la violence commise avec des armes à feu et les fusillades de masse, et tout particulièrement de la préoccupation liée au caractère mortel inhérent de ces armes à feu de style arme d’assaut qui ne conviennent pas à une utilisation civile, ces armes à feu doivent être classifiées comme des armes à feu prohibées au Canada.

[Non souligné dans l’original.]

[331] Le REIR explique pourquoi les armes à feu de style arme d’assaut ne conviennent pas pour la chasse ou le tir sportif et ne peuvent raisonnablement être utilisées à ces fins, et il souligne que les risques importants que ces armes à feu posent pour la sécurité publique l’emportent sur toute justification relative à leur utilisation pour la chasse et le sport. Le REIR prévoit ce qui suit :

Les armes à feu de style arme d’assaut ne conviennent pas pour la chasse ou le tir sportif compte tenu du danger inhérent qu’elles présentent pour la sécurité du public. Les armes à feu nouvellement prohibées sont principalement conçues à des fins militaires ou paramilitaires et ont la capacité de causer des blessures, d’immobiliser ou de tuer des humains en grand nombre dans un court laps de temps compte tenu des caractéristiques de base qu’elles possèdent, comme une conception tactique ou militaire et la capacité de contenir un chargeur grande capacité rapidement rechargeable. Bien que certaines de ces armes à feu nouvellement prohibées aient déjà été utilisées par des particuliers pour la chasse ou le sport, le gouvernement est d’avis que l’utilisation de ces armes à feu est déraisonnable et disproportionnée à de telles fins. Le risque important que ces armes à feu posent pour la sécurité du public l’emporte sur toute justification relative à leur utilisation et à leur disponibilité continue au Canada étant donné qu’il continue d’être possible d’avoir la possession légale de nombreux types d’armes à feu à des fins de chasse ou de tir sportif.

[Non souligné dans l’original.]

[332] Le REIR précise que le public est de plus en plus préoccupé par le risque que posent les armes à feu de style arme d’assaut et souligne que la prohibition vise à limiter l’accès à des armes à feu « qui se caractérisent par leur conception et leur capacité à causer d’importants dommages aux Canadiens », à réduire la disponibilité des armes à feu qui ne conviennent pas à une utilisation civile, ainsi qu’à réduire la possibilité de détournement de ces armes à feu vers le marché illicite.

[333] Le REIR explique (deux fois) pourquoi les neuf principaux modèles (ou familles) d’armes à feu sont prohibés et souligne qu’ils : ont une action semi‐automatique avec une capacité de tir rapide soutenu et peuvent contenir un chargeur grande capacité rapidement rechargeable (conception tactique/militaire avec un chargeur grande capacité); sont de conception moderne; représentent les armes à feu les plus répandues sur le marché canadien.

[334] La section intitulée « Justification » du REIR réitère bon nombre des considérations dont il est question ci‐dessus, notamment :

  • ·Le Règlement vise à lutter contre la menace à la sécurité publique que représentent les armes à feu de style arme d’assaut.

  • ·Leur caractère mortel inhérent fait que de telles armes ne conviennent pas à une utilisation civile et présentent une grave menace pour la sécurité publique compte tenu du degré auquel elles peuvent accroître la gravité des fusillades de masse.

  • ·Le Règlement répond directement à une préoccupation en matière de sécurité publique, à savoir que ces armes à feu « ne conviennent pas à une utilisation civile puisqu’elles peuvent être utilisées, et l’ont été, dans des fusillades de masse au Canada et à l’étranger ».

  • ·Le Règlement reflète le mandat du gouvernement d’interdire les armes à feu de style arme d’assaut et de réduire le risque de détournement de ces armes à feu vers le marché illicite.

  • ·Les armes à feu prohibées sont des armes à feu de style tactique et/ou militaire et ne conviennent pas pour la chasse ou le tir sportif.

  • ·Bien que certaines des armes à feu désormais prohibées aient été utilisées pour la chasse ou le tir sportif, cela « ne remplace pas [le fait] qu’elles ont été construites dans l’intention d’être utilisées par des militaires, et qu’elles ont la capacité de tuer un grand nombre de personnes en un court laps de temps. En raison des problèmes de sécurité publique que posent ces armes à feu, il ne convient pas de les utiliser au Canada à des fins de chasse ou de tir sportif. »

[335] Selon le REIR, la raison ayant mené à l’adoption du Règlement et à la décision de désigner les armes à feu énoncées (ainsi que les variantes) et décrites en fonction de leurs caractéristiques est que, compte tenu de leur caractère dangereux inhérent et du risque qu’elles représentent pour la sécurité publique, ces armes à feu ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport. Cette raison est transparente, intelligible et justifiée. Elle est également liée aux contraintes imposées au gouverneur en conseil relativement au pouvoir qui lui est conféré au paragraphe 117.15(2) du Code criminel.

[336] Il y a deux côtés à chaque médaille. Le REIR n’a pas pour but de désigner les armes à feu qui peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse et le sport, mais vise plutôt à désigner celles qui ne le peuvent pas. Il s’attarde principalement aux caractéristiques des armes à feu qui font qu’elles ne peuvent raisonnablement être utilisées par des civils pour la chasse et le sport, et non aux caractéristiques qui, du point de vue des propriétaires d’arme à feu, les rendent plus efficaces. Le REIR explique clairement l’importance de la sécurité publique et les dangers inhérents des armes à feu désignées, compte tenu de leurs caractéristiques et de leur capacité à causer d’importants dommages, qui étayent la conclusion du gouverneur en conseil selon laquelle les armes à feu ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse et le sport.

[337] Le témoignage de M. Koops, bien qu’il réitère dans une certaine mesure l’explication figurant dans le REIR, étaye également le caractère raisonnable de la décision du gouverneur en conseil. Ce dernier explique que le gouverneur en conseil a conclu que les armes à feu prohibées ne convenaient pas à une utilisation civile, car [traduction] « leur pouvoir destructeur potentiel permet de faire des victimes ou de causer des dommages matériels à grande distance ».

[338] M. Koops souligne que le Règlement interdit les armes à feu qui ont été utilisées lors des fusillades de masse survenues à l’École Polytechnique et au collège Dawson, ainsi qu’à Moncton, à Québec et en Nouvelle‐Écosse. Il cite également plusieurs exemples d’armes à feu utilisées lors de fusillades de masse aux États‐Unis, en Nouvelle‐Zélande et en Australie, qui sont désormais prohibées.

[339] M. Koops a mentionné la réaction du public à ces incidents et les appels à l’interdiction des armes de poing, des fusils d’assaut et des armes à feu semi-automatiques. Par exemple, dès 1994, l’Association canadienne des chefs de police [l’ACCP] préconisait l’interdiction des fusils d’assaut militaires, sauf pour les forces de l’ordre et les militaires.

[340] M. Koops indique également que les policiers ont des inquiétudes compte tenu des risques auxquels ils sont exposés face aux personnes armées de fusils d’assaut, citant en exemple les fusillades qui ont eu lieu en 2005 à Mayerthorpe, en Alberta, et en 2014 à Moncton, au Nouveau‐Brunswick.

[341] M. Koops cite également une présentation de Statistique Canada au Comité permanent de la sécurité nationale et de la défense en 2019. Selon Statistique Canada, les crimes violents liés aux armes à feu ont augmenté de 42 % en 2017 par rapport aux quatre années précédentes, alors que les crimes déclarés par les services de police n’avaient augmenté que de 3 %. En 2017, plus de 7 700 victimes d’infractions violentes impliquant des armes à feu avaient été signalées par les services de police. Entre 2013 et 2017, le nombre de victimes d’homicides par balle avait plus que doublé et les homicides par arme à feu liés à des gangs avaient presque doublé.

[342] M. Koops explique que le ministère de la Sécurité publique a mené un processus de consultation publique à l’échelle nationale d’octobre 2018 à février 2019, qui comprenait un questionnaire, la présentation de mémoires, des tables rondes et des discussions avec les provinces, les territoires et les communautés autochtones. Il fait remarquer que les participants avaient des points de vue très polarisés. La rapport, intitulé « Rapport sommaire sur la mobilisation – Réduction de la criminalité violente : Dialogue sur les armes de poing et les armes à feu de style arme d’assaut », a été publié en avril 2019.

[343] M. Koops souligne également que les intervenants ont présenté des observations au Comité permanent de la sécurité publique et nationale en 2019 dans le cadre de l’étude du projet de loi C-71 (Loi modifiant certaines lois et un règlement relatif aux armes à feu). Il déclare que, bien que les observations divergeaient, plusieurs organisations ont soulevé des craintes concernant les risques pour la sécurité que posent les armes à feu de style arme d’assaut, dont l’ACCP, la Coalition pour le contrôle des armes, l’Association nationale Femmes et Droit, la Société canadienne de pédiatrie et PolySeSouvient, qui exigeaient toutes que l’on interdise les armes à feu de style arme d’assaut ou que l’on en restreignent l’utilisation.

b) Les termes « militaire » et « de style arme d’assaut » sont des descriptions générales

[344] Les demandeurs soutiennent que le REIR est inexact; les armes à feu désormais prohibées ne sont pas des armes à feu de style arme d’assaut et n’ont pas été conçues à des fins militaires puisque les militaires utilisent des armes à feu automatiques et que les chargeurs grande capacité étaient déjà prohibés. Ils affirment que si le gouverneur en conseil considère les armes à feu désormais prohibées comme des armes à feu de style arme d’assaut ou de style militaire et qu’il les a désignées pour ces raisons, il s’est trompé et sa décision est déraisonnable. Comme il est indiqué dans leurs observations et dans les affidavits à l’appui, les demandeurs mentionnent plusieurs armes à feu précises qui, selon eux, ne correspondent pas à cette description.

[345] Les demandeurs accordent une attention particulière aux expressions « de style arme d’assaut » et « de style militaire », mais celles‐ci ne sont pas utilisées dans le Règlement (bien qu’ils le reconnaissent). Le Règlement renvoie aux armes à feu selon leur marque, leur modèle, leur nom précis et leurs caractéristiques (et renvoie également aux variantes). Le REIR explique pourquoi les neuf familles et leurs variantes sont prohibées et renvoie à leurs caractéristiques (action semi-automatique, conception moderne et grand nombre sur le marché canadien). Le REIR utilise des termes génériques pour décrire le style ou le type d’arme à feu prohibée. Ces termes sont également utilisés comme descripteurs généraux dans des rapports de recherche et d’autres publications.

[346] Dans sa description de l’historique législatif, le professeur Brown fait observer que les gouvernements restreignent et interdisent progressivement l’utilisation des armes à feu de style arme d’assaut et de style militaire par des civils depuis la fin des années 1960.

[347] Le professeur Brown utilise le terme « fusil de style arme d’assaut » dans son affidavit pour désigner les fusils semi‐automatiques à percussion centrale pouvant recevoir un chargeur détachable et issus d’une conception militaire. Il indique qu’à divers moments, ces armes à feu étaient également désignées comme des « fusils paramilitaires », des « fusils de type militaire », des « fusils de sport contemporains », des « fusils noirs », des « armes d’assaut » et des « fusils d’assaut ». (Autrement dit, il existe plusieurs descripteurs.)

[348] Le professeur Brown répond également aux critiques formulées par certains déposants des demandeurs selon lesquelles les armes à feu ont été qualifiées d’armes à feu de style arme d’assaut en raison de leur apparence. Il explique que l’apparence est attribuable au principe de la [traduction] « forme suivant la fonction » et que certaines caractéristiques précises ont été conçues pour assurer une fonction de combat précise.

[349] Le professeur Brown reconnaît que les militaires utilisent des armes automatiques, mais fait remarquer que des armes à feu de style arme d’assaut ont été utilisées dans le cadre d’activités criminelles et que l’utilisation d’armes à feu semi‐automatiques (qui sont visées par le Règlement) dans des fusillades de masse est bien documentée. Il dresse la liste des incidents survenus au Canada impliquant des armes à feu semi‐automatiques entre 1962 et 2020. Il cite en exemple quelques attaques perpétrées par des propriétaires d’arme à feu titulaires d’un permis au moyen d’armes acquises légalement. Il énumère également les fusillades de masse impliquant des armes à feu semi‐automatiques qui ont eu lieu aux États‐Unis et dans d’autres pays développés.

[350] M. Koops a aussi expliqué que les expressions « armes à feu de style arme d’assaut » ou « armes d’assaut » sont couramment utilisées. Il a précisé que le gouvernement a utilisé ces termes pour éviter d’utiliser d’autres termes qui ont été expressément définis dans d’autres pays.

c) Raisonnable pour la chasse ou le sport

[351] Bon nombre des demandeurs semblent soutenir qu’ils ont besoin des armes à feu prohibées pour leur usage personnel ou que ces armes à feu leur conviennent davantage – c’est‐à‐dire qu’elles sont plus efficaces pour certains types de chasse ou de tir sportif ou certains types de compétitions, ou plus ergonomiques pour eux personnellement, ou parce qu’ils possèdent et utilisent souvent ces armes à feu. Or, ces arguments ne permettent pas de déterminer ce qui peut « raisonnablement » être utilisé pour la chasse et le sport.

[352] M. Bader, armurier et vérificateur d’armes à feu agréé par la GRC, a présenté un rapport détaillé sur plusieurs questions et a donné son avis sur ce qui constitue une utilisation raisonnable d’une arme à feu pour la chasse et le sport. Il a fait observer qu’il n’existe aucune définition juridique générale de l’expression « utilisation raisonnable ».

[353] M. Bader s’est fondé sur les définitions du terme « raisonnable » dans le dictionnaire, à savoir « doué de la faculté de raisonner; pensant », « conforme au bon sens », « conforme à la raison » et « qui correspond à la mesure normale ».

[354] Selon M. Bader, une [traduction] « utilisation raisonnable d’une arme à feu dans le contexte de la chasse ou le sport » serait celle « d’un chasseur ou d’un sportif sensé, faisant preuve de discernement, qui utiliserait son arme à feu pour atteindre un objectif de chasse ou un objectif sportif précis ».

[355] M. Bader a expliqué que sa définition d’un usage raisonnable englobe cinq composants, soit la sécurité, l’éthique, le rendement (précision et capacité de répétition), la fiabilité et la durabilité, ainsi que des considérations personnelles (ergonomie et modularité). Il convient de souligner qu’en ce qui concerne la sécurité, M. Bader a expliqué que cette considération porte [traduction] « sur la sécurité inhérente de modèles précis d’armes à feu, plutôt que sur l’utilisation sûre des armes à feu ». Il a également reconnu que toute arme à feu peut être utilisée de manière dangereuse par quelqu’un de négligent.

[356] M. Bader a conclu, sur la foi de la définition qu’il a proposée et des considérations soulevées, qu’aucune des armes à feu désignées dans le Règlement n’est déraisonnable pour la chasse ou le sport au Canada.

[357] La Cour fait remarquer que la définition de M. Bader est uniquement axée sur la perspective « d’un chasseur ou d’un sportif sensé » et sur la réalisation d’un objectif de chasse ou d’un objectif sportif. Si l’on applique les définitions du dictionnaire sur lesquelles s’est fondé M. Bader à l’avis du gouverneur en conseil de désigner les armes à feu désormais prohibées, la décision de ce dernier reflète cette même définition; elle est « conforme au bon sens », « conforme à la raison » et « correspond à la mesure normale », comme il est expliqué dans le REIR.

[358] M. DeMille a présenté le rapport de l’OFAH, qu’il décrit comme un examen des armes à feu qui étaient auparavant à autorisation restreinte et qui sont désormais prohibées par le Règlement. Le rapport énumère les armes à feu que l’OFAH considère comme raisonnables et adaptées pour la chasse au Canada et conclut que la quasi-totalité des armes à feu nouvellement prohibées sont utilisées pour la chasse et le sport au Canada.

[359] La Cour souligne que le rapport de l’OFAH ne porte pas sur la question du caractère raisonnable d’une telle utilisation dans un contexte plus large, y compris les risques pour la sécurité publique.

[360] Comme nous l’avons déjà dit, les demandeurs contestent la prohibition d’armes à feu précises (tant celles qui sont nommées que les variantes non nommées) au motif qu’elles ne sont pas de style militaire ni « de style arme d’assaut », ou que leur lignée ne provient pas d’une arme à feu de style militaire; autrement dit, ils soutiennent que ces armes à feu peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport. Toutefois, le présent contrôle judiciaire vise la décision du gouverneur en conseil de prendre le Règlement, et non la classification de chaque arme à feu. Quoi qu’il en soit, le déposant du PGC, M. Smith, a répondu à plusieurs des points précis soulevés par les demandeurs dans la mesure où il pouvait le faire sans procéder à une évaluation immédiate.

[361] En ce qui concerne certaines variantes, M. Smith a expliqué qu’elles étaient semblables aux familles AR-10 et AR-15 ou qu’elles [traduction] « rappelaient » ces familles. Il a également expliqué que les ressemblances esthétiques vont beaucoup plus loin (comme l’a souligné le professeur Brown) et reflètent l’intention de produire une arme à feu appartenant à l’une des famille visées.

[362] Quant au fait que M. Delve préfère employer son BCL 102 semi-automatique, M. Smith a souligné que cette arme à feu représente une variante de l’AR-15 et que d’autres armes peuvent répondre aux besoins de M. Delve.

[363] Pour ce qui est des répercussions du Règlement sur le tir sportif et les compétitions de l’ATDC, M. Smith a reconnu que les compétitions de tir à l’arme de service existent depuis longtemps et impliquent le fusil de combat qui était en service dans l’armée au moment de la compétition. M. Smith a expliqué que les seules compétitions de tir sportif de l’ATDC qui sont touchées par le Règlement sont des compétitions de tir à l’arme de service et que seuls des civils utilisant des versions civiles d’armes à feu militaires seraient concernés. M. Smith a précisé qu’il existe des solutions de remplacement.

[364] En ce qui concerne l’opposition des demandeurs à ce que l’AR-15 soit prohibé, M. Smith a expliqué que si certaines des caractéristiques de l’AR-15 peuvent être utiles pour le sport, cette utilité n’a pas grand-chose à voir avec sa dangerosité, indiquant que l’AR-15 tire ses caractéristiques du M16, une arme à feu militaire.

d) Le fait que les armes à feu désormais prohibées ont été utilisées par le passé ne permet pas de conclure qu’elles peuvent raisonnablement être utilisées pour le chasse ou le sport

[365] Bon nombre des déposants des demandeurs attestent qu’ils ont utilisé les armes à feu désormais prohibées pour la chasse et le sport et témoignent de leurs avantages ou de leur efficacité. Ils se demandent pourquoi ces armes à feu sont maintenant prohibées. Comme nous l’avons déjà dit, le REIR répond précisément à cette question.

[366] Selon le REIR, les armes à feu désignées peuvent avoir été utilisées pour la chasse ou le tir sportif si elles étaient auparavant classées comme armes à feu sans restriction ou à autorisation restreinte, mais cela ne « remplace » pas le fait qu’elles ont la capacité de tuer un grand nombre de personnes en un court laps de temps. Le REIR précise que le point de vue (c.‐à‐d. l’avis) du gouvernement est que l’utilisation des armes à feu désormais prohibées est déraisonnable et non adaptée pour la chasse et le sport et que le risque pour la sécurité du public l’emporte sur toute justification relative à leur utilisation continue à de telles fins. Le REIR conclut : « En raison des problèmes de sécurité publique que posent ces armes à feu, il ne convient pas de les utiliser au Canada à des fins de chasse ou de tir sportif. »

e) Le gouverneur en conseil n’a pas tenu compte de facteurs sans importance

[367] La sécurité du public n’est pas un facteur sans importance. L’utilisation des armes à feu désormais prohibées dans des fusillades de masse au Canada et à l’étranger n’est pas un facteur sans importance, pas plus que la prolifération de ces armes à feu sur le marché. Les demandeurs affirment que les seuls facteurs dont le gouverneur en conseil devrait tenir compte sont l’utilité, les avantages ou l’efficacité des armes à feu désormais prohibées pour les chasseurs et les tireurs sportifs – de leur point de vue uniquement – et qu’il s’agit d’une erreur pour le gouverneur en conseil de tenir compte d’autres facteurs.

[368] Comme nous l’avons souligné précédemment, les tribunaux ne devraient pas s’immiscer à la légère dans la prise de décision du gouverneur en conseil, surtout lorsque son contenu politique est élevé (Médicaments novateurs, au para 39). Le gouverneur en conseil se trouve « au [sommet] du pouvoir exécutif canadien, dans l’élaboration des politiques gouvernementales dans de nombreux domaines distincts » (Portnov, au para 44). Compte tenu de son rôle, le gouverneur en conseil peut et devrait tenir compte d’un éventail de facteurs pertinents dans l’exercice de son pouvoir délégué.

f) Le critère applicable n’est pas celui de savoir si les armes à feu ne sont « pas nécessaires pour la chasse et le sport »

[369] Les demandeurs soutiennent à tort que le PGC a appliqué le mauvais critère ou s’est fondé sur un facteur sans importance pour conclure que le gouverneur en conseil a raisonnablement exercé son pouvoir délégué de prendre le Règlement, lorsqu’il a affirmé que les armes à feu prohibées ne sont pas nécessaires pour la chasse ou le sport. Le PGC affirme effectivement que les armes à feu désormais prohibées ne sont pas nécessaires pour la chasse et le sport. M. Smith et M. Baldwin affirment que les armes à feu prohibées ne sont pas nécessaires pour un quelconque aspect technique lié à la chasse et que d’autres armes à feu sont disponibles. Toutefois, les observations et la preuve du PGC ne confondent pas la notion de « peut raisonnablement être utilisée [...] pour la chasse ou le sport », qui est le libellé du Règlement, avec la nécessité d’une telle utilisation. De plus, la Cour reconnaît qu’il s’agit du libellé du Règlement, que le pouvoir du gouverneur en conseil se trouve dans ce libellé et que la norme de contrôle applicable à la décision du gouverneur en conseil est celle de la décision raisonnable.

[370] Le fait qu’il est possible d’utiliser d’autres armes à feu pour la chasse et le sport est l’un des nombreux facteurs soulevés dans le REIR pour expliquer l’adoption du Règlement, mais il ne s’agit pas du facteur déterminant. Le faible pourcentage d’armes à feu visées par le Règlement (bien qu’il s’agisse apparemment d’un grand nombre) donne à penser qu’il reste encore un grand nombre d’armes à feu sur le marché qui peuvent être utilisées pour la chasse et le sport.

[371] S’appuyant sur un rapport publié par le directeur parlementaire du budget en juin 2021, M. Smith a affirmé que le PCAF avait estimé que de 100 000 à 110 000 propriétaires d’arme à feu (qui représentent seulement 5 % des 2,2 millions de titulaires de permis d’arme à feu) et 150 000 armes à feu avaient été touchés par le Règlement.

g) Le caractère raisonnable est un concept plus large

[372] Le terme « raisonnable » ne signifie pas « préférable » ou « nécessaire ». Le caractère raisonnable est un concept plus souple qui repose sur divers facteurs dépendant du contexte. Le REIR indique que les armes à feu prohibées ne « conviennent » pas pour la chasse ou le sport, mais explique pourquoi celles‐ci ne peuvent non plus raisonnablement être utilisées à ces fins. Les demandeurs s’attardent à l’utilité ou à l’efficacité des armes à feu désormais prohibées dans le cadre d’activités de chasse ou sportives précises, sans tenir compte des préoccupations concernant la dangerosité inhérente de ces armes à feu.

[373] S’il est vrai, comme le soulignent les demandeurs, que le législateur aurait pu rédiger le paragraphe 117.15(2) de manière différente pour se concentrer sur les armes à feu qui sont intrinsèquement dangereuses pour les civils ou qui ont la capacité de causer d’importants dommages à plusieurs personnes, ou qu’il aurait pu énoncer les critères pour déterminer quelles armes « peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse et le sport » afin de circonscrire plus étroitement le pouvoir délégué du gouverneur en conseil, il a choisi de ne pas le faire. Le législateur choisit ses mots de façon délibérée, comme je l’ai dit plus haut.

[374] Le législateur a délégué au gouverneur en conseil le pouvoir de désigner des armes à feu comme prohibées – mais pas les armes à feu qui, de son avis, peuvent raisonnablement être utilisées au Canada pour la chasse ou le sport, ou, à l’inverse, de désigner des armes à feu comme prohibées lorsqu’il est d’avis que les armes à feu ne peuvent « raisonnablement être utilisée[s] au Canada pour la chasse ou le sport » – et cette délégation est suffisamment large pour englober les motifs légitimes énoncés dans le REIR. Le pouvoir délégué permet au gouverneur en conseil de déterminer que certaines armes à feu ne peuvent raisonnablement être utilisées par des civils pour la chasse et le sport en raison de leurs caractéristiques qui font qu’elles sont intrinsèquement dangereuses, comme le décrit le REIR et comme il ressort de la preuve démontrant qu’elles sont utilisées dans des fusillades de masse.

[375] Les demandeurs font valoir que le PGC n’a présenté aucune preuve démontrant que les armes à feu prohibées ne peuvent raisonnablement être utilisées compte tenu de critères objectifs. Or, le REIR décrit les critères ou les caractéristiques plus larges et explique pourquoi les armes à feu ne peuvent raisonnablement être utilisées. Les critères objectifs énoncés par le déposant des demandeurs (M. Bader) ne portent pas du tout sur l’autre aspect de la question du « caractère raisonnable » de ces armes à feu pour la chasse et le sport. Selon les demandeurs, la question de la sécurité concerne la sécurité pour l’utilisateur de l’arme à feu contre tout vice de conception et autres défauts du genre, et non contre le danger que cette arme à feu peut causer à autrui.

[376] Les demandeurs ont présenté des éléments de preuve concernant les répercussions du Règlement sur eux personnellement et en général, notamment sur l’économie et le tir sportif. Ces répercussions n’ont pas été ignorées. Le REIR reconnaît et décrit les coûts, les avantages et les autres incidences sur les propriétaires d’arme à feu et l’économie. Toutes les lois et tous les règlements ont des répercussions. Les répercussions sur les propriétaires d’arme à feu, sur les tireurs compétitifs, sur les entreprises et sur l’économie dans son ensemble doivent être considérées dans le contexte et l’objectif général de la loi et du Règlement d’assurer la sécurité publique.

[377] Les préférences des demandeurs et d’autres propriétaires d’arme à feu et l’interprétation que les demandeurs font des contraintes relatives au pouvoir délégué ne permettent pas de déterminer quelles armes à feu peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse et le sport. C’est l’avis du gouverneur en conseil, soit des membres élus du Parlement et le Cabinet, qui importe.

h) Le décret d’amnistie n’ébranle pas l’avis du gouverneur en conseil

[378] Le décret d’amnistie n’ébranle pas le caractère raisonnable de l’avis du gouverneur en conseil. La période d’amnistie est limitée et vise le maintien des droits reconnus par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[379] Sans amnistie, tous les propriétaires d’arme à feu en possession d’une arme à feu prohibée auraient été exposés à des accusations criminelles à compter du 1er mai 2020. La période d’amnistie (maintenant prolongée) accorde aux propriétaires d’arme à feu un délai pour se conformer au Règlement.

[380] Le décret d’amnistie ne fait pas l’objet du présent contrôle judiciaire. Les demandeurs dans l’affaire Generoux font référence à l’avis donné aux avocats du gouvernement en 1996 concernant une amnistie, mais cela ne démontre pas, contrairement à ce qu’ils allèguent, que le gouvernement n’a pas tenu compte de cet avis et a agi de manière frauduleuse. L’avis qui aurait pu être donné en 1996 était uniquement lié aux réformes à l’étude à ce moment‐là. Une note interne désuète fournie dans un contexte différent n’a rien à voir avec les questions examinées dans le cadre des demandes en l’espèce.

X. Le gouverneur en conseil a‐t‐il illégalement sous‐délégué aux SSSAF son pouvoir de classer certaines armes à feu dans la catégorie des armes à feu prohibées?

A. Les observations des demandeurs

(1) Seul le gouverneur en conseil a le pouvoir de désigner des armes à feu comme prohibées

[381] Les demandeurs soutiennent que seul le gouverneur en conseil a le pouvoir de désigner des armes à feu comme prohibées; les articles 84 et 117.15 du Code criminel s’appliquent.

[382] Les demandeurs reconnaissent que les variantes nommées dans le TRAF, qui figurent dans le Règlement, sont basées sur le pouvoir du gouverneur en conseil de les désigner (mais seulement lorsque ce dernier est d’avis que les armes à feu ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse et le sport et que cet avis est raisonnable). Ils soutiennent que les décisions des SSSAF de classer et d’inscrire dans le TRAF les variantes qui ne sont pas nommées dans le Règlement, et sur lesquelles se fondent les forces de l’ordre, traduisent une sous‐délégation illégale du pouvoir du gouverneur en conseil d’adopter des lois pénales.

[383] Les demandeurs soutiennent que si le législateur avait voulu que le pouvoir de désigner d’autres armes à feu comme variantes soit conféré aux SSSAF, il l’aurait mentionné dans la loi.

[384] De façon plus générale, les demandeurs font valoir qu’il ne devrait tout simplement pas y avoir de variantes non nommées; toutes les variantes qui, de l’avis du gouverneur en conseil, ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse et le sport devraient être énumérées dans le Règlement.

(2) Le TRAF est un régime réglementaire de fait

[385] Les demandeurs dans l’affaire Doherty soutiennent que les SSSAF n’ont jamais eu le pouvoir délégué de classer les armes à feu et de les inscrire dans le TRAF. Ils affirment que la mise en place du TRAF en 1996 était l’initiative de M. Smith, qui n’avait reçu aucun mandat de la part de la GRC. Ils soutiennent que malgré l’absence de pouvoir, le TRAF est devenu un régime réglementaire de fait.

[386] Les demandeurs dans l’affaire Eichenberg soutiennent que le TRAF est une ressource [traduction] « incontournable » pour les forces de l’ordre, qui l’utilisent pour prendre des décisions concernant les accusations et les arrestations. Ils indiquent que M. Smith a affirmé que les SSSAF attribuent une « catégorie juridique » aux armes à feu (y compris à titre de variantes) et que les forces de l’ordre se fondent sur le TRAF pour porter des accusations criminelles.

[387] Les demandeurs dans l’affaire CCDAF ne sont pas d’accord pour dire que le TRAF est une politique interne et informelle, ou qu’elle s’attache à la « régie interne », comme le décrit l’arrêt Greater Vancouver Transportation Authority c Fédération canadienne des étudiantes et étudiants — Section Colombie-Britannique, 2009 CSC 31 aux para 63 et suivants [Greater Vancouver], invoqué par le PGC. Ils contestent le fait que le TRAF soit simplement un outil administratif pour guider les forces de l’ordre et qu’il ne soit pas contraignant. Selon eux, le TRAF établit une norme d’application générale sur laquelle s’appuient les forces de l’ordre et qui a une incidence sur les droits et obligations d’une personne.

[388] M. Hipwell soutient qu’il n’existe aucun pouvoir permettant d’interdire d’autres variantes ou des variantes non nommées en fonction de l’avis des SSSAF. Toutefois, M. Hipwell souligne que l’avis des SSSAF selon lequel une arme à feu est une variante n’est rien de plus qu’un avis, et cet avis peut être contesté en cour si le propriétaire de l’arme à feu est accusé de possession d’une arme à feu prohibée. Il soutient qu’il revient aux tribunaux de déterminer si une variante est une arme à feu prohibée.

(3) Les contraintes du paragraphe 117.15(2) devraient s’appliquer aux SSSAF

[389] Les demandeurs dans les affaires CCDAF et Eichenberg soutiennent à titre subsidiaire que si les SSSAF ont le pouvoir de classer des armes à feu dans la catégorie des variantes prohibées, ils devraient être restreints par la même condition que celle à laquelle le gouverneur en conseil est restreint, c’est‐à‐dire que seules les armes à feu qui ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse et le sport peuvent être prohibées à titre de variantes non nommées. Ils font valoir que le renvoi aux variantes dans le Règlement permet aux SSSAF d’interdire une gamme d’armes à feu, peu importe qu’elles puissent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport.

(4) Il n’existe aucun critère pour désigner une « variante »

[390] Les demandeurs dans l’affaire Doherty soutiennent qu’il n’existe aucun critère pour orienter la façon dont les SSSAF déterminent qu’une arme à feu est une variante et que, selon un ancien agent de classement des SSSAF, le processus consiste [traduction] « essentiellement en une loterie » en raison de l’absence de définition claire et de critères objectifs.

(5) Toutes les variantes devraient être nommées dans le Règlement; aucune variante non nommée

[391] Les demandeurs dans l’affaire Doherty soutiennent que si le Règlement est jugé valide, la seule façon de désigner d’autres armes à feu (variantes) comme prohibées est de modifier le Règlement (c.‐à‐d. un décret) et non de charger les SSSAF de désigner des variantes non nommées et de les inscrire dans le TRAF.

[392] Les demandeurs dans l’affaire Eichenberg affirment que le Code criminel ne confère pas le pouvoir de désigner des variantes non nommées comme armes à feu prohibées, soulignant que le paragraphe 117.15(2) ne fait aucunement référence aux variantes.

[393] Comme nous l’avons déjà dit, dans le contexte de savoir si le Règlement contrevient à l’article 7 de la Charte en raison de l’imprécision du terme « variante », les demandeurs soutiennent là encore qu’il ne devrait pas y avoir de variantes non nommées. Selon eux, la phrase « ainsi que les armes à feu des mêmes modèles qui comportent des variantes ou qui ont subi des modifications, y compris [...] », suivie d’une liste d’armes à feu, devrait être interprétée comme une liste exhaustive.

(6) Les futures variantes ne peuvent être désignées comme armes à feu prohibées

[394] Les demandeurs dans l’affaire Eichenberg font valoir que le pouvoir du gouverneur en conseil de désigner des armes à feu comme prohibées se limite aux armes à feu qui ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse et le sport uniquement au moment où il prend le Règlement, et non aux futures armes à feu. Ils attirent l’attention sur le libellé du paragraphe 84(1), « est désignée ».

[395] Les demandeurs dans l’affaire Eichenberg reconnaissent que le REIR indique que « [l]e Règlement interdit approximativement 1 500 modèles d’armes à feu de style d’assaut, y compris des variantes actuelles et futures », mais font valoir que le REIR n’a pas force de loi.

[396] Les demandeurs dans l’affaire Eichenberg soutiennent également que le classement des variantes non nommées après l’adoption du Règlement de mai 2020 donne lieu à une application rétroactive de la loi. Ils affirment que cela a pour effet qu’une variante non nommée désignée après la promulgation du Règlement aurait été prohibée à compter du 1er mai 2020 bien que le propriétaire de l’arme à feu n’aurait pas su qu’il était en possession d’une arme à feu prohibée – une situation qui ne peut être permise.

B. Les observations du PGC

(1) Aucun pouvoir n’a été sous‐délégué aux SSSAF; le Règlement interdit les variantes

[397] Le PGC soutient que le gouverneur en conseil a le pouvoir de désigner des armes à feu comme prohibées et a agi conformément à ce pouvoir. C’est le Règlement qui interdit les variantes, et non les SSSAF ou le TRAF. L’interdiction de posséder des armes à feu prohibées est fondée sur le Code criminel et le Règlement, sans égard à l’existence du TRAF.

[398] Le PGC soutient que l’objectif du TRAF est d’aider (mais pas de contraindre légalement) les forces de l’ordre, les juges et les autres décideurs administratifs (p. ex. sous le régime de la Loi sur les armes à feu).

[399] Le PGC fait valoir qu’une politique d’interprétation ou une ressource administrative n’a pas force de loi (Greater Vancouver, aux para 63-65). Il affirme que le gouverneur en conseil désigne les armes à feu comme prohibées, y compris leurs variantes, et sa décision est mise en œuvre par les décideurs administratifs (p. ex. sous le régime de la Loi sur les armes à feu) qui s’appuient notamment sur le TRAF et les juges des tribunaux de juridiction criminelle.

[400] Le PGC ajoute que la question de savoir si une arme à feu est une variante est une question de fait. Il soutient que l’évaluation et l’avis des SSSAF ainsi que l’inscription dans le TRAF peuvent avoir des répercussions sur l’évaluation finale des faits, mais ceux‐ci n’ont aucune force de loi. Le fait que les forces de l’ordre ont recours au TRAF ne veut pas dire que le TRAF est contraignant.

[401] Le PGC souligne l’avertissement figurant sur le site Web du TRAF, qui indique que celui‐ci n’est pas un instrument juridique.

[402] Le PGC rappelle que si le TRAF n’existait pas, les propriétaires d’arme à feu seraient exposés aux mêmes conséquences juridiques si leur arme à feu était une variante d’une arme à feu prohibée. Il souligne qu’il appartient aux tribunaux d’interpréter le Règlement, c’est‐à‐dire qu’avec ou sans le TRAF, les tribunaux détermineront si l’arme à feu en cause est une variante.

[403] Le PGC renvoie à la décision R v Henderson, 2009 ONCJ 363 [Henderson], où la Cour de justice de l’Ontario a conclu qu’aucun pouvoir n’avait été délégué à la GRC et que l’inscription d’une arme à feu dans le TRAF n’avait aucun effet juridique. Il souligne que cette décision a été portée en appel devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario et subséquemment devant la Cour d’appel de l’Ontario, laquelle a rétabli la décision du directeur de l’enregistrement selon laquelle l’arme à feu en cause était une variante d’une arme à feu prohibée, mais n’a pas infirmé la décision du tribunal de juridiction inférieure selon laquelle aucun pouvoir n’avait été délégué à la GRC.

[404] Le PGC affirme que les [traduction] « éléments à retenir » de l’affaire Henderson sont les suivants : la mise en place du TRAF ne découle pas d’un pouvoir délégué, le TRAF n’a aucun effet juridique, les tribunaux ne sont pas liés par le TRAF et la Cour d’appel de l’Ontario ne donne aucune directive sur la façon d’interpréter le Règlement et de déterminer si une arme à feu est une variante.

(2) Tant les variantes nommées que les variantes non nommées sont prohibées

[405] Le PGC souligne que le Règlement s’applique aux chefs de familles d’armes à feu prohibées ainsi qu’aux « armes à feu des mêmes modèles qui comportent des variantes ou qui ont subi des modifications ». Il renvoie au témoignage de M. Smith, dans lequel il explique que ce libellé est nécessaire, car le Règlement désignant des armes à feu comme prohibées et les énumérant est rapidement désuet en raison de l’ajout sur le marché d’armes à feu nouvelles et en évolution.

(3) Les mises à jour du TRAF depuis mai 2020

[406] Le PGC explique que le TRAF a été mis à jour depuis le Règlement de mai 2020 afin d’y ajouter les variantes nommées dans le Règlement ainsi que les armes à feu qui constituent des variantes non nommées (c.‐à‐d. des variantes d’armes à feu désormais prohibées). Le TRAF a été mis à jour le 15 juin 2020, puis plus tard pour y ajouter les armes à feu mises sur le marché depuis cette date ainsi que deux autres armes à feu en raison du diamètre de leur âme et de leur énergie initiale. (D’après le PGC, depuis juin 2020, 1 500 armes à feu sont désignées comme des variantes nommées des neuf familles et 180 armes à feu sont désignées dans le TRAF comme des variantes non nommées.)

(4) Les critères pour le classement des armes à feu

[407] Le PGC conteste l’allégation des demandeurs selon laquelle il n’existe aucun critère pour classer les armes à feu dans la catégorie des variantes ni aucun processus ou mécanisme d’examen pour contester le classement d’une variante et son inscription dans le TRAF par les SSSAF.

[408] Le PGC renvoie au témoignage de M. Smith concernant la façon dont les SSSAF procède à l’évaluation technique pour savoir si une arme à feu en particulier est une variante d’une arme à feu prohibée en fonction de plusieurs facteurs et d’un processus d’évaluation par les pairs.

(5) Le classement n’est pas à l’abri d’un examen

[409] Le PGC rejette l’allégation des demandeurs selon laquelle la seule façon de contester l’évaluation d’une arme à feu est lorsqu’une accusation criminelle est déposée, soulignant que M. Smith a expliqué que les évaluations peuvent faire l’objet d’un examen sur demande et que le TRAF n’est pas [traduction] « hermétique ».

[410] Le PGC conteste également l’affirmation des demandeurs dans l’affaire Doherty selon laquelle une lettre reçue par Magnum Machine de la part du directeur de l’enregistrement des armes à feu démontre les conséquences juridiques d’une sous‐délégation du pouvoir d’interdire des variantes non nommées et le manque de recours. Le PGC soutient que cette lettre n’indique pas que le TRAF a eu une incidence sur les droits de Magnum Machine; les conséquences découlent du Règlement.

[411] Le PGC ajoute que lorsque le décideur administratif se fonde sur le TRAF et que cela a des conséquences juridiques, cette décision peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Par exemple, le PGC souligne que si le directeur de l’enregistrement des armes à feu rend une décision qui touche les droits d’un propriétaire d’arme à feu, celui‐ci pourrait solliciter le contrôle judiciaire de cette décision.

C. Le pouvoir du gouverneur en conseil conféré par le paragraphe 117.15(2) n’as pas été sous‐délégué

(1) Les dispositions législatives

[412] Le paragraphe 117.15(1) du Code criminel dispose que « le gouverneur en conseil peut, par règlement, prendre toute mesure d’ordre réglementaire prévue ou pouvant être prévue par la présente partie ». Les limites au pouvoir du gouverneur en conseil sont énoncées au paragraphe 117.15(2); « Le gouverneur en conseil ne peut désigner comme arme à feu prohibée [...] toute chose qui, à son avis, peut raisonnablement être utilisée au Canada pour la chasse ou le sport. »

[413] Le décret indique clairement que le gouverneur en conseil est de cet avis et prend le Règlement conformément aux définitions figurant au paragraphe 84(1) (arme à feu prohibée) et à l’article 117.15.

[414] Comme je l’ai déjà dit, le Règlement désigne neuf familles d’armes à feu en plus des armes à feu qui excèdent les limites du diamètre de l’âme ou de l’énergie initiale. Le chef de famille est décrit de manière semblable et fait référence au nom ou à la marque et au modèle – c’est‐à‐dire « les armes à feu des modèles communément appelés [modèle, marque ou nom] ainsi que les armes à feu des mêmes modèles qui comportent des variantes ou qui ont subi des modifications, y compris » – et est suivi d’une liste d’armes à feu (les variantes nommées) [non souligné dans l’original].

[415] Comme le soutiennent les demandeurs, et comme en convient le PGC, seul le gouverneur en conseil a le pouvoir de prendre le Règlement. Le gouverneur en conseil a exercé son pouvoir, qui lui permet notamment de désigner les armes à feu « des modèles communément appelés [chefs de famille] », ainsi que « les armes à feu des mêmes modèles qui comportent des variantes ou qui ont subi des modifications ».

[416] La Cour est d’accord avec le PGC pour dire que les « modèles qui comportent des variantes ou qui ont subi des modifications » sont prohibées conformément au Règlement et en raison de celui‐ci. La source de la prohibition de toutes les variantes, nommées et non nommées, est le Règlement. La Cour souligne que ce type de formulation a été utilisée dans des règlements antérieurs [qui étaient en vigueur avant l’élargissement du TRAF].

[417] La variante non nommée est une arme à feu prohibée en raison du Règlement, et non parce qu’elle peut être inscrite dans le TRAF. Une variante serait une variante même si le TRAF n’existait pas.

[418] Comme l’a expliqué M. Smith, le Règlement ne peut nommer toutes les variantes étant donné que de nouvelles armes à feu continuent d’être conçues et fabriquées ou d’entrer sur le marché canadien. Ces armes à feu ne seraient pas visées par le Règlement si celui‐ci ne renvoyait pas aux « armes à feu des mêmes modèles qui comportent des variantes ou qui ont subi des modifications ».

(2) Le TRAF n’est pas un régime réglementaire de fait

[419] Les demandeurs soutiennent que le TRAF est un régime réglementaire de fait, car, selon eux, les forces de l’ordre y ont recours, aucun critère objectif n’a été établi relativement au classement des armes à feu par les SSSAF et à leur inscription dans le TRAF, et il n’existe aucun mécanisme d’examen. Tous ces arguments ne tiennent pas compte du fait que les variantes seraient prohibées, peu importe que les SSSAF affichent ou non leur évaluation dans le TRAF. Quoi qu’il en soit, des critères pour évaluer les armes à feu ont été établis, le classement fait par les SSSAF peut faire l’objet d’un examen, et les catégories mentionnées dans le TRAF ne prouvent pas que l’arme à feu est prohibée.

[420] Lorsqu’ils affirment que la GRC n’avait pas le pouvoir de créer le TRAF, les demandeurs dans l’affaire Eichenberg ne tiennent pas compte du fait que la GRC, en tant qu’organisation policière nationale, peut établir ses propres divisions internes pour remplir son mandat. Comme je l’ai déjà dit, le TRAF est une base de données. Les demandeurs dans l’affaire Eichenberg n’ont pas démontré pourquoi la GRC aurait besoin d’un certain pouvoir pour établir et maintenir une base de données.

[421] En contre‐interrogatoire, M. Smith a expliqué qu’il a conçu le TRAF en 1996 et qu’il s’agissait d’une collaboration entre deux divisions de la GRC. À partir de 2000, le TRAF se trouvait au sein du PCAF. Il a expliqué que les premières entrées dans le TRAF ont été effectuées par des techniciens en armes à feu sur la base de divers renseignements de source ouverte, dont la majorité était des publications de fabricants et de distributeurs d’armes à feu.

(3) Le TRAF est une base de données et une ressource administrative

[422] Le TRAF est une base de données sur les armes à feu gérée par les SSSAF. Il n’est pas représentatif de la classification légale des armes à feu à titre d’armes à feu à autorisation restreinte ou d’armes à feu prohibée. Le fait qu’une arme à feu soit inscrite dans le TRAF ne constitue pas une preuve dans un procès criminel ou quasi-criminel concernant le statut de l’arme.

[423] M. Smith décrit le TRAF comme une base de données gérée par les SSSAF visant à [traduction] « aider les agents d’exécution de la loi, les agents des douanes et les fonctionnaires chargés de la réglementation des armes à feu à reconnaître et à classer les armes à feu. Il n’est pas destiné à contraindre juridiquement les forces de l’ordre, les juges ou les décideurs administratifs au titre du Code criminel, de la Loi sur les armes à feu ou de toute autre loi applicable. Il s’agit d’un outil administratif non contraignant. »

[424] M. Smith explique que le TRAF énumère et décrit les armes à feu et qu’il repose sur l’avis des SSSAF quant à savoir si l’arme à feu est sans restriction, à autorisation restreinte ou prohibée. Il fait remarquer que les évaluations sont fondées sur les définitions énoncées dans le Code criminel, ainsi que sur les types d’armes à feu désignées dans le Règlement de 1998, dans le Règlement de 2020 et dans la Loi sur les armes à feu.

[425] Comme je l’ai déjà indiqué, M. Smith a été longuement contre‐interrogé, notamment quant à savoir si les SSSAF classent l’arme à feu dans une catégorie juridique ou effectue une évaluation technique de l’arme à feu. Les demandeurs dans les affaires Doherty et Eichenberg allèguent que le témoignage de M. Smith était contradictoire. Toutefois, les questions lui ont été posées de plusieurs façons différentes, et M. Smith a répondu aux questions précises. Il a souligné plusieurs fois que le rôle des SSSAF consiste à mener des évaluations techniques des armes à feu et à donner un avis sur leur classement.

[426] En contre-interrogatoire, M. Smith a répété que, comme le TRAF n’est pas contraignant, les décideurs administratifs visés par la Loi sur les armes à feu et la Loi sur les licences d’exportation et d’importation ainsi que d’autres utilisateurs gouvernementaux pourraient avoir un avis différent concernant le classement d’une arme à feu, tout comme les entreprises d’armes à feu et les propriétaires d’arme à feu. Il a souligné que le TRAF est une ressource importante pour les agents d’exécution de la loi lorsqu’ils doivent porter des accusations, mais qu’il ne s’agit pas de la seule ressource.

[427] En contre-interrogatoire, M. Smith a expliqué que les SSSAF offraient une formation aux procureurs de la Couronne afin qu’ils se familiarisent avec le TRAF et son utilisation. Selon lui, bien que les SSSAF espèrent que les utilisateurs considèrent le TRAF comme une ressource crédible, [traduction] « l’utilisation de la base de données du TRAF se fait néanmoins sur une base volontaire ».

[428] M. Smith a souligné que, d’après son expérience, les policiers et les procureurs de la Couronne utilisent le TRAF pour les aider à prendre des décisions et pour présenter des éléments de preuve en cour, mais a précisé qu’il n’est utilisé qu’à titre de source d’information.

[429] En ce qui concerne la façon dont les procureurs de la Couronne établissent qu’une arme à feu est prohibée, M. Smith a affirmé ce qui suit :

[traduction]
Il me semble que les procureurs de la Couronne ont recours aux services de témoins experts provenant de laboratoires judiciaires ou d’ailleurs. Ils peuvent se fonder sur leurs renseignements personnels. Ils peuvent s’appuyer sur les renseignements fournis par les policiers.

D’après mon expérience, les procureurs de la Couronne recueillent donc ces renseignements d’à peu près partout où ils peuvent les obtenir et auprès de sources qu’ils considèrent comme fiables.

[430] Bien que le TRAF ait été grandement élargi depuis 1996, qu’il soit bien connu et qu’il soit utilisé à divers degrés par les forces de l’ordre, les entreprises d’armes à feu et les propriétaires d’arme à feu, il n’en demeure pas moins une source d’information et une ressource administrative.

[431] Les demandeurs font valoir que le PGC s’est appuyé de manière sélective sur l’arrêt Greater Vancouver pour affirmer que le TRAF est semblable à une politique interne ou administrative et n’établit aucun droit ni aucune obligation. Les demandeurs s’appuient sur d’autres extraits pour soutenir que le TRAF est « une norme d’application générale » et qu’il a donc force de loi.

[432] La Cour estime que les extraits pertinents de l’arrêt Greater Vancouver étayent le point de vue du PGC. Aux paragraphes 63 et 64, la Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit :

[63] Ce que démontrent les arrêts Comité pour la République du Canada et Little Sisters est une préoccupation concernant le caractère administratif des politiques et directives des entités gouvernementales en cause. La règle de nature administrative touche à l’application de lois formant un régime législatif; sa raison d’être est l’efficacité administrative. La question déterminante est donc celle de savoir si la politique s’attache à la régie interne. Dans un tel cas, elle est destinée à une application interne et elle est souvent de nature informelle; son adoption ne requiert pas l’autorisation expresse du législateur. Une telle règle ou politique sert à l’interprétation des dispositions d’une loi ou d’un règlement. Elle ne saurait être assimilée elle-même à une règle de droit qui restreint un droit constitutionnel. Ni un guide d’interprétation ni une politique n’ont pour objet d’établir les droits et les obligations d’une personne non plus que de créer des droits. En outre, ils ne sont habituellement accessibles qu’au sein de l’entité gouvernementale et sont donc sans utilité pour informer le citoyen qui doit être en mesure de connaître toute restriction apportée à ses droits constitutionnels. La politique de nature administrative, même entendue au sens le plus large, n’est pas une « règle de droit » pour les besoins de l’article premier, car sa raison d’être n’est pas d’offrir un fondement juridique à l’action gouvernementale.

[64] La politique qui n’est pas administrative par nature et qui satisfait à certaines exigences peut constituer une « règle de droit ». Pour qu’elle soit de nature législative, la politique doit établir une norme d’application générale adoptée par une entité gouvernementale en vertu de son pouvoir de réglementation. Un tel pouvoir existe lorsque le législateur fédéral ou provincial a délégué un pouvoir à l’entité gouvernementale aux fins précisément d’adopter des règles obligatoires d’application générale établissant les droits et les obligations des personnes qui y sont assujetties (D. C. Holland et J. P. McGowan, Delegated Legislation in Canada (1989), p. 103). Point n’est besoin, pour l’application de l’article premier de la Charte, que ces règles revêtent la forme de textes réglementaires. Dans la mesure où leurs lois habilitantes permettent aux entités d’adopter des règles obligatoires, où leurs politiques établissent des droits et des obligations d’application générale plutôt que particulière et où elles sont suffisamment accessibles et précises, alors ces politiques sont réputées constituer des « règles de droit » susceptibles de restreindre un droit garanti par la Charte.

[433] Le TRAF se définit davantage comme un « guide d’interprétation » pour l’application du Règlement. Il s’agit d’un guide qui est lié à la mise en œuvre de la loi, mais, comme je l’ai indiqué plus haut, la loi serait mise en œuvre sans égard au TRAF. Le TRAF n’a pas pour but ni pour effet d’établir les droits et obligations d’une personne.

(4) Les tribunaux déterminent en dernier ressort si une variante est une arme prohibée

[434] Les craintes des demandeurs de faire face à des accusations de possession d’une arme à feu prohibée, dont ils contestent la prohibition ou dont ils ne savent peut‐être pas qu’elle est prohibée, sont valables. Or, c’est à la Couronne qu’il incombe en tout temps de prouver chaque élément d’une infraction criminelle, notamment de prouver que l’arme à feu en cause est prohibée. Comme l’a souligné M. Smith, le TRAF peut être une ressource pour les policiers et les procureurs de la Couronne, mais ceux‐ci auront également recours à d’autres renseignements. La question de savoir si une variante non nommée est une arme à feu prohibée sera tranchée par la Cour.

[435] Les demandeurs contestent le fait que le PGC ait invoqué l’affaire Henderson; toutefois, l’affaire Henderson démontre que cette décision peut être prise et sera prise par la Cour.

[436] L’arrêt Henderson consistait en un appel de la décision du directeur de l’enregistrement des armes à feu de refuser d’accorder à M. Henderson un certificat d’enregistrement visant son Armi Jager AP80, une variante non nommée de l’AK-47. La question consistait à savoir si la variante non nommée était une arme à feu prohibée. La Cour de justice de l’Ontario a conclu que malgré l’inscription de l’arme à feu dans le TRAF, celle‐ci n’était pas une variante. Elle a conclu que le pouvoir de désigner des armes à feu comme prohibées n’avait pas été délégué aux SSSAF, que l’inscription de l’arme à feu dans le TRAF n’avait aucun effet juridique et qu’il appartient au tribunal de déterminer si l’arme à feu est une variante prohibée.

[437] La décision a été portée en appel devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario, puis devant la Cour d’appel de l’Ontario. Cette dernière a rétabli la décision du directeur de l’enregistrement (c.‐à‐d. que l’arme à feu était une variante prohibée), mais n’a pas mentionné (et n’a donc pas modifié) la décision du tribunal de juridiction inférieure selon laquelle le pouvoir de désigner des armes à feu comme prohibées n’avait pas été sous‐délégué aux SSSAF. La Cour d’appel a conclu que la Cour de justice de l’Ontario avait commis une erreur en n’appliquant pas la norme de la décision raisonnable à la décision du directeur de l’enregistrement et que la Cour supérieure de justice de l’Ontario avait commis une erreur en n’appliquant pas la norme de contrôle applicable en appel. Malgré ces erreurs, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que la Cour de justice de l’Ontario avait commis une erreur en ne concluant pas que l’arme à feu de M. Henderson était prohibée, étant donné que l’AP80 était identique à l’AK-22, lequel constitue une variante nommée de l’AK-47. La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que l’AP80 doit également être une variante de l’AK-47.

[438] La Cour d’appel de l’Ontario a souligné, au paragraphe 46 :

[traduction]
[46] Ce décret désigne en annexe les armes à feu qui sont prohibées pour l’application du Code criminel. L’article 64 de l’annexe désigne le fusil AK-47 ainsi que « l’arme à feu du même modèle qui comporte des variantes ou qui a subi des modifications », y compris le Mitchell AK-22. Autrement dit, le gouverneur général en conseil a déclaré que l’AK-22 était une variante de l’AK-47. Si, comme il est clair, l’intention du législateur est que l’AK-22 est une variante de l’AK-47, il doit en être de même pour une arme qui est la même que l’AK-22, à savoir l’AP80. L’interprétation qu’il convient de donner au décret est donc que l’AP80 est une variante de l’AK-47. En concluant autrement, la Cour provinciale a commis une erreur de droit.

[439] Les demandeurs dans l’affaire Eichenberg ont invoqué la décision R v Bako, 2016 SKPC 83, comme exemple de la façon dont le TRAF a été utilisé pour étayer une déclaration de culpabilité relativement à l’infraction de possession d’une arme à feu prohibée. Ils font valoir que le TRAF découle d’une sous‐délégation illégale du pouvoir d’interdire des armes à feu aux SSSAF. Toutefois, il ressort clairement de la décision que l’accusé avait consenti à ce que les renseignements figurant dans le TRAF soient admis en preuve pour démontrer que l’arme à feu était une variante d’une arme à feu prohibée. Il est indiqué dans la décision que la Couronne doit prouver, entre autres, que l’arme à feu était prohibée au moment des faits.

[440] M. Hipwell, un des demandeurs en l’espèce, reconnaît que le TRAF reflète l’avis des SSSAF concernant le classement d’une arme à feu et qu’il reviendra ultimement au tribunal de déterminer si l’arme à feu est prohibée, lorsque de telles accusations sont portées.

(5) Les critères relatifs au classement

[441] Contrairement à ce qu’allèguent les demandeurs, à savoir qu’il n’existe aucun critère pour déterminer si une arme à feu est une variante, le déposant du PGC, M. Smith, a été longuement contre-interrogé sur cette question et a expliqué qu’il n’y a pas une seule liste de vérification, mais plutôt que l’évaluation tient compte de bon nombre de considérations ou de facteurs. Chaque arme à feu est évaluée au cas par cas et les facteurs pertinents sont examinés.

[442] M. Smith a répondu à l’allégation de [traduction] « loterie » venant d’un commentaire d’un ancien employé des SSSAF. La Cour souligne que le dossier ne contient aucune preuve de la part de cet ancien employé, hormis l’allégation qui a été présentée à M. Smith en contre‐interrogatoire. M. Smith a donné les explications suivantes :

[traduction]
[L’employé] avait la réputation d’être dramatique dans ses déclarations, alors [...] il fait simplement remarquer que les critères servant à déterminer si une arme à feu est une variante doivent être appliqués de manière uniforme et cohérente. La loterie, c’est juste une façon dramatique de le dire. [...] Je ne suis pas en désaccord avec le sens de sa déclaration. Par contre, je n’irais pas jusqu’à dire que le classement dans le TRAF se fait au moyen d’un processus de loterie.

[443] En contre-interrogatoire, M. Smith a expliqué que le classement des variantes est [traduction] « un processus exigeant des connaissances sur les armes à feu et l’application de ces connaissances pour déterminer la lignée d’une arme à feu et si cette dernière est liée ou non à une autre arme à feu ». M. Smith a souligné que de nombreux facteurs sont pris en compte et que c’est « l’ensemble des données probantes qui, collectivement, permettent de déterminer si une arme à feu est considérée comme une variante ».

[444] M. Smith a ajouté qu’au moment de classer les variantes, le partage d’une caractéristique ou d’un concept physiques communs avec un chef de famille prohibé représente un des facteurs pouvant indiquer qu’une arme à feu constitue une variante. Il a précisé que cet exercice n’exige pas seulement d’examiner des images, mais qu’il faut également prendre des mesures pour établir des éléments communs permettant l’interchangeabilité de pièces. Il a aussi signalé que l’apparence d’une arme à feu n’a aucune incidence sur son pouvoir meurtrier et que les brevets communs et les pièces interchangeables avec celles d’un chef de famille peuvent indiquer qu’une arme à feu est une variante, sans toutefois permettre de l’établir. Il a affirmé ce qui suit :

[traduction]
Le principal critère pour déterminer si une arme à feu est une variante est la lignée de l’arme à feu, qu’elle soit dérivée de l’arme à feu d’origine ou non. En outre, une arme à feu ne constitue pas – ou ne constitue pas nécessairement – une variante lorsqu’elle est conçue et fabriquée indépendamment par certains fabricants qui peuvent tirer profit de la vaste chaîne d’approvisionnent en composants de plateformes AR aux fins d’économie ou d’efficacité.

[445] M. Smith a indiqué que si l’arme à feu est commercialisée comme une variante, les SSSAF vont habituellement la désigner comme telle dans le TRAF. Il a précisé que le matériel publicitaire est pris en considération, mais qu’il ne s’agit pas du seul facteur. Si l’arme à feu n’est pas commercialisée à titre de variante, les SSSAF tiendront compte de multiples facteurs, dont la conception, en particulier l’apparence et l’emplacement des commandes, la description du fabricant, les brevets, l’interchangeabilité des pièces et la fonction. Il a affirmé qu’aucune caractéristique n’est définitive.

(6) L’assurance de la qualité pour le classement et l’inscription dans le TRAF

[446] M. Smith a également expliqué qu’un système d’assurance qualité a été mis en place pour garantir l’exactitude des données figurant dans le TRAF. Il a souligné que toutes les nouvelles entrées et toute modification importante apportée aux entrées existantes sont examinées et confirmées séparément par différents experts en armes à feu des SSSAF avant que le TRAF ne soit mis à jour. Il a affirmé que personne ne peut modifier sensiblement l’entrée dans le TRAF.

[447] En contre-interrogatoire, M. Smith a précisé que les décisions quant à la classification des armes à feu (c.-à-d. s’il s’agit d’armes à feu sans restriction, à autorisation restreinte ou prohibées) sont prises après une première évaluation menée par un technicien, puis un deuxième examen effectué par un autre technicien également qualifié. Ensuite, si les deux techniciens s’entendent, les données sont affichées dans le TRAF. Il a ajouté que si les questions techniques sont plus complexes, il existe une procédure de renvoi, dans le cadre de laquelle des agents des SSSAF chevronnés et occupant des postes de niveau supérieur peuvent examiner la décision. Il a également précisé qu’en ce qui concerne les armes à feu plus complexes ou nouvelles, un technicien chevronné est chargé de la classification.

[448] Lorsqu’il a été interrogé sur la résolution des désaccords au sein des SSSAF, M. Smith a déclaré que les débats étaient encouragés, mais que les avis divergents étaient très rares.

(7) Il existe un processus d’examen

[449] M. Smith a également expliqué que l’évaluation d’une arme à feu par les SSSAF peut faire l’objet d’un examen lorsque le propriétaire ou l’entreprise en fait la demande et fournit une justification et des documents à l’appui.

[450] En contre-interrogatoire, M. Smith a affirmé que des personnes avaient communiqué avec les SSSAF et que le classement d’armes à feu inscrites dans le TRAF avait été revu à la baisse par la suite, alors que dans d’autres cas, le classement d’armes à feu avait été revu à la hausse par suite de démarches effectuées par les forces de l’ordre auprès des SSSAF.

[451] L’avocat de M. Hipwell a indiqué que son client avait fait des demandes à cet effet auprès des SSSAF et que ces derniers avaient accepté de revoir le classement d’armes à feu dans certains cas.

(8) La prohibition de variantes « futures »

[452] L’affirmation des demandeurs dans l’affaire Eichenberg selon laquelle la désignation de variantes après l’adoption du Règlement donne lieu à une application rétroactive de la loi n’a aucun sens. Ils affirment que ces variantes non nommées auraient été prohibées à compter du 1er mai 2020, mais que le propriétaire de l’arme à feu n’aurait pas su qu’il était en possession d’une arme à feu prohibée – une situation qui ne se peut pas. De fait, ils ne tiennent pas compte du libellé du Règlement qui interdit « les armes à feu des mêmes modèles [que les chefs de familles prohibés] qui comportent des variantes ou qui ont subi des modifications », et ce libellé vise à englober les variantes qui sont identifiées, ou qui sont conçues, fabriquées ou qui entrent sur le marché par la suite, mais qui ne seraient pas autrement prohibées malgré le fait qu’elles sont pareilles ou très semblables aux armes à feu prohibées.

[453] D’un point de vue pratique, une personne ne pourrait être accusée de possession d’une variante tant que la variante n’est pas réellement en sa possession. Les forces de l’ordre ne pourraient pas assurer le respect de la prohibition d’une arme à feu avant même qu’elle existe, entre sur le marché ou soit en la possession d’un individu, ou avant de savoir que l’arme à feu est une variante. En ce qui concerne les armes à feu qui existent déjà, mais qui sont désignées comme variantes seulement plus tard, M. Smith a indiqué que les propriétaires d’arme à feu savent clairement que bon nombre de ces variantes sont des variantes. De plus, le droit pénal ne s’applique pas rétroactivement; il s’agit d’un principe de base.

[454] L’argument des demandeurs dans l’affaire Eichenberg (partagé par le procureur de l’Alberta) selon lequel les « futures » variantes inscrites dans le TRAF après le 1er mai 2020 ne peuvent être prohibées parce que le gouverneur en conseil n’aurait pas pu avoir un avis sur la question de savoir si elles pouvaient raisonnablement être utilisées pour le chasse ou le sport, est fondé sur une mauvaise interprétation du Règlement. Au moment du décret, le gouverneur en conseil est d’avis que les armes à feu désignées ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport, et le Règlement énonce ces armes à feu selon leur marque, leur modèle, leur nom ou leur chef de famille. Comme je l’ai déjà dit, le libellé du Règlement est le suivant : « Les armes à feu des modèles communément appelés [modèle, marque, nom, chef de famille] ainsi que les armes à feu des mêmes modèles qui comportent des variantes ou qui ont subi des modifications, y compris [...] » Les variantes énumérées par la suite sont des variantes « des mêmes modèles » – soit des variantes des armes à feu qui, de l’avis du gouverneur en conseil, ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport et qu’il a désignées.

[455] Les autres arguments des demandeurs dans l’affaire Eichenberg portant sur l’interprétation de la loi et qui s’attardent aux temps de verbe utilisés aux paragraphes 84(1) et 117.15(2) du Code criminel n’appuient pas leur thèse selon laquelle toutes les variantes doivent être identifiées au moment de l’adoption du Règlement. Le libellé du paragraphe 117.15(2), « prévue ou pouvant être prévue », ne suppose pas une action dans le passé ou seulement à un moment précis dans le temps. L’interprétation des demandeurs dans l’affaire Eichenberg aurait pour effet de dépouiller le gouverneur en conseil de son pouvoir de désigner des armes à feu comme prohibées, en contravention du libellé clair de l’article 117.15.

[456] Comme je l’ai déjà dit, les demandeurs soutiennent de façon plus générale qu’il ne devrait pas y avoir de variantes non nommées. En fait, toutes les variantes devraient être énoncées dans le Règlement et celui‐ci devrait refléter l’avis du gouverneur en conseil selon lequel ces armes à feu ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport. Cet argument découle de leur thèse selon laquelle les SSSAF ne peuvent désigner des variantes non nommées. Comme la Cour l’a conclu et expliqué plus haut, le TRAF n’est pas représentatif de la classification légale d’une variante, mais reflète plutôt l’avis des SSSAF basé sur une évaluation technique. Les variantes sont prohibées, peu importe que le TRAF existe ou non. De plus, l’interprétation souhaitée par les demandeurs est contraire aux termes clairs du Règlement (et du règlement antérieur).

[457] L’argument connexe des demandeurs, à savoir que la liste des variantes nommées est exhaustive, est examiné ci‐dessous eu égard à l’article 7 de la Charte.

XI. Y a-t-il eu manquement à l’obligation d’équité procédurale dans la décision du gouverneur en conseil ou dans les évaluations d’armes à feu réalisées par les SSSAF?

A. Les observations des demandeurs

[458] Les demandeurs font valoir que toute sous-délégation aux SSSAF du pouvoir du gouverneur en conseil de désigner des armes à feu comme étant prohibées exige que les SSSAF, en tant que décideur administratif, respectent leur obligation d’équité procédurale envers les propriétaires d’arme à feu.

[459] Les demandeurs dans les affaires CCDAF et Eichenberg soutiennent que les SSSAF ajoutent des variantes non nommées au TRAF, et ce, sans motifs ni préavis et sans aucun mécanisme d’examen, même si l’inclusion de ces variantes peut exposer les propriétaires d’arme à feu à certaines conséquences pénales. Les demandeurs estiment que le recours au TRAF constitue un manquement à l’équité procédurale.

[460] Les demandeurs dans l’affaire Eichenberg soulignent que, contrairement à la révocation du certificat d’enregistrement par le directeur de l’enregistrement ou le contrôleur des armes à feu, qui peut être contestée devant une cour provinciale, il est impossible pour un propriétaire d’arme à feu de s’opposer à la désignation de son arme à feu comme variante prohibée en application du Règlement et à l’annulation subséquente de son enregistrement.

B. Les observations du PGC

[461] Comme il est mentionné ci-dessus, le PGC conteste l’argument suivant lequel l’évaluation et le classement des armes à feu par les SSSAF reflètent une sous-délégation illégale du pouvoir du gouverneur en conseil. Le PGC met en doute également l’existence d’une obligation d’équité procédurale de la part des SSSAF envers les propriétaires d’armes à feu.

[462] Le PGC souligne que les demandeurs continuent d’invoquer des arguments fondés sur l’équité procédurale, même s’il ne n’agit pas en l’espèce du contrôle judiciaire des évaluations techniques de variantes non nommées précises. Le PGC rappelle que la tentative des demandeurs d’obtenir un contrôle judiciaire de cette nature a été rejetée par la juge en chef adjointe Gagné. Les demandeurs ont plutôt été autorisés à plaider qu’il y avait eu sous-délégation illégale aux SSSAF, et c’est ce qu’ils ont fait.

[463] Le PGC explique aussi que, lorsque le directeur de l’enregistrement des armes à feu révoque un certificat d’enregistrement, il transmet une notification et des motifs, puis la décision peut être contestée à la cour provinciale. Ce processus ne s’applique pas au Règlement, qui a annulé les certificats d’enregistrement visant des armes à feu antérieurement désignées comme étant à autorisation restreinte qui sont devenues prohibées. Les propriétaires d’arme à feu ont été avisés du Règlement et de ses conséquences, mais cette notification ne constituait pas une décision de révocation de la part du directeur.

[464] De toute manière, selon le PGC, l’obligation d’équité en common law ne s’applique pas aux décisions de nature législative, à la prise du Règlement ou aux SSSAF ni à la liste des variantes dans le TRAF (Green c Société du Barreau du Manitoba, 2017 CSC 20 aux para 53‐56) [Green].

[465] Le PGC ajoute que, pour toute décision prise sur la base du TRAF – par exemple lorsque le directeur de l’enregistrement constate qu’une arme à feu est une variante non nommée et qu’une procédure judiciaire s’ensuit –, les principes d’équité procédurale s’appliqueraient dans cette procédure. En plus, si des accusations criminelles étaient déposées, l’obligation d’équité procédurale et tous les autres droits et protections applicables découlant de la Charte entreraient en jeu.

C. Il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale

[466] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire du Règlement, et non pas de classements précis d’armes à feu en tant que variantes ou variantes non nommées. Même s’ils contestent le classement de nombreuses variantes, leurs demandes en l’espèce concernent le Règlement. Notre Cour ne procède pas au contrôle de l’évaluation et de l’identification par les SSSAF des variantes contestées.

[467] Le gouverneur en conseil a pris le Règlement en application du pouvoir qui lui est conféré par le législateur. Il n’a pas d’obligation d’équité procédurale envers les propriétaires d’arme à feu qui peuvent être touchés par l’exercice de son pouvoir de désigner des armes à feu comme étant prohibées.

[468] Dans l’arrêt Green, la Cour suprême du Canada a conclu, au paragraphe 54, que l’obligation d’équité s’applique seulement lorsque la décision touche « “les droits, les privilèges ou les biens d’une personne”, comme lorsqu’elle inflige une suspension, et non lorsqu’il agit en qualité de législateur et qu’il adopte des règles d’application générale dans l’intérêt public » [renvois omis].

[469] Le gouverneur en conseil n’est nullement tenu, au nom de l’équité procédurale, de notifier les intervenants potentiels de son intention de prendre le Règlement (il n’avait non plus aucune obligation de publication préalable). De toute manière, lorsque les demandeurs font valoir qu’ils n’ont pas été notifiés, ils oublient que le gouvernement a annoncé plusieurs fois publiquement son intention d’ajouter des restrictions visant les armes à feu et qu’un processus de consultation publique a précédé l’élaboration du Règlement.

[470] Notre Cour a conclu, je le répète, que le gouverneur en conseil n’a pas sous‐délégué aux SSSAF son pouvoir de désigner des armes à feu comme étant prohibées. Les SSSAF n’exercent aucun pouvoir législatif et n’ont aucune obligation d’équité procédurale envers les propriétaires des armes à feu qu’ils sont susceptibles d’évaluer et de classifier.

[471] Qui plus est, il existe un processus par lequel le propriétaire d’arme à feu peut demander un examen du classement de l’arme à feu, ce qu’a expliqué M. Smith et qu’a reconnu M. Hipwell, un des demandeurs. Comme l’a mentionné le PGC, si le propriétaire d’arme à feu est inculpé d’une infraction ou subit d’autres conséquences découlant de décisions finales prises par d’autres décideurs administratifs, il bénéficierait alors de tous les droits procéduraux ou garantis par la Charte qui s’appliquent dans sa situation.

XII. Le Règlement contrevient-il à l’article 7 de la Charte en raison de son imprécision, de sa portée trop large ou de son caractère arbitraire et, le cas échéant, l’atteinte est-elle justifiée au titre de l’article premier?

A. Les observations des demandeurs

[472] Les demandeurs affirment que le Règlement, qui désigne comme étant prohibés les modèles qui « comportent des variantes » ou qui « ont subi des modifications » et interdit également les armes à feu en fonction du diamètre de l’âme et de l’énergie initiale, contrevient à l’article 7 de la Charte parce qu’il n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale, selon lesquels toute loi ne peut être imprécise, arbitraire ou de trop grande portée ni causer des effets disproportionnés. À leur avis, les atteintes aux droits ne peuvent se justifier au titre de l’article premier.

[473] Les demandeurs soutiennent que le Règlement expose les propriétaires d’arme à feu prohibées à des poursuites criminelles qui peuvent mener à l’incarcération, ce qui met en jeu leur droit à la liberté.

[474] Les demandeurs dans l’affaire CCDAF font valoir que le Règlement porte aussi atteinte au droit des propriétaires d’arme à feu prohibée à la sécurité de leur personne. Ils signalent à ce sujet le témoignage de M. Giltaca, où ce dernier affirme qu’il ne peut véritablement assurer sa sécurité personnelle s’il doit se défendre.

(1) Le terme « variante » est imprécis

[475] Les demandeurs dans l’affaire CCDAF soutiennent que le Règlement est trop vague parce que la [traduction] « sphère de risque » où la responsabilité criminelle peut être engagée n’est pas précise.

[476] D’après les demandeurs, l’inclusion des expressions « qui comportent des variantes » et « qui ont subi des modifications » dans le Règlement engendre une imprécision, et les variantes non nommées identifiées par les SSSAF et énumérées dans le TRAF n’offrent aucune clarté ni aucune [traduction] « norme intelligible » pour les propriétaires d’arme à feu. Les demandeurs rappellent aussi une préoccupation soulevée depuis longtemps : l’absence de définition. Comme il est indiqué ci-dessus, les demandeurs estiment que M. Smith a présenté un témoignage contradictoire et qu’il n’a pas pu fournir de définition valable de ce qu’est une « variante » : il a souligné d’abord qu’une variante pouvait se décrire en comparaison avec le chef de famille, pour déclarer ensuite qu’il existait des variantes de variantes. Ils contestent les propos de M. Smith à savoir qu’une variante est souvent évidente.

[477] Les demandeurs dans l’affaire CCDAF sont d’avis que les propriétaires d’arme à feu se trouvent dans une position intenable, vu qu’ils sont en possession d’une arme à feu prohibée sans être suffisamment certains que cette arme à feu est une variante non nommée.

[478] Les demandeurs invoquent l’arrêt Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, au paragraphe 177 [Canadian Foundation for Children], où la juge Arbour (dans ses motifs dissidents, quoique le principe ne soit pas remis en question) a expliqué qu’une règle de droit imprécise viole les principes de justice fondamentale du fait qu’elle ne donne pas au citoyen un avertissement raisonnable quant à la légalité de ses actes et accroît le pouvoir discrétionnaire des responsables de son application, ce qui peut donner lieu à des mesures arbitraires.

[479] Les demandeurs se reportent également à l’arrêt R c Levkovic, 2013 CSC 25 au paragraphe 1, où la Cour suprême du Canada a déclaré que les lois d’une imprécision inacceptable bafouent les principes de justice fondamentale et que « nul ne peut être condamné ou puni pour un acte ou une omission qui n’est pas clairement interdit par une loi valide ».

[480] Les demandeurs dans l’affaire CCDAF soutiennent que l’affaire Henderson, invoquée par le PGC, ne porte pas sur la question de l’imprécision et qu’il est loisible à notre Cour de conclure que le terme « variante » souffre d’une imprécision inconstitutionnelle ou, subsidiairement, de donner une interprétation atténuée au terme « variante », qui deviendrait une « variante nommée ».

[481] M. Hipwell présente bon nombre des mêmes arguments. Il souligne le témoignage de M. Zackary Wittamore, qui exploite Armalytics (une application Web permettant de faire des recherches fiables dans la version publique du TRAF), et précise que, au 6 juillet 2020, 400 armes à feu ne figurant pas dans le Règlement étaient signalées comme variantes non nommées dans le TRAF, situation qui, selon lui, ne serait pas connue de nombreux propriétaires d’arme à feu.

[482] Les demandeurs dans l’affaire Doherty soutiennent que l’imprécision du Règlement est évidente, étant donné la confusion qui règne parmi les propriétaires d’arme à feu pour ce qui est de savoir si leur arme à feu est une variante non nommée d’une arme à feu désormais prohibée. Ils mentionnent les nombreuses demandes de renseignements dont a fait état M. André Perreault, qui exploite le site Gunpost.ca, où les gens se demandent si certaines armes à feu sont des variantes d’armes à feu prohibées. Les demandeurs dans l’affaire Doherty font valoir qu’il n’existe pas de définition reconnue de ce qu’est une variante dans l’industrie et pas de consensus non plus sur le sens du terme. Ils préfèrent la définition donnée par M. Bader, soit qu’une variante est une arme à feu munie de la même carcasse/boîte de culasse que le modèle de référence – ce qui est différent de la définition décrite par M. Smith.

[483] Les demandeurs dans l’affaire Doherty estiment que le témoignage de M. Smith, qui mentionne que de nombreux facteurs sont pris en compte mais ne les énumère pas, montre que la définition de ce qu’est une variante est adaptable. À leur avis, ce large pouvoir discrétionnaire mène à des décisions au cas par cas de la part des SSSAF et une application arbitraire de la loi.

[484] Les demandeurs dans les affaires CCDAF et Doherty soulignent qu’ils ont mis en doute les propos de M. Smith en contre-interrogatoire au sujet de plusieurs armes à feu précises identifiées comme étant des variantes. Ils avancent que, si M. Smith ne pouvait pas clairement spécifier les caractéristiques ayant justifié le classement, il serait impossible pour les propriétaires d’arme à feu de savoir si leur arme risque d’être prohibée à titre de variante non nommée.

(2) Les interdictions en fonction du diamètre de l’âme et de l’énergie initiale sont imprécises

Les demandeurs dans les affaires CCDAF et Doherty, de même que M. Hipwell, font valoir par ailleurs que les interdictions en fonction du diamètre de l’âme et de l’énergie initiale présentent une imprécision inacceptable, s’appuyant à cette fin sur les témoignages de M. O’Dell et d’autres experts qui soulevaient les difficultés de la mesure. Ils soutiennent que le propriétaire moyen d’arme à feu ne peut pas mesurer adéquatement le diamètre de l’âme de son arme à feu et que mêmes certains experts éprouveraient des difficultés à le faire et auraient besoin d’éclaircissements sur la partie du canon à mesurer et sur la nécessité de retirer ou non le dispositif d’étranglement.

[486] Les demandeurs dans l’affaire Doherty soulignent aussi la confusion autour du diamètre de l’âme des fusils de chasse de calibres 10 et 12 et mentionnent un gazouillis où le ministre de la Sécurité publique affirme que le Règlement n’entraîne aucunement l’interdiction de ces armes à feu et que l’âme est mesurée après la chambre, mais avant le dispositif d’étranglement. Toutefois, d’autres informations provenant de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] ou figurant dans le TRAF amènent une autre conclusion.

[487] Les demandeurs dans l’affaire Doherty signalent que, selon M. Bader, cette mesure doit être prise du cône de raccordement jusqu’à la bouche, ce qui correspond à l’approche de l’ASFC, mais que la méthode de mesure diffère selon que le dispositif d’étranglement a été retiré ou non; à leur avis, les diverses définitions mèneraient à des résultats différents. M. Bader a signalé qu’un fusil de chasse de calibre 10 ou 12 dépasse la limite de 20 mm si son âme est mesurée à son point le plus large.

[488] Les demandeurs allèguent aussi qu’il y a confusion quant aux armes à feu qui sont prohibées en fonction de leur énergie initiale, étant donné que cette dernière ne se limite pas à un simple calcul, qu’elle varie, notamment en fonction du type de munition, et qu’elle peut être modifiée par le propriétaire de l’arme à feu.

(3) Le Règlement contient une liste exhaustive de variantes

[489] Selon les demandeurs, il faudrait voir le Règlement, qui énumère bon nombre de variantes après la description du « chef de famille », comme une liste complète. Ils sont d’avis que le terme « y compris » ne signifie pas que les variantes non nommées identifiées ultérieurement seront aussi prohibées. Autrement dit, toutes les variantes devraient être nommées dans le Règlement pour éviter l’imprécision et l’application arbitraire de la loi.

[490] Les demandeurs affirment que le nombre élevé de variantes énumérées dans le Règlement vient confirmer qu’il s’agit d’une liste complète.

[491] Les demandeurs font valoir par ailleurs que la jurisprudence n’a pas clairement tranché la question du sens à donner au terme « y compris », soulignant que la Cour d’appel de l’Ontario, dans l’arrêt Cochrane v Ontario (Attorney General), 2008 ONCA 718 au paragraphe 51 [Cochrane], a déclaré que le mot « includes » (« y compris ») pouvait être jugé imprécis.

(4) Le Règlement est arbitraire et sa portée est excessive

[492] Les demandeurs dans l’affaire CCDAF soutiennent que l’identification de variantes non nommées est arbitraire, que l’inclusion d’une variante non nommée dans le TRAF repose sur un processus décisionnel au cas par cas de la part des SSSAF et que le recours au TRAF par les forces de l’ordre engendre une application arbitraire de la loi. Ils rappellent le commentaire d’un ancien employé des SSSAF suivant lequel l’identification de variantes était une [traduction] « loterie ».

[493] Les demandeurs dans l’affaire CCDAF avancent qu’il n’y a pas de lien rationnel entre l’objet du Règlement et certains de ses effets. Ils affirment que le Règlement a une portée excessive parce que le gouverneur en conseil a prohibé des milliers d’armes à feu qui étaient jusqu’alors sans restriction, qui sont couramment utilisées et conviennent encore pour la chasse et le sport. Ils font valoir que bon nombre des variantes nommées et non nommées ne sont pas des armes à feu de style arme d’assaut ou militaires et que leur interdiction n’améliorera pas la sécurité publique.

(5) L’atteinte aux droits n’est pas justifiée au titre de l’article premier

[494] Selon les demandeurs, le PGC ne s’est pas acquitté du fardeau de prouver que la justification de l’atteinte aux droits garantis à l’article 7 pouvait se démontrer. À leur avis, le PGC n’a présenté aucun élément de preuve montrant l’incidence du contrôle des armes à feu au Canada.

[495] Comme il est décrit plus haut, les demandeurs dans l’affaire CCDAF affirment que la Cour ne devrait accorder que peu ou pas de poids aux témoignages des trois experts du PGC parce que ceux‐ci ne sont pas neutres ou que leurs opinions ne sont pas dignes de foi.

[496] Les demandeurs dans l’affaire CCDAF soutiennent que leurs experts ont établi que le Règlement ne fera pas baisser les taux d’homicide au Canada.

B. Les observations du PGC

[497] Le PGC plaide que le Règlement ne contrevient pas à l’article 7, qu’il n’y a pas violation du droit à la sécurité de la personne et que toute atteinte au droit à la liberté est conforme aux principes de justice fondamentale. Selon le PGC, si la Cour conclut qu’il y a violation, celle‐ci serait justifiée au titre de l’article premier.

(1) Il n’y a pas d’atteinte au droit à la sécurité de la personne

[498] Le PGC souligne que, dans la jurisprudence, il est établi qu’on ne peut invoquer la légitime défense pour justifier le recours à une arme à feu au nom du droit à la sécurité de la personne (R v Montague, 2010 ONCA 141 aux para 18-20 [Montague]).

(2) Le droit à la liberté est mis en jeu, mais en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[499] Le PGC reconnaît que le Règlement fait intervenir le droit à la liberté, puisqu’un propriétaire d’arme à feu qui ne se conforme pas aux dispositions réglementaires à l’expiration de la période d’amnistie pourrait être accusé de possession d’une arme à feu prohibée et en subir les conséquences. Le PGC affirme qu’il existe un lien de causalité suffisant entre le Règlement et l’atteinte aux droits des propriétaires d’arme à feu prohibée (Canada (Procureur général) c Bedford, 2013 CSC 72 aux para 75-76 [Bedford]). Il est d’avis, toutefois, que la privation possible de liberté est conforme aux principes de justice fondamentale.

(3) Le Règlement n’est pas d’une imprécision inacceptable

[500] Le PGC conteste l’argument présenté par les demandeurs à savoir que la désignation « des mêmes modèles [que les armes à feu prohibées] qui comportent des variantes ou qui ont subi des modifications, y compris [...] » est imprécise. Selon le PGC, le terme « variante » est utilisé et compris depuis longtemps par l’industrie des armes à feu, notamment dans des publications (p. ex., Jane’s Weapons: Infantry) et qu’un grand nombre d’armes à feu sont mises en marché à titre de variantes.

[501] Le PGC est conscient du débat actuel sur l’utilité de définir ce terme et du fait que le Comité mixte permanent d’examen de la réglementation est favorable à l’ajout d’une définition. Le PGC constate que le ministre de la Justice a répondu au Comité mixte permanent et a expliqué qu’une définition ne clarifierait pas le sens clair et simple et produirait des effets imprévus. Par exemple, la définition proposée par M. Bader, privilégiée par les demandeurs, exclurait un grand nombre de variantes nommées.

[502] Selon le PGC, l’affaire Henderson montre que les tribunaux sont en mesure d’interpréter le terme « variante », et qu’ils le font, puis de décider si une arme à feu est une variante ou pas.

[503] Le PGC fait valoir que le Règlement énumère avec suffisamment de précision les armes à feu qui sont prohibées et que la sphère de risque est suffisamment délimitée (Canadian Foundation for Children, au para 15).

[504] Le PGC souligne qu’il faut examiner tout le contexte interprétatif (Levkovic, aux para 47-48), lequel confirme que le Règlement apporte suffisamment de précision pour que les propriétaires et les entreprises d’armes à feu sachent si la possession d’une arme à feu donnée les expose à des sanctions pénales.

[505] D’après le PGC, les propriétaires d’arme à feu peuvent vérifier de plusieurs façons si leur arme à feu est une variante d’une arme à feu prohibée, notamment en consultant le TRAF ou en se tournant vers d’autres ressources.

[506] Le PGC rappelle que les propriétaires d’arme à feu sont censés connaître la loi et avoir été avisés suffisamment d’avance du contenu du Règlement. En outre, on s’attend à ce que les gens ne mettent pas à l’épreuve les lignes de démarcation du droit criminel (Levkovic, au para 35).

(4) Le Règlement ne contient pas une liste exhaustive des variantes

[507] Le PGC rejette l’interprétation du Règlement par les demandeurs quant au fait qu’il dresserait une liste exhaustive des variantes des neuf familles (et qu’il n’existerait donc que des variantes nommées). Le PGC souligne que cette interprétation n’est pas conforme aux principes d’interprétation législative (Ruth Sullivan, The Construction of Statutes, 7e édition (Toronto, LexisNexis, 2022) aux pp 69-70 [Sullivan on the Construction of Statutes]) et serait contraire à l’arrêt Henderson de la Cour d’appel de l’Ontario.

(5) Les interdictions en fonction du diamètre de l’âme et de l’énergie initiale ne sont pas imprécises

[508] Le PGC affirme que les interdictions fondées sur des caractéristiques comme le diamètre de l’âme et l’énergie initiale donnent suffisamment de détails pour délimiter la sphère de risque juridique (Canadian Foundation for Children, au para 15).

[509] Le PGC souligne que les SSSAF se fondent sur la norme appliquée par l’industrie décrite sur le site Web du PCAF pour mesurer le diamètre de l’âme d’une arme à feu et que la position des SSSAF est claire : le diamètre de l’âme des fusils de chasse de calibres 10 et 12 ne dépasse pas 20 mm.

[510] Selon le PGC, il suffit pour les propriétaires d’arme à feu de connaître le type de munition employé pour savoir quelle est l’énergie initiale de leur arme à feu. Le PGC ajoute que toute énergie supérieure à 10 000 joules n’est produite que par des fusils militaires et des fusils de tireur d’élite, et non par des armes à feu utilisées pour la chasse ou le sport. Il remet également en question l’affirmation des demandeurs, fondée sur le témoignage de M. O’Dell, selon laquelle l’énergie initiale peut être facilement modifiée.

(6) Le Règlement n’est pas arbitraire et sa portée n’est pas excessive

[511] Selon le PGC, les demandeurs n’ont pas établi l’absence de lien entre le Règlement et son objet (Bedford, au para 119). Le PGC se reporte au REIR, qui décrit plusieurs fusillades de masse et le caractère mortel inhérent des armes à feu prohibées. L’interdiction de certaines armes à feu est certainement liée à l’objectif du Règlement. Le PGC mentionne que l’efficacité n’est pas un facteur à prendre en considération dans l’analyse du caractère arbitraire du Règlement.

[512] De l’avis du PGC, ni l’utilisation passée de certaines armes à feu pour la chasse et le sport ni la préférence des demandeurs en faveur de ces armes à feu, pour diverses raisons, n’appuient l’argument fondé sur le caractère arbitraire. Toujours selon le PGC, l’argument des demandeurs, soit que les propriétaires légaux d’arme à feu ne sont pas responsables de la violence commise avec des armes à feu, ne permet pas de conclure que le Règlement possède un caractère arbitraire ou une portée excessive. Certaines données montrent que des propriétaires d’arme à feu titulaires de permis ont commis des actes de violence au moyen d’une arme à feu. Les demandeurs ont également admis que toute arme à feu présente un danger inhérent.

[513] Le PGC nie aussi que le Règlement ait une portée excessive. Il fait valoir que les interdictions frappant les armes à feu peuvent prévenir certains gestes, contrairement aux mesures moins sévères.

[514] Le PGC souligne là encore que des données montrent que les propriétaires légitimes d’arme à feu commettent des actes de violence au moyen d’une arme à feu. Il est prouvé par ailleurs que des armes à feu détenues légalement sont volées puis utilisées dans la perpétration de crimes.

(7) Toute atteinte aux droits garantis par la Charte est justifiée au titre de l’article premier

[515] Selon le PGC, si la Cour conclut que le Règlement contrevient à la Charte, cette atteinte est justifiée au titre de l’article premier.

[516] Le PGC précise que la Cour peut tenir compte d’un ensemble d’éléments de preuve relativement à la justification au titre de l’article premier, par exemple des données relevant des sciences sociales ou des ouvrages de doctrine et l’expérience d’autres pays. Il soutient aussi qu’il est valable d’examiner les effets plus larges de la loi sur la société dans son ensemble et que cet angle d’analyse élargi peut mener à une conclusion différente de l’examen fondé sur l’article 7 (Carter c Canada (Procureur général), 2015 CSC 5 au para 95 [Carter]).

[517] D’après le PGC, le Règlement « constitue une mesure réglementaire complexe visant à remédier à un problème social » (R c Safarzadeh‐Markhali, 2016 CSC 14 au para 57 [Safarzadeh‐Markhali]). Les intérêts opposés de la société et l’intérêt public doivent être pris en considération et justifient l’atteinte à la liberté.

[518] Le PGC fait valoir que l’objet du Règlement consiste à lutter contre la menace à la sécurité publique que représente la violence commise avec des armes à feu et la gravité de ses conséquences, plus particulièrement les actes perpétrés au moyen d’armes à feu de style arme d’assaut et d’autres armes à feu désignées. Le PGC est d’avis que cet objectif est urgent et réel.

[519] Le PGC soutient par ailleurs qu’il existe un lien rationnel clair entre, d’une part, l’objectif qui consiste à réagir aux risques pour la sécurité publique inhérents à la violence commise avec des armes à feu et, d’autre part, l’interdiction de certaines armes à feu qui peuvent causer des dommages importants (comme des fusillades de masse). Il s’appuie à cette fin sur le REIR et les recherches relatives aux effets des interdictions sur divers types d’armes à feu dans d’autres pays.

[520] Le PGC soutient qu’il est tenu seulement d’établir l’existence de certaines données probantes appuyant l’efficacité du Règlement et souligne que ce dernier fait partie de mesures plus vastes destinées à lutter contre la violence commise avec des armes à feu.

[521] Le PGC plaide que le Règlement ne porte qu’une atteinte minimale au droit à la liberté des propriétaires d’arme à feu et que l’objectif de protéger la sécurité publique ne peut être atteint si des armes à feu de style arme d’assaut restent présentes sur le marché et sont utilisées par des civils. Le gouvernement n’est pas obligé de recourir à des moyens moins efficaces pour atteindre son objectif. Le PGC ajoute que le Règlement n’a d’incidence que sur un faible pourcentage d’armes à feu au Canada et qu’il y a beaucoup d’autres armes à feu qui peuvent être utilisées pour la chasse comme pour le sport.

[522] Selon le PGC, pour qu’une loi soit un moyen proportionné à l’objectif recherché, la perfection n’est pas exigée et il faut faire preuve de retenue à l’égard de l’approche choisie par le législateur pour trouver une solution à un problème social complexe (Saskatchewan (Human Rights Commission) c Whatcott, 2013 CSC 11 au para 78 [Whatcott]).

[523] Le PGC est d’avis que les avantages d’une sécurité publique améliorée grâce à l’interdiction d’armes à feu précises susceptibles d’infliger des dommages graves l’emportent sur les effets préjudiciables causés aux propriétaires d’arme à feu touchés par le Règlement.

C. Le Règlement ne porte pas atteinte au droit à la sécurité de la personne garanti à l’article 7. Même s’il contrevient au droit à la liberté garanti à l’article 7, il n’est pas imprécis, de portée excessive ou arbitraire

(1) Le droit à la sécurité de la personne garanti à l’article 7 n’est pas mis en jeu

[524] La Constitution ne garantit aucun droit de posséder et d’utiliser des armes à feu désormais prohibées pour quelque fin que ce soit, y compris la légitime défense. Dans l’arrêt Montague aux paragraphes 16 à 21, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu, en s’appuyant sur la jurisprudence, qu’aucune disposition constitutionnelle ne protège le droit de posséder et d’utiliser une arme à feu quelconque; il s’agit plutôt d’un privilège.

[525] Dans l’arrêt Montague, l’accusé avait revendiqué le droit constitutionnel de posséder des armes à feu chez lui pour se défendre. La Cour d’appel de l’Ontario a déclaré, au paragraphe 20, que les dispositions législatives attaquées régissant les armes à feu ne brimaient pas le droit de posséder et d’utiliser des armes à feu pour se protéger, mais qu’elles encadraient plutôt les situations dans lesquelles la possession et l’utilisation d’armes à feu sont permises.

(2) Le droit à la liberté garanti à l’article 7 est mis en jeu

[526] Comme il est mentionné plus haut, le PGC convient que le droit à la liberté des propriétaires d’arme à feu serait mis en jeu si ces derniers ne se conforment pas au Règlement à l’expiration de la période d’amnistie. Au fond, il faut déterminer si la restriction imposée aux droits des propriétaires d’arme à feu respecte les principes de justice fondamentale.

(3) Le Règlement n’est pas d’une imprécision inacceptable, n’a pas une portée excessive et n’est pas arbitraire

a) La jurisprudence relative à l’imprécision

[527] La Cour suprême du Canada a expliqué ce qui rend une loi imprécise dans l’arrêt R c Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 RCS 606 aux pages 626, 627 et 643 [Nova Scotia Pharmaceutical]. La Cour circonscrit plusieurs éléments et résume le tout à la page 643 :

La théorie de l’imprécision peut donc se résumer par la proposition suivante : une loi sera jugée d’une imprécision inconstitutionnelle si elle manque de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire. Cet énoncé de la théorie est le plus conforme aux préceptes de la primauté du droit dans l’État moderne et il reflète l’économie actuelle du système de l’administration de la justice, qui réside dans le débat contradictoire.

[Non souligné dans l’original.]

[528] Dans l’arrêt Canadian Foundation for Children, la Cour suprême du Canada a cité l’arrêt Nova Scotia Pharmaceutical qu’elle avait rendu antérieurement et a réitéré ce qui suit au paragraphe 15 :

[15] Une règle de droit est inconstitutionnellement imprécise si elle « ne constitue pas un fondement adéquat pour un débat judiciaire » et « une analyse », si elle « ne délimite pas suffisamment une sphère de risque » ou si elle « n’est pas intelligible ». La règle de droit doit donner « prise au pouvoir judiciaire » : R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, p. 639-640. La certitude n’est pas requise.

Comme l’a souligné le juge Gonthier dans l’arrêt Nova Scotia Pharmaceutical, précité, p. 638-639,

la conduite est guidée par l’approximation. Le processus d’approximation aboutit parfois à un ensemble assez restreint d’options, parfois à un ensemble plus large. Les dispositions législatives délimitent donc une sphère de risque et ne peuvent pas espérer faire plus, sauf si elles visent des cas individuels.

[Souligné dans l’original.]

[529] Dans l’arrêt Levkovic aux paragraphes 10, 11, 37, 47 et 48, la Cour suprême du Canada a expliqué encore une fois le concept d’imprécision dans le contexte du droit criminel et s’est exprimée comme suit, au paragraphe 10 : « En matière criminelle, la disposition contestée doit prévenir raisonnablement les citoyens des conséquences de leur conduite et limiter le pouvoir discrétionnaire de ceux qui sont chargés de son application ».

[530] La Cour a ajouté, au paragraphe 37, que « [l]a règle de l’imprécision constitutionnelle a pour principal objectif d’assurer l’intelligibilité du droit criminel pour ceux qui sont assujettis à ses sanctions et ceux qui sont chargés de son application ».

[531] L’arrêt Levkovic donne certaines directives, aux paragraphes 47 et 48, quant à la façon de savoir si une loi est imprécise :

[47] Un tribunal ne peut conclure qu’une loi est d’une imprécision inconstitutionnelle qu’après avoir épuisé les possibilités rattachées à sa fonction d’interprétation. Le tribunal « doit d’abord circonscrire tout le contexte interprétatif entourant la disposition attaquée » : Canadien Pacifique, aux para 47 et 79.

[48] Dans le passé, pour circonscrire « tout le contexte interprétatif » d’une disposition, la Cour a considéré : (i) les interprétations judiciaires antérieures; (ii) l’objectif législatif; (iii) le contenu et la nature de la disposition attaquée; (iv) les valeurs sociales en jeu; (v) les dispositions législatives connexes : Canadien Pacifique, aux para 47 et 87.

b) La preuve relative au terme « variante »

[532] Les déposants des demandeurs sont tous d’avis que le terme « variante » n’offre aucune clarté ni aucune certitude. M. Bader a souligné qu’il n’existe aucune définition juridique de ce qu’est une variante et ni de définition généralement reconnue. Il était d’avis que ce terme n’est pas bien compris par l’ensemble des propriétaires d’arme à feu et que, dans l’industrie des armes à feu, « variante » désigne une arme à feu dotée de la carcasse ou de la boîte de culasse non modifiée d’une autre arme à feu.

[533] M. Perreault estimait que le Règlement et les ajouts subséquents au TRAF avaient créé une confusion et une incertitude généralisées. Il a également soulevé l’absence de clarté sur ce qui constitue une variante. Il a mentionné que, depuis la promulgation du Règlement, le site Gunpost.ca a été inondé de demandes de renseignements de la part de ses membres désireux de savoir si les armes qu’ils souhaitaient vendre ou acheter étaient des variantes ou des versions modifiées d’armes à feu prohibées.

[534] Le déposant pour le compte du PGC, M. Smith, a reconnu que le terme « variante » n’est pas défini dans la loi, mais a rappelé qu’il ne s’agissait pas d’un nouveau concept puisqu’il figurait dans les textes réglementaires précédents depuis 1992. Il a souligné également, en donnant plusieurs exemples, que les fabricants utilisent le terme dans leur matériel de marketing. En contre-interrogatoire, M. Smith a nommé trois publications connues sur les armes à feu où on retrouve le mot « variante », sans qu’il soit défini. De plus, les ouvrages sur les armes à feu emploient ce terme, notamment le « Shooters Bible Guide to AR-15s ».

[535] Tout comme M. Bader, M. Smith a souligné qu’il n’existe aucune définition normalisée dans l’industrie des armes à feu.

[536] M. Smith a expliqué que la GRC se fonde sur la définition courante du terme « variante », qui désigne habituellement une arme à feu dont le modèle est inspiré d’une arme d’origine (chef de famille).

[537] M. Smith a souligné que, selon la définition proposée par M. Bader, les variantes de sept des neuf familles n’incluraient que des armes à feu automatiques, car celles de type semi‐automatique expressément énumérées dans le Règlement ne comportent pas la même carcasse ou le même boîtier de culasse que la version automatique d’origine. Il a ajouté que les armes à feu automatiques sont déjà prohibées au Canada et s’est reporté à l’évaluation des variantes de l’AR-15 figurant dans Jane’s Weapons: Infantry ainsi qu’à la politique de la CCDAF relative aux restrictions en matière de chargeurs, qui reconnaît les variantes de l’AR-15. Il a souligné que la définition de M. Bader exclurait certaines variantes nommées.

[538] En contre-interrogatoire, M. Smith a expliqué qu’une variante est une arme à feu dont le modèle est tiré d’un des parents des neuf familles; il a toutefois souligné qu’il ne s’agissait pas de la définition qu’il proposait. Il a répété que la définition appliquée par le PCAF et les SSSAF est tirée des dictionnaires. Il a précisé que le dictionnaire Oxford définit le terme « variante », en anglais, comme étant une forme ou une version d’une chose qui diffère à certains égards d’autres formes de la même chose ou d’une norme. Il a ajouté que la définition du dictionnaire n’est pas le seul facteur sur lequel s’appuie le PCAF pour classer les variantes.

[540] M. Smith a indiqué que le classement des variantes exige une connaissance des armes à feu, qui sert ensuite à établir la lignée d’une arme à feu et à déterminer si cette dernière est liée ou non à une autre arme à feu. À son avis, cette évaluation se fonde sur des données et une logique.M. Smith a expliqué de quelle manière un propriétaire d’arme à feu peut savoir si son arme à feu constitue une variante. Lorsqu’on lui a demandé de décrire le meilleur moyen pour un propriétaire d’arme à feu de déterminer s’il détient une variante non nommée, il a répondu que la plupart des variantes en circulation [traduction] « sont clairement des variantes pour tout le monde » et que la plupart des variantes sont généralement achetées pour cette raison (p. ex. les fusils fondés sur la plate-forme AR). Il a expliqué que, « pour la grande majorité de ces armes à feu et de leurs variantes, la lignée, l’historique et la relation de ces armes à feu avec l’arme à feu d’origine sont bien connus » et que « l’association [entre les deux] est assez simple ».

[541] M. Smith a ajouté que, pour le petit pourcentage d’armes à feu qui ne sont pas des variantes [traduction] « évidentes », les propriétaires d’arme à feu pouvaient communiquer avec le PCAF par téléphone ou par courriel électronique ou bien consulter le contrôleur des armes à feu, les détaillants d’armes à feu ou d’autres ressources.

[542] M. Smith a précisé que les propriétaires d’arme à feu s’adressent effectivement au PCAF pour s’enquérir du classement de leurs armes à feu. Ainsi, durant les six premiers mois de 2021, le PCAF a reçu 1 568 demandes de renseignements au téléphone (une moyenne de 224 appels par mois) et 4 111 demandes de renseignements par courriel (une moyenne de 587 courriels par mois).

c) Le terme « variante » tel qu’il est utilisé dans le Règlement appelle l’application d’une norme intelligible

[543] Les déposants des demandeurs étaient tous d’avis que le terme « variante » n’est pas suffisamment bien compris pour que la sphère de risque soit délimitée ou pour que le propriétaire d’arme à feu puisse vérifier le classement de son arme à feu (savoir s’il s’agit d’une variante d’une arme à feu prohibée). Toutefois, la Cour n’est pas d’avis qu’il est établi par la preuve que le terme « variante » tel qu’il est utilisé dans le Règlement est d’une imprécision inacceptable.

[544] La prétention des demandeurs, soit qu’il n’existe aucune norme intelligible permettant de reconnaître une variante, est contredite par le témoignage de M. Smith, qui a expliqué que les SSSAF doivent prendre plusieurs facteurs en considération lorsqu’ils émettent un avis. Les demandeurs prônent une approche plus étroite et l’ajout d’une définition dans la loi, mais la définition qu’ils proposent exclurait des variantes nommées existantes.

[545] La jurisprudence concernant l’imprécision souligne que la certitude n’est pas requise; il faut déterminer si la loi est intelligible ou délimite suffisamment une sphère de risque.

[546] L’emploi du terme « variante » reste controversé, mais il n’est certainement pas impossible de savoir si une arme à feu est une variante ou de trouver l’information à cette fin. Même s’il peut être difficile de le déterminer dans certains cas, ce n’est pas une impossibilité, contrairement à ce qu’affirment les demandeurs. Le terme « variante » possède un sens courant, et M. Smith a mentionné que les définitions des dictionnaires sont prises en considération par les SSSAF, de même que d’autres éléments, lorsqu’ils classent une variante. Le terme figure d’ailleurs dans les lois depuis au moins trente ans. La jurisprudence limitée sur le sens qu’il faut lui donner porte à croire que la définition courante et l’interprétation habituelle ont été appliquées avec succès. Le terme est également utilisé par l’industrie des armes à feu et dans les publications du domaine, bien que les demandeurs (et M. Smith) aient souligné l’absence de consensus au sujet de la définition à lui donner dans ce contexte.

[547] Les variantes nommées dans le Règlement ne soulèvent aucune préoccupation relative à l’imprécision. Le Code criminel et le Règlement sont accessibles et clairs. Le Règlement a été communiqué directement aux propriétaires d’armes à feu enregistrées et a un public plus large. Les propriétaires et les entreprises d’armes à feu sont censés connaître la loi. En outre, les demandeurs ont affirmé plusieurs fois qu’ils sont [traduction] « trop réglementés », mais ils soulignent qu’ils sont respectueux des lois.

[548] Pour ce qui est des variantes non nommées, la preuve ne permet pas de conclure que la norme est inintelligible ou que la sphère de risque n’est pas suffisamment délimitée. La certitude absolue n’est pas requise.

[549] M. Smith a expliqué que bon nombre de variantes sont évidentes et que les fabricants utilisent ce terme dans leur matériel de marketing. Il a décrit aussi comment un propriétaire d’arme à feu pourrait savoir qu’il possède une variante : il pourrait entre autres communiquer, par téléphone ou par courriel, avec le centre d’appels du PCAF, le détaillant qui lui a vendu l’arme à feu ou le fabricant. De plus, le propriétaire d’arme à feu peut se reporter au chef de famille de son arme à feu et à la liste des armes à feu expressément nommées comme variantes, ce qui lui permettrait de savoir si son arme à feu est une variante non nommée.

[550] En cas de doute, les propriétaires d’arme à feu pourraient se tourner vers plusieurs ressources pour s’informer, notamment le TRAF. Celui-ci vise à aider les propriétaires d’arme à feu à savoir si leur arme à feu, de l’avis des SSSAF, est une variante d’une arme à feu prohibée. Comme il est indiqué plus haut, les entreprises d’armes à feu peuvent prendre connaissance du TRAF en format PDF et en ligne. Les déposants des demandeurs ont fait valoir qu’il est difficile de consulter le TRAF en raison de sa taille, mais rien ne permet de croire qu’il est inaccessible.

[551] Le déposant des demandeurs, M. Perreault, a mentionné que des demandes de renseignements sont envoyées au site Gunpost.ca, ce qui montre que les propriétaires d’arme à feu cherchent à savoir si leur arme à feu est prohibée. M. Smith a également présenté des statistiques relatives aux demandes de renseignements adressées au PCAF.

[552] Face aux inquiétudes exprimées par les propriétaires d’arme à feu au sujet des variantes non nommées, la solution ne consiste pas à limiter le Règlement aux seules variantes nommées. Si toutes les variantes étaient nommées dans le Règlement, aucune nouvelle variante ne pourrait être classée comme étant prohibée tant que le Règlement ne serait pas modifié. Il pourrait être possible de modifier le Règlement plus souvent, ce qui semble avoir été envisagé par le législateur, mais il y aurait quand même un vide, puisqu’il se peut qu’un grand nombre de nouvelles armes à feu arrivent sur le marché bien avant que le Règlement soit mis à jour.

d) L’énoncé « [l]es armes à feu des modèles [...] qui comportent des variantes ou qui ont subi des modifications [...], y compris les armes à feu suivantes [liste] » ne présente pas une liste exhaustive

[553] L’argument des demandeurs selon lequel les tribunaux n’ont pas offert d’interprétation définitive du terme « y compris » se fonde sur une interprétation de l’arrêt Cochrane, au paragraphe 51, qui porte sur les mots isolés du contexte plus large. Dans cet arrêt, la Cour d’appel de l’Ontario n’a pas conclu que le terme « includes » (« y compris ») souffre toujours d’imprécision, comme l’affirment les demandeurs. Elle a d’abord statué comme suit, au paragraphe 51 : [traduction] « [l]e critère d’analyse de l’imprécision est l’absence d’intelligibilité, pas la redondance, et la répétition de termes ne rend pas la définition inconstitutionnelle ». Quant au terme « includes », la Cour d’appel a déclaré que « puisque le terme « includes » est susceptible de créer une définition qui présente une imprécision inacceptable, il est préférable d’en restreindre la portée en disant qu’il présente une liste exhaustive plutôt que de le déclarer inapplicable ».

[554] L’emploi dans le Règlement du terme « y compris » dans la phrase « qui comportent des variantes ou ont subi des modifications, [...] y compris [...] » n’est pas susceptible de créer une définition d’une imprécision inacceptable. Le libellé, interprété dans son contexte, est intelligible, et l’intelligibilité est le critère à appliquer.

[555] Qui plus est, on considère généralement que les termes « y compris » ou « notamment » ne présentent pas une liste exhaustive. Comme l’a souligné le PGC, dans l’arrêt R c McColman, 2023 CSC 8 au paragraphe 38, la Cour suprême du Canada s’est reportée à l’ouvrage Sullivan on the Construction of Statutes, qui est fréquemment cité :

En anglais, les définitions exhaustives commencent généralement par le verbe « means », alors que les définitions non exhaustives sont précédées du verbe « includes » : (Sullivan, aux pp 69-70).

(Voir également Canada (Procureur général) c Igloo Vikski, 2016 CSC 38 au para 50; United Taxi Drivers’ Fellowship of Southern Alberta c Calgary (Ville), 2004 CSC 19 au para 14.)

[556] Notre Cour considère que cette explication du terme « includes » (notamment, y compris ou comprend) concorde avec le sens courant qu’on lui donne, soit qu’il précède une liste non exhaustive. Dans le contexte global, le terme « y compris » dans le Règlement laisse entendre que d’autres variantes non énumérées pourraient être identifiées et qu’elles seraient alors aussi prohibées.

[557] Si le gouverneur en conseil avait voulu désigner comme étant prohibées seulement les armes à feu nommées dans le Règlement, il aurait employé des termes différents. Le libellé actuel est utilisé dans le Règlement depuis 1992.

[558] Contrairement à ce qu’avancent les demandeurs, la longueur de la liste de variantes nommées de certains chefs de famille ne permet pas de conclure que la liste est exhaustive; rien n’appuie cette interprétation.

[559] Comme il est indiqué plus haut, si la liste était considérée comme exhaustive, la notion de variantes serait évacuée du Règlement, puisque toutes les armes à feu prohibées seraient énumérées et qu’il faudrait attendre une modification réglementaire ultérieure pour assujettir au Règlement toute nouvelle arme à feu apparemment semblable.

e) Les prohibitions fondées sur le diamètre de l’âme et l’énergie initiale ne sont pas imprécises

[560] Le déposant des demandeurs, M. O’Dell, a expliqué que la notion de diamètre de l’âme n’est pas connue de la plupart des civils et que ce diamètre n’est pas facile à établir, car la mesure nécessite l’utilisation d’instruments de précision et une certaine habileté. Il a ajouté que ce diamètre peut varier, même pour un même type d’arme à feu.

[561] M. O’Dell était d’avis qu’il est presque impossible pour un propriétaire d’arme à feu de savoir si le diamètre de l’âme de son fusil de chasse de calibre 10 ou 12 dépasse 20 mm et a affirmé que l’interdiction d’une arme à feu en fonction du diamètre de l’âme dépend de l’endroit où cette mesure est prise et de la manière dont elle est effectuée.

[562] M. Bader a également souligné la complexité de la mesure du diamètre de l’âme en précisant que le propriétaire moyen d’arme à feu n’aurait pas accès aux outils de précision nécessaires.

[563] M. Bader est d’avis que la plupart– voire la totalité – des fusils de chasse de calibre 10 ou 12 sont désormais prohibés, car le diamètre de leur chambre dépasse 20 mm.

[564] M. Perreault a également indiqué que la mesure de l’âme nécessite des outils et des compétences spécifiques, que le diamètre de l’âme peut varier, notamment lorsque les armes comportent un dispositif d’étranglement, et qu’il n’existe aucune directive permettant de savoir si l’âme doit être mesurée avec ou sans ce dispositif. M. Smith a mis en doute l’opinion exprimée par les déposants des demandeurs quant au fait que le diamètre de l’âme soit compliqué ou difficile à mesurer.M. Smith a précisé que, d’après le PCAF, le diamètre de l’âme doit être mesuré conformément à la définition de l’Association of Firearm and Tool Mark Examiners (dimensions internes du canon, devant la chambre, mais avant le dispositif d’étranglement) et que cette définition figure dans un avis affiché sur le site Web du PCAF. Il a reconnu que le glossaire du TRAF peut faire penser à un lecteur que le dispositif d’étranglement fait partie de l’âme, mais que ce glossaire n’est pas déterminant. Sur le site Web du PCAF, on explique comment mesurer l’âme, et c’est sur cette explication que les SSSAF se fondent.

[565] M. Smith a déclaré que, selon la définition historique du diamètre de l’âme, les présomptions de MM. Bader et O’Dell, d’après lesquelles la limite de 20 mm s’applique à tous les points le long de l’âme, sont erronées.

[566] En contre-interrogatoire, M. Smith a précisé que l’âme d’une arme à feu désigne la surface interne du canon, hormis la chambre, le cône de raccordement et le dispositif d’étranglement, entre autres (autrement dit, d’après le PCAF, le dispositif d’étranglement ne fait pas partie de l’âme).

[567] M. Smith a expliqué comment l’âme peut être mesurée en soulignant que, plus le calibre d’un fusil de chasse est fort, plus son âme est petite. Il a ajouté que le calibre est lié à l’âme (ce qui est enseigné durant le Cours canadien de sécurité dans le maniement des armes à feu), que tout calibre inférieur à 10 se rapporte à un diamètre d’âme nominal supérieur à 20 mm et que, dans le cas des fusils de chasse, les propriétaires n’ont qu’à vérifier le poinçon estampé sur le canon pour connaître le calibre.

[568] M. Smith a expliqué aussi que, dans le cas des fusils, le diamètre de l’âme est fondé sur le calibre, ce dernier étant généralement estampé sur l’arme à feu, mais que, dans les rares cas où il ne l’est pas, le propriétaire aurait besoin d’aide pour l’établir ou mesurer l’âme; il pourrait s’adresser à des sources externes, comme le site Web du fabricant, le vendeur, un armurier ou le PCAF.

[569] Selon M. Smith, tous les types d’armes à feu de chasse présentent une âme de moins de 20 mm de diamètre et les calibres supérieurs sont presque exclusivement employés à des fins militaires.

[570] Quant à l’interdiction d’armes à feu en fonction de l’énergie initiale, MM. O’Dell, Bader et Perreault ont indiqué que, pour calculer l’énergie initiale, il faut connaître la masse du projectile et la vitesse à laquelle il sort de la bouche; ils ont expliqué que ces deux variables sont difficiles à calculer et que plusieurs facteurs influent sur les calculs, dont la température, l’humidité et l’altitude.

[571] M. Smith a répondu que les propriétaires peuvent connaître l’énergie initiale des munitions en consultant notamment des sites Web sur les armes à feu, dont ceux de fabricants.

[572] M. Smith a aussi expliqué qu’il ne connaissait aucun calibre produisant une énergie proche de la limite de 10 000 joules qui pourrait dépasser cette limite en raison des variables mentionnées par M. O’Dell (p. ex., la température), et que toute variation serait très minime.

[573] En contre-interrogatoire, M. Smith a souligné que certaines armes militaires et de rares fusils conçus pour la chasse au gros gibier africain (éléphants, rhinocéros, etc.) produisent une énergie initiale supérieure à 10 000 joules et qu’une telle énergie n’est pas nécessaire pour chasser au Canada.

[574] La Cour est d’avis que les interdictions fondées sur le diamètre de l’âme et l’énergie initiale ne sont pas imprécises; elles sont intelligibles et constituent un guide suffisant pour un débat judiciaire (Nova Scotia Pharmaceutical) tout en donnant un avertissement raisonnable.

[575] La Cour n’est pas non plus convaincue que les propriétaires d’arme à feu ne savent pas quel est le diamètre de l’âme de leur arme à feu ou son énergie initiale ou qu’ils ne se renseigneraient pas à ce sujet. S’ils ne disposaient pas de cette information, ils pourraient vérifier ces deux caractéristiques de plusieurs façons.

[576] Les demandeurs se sont attardés longuement sur la question de savoir si l’âme est mesurée avec ou sans le dispositif d’étranglement et sur la confusion entraînée par un gazouillis du ministre de la Sécurité publique au sujet des fusils de chasse de calibres 10 et 12.

[577] La définition du diamètre de l’âme utilisée dans le PCAF correspond à celle de l’Association of Firearm and Tool Mark Examiners et s’appuie sur une mesure effectuée devant la chambre, mais avant le dispositif d’étranglement. M. Smith a expliqué que cette définition est celle du PCAF, semblable à celle qui a été décrite par M. Bader, et que celle du glossaire du TRAF n’a pas été employée. Il a abordé la question de l’interdiction potentielle des fusils de chasse de calibres 10 et 12 en soulignant qu’aucune arme à feu dont l’âme mesure plus de 20 mm ne serait utilisée pour chasser, de toute façon.

[578] Pour ce qui est de l’énergie initiale, l’interdiction n’est pas inintelligible puisque cette valeur peut être déterminée. De toute manière, selon la preuve qui m’a été présentée, cette interdiction n’aurait pas d’incidence sur les armes à feu utilisées au Canada pour la chasse et le sport. De plus, la modification de l’énergie initiale nécessiterait énormément d’efforts et de temps.

[579] M. Smith a répondu à l’argument de M. O’Dell, d’après lequel plusieurs facteurs influent sur l’énergie initiale, en soulignant que l’incidence de toute variable serait à son avis très faible. De plus, contrairement à l’opinion exprimée par M. O’Dell, toute modification visant à produire une énergie initiale supérieure à 10 000 joules nécessiterait bien plus que quelques heures de travail et se révélerait difficile à réaliser, ce qui est généralement reconnu. Comme l’a souligné le PGC, dans l’arrêt R c Hasselwander, [1993] 2 RCS 398 à la page 416, la Cour suprême du Canada a analysé le sens du terme « pouvant » et a conclu qu’il « devrait signifier pouvant être transformée en une arme automatique en un laps de temps assez court et avec assez de facilité ». Les éléments de preuve qui m’ont été présentés me portent à croire que la conversion de l’énergie initiale ne répondrait pas à ce critère.

f) Le Règlement n’a pas une portée excessive

[580] Au paragraphe 123 de l’arrêt Bedford, la Cour suprême a expliqué le sens des trois notions, soit le caractère arbitraire, la portée excessive et la disproportion, en soulignant qu’elles supposent la comparaison de l’atteinte aux droits avec l’objectif de la loi; elle a précisé que l’analyse est qualitative et non quantitative, et « [qu’]un effet totalement disproportionné, excessif ou arbitraire sur une seule personne suffit pour établir l’atteinte au droit garanti à l’art. 7 ».

[581] Dans l’arrêt R c Ndhlovu, 2022 CSC 38, au paragraphe 77, la Cour suprême a expliqué ce qui suit :

Une disposition a une portée excessive lorsqu’elle s’applique largement au point de viser certains actes qui n’ont aucun lien avec son objet, ce qui la rend en partie arbitraire (Canada (Procureur général) c. Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101, par. 112). En d’autres termes, il y a portée excessive lorsqu’il n’existe aucun lien rationnel entre l’objet de la disposition et certains de ses effets, mais pas tous (par. 112).

[582] L’expression utilisée dans le Règlement, soit « les armes à feu des mêmes modèles qui comportent des variantes ou qui ont subi des modifications, y compris les armes à feu [...] suivantes [...] », n’a pas une portée excessive au point de viser des actes qui n’ont aucun lien avec l’objet du Règlement, soit de restreindre la possession des armes à feu qui y sont désignées afin de contrer les dommages importants qui pourraient découler de leur utilisation, notamment dans des fusillades de masse, et aussi, plus généralement, afin de mieux protéger la sécurité publique (comme le précise le REIR).

[583] Le REIR et le témoignage de M. Koops décrivent plusieurs fusillades de masse impliquant des armes à feu désormais prohibées ou du même type que des armes qui sont maintenant prohibées puis font état du danger inhérent que posent les armes à feu prohibées. L’interdiction de ces types d’arme à feu a un lien rationnel avec l’objectif du Règlement.

[584] Comme l’a mentionné le PGC, il existe des preuves montrant que les propriétaires d’arme à feu titulaires de permis se sont livrés à des actes de violence au moyen d’une arme à feu. M. Giltaca, déposant des demandeurs, a convenu en contre‐interrogatoire que des propriétaires légitimes d’arme à feu avaient commis des actes de violence. Les demandeurs ont également admis que toute arme à feu présente un danger inhérent.

[585] Les demandeurs font valoir que la réglementation en vigueur est suffisante, qu’ils sont des citoyens respectueux des lois et prudents et que certaines des armes à feu désormais prohibées ne sont pas des armes de type arme d’assaut ou militaire, mais ces arguments ne permettent pas de conclure que le Règlement a une portée excessive. Le Règlement cible les armes à feu parce que ce sont elles qui peuvent causer des dommages importants, indépendamment de leur propriétaire.

g) Le Règlement n’est pas arbitraire

[586] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Bedford, 2013 CSC 72 [Bedford], la Cour suprême du Canada a expliqué au paragraphe 111 le critère pour déterminer si une disposition est arbitraire :

[111] Déterminer qu’une disposition est arbitraire ou non exige qu’on se demande s’il existe un lien direct entre son objet et l’effet allégué sur l’intéressé, s’il y a un certain rapport entre les deux. Il doit exister un lien rationnel entre l’objet de la mesure qui cause l’atteinte au droit garanti à l’art. 7 et la limite apportée au droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne (Stewart, p. 136). La disposition qui limite ce droit selon des modalités qui n’ont aucun lien avec son objet empiète arbitrairement sur ce droit. Ainsi, dans Chaoulli, la Cour juge les dispositions arbitraires parce qu’interdire l’assurance maladie privée n’a aucun rapport avec l’objectif de protéger le système de santé public.

[Non souligné dans l’original.]

[587] Les demandeurs affirment que l’absence de définition, ou une définition incertaine de ce qu’est une variante, mène à un processus décisionnel au cas par cas et à une application arbitraire de la loi. Cependant, notre Cour a jugé que le terme « variante » dans le Règlement ne présente pas une imprécision inacceptable. En outre, l’ajout d’une variante au TRAF s’appuie sur l’avis des SSSAF. Il appartient au tribunal de déterminer, lorsqu’une personne est inculpée, si une arme à feu constitue une variante prohibée. Divers facteurs entrent en ligne de compte lorsqu’il s’agit de décider de déposer des accusations.

[588] Il y a un lien rationnel entre l’objectif du Règlement et la restriction au droit à la liberté des propriétaires d’arme à feu. Les mêmes motifs exposés au sujet de la portée excessive s’appliquent dans l’analyse du caractère arbitraire.

(4) Toute contravention à l’article 7 constitue une limite raisonnable justifiée au titre de l’article premier

[589] Subsidiairement, s’il est erroné de conclure que le Règlement ne contrevient pas à l’article 7 (c’est-à-dire que le Règlement porte atteinte au droit à la liberté des propriétaires d’arme à feu d’une manière qui n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale), la Cour est d’avis que cette atteinte est une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer au regard de l’article premier.

[590] Dans l’arrêt Bedford, la Cour suprême du Canada a expliqué, au paragraphe 126, comment l’article 7 et l’article premier fonctionnent de différentes manières :

[126] En raison des considérations différentes qui président à leur application, l’art. 7 et l’article premier opèrent différemment. Suivant l’article premier, il incombe à l’État de démontrer que la disposition attentatoire peut être justifiée par l’objectif du législateur. Parce que la question est celle de savoir si l’intérêt public général justifie l’atteinte aux droits individuels, l’objectif doit être urgent et réel. Le volet de l’analyse fondée sur l’article premier qui porte sur l’existence d’un « lien rationnel » consiste à déterminer si, pour le législateur, la disposition représente un moyen rationnel d’atteindre son objectif. Le volet relatif à l’« atteinte minimale » établit si le législateur aurait pu concevoir une disposition moins attentatoire; il s’intéresse aux solutions de rechange raisonnables qui s’offrent au législateur. À l’étape finale de l’analyse fondée sur l’article premier, le tribunal soupèse l’effet préjudiciable de la disposition sur les droits des personnes et son effet bénéfique sur la réalisation de son objectif dans l’intérêt public supérieur. L’effet est apprécié sur les plans qualitatif et quantitatif. À la différence d’un demandeur individuel, l’État est bien placé pour présenter une preuve relevant des sciences humaines ainsi que le témoignage d’experts qui justifient les répercussions d’une disposition sur l’ensemble de la société.

[591] Dans l’arrêt Carter, au paragraphe 94, la Cour suprême du Canada a procédé à la même analyse :

[94] Pour justifier, en vertu de l’article premier de la Charte, l’atteinte aux droits que reconnaît l’art. 7 aux appelants, le Canada doit démontrer que l’objet de la loi est urgent et réel et que les moyens choisis sont proportionnels à cet objet. Une loi est proportionnée à son objet si (1) les moyens adoptés sont rationnellement liés à cet objet, (2) elle porte atteinte de façon minimale au droit en question, et (3) il y a proportionnalité entre les effets préjudiciables et les effets bénéfiques de la loi : R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103.

[592] La Cour suprême du Canada a formulé une mise en garde en précisant qu’il est difficile de justifier une violation de l’article 7, mais que ce n’est pas impossible.

[593] Au paragraphe 95 de l’arrêt Carter, la Cour s’est exprimée en ces termes :

[95] Il est difficile de justifier une violation de l’art. 7 : voir Renvoi relatif à la Motor Vehicle Act, p. 518; G. (J.), par. 99. Les droits protégés par l’art. 7 sont fondamentaux et « peuvent difficilement être supplantés par des intérêts sociaux divergents » (Charkaoui, par. 66). Et il est difficile de justifier une loi qui va à l’encontre des principes de justice fondamentale et qui est de ce fait intrinsèquement lacunaire (Bedford, par. 96). Cependant, il peut arriver parfois que l’État soit en mesure de démontrer que le bien public — une question ne relevant pas de l’art. 7, qui tient uniquement compte de l’effet de la loi sur les personnes revendiquant les droits — justifie que l’on prive une personne de sa vie, de sa liberté ou de sa sécurité en vertu de l’article premier de la Charte. Plus particulièrement, dans des cas comme celui en l’espèce où les intérêts opposés de la société sont eux-mêmes protégés par la Charte, une restriction aux droits garantis par l’art. 7 peut, en fin de compte, être jugée proportionnée à son objectif.

[594] C’est ce que la Cour a réitéré dans l’arrêt Safarzadeh‐Markhali, où elle cite l’arrêt Carter en ajoutant, au paragraphe 57, qu’une disposition peut toutefois être sauvegardée par l’État au nom de « l’intérêt public ou des intérêts opposés de la société qui sont eux-mêmes protégés par la Charte » et que, « en cas d’atteinte à l’art. 7, les tribunaux peuvent, sur le fondement de l’article premier, faire preuve de déférence vis-à-vis du législateur lorsque, par exemple, la règle de droit en cause constitue une “mesure réglementaire complexe” à un problème social : Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567, par. 37 ».

a) L’objectif du Règlement est urgent et réel

[595] L’objectif du Règlement est décrit dans le REIR, dont il a été abondamment question ci‐dessus aux paragraphes 62 à 83. En bref, le Règlement désigne des armes à feu qui ne peuvent raisonnablement être utilisées au Canada pour la chasse ou le sport en raison de leurs caractéristiques de base et de leur capacité à causer des blessures graves, notamment celle de blesser des humains en grand nombre dans un court laps de temps. Le REIR ainsi que les témoignages de M. Koops et du professeur Brown soulignent que des armes à feu de modèles maintenant prohibés ont été utilisées dans des fusillades de masse.

[596] En plus de l’information fournie dans le REIR relativement aux fusillades de masse et du témoignage du professeur Brown, qui a présenté une chronologie des fusillades de masse au Canada et à l’étranger où il précisait certains des modèles d’armes à feu utilisées, M. Koops cite une présentation faite par Statistique Canada au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense en 2019, qui fait état d’une augmentation des crimes violents liés aux armes à feu au Canada. La preuve confirme que la violence liée aux armes à feu, dont les fusillades de masse, constitue un grave problème de sécurité publique.

[597] Dans son témoignage, M. Koops mentionne aussi les appels à d’autres réformes et l’engagement du gouvernement à renforcer la sécurité publique par d’autres mesures.

b) Les moyens choisis sont proportionnels à l’objectif

[598] Dans l’arrêt Whatcott, la Cour suprême du Canada a expliqué au paragraphe 78 que la proportionnalité n’exige pas la perfection :

[78] Il faut ensuite nous demander si l’al. 14(1)(b) du Code est proportionné à l’objectif recherché, Sur ce point, la perfection n’est pas exigée. Il faut plutôt faire preuve d’une grande retenue à l’égard de l’approche suivie par le législateur. Ainsi que la juge en chef McLachlin l’a expliqué dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. JTI Macdonald Corp., 2007 CSC 30, [2007] 2 R.C.S. 610 (« JTI »), par. 41 : « Il se peut qu’il ne soit pas simple ou facile de trouver des solutions efficaces à des problèmes sociaux complexes [...] Il peut y avoir lieu de débattre de ce qui fonctionnera ou ne fonctionnera pas, et il est possible que le résultat ne soit pas mesurable du point de vue scientifique. » Il faut se demander si le législateur a choisi l’une des diverses solutions raisonnables qui s’offraient : R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, p. 781 783; Irwin Toy, p. 989; JTI, par. 43. JTI, par. 43.

c) Le lien rationnel

(i) La preuve

[599] Le déposant des demandeurs, le Dr Caillin Langmann, est urgentologue. Il a étudié les causes de la violence par arme à feu et les moyens qui peuvent être pris pour atténuer cette forme de violence au Canada.

[600] Le Dr Langmann estime qu’aucun élément de preuve fiable ne permet d’étayer l’objectif du Règlement selon lequel l’interdiction de certaines armes à feu réduira la fréquence ou la gravité des fusillades de masse. S’appuyant sur ses propres recherches sur les homicides de masse, qui n’ont révélé aucun lien entre la réglementation des armes à feu et les homicides de masse survenus au Canada entre 1974 et 2010, le Dr Langmann conclut que la législation canadienne visant à réglementer et à contrôler la possession et l’acquisition d’armes à feu n’a pas d’effet correspondant sur les taux d’homicide et de suicide. Il souligne que plusieurs facteurs sont associés aux taux d’homicide et de suicide mais qu’aucun n’est lié au fait que l’arme à feu est légalement accessible. Il ajoute que la réglementation des armes à feu ne semble empêcher personne de se procurer une arme à feu et de commettre un crime.

[601] Le Dr Langmann décrit également l’expérience de l’Australie en matière de programmes de rachat d’armes à feu et celle des États-Unis pour ce qui est de l’interdiction des armes à feu de style arme d’assaut. Il conclut que ces mesures n’ont pas eu d’effet notable sur les taux d’homicide et de victimisation.

[602] Le Dr Langmann critique la recherche du professeur Chapman à plusieurs égards, notamment le fait que les données présentées ne sont pas statistiquement significatives et que les auteurs cités ont utilisé leurs propres critères pour déterminer que les fusillades de masse sont celles qui comptent cinq décès ou plus, au lieu de trois décès ou plus.

[603] Le professeur Mauser, criminologue, est aussi d’avis que le Règlement n’aura pas de répercussions sur la sécurité publique et les crimes violents commis avec des armes à feu. Il présente ses propres analyses statistiques à l’appui. Il souligne en particulier que les crimes commis avec des armes à feu représentent moins de la moitié de tous les crimes signalés par les services de police et que les armes à feu ne sont impliquées que dans 3 % des crimes violents.

[604] Le professeur Mauser attribue les crimes commis avec des armes à feu aux activités des gangs, en s’appuyant sur des statistiques qui indiquent que 47 % des crimes commis avec des armes à feu sont liés à des gangs et que 87 % des actes criminels perpétrés par les gangs sont liés à des armes à feu. Il ajoute que la plupart des armes à feu utilisées dans des homicides sont détenues illégalement.

[605] Selon le professeur Mauser, il n’existe pas de preuve statistique que les armes à feu visées par le Règlement ou les armes d’épaule, quel qu’en soit le type, sont utilisées de manière [traduction] « disproportionnée » dans des infractions criminelles. Il estime que les propriétaires d’armes à feu acquises légalement ne constituent pas un risque pour la sécurité publique. Il cite à cet égard les données de Statistique Canada (2016) selon lesquelles les titulaires de permis d’arme à feu sont moins susceptibles de commettre un meurtre que les autres membres de la population canadienne.

[606] Le déposant du PGC, le professeur Chapman, présente des renseignements sur les mesures prises par l’Australie relativement aux armes à feu de même que sur les changements sociaux et les résultats en matière de santé qui en découlent. Il souligne que, durant les deux décennies qui ont suivi la réforme de la législation australienne sur les armes à feu, aucun homicide par arme à feu n’a entraîné la mort de cinq personnes ou plus (à l’exclusion des auteurs). À son avis, il faut comparer ce chiffre aux 18 années qui ont précédé la réforme législative, au cours desquelles 13 homicides de ce genre ont été perpétrés.

[607] En réponse au reproche formulé par le Dr Langmann à son endroit, concernant le fait qu’il a utilisé une définition différente de la notion de « fusillade de masse », le professeur Chapman explique qu’il n’y avait aucune définition normalisée lorsqu’il a publié sa première étude (sur la première décennie) et qu’il a conservé la même définition (cinq victimes ou plus) dans son étude de suivi (sur les deux premières décennies), bien que la caractérisation la plus couramment utilisée des fusillades de masse soit passée à quatre victimes ou plus. S’il avait adopté la définition basée sur quatre victimes ou plus, affirme-t-il, le nombre d’homicides de masse par arme à feu passerait de zéro à un pour les deux premières décennies ayant suivi la réforme de la législation.

[608] Le professeur Chapman a ajouté que le Federal Bureau of Investigation (FBI) des États‐Unis n’a jamais utilisé une définition qui inclurait trois morts ou plus. Il a souligné que le Dr Langmann n’avait pas dûment appliqué la définition basée sur trois décès ou plus dans ses propres recherches puisqu’il avait inclus l’auteur de la fusillade dans un incident, qu’il avait mentionné un autre cas où le décès n’a pas été causé par une arme à feu et un autre où le décès avait été causé accidentellement par un policier.

[609] Le professeur Chapman a mentionné un constat fortuit de sa recherche, soit que le taux de décès par homicide ou par suicide commis au moyen d’une arme à feu a diminué plus rapidement après la réforme législative.

[610] Le professeur Chapman a répondu aux critiques du Dr Langman envers les études publiées dans le Journal of the American Medical Association. Il reconnaît qu’une interdiction des armes de poing ou des fusils de style arme d’assaut ne réduira peut-être pas suffisamment le nombre de décès attribuables à des fusillades de masse pour faire baisser significativement le nombre total de décès liés aux armes à feu au Canada et souligne que les décès en Australie résultant de ces fusillades ne représentaient que 0,71 % des morts non accidentelles causées par une arme à feu avant la réforme de la législation.

[611] Le professeur Chapman a expliqué qu’il peut s’avérer difficile de comparer les répercussions des interventions dans des pays différents. Il a convenu qu’il est ardu de recenser les mesures exactes de la réforme australienne qui ont contribué aux excellents résultats obtenus, mais il a affirmé que la réduction importante de l’exposition de la population à des armes d’épaule semi-automatiques capables d’utiliser des chargeurs de grande capacité a [traduction] « probablement joué un rôle clé ». Il a expliqué que la réforme législative visait à réduire le risque de fusillades de masse et non pas le nombre total d’homicides ou de suicides. Selon lui, même si les fusillades de masse étaient rares en Australie avant la réforme de la législation, il est statistiquement très improbable que la réduction observée après la réforme soit simplement le fait du hasard.

[612] Le professeur Klarevas a décrit les mesures prises aux États-Unis et a affirmé que l’utilisation d’armes à feu de style arme d’assaut lors de fusillades de masse dans ce pays était disproportionnée comparativement au nombre de propriétaires qui en possèdent.

[613] Notamment, le professeur Klarevas a souligné que les fusillades de masse commises avec des armes à feu de style arme d’assaut sont plus meurtrières et que ce type d’arme a été utilisé dans sept des dix fusillades de masse qui ont causé le plus de morts aux États-Unis. Les armes à feu de style arme d’assaut sont associées à une hausse du nombre moyen de morts dans les fusillades de masse aux États-Unis, qui a atteint plus de 70 % entre 1980 et 2019 et plus de 140 % entre 2010 et 2019.

[614] Selon le professeur Klarevas, l’interdiction des armes à feu de style arme d’assaut vise principalement à dissuader toute personne de commettre des fusillades de masse en l’empêchant de se procurer l’arme de son choix ou d’utiliser des armes plus meurtrières.

[615] Le professeur Klarevas a signalé que la plupart des études scientifiques, mais pas toutes, portant sur l’interdiction fédérale américaine et sur les interdictions imposées par les États (le cas échéant) constatent des réductions importantes de la violence et des décès liés aux fusillades de masse.

[616] Ainsi, sur les 152 fusillades de masse qui se sont produites aux États-Unis entre 1980 et 2019, il y en avait eu 82 perpétrées avec des armes à feu acquises légalement ou prises dans des résidences auxquelles les tireurs avaient légalement accès (29 avaient été acquises illégalement et 41 étaient d’origine inconnue). Le professeur Klarevas en a conclu que la tendance des auteurs de tueries de masse à utiliser des armes à feu légales laisse penser que l’interdiction des armes à feu de style arme d’assaut peut réduire les fusillades de masse.

[617] Le professeur Klarevas a contesté l’affirmation du professeur Mauser suivant laquelle aucune étude réalisée en dehors du Canada n’a établi que le contrôle des armes à feu fait baisser les crimes violents ou les suicides. Selon lui, il y a bel et bien des études qui montrent des réductions aux États-Unis.

[618] Le professeur Klarevas a réfuté aussi la définition de fusillade de masse du Dr Langmann basée sur trois morts ou plus. Il a indiqué qu’il ne connaissait qu’une seule étude utilisant cette définition et que les chercheurs américains se fondent sur un seuil de quatre ou de six victimes.

(ii) Les critiques des demandeurs à l’endroit des déposants du PGC ne sont pas convaincantes

[619] Les demandeurs mettent en doute les éléments de preuve déposés par le PGC pour montrer que le Règlement aura une incidence. Le PGC conteste de son côté les éléments de preuve présentés par les déposants pour montrer que le Règlement n’aura aucun effet sur la sécurité publique ou, plus précisément, qu’il ne réduira pas les fusillades de masse. Comme il est mentionné plus haut, le PGC aussi bien que les demandeurs affirment que les experts de l’autre partie ne sont pas neutres et défendent des intérêts particuliers.

[620] Les déposants des demandeurs semblent passer outre aux constatations plus larges et centrent leurs reproches à l’endroit des déposants du PGC sur des aspects limités de leurs recherches, plus précisément celles des professeurs Chapman et Klarevas. Il n’est pas justifié de discréditer une étude parce qu’elle se fonde sur une définition de la fusillade de masse basée sur trois décès ou plus, dans la mesure où elle présente une cohérence interne. Le professeur Chapman a expliqué pourquoi il avait utilisé la même définition dans ses propres études visant des périodes différentes. Qui plus est, le fait que trois ou cinq personnes meurent dans une fusillade de masse revient à minimiser les dommages causés par un incident ayant fait moins de victimes. Le Règlement vise à réduire les dommages causés par les fusillades de masse – pas juste les homicides – et ce, indépendamment du nombre de morts. En fait, idéalement, le but est qu’il n’y ait pas de victime.

[621] Les doutes exprimés par les demandeurs quant à l’importance statistique des constatations du professeur Chapman constituent des critiques microscopiques à l’égard d’un résultat qu’il a qualifié de fortuit.

[622] Les déposants des demandeurs réfutent également différentes interprétations de ce qu’est une arme à feu « de style arme d’assaut », mais ce n’est pas non plus une raison justifiant de discréditer la recherche. Le Règlement désigne des armes à feu en fonction de la marque et du modèle ou du nom, pas de façon générique. Le REIR et d’autres documents utilisent l’expression « de style arme d’assaut » comme description générale. Le type d’arme à feu dont il est question dans les études est clair et s’apparente aux armes à feu qui sont désignées dans le Règlement.

[623] Les professeurs Chapman et Klarevas ont répliqué aux critiques visant les définitions de « fusillades de masse » de même que le qualificatif « style arme d’assaut » et soutenu que les réformes qu’ils ont examinées avaient eu des effets.

[624] L’allégation des demandeurs au sujet de la partialité de la Dre Ahmed semble fondée sur le fait qu’elle défend des intérêts particuliers, rôle qu’elle a dévoilé et qui est appuyé par de nombreux médecins. En qualité de médecin qui traite des victimes, la Dre Ahmed est intéressée par la question parce qu’elle souhaite voir baisser le nombre de victimes; elle ne possède aucun intérêt personnel ou économique dans l’issue de la demande en l’espèce.

[625] Bon nombre des déposants des demandeurs semblent aussi avoir des intérêts particuliers en tant que propriétaires d’arme à feu ou personnes militant en faveur d’un contrôle moindre des armes à feu. Les recherches des experts des demandeurs semblent porter principalement sur les taux d’homicides et de suicides plus étroitement de même que sur les utilisateurs des armes à feu. Les déposants des demandeurs ne se sont pas attardés à la réduction de la gravité des dommages causés par des fusillades de masse.

[626] En fin de compte, aucun des témoignages des experts n’établit de façon concluante que le Règlement atteindra son objectif ou qu’il ne l’atteindra pas.

d) Le lien rationnel est établi

[627] Dans l’arrêt Harper c Canada (Procureur général), 2004 CSC 33 au paragraphe 77 [Harper], la question était de savoir si la disposition en cause portait atteinte à la liberté d’expression et si cette atteinte était justifiée. La Cour suprême du Canada a expliqué ce qui suit aux paragraphes 77 et 78 relativement à la preuve présentée :

77 Le législateur n’est pas systématiquement tenu de fournir, à l’égard du problème auquel il cherche à remédier, une preuve scientifique reposant sur des éléments concrets. Les tribunaux peuvent se fonder sur une crainte raisonnée du préjudice lorsqu’ils sont en présence de preuves relevant des sciences sociales qui sont contradictoires ou non concluantes quant au lien entre le préjudice et les mesures prises.

78 En l’absence de preuves scientifiques déterminantes, notre Cour a maintes fois fait appel à la logique, à la raison et à certaines preuves relevant des sciences sociales dans le cours de l’analyse de la justification; voir R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452, p. 503; R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, p. 768 et 776; RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 137; Thomson Newspapers, précité, par. 104-107; R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, 2001 CSC 2. [...]

[628] En l’espèce, les données issues de recherches en sciences sociales invoquées par les experts diffèrent. Des études ou des travaux de recherche qui ne visent pas les mêmes objectifs mènent à des conclusions différentes. Aucune des données ne répond directement à la question en litige, car il est probablement impossible de trouver une étude qui met en lumière la raison spécifique d’une baisse ou d’une hausse de la violence impliquant des armes à feu, étant donné le nombre de facteurs qui entrent en jeu.

[629] La preuve présentée par le PGC, provenant de la Dre Ahmed, du professeur Chapman et du professeur Klarevas, n’établit pas que le Règlement atteindra l’objectif visé, soit la réduction des dommages importants causés par des armes à feu qui présentent un danger inhérent, notamment dans le cadre de fusillades de masse. Et la preuve présentée par les déposants des demandeurs, le professeur Mauser et le Dr Langmann, n’établit pas non plus que le Règlement n’atteindra pas l’objectif visé, ou qu’il n’a pas de lien rationnel avec cet objectif.

[630] Cependant, le PGC a présenté des éléments de preuve suffisants pour établir la corrélation entre des restrictions supplémentaires visant certains types d’arme à feu et la réduction des dommages causés par les fusillades de masse et, plus généralement, de leur incidence sur la sécurité publique. Nul ne conteste qu’il n’est pas possible d’isoler la raison précise expliquant cette réduction parmi les nombreuses mesures étalées sur plusieurs années. Comme l’a souligné le professeur Chapman, il est aussi difficile de comparer des pays où les lois sont différentes.

[631] Il n’est pas nécessaire de présenter une preuve convaincante que le Règlement atteindra l’objectif visé. Comme le précise l’arrêt Harper aux paragraphes 77 et 78, des preuves non concluantes suffisent et les tribunaux peuvent « faire appel à la logique, à la raison et à certaines preuves relevant des sciences sociales ». C’est ce que notre Cour a fait. Si les gouvernements devaient attendre de disposer de preuves de l’efficacité d’une mesure précise qui peut brimer les droits de tiers avant d’agir, ils se trouveraient incapables d’intervenir face à des enjeux sociaux complexes d’une manière qui tient compte de l’intérêt public.

[632] Les lois en matière d’armes à feu tissent un ensemble complexe de réponses à un sujet de préoccupation constant, c’est-à-dire l’incidence de l’utilisation d’armes à feu sur la sécurité publique. Le Règlement fait partie de cet ensemble de réponses. Les éléments de preuve relevant des sciences sociales appuient l’existence d’un lien rationnel entre le Règlement, qui interdira la possession et l’utilisation d’armes à feu désignées (et limitera l’accès à ces armes à feu), et l’objectif visé par le législateur. La logique et la raison confirment ce lien rationnel entre l’interdiction des armes à feu dangereuses et la réduction souhaitée des dommages importants que ces armes causent.

e) L’atteinte minimale

[633] Le Règlement ne porte qu’une atteinte minimale au droit à la liberté des propriétaires d’arme à feu. Même s’il interdit environ 1 500 armes à feu précises et leurs variantes, en plus d’autres armes à feu possédant certaines caractéristiques, il reste un grand nombre d’armes à feu qui peuvent encore être utilisées pour la chasse et le sport.

[634] Des mesures moins strictes dans ce contexte – où l’objectif est de réduire les dommages importants causés par l’utilisation d’armes à feu qui présentent un danger inhérent – ne permettraient pas de réaliser l’objectif visé. Le gouvernement a adopté diverses mesures au fil des ans, mais la preuve au dossier montre que la violence par arme à feu et les fusillades de masse se produisent et causent des dommages importants, au Canada comme ailleurs, et que les auteurs de ce genre de crime utilisent des armes à feu prohibées. On ne peut s’attendre à ce que des restrictions moins sévères permettent au législateur d’atteindre son objectif.

f) La pondération

[635] Dans l’arrêt Carter, au paragraphe 122, la Cour suprême du Canada a déclaré que, à la troisième étape de l’analyse relative à l’article premier, « il faut mettre en balance l’incidence de la loi sur les droits protégés et l’effet bénéfique de la loi au plan de l’intérêt supérieur du public ».

[636] Le Règlement – à l’instar de toute disposition visant le contrôle des armes à feu – a pour but de protéger la sécurité du public, qui fait partie des « intérêts sociaux opposés » et constitue un droit en soi. L’atteinte minimale aux droits des propriétaires d’arme à feu, qui disposent désormais d’un choix moindre quant aux armes à feu qu’ils peuvent posséder et utiliser et qui risquent d’être l’objet d’accusations criminelles s’ils continuent d’utiliser les armes à feu maintenant prohibées, est supplantée par l’effet bénéfique du Règlement, soit la réduction des dommages découlant des fusillades de masse et du danger inhérent aux armes à feu prohibées, et par l’atteinte de l’objectif plus global d’améliorer la sécurité publique. Comme il est énoncé dans l’arrêt Safarzadeh‐Markhali, au paragraphe 57, « [e]n cas d’atteinte à l’art. 7, les tribunaux peuvent, sur le fondement de l’article premier, faire preuve de déférence vis-à-vis du législateur lorsque, par exemple, la règle de droit en cause constitue une “mesure réglementaire complexe” visant à remédier à un problème social ». Dans l’arrêt Whatcott, la Cour suprême a souligné qu’il faut faire preuve de retenue à l’égard de l’approche suivie par le législateur.

[637] En conclusion, toute atteinte au droit à la liberté des propriétaires d’arme à feu est justifiée; le Règlement vise un objectif urgent et réel et constitue une réponse proportionnée à cet objectif. Les restrictions imposées par le Règlement à l’utilisation des armes à feu désormais prohibées – qui présentent un danger inhérent et ont la capacité de causer d’importants dommages et, par conséquent, ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport – possèdent un lien rationnel avec l’objectif et portent une atteinte minimale aux droits des propriétaires d’arme à feu garantis à l’article 7. L’effet bénéfique du Règlement l’emporte sur les conséquences pour les propriétaires d’arme à feu, qui ne peuvent plus utiliser les armes à feu prohibées pour la chasse ou le sport mais qui peuvent encore se servir d’autres armes à feu non prohibées à ces fins.

XIII. Le Règlement contrevient-il aux articles 8, 11, 15 ou 26 de la Charte et, dans l’affirmative, l’atteinte est-elle justifiée au titre de l’article premier?

A. Les observations des demandeurs

[638] Certains demandeurs font valoir que le Règlement brime les droits que leur garantissent les articles 8, 11, 15 ou 26 de la Charte.

(1) L’article 8

[639] Les demandeurs dans l’affaire Generoux soutiennent que le Règlement les empêche, eux et d’autres propriétaires d’arme à feu, de jouir de leurs biens, ce qui serait contraire à l’article 8 de la Charte.

[640] Les demandeurs dans l’affaire Generoux soutiennent que le REIR envisage l’indemnisation des personnes qui possèdent des armes à feu désormais prohibées, mais qu’aucun propriétaire n’a été indemnisé. Mme Generoux ajoute qu’aucune indemnité ne serait suffisante puisqu’elle ne peut plus utiliser ses armes à feu préférées pour chasser ou participer à des compétitions de tir sportif.

[641] Selon les demandeurs dans l’affaire Generoux, des [traduction] « droits acquis » auraient dû être accordés aux propriétaires actuels d’armes à feu prohibées. Ils renvoient à des extraits d’un cahier d’information préparé par le ministre de la Sécurité publique et obtenu en réponse à une demande d’accès à l’information relative aux modifications au Code criminel et à la Loi sur les armes à feu (projet de loi C-71) proposées en 2018, où des droits acquis étaient accordés à l’égard de la famille de fusils CZ 858 et Swiss Arms, lesquels sont désormais prohibés.

(2) L’article 11

[642] M. Hipwell fait valoir que le Règlement contrevient à l’article 11 de la Charte parce qu’il est impossible pour un propriétaire d’arme à feu de savoir ou de déterminer clairement si son arme à feu est prohibée à titre de variante non nommée. Il soutient qu’un propriétaire d’arme à feu n’a pas accès facilement au TRAF et ne saurait pas que son arme à feu est peut-être prohibée, et qu’il ne serait donc pas « informé » de l’infraction qu’on lui reproche, ce qui est contraire à l’article 11. Il ajoute qu’une arme à feu n’est pas prohibée tant que la Cour n’a pas statué à ce sujet.

[643] Selon M. Hipwell, les forces de l’ordre se servent du TRAF, qui énumère les variantes non nommées sur la seule base de l’avis des SSSAF.

[644] M. Hipwell soutient que l’inclusion de variantes non nommées contrevient également à la présomption d’innocence parce qu’il incomberait au propriétaire d’une arme à feu de prouver que celle-ci n’est pas une variante.

(3) L’article 15

[645] Les demandeurs dans l’affaire Generoux mentionnent que les propriétaires d’arme à feu font partie de la [traduction] « culture des armes à feu » qui possède une longue histoire et des racines profondes au Canada. Selon eux, cette culture devrait être protégée.

[646] Les demandeurs dans l’affaire Generoux font valoir que le Règlement viole l’article 15 de la Charte. À leur avis, la culture des armes à feu devrait être considérée comme un motif de discrimination analogue à ceux énoncés à l’article 15. D’après eux, le Règlement cible les adeptes de la culture des armes à feu, est discriminatoire à leur endroit et les stigmatise, même s’ils respectent les lois. Ils allèguent aussi que les messages politiques concernant l’utilisation d’armes à feu sont discriminatoires et ostracisent les propriétaires d’arme à feu.

[647] À l’appui de leur argument suivant lequel la culture des armes à feu de même que les objets et les activités appartenant à cette culture devraient être protégés par la Charte, les demandeurs dans l’affaire Generoux mentionnent diverses lois et conventions, dont la Loi sur le multiculturalisme canadien, LRC 1985, c 24 (4e suppl); la Loi sur la Journée du patrimoine national en matière de chasse, de piégeage et de pêche, LC 2014, c 26; la Loi sur l’exportation et l’importation de biens culturels, LRC 1985, c C-51; la Loi sur les armes à feu, LC 1995, c 39; les dispositions du Code criminel qui créent des infractions de méfaits à l’égard de biens culturels et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de l’assemblée des Nations Unies.

[648] Les demandeurs dans l’affaire Generoux rappellent que les biens culturels sont protégés par la Loi sur l’exportation et l’importation de biens culturels, LRC 1985, c C-512, art 2, 4, qui accorde une protection spéciale aux objets militaires également. Selon eux, comme certaines armes à feu prohibées constituent des biens culturels, parce qu’elles ont un rapport étroit avec l’histoire du Canada, les nouvelles armes à feu prohibées seraient aussi considérées de la sorte si elles étaient soumises à la vérification prévue par cette loi.

[649] Les demandeurs dans l’affaire Generoux ajoutent que le Code criminel érige en infraction le méfait à l’égard d’un bien (art 430) et le méfait à l’égard d’un bien culturel (art 7(2.01)), au sens de la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, qui est intégrée au droit canadien par la Loi sur l’exportation et l’importation de biens culturels.

[650] Les demandeurs dans l’affaire Generoux s’appuient sur l’arrêt R c Van Der Peet, [1996] 2 RCS 507, où la Cour suprême du Canada s’est penchée sur les droits ancestraux et leur origine dans la coutume afin de tracer un parallèle qui permettrait d’orienter la Cour en ce qui a trait à la manière de définir la culture des armes à feu, les biens culturels, les protections légales et l’évolution des droits culturels. Ils reconnaissent qu’ils ne possèdent aucun droit au titre de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, mais estiment qu’une analogie peut être établie.

[651] Les demandeurs dans l’affaire Generoux se reportent aux définitions du terme « culture » dans les dictionnaires et à plusieurs articles qui portent sur la culture et les sous-cultures des armes à feu au Canada et aux États-Unis. Ils expliquent que la chasse possède son propre code moral et constitue une culture axée sur la conservation et la sécurité. Selon eux, il existe au Canada des cultures distinctes pour ce qui est de la pratique sportive, de la chasse et de l’autodéfense, qui sont toutes attestées et décrites dans diverses publications sur les armes à feu.

[652] Les demandeurs dans l’affaire Generoux soutiennent que la culture des armes à feu au Canada est inclusive et que ses adeptes sont plus nombreux que ceux des autres groupes protégés par la Charte, par exemple les personnes appartenant à diverses origines ethniques.

[653] Les demandeurs dans l’affaire Generoux se reportent à des dessins et à des écrits historiques pour corroborer leur thèse selon laquelle la culture des armes à feu est présente au Canada depuis les origines du pays, et qu’elle existait tant chez les explorateurs et les colons qu’au sein des peuples autochtones. Ils mentionnent que des Canadiens participent depuis longtemps aux épreuves olympiques de tir. Ils ajoutent que les soldats qui ont combattu dans les deux guerres mondiales, et y ont survécu, s’adonnaient souvent au tir sportif et à la chasse.

[654] Les demandeurs dans l’affaire Generoux s’appuient sur l’affidavit de M. Bruce Gold, qui est décrit comme un historien des armes à feu. Dans son affidavit, M. Gold trace l’historique des armes à feu au Canada et estime que, sans cette longue histoire et les efforts visant à promouvoir une utilisation prudente et légitime des armes à feu, le Canada tel que nous le connaissons aujourd’hui n’existerait pas.

[655] Les demandeurs dans l’affaire Generoux signalent que le déposant du PGC, le professeur Brown, et leur déposant à eux, M. Gold, ont tous deux décrit l’histoire des armes à feu au Canada et mentionné que les civils dûment entraînés constituent un atout pour l’armée depuis des années.

[656] Mme Generoux reconnaît que son utilisation des armes à feu n’est pas inscrite dans son ADN ni une caractéristique immuable, mais qu’elle fait partie intégrante de sa vie.

[657] Les demandeurs dans l’affaire Generoux font valoir que leur choix personnel de détenir et d’utiliser des armes à feu – et les armes à feu qui correspondent à leurs préférences – ne devrait pas les soustraire aux garanties énoncées à l’article 15 de la Charte. Ils invoquent l’arrêt Corbiere c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 RCS 203 [Corbiere], où la Cour suprême a jugé que le fait d’empêcher des membres des bandes indiennes résidant hors des réserves de participer aux élections des bandes contrevenait à l’article 15 même si ceux‐ci avaient choisi de ne pas vivre dans les réserves. Ils soulignent aussi que, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c PHS Community Services Society, 2011 CSC 44 [PHS], la Cour suprême du Canada a confirmé une exemption visant à permettre aux sites d’injection supervisée de poursuivre leurs activités malgré les interdictions énoncées dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, LC 1996, c 19, même si la consommation de drogues interdites est un choix personnel.

(4) L’article 26

[658] Les demandeurs dans l’affaire Generoux soutiennent que toutes les lois qu’ils invoquent à l’appui de leur argument fondé sur l’article 15 démontrent que les propriétaires possèdent des droits liés à la propriété et à l’utilisation d’armes à feu et que ces droits demeurent intouchés par la liste non exhaustive des droits et libertés figurant dans la Charte. Selon eux, l’article 26 corrobore cet argument.

B. Les observations du PGC

[659] Le PGC se reporte à la jurisprudence pertinente où les tribunaux ont interprété les dispositions de la Charte et affirme que les articles 8, 11, 15 et 16 ne sont pas en jeu.

[660] Pour ce qui est de l’article 8, le PGC est d’avis que, même si le Règlement peut avoir pour effet de contraindre les propriétaires à remettre leurs armes désormais prohibées, il s’agit d’une perte de biens qui n’a aucune incidence sur les droits à la vie privée, lesquels sont l’objet de cette disposition.

[661] Pour ce qui est de l’article 11, le PGC signale que les droits qui y sont garantis s’appliquent aux personnes inculpées d’une infraction. Or, aucun des demandeurs n’affirment avoir été inculpé. Dès qu’une personne est inculpée, elle bénéficie des droits énoncés à l’article 11.

[662] Pour ce qui est de l’article 15, selon le PGC, la culture des armes à feu ne fait pas partie des motifs énumérés au paragraphe 15(1) et n’est pas non plus un motif analogue à ceux‐ci.

[663] De plus, rien ne démontre que les propriétaires d’arme à feu se heurtent à des désavantages systémiques. Le Règlement désigne un faible pourcentage d’armes à feu comme étant prohibées, et il y a beaucoup d’autres armes à feu qui peuvent servir à la chasse et au sport.

[664] Le PGC explique que l’article 26 ne permet pas à lui seul d’invoquer une atteinte à la Charte, vu qu’il constitue plutôt une disposition de sauvegarde. Par conséquent, cet article n’accorde pas de protection constitutionnelle à d’autres droits ou libertés qui ne sont pas énumérés dans la Charte.

[665] Le PGC ajoute que les tribunaux ont refusé d’appliquer l’article 26 dans des cas fondés sur la revendication de droits liés aux armes à feu (p ex Montague, aux para 16-19).

C. Le Règlement ne porte pas atteinte aux articles 8, 11, 15 ou 26

(1) L’article 8 ne s’applique pas.

[666] L’article 8 est ainsi libellé :

8 Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

[667] Lorsqu’ils avancent que les propriétaires d’arme à feu ne seraient pas conscients qu’ils possèdent une arme à feu prohibée, ce qui mènerait à des fouilles, à des perquisitions ou à des saisies abusives, les demandeurs font une interprétation erronée des protections énoncées à l’article 8. Premièrement, il existe des ressources que les propriétaires d’arme à feu peuvent consulter pour déterminer si leur arme à feu est une variante. Deuxièmement, l’article 8 commande une analyse en deux étapes servant à décider s’il y a eu atteinte aux droits; il faut tout d’abord savoir s’il y a eu perquisition, fouille ou saisie et ensuite évaluer si cette perquisition, fouille ou saisie est abusive ou pas. Une fouille, une perquisition ou une saisie n’est pas abusive si elle est autorisée par la loi, si la loi est raisonnable et si la fouille ou la perquisition n’a pas été effectuée de manière abusive (R c Shepherd, 2009 CSC 35 au para 15). Il n’a jamais été question en l’espèce de fouilles, de perquisitions ou de saisies attribuables au Règlement ou à sa mise en application.

[668] En outre, comme le souligne le PGC, l’article 8 est censé protéger le droit à la vie privée (Hunter c Southam Inc, [1984] 2 RCS 145 à la p 159), non pas empêcher qu’une personne subisse des pertes financières découlant de la perte de ses biens.

(2) L’article 11 ne s’applique pas.

[669] Les alinéas 11a) et d) sont rédigés comme suit :

11 Tout inculpé a le droit :

11 Any person charged with an offence has the right:

a) d’être informé sans délai anormal de l’infraction précise qu’on lui reproche;

(a) to be informed without unreasonable delay of the specific offence;

[...]

. . .

d) d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable;

(d) to be presumed innocent until proven guilty according to law in a fair and public hearing by an independent and impartial tribunal;

[670] Les protections énoncées à l’article 11 sont importantes et visent toute personne inculpée d’une infraction criminelle. Il n’a aucunement été question de propriétaires d’arme à feu inculpés en application du Règlement. Si cela devait se produire, la personne pourrait exercer les droits qui lui sont garantis à l’article 11.

[671] Contrairement à ce que déclare M. Hipwell, toute personne inculpée de possession illégale d’une arme à feu désignée comme étant prohibée dans le Règlement aurait le droit de connaître l’infraction précise qu’on lui reproche et serait présumée innocente jusqu’à ce qu’elle soit déclarée coupable.

(3) L’article 15 ne s’applique pas.

[672] L’article 15 est ainsi libellé :

15 (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

15 (1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

(2) Le paragraphe (1) n’a pas pour effet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

(2) Subsection (1) does not preclude any law, program or activity that has as its object the amelioration of conditions of disadvantaged individuals or groups including those that are disadvantaged because of race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

[673] Malgré l’explication donnée par les demandeurs dans l’affaire Generoux quant à leur théorie selon laquelle l’utilisation d’armes à feu au Canada, en raison de ses origines et de sa persistance, est devenue une culture des armes à feu, il reste qu’il ne s’agit pas d’un motif énuméré et que c’est loin d’être un motif analogue à ceux que renferme le paragraphe 15(1).

[674] L’argument formulé par les demandeurs dans l’affaire Generoux, soit que notre Cour devrait suivre la même approche que celle adoptée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Van Der Peet pour savoir si un droit ancestral a été établi et donc décider s’il existe des droits rattachés à une culture des armes à feu, est inédit mais inapplicable pour bien des raisons. Il y a plus particulièrement le fait que la culture des armes à feu n’est pas une culture distinctive.

[675] Dans l’arrêt Corbiere, qui est cité par les demandeurs dans l’affaire Generoux, la Cour suprême du Canada a expliqué les critères qui permettent de qualifier d’analogue un motif de distinction en soulignant d’abord, au paragraphe 13, qu’un motif analogue doit être semblable aux motifs énumérés à l’article 15 :

Il nous semble que le point commun entre ces motifs est le fait qu’ils sont souvent à la base de décisions stéréotypées, fondées non pas sur le mérite de l’individu mais plutôt sur une caractéristique personnelle qui est soit immuable, soit modifiable uniquement à un prix inacceptable du point de vue de l’identité personnelle. Ce fait tend à indiquer que l’objet de l’identification de motifs analogues à la deuxième étape de l’analyse établie dans Law est de découvrir des motifs fondés sur des caractéristiques qu’il nous est impossible de changer ou que le gouvernement ne peut légitimement s’attendre que nous changions pour avoir droit à l’égalité de traitement garantie par la loi. Autrement dit, l’art. 15 vise le déni du droit à l’égalité de traitement pour des motifs qui sont immuables dans les faits, par exemple la race, ou qui sont considérés comme immuables, par exemple la religion. [Non souligné dans l’original.]

[676] Mme Generoux a admis que son adhésion à la culture des armes à feu est un choix personnel [traduction] « qui n’est pas inscrit dans son ADN ». Elle soutient que son identité est étroitement liée à la culture des armes à feu. Cependant, il ne s’agit pas d’une caractéristique personnelle et immuable.

[677] Les documents présentés par les demandeurs révèlent que l’utilisation d’armes à feu pour la chasse et le sport continue à prendre de l’ampleur au Canada. Même si les demandeurs s’opposent aux restrictions visant les armes à feu qu’ils ont utilisées dans le passé et celles qu’ils préfèrent pour la chasse et le sport, et précisent que les armes à feu non prohibées ne correspondent pas à leurs préférences ni à leurs besoins, ils ne laissent pas entendre qu’on les empêche ou même qu’on les dissuade de chasser ou de s’adonner au tir sportif. Il existe de nombreuses autres armes à feu qui conviennent à la chasse et au sport.

[678] L’argument formulé par les demandeurs dans l’affaire Generoux, selon lequel les propriétaires d’arme à feu sont victimes de discrimination et d’ostracisation, ne constitue que leur opinion personnelle et celle de M. Gold.

[679] Les analogies que font les demandeurs dans l’affaire Generoux avec le génocide et l’éradication d’autres cultures sont extrêmes et probablement injurieuses pour les personnes qui ont subi la perte de leur identité culturelle.

(4) L’article 26 ne s’applique pas.

[680] L’article 26 est ainsi libellé :

26 Le fait que la présente charte garantit certains droits et libertés ne constitue pas une négation des autres droits ou libertés qui existent au Canada.

26 The guarantee in this Charter of certain rights and freedoms shall not be construed as denying the existence of any other rights or freedoms that exist in Canada.

[681] Très peu de jugements ont été rendus sur l’article 26, sans doute en raison de son libellé sans équivoque, soit que l’existence de droits énoncés dans la Charte ne constitue pas une négation d’autres droits qui existent, ce qui veut dire que les droits garantis par la Charte ne suppriment pas des droits existants.

[682] Les demandeurs n’ont pas affirmé qu’une disposition quelconque de la Charte a entraîné le déni d’un droit qui avait déjà été accordé aux propriétaires d’arme à feu. Les lois en matière des biens culturels auxquelles se reportent les demandeurs dans l’affaire Generoux ne confèrent pas de droits aux propriétaires d’arme à feu. Il n’existe pas de droit de posséder des armes à feu au Canada (Montague, aux para 16-19).

XIV. Le Règlement contrevient-il à la Déclaration canadienne des droits?

A. Les observations des demandeurs

[683] Les demandeurs dans l’affaire CCDAF affirment que le Règlement et l’identification de variantes non nommées privent MM. Giltaca et Steacy du droit à la jouissance de leurs biens, ce qui est contraire à l’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits. Selon eux, ce déni survient en dehors de toute garantie procédurale et, pour cette raison, le Règlement devrait être déclaré inopérant.

B. Les observations du PGC

[684] Le PGC soutient que la Déclaration canadienne des droits n’offre de protections procédurales que dans le cas où une cour ou un tribunal judiciaire doit statuer sur les droits et obligations d’une personne (Authorson c Canada, 2003 CSC 39 au para 42 [Authorson]). Il ajoute que, selon la jurisprudence, les protections offertes à l’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits ne sont pas applicables dans le cadre de processus relevant du gouverneur en conseil. Le PGC soutient que la loi (le Code criminel et le Règlement) interdit la possession et l’utilisation de certaines armes à feu; il ne s’agit donc pas d’une décision touchant une personne en particulier. Les droits relatifs à l’équité procédurale ne sont pas en jeu.

C. Le Règlement ne contrevient pas à la Déclaration canadienne des droits

[685] L’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits est ainsi libellé :

1 Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l’homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe :

1 It is hereby recognized and declared that in Canada there have existed and shall continue to exist without discrimination by reason of race, national origin, colour, religion or sex, the following human rights and fundamental freedoms, namely,

a) le droit de l’individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu’à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s’en voir privé que par l’application régulière de la loi;

(a) the right of the individual to life, liberty, security of the person and enjoyment of property, and the right not to be deprived thereof except by due process of law;

[686] Comme l’a précisé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Authorson, la Déclaration canadienne des droits n’a pas été beaucoup examinée par les tribunaux. C’est toujours le cas.

[687] Dans l’arrêt Authorson, au paragraphe 34, la Cour suprême a mentionné que de nombreuses garanties établies dans la Déclaration canadienne des droits ont accédé au rang de garanties constitutionnelles lorsque la Charte est entrée en vigueur. Par contre, ce n’est pas le cas de l’alinéa 1a), qui prévoit qu’une personne ne peut être privée de son droit à la jouissance de ses biens que par l’application régulière de la loi.

[688] Lorsqu’ils avancent qu’ils ont été privés de leur droit à la jouissance de leurs biens, les demandeurs omettent le fait que la Déclaration canadienne des droits porte sur des droits qui sont applicables dans un contexte juridictionnel. Les demandeurs ne sont pas l’objet d’un processus juridictionnel portant sur leurs droits. Comme il est mentionné plus haut, aucun des demandeurs ne prétend avoir été inculpé d’une infraction résultant de l’application du Règlement.

[689] Le Règlement entraîne l’interdiction de posséder et d’utiliser certaines armes à feu. Il ne constitue pas un processus juridictionnel visant des demandeurs qui contestent la perte du droit à la jouissance de leurs biens. Le pouvoir du gouverneur en conseil de prendre le Règlement ne donne pas naissance à des garanties procédurales dont bénéficieraient les demandeurs.

[690] Comme l’a souligné la Cour suprême au paragraphe 41 de l’arrêt Authorson :

[41] Le droit à l’application régulière de la loi ne peut entraver le droit de l’organe législatif d’établir sa propre procédure. Si la Déclaration canadienne des droits conférait un tel pouvoir, elle modifierait la Constitution canadienne qui, dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, établit une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni. Or, jamais de pareils droits pré-législatifs d’ordre procédural n’ont existé au Royaume-Uni. Il s’ensuit que la Déclaration canadienne des droits ne confère pas un tel pouvoir.

[691] La Cour suprême s’est penchée sur la portée des garanties procédurales visant les droits de propriété aux paragraphes 42 et 46, où elle a souligné de nouveau que les droits s’appliquaient seulement dans le contexte juridictionnel d’une décision judiciaire ou quasi judiciaire et dans le cadre d’un « processus juridictionnel touchant un individu en particulier ».

[42] Quelles protections procédurales la garantie d’application régulière de la loi comporte-t-elle en ce qui concerne les droits de propriété? Selon moi, la Déclaration canadienne des droits ne garantit à une personne le droit à un préavis et à une possibilité quelconque de contester une mesure gouvernementale qui la dépossède de ses droits de propriété que dans le contexte juridictionnel d’une décision judiciaire ou quasi judiciaire déterminant ses droits et ses obligations.

[46] L’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits accorde bel et bien une garantie procédurale quant à l’application régulière de la loi dans le contexte d’un processus juridictionnel touchant un individu en particulier. Mais la présente affaire ne porte pas sur l’application de la loi dans un tel contexte et aucune autre procédure n’était nécessaire.

XV. Conclusion

[692] La Cour conclut que les demandes seront rejetées.

[693] Rappelons que, pour les motifs détaillés exposés ci-dessus, la Cour tire les conclusions suivantes :

  • ·Le décret et le Règlement ne sont pas invalides. Le gouverneur en conseil n’a pas outrepassé les pouvoirs qui lui ont été délégués par le législateur, au titre du paragraphe 117.15(2) du Code criminel. Le gouverneur en conseil est d’avis que les armes à feu prohibées désignées ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse ou le sport, et cet avis de même que la décision de désigner les armes à feu en question sont raisonnables.

  • ·Le gouverneur en conseil n’a pas sous-délégué son pouvoir de désigner des armes à feu comme étant prohibées. Les armes à feu désignées et leurs variantes sont prohibées au titre du Code criminel et du Règlement. Le rôle des Services spécialisés de soutien en matière d’armes à feu de la Gendarmerie royale du Canada, lorsqu’ils évaluent et classent des armes à feu dans les catégories sans restriction, à autorisation restreinte ou prohibées, consiste à donner une opinion. Le Tableau de référence des armes à feu contient les résultats de l’évaluation effectuée par les SSSAF; il constitue une ressource ou un guide de nature administrative à l’intention des propriétaires d’arme à feu et d’autres personnes.

  • ·Le gouverneur en conseil n’est tenu à aucune obligation d’équité procédurale envers les propriétaires d’arme à feu touchés par le Règlement. La jurisprudence est claire sur le fait que l’obligation d’équité procédurale ne s’applique pas au processus législatif. Les Services spécialisés de soutien en matière d’armes à feu ne sont tenus à aucune obligation d’équité procédurale envers les propriétaires d’arme à feu dans le contexte de l’évaluation et du classement des armes à feu; ils ne sont pas un décideur administratif.

  • ·Le Règlement ne contrevient pas à l’article 7 de la Charte; le Règlement n’est pas imprécis, de portée excessive ou arbitraire. Subsidiairement, si la Cour avait conclu que le Règlement portait atteinte à l’article 7 d’une manière qui n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale, elle aurait jugé que cette atteinte est justifiée au titre de l’article premier de la Charte et s’inscrit dans les limites raisonnables. Le Règlement vise un objectif urgent et réel, et il constitue une réponse proportionnée à cet objectif. Les restrictions imposées par le Règlement à l’utilisation des armes à feu désormais prohibées – qui présentent un danger inhérent et ont la capacité de causer d’importants dommages et, par conséquent, qui ne peuvent raisonnablement être utilisées pour la chasse et le sportpossède un lien rationnel avec l’objectif et porte une atteinte minimale aux droits des propriétaires d’arme à feu garantis à l’article 7. L’atteinte minimale aux droits des propriétaires d’arme à feu, qui disposent désormais d’un choix moindre quant aux armes à feu qu’ils peuvent posséder et utiliser et qui risquent d’être l’objet d’accusations criminelles s’ils continuent d’utiliser les armes à feu maintenant prohibées, est supplantée par l’effet bénéfique du Règlement, soit la réduction des dommages découlant des fusillades de masse et du danger inhérent aux armes à feu prohibées et par l’atteinte de l’objectif plus global d’améliorer la sécurité publique.

  • ·Le Règlement ne contrevient pas aux articles 8, 11, 15 ou 26 de la Charte.

  • ·Le Règlement ne contrevient pas à la Déclaration canadienne des droits.


JUGEMENT dans les dossiers T-569-20, T-577-20, T-581-20, T-677-20, T-735-20, T-905-20

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  • 1)Les demandes sont rejetées.

  • 2)Le procureur général du Canada n’a pas réclamé de dépens, et aucuns dépens ne seront adjugés.

« Catherine M. Kane »

Juge


ANNEXE A - FR_1ANNEXE%20A%20-%20FR_2
ANNEXE B - FR_01ANNEXE%20B%20-%20FR_02ANNEXE%20B%20-%20FR_03ANNEXE%20B%20-%20FR_04ANNEXE%20B%20-%20FR_05ANNEXE%20B%20-%20FR_06ANNEXE%20B%20-%20FR_07ANNEXE%20B%20-%20FR_08ANNEXE%20B%20-%20FR_09ANNEXE%20B%20-%20FR_10ANNEXE%20B%20-%20FR_11ANNEXE%20B%20-%20FR_12ANNEXE%20B%20-%20FR_13ANNEXE%20B%20-%20FR_14ANNEXE%20B%20-%20FR_15ANNEXE%20B%20-%20FR_16ANNEXE%20B%20-%20FR_17ANNEXE%20B%20-%20FR_18ANNEXE%20B%20-%20FR_19ANNEXE%20B%20-%20FR_20ANNEXE%20B%20-%20FR_21ANNEXE%20B%20-%20FR_22ANNEXE%20B%20-%20FR_23ANNEXE%20B%20-%20FR_24ANNEXE%20B%20-%20FR_25ANNEXE%20B%20-%20FR_26ANNEXE%20B%20-%20FR_27ANNEXE%20B%20-%20FR_28ANNEXE%20B%20-%20FR_29ANNEXE%20B%20-%20FR_30ANNEXE%20B%20-%20FR_31ANNEXE%20B%20-%20FR_32ANNEXE%20B%20-%20FR_33ANNEXE%20B%20-%20FR_34ANNEXE%20B%20-%20FR_35ANNEXE%20B%20-%20FR_36ANNEXE%20B%20-%20FR_37ANNEXE%20B%20-%20FR_38ANNEXE%20B%20-%20FR_39ANNEXE%20B%20-%20FR_40ANNEXE%20B%20-%20FR_41ANNEXE%20B%20-%20FR_42ANNEXE%20B%20-%20FR_43ANNEXE%20B%20-%20FR_44ANNEXE%20B%20-%20FR_45ANNEXE%20B%20-%20FR_46ANNEXE%20B%20-%20FR_47ANNEXE%20B%20-%20FR_48ANNEXE%20B%20-%20FR_49ANNEXE%20B%20-%20FR_50ANNEXE%20B%20-%20FR_51ANNEXE%20B%20-%20FR_52ANNEXE%20B%20-%20FR_53ANNEXE%20B%20-%20FR_54ANNEXE%20B%20-%20FR_55ANNEXE%20B%20-%20FR_56ANNEXE%20B%20-%20FR_57ANNEXE%20B%20-%20FR_58ANNEXE%20B%20-%20FR_59ANNEXE%20B%20-%20FR_60ANNEXE%20B%20-%20FR_61ANNEXE%20B%20-%20FR_62ANNEXE%20B%20-%20FR_63ANNEXE%20B%20-%20FR_64ANNEXE%20B%20-%20FR_65ANNEXE%20B%20-%20FR_66ANNEXE%20B%20-%20FR_67ANNEXE%20B%20-%20FR_68ANNEXE%20B%20-%20FR_69ANNEXE%20B%20-%20FR_70ANNEXE%20B%20-%20FR_71ANNEXE%20B%20-%20FR_72ANNEXE%20B%20-%20FR_73ANNEXE%20B%20-%20FR_74ANNEXE%20B%20-%20FR_75ANNEXE%20B%20-%20FR_76ANNEXE%20B%20-%20FR_77ANNEXE%20B%20-%20FR_78ANNEXE%20B%20-%20FR_79ANNEXE%20B%20-%20FR_80ANNEXE%20B%20-%20FR_81


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS

DOSSIER :

T-569-20

INTITULÉ :

CASSANDRA PARKER ET K.K.S. TACTICAL SUPPLIES LTD. c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA

ET DOSSIER :

T-577-20

INTITULÉ :

COALITION CANADIENNE POUR LES DROITS AUX ARMES À FEU, RODNEY GILTACA, RYAN STEACY, MACCABEE DEFENSE INC. ET WOLVERINE SUPPLIES LTD. c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA

ET DOSSSIER :

T-581-20

INTITULÉ :

JOHN PETER HIPWELL c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA

ET DOSSSIER :

T-677-20

INTITULÉ :

MICHAEL JOHN DOHERTY, NILS ROBERT EK,, RICHARD WILLIAM ROBERT DELVE, CHRISTIAN RYDICH BRUHN, PHILIP ALEXANDER MCBRIDE, LINDSAY DAVID JAMIESON, DAVID CAMERON MAYHEW, MARK ROY NICHOL ET PETER CRAIG MINUK c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA

ET DOSSSIER :

T-735-20

INTITULÉ :

CHRISTINE GENEROUX, JOHN PEROCCHIO ET VINCENT PEROCCHIO c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA

ET DOSSSIER :

T-905-20

INTITULÉ :

JENNIFER EICHENBERG, DAVID BOT, LEONARD WALKER, BURLINGTON RIFLE AND REVOLVER CLUB, MONTREAL FIREARMS RECREATION CENTRE, INC., O’DELL ENGINEERING LTD. c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA

LIEU D L’AUDIENCE :

ottawa (ontario)

DATES DE L’AUDIENCE :

LES 11, 12, 13, 14, 17, 18, 19 ET 20 AVRIL 2023

juGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

DATE DES MOTIFS:

LE 30 octobre 2023

COMPARUTIONS :

Solomon Friedman

 

POUR LA DEMANDERESSE DANS LE DOSSIER

T-569-20

Laura Warner

Matthew Scott

Ryan Phillips

Sarah Miler

 

POUR LE DEMANDEUR DANS LE DOSSIER T-577-20

Michael Loberg

 

POUR LE DEMANDEUR DANS LE DOSSIER T-577-20

Edward Burlew

 

POUR LE DEMANDEUR DANS LE DOSSIER T-581-20

Arkadi Bouchelev

 

POUR LE DEMANDEUR DANS LE DOSSIER T-677-20

Christine Generoux

John Perocchio

Vincent Perocchio

POUR LEUR PROPRE COMPTE DANS LE DOSSIER T-735-20

Thomas Slade

Eugene Meehan K.C.

Cory Giordano

POUR LE DEMANDEUR DANS LE DOSSIER T-905-20

Robert MacKinnon

Bruce Hughson

Sean Gaudet

Zoe Oxaal

Kerry Boyd

Jennifer Bond

Jordan Milne

James Gorham

Sarah Jiwan

Jennifer Lee

Vanessa Wynn-Williams

Andrew Law

Samantha Pillon

POUR LE DÉFENDEUR

Aleisha Bartier

Nicole Pfeifer

POUR L’INTERVENANT

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

FRIEDMAN MANSOUR LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE DANS LE DOSSIER

T-569-20

JENSEN SHAWA SOLOMON DUGUID HAWKES LLP

Calgary (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR DANS LE DOSSIER T-577-20

LOBERG ECTOR LLP

POUR LE DEMANDEUR DANS LE DOSSIER T-577-20

Edward Burlew

Avocat

Thornhill (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR DANS LE DOSSIER T-581-20

BOUCHELEV LAW

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR DANS LE DOSSIER T-677-20

Aucun

POUR LE DEMANDEUR DANS LE DOSSIER T-735-20

SUPREME ADVOCACY

Ottawa (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR DANS LE DOSSIER T-905-20

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

Procureur général de l’Alberta

Calgary (Alberta)

POUR L’INTERVENANT

 

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