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Date : 20060615

Dossier : IMM-7381-05

Référence : 2006 CF 763

Montréal (Québec), le 15 juin 2006

En présence de Monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

ERENDIRA HERNANDEZ BENITEZ

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La demanderesse est une citoyenne mexicaine maintenant âgée de 28 ans. Elle allègue avoir une crainte bien fondée de persécution de la part d'un individu qui l'aurait harcelée à plusieurs reprises, et se réclame donc en conséquence de la protection offerte par les articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

[2]                Elle soutient avoir été harcelée sexuellement une première fois en 1993 par un homme qui s'est avéré être un professeur dans une école normale d'enseignement. Suite à cet incident, elle a décidé de poursuivre ses études dans une ville située à 80 kilomètres de chez elle. Durant les dix années qui ont suivi, elle n'a jamais eu d'autre problème avec cet homme. Ce n'est qu'en 2003 qu'elle aurait de nouveau été violentée par le même individu.

[3]                La demanderesse serait alors allée porter plainte à la police, mais elle a quitté son pays quelques jours plus tard pour se rendre au Canada. Elle a revendiqué le statut de réfugié dès son arrivée à l'aéroport.

[4]                La Section de la protection des réfugiés (SPR) a conclu que la demanderesse n'avait pas la qualité de réfugiée au sens de la Convention et ne se qualifiait pas non plus comme personne à protéger. La SPR en est arrivée à cette conclusion essentiellement pour deux motifs : d'abord parce qu'elle pouvait se prévaloir d'un refuge interne, et ensuite parce que les autorités mexicaines lui apparaissaient être en mesure d'assurer sa protection. Après avoir pris connaissance du dossier ainsi que des représentations écrites et orales des procureurs de la demanderesse et du défendeur, j'estime que la SPR n'a pas commis d'erreur révisable en concluant que la demanderesse avait une possibilité de refuge interne. Il ne me sera donc pas nécessaire de me prononcer sur la question de savoir si la demande devait également être rejetée sur la base de la protection que pouvait offrir l'État mexicain.

QUESTION EN LITIGE

[5]                La Section de la protection des réfugiés a-t-elle erré en déterminant que la demanderesse pouvait chercher refuge à l'intérieur même de son pays d'origine?

ANALYSE

[6]                Il est maintenant bien établi que la possibilité d'obtenir refuge dans une autre partie du même pays est inhérente à la notion même de réfugié. S'il en va ainsi, comme le faisait remarquer le juge Létourneau dans l'arrêt Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 164, c'est que la définition de réfugié au sens de la Convention exige que « les demandeurs de statut ne puissent ni ne veuillent, du fait qu'ils craignent d'être persécutés, se réclamer de la protection de leur pays d'origine et ce, dans n'importe quelle partie de ce pays » (paragraphe 16). Il revient donc au revendicateur de statut de réfugié d'établir qu'il ne pouvait ou ne voulait pas se prévaloir d'un refuge interne dans son pays.

[7]                La question du refuge interne doit être soulevée expressément lors de l'audience, de façon à permettre au revendicateur d'y répondre et, au besoin, de soumettre des éléments de preuve. Pour en arriver à la conclusion qu'une telle possibilité existe vraiment, la SPR doit être convaincue, selon la norme de la prépondérance des probabilités, que le revendicateur est bel et bien à l'abri de persécution dans telle ou telle région ou ville du pays, et qu'il ne serait pas déraisonnable, compte tenu de la situation particulière du revendicateur, de s'établir dans ce lieu de refuge interne. Comme l'écrivait ma collègue la juge Layden-Stevenson dans l'arrêt Righi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1351 (au paragraphe 6):

La question consiste à savoir si, compte tenu de la persécution qui existe dans sa partie du pays, on peut raisonnablement s'attendre à ce que le revendicateur cherche refuge dans une autre partie plus sûre de son pays avant de chercher refuge au Canada ou ailleurs. C'est un critère objectif, et le fardeau de la preuve incombe au revendicateur. La possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ne peut être seulement supposée ou théorique : elle doit être une option réaliste et abordable. L'autre partie plus sûre du même pays doit être réalistement accessible au demandeur. S'il est objectivement raisonnable de vivre dans une telle partie du pays sans craindre d'être persécuté, la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays existe, et le revendicateur n'est pas un réfugié. Il ne s'agit pas de savoir si l'autre partie du pays plaît ou convient au demandeur, mais plutôt de savoir si on peut s'attendre à ce qu'il puisse s'accommoder de ce lieu avant d'aller chercher refuge à l'autre bout du monde (Thirunavukkarasu c. Canada (M.E.I.), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.)

[8]                Compte tenu de ces principes, la SPR a-t-elle erré en concluant que la demanderesse avait une possibilité de refuge interne à Monterey? Je ne le crois pas. Un examen attentif des motifs du tribunal m'a convaincu qu'il avait tenu compte de toute la preuve disponible et qu'il n'avait pas commis d'erreur manifestement déraisonnable (puisqu'il s'agit d'une question de fait) dans l'évaluation qu'il en a faite.

[9]                S'agissant du premier volet de l'analyse, la SPR a déterminé que la requérante ne courrait aucun risque à Monterey en s'appuyant sur les fait suivants. D'abord, son agresseur n'a pas démontré beaucoup de zèle puisqu'il n'a pas cherché à retracer Mme Benitez pendant dix ans, ce qu'il aurait pu faire en contactant des membres de sa famille ou des amis; cela est d'autant plus significatif que cette dernière n'habitait qu'à 80 kilomètres de chez elle et revenait régulièrement voir ses parents. Qui plus est, son agresseur n'est pas une personne en autorité ou un membre des forces policières, mais un simple enseignant.

[10]            C'est en tenant compte de ces facteurs que la SPR a conclu, dans un premier temps, que la demanderesse ne serait pas en danger dans une ville qui compte plus d'un million d'habitants, et qui serait située à plus de dix heures de route de l'endroit où réside l'agresseur. Si ce dernier, qui semble agir seul, n'a fait aucune démarche pendant dix ans pour retrouver la demanderesse alors qu'elle habitait dans une ville de 50 000 habitants relativement près de chez lui, comment pourrait-on présumer qu'il la rechercherait et la trouverait à Monterey?

[11]            D'autre part, le tribunal s'est également intéressé à la situation particulière de la demanderesse, de façon à se satisfaire qu'un tel déplacement constituait une option raisonnable et ne lui imposerait pas un fardeau déraisonnable. Il a notamment tenu compte du fait qu'elle vit seule et sans ses parents depuis plusieurs années, qu'elle a dix-huit années de scolarité et qu'elle a fait des études en architecture.

[12]            Compte tenu de tous ces éléments de preuve, il n'était pas déraisonnable de conclure que la demanderesse ne s'est pas déchargée du fardeau qu'elle avait d'établir l'absence de toute possibilité de refuge interne dans une autre partie du Mexique. À ce propos, il convient d'ailleurs de rappeler que la barre doit être placée très haute lorsqu'il s'agit de déterminer ce qui serait déraisonnable. Pour reprendre une fois de plus les termes du juge Létourneau dans l'arrêt Ranganathan, précité, « [i]l ne faut rien de moins que l'existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d'un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l'existence de telles conditions » (paragraphe 15)

[13]            Étant donné que l'impossibilité de vivre ailleurs dans son pays d'origine constitue un élément essentiel à démontrer lors de toute demande d'asile, la conclusion du SPR sur cet aspect de la revendication était fatale pour la demanderesse. Par conséquent, il ne m'est pas nécessaire de me prononcer sur la validité de l'autre conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse ne s'est pas déchargée de son fardeau d'établir de manière claire et convaincante que la protection de l'État mexicain ne pourrait raisonnablement lui être fourni dans les circonstances : Horvath c. Canada ((Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1503 (C.F. 1ère inst.); Diaz c. Canada ((Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 652 (C.F. 1ère inst).

[14]            Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n'ont pas jugé opportun de soumettre des questions pour fins de certification, et ce dossier n'en soulève aucune.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que

            La demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Yves de Montigny »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-7381-05

INTITULÉ :                                        ERENDIRA HERNANDEZ BENITEZ

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 14 juin 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : Le juge de Montigny

DATE DES MOTIFS :                       le 15 juin 2006

COMPARUTIONS:

Anita E. Martinez

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Patricia Deslauriers

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Anita E. Martinez

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur general du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

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