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Date : 20231010


Dossier : IMM-5260-22

Référence : 2023 CF 1340

Ottawa (Ontario), le 10 octobre 2023

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

SUNGAT HORTENESE MA

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Mme Sungat Hortense Ma, citoyenne de la Côte d’Ivoire, demande le contrôle judiciaire de la décision que la Section d’appel des réfugiés [SAR] a rendue le 12 mai 2022. La SAR confirme alors la décision de la Section de protection des réfugiés [SPR] et détermine que Mme Ma n’a pas qualité de réfugiée au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [Loi sur l’immigration].

[2] La SAR estime correcte la conclusion de la SPR voulant qu’il existe une possibilité de refuge interne [PRI] pour Mme Ma dans les villes de Gagnoa et Yamoussoukro en Côte d’Ivoire [ou PRI proposée] et elle rejette conséquemment l’appel de Mme Ma.

[3] Au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, Mme Ma soumet que la SAR aurait erré dans son appréciation de la PRI proposée. Elle demande à cette Cour de casser la décision rendue par la SAR et de renvoyer l’affaire devant un panel autrement constitué.de la SAR.

[4] Pour les motifs détaillés ci-après, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire. Mme Ma n’a pas démontré que la SAR a erré et que sa décision est déraisonnable; au contraire, les motifs de la SAR démontrent que sa décision est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qu’elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles qui s’appliquent.

II. Contexte

[5] Le 20 février 2018, Mme Ma arrive seule au Canada munie d’un visa de visiteur canadien, valide du 13 décembre 2017 au 12 mars 2018, et en avril 2018, elle y demande l’asile. Son mari et ses enfants ne l’accompagnent pas et ils sont toujours en Côte d’Ivoire.

[6] Le 9 avril 2018, Mme Ma signe son Formulaire de Fondement de la demande d’asile [FDA]. Dans le narratif qu’elle joint à son formulaire, Mme Ma décrit sa famille et son travail à Abidjan. Elle y détaille avoir rencontré un collègue de travail, comptable, du nom d’Adam Adepi, le 22 septembre 2017 et que ce dernier aurait souhaité une relation amoureuse avec elle. Elle allègue que M. Adepi l’a harcelée, a tenté de l’enlever le 9 novembre 2017 et l’a menacée de mort. Elle ajoute que vers la mi-décembre 2017, un visa de visiteur américain lui a été émis via les services d’un passeur, qu’elle a reçu ce visa vers la mi-janvier et que le 20 février 2018, grâce à de l’aide financière, elle a pu quitter son pays. Mme Ma souligne aussi qu’en mars 2018, une fois au Canada, elle a communiqué avec son mari qui l’a informée que M. Adepi s’est présenté chez eux avec deux hommes qui ont menacé et frappé son mari. Ce dernier se serait ensuite caché avec les enfants chez un ami à Ayamé.

[7] Mme Ma amende plus tard son récit pour y ajouter qu’en octobre 2020, soit deux ans et demi plus tard, son mari est retourné à Abidjan et a repris son travail et qu’en janvier 2021, son mari a reçu des appels de M. Adepi qui cherchait le lieu de résidence de Mme Ma.

[8] Le 13 octobre 2021, la SPR entend la demande d’asile de Mme Ma et cette dernière témoigne à l’audience. Le 20 décembre 2021, la SPR rejette la demande d’asile de Mme Ma.

[9] La SPR soulève des préoccupations quant à l’allégation de l’enlèvement, le 9 novembre 2017, considérant que Mme Ma a signé sa demande de visa de visiteur pour les États-Unis le 8 novembre 2017. La SPR signale que cette incohérence fait naître des doutes quant à l’avènement de la tentative d’enlèvement, mais estime néanmoins que cet élément ne pourrait à lui seul entacher la crédibilité de la demanderesse au point de rejeter l’ensemble de ses allégations. Par ailleurs, la SPR conclut que Mme Ma a une PRI viable dans les villes de Gagnoa et Yamoussoukro. La SPR note que Mme Ma porte le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que M. Adepi a la volonté et la capacité de la retrouver dans les villes proposées et la SPR détermine que Mme Ma ne s’est pas acquittée de ce fardeau. De plus, la SPR n’est pas convaincue que Mme Ma a démontré qu’elle ne pouvait pas raisonnablement s’établir dans une des villes proposées comme PRI. La SPR détermine que Mme Ma ne présente pas le profil d’une femme vulnérable, sans soutien ni ressources, et conclut que Mme Ma ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir qu’il existe une possibilité sérieuse de persécution.

[10] Mme Ma interjette appel de la décision de la SPR devant la SAR. Mme Ma soutient alors que la SPR a erré dans l’analyse de la PRI proposée et dans l’appréciation de sa crédibilité. Elle conteste l’analyse du premier volet (capacité et motivation) et du deuxième volet du test applicable.

[11] Le 12 mai 2022, la SAR rejette l’appel et confirme la décision de la SPR.

III. La décision de la SAR

[12] Dans ses motifs, la SAR énonce les deux volets du test applicable à l’appréciation d’une PRI.

[13] En lien avec le premier volet du test, la SAR confirme d’abord qu’il incombait à Mme Ma d’établir que dans les villes proposées à titre de PRI, elle ferait face à une possibilité sérieuse de persécution au sens de l’article 96 de la Loi sur l’immigration ou qu’elle serait, au sens du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration, selon la prépondérance des probabilités, personnellement exposée au risque d’être soumise à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. À cet égard, la SAR partage le point de vue de la SPR et juge que l’agent de persécution n’a ni la capacité ni la motivation à trouver Mme Ma à Gagnoa et à Yamoussoukro, proposées comme PRI.

[14] Quant à la capacité de l’agent persécuteur de retrouver Mme Ma dans la PRI proposée, la SAR conclut que Mme Ma ne s’est pas déchargée de son fardeau. La SAR (1) est d’avis que la preuve au dossier établit en effet le profil de l’agent de persécution comme un homme influent qui a des contacts et de l’argent; (2) ne partage pas le point de vue de Mme Ma voulant que la SPR a tenté de construire un dossier contre elle; (3) ne retient pas non plus l’argument de Mme Ma selon lequel la conclusion de la SPR quant à l’omission dans son FDA démontrait une absence de prise en compte des difficultés que peuvent avoir les femmes à démontrer que leur revendication est crédible et digne de foi, et l’impact potentiel de la violence sexuelle subie; (4) est d’avis que le fait que l’agent de persécution ait trouvé le mari de Mme Ma et sa fille à Abidjan, dans un contexte où son mari avait repris un emploi qu’il occupait depuis de nombreuses années, ne signifie pas qu’il aurait la capacité de la trouver dans la PRI proposée prenant en compte le fait que l’agent de persécution n’a pas contacté son mari et ses enfants pendant une période de plus de deux ans où ils auraient vécu à quelques kilomètres d’Abidjan; (5) juge que l’omission par Mme Ma, dans son narratif, sans explication satisfaisante, et l’absence de mention dans la lettre de son amie de la présence de l’agent persécuteur dans le quartier permettent de mettre en doute la crédibilité de cette allégation; (6) note que Mme Ma a témoigné que l’agent de persécution ne savait pas qu’elle était au Canada et que son affirmation qu’à son retour à l’aéroport, l’agent de persécution « le saura car il a des gens infiltrés » est de la spéculation; (7) juge que les allégations de Mme Ma selon lesquelles l’agent de persécution aurait les ressources nécessaires pour la retrouver partout en Côte d’Ivoire, et particulièrement dans la PRI proposée, sont hypothétiques et spéculatives; le fait que l’agent de persécution soit riche et influent n’est pas suffisant pour tirer une conclusion qu’il aurait la capacité de trouver Mme Ma où que ce soit en Côte d’Ivoire; (8) estime que la dimension de la PRI proposée et sa distance d’Abidjan requerraient, de la part de l’agent de persécution, certains moyens qui n’ont pas été établis et souligne que Mme Ma n’a pas fourni de preuve qu’il aurait accès aux autorités, à des ressources gouvernementales ou à un autre type de ressources pour la trouver partout au pays et (9) note que la jurisprudence citée par Mme Ma n’indique pas qu’il est erroné de juger qu’un grand centre urbain constitue une PRI en raison de la taille de sa population, mais plutôt qu’on ne peut présumer qu’un grand centre urbain constitue une PRI en raison uniquement de la taille de sa population . La SAR estime que ce n'est pas ce que la SPR a fait et qu’elle a plutôt pris en compte ce facteur dans son analyse.

[15] La SAR juge correcte la conclusion de la SPR selon laquelle Mme Ma n’a pas été établi une possibilité sérieuse que l’agent de persécution aurait la capacité de la trouver dans la PRI proposée.

[16] Quant à la motivation de son agent persécuteur de retrouver Mme Ma dans les PRI proposées, la SAR note le témoignage de Mme Ma devant la SPR selon lequel l’agent de persécution savait où était sa famille pendant leur absence d’Abidjan (mars 2018 à Octobre 2020), mais n’y serait pas allé. La SAR constate ainsi que l’agent de persécution ne serait allé ni à Bouaké ni à Ayamé, et qu’il se serait limité à entrer en contact avec le mari de Mme Ma et sa fille plusieurs mois après leur retour à Abidjan. La SAR est d’avis que ce contact à Abidjan ne permet pas de conclure que l’agent de persécution aurait la motivation à chercher l’appelante partout en Côte d’Ivoire, et particulièrement dans la PRI proposée. La SAR ne retient pas l’argument que la période entre 2018 et 2021 ne serait qu’une accalmie ou encore celui fondé sur la pandémie car l’affirmation selon laquelle entre 2018 et 2020, les gens ne se déplaçaient pas, ne travaillaient pas et les enfants n’allaient plus à l’école en Côte d’Ivoire n'a pas été mis en preuve, et, selon les faits généralement reconnus (paragraphe 171 b) de la Loi sur l’immigration), la pandémie n’a commencé qu’au mois de mars 2020.

[17] La SAR estime que Mme Ma n’a pas établi qu’il existe plus qu’une simple possibilité que l’agent de persécution ait la motivation à la trouver aujourd’hui dans la PRI proposée.

[18] Enfin quant au deuxième volet du test applicable, la SAR estime, à l’instar de la SPR, que des conditions qui mettraient en péril la vie ou la sécurité de Mme Ma n’ont pas été établies. Après avoir détaillé la décision de la SPR et les arguments de Mme Ma, la SAR note notamment que (1) le risque de ne pas trouver de travail qui convienne au demandeur d’asile n’est pas suffisant pour faire en sorte que la PRI proposée soit déraisonnable; (2) dans les circonstances, la SPR n’a pas proposé les deux villes comme PRI de manière spéculative; (3) elle n’a pas relevé d’erreurs dans la conclusion non contestée de la SPR selon laquelle le mari de Mme Ma ne pourrait pas aller vivre dans la PRI proposée et est d’accord avec celle-ci; (4) Mme Ma n’a pas le profil d’une femme vulnérable; (5) Mme Ma n’a pas établi qu’elle craint véritablement d’être persécutée pour un motif de la Convention au sens des directives données par la président en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration, Directives no 4, Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe, Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, 13 novembre 1996 [Directives no4] et non qu’elle fait l’objet d’une forme de violence généralisée; et (6) Mme Ma n’a pas fait la preuve que l’État est incapable d’assurer la sécurité et n’a donc pas réfuté la présomption de protection.

[19] La SAR est d’avis que la conclusion de la SPR au regard du second volet est correcte.

[20] En somme, la SAR estime correcte la conclusion de la SPR voulant qu’il existe une PRI dans les villes de Gagnoa et de Yamoussoukro en Côte d’Ivoire

IV. Analyse

[21] Devant la Cour, Mme Ma soutient que la SAR a erré dans l’appréciation de la PRI proposée et dans l’analyse de sa crainte comme membre du groupe social des femmes.

[22] La Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de la décision raisonnable s’applique pour le contrôle judiciaire d’une décision administrative (Canada (MCI) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23-25 [Vavilov]). Compte tenu des arguments soulevés par Mme Ma, aucune des situations justifiant le renversement de cette présomption ne se présente dans le cadre du présent contrôle judiciaire (Vavilov aux para 25, 33,53, Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 27).

[23] Au surplus, la Cour a déjà confirmé que les conclusions de la SAR quant à l’existence d’une PRI viable doivent être revues selon la norme de la décision raisonnable (Djeddi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1580 au para 16; Valencia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 386 au para 19; Adeleye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 81 au para 14; Ambroise c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 62 au para 6; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 350 [Singh] au para 17; Kaisar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 789 au para 11).

[24] Ainsi, il s’agit ici de déterminer si la décision de la SAR est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles » (Vavilov au para 85). La partie qui conteste une décision doit prouver que cette dernière est déraisonnable.

[25] Tel que le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le Ministre] le soulève, le fardeau de preuve d’un demandeur est élevé lorsqu’il s’agit d’entacher le caractère raisonnable d’une décision sur une PRI. Un demandeur doit apporter une preuve réelle et concrète de l’existence de conditions qui mettraient sa vie ou sa sécurité en péril dans l’endroit mentionné par la SPR (Ranganathan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2000 CanLII 16789 (CAF), [2001] 2 CF 164 (CAF), au para 15; Campos Navarro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 358, au para20; Olivares Sanchez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 443, au para22).

[26] Le test permettant de déterminer l’existence d’une PRI viable a été établi dans les arrêts Rasaratnam c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 1991 CanLII 13517 (CAF), [1992] 1 CF 706 (CA) et Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 1993 CanLII 3011, [1994] 1 CF 589 (CA) [Thirunavukkarasu] rendus par la Cour d’appel fédérale. Ainsi, deux critères doivent être satisfaits:

1) Il n’y a pas de possibilité sérieuse, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur soit persécuté dans la partie du pays dans laquelle la PRI existe; et

2) Il n’est pas déraisonnable pour le demandeur de prendre refuge à la PRI, compte tenu de toutes les circonstances, y compris celles qui sont propres à la situation du demandeur.

[27] La Cour a indiqué que « l’analyse d’une PRI repose sur le principe voulant que la protection internationale ne puisse être offerte aux demandeurs d’asile que dans les cas où le pays d’origine est incapable de fournir à la personne qui demande l’asile une protection adéquate partout sur son territoire » (Singh, 2020 CF 350 au para 26).

[28] Enfin, si une PRI est suggérée, le demandeur d’asile porte le fardeau de démontrer que la PRI est inadéquate et qu’il est déraisonnable de s’y établir (Thirunavukkarasu au para 12; Salaudeen v Canada (Citizenship and Immigration), 2022 FC 39 au para 26; Manzoor-Ul-Haq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1077 au para 24; Feboke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 155 aux para 43–44).

[29] Quant au premier volet du test applicable pour déterminer une PRI, et plus particulièrement quant à la capacité de l’agent persécuteur de la retrouver, Mme Ma soutient essentiellement que la SAR (1) a ignoré que M. Adepi a la capacité de la retrouver et que la preuve démontre au contraire qu’il est riche, influent, a des contacts un peu partout dans le pays, connait des hommes et qu’il a d’ailleurs retrouver son mari et sa fille; (2) a erré en considérant que Mme Ma aurait omis d’indiquer avoir appris que M. Adepi aurait rodé dans son quartier; (3) a erré en concluant que la proposition que M. Adepi serait au courant qu’elle est de retour au pays advenant qu’elle aille s’établir dans une autre ville est de la spéculation; et (4) a erré en concluant que vu la taille de la population de la ville, M. Adepi n’aurait pas la capacité de la retrouver.

[30] Quant à la motivation de l’agent persécuteur de la retrouver, Mme Ma soutient que la SAR a erré en concluant que la famille n’a pas eu de problème lorsqu’ils ont vécu dans la ville d’Ayamé et a ignoré l’impact de la pandémie de la COVID-19, lequel n’a pas besoin d’être mis en preuve.

[31] Le Ministre répond que la SAR a accordé du poids à différents facteurs en évaluant la capacité et la motivation de l’agent persécuteur tels que (1) M. Adepi (le comptable) n’a pas été en mesure de retrouver la famille de Mme Ma entre mars 2018 et octobre 2020, et ce, alors qu’ils vivaient dans une petite ville à quelques kilomètres d’Abidjan; (2) ce n’est qu’après que sa famille soit retournée vivre à Abidjan et après que son conjoint ait réintégré le même emploi qu’il occupait depuis 20 ans que M. Adepi aurait approché sa famille en 2021; (3) M. Adepi ne savait pas que Mme Ma était au Canada; (4) la pandémie a débuté en mars 2020. Or, la famille de la demanderesse avait vécu depuis mars 2018 à Ayamé, soit pendant deux ans, sans aucun problème; (5) l’allégation présentée pour la première fois pendant l’audience que M. Adepi aurait rôdé près de la résidence d’une amie de Mme Ma alors que son amie ne mentionne pas ce fait.

[32] Je n’ai pas été convaincue que la décision de la SAR sur le premier volet est déraisonnable. D’abord, en lien avec la capacité de l’agent persécuteur, il est raisonnable de conclure que la constatation que l’agent persécuteur est riche et influent s’avère insuffisante dans un cas comme celui en l’espèce alors que son degré d’influence n’est pas établi, qu’il n’a pas réussi à retrouver la famille de Mme Ma qui vivait à quelques kilomètres d’Abidjan pendant deux ans, qu’il ignorait où se trouvait Mme Ma et qu’il n’y a pas de preuve des ressources dont il dispose. L’agent persécuteur n’a été en mesure de retrouver la famille qu’après le retour de cette dernière à Abidjan; il est raisonnable de conclure que la capacité de l’agent persécuteur de retrouver Mme Ma dans la PRI proposée n’a pas été établie.

[33] En lien avec la motivation de l’agent persécuteur, force est de constater que la famille n’a pas été importunée pendant deux ans et demi, dont deux années complètes avant même le début de la pandémie, et il est raisonnable de conclure que la motivation de l’agent persécuteur n’a pas non plus été établie.

[34] Quant au deuxième volet du test applicable, Mme Ma soumet (1) qu’il serait trop sévère de s’attendre à ce qu’elle déménage dans les villes de Gagnoa ou Yamoussoukro et qu’elle a témoigné que ce serait une difficulté excessive, et ce, malgré son éducation, son historique d’emploi, car ces villes ne sont pas des villes importantes et qu’il n’y a pas d’emploi; (2) que la SAR a erré en retenant la taille de la population ; (3) même si le fardeau de la preuve incombe au demandeur d’asile, la Commission ne peut pas, en l’absence d’éléments de preuve suffisants, s’appuyer uniquement sur le fait que le demandeur d’asile ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve pour conclure à l’existence d’une PRI et qu’il n’incombe nullement à un demandeur d’asile de mettre personnellement à l’épreuve la viabilité d’une PRI avant de demander la protection au Canada; et (4) la SAR a erré en concluant que Mme Ma n’a pas un profil vulnérable au sens des Directives no 4.

[35] Quant au deuxième volet du test, le Ministre répond que Mme Ma n’a pas démontré que le fait de s’installer dans ces villes mettrait sa sécurité ou sa vie en péril et que la décision de la SAR est donc raisonnable.

[36] En l’instance, je conclus que Mme Ma n’a pas démontré que la décision de la SAR sur le deuxième volet est déraisonnable; Mme Ma n’a démontré aucune lacune grave qui nécessiterait l’intervention de la Cour à cet égard.

[37] Mme Ma convient qu’elle porte le fardeau de démontrer que la PRI est inadéquate et qu’il est déraisonnable pour elle de s’y établir et elle convient aussi en somme que la preuve est ici insuffisante. Je n’accepterai pas son invitation de renverser en quelque sorte le fardeau de preuve. Je note par ailleurs, tel que le souligne le Ministre, que la SAR a tenu compte que la violence envers les femmes est un problème en Côte d’Ivoire, que le harcèlement sexuel reste souvent impuni et qu’il y a des limites aux recours disponibles pour les femmes victimes de harcèlement sexuel, mais a conclu que cela n’équivalait pas à un risque de préjudice suffisamment grave qui mettrait la vie ou la sécurité en danger. Mme Ma n’indique pas comment la SAR a erré à cet égard. Aussi, Mme Ma n’a pas fait la preuve que l’État est incapable d’assurer la sécurité et n’a donc pas réfuté la présomption de protection, la conclusion de la SAR à cet égard est donc aussi raisonnable.

[38] La SAR est présumée avoir considéré toute la preuve (Guiseppe Ferraro c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 801, au para 17). Mme Ma devait démontrer que la SPR a fait défaut de considérer une preuve qui avait une forte valeur probante et un impact sur la décision, mais ne l’a pas fait. De plus, la SAR peut examiner la preuve documentaire dans son ensemble et n’a pas à mentionner chaque document du cartable isolément (Velazquez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 775, aux para 22-23). En l’instance, la décision de la SAR est détaillée et elle traite des arguments soulevés devant elle. Mme Ma aurait préféré un autre résultat, mais cela ne justifie pas l’intervention de la Cour.

[39] Compte tenu des éléments du dossier, la SAR pouvait confirmer que Mme Ma dispose d’une PRI dans les villes de Gagnoa et de Yamoussoukro. La SAR pouvait raisonnablement conclure que Mme Ma n’a pas rencontré son fardeau de preuve quant aux deux volet du test applicable.

V. Conclusions

[40] Mme Ma n’a pas démontré que la décision de la SAR souffre de lacune et qu’elle est déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera conséquemment rejetée

 


JUGEMENT dans IMM-5260-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée

  2. Aucun dépens n’est octroyé

  3. Aucune question n’est certifiée

« Martine St-Louis »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5260-22

 

INTITULÉ :

SUNGAT HORTENESE MA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 septembre 2023

 

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ST-LOUIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 Octobre 2023

 

COMPARUTIONS :

Me Aristide Koudiatou

 

Pour la partie demanderesse

 

Me Sonia Bédard

 

Pour la partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Aristide Koudiatou

Montréal (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

 

Procureure générale du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

 

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