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Date : 20231102


Dossiers : T-159-23

T-160-23

Référence : 2023 CF 1463

Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2023

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

Dossier : T-159-23

ENTRE :

RÉMY ÉLIE LOEB

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Dossier : T-160-23

ET ENTRE :

RÉMY ÉLIE LOEB

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Loeb sollicite le contrôle judiciaire de décisions concernant son inadmissibilité à la Prestation canadienne d’urgence [PCU] et à la Prestation canadienne de la relance économique [PCRE]. Je rejette sa demande, puisque l’agente de second examen a raisonnablement conclu qu’il n’avait pas cessé de travailler ou subi une réduction de ses revenus ou de ses heures de travail en raison de la pandémie de la COVID-19 et que, concernant la PCU, il n’avait pas fait la preuve d’un revenu de travail indépendant d’au moins 5 000 $ dans l’année précédant la demande.

I. Contexte

[2] M. Loeb est courtier immobilier. En 2020 et 2021, il a reçu la PCU pour six périodes et a reçu la PCRE pour 24 périodes.

[3] Le 23 juin 2022, l’Agence du revenu du Canada [l’Agence] a entrepris un premier examen de l’admissibilité de M. Loeb à la PCU et à la PCRE. Le 27 juin 2022, l’Agence lui a envoyé une lettre lui demandant de présenter une preuve de revenus de plus de 5 000 $. Au cours des deux mois suivants, M. Loeb a transmis divers documents. L’agent de premier examen a rendu deux décisions le 21 novembre 2022. L’agent a conclu que M. Loeb était inadmissible pour la PCU pour toutes les périodes demandées, parce qu’il n’avait pas gagné au moins 5 000 $ de revenus de travail indépendant en 2019 ou au cours des 12 mois avant la date de sa première demande et que ses heures de travail n’ont pas été réduites en raison de la COVID-19. Il a aussi jugé que M. Loeb était inadmissible à la PCRE, parce qu’il n’avait pas gagné au moins 5 000 $ de revenus de travail indépendant en 2019, en 2020 ou au cours des 12 mois avant la date de sa première demande et qu’il n’avait pas eu une baisse de 50 p. cent de son revenu hebdomadaire moyen en raison de la pandémie.

[4] En novembre 2022, M. Loeb a demandé un deuxième examen de ces décisions. Il a transmis des déclarations de revenus modifiées faisant état de revenus de travail indépendant accrus pour les années 2019, 2020 et 2021. Il a également eu un entretien téléphonique avec l’agente de second examen. Le 5 janvier 2023, l’agente a rendu deux décisions confirmant l’inadmissibilité de M. Loeb aux deux prestations. L’agente a accepté que M. Loeb avait gagné un revenu de plus de 5 000 $ en 2020, mais non en 2019, ce qui rendait celui-ci inadmissible à la PCU. Elle a également conclu qu’il n’avait pas cessé de travailler, que ses revenus n’avaient pas diminué de 50 p. cent et que ses heures de travail n’avaient pas été réduites en raison de la pandémie. Elle a donc statué que M. Loeb était inadmissible tant à la PCU qu’à la PCRE.

[5] M. Loeb sollicite maintenant le contrôle judiciaire de ces deux décisions.

II. Analyse

[6] En contrôle judiciaire, le rôle de la Cour n’est pas de réévaluer le dossier à partir de zéro, mais plutôt de se demander si le décideur administratif—ici, l’agente de second examen—a rendu une décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653.

[7] Cette analyse doit se fonder sur la preuve et les renseignements dont disposait l’agente de second examen. Le contrôle judiciaire ne vise pas à donner au demandeur l’occasion d’introduire de nouvelles preuves qui n’ont pas été portées à l’attention du décideur administratif. En l’espèce, M. Loeb a présenté, au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, divers documents visant à étayer son affirmation que ses revenus ont été réduits de plus de 50 p. cent. Ces documents sont inadmissibles, puisqu’ils n’ont pas été portés à l’attention de l’agente de second examen. M. Loeb a soutenu que ces documents n’étaient pas nouveaux puisqu’ils étaient accessibles sur l’Internet. Or, on ne saurait reprocher à l’agente de second examen de ne pas avoir tenu compte de documents qui n’ont pas été portés à son attention, même si ceux-ci étaient disponibles sur l’Internet. L’agente n’est pas tenue d’effectuer ses propres recherches pour compléter le dossier du demandeur.

A. L’arrêt du travail ou la réduction des revenus

[8] La première question est de savoir si l’agente a raisonnablement conclu que M. Loeb n’a pas arrêté de travailler et qu’il n’a pas subi une réduction de ses revenus ou de ses heures de travail en raison de la pandémie.

[9] Cette question se pose en des termes légèrement différents quant à la PCU et quant à la PCRE.

[10] Quant à la PCU, l’alinéa 6(1)a) de la Loi sur la prestation canadienne d’urgence, LC 2020, ch 5, art 8 [Loi sur la PCU], prévoit que le demandeur doit avoir « cess[é] d’exercer son emploi—ou d’exécuter un travail pour son compte—pour des raisons liées à la COVID-19 pendant au moins quatorze jours consécutifs compris dans la période de quatre semaines pour laquelle il demande l’allocation ». L’agente a aussi examiné si les heures de travail de M. Loeb avaient été réduites en raison de la pandémie. Ce critère ne découle pas explicitement de la Loi sur la PCU et les parties n’ont pas précisé sa source, mais je crois comprendre qu’il découle du Règlement sur l’allocation de soutien du revenu (revenu nominal soustrait), DORS/2020-90.

[11] Quant à la PCRE, l’alinéa 3(1)f) de la Loi sur les prestations canadiennes de relance, LC 2020, ch 12, art 2, exige que la personne qui réclame la prestation n’ait pas exécuté un travail pour son compte pendant la période pour laquelle elle réclame celle-ci ou ait subi une réduction d’au moins 50 p. cent de ses revenus hebdomadaires moyens.

[12] La preuve dont disposait l’agente comprenait des déclarations de revenus initiales et modifiées de M. Loeb. En prenant l’hypothèse la plus favorable à M. Loeb, c’est-à-dire en tenant pour avérées ses déclarations de revenus modifiées, ses revenus nets de travail indépendant s’établissaient à 8 266 $ pour 2019, 6 050 $ pour 2020 et 43 450 $ pour 2021. L’agente disposait également d’un relevé bancaire que M. Loeb avait transmis à l’agent de premier examen, démontrant la réception d’une somme importante à titre de commission en juin 2020.

[13] L’agente s’est également entretenue avec M. Loeb. Les notes de l’agente résument ainsi la substance de cette conversation :

[M. Loeb] me dit être courtier immobilier, depuis environ 11 ans. Me dit qu’à l’arrivée de la covid, ne pouvait plus faire de visite de domiciles. Je lui demande à plusieurs reprises le moment où il a repris le travail. Me dit environ 6 mois. Je lui mentionne que ça signifie qu’en septembre le travail avait repris. Me dit qu’il ne sait pas. Me dit que c’était restrictif, mais dit qu’il avait accès au virtuel. Je lui confirme la réception de PCRE en 2021 pour une bonne partie de l’année. Je lui demande si le travail avait repris. Me dit que le métier de courtier immobilier c’est ça. C’est parfois avoir des clients et parfois ne pas en avoir.

[14] À la lumière de ces renseignements, l’agente pouvait raisonnablement conclure que M. Loeb n’avait pas cessé de travailler, que ses heures de travail n’avaient pas été réduites et que ses revenus de travail indépendant n’avaient pas diminué d’au moins 50 p. cent en raison de la pandémie.

[15] Même en acceptant sa déclaration de revenus révisée pour 2019, il faudrait conclure que ses revenus pour l’année 2020 n’ont diminué que d’environ 25 p. cent par rapport à 2019. En 2021, ils ont connu une hausse considérable. M. Loeb a reçu une commission importante en juin 2020, au plus fort des mesures de confinement. De plus, les déclarations que M. Loeb a faites à l’agente ne permettaient pas à celle-ci d’apprécier le pourcentage de réduction de ses revenus et tendaient plutôt à démontrer qu’il avait été en mesure de poursuivre ses activités.

[16] À l’audience devant cette Cour, M. Loeb a soutenu que les mesures de confinement prises en réaction à la pandémie avaient rendu impossible l’exercice de ses activités. Les visites libres ont été suspendues, certaines catégories de transactions ont été interdites pendant une certaine période, il n’était plus possible de rencontrer de nouveaux clients dans certains lieux publics et les bureaux de la firme de courtage ont été fermés.

[17] Je ne doute pas du fait que les mesures liées à la pandémie ont bouleversé la vie de nombreux citoyens, y compris celle de M. Loeb. Je ne doute pas que les transactions immobilières ont connu un ralentissement, à tout le moins durant les premiers mois de la pandémie. Cependant, pour être admissible à la PCRE, M. Loeb devait démontrer à l’agente de second examen que ses revenus avaient diminué de 50 p. cent ou plus entre 2019 et 2020 ou entre 2020 et 2021. Cette démonstration devait porter sur la situation individuelle de M. Loeb. Celui-ci ne pouvait s’acquitter de son fardeau en invoquant des statistiques concernant l’ensemble de l’industrie ou en affirmant avoir perdu certains clients. Ses déclarations de revenus constituent la principale preuve concrète dont disposait l’agente. Cette preuve ne démontre pas que les revenus de M. Loeb ont diminué de plus de 50 p. cent.

[18] De plus, pour être admissible à la PCU, M. Loeb devait démontrer à l’agente de second examen qu’il a cessé de travailler pour une période de deux semaines consécutives dans la période pour laquelle il a demandé la PCU, ou que ses heures de travail ont été réduites. Les renseignements que M. Loeb a fournis à l’agente ne font état d’aucune période précise durant laquelle il aurait cessé de travailler et ne permettent tout simplement pas d’établir une réduction de ses heures de travail.

[19] Les décisions de l’agente concernant l’inadmissibilité de M. Loeb à la PCU et à la PCRE sont donc raisonnables.

B. Le revenu minimum de 5 000 $

[20] L’agente de second examen a également conclu que M. Loeb n’avait pas fait la preuve d’un revenu de travail indépendant d’au moins 5 000 $ pour l’année 2019 ou pour la période de 12 mois se terminant à la date de la première demande de PCU. Selon l’agente, cela constitue un motif additionnel d’inadmissibilité à la PCU, puisque M. Loeb ne satisfait pas à la définition de « travailleur » que l’on retrouve à l’article 2 de la Loi sur la PCU.

[21] Puisque M. Loeb est de toute manière inadmissible à la PCU parce qu’il n’a pas cessé de travailler ou que ses heures de travail n’ont pas été réduites en raison de la COVID-19, la question du seuil de revenu n’est pas déterminante. Je l’aborde brièvement par souci d’exhaustivité.

[22] M. Loeb avait initialement déclaré des revenus de travail autonome de 0 $ pour l’année 2019. Il a ensuite demandé la modification de sa déclaration pour indiquer un revenu net de 8 266 $. Cependant, bien qu’il ait transmis à l’agente un état des dépenses pour l’année 2020, il ne l’a pas fait pour l’année 2019. L’agente ne pouvait donc valider le calcul du revenu net. La seule indication pertinente figurant sur la demande de redressement est que M. Loeb ne souhaitait pas « déduire les dépenses d’utilisation de domicile ».

[23] La jurisprudence de notre Cour a établi que les agents de révision de la PCU et de la PCRE ne sont pas tenus d’accepter une déclaration de revenus comme preuve suffisante que le contribuable a gagné les revenus qu’il déclare : Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 au paragraphe 35; Lavigne c Canada (Procureur général), 2023 CF 1182 au paragraphe 43.

[24] Dans ces circonstances, la décision de l’agente est raisonnable, car M. Loeb n’a pas apporté une preuve suffisante concernant le calcul de ses revenus pour l’année 2019.

C. L’équité procédurale

[25] L’avis de demande de M. Loeb, qui paraît avoir été rédigé en se fondant sur un modèle fourni par un tiers, contient certaines allégations selon lesquelles l’Agence aurait omis d’expliquer à M. Loeb la nature des preuves exigées afin de démontrer une diminution de revenus. L’affidavit de M. Loeb est silencieux à cet égard. M. Loeb n’a pas abordé cette question à l’audience.

[26] Il suffit de dire, à ce propos, qu’il appartenait à M. Loeb d’établir un manquement à l’équité procédurale. Il ne s’est pas déchargé de ce fardeau. Rien dans le dossier ne démontre que M. Loeb ignorait ce dont il devait faire la preuve.

III. Conclusion

[27] Pour ces motifs, les demandes de contrôle judiciaire de M. Loeb seront rejetées.

[28] Le procureur général réclame les dépens selon le tarif. Dans les circonstances, je suis d’avis de condamner M. Loeb à payer une somme forfaitaire de 500 $ à titre de dépens, ce qui représente vraisemblablement une somme inférieure à celle qui résulterait de l’application du tarif.

 


JUGEMENT dans les dossiers T-159-23 et T-160-23

LA COUR STATUE que :

1. La demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-159-23 est rejetée.

2. La demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-160-23 est rejetée.

3. Le demandeur est condamnée à payer au défendeur une somme de 500 $, incluant taxes et débours, à titre de dépens.

« Sébastien Grammond »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossiers :

T-159-23 et T-160-23

 

DOSSIER :

T-159-23

 

INTITULÉ :

RÉMY ÉLIE LOEB c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

ET DOSSIER :

T-160-23

 

INTITULÉ :

RÉMY ÉLIE LOEB c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 octobre 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 novembre 2023

 

COMPARUTIONS :

Rémy Élie Loeb

 

Pour le demandeur

(Pour SON PROPRE COMPTE)

 

Anne-Élizabeth Morin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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