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Date : 20230619


Dossier : IMM-7028-23

Référence : 2023 CF 859

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 19 juin 2023

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

Alicia AGUAYO LOPEZ

Marco Antonio CHAIREZ MOLINA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. APERÇU

[1] Les demandeurs, Alicia Aguayo Lopez et Marco Antonio Chairez Molina, sont des citoyens du Mexique qui ont reçu l’ordre de quitter le Canada. Alors qu’ils devaient se présenter pour leur renvoi le 26 juin 2023, les demandeurs ont demandé un report à une agente d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC). Le 5 juin 2023, l’agente a rejeté la demande. Les demandeurs ont présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision. Ils demandent maintenant un sursis à l’exécution des mesures de renvoi jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue sur leur demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de l’agente.

[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que les demandeurs ont satisfait au critère à trois volets régissant l’octroi d’un sursis. La présente requête sera donc accueillie.

II. CONTEXTE

[3] M. Chairez Molina et Mme Aguayo Lopez sont tous les deux nés au Mexique en 1971. Ils se sont rencontrés en 1991, lorsqu’ils avaient 19 ans. À l’époque, Mme Aguayo Lopez était la mère de deux enfants, dont l’un handicapé.

[4] Après leur rencontre, les demandeurs ont immigré ensemble aux États-Unis. Leur premier enfant est né aux États-Unis en 1995. La même année, ils ont réussi à s’organiser pour que les deux autres enfants de Mme Aguayo Lopez les rejoignent. Les demandeurs ont eu finalement deux autres enfants ensemble qui sont aussi nés aux États-Unis.

[5] M. Chairez Molina détenait initialement un permis de travail aux États-Unis. Après l’expiration de son dernier permis de travail en 2007, il y est demeuré sans statut. Mme Aguayo Lopez n’a jamais eu de statut juridique aux États-Unis.

[6] En novembre 2013, M. Chairez Molina s’est rendu au Mexique pour s’occuper de son père malade. Lorsqu’il a tenté de retourner aux États-Unis deux semaines plus tard, il s’est vu refuser l’entrée. Peu de temps après, Mme Aguayo Lopez a rejoint M. Chairez Molina au Mexique. Tous leurs enfants sont restés aux États-Unis. Ils y demeurent toujours à ce jour.

[7] Les demandeurs ont tenté de rentrer illégalement aux États-Unis deux fois (en mars et octobre 2015), mais, les deux fois, ils ont été appréhendés et renvoyés au Mexique. Pendant qu’ils étaient au Mexique, ils vivaient essentiellement dans l’État de Nayarit avec le père de Mme Aguayo Lopez.

[8] En novembre 2015, les demandeurs ont pris des dispositions pour qu’un passeur (également appelé « coyote ») les aide à entrer aux États-Unis de façon irrégulière. Cependant, au lieu de les aider à traverser la frontière, le coyote et ses associés ont enlevé les demandeurs et les ont détenus pour obtenir une rançon. Les deux demandeurs ont subi de la violence grave pendant cette période. Ils ont été libérés après cinq jours lorsque leur fils a payé une rançon de 800 $. Les ravisseurs ont conservé leurs téléphones portables et leurs documents, notamment leurs certificats de naissance, passeports et permis de conduire.

[9] Après leur libération, les demandeurs sont retournés au Nayarit.

[10] En avril 2017, les demandeurs sont entrés au Canada à titre de visiteurs. Ils ont présenté des demandes d’asile en novembre 2017. Les demandes d’asile étaient fondées sur la crainte de préjudice de la part du groupe qui les avait enlevés et maltraités en 2015.

[11] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) a rejeté une première fois les demandes d’asile. Toutefois, les demandeurs ont interjeté appel avec succès de la décision de la SPR devant la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la CISR et une nouvelle audience devant la SPR a été ordonnée. À la suite de cette nouvelle audience, en novembre 2021, la SPR a rejeté une nouvelle fois les demandes d’asile. La SPR a estimé que le récit des demandeurs sur leur enlèvement était crédible. Elle a conclu, toutefois, que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger, car ils disposaient d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable à Mérida et à Mexico. Plus précisément, la SPR a conclu que les agents de persécution n’avaient ni les moyens ni la motivation de poursuivre les demandeurs dans l’une des deux villes et qu’il était raisonnable qu’ils s’y installent.

[12] Les demandeurs ont interjeté appel de cette décision devant la SAR. La SAR a rejeté l’appel en avril 2022. Tout comme la SPR, la SAR a estimé que le récit des demandeurs sur leur enlèvement était crédible. Bien qu’elle ait reconnu que les demandeurs éprouvaient une véritable crainte subjective suscitée par l’expérience qu’ils avaient vécue en 2015, la SAR a conclu que leur crainte d’être exposés à un risque éventuel dans leur « région d’origine » du Nayarit n’était pas objectivement fondée parce que les agents de persécution n’avaient aucun lien avec cette région. La SAR a donc conclu qu’une analyse de la PRI n’était pas nécessaire parce que les demandeurs n’avaient pas besoin de déménager du Nayarit pour éviter des préjudices futurs au Mexique.

[13] Les demandeurs ont sollicité le contrôle judiciaire de la décision de la SAR. Dans une décision rendue le 14 avril 2023, le juge Fothergill a rejeté la demande, concluant que la décision de la SAR était raisonnable : voir Molina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 554.

[14] Par ailleurs, depuis qu’ils sont au Canada, les demandeurs ont reçu un diagnostic de graves problèmes physiques et psychologiques qui ont nécessité d’importants soins médicaux et psychothérapeutiques constants. Il convient de préciser que les demandeurs souffrent d’un trouble de stress post-traumatique à la suite de l’enlèvement de 2015.

[15] Le 5 mai 2023, les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). (Bien que, normalement, le demandeur d’asile débouté qui a demandé le contrôle judiciaire d’une décision rejetant cette demande d’asile doive attendre 12 mois après le prononcé de la décision rejetant la demande de contrôle judiciaire avant de présenter une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, les demandeurs ont invoqué l’exception prévue à l’alinéa 25(1.21)a) de la LIPR pour les personnes qui seraient exposées à un risque résultant de l’incapacité de leur pays de nationalité de leur fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.) Les demandeurs ont présenté des observations supplémentaires le 25 mai 2023. La demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire repose principalement sur le besoin des demandeurs de rester au Canada pour éviter le traumatisme psychologique qu’ils subiraient s’ils devaient retourner au Mexique et pour s’assurer qu’ils reçoivent les soins dont ils ont besoin pour leurs graves problèmes de santé.

[16] Lorsque les demandeurs ont présenté leur demande d’asile en 2017, ils ont fait l’objet de mesures d’interdiction de séjour conditionnelles. Ces mesures d’interdiction de séjour ont pris effet au prononcé de la décision rejetant la demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAR : voir l’alinéa 231(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR). Les mesures d’interdiction de séjour ayant pris effet, en application du paragraphe 224(1) du RIPR, les demandeurs étaient tenus de quitter le Canada au plus tard le 14 mai 2023. Étant donné qu’ils ne sont pas partis, les mesures d’interdiction de séjour prises contre eux sont devenues des mesures d’expulsion.

[17] Le 25 mai 2023, les demandeurs ont été avisés par l’ASFC qu’ils seraient renvoyés du Canada le 26 juin 2023, ou peu de temps après cette date.

[18] Le 1er juin 2023, les demandeurs ont demandé à l’ASFC le report de leur renvoi [traduction] « pendant un minimum de sept mois ou jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à la première étape de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ». Les demandeurs ont soutenu que, étant donné leurs besoins importants en matière de soins de santé physique et mentale, et le fait que les soins de santé au Mexique sont inadéquats ou leur seraient inaccessibles, ils risquaient de s’exposer à des conséquences néfastes pour la santé, voire même de se suicider s’ils devaient retourner au Mexique. Une éventuelle évaluation positive à la première étape, appelée aussi approbation de principe, entraînerait un sursis à l’exécution des mesures de renvoi en application de l’article 233 du RIPR en attendant qu’une décision définitive sur leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire soit rendue. Les demandeurs ont donc demandé un report afin de maintenir le statu quo jusqu’à ce qu’une décision à la première étape soit rendue.

[19] Dans une décision du 5 juin 2023, une agente d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs de l’ASFC a refusé de reporter le renvoi des demandeurs. L’agente a fait remarquer qu’elle disposait d’un pouvoir discrétionnaire restreint de reporter un renvoi. Le report du renvoi [traduction] « est une mesure temporaire qui a pour but d’atténuer les situations exceptionnelles ». Il requiert [traduction] « une preuve convaincante quant au préjudice grave que causerait l’exécution de la mesure de renvoi à la date prévue ». L’agente a conclu qu’il ne relevait pas de son pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi en attendant qu’une décision soit rendue sur la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire récemment présentée, comme le demandaient les demandeurs. (L’agente a fait remarquer que le délai de traitement actuel de ces demandes était de 22 mois.) Elle a également fait remarquer que bon nombre des facteurs invoqués par les demandeurs pour solliciter le report étaient vraiment des facteurs d’ordre humanitaire, mais qu’il n’était pas du ressort d’un agent d’application de la loi de « mener une enquête préliminaire ou une minianalyse CH » ou d’évaluer le bien-fondé d’une demande CH (renvoyant à la décision Newman c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 888 au para 19).

[20] L’agente a reconnu que les demandeurs avaient des besoins médicaux complexes pour lesquels ils recevaient des soins au Canada. Elle a également reconnu que les services de santé qui peuvent être offerts au Mexique [traduction] « ne seront pas aussi spécialisés que ceux offerts au Canada ». L’agente a aussi fait remarquer, cependant, qu’[traduction] « aucun élément de preuve indiquant qu’ils ne pourraient pas bénéficier de services médicaux au Mexique ne [lui a] été présenté ». Elle a déclaré ensuite :

[traduction]

Le 25 mai 2023, M. Chairez Molina et Mme Aguayo Lopez ont été informés de leur renvoi, la date du renvoi étant fixée au 26 juin 2023 ou peu de temps après cette date. Ils auront ainsi suffisamment de temps pour collaborer avec les médecins au Canada en vue d’établir d’un plan de continuité des soins avant la date de renvoi pour les soins qu’ils recevront à leur retour au Mexique. De plus, les allégations selon lesquelles le renvoi pourrait causer la mort ou des préjudices graves en raison d’un manque de soins médicaux dans le pays de renvoi ne justifient pas un report à court terme, mais forment plutôt le fondement d’une demande de séjour au Canada pour une période indéterminée. Il convient de souligner que l’immigration mexicaine dispose de ressources pour le logement, les soins de santé, l’hébergement, l’éducation, les services de santé, etc. qui peuvent être mises à la disposition des personnes qui sont rapatriées à leur arrivée au Mexique. Je suis disposée à collaborer avec vos clients pour m’assurer qu’ils aient les coordonnées et les renseignements appropriés leur permettant d’accéder à ces services avant leur déménagement au Mexique.

[21] L’agente a donc rejeté la demande de report du renvoi.

III. ANALYSE

A. Le critère applicable à l’octroi d’un sursis interlocutoire

[22] Un sursis interlocutoire est une forme de réparation en equity qui nécessite que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire après avoir évalué toutes les circonstances pertinentes (R c Société Radio-Canada, 2018 CSC 5 au para 27). Une telle ordonnance a pour objet de préserver l’objet du litige sous-jacent, de sorte qu’une réparation sera efficace si la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est accueillie : voir (Google Inc c Equustek Solutions Inc, 2017 CSC 34 au para 24). La question fondamentale est de savoir si l’octroi de l’ordonnance « est juste et équitable eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire. La réponse à cette question dépendra nécessairement du contexte » (Google Inc, au para 25).

[23] La partie qui demande un sursis en attendant qu’une décision sur une demande de contrôle judiciaire soit rendue doit établir : (1) que la demande de contrôle judiciaire sous-jacente soulève une « question sérieuse à juger »; (2) qu’elle subira un préjudice irréparable si le sursis est refusé; (3) que la prépondérance des inconvénients (c.-à-d. quelle partie subirait le plus grand préjudice en attendant qu’une décision soit rendue sur le fond, selon que l’injonction était accordée ou refusée) favorise l’octroi du sursis : Voir Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 NR 302, [1988] ACF no 587 (CAF); Société Radio-Canada, au para 12; Manitoba (Procureur général) c Metropolitan Stores Ltd, [1987] 1 RCS 110; et RJR‑Macdonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 à la p 334.

[24] Lorsqu’on lui demande d’accorder un sursis interlocutoire, la Cour doit déterminer s’il est plus juste et plus équitable que la partie demanderesse ou la partie défenderesse assume le risque que l’issue du litige sous-jacent ne concorde pas avec l’issue de la requête interlocutoire. Le critère à trois volets aide à orienter la décision discrétionnaire. Bien que chacun des volets du critère soit important et qu’il faille satisfaire aux trois, ils ne sont pas des compartiments distincts et étanches. Chaque volet met l’accent sur des facteurs qui influent sur l’exercice global du pouvoir discrétionnaire judiciaire dans une affaire en particulier : (Wasylynuk c Canada (Gendarmerie royale), 2020 CF 962 au para 135). Le critère devrait être appliqué d’une manière holistique où les forces d’un facteur peuvent surmonter les faiblesses de l’autre : voir RJR‑MacDonald, à la p 339; Wasylynuk, au para 135; Spencer c Canada (Procureur général), 2021 CF 361 au para 51. Colombie-Britannique (Procureur général) c Alberta (Procureur général), 2019 CF 1195 au para 97 (inf pour d’autres motifs : 2021 CAF 84); et Power Workers Union c Canada (Procureur général), 2022 CF 73 au para 56.

B. L’application du critère

(1) La question sérieuse

[25] Pour établir l’existence d’une question sérieuse, en règle générale, il suffit que la partie demanderesse démontre qu’au moins un des motifs soulevés dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente n’est ni futile ni vexatoire : voir RJR-MacDonald, aux pp 335 et 337; voir aussi Gateway City Church c Canada (Revenu national), 2013 CAF 126 au para 11, et Glooscap Heritage Society c Canada (Revenu national), 2012 CAF 255 au para 25. Il existe toutefois une exception à cette règle générale « lorsque le résultat de la requête interlocutoire équivaudra en fait au règlement final de l’action » (RJR-MacDonald, à la p 338). Dans pareilles circonstances, la Cour doit procéder à « un examen plus approfondi du fond de l’affaire » (RJR-MacDonald, à la p 339).

[26] C’est le cas en l’espèce. S’il est accordé, le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi aura pour effet d’accorder la réparation demandée dans le cadre du contrôle judiciaire sous‑jacent – à savoir l’annulation du refus de reporter le renvoi : voir Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 CF 682, 2001 CFPI 148 (CanLII) au para 10; et Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 RCF 311 aux para 66, 67 (le juge Nadon, avec l’appui de la juge Desjardins) et au para 74 (le juge Blais). Par conséquent, pour accorder la réparation demandée, la Cour doit être convaincue, après avoir examiné attentivement les motifs invoqués dans la demande sous‑jacente, qu’au moins un de ces motifs fait en sorte qu’il est vraisemblable que la demande sous‑jacente soit accueillie : là encore, voir Wang et Baron.

[27] J’estime que les demandeurs ont indiqué des motifs de contrôle qui soulèvent de sérieuses questions qui respectent ce seuil élevé. Ces motifs concernent la conclusion de l’agente selon laquelle les demandeurs n’avaient pas besoin de plus de temps pour établir un plan de continuité en matière de soins de santé qui répondrait à leurs besoins à court terme s’ils étaient renvoyés du Canada.

[28] Il est bien établi qu’un agent de l’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs ne dispose que d’un pouvoir discrétionnaire limité de reporter le renvoi : voir Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130 aux para 54-61; Revell c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 262 au para 50; Toney c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1018 au para 50; et Gill c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 1075 aux para 15-19. Parallèlement, ce pouvoir discrétionnaire est une soupape de sécurité pour limiter le risque de préjudice que la règle générale, selon laquelle l’étranger qui fait l’objet d’une mesure de renvoi exécutoire doit quitter le Canada immédiatement, pourrait autrement occasionner : voir Conseil canadien pour les réfugiés c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 17 aux para 148-164; voir aussi Atawnah c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 144, [2017] 1 RCF 153 aux para 13-23.

[29] Comme l’a fait observer l’agente dans la présente affaire, à strictement parler, il n’est pas du ressort d’un agent d’exécution de décider véritablement du bien-fondé d’une demande reposant sur des considérations d’ordre humanitaire : voir Newman, au para 19; voir aussi Shpati c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CAF 286 au para 45. Il faut dire que, dans une large mesure, c’est essentiellement ce que les demandeurs demandaient à l’agente de faire. En outre, bien que la situation des demandeurs attire la sympathie, il est difficile de voir comment un report jusqu’au moment où une décision serait prise sur la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire présentée récemment pourrait entrer dans les limites adéquates du pouvoir discrétionnaire de l’agente, qui ont été définies dans la jurisprudence mentionnée dans le paragraphe précédent. Même la demande à portée plus restreinte des demandeurs qui vise un report de sept mois destiné à laisser le temps qu’une décision à la première étape sur la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire soit rendue n’était étayée par aucun élément de preuve établissant qu’une décision serait ou devrait être rendue dans ce délai.

[30] Néanmoins, lorsque la question est soulevée, les agents d’exécution de la loi sont tenus d’évaluer les répercussions possibles du renvoi sur le bien-être de la partie visée, notamment les risques liés à la maladie et à la perte d’accès aux soins de santé spécialisés au Canada, même si ce facteur a également été soulevé dans une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en instance. En l’espèce, l’incapacité du système de soins de santé mexicain de répondre aux besoins à court terme des demandeurs a été clairement soulevée dans la demande de report. Si, comme les demandeurs l’ont soutenu, le système de santé mexicain est simplement incapable de répondre à leurs besoins (soit parce que le traitement nécessaire n’est pas offert, soit parce que, s’il est offert, les demandeurs n’y auraient pas accès en raison de leur situation économique personnelle), tel est nécessairement le cas pour leurs besoins à court et à long terme. La thèse des demandeurs à cet égard était appuyée par des éléments de preuve en provenance de leurs fournisseurs de soins de santé au Canada ainsi que par des éléments de preuve sur les conditions dans le pays démontrant les lacunes du système de santé mexicain.

[31] En dépit de la vaste portée de plusieurs des motifs avancés dans la demande de report, l’agente a compris qu’elle devait tenir compte de l’incidence du renvoi sur le bien-être à court terme des demandeurs. L’agente a conclu que le report du renvoi n’était pas justifié parce que les demandeurs avaient un mois pour établir un plan de continuité des soins et que, de toute façon, il existe des services de réinstallation au Mexique dont les demandeurs peuvent se prévaloir une fois sur place. Il n’était donc pas nécessaire de reporter le renvoi afin d’assurer le bien-être à court terme des demandeurs.

[32] À mon avis, les demandeurs ont soulevé des questions sérieuses concernant le caractère raisonnable de cette conclusion à l’égard d’au moins deux points. Premièrement, cette conclusion est incompatible avec les éléments de preuve sur les conditions dans le pays indiquant que les soins dont les demandeurs ont besoin ne leur sont tout simplement pas offerts au Mexique. L’agente n’examine pas adéquatement ces éléments de preuve avant de tirer une conclusion contraire, ce qui soulève un sérieux doute quant à savoir si elle était effectivement attentive et sensible à la question qui lui était soumise (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 128).

[33] Deuxièmement, le seul élément de preuve au dossier dont disposait l’agente concernant les services de réinstallation est un communiqué de presse conjoint des ministères des Affaires étrangères, de l’Intérieur, des Finances et du Travail datant d’octobre 2021 fourni par les demandeurs. Ce communiqué décrit les plans du gouvernement mexicain visant à aider les citoyens rapatriés à obtenir des pièces d’identité, un logement, un emploi et des services sociaux semblables. Bien que le communiqué de presse mentionne brièvement que le gouvernement mexicain s’emploie également à fournir des [traduction] « soins médicaux et psychosociaux » aux citoyens rapatriés, il ne donne aucune précision. En l’absence totale de renseignements sur ces ressources dans la décision, il existe une question sérieuse quant au caractère raisonnable de la foi accordée par l’agente à leur existence pour conclure que les besoins médicaux à court terme des demandeurs seront satisfaits au Mexique. Plus précisément, cette absence de renseignements constitue une lacune fondamentale dans le raisonnement de l’agente (Vavilov, aux para 95, 96).

[34] En résumé, je suis convaincu que les demandeurs ont soulevé des questions sérieuses qui satisfont au seuil élevé quant à savoir si la décision de l’agente était fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et si elle était justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85).

[35] Les demandeurs soulèvent également la question de savoir si l’agente s’est fondée non seulement sur les éléments de preuve au dossier concernant les services de réinstallation, mais aussi sur des renseignements extrinsèques sur les services de santé offerts aux citoyens rapatriés pour conclure qu’un report n’était pas justifié. La déclaration de l’agente selon laquelle elle pourrait fournir aux demandeurs des coordonnées pour obtenir de l’aide en vue de recevoir des services médicaux au Mexique indique certainement qu’elle s’appuyait sur des renseignements supplémentaires auxquels les demandeurs n’ont pas eu accès. Les demandeurs soutiennent que, si c’est le cas, les exigences en matière d’équité procédurale n’ont pas été respectées parce qu’ils ne connaissaient pas la preuve à réfuter : voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 56. Je suis convaincu qu’il s’agit, là aussi, d’une question sérieuse qui satisfait au seuil élevé.

[36] Enfin, il va de soi que mon évaluation du bien-fondé de la demande sous-jacente de contrôle judiciaire ne concerne que la présente requête. Elle ne lie en aucune façon un autre juge qui peut être appelé à examiner la demande de contrôle judiciaire concernant un autre objet.

(2) L’existence d’un préjudice irréparable

[37] En ce qui concerne le second volet du critère pour l’octroi d’un sursis, « la seule question est de savoir si le refus du redressement pourrait être si défavorable à l’intérêt du requérant que le préjudice ne pourrait pas faire l’objet d’une réparation, en cas de divergence entre la décision sur le fond et l’issue de la demande interlocutoire » (RJR‑MacDonald, à la p 341). C’est ce qu’on veut dire quand on qualifie d’« irréparable » le préjudice qui doit être établi. Le terme « irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue (ibid.). À cette étape, il s’agit de savoir si, dans le cas où le sursis est refusé, les demandeurs subiront un préjudice qui ne pourra être réparé advenant le cas où leur demande de contrôle judiciaire serait accueillie.

[38] Pour établir l’existence d’un préjudice irréparable, les demandeurs doivent démontrer qu’ils subiront « un préjudice réel, certain et inévitable — et non pas hypothétique et conjectural » (Janssen Inc. c Abbvie Corporation, 2014 CAF 112 au para 24). Ils doivent présenter des éléments de preuve clairs et non hypothétiques qu’un préjudice irréparable résultera du refus de leur accorder un sursis. Des affirmations non étayées de préjudice ne suffiront pas. Au contraire, « il faut produire des éléments de preuve suffisamment probants, dont il ressort une forte probabilité que, faute de sursis, un préjudice irréparable sera inévitablement causé : Glooscap Heritage Society, au para 31; voir aussi Canada (Procureur général) c Canada (Commissaire à l’information), 2001 CAF 25 au para 12; International Longshore and Warehouse Union c Canada (Procureur général), 2008 CAF 3 au para 25; United States Steel Corporation c Canada (Procureur général), 2010 CAF 200 au para 7).

[39] Les demandeurs soutiennent que, s’ils sont tenus de retourner au Mexique maintenant, il est fort probable qu’ils subiront un préjudice irréparable sous la forme d’une grave dégradation de leur santé physique et mentale en raison des lacunes du système de santé mexicain. En effet, ils affirment qu’ils risquent de se suicider. Pour le moment, ces préjudices ne sont qu’appréhendés; ce sont des préjudices qui devraient survenir dans un avenir indéterminé, le cas échéant, si les demandeurs sont renvoyés du Canada vers le Mexique. Comme le juge Gascon l’a fait observer dans la décision Letnes c Canada (Procureur général), 2020 CF 636, « [l]e fait que le préjudice que l’on tente d’éviter se situe dans l’avenir ne le rend pas hypothétique pour autant. Tout dépend des faits et des éléments de preuve » (au para 57; voir aussi Delgado c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1227 aux para 14-19; et Wasylynuk, au para 136).

[40] Comme je l’ai déjà mentionné dans d’autres affaires (voir Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 846 au para 29; et Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Erhire, 2021 CF 908 au para 37), à mon avis, la « probabilité réelle de préjudice », particulièrement en ce qui a trait aux préjudices futurs appréhendés, est fondamentalement déterminée à la suite d’une évaluation qualitative, et non quantitative. Le préjudice invoqué ne peut certainement pas être simplement hypothétique ou conjectural, mais en même temps, il est irréaliste d’exiger des éléments de preuve qui établissent un niveau précis de risque lorsque le préjudice faisant l’objet de la réparation existera uniquement dans l’avenir, le cas échéant. De même, ainsi que le juge Grammond l’a conclu dans la décision Cerrato c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 1231, « le véritable risque global d’un préjudice irréparable sera toujours fonction de deux facteurs : la probabilité que ce préjudice survienne, et son ampleur ou son importance s’il survient. Une approche analytique judicieuse devrait en tenir compte » (au para 22).

[41] Lorsqu’elle applique le deuxième volet du critère pour l’octroi d’un sursis interlocutoire dans le contexte d’un report, la Cour doit également garder à l’esprit que des droits fondamentaux peuvent entrer en jeu. Dans ce cas, la Cour a la lourde responsabilité de veiller à ce que ces droits soient respectés et protégés. Il en résulte notamment que la Cour « peut, et elle le fait souvent, examiner une demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi d’une manière plus complète que ne peut le faire un agent d’immigration dans le cadre d’une demande de report » (Tapambwa, au para 87) et qu’elle « a plus de latitude que l’agent d’exécution lorsqu’il s’agit d’examiner une demande de sursis » (Revell, au para 51).

[42] S’agissant d’abord du risque de suicide, il est indéniable que l’existence d’une réelle probabilité que les demandeurs aient des pensées suicidaires satisferait au deuxième volet du critère : voir Tiliouine c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1146 au para 13; et Konaté c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 703 aux para 12‑22; Cependant, je ne suis pas convaincu que les éléments de preuve établissent une probabilité réelle de cette issue si les demandeurs devaient être renvoyés au Mexique à ce moment-ci. À mon avis, les doutes exprimés par les prestataires de soins de santé des demandeurs à cet égard, bien que manifestement véritables, tiennent en grande partie de la conjecture. Ils sont fondés sur des impondérables qui sont tout simplement trop distants pour qu’ils puissent être bien évalués à ce stade.

[43] D’autre part, je suis convaincu, compte tenu des éléments de preuve de nature médicale et des conditions du pays, que si les demandeurs sont renvoyés au Mexique avant que la demande de contrôle judiciaire sous-jacente soit tranchée, il y a une réelle probabilité qu’ils subissent un préjudice irréparable sous la forme d’une grave dégradation de leur santé physique et mentale.

[44] Ce risque de préjudice au Mexique est le même que celui qu’a évalué l’agente qui a examiné la demande de report. Comme le juge Grammond l’a fait remarquer dans la décision Gill (au para 22), « étant donné que le rôle de l’agent de l’ASFC est d’évaluer le préjudice causé par le renvoi du demandeur, les deux premiers volets du critère de l’arrêt RJR se chevauchent considérablement ». Ce chevauchement peut jouer dans les deux sens. D’une part, la Cour peut être convaincue que la conclusion de l’agente mérite qu’on lui accorde un certain poids – voire un poids important – lors de son propre examen du préjudice irréparable. D’autre part, si elle est persuadée, lors de son examen du premier volet du critère, que la décision de l’agente comporte une grave lacune, on peut s’attendre à ce que la Cour accorde beaucoup moins de poids, voire aucun, à cette décision lorsqu’elle évalue elle-même le préjudice irréparable. Comme j’ai conclu que des questions sérieuses ont été soulevées au sujet du caractère raisonnable et de l’équité de la décision de l’agente, je n’accorde aucun poids à sa conclusion selon laquelle les demandeurs ne seraient pas exposés au risque de subir un préjudice irréparable s’ils étaient renvoyés au Mexique à ce moment-ci.

[45] D’après mon évaluation du dossier de la présente requête, il est clair que s’ils sont privés du traitement qu’ils reçoivent présentement au Canada, les demandeurs sont exposés à un risque accru d’effets néfastes sur la santé. Il est également clair qu’il est peu probable que les demandeurs puissent recevoir au Mexique le traitement dont ils ont besoin. À mon avis, cet élément de preuve permet, à lui seul, de démontrer que les demandeurs seraient exposés à une réelle probabilité de préjudice s’ils devaient quitter le Canada à ce moment-ci. De plus, ce préjudice ne pourrait être réparé si les demandeurs obtenaient gain de cause dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente.

[46] Pour ces motifs, je conclus que les demandeurs ont satisfait au deuxième volet du critère.

(3) La prépondérance des inconvénients

[47] Dans le cadre du troisième volet du critère, il faut évaluer quelle partie subirait le plus grand préjudice si le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi était accordé ou refusé en attendant qu’une décision soit rendue sur le fond de la demande de contrôle judiciaire. Pour satisfaire au troisième volet du critère, les demandeurs doivent établir que le préjudice qu’ils subiraient si le sursis était refusé est plus grave que le préjudice que subirait le défendeur si le sursis était accordé. Le préjudice établi dans le cadre du deuxième volet du critère est examiné de nouveau à l’étape du troisième volet, sauf qu’il est désormais pondéré avec d’autres intérêts qui seront aussi touchés par la décision de la Cour. L’exercice de pondération n’est ni scientifique ni précis (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Conseil canadien pour les réfugiés, 2020 CAF 181 au para 17; [Conseil canadien pour les réfugiés (CAF)]). Toutefois, cet exercice est au centre de la question de savoir ce qui est juste et équitable eu égard aux circonstances de l’espèce.

[48] Pour apprécier la prépondérance des inconvénients, l’intérêt public doit être pris en compte, puisqu’il s’agit d’une affaire qui met en cause les décisions d’un organisme public (RJR‑MacDonald, à la p. 350). Plus précisément, les demandeurs font l’objet de mesures de renvoi valides et exécutoires qui ont été prises en vertu d’un pouvoir légal et réglementaire. Ces mesures sont donc présumées conformes à l’intérêt public. De plus, aux termes du paragraphe 48(2) de la LIPR, une mesure de renvoi doit « être exécutée dès que possible » une fois qu’elle est exécutoire. L’exécution des mesures de renvoi en temps opportun aide à protéger l’intégrité du système canadien d’immigration. Une action qui suspend l’effet des mesures (comme le ferait un sursis interlocutoire) est présumée préjudiciable à l’intérêt public (voir RJR‑MacDonald, aux p 346 et 348, 349). La question de savoir si cette considération suffit à rejeter une demande de sursis interlocutoire dans un cas donné dépendra évidemment de l’ensemble des circonstances de l’affaire et de la période pendant laquelle l’effet des mesures de renvoi serait suspendu (Conseil canadien pour les réfugiés (CAF), au para 27).

[49] Outre le fait que les demandeurs font l’objet de mesures de renvoi valides et exécutoires, l’avocat du ministre fait valoir que deux autres considérations pèsent en faveur du ministre dans la prépondérance des inconvénients : l’une porte sur le défaut des demandeurs de se conformer à la loi américaine sur l’immigration; l’autre sur le défaut des demandeurs de se conformer à la loi canadienne sur l’immigration.

[50] À mon avis, le fait que les demandeurs ne se soient pas conformés à la loi américaine sur l’immigration n’est simplement pas pertinent. Dans une requête comme celle en l’espèce, l’appréciation de l’intérêt public est limitée à l’effet sur les intérêts canadiens que pourrait avoir la décision d’accorder ou de refuser le sursis. Ces intérêts ne sont pas touchés par le fait que les demandeurs ne se sont pas conformés aux lois sur l’immigration d’un autre pays.

[51] Par contre, je suis d’accord pour dire que le défaut d’une partie requérante de se conformer à la loi canadienne sur l’immigration est un facteur pertinent. Selon les circonstances, il peut même s’agir d’un facteur suffisamment important pour que la partie requérante soit privée de la réparation qu’elle demande. Toutefois, en l’espèce, j’estime que le défaut des demandeurs de se conformer à la loi canadienne sur l’immigration a peu d’importance.

[52] Les demandeurs sont restés au Canada pendant environ un mois après l’expiration de leur statut de visiteur avant de présenter leurs demandes d’asile. De plus, les demandeurs n’ont pas quitté le Canada immédiatement après le rejet de leur demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue par la SAR. Dans mon évaluation de l’importance de ces faits (en particulier le dernier), j’accorde un poids particulier à l’observation suivante du juge Fothergill formulée dans sa décision rejetant la demande de contrôle judiciaire (aux para 40 et 41) :

[traduction]

Les circonstances entourant l’enlèvement des demandeurs et les graves abus qu’ils ont subis sont horribles. Si l’exception relative aux « raisons impérieuses » ou le deuxième volet de l’analyse de la PRI s’appliquait à leur situation, il est possible qu’ils en bénéficient. Cependant, en droit, ils ne peuvent se prévaloir de cette exception.

Comme l’a écrit la SAR à la fin de sa décision :

Je reconnais que les appelants ont fait valoir des motifs d’ordre humanitaire concernant leur état de santé et leur stress post-traumatique, mais ni la SAR ni la SPR n’ont compétence pour prendre en considération de tels facteurs dans le cadre du processus d’octroi de l’asile. Cependant, les appelants disposent d’un processus distinct pour présenter une demande de résidence permanente au titre de l’article 25 de la LIPR fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[53] Il convient de répéter qu’après le rejet de la demande de contrôle judiciaire, les demandeurs ont agi rapidement pour préparer et présenter une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire détaillée.

[54] À mon avis, la conduite des demandeurs invoquée par l’avocat du ministre ne fait pencher que très peu, voire aucunement, la balance du côté du ministre lorsqu’il s’agit d’évaluer la prépondérance des inconvénients.

[55] Enfin, il n’y a pas d’autres facteurs qui militent en faveur du défendeur. Par exemple, rien n’indique que les demandeurs constituent un danger pour le public ou qu’ils présentent un risque de fuite.

[56] En résumé, le seul « inconvénient » que le défendeur subirait si les demandeurs n’étaient pas renvoyés maintenant et si leur demande de contrôle judiciaire était finalement rejetée serait un report du renvoi du Canada, lequel n’aura pas été entièrement contrecarré.

[57] Par contre, l’« inconvénient » que les demandeurs subiraient sous la forme de risques graves pour leur santé et leur bien-être s’ils sont renvoyés du Canada maintenant est important et, comme je l’ai déjà conclu, irréparable. Il est dans l’intérêt même des demandeurs que ce résultat soit évité lors de l’examen du bien-fondé juridique de la décision de rejeter leur demande de sursis. Il en va de même en ce qui concerne l’intérêt public. L’intégrité du système d’immigration du Canada dépend de bien plus que de l’exécution rapide des mesures de renvoi. Permettre le renvoi malgré l’existence de raisons sérieuses de croire que la décision d’exécuter le renvoi est juridiquement viciée minerait l’intégrité du système d’immigration du Canada plutôt que la servir.

[58] Pour ces motifs, je suis convaincu que la prépondérance des inconvénients favorise les demandeurs. Les demandeurs ont donc satisfait au troisième volet du critère.

IV. CONCLUSION

[59] Après examen de toutes les considérations pertinentes, je suis d’avis qu’il est juste et équitable d’accorder un sursis à la mesure de renvoi qui vise les demandeurs. La présente requête sera donc accueillie. Les demandeurs ne seront pas renvoyés du Canada avant qu’une décision définitive ne soit rendue à l’égard de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sous‑jacente.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER IMM-7028-23

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête est accueillie.

  2. Les demandeurs ne seront pas renvoyés du Canada avant qu’une décision définitive ne soit rendue sur leur demande d’autorisation et de contrôle de la décision du 5 juin 2023 par laquelle l’agente d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs a rejeté leur demande de report de renvoi.

« John Norris »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7028-23

 

INTITULÉ :

ALICIA AGUAYO LOPEZ ET AL c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 JUIN 2023

 

ORDONNANCE ET MOTIFS:

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 JUIN 2023

 

COMPARUTIONS :

Darcy Golden

POUR LES DEMANDEURS

 

Yan Wang

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Immigration & Refugee Legal Clinic

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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