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A. Date : 20231109


Dossiers : T-116-21

T-1082-21

Référence : 2023 CF 1496

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2023

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

BANK OF AMERICA, NATIONAL ASSOCIATION

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

II. Question préliminaire

[1] Conformément aux Règles des Cours fédérales, l’intitulé de la cause est modifié de manière à ce que le procureur général du Canada y soit désigné comme il se doit à titre de défendeur.

III. Aperçu

[2] La demanderesse, Bank of America, National Association (BANA) est une filiale de Bank of America Corporation (BAC) qui exerce ses activités par l’intermédiaire d’une succursale canadienne. La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire des décisions du ministre du Revenu national (le ministre) rendues le 17 décembre 2020 par l’entremise de sa fonctionnaire déléguée de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), Mme Gwendolyn Henderson, directrice adjointe, Vérification de la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée (la TPS/TVH), au bureau des services fiscaux de Toronto-Centre, par lesquelles cette dernière a rejeté, au titre du sous-alinéa 141.02(19)b)(ii) de la Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c E‐15, dans sa version modifiée (la Loi ou la LTA), les demandes produites tardivement (les demandes RC7216) visant à obtenir l’autorisation d’employer, pour les exercices 2017 à 2020, des méthodes particulières d’attribution des crédits de taxe sur les intrants (CTI), tel qu’il est prévu au paragraphe 141.02(18) de la Loi.

[3] Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

IV. Contexte

[4] La demande présentée en vertu du paragraphe 141.02(18) en vue d’obtenir l’autorisation d’utiliser une méthode d’attribution particulière des CTI est connue sous le nom de demande RC7216. La LTA accorde à la demanderesse le droit de demander des CTI au taux réglementaire de 12 % de la TPS payée sur les intrants. Pour utiliser un taux différent, la demanderesse doit présenter une demande RC7216 afin d’obtenir une préapprobation au plus tard le cent quatre-vingtième jour précédant le début de l’exercice visé par la demande. Si ce délai est dépassé, la demanderesse doit présenter une demande distincte au ministre pour lui demander d’exercer son pouvoir discrétionnaire suivant le sous-alinéa 141.02(19)b)(ii) afin d’accueillir une demande d’approbation de méthode tardive.

[5] Le 29 juin 2020, la demanderesse a présenté une demande RC7216 pour les exercices 2019 et 2020, dont une demande de production tardive pour 2019. Le 24 décembre 2020, elle a présenté une demande RC7216 pour les exercices 2017 et 2018, dont une demande de production tardive pour ceux-ci. Selon les calculs du défendeur, les demandes pour les exercices 2017, 2018, 2019 et 2020 ont été présentées respectivement avec 1269, 1634, 361 et 726 jours de retard.

[6] L’explication de la demanderesse pour ces retards est exposée aux paragraphes suivants.

[7] Entre mars 1998 et 2008, avant l’acquisition de Merrill Lynch par Bank of America, le 1er janvier 2009, le service de fiscalité du Canada était composé de trois employés. Après l’acquisition de Merrill Lynch par la demanderesse, le service de fiscalité a pris de l’expansion et est passé à quatre employés, dont une employée responsable de la conformité de la demanderesse (l’ancienne employée).

[8] Le 6 juin 2018, BAC a annoncé la conclusion d’une entente d’impartition de services de fiscalité avec Ernst & Young (EY). En conséquence, le service de fiscalité du Canada a été réduit, passant à une employée, Joyce Petti. L’ancienne employée est restée en poste afin de terminer les déclarations fiscales de la demanderesse pour 2017 et de faciliter la transition vers EY, mais elle a quitté la société en juillet 2018.

[9] L’ancienne employée a déclaré à la demanderesse et à EY qu’il n’était pas prévu que les montants de crédit de taxe rajusté (MCTR) dépassent 500 000 $ et que le MCTR de la demanderesse n’avait jamais dépassé 500 000 $ pendant deux exercices consécutifs. La demanderesse a fait confiance à l’ancienne employée et a conclu qu’elle n’était pas une institution admissible (IA) et qu’elle n’en serait pas une au cours de l’exercice 2019.

[10] En juin 2019, la demanderesse a constaté que son MCTR avait dépassé 500 000 $ en 2017 et en 2018, de sorte qu’elle était une IA pour l’exercice 2019. Elle a choisi d’attendre jusqu’en juin 2020 pour présenter ses demandes afin de déterminer son statut d’IA [traduction] « avec certitude ». Lorsqu’elle a examiné les demandes de production tardive pour les exercices 2019 et 2020, l’ARC a informé la demanderesse qu’elle pouvait avoir eu le statut d’IA depuis 2017. En décembre 2020, la demanderesse a alors présenté des demandes pour les exercices 2017 et 2018.

[11] Les quatre demandes ont été rejetées.

V. Décision faisant l’objet du contrôle

[12] Le 29 juin 2020, les demandes RC7216 pour les exercices 2019 et 2020 ont été présentées, et elles ont été rejetées le 17 décembre 2020.

[13] De même, le 24 décembre 2020, les demandes pour les exercices 2017 et 2018 ont été présentées, et elles ont été rejetées le 10 juin 2021.

[14] La directrice adjointe de la vérification de la TPS/TVH au bureau des services fiscaux de Toronto-Centre ne souscrit pas à l’opinion de la demanderesse selon laquelle la demande RC7216 a été présentée en retard à cause d’une erreur commise par l’ancienne vice-présidente de la fiscalité chez BANA.

[15] La directrice adjointe fait valoir que BANA est reconnue comme une entité hautement sophistiquée et que ses consultants, EY, sont également très réputés. Par conséquent, un degré élevé de soin et de diligence est attendu de la part de la demanderesse : [traduction] « Pour ce qui est "du soin et de la diligence", BANA (ou EY) ne devait pas se contenter de l’affirmation d’une employée démissionnaire selon laquelle le crédit de taxe rajusté n’était pas supérieur à 500 000 $ en 2017, alors que les CTI réclamés pour 2017 dépassaient ce montant; elle aurait dû procéder à une certaine forme d’analyse à cet égard. »

[16] La directrice adjointe fait également valoir que BANA n’a pas exercé le degré de soin et de diligence requis dans les circonstances qui aurait justifié un redressement pour une demande RC72l6 produite tardivement.

VI. Questions en litige et norme de contrôle

[17] La demanderesse soutient que le défendeur a commis les erreurs de droit suivantes :

  1. Il a mal interprété l’objet du sous-alinéa 141.02(19)b)(ii).

  2. Il s’est fondé uniquement sur une obligation de diligence raisonnable qui n’est imposée ni par la loi ni par des directives administratives.

  3. Il a appliqué la mauvaise norme à l’égard de la demanderesse lors de son analyse de la diligence raisonnable.

[18] La demanderesse soutient également que le défendeur a commis les erreurs de droit suivantes :

  1. Il n’a pas tenu compte des éléments de preuve à sa disposition.

  2. Il s’est mépris sur les faits et a fondé sa décision sur la simple supposition que la demanderesse se serait livrée à de la « planification fiscale rétroactive ».

[19] Au chapitre de l’équité procédurale, la demanderesse soutient ce qui suit :

  1. Le défendeur n’a pas analysé au cas par cas les faits propres à la demanderesse.

  2. Le défendeur ne s’est pas conformé au cadre du ministre qui est établi dans ses propres lignes directrices internes.

  3. Il existe une crainte raisonnable de partialité.

[20] La Cour suprême du Canada a conclu que, lors du contrôle judiciaire d’une décision administrative sur le fond qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale, la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23 [Vavilov]. Bien que cette présomption soit réfutable, aucune des exceptions à cette présomption n’est présente en l’espèce.

[21] Une décision raisonnable est justifiée, transparente et intelligible, et elle est axée sur la décision rendue, y compris sur sa justification : Vavilov, au para 15. Dans l’ensemble, une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85.

[22] Pour établir si l’obligation d’équité procédurale a été respectée, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse relative à la norme de contrôle, bien que le processus soit souvent décrit comme un contrôle selon la norme de la décision correcte. La question fondamentale à laquelle doit répondre une cour de révision est de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 56.

VII. Analyse

A. Erreur de droit – le défendeur a mal interprété l’objet du sous-alinéa 141.02(19)b)(ii)

[23] Les deux parties conviennent, tout comme moi, que le ministre est investi d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour examiner les demandes présentées en vertu de l’article 141.02. Le paragraphe 141.02(18) prévoit que la personne qui est une institution admissible pour un exercice, ou dont il est raisonnable de s’attendre à ce qu’elle le soit, peut demander au ministre l’autorisation d’employer des méthodes particulières afin de déterminer pour l’exercice la mesure d’utilisation et la mesure d’acquisition de chacun de ses intrants d’entreprise.

[24] La juge Walker a récemment expliqué en détail le régime de préapprobation dans la décision Banque de Montréal c Canada (Procureur général), 2020 CF 1014 aux para 16-19 [BMO] :

III. Le régime de préapprobation : article 141.02 de la LTA

[16] Le législateur a modifié le régime des CTI pour les institutions financières canadiennes en 2008 en adoptant ce qui est maintenant l’article 141.02 de la LTA. Cet article crée deux catégories d’institutions financières. Les institutions admissibles (IA) sont les grandes Banques canadiennes, les assureurs et les courtiers en valeurs mobilières, dont BMO. Les institutions non admissibles sont de petites institutions financières qui ne sont pas assujetties au régime de préapprobation établi à l’article 141.02.

[17] Il faut un ensemble supplémentaire de définitions du paragraphe 141.02(1) pour comprendre le différend entre les parties. Selon le paragraphe, les institutions financières doivent déterminer la catégorie des intrants utilisés dans leurs entreprises de la façon suivante : (1) les « intrants exclus », qui sont habituellement des dépenses en immobilisations; (2) les « intrants exclusifs », qui peuvent être utilisés exclusivement pour l’offre de fournitures taxables ou exonérées; (3) les « intrants résiduels », qui sont tous des intrants restants. Dans une attribution des intrants résiduels, il faut déterminer la « mesure d’utilisation » et la « mesure d’acquisition » d’un bien ou d’un service. La mesure d’utilisation ou d’acquisition d’un bien ou d’un service est la mesure dans laquelle le bien ou le service fourni est consommé ou utilisé (mesure d’utilisation), ou acquis ou acheté (mesure d’acquisition), dans le but d’effectuer des fournitures taxables pour une contrepartie ou dans un autre but. La question posée est la suivante : quels sont les divers biens et services achetés par la Banque pour effectuer des fournitures taxables (prestation de services financiers à des non-résidents du Canada) ou pour effectuer des fournitures exonérées (prestation de services financiers à des résidents canadiens)?

[18] Au titre du régime de l’article 141.02, les IA sont assujetties à un régime distinct pour le calcul de leurs CTI admissibles. Conformément au paragraphe 141.02(18), une IA peut demander au ministre, avant chaque exercice, d’approuver sa méthode de calcul des CTI qu’elle propose pour l’exercice. Le ministre peut approuver ou refuser l’emploi de la méthode (art 141.02(20)). La décision du ministre est distincte du processus de vérification et ne peut pas faire l’objet d’un appel devant la CCI. Si le ministre autorise la méthode, l’IA doit employer cette méthode pour préparer sa déclaration de TPS pour l’exercice en question (art 141.02(21)). La vérification de cette déclaration se limite à déterminer si la méthode approuvée a été suivie tout au long de l’année et appliquée correctement.

[19] Si le ministre refuse la demande, il doit fournir les raisons du refus (art 141.02(22)) et sa décision est susceptible de contrôle par la Cour. L’IA ne peut pas employer la méthode d’attribution proposée. De plus, elle est réputée avoir utilisé des intrants résiduels pour effectuer des fournitures taxables à un taux réglementaire de 12 % (art 141.02(8)). Dans ses observations, la Banque souligne les conséquences qui s’ensuivent pour elle de l’application du taux de recouvrement réglementaire pour les intrants résiduels, déclarant qu’elle recouvre normalement un pourcentage sensiblement plus élevé de ses coûts résiduels de TPS par les CTI.

[25] Conformément au paragraphe 141.02(22), le ministre a rejeté la demande et a donné les raisons de son refus. La demanderesse affirme que [traduction] « le manque de souplesse a conduit le ministre à confondre son pouvoir manifeste d’approuver la substance de la méthode de calcul des CTI, comme l’a énoncé la Cour dans la décision BMO, avec le pouvoir discrétionnaire qu’il doit exercer lorsqu’il détermine si une demande tardive doit être acceptée ».

[26] Je n’ai pu trouver aucun élément de preuve qui corrobore le point de vue de la demanderesse. Comme la demanderesse le fait remarquer, il est vrai que le pouvoir du ministre d’approuver la méthode de calcul des CTI proposée n’est pas limité de façon substantielle par les critères énoncés au paragraphe 141.02(20) ou, de façon plus générale, à l’article 141.02, ni limité à une évaluation temporelle : BMO, au para 106. Toutefois, l’évaluation temporelle est un facteur pertinent puisque le régime de l’article 141.02 repose essentiellement sur une préapprobation.

[27] J’insiste sur le fait que ce n’est pas parce que les critères en question ne limitent pas le pouvoir discrétionnaire du ministre qu’il n’est pas pertinent de les examiner dans le cadre de l’exercice global du pouvoir discrétionnaire. L’évaluation temporelle est utile au bon fonctionnement d’un régime législatif axé sur la préapprobation. Je suis surtout convaincue par l’argument du défendeur selon lequel l’article 141.02 permet à des institutions comme la demanderesse, lorsqu’elles n’ont pas encore établi leur statut d’IA, de présenter une demande d’approbation de méthode sans subir de conséquences négatives dans l’éventualité où elles ne seraient finalement pas considérées comme des IA. Bien que le ministre dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour examiner les circonstances atténuantes et les demandes de production tardive, les personnes dont il est raisonnable de s’attendre à ce qu’elles soient des IA sont encouragées à présenter une demande dans les délais prescrits, avant le début de l’exercice en cause. À mon avis, le fait que le ministre ait pris en considération le défaut de la demanderesse ne constitue pas une erreur de droit.

B. Erreur de droit – le défendeur s’est fondé uniquement sur une obligation de diligence raisonnable qui n’est imposée ni par la loi ni par des directives administratives

[28] Dans la décision Denso Manufacturing Canada, Inc. c Canada (Revenu national), 2020 CF 360 [Denso], au paragraphe 44, le juge Zinn a statué qu’il était loisible au ministre de tenir compte des actions constituant de la négligence et de l’imprudence pour tirer sa conclusion :

[44] Les sociétés Denso affirment que leurs actions n’ont pas été négligentes ou imprudentes, étant donné qu’elles avaient retenu les services d’une firme de fiscalistes-conseils qui leur avait fourni des conseils erronés auxquels elles s’étaient fiés [sic]. En l’espèce, le ministre a estimé que le fait de se fier aux conseils d’un expert-conseil ne suffisait pas à démontrer que les sociétés Denso avaient pris des mesures raisonnables pour se conformer à la LTA, étant donné que l’expert-conseil a été contacté après la date limite, qui avait fait l’objet de nombreuses annonces, et uniquement après que les sociétés Denso ont été avisées de leur obligation en ce sens par l’agente de révision en février 2016. Il était loisible au ministre de conclure, comme il l’a fait, que les sociétés Denso n’avaient pas pris les précautions nécessaires pour se tenir au courant de leurs obligations en matière de conformité, ce qui constitue de la négligence et de l’imprudence. Il s’agit d’une conclusion raisonnée et justifiée au vu du dossier.

[29] La demanderesse fait valoir que la diligence raisonnable était l’unique ou la principale raison du rejet de sa demande de production tardive. Elle allègue aussi que la diligence raisonnable ne constitue en fait que l’un des 15 facteurs énumérés dans les lignes directrices internes, ce qui n’est pas vrai. Au paragraphe 16 de son affidavit, David Valenta affirme que les lignes directrices internes énoncent les considérations suivantes :

[traduction]

a. Vu la nature de la demanderesse, des explications raisonnables justifiant la production tardive de la demande ont-elles été fournies par écrit?

b. La demanderesse a-t-elle agi avec autant de soin et de diligence que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances?

c. Y avait-il des circonstances inhabituelles ou atténuantes qui étaient indépendantes de la volonté de la demanderesse?

d. La demanderesse a-t-elle agi rapidement, sans retard injustifié, pour remédier à la situation?

e. Est-ce que le fait d’accueillir la demande tardive donnerait lieu à une position neutre en matière de déclaration de TPS/TVH?

f. Existe-t-il une preuve quelconque de planification fiscale rétroactive?

g. La demanderesse a-t-elle pris des précautions raisonnables afin de se conformer à la loi? Y aura-t-il des conséquences fiscales imprévues si la demande produite tardivement n’est pas acceptée?

h. Les livres et registres sont-ils adéquats?

i. L’ARC a-t-elle fourni des renseignements erronés?

j. La demanderesse a-t-elle procédé de la même façon tout au long de l’exercice comme si la demande tardive avait pris effet à la date d’entrée en vigueur?

k. Les antécédents de la demanderesse révèlent-ils une volonté de se conformer aux exigences des lois et des politiques sur la TPS/TVH dans le cadre de l’élaboration et de la modification des méthodes particulières?

l. La période de déclaration visée par la demande est-elle prescrite selon l’article 298?

m. Quels sont les antécédents de la demanderesse quant à l’observation des règles relatives à la TPS/TVH? Les déclarations de TPS/TVH avaient-elles toutes été produites à la date de la demande? De plus, la demanderesse a-t-elle suivi tout au long de l’exercice les méthodes d’attribution des CTI qui avaient été autorisées?

n. La date prévue pour l’acceptation de la demande tardive dépasse-t-elle la date de production de la déclaration RC7294 pour la période visée?

o. La date prévue pour l’acceptation de la demande tardive est-elle raisonnable dans les circonstances, compte tenu des renseignements demandés et des autres tâches de révision à accomplir?

[30] La demanderesse soutient qu’un seul de ces facteurs consiste à déterminer si elle a pris [traduction] « des mesures raisonnables afin de se conformer à la loi » et que, par conséquent, la diligence raisonnable n’est pas considérée comme un facteur dominant dans les lignes directrices internes. Je ne puis souscrire à l’interprétation de la demanderesse au sujet des lignes directrices. Un certain nombre de facteurs se rapportent au degré de soin exercé, ou non, relativement à la production tardive de la demande. Plusieurs des facteurs évoquent directement ou indirectement cette considération d’ordre contextuel. Ils tiennent compte notamment des explications justifiant la production tardive de la demande, du degré de soin et de diligence exercé, de la présence de circonstances inhabituelles ou atténuantes qui sont indépendantes de la volonté de la demanderesse, de la question de savoir si la demanderesse a agi rapidement, sans retard injustifié, pour remédier à la situation et, enfin, de la question de savoir si elle a pris des précautions raisonnables pour se conformer à la loi. Ce sont toutes des considérations afférentes au soin et à la diligence qui ont été démontrées au ministre.

[31] Le ministre a analysé minutieusement les lignes directrices internes dans son rapport sur la production tardive. Il a examiné les facteurs un par un et a donné des explications détaillées à l’égard des observations de chacune des parties pour chacun des facteurs. À la lumière de mon examen de ce rapport, je conclus qu’il y avait lieu d’accorder une telle importance à la diligence raisonnable.

C. Erreur de droit – le défendeur a appliqué la mauvaise norme à l’égard de la demanderesse lors de son analyse de la diligence raisonnable

[32] La demanderesse établit une distinction entre l’affaire Denso et l’espèce. Elle affirme que le ministre a eu tort de s’appuyer sur la décision Denso et de déduire du raisonnement de la Cour fédérale qu’une erreur commise par un employé ou un conseiller, nonobstant le contexte et la nature de l’erreur, devait être attribuable à de la négligence et de l’imprudence.

[33] Je ne suis pas d’accord. Dans l’affaire Denso, la Cour a conclu qu’il y avait bel et bien ignorance de la loi, ce qui n’excusait pas l’inobservation de la loi par la demanderesse. Cependant, ce n’est pas tout. Le ministre a conclu que les sociétés Denso n’avaient pas pris les précautions nécessaires pour se tenir au fait de leurs obligations en matière de conformité et que cela constituait de la négligence et de l’imprudence.

[34] Je peux tirer les mêmes conclusions en l’espèce. La demanderesse avait procédé à une restructuration, avait réduit son service de fiscalité, puis avait conclu une entente d’impartition avec un tiers, EY. Son omission de prendre les précautions nécessaires pendant la période de transition et bien après cette période, alors que des signes indiquaient qu’une erreur avait été commise par l’ancienne employée, peut raisonnablement être considérée comme de la négligence et de l’imprudence.

D. Erreur de fait – le défendeur n’a pas tenu compte des éléments de preuve à sa disposition

[35] La demanderesse interprète mal les conclusions du ministre. Je tiens à préciser que les lignes directrices internes indiquent que l’un des facteurs pertinents à examiner est celui de savoir s’il existe des circonstances inhabituelles ou atténuantes qui sont indépendantes de la volonté de la demanderesse. Je ne puis souscrire à l’opinion de la demanderesse selon laquelle le ministre a commis une erreur de fait lorsqu’il a conclu que les circonstances ne répondaient pas à ces critères. Tel qu’il est expliqué dans l’affidavit de David Valenta, l’ARC a pris en considération la réduction du service de fiscalité et les difficultés personnelles éprouvées par l’employée, mais a jugé que [traduction] « BANA, en tant que personne morale, doit envisager les répercussions de ses décisions, comme la réduction de son effectif sans la mise en place d’une solution de rechange adéquate, et assumer les conséquences négatives ».

[36] À mon avis, il est raisonnable de considérer que la gestion par une personne morale de ses propres affaires internes, de ses employés et de ses ententes d’impartition relève entièrement de sa volonté. La demanderesse a mis en œuvre les changements structurels par ses propres moyens, et selon ses propres échéanciers et ses propres modalités. Il ne s’agissait pas de circonstances atténuantes indépendantes de sa volonté. Les doutes exprimés par la demanderesse quant à la conclusion du ministre selon laquelle les circonstances atténuantes [traduction] « ne s’appliquaient pas » sont injustifiés.

E. Erreur de fait – le défendeur s’est mépris sur les faits et a fondé sa décision sur la simple supposition que la demanderesse se serait livrée à de la « planification fiscale rétroactive »

[37] Il s’agit d’une autre interprétation erronée des conclusions. Comme l’a affirmé le défendeur, le ministre n’a pas conclu que la demanderesse s’était livrée à de la planification fiscale rétroactive, mais qu’elle aurait été en mesure de le faire parce qu’elle avait attendu pour présenter les demandes d’approbation de méthode respectives jusqu’au début des exercices. Il ne s’agit pas d’une mauvaise compréhension des faits.

F. Équité procédurale – le défendeur n’a pas analysé au cas par cas les faits propres à la demanderesse

[38] La demanderesse n’a présenté aucune preuve, hormis le moment où la décision définitive a été rendue, pour étayer son allégation selon laquelle le ministre aurait abordé la révision avec des [traduction] « idées préconçues ». Après avoir lu l’explication du défendeur au sujet de la façon dont l’échéance du 17 décembre a été fixée et respectée, je juge que les soupçons de la demanderesse à l’égard du moment où la décision a été rendue ne sont pas fondés.

G. Équité procédurale – le défendeur ne s’est pas conformé au cadre du ministre qui est établi dans ses propres lignes directrices internes

[39] Il ne s’agit pas d’un argument relatif à l’équité procédurale. Quoi qu’il en soit, comme l’a souligné le défendeur, il a expressément pris en considération les changements au sein de l’effectif, mais il a jugé que la demanderesse en était bien au fait et que cela relevait effectivement de sa volonté. Les conséquences négatives que la demanderesse a subies en réduisant son propre service ne constituent pas des circonstances inhabituelles et atténuantes qui sont indépendantes de sa volonté.

H. Équité procédurale – crainte raisonnable de partialité

[40] La demanderesse n’a réussi à produire aucun élément de preuve pour étayer son accusation de partialité. Le simple fait que l’ARC a estimé, après son examen initial des faits, qu’un refus était amplement justifié et pourrait donc résister au contrôle judiciaire n’est pas un signe de partialité.

VIII. Conclusion

[41] Après avoir examiné les arguments et le dossier sous-jacent, je conclus que la décision contestée ne comporte aucune erreur. Elle est à la fois raisonnable et équitable, et elle respecte les critères énoncés dans l’arrêt Vavilov à cet égard.

[42] Compte tenu de tout ce qui précède, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée et des dépens de 4000 $ seront adjugés au défendeur comme convenu par les parties.


JUGEMENT dans les dossiers T-116-21 et T-1082-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée et des dépens de 4000 $ sont adjugés au défendeur comme convenu par les parties.

  2. L’intitulé est modifié de manière à ce que le procureur général du Canada soit désigné comme il se doit à titre de défendeur.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Philippe Lavigne-Labelle


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-116-21

T-T082-21

 

INTITULÉ :

BANK OF AMERICA, NATIONAL ASSOCIATION c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 JUILLET 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 NOVEMBRE 2023

COMPARUTIONS :

Thomas Brook

Laura Jochimski

 

POUr LA DEMANDERESSE

 

Dan Daniels

Mitchell Meraw

 

POUr Le DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

EY Cabinet d’avocats s.r.l./s.e.n.c.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUr LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUr Le DÉFENDEUR

 

 

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