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Date : 19980702


Dossier : IMM-4788-97

OTTAWA, (Ontario) le jeudi 2 juillet 1998

EN PRÉSENCE DE Mme LE JUGE B. REED

ENTRE :

     VATHSALA ARUNTHAVARAJAH

SINTHUJA ARUNTHAVARAJAH,


demanderesses,


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


défendeur.


ORDONNANCE

     APRÈS audition de la demande à Toronto (Ontario) le mardi 23 juin 1998, et pour les motifs exposés en ce jour;

     LA COUR ORDONNE QUE :

     la décision de la Commission soit annulée et que l"appel interjeté par les demanderesses soit renvoyé pour nouvelle audition devant une formation autrement constituée de la SSR.


B. Reed

juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Delon LL.L.


Date : 19980702


Dossier : IMM-4788-97

ENTRE :

     VATHSALA ARUNTHAVARAJAH

SINTHUJA ARUNTHAVARAJAH,


demanderesses,


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]      La présente demande sollicite de la Cour une ordonnance annulant une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. La demande se fonde sur un triple argument selon lequel: 1) en décidant de poursuivre son audience malgré les plaintes visant à la qualité de l"interprétation fournie, la Commission a failli à l"obligation qu"elle avait d"assurer aux demanderesses une audience équitable; 2) les conclusions de la Commission concernant l"invraisemblance du récit sont elles-mêmes déraisonnables; 3) la conclusion à laquelle est parvenue la Commission, à savoir que les demanderesses disposaient, à Colombo, d"une possibilité de refuge intérieur, est viciée par le caractère déraisonnable des conclusions auxquelles est parvenue la Commission sur la question de l"invraisemblance du récit et aussi parce que la preuve documentaire ne permettait nullement de conclure que la demanderesse disposait, à Colombo, d"une possibilité de refuge intérieur. Je ne parlerai dorénavant que de la demanderesse adulte puisque la demande présentée au nom de la demanderesse mineure était liée à la sienne.

[2]      Il y a lieu d"annuler la décision en cause vu l"effet cumulatif des nombreux problèmes qu"elle soulève. Je rappelle qu"il n"appartient pas au juge saisi d"une demande de contrôle judiciaire de réécrire la décision rendue par un tribunal administratif, ni en faveur du tribunal ni en faveur de celui ou de celle qui la conteste. La Cour saisie d"une demande de contrôle judiciaire doit se baser sur la décision telle qu"elle est rédigée.

L"interprétation

[3]      À l"audience, l"avocat de la demanderesse a relevé certaines inexactitudes dans l"interprétation. La question a été évoquée en aparté, puis l"avocat de la demanderesse a accepté que l"audience se poursuive, les questions concernant la qualité de l"interprétation devant être abordées lors de l"exposé des conclusions. Exposant la teneur de ce qui avait été ainsi convenu, le président de l"audience a dit que, d"après le tribunal, [traduction] " la demanderesse avait pu comprendre la plupart , voire tous les principaux points évoqués à l"audience..." (non souligné dans l"original).

[4]      Or, selon le critère applicable en la matière, il ne s"agit aucunement de savoir si un demandeur a compris " la plupart " des points importants, mais bien si le demandeur a pu s"exprimer de manière satisfaisante par le truchement d"un interprète; voir Xie c. Canada (ministre de l"Emploi et de l"Immigration) (1990), 10 Imm.L.R. (2d) 284 (C.A.F.) à la p. 292. Le fait que la demanderesse ait compris " la plupart " des points soulevés à l"audience, correspond à un critère trop peu exigeant. Ajoutons qu"il a été admis en principe que la Commission doit veiller à la qualité satisfaisante de l"interprétation même si l"avocat d"un demandeur ne soulève aucune objection à cet égard.

[5]      L"agent d"audience a paru quelque peu surpris de voir l"audience se poursuivre malgré les plaintes touchant la qualité de l"interprétation. Il y a lieu ici de reproduire certains passages de la transcription :

         [Traduction]                 
         L"AGENT D"AUDIENCE      Me permettrez-vous, avant de poursuivre, de faire une observation. Vous avez indiqué que c"était avec le consentement de l"agent d"audience, mais ce n"est pas vraiment la question, car il ne m"appartient pas de consentir ou de ne pas consentir. J"ai tout simplement fait des observations à cet égard. Le fait de poursuivre après qu"une objection a été soulevée pose un problème inhabituel. En ce qui me concerne, j"estime que c"est au tribunal de dire comment il convient de procéder.                 
                 Étant donné que, sur ce point, nous avons eu une discussion en aparté, je pense que l"avocat de la demanderesse devrait faire les déclarations qu"il voudrait voir consigner dans le compte rendu.                 
         ANTONIOU [membre de la Commission présidant à l"audience] Ses observations ont été consignées.                 
         L"AGENT D"AUDIENCE      Lors de la pause, il a fait état de graves fautes d"interprétation. Ça c"était en aparté. Je n"entends pas, en disant cela, retarder l"audience, c"est simplement que je ne (inaudible).                 
         ANTONIOU Avez-vous effectivement parlé de " grossières " erreurs d"interprétation?                 
         SCHLANGER [membre de la Commission] Je pense que l"avocat de la demanderesse pourra évoquer ce problème dans le cadre de ses conclusions.                 
         ANTONIOU      C"est vrai, il y a aussi cette solution là.                 
         L"AVOCAT      L"interprétation?                 
         SCHLANGER      Oui.                 
         (inaudible)                 
         L"AVOCAT      Je ne comprends pas très bien ce qui figure effectivement au compte rendu, sur l"enregistrement.                 
         SCHLANGER      Bon. Vous pourrez toujours, dans vos conclusions, évoquer les préoccupations que vous inspire l"interprétation.                 
         L"AVOCAT      D"une manière générale, si elle a paru évasive, ce n"est pas parce qu"elle était effectivement évasive mais c"est seulement en raison de l"interprétation. Si elle n"a pas semblé répondre de manière directe (inaudible) (inaudible)                 
         SCHLANGER      (inaudible) c"est exact. Bon, nous le comprenons, nous devons le dire.                 
         L"AVOCAT      Entendu.                 
         ANTONIOU      Voulez-vous donc nous exposer vos conclusions?                 

[6]      Après que l"avocat de la demanderesse eut présenté ses conclusions, dans le cadre desquelles il a pris soin de relever que sa cliente n"avait pas répondu de manière évasive et que si elle en avait pourtant donné l"impression, c"était en raison de l"insuffisance de l"interprétation, l"agent d"audience a, à son tour, livré ses conclusions :

         [Traduction]

         L"AGENT D"AUDIENCE      Je vous remercie. Les deux questions en cause portent sur la crédibilité ainsi que sur l"existence d"une possibilité de refuge intérieur. Il est clair que lorsqu"on se penche sur la question de la crédibilité, il faut se demander si l"interprétation a été fidèle. Nous savons bien qu"il s"agit d"exiger une interprétation d"une rigueur absolue, mais il faut bien se demander si, à certains égards, la manière dont ont été interprétés les propos de la demanderesse n"a pas influencé la façon dont le tribunal a apprécié la crédibilité de son témoignage.                 
             Je ne sais pas comment il convient de répondre à cette question mais il s"agit d"un élément dont doit tenir compte le tribunal.                 

[7]      Le président d"audience a conclu celle-ci par les propos suivants :

         [Traduction]

         ANTONIOU      Je viens de m"entretenir brièvement avec mon collègue. Nous préférons différer notre décision sur ce point, étant donné le nombre de questions sur lesquelles nous devons nous pencher. Donc (inaudible) notre décision consiste pour l"instant à dire que nous ne sommes pas en mesure de nous prononcer sur ce point. Il nous faudra examiner la question à la lumière de la preuve documentaire dont nous disposons.                 
                 Nous allons également devoir réfléchir aux ramifications du problème évoqué par votre avocat (inaudible) à savoir l"interprétation, et c"est pourquoi nous ne sommes pas en mesure de nous prononcer dans l"immédiat. Nous rendrons notre décision dans les deux ou trois prochains jours et nous vous la ferons parvenir par écrit.                 

[8]      Dans les motifs de sa décision, la Commission n"a rien dit des préoccupations exprimées au sujet de l"interprétation.

[9]      Voici les éléments du problème : une Commission qui a jaugé la qualité d"une interprétation au regard d"un critère qui n"est pas le bon; un avocat de la demanderesse qui accepte que l"audience se poursuive malgré les préoccupations dont il a été fait état; la Commission qui déclare, en fin d"audience, qu"il lui faudra réfléchir aux ramifications des problèmes censés exister au niveau de l"interprétation, problèmes dont elle ne dit pas un mot dans sa décision; dans le cadre de la présente demande, aucun affidavit ne vient étayer la thèse des lacunes de l"interprétation.

[10]      Je suis d"avis que, à elles seules, ces circonstances ne sont pas de nature à justifier une ordonnance cassant la décision de la Commission, même si elles portent à s"interroger sur la qualité de l"audience assurée à la demanderesse.

Les invraisemblances

[11]      Au dire de la demanderesse, son mari avait emmené sa mère, à lui, de Mullaittivu à Kilinochchi, et de là à Vavuniya afin de la faire soigner. Elle avait en effet été blessée dans un attentat à la bombe survenu à Mullaittivu. Le mari de la demanderesse a alors disparu. La demanderesse a quitté son domicile à Mullaittivu pour se lancer à sa recherche. Ayant atteint Vavuniya, elle apprend qu"à Mullaittivu elle était soupçonnée par les LTTE d"être favorable à l"armée et qu"elle ne devait par conséquent pas rentrer chez elle.

[12]      Les témoignages concernant les auteurs de cet avertissement sont imprécis. D"après les déclarations de la demanderesse, il semblerait qu"un oncle, qui vivait à Mullaittivu, l"ait accompagnée jusqu"à Vavuniya, où elle aurait logé chez un autre oncle (le frère aîné du père de son mari) qui vivait là. Mais elle a aussi déclaré qu"il n"y avait qu"un seul oncle alors qu"en parlant, un peu plus tard, de sa belle-mère qui vivait à Mullaittivu, elle a utilisé un terme que l"interprète a rendu par " tantine ". Dans son FRP, elle a indiqué que c"est son oncle qui avait appris que les LTTE les soupçonnaient, elle et sont mari, d"être favorables à l"armée. Lors de son témoignage, elle semble avoir attribué ce renseignement à des parents ayant rendu visite à sa belle-mère à l"hôpital de Vavuniya.

[13]      On relève une autre incohérence dans la décision de la Commission. La demanderesse, en effet, se serait rendue dans des camps de l"armée ainsi que dans des camps des LTTE afin d"y chercher son mari. Si j"interprète correctement les déclarations faites sur ce point, ce n"est pas dans des camps des LTTE qu"elle prétend s"être rendue, mais dans des camps de militants Tamouls, c"est-à-dire dans des camps appartenant aux adversaires des LTTE. La Commission semble également s"être méprise sur certaines déclarations de la demanderesse concernant une lettre qu"elle aurait obtenue de la Croix-Rouge. La décision de la Commission me semble affirmer que cette lettre a été obtenue à Kilinochchi, alors que la demanderesse a déclaré l"avoir obtenue à Mullaittivu.

[14]      Quoi qu"il en soit, la demanderesse a déclaré qu"on lui avait dit, à Vavuniya, que son mari avait été arrêté par les forces de sécurité sri lankaises et emmené à Colombo pour y être interrogé. Encore une fois, les déclarations prêtent à confusion. Dans son FRP, elle dit avoir obtenu ce renseignement dans un camp de militants tamouls. Lors de sa déposition, elle a parlé de personnes qui rendaient visite aux blessés à l"hôpital de Vavuniya (d"autres blessés, en plus de sa belle-mère, y avaient été emmenés pour y être soignés). D"après la demanderesse, ces personnes lui ont dit que plusieurs Tamouls avaient été arrêtés à Vavuniya et emmenés à Colombo. Elle a d"abord dit avoir supposé que son mari se trouvait parmi les personnes arrêtées, se disant ensuite certaine que cela avait été le cas.

[15]      Elle soutient, en tout état de cause, qu"ayant appris que son mari avait été arrêté par l"armée et emmené à Colombo pour y être interrogé, elle s"est rendue à Colombo. Elle y aurait été arrêtée et aurait été obligée de prouver à la police qu"elle était mariée et qu"elle n"avait commis aucune infraction. Pour ce faire, son oncle, qui voyageait alors avec elle, serait rentré à Mullaittivu pour y chercher la fille de la demanderesse, âgée à l"époque de deux ans et demi ou trois ans. Il a alors emmené l"enfant à Colombo. La police, après qu"on l"eut convaincue que la demanderesse était effectivement la mère d"une petite fille, et sur versement d"un pot-de-vin, aurait remis la demanderesse en liberté, à condition qu"elle se présente devant eux à nouveau dans dix jours. Dès sa libération, la demanderesse s"est enfuie au Canada.

[16]      La Commission a trouvé ce récit peu crédible. La Commission ne s"est cependant pas fondée pour cela sur les contradictions qu"elle aurait relevées dans le témoignage, ou sur des réponses qu"elle aurait jugées évasives ou confuses. Elle est partie du principe que le récit reposait sur un certain nombre d"invraisemblances. La Commission a d"abord estimé peu probable qu"une jeune femme telle que la demanderesse quitte son domicile et sa petite-fille pour braver les dangers d"un territoire en butte à des hostilités afin de se mettre à la recherche de son mari. La Commission a trouvé invraisemblable que la demanderesse ait cru les déclarations faites par des personnes qui rendaient visite à sa belle-mère à Vavuniya, lesquelles lui auraient dit que les LTTE la soupçonnaient d"être favorable à l"armée, renseignement qu"elle n"aurait pas cherché à confirmer. D"après la Commission, il était invraisemblable qu"on ait dit à la demanderesse que son mari avait été arrêté et emmené à Colombo afin d"y être interrogé car seuls les principaux suspects étaient traités de la sorte alors que, d"après la preuve, il n"avait nullement ce profil. La Commission n"a pas cru que la demanderesse avait reçu une lettre de la Croix-Rouge afin de l"aider dans sa recherche de son mari puisqu"elle n"avait pas cette lettre en sa possession à l"audience et qu"elle ne l"avait pas emmenée avec elle à Colombo.

[17]      L"avocat de la demanderesse soutient qu"il n"est pas en soi invraisemblable qu"une femme se mette à la recherche de son mari disparu, même dans une zone où sévissent des combats. Je relève que l"enfant laissé par la demanderesse à Mullaittivu, et appelé enfant en bas âge par la Commission, aurait eu à l"époque deux ans et demie ou trois ans. Je reconnais que, comme le fait valoir l"avocat de la demanderesse, il n"y a rien d"invraisemblable dans le fait qu"une femme parte à la recherche de son mari.

[18]      L"avocat estime qu"il était, de la part de la Commission, parfaitement déraisonnable de conclure à l"invraisemblance du fait que la demanderesse n"ait pas cherché à confirmer qu"elle était effectivement soupçonnée par les LTTE d"être favorable à l"armée avant de décider de ne pas rentrer à Mullaittivu. Selon l"interprétation qu"il donne des motifs de la Commission, celle-ci se serait attendu à ce que la demanderesse retourne effectivement à Mullaittivu afin de confirmer le renseignement qui lui avait été donné. Il fait valoir que si la demanderesse a effectivement cru le renseignement qui lui avait été donné, pourquoi serait-elle retournée à Mullaittivu, courant un risque qu"elle pouvait éviter. Précisons que, pour s"y rendre, il lui aurait fallu traverser à nouveau un territoire rendu dangereux par les hostilités, territoire que la Commission doutait, conformément à sa première conclusion concernant l"invraisemblance du récit fait par la demanderesse, que celle-ci ait jamais traversé.

[19]      Je ne suis pas certaine qu"en parlant de confirmation, la Commission entendait un retour effectif à Mullaittivu mais, si tel n"était pas le cas, il n"est pas certain que l"on puisse, au vu de la preuve, conclure que la demanderesse a manqué de faire confirmer le renseignement en question. Dans son FRP, la demanderesse a déclaré tenir ce renseignement de son oncle et, lors de son témoignage, l"agent d"audience lui a dit qu"elle ne devait pas répéter les renseignements se trouvant dans son FRP. Faute d"une question précise qui lui aurait été posée sur le point de savoir si elle s"était fondée uniquement sur les renseignements fournis par les personnes ayant rendu visite à l"hôpital, la conclusion de la Commission, selon laquelle la demanderesse n"a pas confirmé le renseignement qui lui avait été donné, ne tient pas.

[20]      En ce qui concerne l"invraisemblance, selon la Commission, du fait que la demanderesse aurait appris que son mari avait été emmené à Colombo, l"avocat de la demanderesse soutient que c"est tout à fait gratuitement que la Commission affirme que seuls les principaux suspects des LTTE faisaient l"objet d"un tel traitement. La Commission ne cite aucune preuve documentaire confirmant que seuls les principaux suspects étaient traités de cette manière, et aucune preuve documentaire en ce sens ne figure au dossier. L"affirmation voulant que seuls les principaux suspects des LTTE soient traités de cette manière n"a pas été mentionnée à l"audience. La Commission n"a pas demandé à la demanderesse de s"expliquer sur les préoccupations manifestées à cet égard par les membres de la Commission.

[21]      Si enfin, la Commission a conclu à l"inexistence de la lettre de la Croix-Rouge, la demanderesse a expliqué pourquoi elle ne l"avait plus en sa possession. Elle l"avait donnée à son oncle à Vavuniya étant donné que c"est lui qui, dans les camps, recherchait son mari. Ainsi, bien que la Commission ait conclu qu"il aurait été, pour la demanderesse, utile d"avoir cette lettre à Colombo, cette dernière a témoigné qu"il n"en était en fait pas ainsi car cette lettre devait simplement lui permettre de traverser les barrages établis entre Mullaittivu et Vavuniya. Pour aller de Vavuniya à Colombo, elle disposait d"un laissez-passer de la PLA.

[22]      Dans l"affaire Giron c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) (1992), 143 N.R. 238, la Cour d"appel fédérale a estimé qu"une décision fondée sur l"existence d"un certain nombre d"invraisemblances est moins à l"abri d'une révision éventuelle qu"une décision davantage fondée sur le comportement, sur le caractère évasif des réponses ou sur les contradictions du témoignage, la Cour chargée du contrôle judiciaire étant souvent tout aussi capable que le juge des faits d"apprécier les invraisemblances :

         (" la Commission ") a choisi de fonder en grande partie sa conclusion en l"espèce à l"égard du manque de crédibilité, non pas sur des contradictions internes, des incohérences et des subterfuges, qui constituent l"essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits, mais plutôt sur l"invraisemblance des critères extrinsèques [sic ], tels que le raisonnement, le sens commun et la connaissance d"office, qui nécessitent tous de tirer des conclusions que les juges des faits ne sont pas mieux placés que les autres pour tirer.                 

Cette décision doit, bien sûr, être interprétée à la lumière de décisions telles que l"arrêt Aquebor c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.). C"est justement la jurisprudence que j"applique pour dire qu"il était, de la part de la Commission, déraisonnable de conclure à l"invraisemblance de quatre éléments du récit de la demanderesse.

[23]      Rappelons que la Commission a choisi de fonder sa décision non pas sur les contradictions qu"elle aurait relevées dans le témoignage, non pas sur le comportement de la demanderesse, mais sur les quatre invraisemblances citées plus haut. Or, ces quatre invraisemblances relevées par la Commission, et sur lesquelles celle-ci fonde sa décision, ne résistent pas à l"examen.

Possibilité de refuge intérieur

[24]      Et, enfin, la Commission a estimé qu"à Colombo la demanderesse disposait d"une possibilité de refuge intérieur. La preuve documentaire, pourtant, allait en sens contraire. J"estime qu"il ressort de la preuve documentaire que cette facilité avec laquelle les Tamouls pouvaient, du moins jusqu"en 1995, se rendre à Colombo, situé plus au sud, n"existait plus à l"époque où la demanderesse a effectué le trajet. Ainsi, du moins pour certains Tamouls, Colombo n"offrait plus une possibilité de refuge intérieur. La Commission ne semble pas avoir reconnu ce changement de situation. L"on trouve, pourtant, parmi les documents versés au dossier, un rapport de situation du HCR, en date de mars 1997, qui contient le passage suivant :

         [Traduction]                 
         La poursuite des hostilités dans le nord et l"est du Sri Lanka fait que la question des zones de sécurité ou des possibilités de refuge intérieur pour les Sri lankais ayant dû quitter leur région d"origine continue de préoccuper les gouvernements ainsi que les organisations internationales et locales oeuvrant dans le domaine des droits de la personne et de la protection des réfugiés (HCR, 26 mai 1994). Selon des rapports portant sur l"état des droits de la personne et la jurisprudence internationale qui s"est peu à peu dégagée, la possibilité de refuge intérieur est dans de nombreux cas impossible à retenir dans le contexte du Sri Lanka, notamment en ce qui concerne des réfugiés individuels ou des familles restreintes (la catégorie de réfugié ou de demandeurs d"asile la plus nombreuse dans le contexte européen) (British Refugee Council, février 1997). D"après la jurisprudence, la vie dans un camp de réfugiés ne constitue pas une possibilité de refuge intérieur (Goodwin-Gill 1996, 74).                 

[25]      Dans une note d"information jointe à un document de la Direction générale des recherches de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié, en date du 9 juin 1997, on trouve les indications suivantes :

         [Traduction]                 
         * Les femmes mariées et les femmes accompagnées de jeunes enfants risquent d"être ramassées lors de rafles effectuées dans les pavillons. En ce qui concerne l"arrestation et la mise en détention, aucune distinction n"est faite entre les hommes et les femmes. Il y a des femmes qui sont ramassées et on relève certains cas d"arrestations de femmes logées dans les pavillons. Certaines sont détenues pendant un temps relativement court (1 mois), alors que d"autres font l"objet d"une longue détention (1 à 2 ans).                 
         * Les femmes seules ou simplement accompagnées d"enfants, qui n"ont que peu d"instruction ou d"expérience professionnelle, ont du mal à se réinstaller à Colombo. Les jeunes femmes ou les femmes non mariées sont, davantage que les femmes plus âgées ou les femmes mariées, exposées au risque d"arrestation et de détention au motif qu"elles pourraient être membres des LTTE.                 

[26]      S"agissant de savoir si en l"espèce la demanderesse disposait, à Colombo, d"une possibilité de refuge intérieur, j"estime qu"il aurait dû être davantage tenu compte des preuves documentaires indiquant qu"il n"y avait peut-être pas de possibilité de refuge intérieur à Colombo. Peut-être existait-il une possibilité de refuge à Vavuniya, mais il n"appartient pas à une instance de révision de réécrire la décision rendue par la Commission en faisant abstraction des motifs cités par la celle-ci à l"appui de ses conclusions.

Conclusion

[27]      J"estime, pour les motifs exposés ci-dessus, qu"il y a lieu d"annuler la décision de la Commission et de renvoyer l"appel interjeté par les demanderesses pour nouvelle audition. Telle est l"ordonnance de la Cour.

     B. Reed

     Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 2 juillet 1998

Traduction certifiée conforme

Christiane Delon LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-4788-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Vathsala Arunthavarajah et autre c. M.C.I.

                    

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 23 juin 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : le juge Reed

DATE :                  le 2 juillet 1998

ONT COMPARU :                     

    

Me Lorne Waldman      pour les demanderesses

Me Neeta Logsetty      pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

Jackman, Waldman & Associates     

Toronto (Ontario)      pour les demanderesses

Morris Rosenberg     

Sous-procureur général du Canada      pour le défendeur     

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